LA DÉTENTION APRÈS LA GARDE À VUE POUR PRÉSENTATION

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LA DÉTENTION APRÈS LA GARDE À VUE POUR PRÉSENTATION
LA DÉTENTION APRÈS LA GARDE
À VUE POUR PRÉSENTATION
AU PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE
OU AU JUGE D’INSTRUCTION
2e
(Cour européenne des droits de l’homme,
section, 27 juillet 2006, Zervudacki c. France)
par
Michel PUÉCHAVY
Avocat au barreau de Paris
Rendu à l’unanimité par la 2e Section de la Cour, l’arrêt Zervudacki c. France constate une violation des articles 5, §1er et 5, §4 de
la Convention et condamne l’Etat défendeur à payer la somme de
4.000 A à la victime au titre de la satisfaction équitable.
La requérante, administrateur judiciaire, alléguait que la privation
de liberté dont elle avait fait l’objet à l’issue de sa garde à vue de
quarante huit heures dans les locaux de la brigade financière était
illégale et contraire à l’article 5, §1er et que le fait d’avoir attendu dix
heures trente avant de comparaître devant le juge d’instruction avait
enfreint les dispositions de l’article 5, §3. Elle se plaignait également
de ne pas avoir disposé d’un recours lui permettant de demander à
un tribunal de statuer dans un bref délai sur la légalité de sa détention entre la fin de sa garde à vue et sa présentation au juge d’instruction au sens de l’article 5, §4 de la Convention.
Mise en examen pour escroquerie aggravée, la requérante bénéficia en définitive d’une ordonnance de non-lieu.
La Cour a constaté que la durée légale maximale de la garde à
vue était de quarante-huit heures et revêtait un caractère absolu. Il
appartenait en conséquence aux autorités responsables, le terme
étant connu d’avance, de prendre toutes les précautions pour que la
loi fût respectée. En outre, aucun texte ne réglementait alors la
détention d’une personne entre la fin de la garde à vue et le
moment de sa présentation devant le procureur ou le juge d’instruction. La privation de la liberté n’avait pas de fondement légal en
droit interne. La Cour a rappelé l’importance de l’article 5 dans le
système de la Convention et qu’il y avait lieu d’accorder un poids
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particulier au droit à la liberté du requérant dans la balance des
intérêts opposés en cause.
La Cour a relevé en outre, que tant pendant la période de la
garde à vue que pendant la détention illégale, la requérante n’avait
pu ni se laver, ni se restaurer, ni se reposer et qu’elle avait dû être
hospitalisée dès son arrivée à la maison d’arrêt en raison de son
extrême affaiblissement (§§46-48).
I. – La question de la garde à vue
Aux termes de l’article 63 du code de procédure pénale (C.P.P.),
un officier de police judiciaire «peut pour les nécessités de l’enquête»
placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il
existe des raisons plausibles qu’elle a commis ou tenté de commettre
une infraction (1). Certains auteurs préféraient la rédaction de la loi
antérieure à celle du 2 mars 2002, applicable dans l’affaire Zervudacki, qui exigeait des «indices laissant présumer» la tentative ou la
commission d’une infraction, l’expression nouvelle étant floue et
empreinte d’un plus grand subjectivisme (2). Le procureur de la
République doit être informé dès le début de la garde à vue. Celleci ne peut être prolongée au-delà de vingt-quatre heures pour une
même durée que sur autorisation écrite du Parquet (3).
A l’issue de la garde à vue, la personne détenue doit être soit
remise en liberté soit déférée devant le procureur de la République (4) et, en cas d’ouverture d’information devant le juge d’ins(1) Sur la garde à vue, voy. G. Stefani, G. Levasseur et B. Bouloc, Procédure
pénale, 19e éd., Paris, 2004, 1038 p., §§419-440, pp. 392-413; J. Pradel, Procédure
pénale, 11e éd., Paris, 2002/2003, 890 p., §§490-515, pp. 448-463; S. Guinchard et
J. Buisson, Procédure pénale, 3e éd., Paris, 2005, 1098 p.
(2) J. Leroy, Juris-Classeur procédure pénale, articles 53-73, fascicule 20, §66,
p. 14. L’auteur estime que le critère n’est pas d’un maniement aisé. S. Guinchard
et J. Buisson, Procédure pénale, op. cit., voy. 466, §704, pensent qu’il faut une certaine objectivisation des éléments recueillis à l’encontre d’une personne et qu’un simple soupçon ne saurait suffire.
