etat des lieux et enjeux des medias en federation wallonie

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etat des lieux et enjeux des medias en federation wallonie
ETAT DES LIEUX ET ENJEUX DES
MEDIAS EN FEDERATION WALLONIEBRUXELLES
Baptiste MEUR
Octobre
Editrice responsable : A. Poutrain – 13, Boulevard de l’Empereur – 1000 Bruxelles
2012
Introduction ............................................................................................ 2
A.
De la révolution numérique au contexte de la Fédération WallonieBruxelles, entre évolutions transnationales et facteurs internes : état
des lieux du système des médias belgo-francophones. ........................... 2
B.
C.
1.
Les évolutions transnationales ................................................... 3
2.
Les facteurs internes à la Fédération Wallonie-Bruxelles ................ 5
Les enjeux des médias en Fédération Wallonie-Bruxelles .............. 6
1.
L’instantanéité et la qualité du contenu ....................................... 6
2.
La nécessaire adaptation ........................................................... 7
3.
L’accessibilité aux médias .......................................................... 8
Le rôle des pouvoirs publics : le cas de la presse écrite .................. 8
1.
Les mécanismes d’aides actuelles ............................................... 9
2.
Les fondements de l’aide à la presse et les développements futurs
de l’aide aux médias ........................................................................ 10
Conclusion ............................................................................................. 12
1
Institut Emile Vandervelde –- [email protected]
Introduction
Depuis plusieurs années, le monde des médias (presse écrite, radios, télévision)
est bouleversé par la révolution technologique1 et la croissance spectaculaire de
consommation des TIC2, internet et la révolution numérique en sont les meilleurs
exemples. Smartphones, tablettes, ordinateurs font désormais partie intégrante
du quotidien d’une majorité de citoyens.
Cet avènement engendre de profonds changements et de multiples évolutions
auxquels les acteurs médiatiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles (ci-après
dénommée FWB) doivent faire face.
Pour débuter et contextualiser cette problématique, cette analyse dressera un
état des lieux du monde des médias suite à l’avènement de ces nouvelles
technologies et des changements qu’elles engendrent. Il doit mettre en lumière
plusieurs enjeux qui traversent aujourd’hui les médias de la Fédération WallonieBruxelles. En pleine révolution numérique et suite à l’arrivée des technologies de
l’information et de la communication, ces enjeux dépassent la simple bonne
santé économique des acteurs médiatiques.
Dans cette optique, la dernière partie questionnera le rôle de soutien des
pouvoirs publics à l’égard des médias privés. Quelles sont les actions
actuellement menées par les pouvoirs publics ? Pourquoi cette attention
particulière aux médias ? S’agit-il simplement d’aider, de subventionner certains
médias, pourtant des entreprises privées, ou cette aide s’inscrit-elle dans une
démarche plus globale qui vise à permettre aux acteurs médiatiques de jouer un
rôle essentiel au sein d’une société démocratique ? Afin de répondre à ces
questions, cette analyse prendra l’exemple de la presse écrite quotidienne en
FWB.
A. De la révolution numérique au contexte de la
Fédération
Wallonie-Bruxelles,
entre
évolutions
transnationales
et
facteurs
internes : état des lieux du système des
médias belgo-francophones.
L’arrivée et le développement spectaculaire des technologies de l’information et
de la communication ont considérablement bouleversé le monde des médias.
Comme l’ensemble des médias mondiaux, ceux de la FWB n’échappent pas à ces
évolutions transnationales.
L’avènement des Smartphones et des tablettes, conjugué au développement d’internet permettent d’avoir
accès à l’information n’importe où et n’importe quand. La rencontre ces nouvelles technologies avec le domaine
de l’information a engendré de profonds bouleversements et nécessité des adaptations majeures pour les
médias.