(3) Des dérogations existent pour certaines infractions, en matière de terrorisme la
garde à vue peut durer soixante douze heures (art. 706-23 C.P.P. et art. L 627-1 du
code de la santé publique).
(4) Pour S. Guinchard et J. Buisson (Procédure pénale, op. cit.), la décision du Conseil constitutionnel validant cette disposition (11 août 1993) est contraire à la jurisprudence des arrêts Schiesser et Huber c. Suisse de la Cour eur. dr. h., selon laquelle le
magistrat habilité à effectuer un contrôle des arrestations et détentions en vue de conduire l’intéressé devant un tribunal ne doit pouvoir être en mesure d’exercer l’action
publique à l’encontre de la personne privée de liberté, voy. spécialement p. 266, §346.
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truction. Jusqu’à la loi du 9 mars 2004, dite loi «Perben II», aucun
texte ne régissait le temps entre l’issue de la garde à vue et la présentation au procureur ou au juge d’instruction (5). Désormais
l’article 803-2 C.P.P. dispose que la personne déférée doit être présentée le jour même au procureur ou au juge d’instruction. Mais,
l’article 803-3 du même code vient apporter un bémol en édictant
qu’«en cas de nécessité» la personne déférée, sauf si elle a d’ores et
déjà effectué une garde à vue ayant duré plus de soixante-douze
heures, peut être détenue pendant une durée maximale de vingt
heures dans les locaux de la juridiction spécialement aménagée et
qu’au delà de cette période, elle doit être remise en liberté. Le texte
ajoute que, dans ce cas, la personne doit avoir la possibilité de s’alimenter, de prévenir par téléphone l’un de ses proches, de se faire
examiner par un médecin et de s’entretenir avec un avocat (voy. le
texte complet dans le §24 de l’arrêt).
Or, la mention «en cas de nécessité», même si l’on suppose que
c’est pour les besoins du service, est trop imprécise, le délai de vingt
heures est trop long et les droits de la personne déférée sont manifestement insuffisants, mais cela n’est pas étonnant s’agissant d’une
loi «musclée» comme la loi «Perben-II». En effet, rien n’est prévu,
entre autres, pour le droit de se laver ou celui de se reposer, la qualité de celui-ci, le temps des interrogatoires.
Les avocats savent, mais hélas! ne le dénoncent pas assez souvent, que la police et le Parquet ont une fâcheuse propension à abuser de la garde à vue qui ne devrait être que l’exception. Alors que
le texte ne vise que les «nécessités de l’enquête», trop de personnes
sont placées en garde à vue pour des infractions mineures, ou
lorsqu’il résulte des premiers éléments de l’enquête qu’elles sont
innocentes ou, enfin, lorsqu’il n’y aucune raison de poursuivre la
garde à vue. Pour des raisons démagogiques et faussement
(5) Jusqu’en 1958, la garde à vue n’avait aucun fondement légal en France. Elle
était une situation de non-droit (D. Guérin, «L’évolution de la notion juridique de
garde à vue», Revue pénitentiaire et de droit pénal, avril 2000, pp. 16-24, voy. p. 16).
Puis, la loi ne donnant que des prérogatives à la police pour mener ses investigations,
elle fut considérée comme le principal obstacle à la ratification de la Convention par
la France (voy. sur cette question, G. Levasseur, «L’influence de la Convention
européenne des droits de l’homme sur les privations ou restrictions de liberté antérieures au jugement répressif , rapport, VIIe congrès de l’Association internationale
de droit pénal», Les Cahiers du Droit, 1963, p. 77. D’autres réclamaient son abrogation (E. Garçon, Le Monde, 11 janvier 1963, B. Bouloc, L’acte d’instruction, Paris,
1965, p. 315).
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«sécuritaires», le pouvoir politique s’accommode de ces abus sauf
lorsqu’il en est lui-même victime.
Au surplus, la garde à vue a souvent été critiquée en raison des
mauvaises conditions de détention ou des traitements infligés aux
personnes retenues. Certains commissariats de police parisiens disposent de cellules très exiguës, sales, pourvues d’une simple banquette, sans chauffage, sans éclairage, sans possibilité d’appeler en
cas de malaise sauf en frappant sur la porte ou les barreaux… qui
s’apparentent davantage aux clapiers de lapins qu’à des cellules
dignes d’un Etat de droit (6).
Les abus en matière de garde à vue ont été régulièrement
dénoncés (7). Quant aux mauvais traitements, bien que certaines
mesures prises par le législateur aient eu un effet bénéfique (8), il
est notoire que des « bavures » se produisent encore trop souvent.
Les rapports annuels de l’organisation humanitaire Amnesty
International mentionnent des brutalités policières exercées pendant la garde à vue (9). Le Comité européen pour la prévention de
la torture (C.E.P.T.) a publié plusieurs rapports mettant en cause
ces violences. Celui publié en janvier 1993, à la suite de la visite
qu’il avait effectuée en 1991, concluait qu’une personne privée de
liberté par les forces de l’ordre courait un risque non négligeable
d’être maltraitée. Pourtant, en 1993, un jeune Zaïrois de dix-sept
ans fut tué dans un commissariat de police parisien, un inspecteur
lui ayant tiré une balle dans la tête alors qu’il l’interrogeait à pro(6) Aux termes de l’article 720-1-A du C.P.P., les procureurs, les députés et sénateurs peuvent se rendre dans les commissariats et locaux de garde à vue ce qui est
rarement le cas faute de moyens suffisants.
(7) Voy. notamment B. Bouloc, «Les abus en matière de procédure pénale», Rev.
sc. crim., 1991, pp. 221-243 et plus spécialement sur la garde à vue, pp. 232-234.
(8) Notamment la loi du 4 janvier 1993 qui a permis aux personnes gardées à vue
la possibilité d’être vues par un avocat, ce qui limita considérablement les risques de
mauvais traitements de la police (avant cette loi, un simple témoin pouvait être
maintenu en garde à vue!...), et la loi du 15 juin 2000 «renforçant la protection de
la présomption d’innocence et les droits des victimes» qui offre la possibilité à une
personne gardée à vue d’être assisté par un avocat dès la première heure sauf dans
les cas d’infractions liées au terrorisme ou au trafic de stupéfiants. L’enregistrement
vidéo des interrogatoires de mineurs effectués par la police visait également à prévenir les actes de brutalités. Toutefois, un projet visant à étendre cette mesure aux
interrogatoires des adultes fut repoussé devant la farouche opposition de la police.
(9) Voy. entre autres les rapports de : 1991, pp. 112-113; 1992, pp 134-135; 1994,
pp. 149-150 (les violences telles que coups de poing, gifles, coups sur la tête avec un
annuaire téléphonique, insultes, pressions psychologiques, privation de nourriture ou
de médicaments avaient donné lieu à des plaintes); 1997, p. 166; 2001, pp. 165-166;
2005, p. 262.
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pos d’un vol de cigarettes. L’inspecteur avait par la suite déclaré
qu’il avait seulement voulu faire peur au jeune homme qui criait
et l’injuriait. Toutefois, le rapport d’enquête avait prouvé que la
balle avait été tirée à bout portant et que l’arme était appliquée
contre la tempe de la victime (10). Dans un rapport publié en
mars 2004, consécutivement à des visites réalisées en 2003, le
C.E.P.T. déplorait que, dans certains cas, les autorités ne permettaient aux personnes gardées à vue de voir un avocat que trentesix heures après avoir été retenues. Le rapport établi par le commissaire aux droits de l’homme, M. Alvaro Gil-Roblès, le 15
février 2006 critique l’existence de dix-huit systèmes différents de
garde à vue dans le droit français et il juge que le rôle de l’avocat
est purement formel, celui-ci n’ayant pas accès au dossier et
n’assistant pas aux interrogatoires (11).
De nombreuses affaires furent soumises à la Commission européenne des droits de l’homme qui estimait qu’en cas d’allégation
de mauvais traitements pendant une garde à vue, une plainte
avec constitution de partie civile constituait un recours efficace (12).
En conséquence, les requêtes qui en faisaient état sans avoir fait
l’objet d’une plainte en droit interne furent rejetées pour ne pas
avoir satisfait à la règle de l’épuisement des voies de recours internes (13), la Commission n’ayant pas appliqué le raisonnement qui
sera pris ultérieurement par elle-même et par la Cour dans l’affaire
Selmouni, à savoir la dispense d’épuiser les voies de recours internes
(10) Voy. le rapport annuel d’Amnesty International, 1997, p. 166, le policier responsable fut condamné en février 1996 à huit ans d’emprisonnement par la Cour
d’assises de Paris après avoir été reconnu coupable de coups et blessures ayant
entraîné la mort sans intention de la donner.