2
Les TIC (technologies de l’information de la communication) regroupent toutes les activités qui permettent de
produire, de traiter ou de communiquer l’information par des moyens électroniques (Définition de l’OCDE) ;
Quelques chiffres : en 2007, il y avait 1,5 milliard de téléviseurs, 1,3 milliard de téléphones fixes, plus de 3
milliards de téléphones mobiles et plus d’un milliard d’internautes…. C’est la première fois dans l’histoire de
l’humanité que de telles possibilités d’échanges et d’accès rapide à l’information existent. Voir MUSSO, Pierre,
« La révolution numérique», La pensée, n°355, 2008, p.2-3.
1
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D’autres facteurs internes, spécifiques à la FWB, permettent d’expliquer certaines
caractéristiques de notre environnement médiatique.
1.
Les évolutions transnationales
Avant l’avènement de la révolution technologique, chaque média exerçait
généralement son activité sur un seul support, celui sur lequel l’entreprise s’était
historiquement déployée. Les quotidiens et les hebdomadaires revenaient aux
éditeurs et aux entreprises de presse, tandis que les médias audiovisuels se
chargeaient de l’exploitation des ondes. La répartition des rôles était claire.
Chacun agissait sur un seul support. C’était le temps des médias « monosupport ».3
Evidemment, cette séparation des espaces médiatiques n’était pas totalement
étanche. Il n’était pas rare de voir, lors de l’émergence d’un nouveau support,
des entreprises médiatiques s’aventurer vers l’exploitation de ce nouveau
support. Ces tentatives de diversification étaient naturellement guidées par les
espoirs de rentrées économiques que fait naitre l’apparition d’une nouvelle
technologie.
L’ « intermédiaté4 » ne date donc pas d’hier. Néanmoins, ces développements ne
furent que très éphémères, les entreprises réalisant rapidement que les métiers
n’étaient pas semblables. Chaque support, chaque média comportait ses propres
logiques de fonctionnement et requérait des compétences particulières.
On pourrait dès lors penser que la révolution technologique, l’émergence des
technologies de l’information et de la communication, le développement
d’internet ne sont que des évolutions parmi d’autres qui ne changeront
fondamentalement pas le caractère mono-support des différents médias.
Plusieurs éléments indiquent clairement le contraire. D’une part, l’émergence des
nouvelles technologies de l’information et de la communication, la révolution
numérique remettent en cause l’existence de la logique « mono-support » en
permettant la réunion des différentes formes médiatiques (l’écrit, l’audio, le
visuel) sur un seul support multi fonction, l’écran.
Ces évolutions obligent les médias à se développer sur le plus de supports
possibles, sous peine de perdre contact avec leur public, leurs clients et donc leur
principal source de revenu.
La communication, l’information se déclinent dorénavant sur un mode pluri
médiatique : l’exploitation d’un support vient s’ajouter à un autre, le compléter,
l’enrichir… c’est ce qu’on appelle les « médias 360° ».
Prenons l’exemple de la télévision : on ne compte plus aujourd’hui les émissions
retransmises en parallèle sur internet, qui proposent des portails d’interaction
F. ANTOINE, F. HEINDERYCKX, État des lieux des médias d’information en Belgique francophone, disponible
sur le site des États généraux des médias d’information » à l’adresse http://egmedia.pcf.be/wpcontent/uploads/2011/03/EGMI_EDL_fullv6_5.pdf
4
Ibidem.
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avec le public et qui font l’objet d’un traitement parallèle en radio tout en
proposant une application pour Smartphones et tablettes. Ce fut par exemple le
cas d’émissions telles que « The Voice Belgique » sur la RTBF, ou de l’émission
de débat de « Mise au point » ou encore de l’émission footballistique « Studio
Foot » retransmises en parallèle sur internet et qui proposent plusieurs
mécanismes interactifs (chats, sondages, page facebook, twitter). Ces
programmes disposent également d’une page internet qui prolonge l’actualité et
les discussions autour de l’émission.
La chaine privée RTL n’est pas en reste puisqu’un portail internet permettra aux
téléspectateurs de participer en simultané à l’émission 71 depuis leur salon et
d’obtenir les gains des différentes inscriptions.