(11) Rapport pp. 14-16. Voy. notamment le §51. Le bâtonnier Damien a estimé
que le rôle de l’avocat apparaissait dérisoire et s’apparentait à un geste humanitaire
(note sous C.A. Versailles, 23 novembre 1994, Gaz. Pal., 13-14 janvier 1995).
(12) Déc. 13 décembre 1984, M. c. France, req. n° 10078/83, D.R., 41, pp. 103-113;
Voy. également les décisions des 11 mai 1989, Sargin et Yaggi c. Turquie, req.
nos 14116/88 et 14117/88, D.R., 61 p. 250; 10 juillet 1991, Erdagöz c. Turquie, req.
n° 17128/90, D.R., 71 p. 215; 4 mai 1993, Anita Ribitsch c. Autriche, req. n° 17544/
90, D.R., 74 p. 129; 11 octobre 1993, Yagiz c. Turquie, req. n° 19092/91, D.R., 75,
p. 207.
(13) Déc. 7 décembre 1994, Hervé Cendre c. France, req. n° 22405/93 (le requérant
présentait des hématomes, des plaies ouvertes au visage et au poignet, des contusions
thoraciques, il avait trois côtes cassées); 29 novembre 1995, Montousse c. France, req.
n° 21976/93; 10 septembre 1997, Bencheikh c. France, req. n° 35486/97; une requête
qui alléguait de mauvais traitements lors de la garde à vue a été rayée du rôle, décision du 10 janvier 1994, Kamel Bettache c. France, req. n° 19321/92.
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en cas de violation de l’article 3 de la Convention (14). La Cour,
cependant, a fait valoir l’absence de plainte dans une affaire alléguant de mauvais traitements au cours de la garde à vue, certainement en raison du manque de preuves produites par le requérant (15).
La Commission avait reçu une requête alléguant de mauvais traitements pendant la garde à vue. Cette affaire fut jugée au fond par
la Cour qui ne retint pas de violation de l’article 3 de la Convention (16).
Si les arrêts de la Cour Tomasi et Selmouni ont eu un grand
retentissement (17), d’autres affaires ont entraîné également une
condamnation de la France par suite des violences commises par les
policiers pendant la garde à vue ou un maintien dans un commissariat (18). Enfin, une affaire relative à des mauvais traitements
contraires à l’article 3 perpétrés au cours d’une garde à vue fut
jugée recevable par la 2e Section de la Cour (19).
La violation de l’article 5, §3 de la Convention avait été constatée
dans un rapport de la Commission dans l’affaire Dobbertin c. France
en raison de la prolongation de la garde à vue de quarante huit heures en quarante huit heures, malheureusement, le Comité des ministres fut incapable de prendre une résolution à la majorité des deux
(14) Voy. M. Puéchavy, «La règle de l’épuisement des voies de recours internes
et la nouvelle Cour européenne des droits de l’homme», Libertés, Justice, Tolérance,
Mélanges en l’honneur du Doyen G. Cohen-Jonathan, pp. 1299-1315, spécialement
pp. 1306-1307 et les références citées.
(15) Cour eur. dr. h., 3e Section, décision du 13 mars 2001, Arnaldo Salgado c.
France.
(16) Arrêt Adrien Caloc c. France, 20 juillet 2000, opinion dissidente de
Mme Greve.
(17) Arrêts Tomasi c. France, 27 août 1992 (Dall., 1993, somm. p. 383, obs.