« The spiral », la série phare d’Arte pour la rentrée développe, quant à elle, un
nouveau concept : une diffusion en télévision, et un jeu sur internet qui permet
aux spectateurs de mener l’enquête sur une série de vols de peintures dans
toute l’Europe.5
Ce type de démarche vise à mettre au service d’un même produit les différentes
formes médiatiques en mobilisant l’ensemble des supports (télévision,
ordinateur, radio, tablette,…). Cette évolution est également dictée par la
nécessité pour ces « produits » de toucher un public jeune dont les habitudes et
modes de consommation médiatique ne sont plus les mêmes que celles de leurs
ainés. Et comme proposer l’un n’empêche pas l’autre…
Le défi pour les entreprises médiatiques est donc de saisir à temps le train déjà
en marche d’une offre pluri médiatique. La plupart des entreprises liées à un
support envisagent et développent d’ailleurs déjà leurs activités sur d’autres
supports. En Belgique francophone, il suffit de surfer sur les sites internet des
quotidiens francophones, sur celui de la RTBF ou encore sur ceux des radios pour
se rendre compte de ce phénomène.
Un autre changement majeur engendré par l’avènement des technologies de
l’information et de la communication se situe dans le rapport au temps
qu’entretenait chaque média. Désormais, l’immédiateté de l’information règne en
maître au sein de la temporalité médiatique. En effet, la répartition des supports
entre médias partageait également le temps médiatique. Comme l’expliquent
bien Frédéric Antoine et François Heinderyckx, spécialistes des médias : « (…) la
radio alertait, la télévision montrait, la presse expliquait.»6
L’émergence des nouvelles technologies a remis en cause ce partage de la
temporalité en offrant l’occasion à l’ensemble des acteurs médiatiques de
modifier leur rapport au temps. Les technologies de l’information et de la
communication ont ainsi permis aux médias de développer de la production
écrite aussi vite qu’un flash info ou TV. L’information peut également grâce aux
nouvelles technologies et à la réduction du temps revêtir une autre forme, un
tweet peut désormais constituer un type d’information, tout comme une vidéo
prise par un amateur depuis son Smartphone. Ce genre d’exemple illustre
Voir La Libre du 28 août 2012, « «The spiral » : série politico-policière, télé et Internet, dont vous êtes le
héros », pp. 48-49
6
Voir État des lieux des médias d’information en Belgique francophone, op. cit., p. 167
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parfaitement les conséquences de la rencontre entre nouvelles technologies et
l’information.
Dans ce contexte, la compétition entre acteurs médiatiques ne se déroule plus
tant sur le plan du contenu mais plutôt sur le plan de la réduction du temps qui
sépare le fait de sa diffusion en tant qu’information.
2.
Les facteurs internes à la Fédération WallonieBruxelles
Outre les éléments et les évolutions transnationales, d’autres facteurs sont
spécifiques à la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Une première caractéristique est la taille exiguë du marché que représente la
FWB pour les entreprises médiatiques. La clientèle à laquelle peuvent s’adresser
les différents médias concerne une population de moins de 5 millions de
personnes.
De plus, les médias francophones belges sont soumis à une importante
concurrence provenant non seulement des médias mondiaux, mais aussi une
compétition plus significative et plus locale provenant des médias français.
Ici également, la concurrence s’est accrue avec les développements des
technologies de l’information et de la communication : des groupes comme
Google proposant par exemple via Youtube un ensemble de chaines thématiques.
Une autre caractéristique inhérente au système des médias de la FWB est
relative au potentiel d’extension de nos médias à l’étranger. Dans des pays tels
que la France et l’Angleterre, les médias bénéficient de la renommée de leur État
et de leur culture sur la scène internationale pour exporter et vendre leurs
produits à l’extérieur. C’est un atout dont les médias belges n’apparaissent pas
en mesure de profiter à la hauteur de certains de leurs homologues
internationaux.
Lorsque l’on se penche sur les entreprises médiatiques à proprement parler, une
autre caractéristique de notre espace médiatique est à relever : certains
groupes médiatiques ne sont pas détenus par des ressortissants de la Fédération
Wallonie-Bruxelles.