C. Renucci; Rev. sc. crim., 1993, p. 143, obs. L.-E. Pettiti; Rev. sc. crim., 1993,
F. Sudre, p. 33) et Selmouni c. France, 28 juillet 1999 (P. Lambert, «Dignité
humaine et interrogatoires musclés de la police», Rev. trim. dr. h., 2000, p. 123; Dall.,
2000, somm. p. 179, obs. C. Renucci; J.C.P., éd. générale, 1999, II, 10193, note
F. Sudre).
(18) Rivas c. France, 1er avril, 2004, 1ère Section; R.L. et M.-J. D. c. France,
19 mai 2004, 3e Section (rendu par quatre voix contre trois, MM. Les juges Caflisch,
Costa et Traja). Voy. également l’arrêt Madi c. France, 27 avril 2004, 2e Section
(règlement amiable, il s’agissait de la personne arrêtée avec M. Selmouni) et la décision Pascal Taïs c. France, 6 octobre 2005, 1ère Section (individu retrouvé mort dans
une cellule du commissariat de police d’Arcachon quelques heures auparavant pour
qu’il se dégrise).
(19) Daniel Milan c. France, déc. 5 juillet 2005.
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tiers sur la question de savoir si la durée de la garde à vue avait
enfreint ces dispositions (20).
L’affaire Egue c. France a permis à la Commission de se prononcer sur le dépassement du délai de la garde à vue. En l’espèce,
le requérant avait été placé en garde à vue pour une infraction à
la législation sur les stupéfiants pour une durée de plus de
soixante douze heures. La Commission a estimé que, dans ces circonstances, un délai de trois jours était conciliable avec la notion
« aussitôt traduit » énoncée à l’article 5, § 3, sans répondre expressément à la question qui lui était posée. Au grief de ne pas avoir
été assisté par un avocat pendant sa garde à vue, la Commission
s’est bornée à répondre que rien n’indiquait que le fait pour le
requérant de ne pas avoir eu la possibilité de communiquer avec
son avocat pendant les trois premiers jours de sa privation de
liberté, c’est-à-dire avant qu’il ne fût présenté au magistrat instructeur, avait été de nature à porter atteinte à ses droits de la
défense en vue d’un procès équitable. La Commission aurait pu se
poser la question de savoir si la présence de l’avocat n’était pas
nécessaire pour assurer un plein effet aux prescriptions de l’article
3 et si les « aveux » arrachés par des interrogatoires musclés ne
viciaient pas les règles du procès équitable et de la présomption
d’innocence (21).
Dans l’affaire Berdji c. France, la fin de la garde à vue avait été
notifiée au requérant vers 20 h. et le requérant ne fut présenté au
juge d’instruction que le lendemain à 18 h. Le requérant faisait
valoir les mêmes irrégularités que dans l’arrêt Zervudacki mais, ne
donnant pas de suite à son affaire, la 2e Section de la Cour décida
de la rayer du rôle par arrêt en date du 7 mars 2006.
Si la garde à vue peut être acceptée dans une société démocratique, surtout dans le cadre d’une enquête préliminaire, c’est à la
seule condition que des règles très strictes assurent la protection de
la personne détenue. Beaucoup d’auteurs ont critiqué le fait qu’un
policier, sauf en cas de flagrance, puisse attenter à la liberté individuelle et procéder à l’interrogatoire d’un individu sans la présence
(20) Résolution du 29 septembre 1988, req. n° 9803/82 et 10924/84, rapport de la
Commission, 4 décembre 1985.
(21) Décision du 5 septembre 1988, req. n° 11256/84, D.R. 57, pp. 47-60. Une autre
décision, 13 avril 1989, John Di Stefano c. Royaume-Uni, req. n° 12391/86, D.R. 60,
pp. 182-193 confirme cette jurisprudence et constate qu’il n’a pas de violation des
droits de la défense du requérant du fait qu’il n’avait pu communiquer avec son
défenseur pendant les deux jours et demi de garde à vue.
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de son conseil (22) même si certains pensent que l’interrogatoire
policier est plus efficace s’il est effectué sans la présence d’un avocat (23).
Or, cette conception ne peut être acceptée car plusieurs législations acceptent la présence de l’avocat lors des interrogatoires (24).
En outre, la Cour de cassation refuse d’annuler la garde à vue si des
circonstances objectivement insurmontables ont rendu impossible le
recours à un avocat (25), c’est la raison pour laquelle il a été soutenu qu’il ne s’agissait pas du droit à un entretien avec un avocat
mais du droit de demander un entretien avec un avocat, droit purement formel et peu effectif (26).
La réglementation insuffisante de la garde à vue, tant pour le
début, son déroulement et son issue, a conduit les juridictions internes à tenter de combler ces lacunes par des artifices qui n’apportaient aucune sécurité juridique (27). Pendant la garde à vue,
l’intervention du magistrat pour vérifier le bon déroulement de
cette mesure est largement insuffisante, de même que le recours
pour faire valoir son irrégularité (28).