Prenons l’exemple de la presse écrite. La presse quotidienne payante est entre
les mains de trois groupes de presse différents : Rossel, les Editions l’avenir et
IPM. Les éditions de l’Avenir sont aux mains de la société Corelio dont le siège
social se trouve en Flandre.
Le Vif-L’Express, un des magazines hebdomadaires les plus vendus, est produit
par le groupe Roularta dont le siège social est à Roulers.
Il apparait
plus difficile, dans ces circonstances, de contrôler son espace
médiatique.
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B. Les enjeux des médias en Fédération WallonieBruxelles
Le monde des médias n’est certes pas uniforme : les acteurs médiatiques se
distinguent de par leur support d’origine (papier, radios, télévision), ou de par
leur caractère privé ou public.
Malgré ces particularités, certains enjeux traversent aujourd’hui ces spécificités
pour se poser à chaque média. C’est le cas des enjeux posés par la révolution
technologique, l’avènement du numérique qui engendrent de grandes difficultés
pour la plupart des médias et remet en cause jusqu’à l’existence de certains
groupes de presse.
Dans une interview parue dans le Soir du 11 octobre 2011, Paul Daenen
(rédacteur en chef du quotidien « Het Laaste Nieuws ») affirmait : « Dans 50
ans, il y aura toujours des journaux. »7 Internet ne signifie pas, selon lui, la fin
de la presse écrite mais lance le défi de son adaptation et de son évolution afin
d’assurer sa pérennité.
Dans ce contexte de mutation des habitudes et modes de consommation des
médias et de révolution numérique, on peut distinguer trois enjeux majeurs qui
se posent aujourd’hui aux médias.
1.
L’instantanéité et la qualité du contenu
Comme cette analyse l’a mis en évidence, l’émergence des technologies de
l’information et de la communication a changé le rapport que chaque média
entretenait avec le temps. Dans ce contexte, la qualité d’une information ne
s’évalue plus à l’analyse que peut en fournir un média mais plutôt à la rapidité de
sa diffusion. 8
Un des enjeux majeurs est donc la qualité de l’information, comme la vérification
de son exactitude : deux éléments à la base de la déontologie du travail
journalistique. Et comme à l’heure actuelle, tout le monde est en mesure de
devenir « journaliste » (vidéo postée sur internet prise avec son Smartphone,
blog,..), ces deux caractéristiques doivent plus que jamais guider le travail des
véritables professionnels du métier.
La gestion de l’instantanéité de l’information est pourtant un des enjeux
essentiels des médias à l’heure actuelle. Divisés entre la dictature de l’immédiat
et la nécessaire prise de distance indispensable à une réflexion de qualité, ceuxci doivent pourtant pouvoir continuer à assurer une information de qualité au
risque de voir entamer la crédibilité du travail journalistique. C’est précisément
« Dans 50 ans, il y aura toujours des journaux » disponible sur le site internet du Soir à l’adresse
http://archives.lesoir.be/-dans-50-ans-il-y-aura-toujours-des-journaux-_t-20111011-01M450.html
8
État des lieux des médias d’information en Belgique francophone, op. cit., p. 171.
7
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cette qualité qui doit continuer à constituer la marque de fabrique des médias
pour leur rôle de « quatrième pouvoir » au sein de notre société.9
2.
La nécessaire adaptation
A côté de la qualité de l’information, d’autres enjeux sont d’ordre financier et
économique. De ce point de vue, et vu les transformations que connait la sphère
médiatique, les médias en FWB se doivent de s’adapter et d’évoluer pour
répondre aux nouveaux défis, notamment le changement des modes de
consommation des médias.
Et le changement est en marche, les médias de la FWB ont d’ores et déjà saisi
cet enjeu : se diversifier, évoluer, répondre aux nouvelles habitudes de
consommation permet non seulement de continuer à survivre dans le monde
médiatique, mais surtout de continuer à toucher un public voire même d’élargir
son audience. Une fois touché ce nouveau public peut être amené à s’intéresser
à d’autres activités développées par le média, et par là renforcer son attractivité.
Pour exemple, l’audience globale de la RTBF a été rajeunie suite à la diffusion de
l’émission « The Voice ». Une fois captée par une stratégie médiatique à 360°, le
jeune public s’est intéressé à d’autres programmes de la chaine publique.10
Il s’agit pour les entreprises médiatiques d’innover, mais également de s’inspirer
des recettes qui marchent ailleurs afin de les couler dans le moule de leur
identité médiatique tout en les adaptant aux spécificités francophones belges.
En plus de l’adaptation de la stratégie globale, d’autres évolutions sont
nécessaires pour accomplir cette métamorphose. De fait, il s’agit également de
donner les nouveaux outils à ceux qui fabriquent l’information, les journalistes,
pour qu’ils répondent aux nouvelles demandes et aux exigences posées par cet
univers médiatique en mutation. La formation continue des journalistes aux
nouvelles techniques constitue dès lors un autre enjeu essentiel engendré par
ces évolutions.11
Cette adaptation comporte deux facettes : l’une a trait à la stratégie globale du
média, la seconde étant due la répercussion de cette adaptation nécessaire sur le
travail des journalistes. Celui-ci requiert désormais l’acquisition de nouvelles
compétences pour faire face aux nouveaux défis engendrés par l’évolution des
modes de consommation des médias.
J-J. JESPERS, « Journalisme et citoyenneté : le double visage des médias » in Journalisme : Evolutions
numériques et Alternatives, PAC éditions, Bruxelles, p. 15
10
« The Voice : une réussite pour la RTBF » disponible sur le site internet de Trends à l’adresse
http://trends.levif.be/economie/actualite/entreprises/the-voice-une-reussite-pour-la-rtbf/article4000079404802.htm#
11
Le rapport de l’atelier 2 des États généraux des médias d’information s’intitulait d’ailleurs « Formation et
statut des journalistes » disponible sur le site des États généraux des médias d’information à l’adresse
http://egmedia.pcf.be/wp-content/uploads/2011/03/Rapport-synth%C3%A9tique-Atelier-2.pdf
9
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3.
L’accessibilité aux médias
L’accessibilité aux médias constitue le troisième enjeu majeur. Car aujourd’hui,
internet permet un accès gratuit à l’information. Or, si une suppression de cette
gratuité devait intervenir, il est fort probable qu’une certaine frange de la
population profitant de l’accès gratuit en serait privée.
Rendre l’accès à des sites ou à des parties de sites internet payants aura pour
bénéfice de couvrir une partie des coûts mais réduira sans doute son socle de
diffusion. Sera-t-on dès lors en mesure de garantir une diffusion nondiscriminante et aussi large qu’avant la mise à disposition payante ?
Internet a permis l’accès à de nombreux contenus culturels et médiatiques à des
citoyens qui n’y avaient pas nécessairement accès auparavant… Si cet accès
devient payant, qui sera privé de ces contenus ? Cette problématique est un
enjeu démocratique plus large, qui dépasse le simple enjeu financier.
Pour répondre à ce dilemme, certaines pistes envisagent de rendre payant les
contenus à forte valeur ajoutée avec le risque de restreindre leur accès. Mais
peut-on envisager qu’un produit qui comporte un certain coût de production soit
gratuit ? La gratuité est-elle à ce point liée à internet ?
Dans la perspective de l’arrivée de nouveaux acteurs émergents proposant des
contenus gratuits en FWB, comment assurer que les contenus payants pourtant
d’une meilleure qualité ne soient pas délaissés au profit de la gratuité ?
Une manière de contourner le choix réducteur entre accès gratuit et accès
payant réside peut-être dans l’innovation. Si l’on analyse ce qui se fait dans
d’autres pays pour contourner ce même problème, on remarque que des
mécanismes sont possibles afin d’engranger certains bénéfices tout en
maintenant un accès gratuit à l’information (participation payante pour le public
au comité de rédaction, financement par le public de certains sujets et
reportages). Reste à voir si ces modèles permettront de compenser les pertes
financières dues à la gratuité d’accès de l’information en ligne.
C. Le rôle des pouvoirs publics : le cas de la
presse écrite
Dans une interview parue dans Le Soir, Gilles Doutrelopont, chef de cabinet de la
Ministre de la Culture Fadila Laanan, résumait bien les enjeux qui se posaient à
la presse écrite : « On est arrivé à un moment charnière. Si on ne fait rien, on
risque de voir des titres disparaître ainsi que des contenus s’appauvrir, ce qui
accélèrera la chute des ventes et augmentera encore les difficultés du secteur. Le
problème est que la situation budgétaire est assez difficile. (…) Sur le principe –
à savoir la nécessité de soutenir la presse écrite-, il y a consentement au sein
des gouvernements (…)».12
12
« Le plan d’aide à la presse devrait (enfin) atterrir » Le Soir du jeudi 5 juillet 2012 disponible sur le site
internet du Soir à l’adresse http://archives.lesoir.be/le-plan-d-aide-a-la-presse-devrait-enfin-_t-20120705020DCK.html
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Dans quelle mesure les pouvoirs publics interviennent-ils actuellement pour aider
les médias à remplir leur rôle d’information des citoyens ? Par quels mécanismes
concrets interviennent-ils aujourd’hui ? Peuvent-ils soutenir les médias privés
dans leur redéploiement à l’heure des difficultés budgétaires ? Les pouvoirs
publics peuvent-ils aider la presse écrite à répondre à certains des enjeux
dégagés ci-dessus (adaptation, qualité de l’information et accessibilité de
l’information) ?
C’est à ces différentes questions que cette dernière partie va
tenter de répondre.
1.
Les mécanismes d’aides actuelles
Pour les médias audiovisuels publics tels que la RTBF et les télévisions locales, la
logique de l’aide est évidente puisqu’une grande partie des activités de ces
médias est assumée financièrement par une dotation de la Fédération WallonieBruxelles en contrepartie de laquelle ces médias remplissent les missions de
service public que le Gouvernement lui assigne.
Pour les médias privés, plusieurs mécanismes existent afin de leur apporter une
aide financière.
Pour la presse écrite, le décret de 2004 relatif aux aides à la presse quotidienne
écrite francophone et au développement d’initiatives de la presse quotidienne
écrite francophone en milieu scolaire octroie chaque année une somme de 6,2
millions € d’aide à la presse, indexée chaque année depuis 2005 (soit 7,1
millions en 2011).13 Le budget de la Communauté française supporte
entièrement cette somme qui est gérée par le Centre de l’aide à la presse écrite
de la Communauté française. Ce dernier répartit l’aide à la presse selon plusieurs
critères : création de titre ou de groupe de titres, développement de
programmes de formation du lecteur à la citoyenneté, engagement des
journalistes professionnels salariés, nombre de journalistes professionnels
engagés.
A côté de ce mécanisme d’aide directe à la presse, il existe des aides à la presse
dites indirectes. Citons pour exemple le taux réduits de TVA (6%) pour la vente
des journaux, un tarif spécifique imposé par l’Etat à la Poste pour la distribution
des titres de presse.
Plusieurs aides sont également accordées aux journalistes telles qu’une réduction
de 75% pour leur transport en train suite à un accord passé avec la SNCB
(gratuit pour la 2ème classe).
Les Régions interviennent également par le biais de soutiens à l’investissement.
Il en est par exemple ainsi pour les rotatives de la presse écrite.
Dans ce contexte d’évolution des modes et des habitudes de consommation des
médias, les pouvoirs publics se doivent-ils de renforcer leur soutien à la presse
écrite ? Et si oui, sous quelles formes ?
Décret disponible sur le site internet de la Fédération Wallonie-Bruxelles
http://www2.cfwb.be/av/db/aig/gallery/Autres_secteurs/DecretPresseEcrite3132004.pdf
13
à
l’adresse
9
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2.
Les fondements de l’aide à la presse
développements futurs de l’aide aux médias
et
les
Si en toute logique, il est normal d’accorder une aide directe, sous forme de
dotation, à des médias publics dans la mesure où on lui demande de remplir des
missions de service public, est-il par contre normal de soutenir des entreprises
médiatiques privées ?
Si au sein du monde des médias dits traditionnels et des pouvoirs publics, il
existe un relatif consensus pour soutenir, en ces périodes délicates, nos titres de
presse et faciliter leur mutation, des initiatives telles que les médias alternatifs
existent. Les médias alternatifs ambitionnent d’évoluer en dehors du monde
marchand et d’évoluer en toute autonomie des organisations politiques,
marchandes et associatives.
L’objectif de ces médias est évidemment des plus louables mais il ne faudrait pas
pour autant voir dans ces initiatives la preuve du manque de neutralité des
médias classiques. Les aides accordées à ces médias n’ont pas pour objectif
d’avoir une quelconque emprise sur ces derniers. Le regard critique constant
posé par les journalistes sur les enjeux de notre société en est le meilleur
exemple.
Les aides à la presse ne se limitent d’ailleurs pas à tel ou tel groupe de presse,
mais sont accordées en fonction de critères précis identifiés dans le décret.
Plusieurs arguments sont généralement mobilisés pour appuyer l’aide des
pouvoirs publics à la presse écrite privée. En effet, en plus d’arguments
économiques (maintien de l’emploi au sein de ces structures), ces entreprises ne
sont pas des entreprises comme les autres puisque le produit qu’elles conçoivent
participe à la vigueur d’une démocratie et à la formation d’un esprit critique des
citoyens. La diversification des sources d’information et, partant, le pluralisme
des médias sont essentielles au bon fonctionnement d’un Etat de droit. Bonne
santé économique et démocratique sont donc de ce point de vue liées. De plus,
le décret de 2004 répartit l’aide à la presse selon plusieurs critères, tels que les
conditions socio-économiques des travailleurs du secteur par exemple. Ces
éléments représentent certaines garanties pour les pouvoirs publics.
Mais face aux évolutions du secteur des médias et des nouveaux enjeux que
l’état des lieux a mis en évidence, doit-on revoir et mieux cibler l’aide des
pouvoirs publics au secteur de la presse écrite ?
Une intervention ou la mise en place de nouveaux mécanismes d’aide semble dès
lors possible et souhaitable. Car tout le monde l’aura compris, bonne santé
économique, formation citoyenne, information de qualité sont autant d’enjeux
interdépendants : le premier influençant les autres.
Néanmoins malgré l’urgence, il s’agit de prendre en compte le contexte
budgétaire difficile de la FWB pour rester dans des dépenses budgétaires
supplémentaires acceptables.
10
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Certaines pistes évoquées lors des Etats généraux des médias et de l’information
méritent une attention particulière.
Vu la mutation des métiers des médias, il semble important d’accompagner la
formation des journalistes en dégageant des budgets, mais également en
répertoriant les besoins de la profession et les possibilités de formation qui
s’ouvrent à cette dernière. Reste évidemment à définir les acteurs devant gérer
le budget alloué, et les modalités d’orientation des formations (libre choix des
journalistes au sein de formations déjà existantes, ou choix parmi des formations
agréées).
Au-delà de la formation des journalistes, la révolution numérique ainsi que
l’avènement des Technologies de l’information et de la communication
nécessitent un déploiement et le lancement de certains nouveaux projets sur de
nouveaux supports afin de ne pas perdre contact avec le public. Les journaux
développent par exemple déjà des applications pour les tablettes. Récemment, le
site internet lesoir.be a été revu en profondeur pour offrir selon son édition du 3
octobre « un site plus performant, plus souple et qui pourra s’adapter plus
facilement aux évolutions du web ».14 La nouvelle version du site étoffera
également son offre réservée à ses abonnés et offrira dans les prochaines
semaines une édition de fin de journée 100% numérique conçue également pour
la lecture des tablettes.15
Aider les médias au déploiement sur les nouveaux supports, soutenir le modèle
actuel semble l’option à privilégier. Dans ce cadre, mettre les jeunes en contact
avec la presse dès le plus jeune âge et intégrer les supports médias en classe
peuvent constituer des pistes intéressantes.
Par ailleurs, étant donné les nouveaux budgets dégagés, il va de soi que cette
augmentation devrait s’accompagner du strict respect des clauses sociales
contenues dans le décret.
Par exemple lors de l’octroi de subvention pour un projet visant au
développement d’un groupe de presse sur internet, pourquoi ne pas conditionner
les aides financières à la modération plus suivie des forums de discussion sur les
articles mis en ligne. Trop souvent, ceux-ci contiennent des propos susceptibles
de sanctions pénales pouvant parfois être délivrés en tout anonymat. La difficulté
de ce genre de régulation étant évidemment que certains articles suscitent des
flux de commentaires parfois très abondants.
Néanmoins, quand on regarde les moyens utilisés dans d’autres pays pour lutter
contre ce phénomène, certains sont directement applicables en FWB :
l’identification préalable à tout commentaire, l’autogestion par des modérateurs
ou l’écartement de certains commentaires jugés non-constructifs par les
utilisateurs sur d’autres forums sont autant de pistes à approfondir.
14
15
« Le Soir » poursuit sa mutation numérique in Le Soir du 3 octobre 2012 p.1 et p.22
Ibidem.
11
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Conclusion
La presse écrite, comme l’ensemble des médias, font face à des défis nouveaux.
Développement des TIC, nouvelles technologies, réseaux sociaux, révolution
numérique ont désormais pénétré l’univers de l’information. Suite à ces
évolutions, l’adaptation des médias et la qualité de l’information constituent deux
des principaux enjeux pour les médias de la FWB. Dans ce contexte, il apparait
que les pouvoirs publics peuvent jouer un rôle. Car, une information de qualité
est un facteur essentiel pour toute société démocratique.
Enjeux financiers, qualité de l’information et formation citoyenne constituent des
enjeux qui se recoupent, s’entrecroisent, s’influencent. Cette interdépendance
permet de comprendre l’importance de l’aide des pouvoirs publics à des médias
privés. Et dans le contexte décrit ci-dessus, les pouvoirs publics peuvent, par de
nouveaux mécanismes, aider le secteur en comblant partiellement – étant donné
le contexte budgétaire délicat- certains de ses besoins.
En effet, la presse papier relève de l’exception culturelle, de la diversité
culturelle. Il est normal que l’Etat soutienne ces entreprises, en raison de leur
caractère culturel qui échappe au marché classique des biens et des services.
Dans ce cadre, aider au développement de la presse sur les nouveaux supports
et pérenniser le modèle papier actuel doivent guider l’aide aux médias. Pour ces
raisons et pour répondre aux enjeux qui se posent aujourd’hui, il faut renforcer
les aides directes à la presse écrite, développer de nouveaux types d’aides pour
les supports qui apparaissent, soutenir la formation des journalistes étant donné
la mutation des métiers de l’information ou encore sauvegarder l’emploi au sein
de ces structures.
Les contreparties pour les pouvoirs publics seraient les conditions d’activation de
ces aides, mais surtout l’indispensable pérennisation des médias en FWB, vitale
pour la formation d’un esprit citoyen critique et en définitive pour la qualité du
débat démocratique.
Soutenir les médias de la FWB vise notamment à répondre au défi de la qualité
de l’information. Les bénéficiaires de cette aide sont indirectement les citoyens
qui peuvent disposer d’une information diversifiée, moderne, réfléchie, fouillée et
invitant au débat.
Institut Emile Vandervelde
Bd de l’Empereur, 13
B-1000 Bruxelles
Téléphone : +32 (0)2 548 32 11
Fax : + 32 (02) 513 20 19
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