II. – La qualité et la prévisibilité de la loi
L’article 5, §1er de la Convention prescrit que nul ne peut être
privé de sa liberté sauf dans les cas énumérés limitativement par
cette disposition et selon les voies légales. Cette dernière notion
signifie que la privation de liberté doit être «prévue par la loi» au
même titre que les restrictions des droits garantis par les article 8
à 11 de la Convention (29). Cette exigence se retrouve à l’article 7
(22) Voy. R. Merle, «La garde à vue», Gaz. Pal., 1969, II, doctrine p. 18.
(23) J. Pradel, Procédure pénale, Paris, §334, p. 390.
(24) Notamment les droits anglais, espagnol et italien.
(25) Cass. crim., 9 mai 1994, Bull., n° 174.
(26) D. Rebut, Revue générale de droit processuel, Janvier/mars 1995.
(27) Sur ces points, voy. V. Valette, La personne mise en cause en matière pénale,
Paris, 2002, 436 p., pp. 292-313.
(28) R. Koering-Joulin, «La chambre criminelle et les droits reconnus par la
Convention européenne des droits de l’homme à l’‘accusé’ avant jugement», Mélanges
offerts à G. Levasseur, Paris, Litec, 1992, pp. 205-225, voy. spécialement pp. 219-220.
(29) G. Cohen-Jonathan, «Les écoutes téléphoniques», Protection des droits de
l’homme, la dimension européenne, Mélanges en l’honneur de G.J. Wiarda, Cologne,
1988, pp. 97-105.
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relatif à la légalité des délits et des peines (30) et à l’article 2 lorsque
la peine de mort peut être infligée en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette
peine par la loi (31).
La Cour entend le terme «loi» dans son acception «matérielle» et
non «formelle» en incluant à la fois du «droit écrit», comprenant
aussi bien des textes de rang infra-législatif que des actes réglementaires pris par un ordre professionnel, par délégation du législateur,
dans le cadre de son pouvoir normatif autonome et le «droit non
écrit». La «loi» doit se comprendre comme englobant le texte écrit
et le «droit élaboré» par les juges. Ainsi, la «loi» est le texte en
vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété (32).
Si la notion de «base légale» est souvent entendue d’une manière
assez large dans les articles 8 à 11 de la Convention (33), en revanche la Cour se montre plus restrictive lorsque la privation de liberté
est en cause. Ainsi dans l’affaire Amuur c. France, une circulaire
ministérielle non publiée, seul texte visant spécifiquement au
moment des faits le maintien d’étrangers dans la zone de transit –
ne constituaient une «loi» d’une «qualité» suffisante au sens de la
jurisprudence de la Cour : offrir une protection adéquate et la sécurité juridique nécessaire pour prévenir les atteintes arbitraires de la
puissance publique aux droits garantis par la Convention. Elle ne
(30) L’article 7, §1er de la Convention exige que les infractions soient «clairement
définies par la loi»; il en va ainsi lorsque l’individu peut savoir, à partir du libellé
de la clause pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux,
quels actes et omissions engagent sa responsabilité. Voy. notamment arrêts Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, §52; Cantoni c. France, 15 novembre 1996, §29; Radio
France c. France, 30 mars 2004, 2e Section, §20. Voy. O. Bachelet, «L’interprétation extensive de la loi pénale et la récidive au regard de l’article 7 de la
Convention», La France et la Cour européenne des droits de l’homme, La jurisprudence
en 2004, Collection du CREDHO, Bruxelles, 2005, pp. 147-154.
(31) L’exigence contenue dans l’article 2 §1 selon laquelle la peine doit être
«prévue par la loi» implique non seulement que la sentence ait une base légale en
droit interne mais aussi que le critère de la qualité de la loi soit pleinement respecté,
c’est-à-dire que la base légale doit être «accessible» et «prévisible» selon l’acception
donnée à ces termes dans la jurisprudence de la Cour, (...) Il découle de l’interprétation de l’article 2 développée ci-dessus que l’exécution d’un condamné à mort qui n’a
pas bénéficié d’un procès équitable n’est pas autorisée. Öcalan c. Turquie, 12 mai
2005, Grande Chambre, §166 (extrait de l’arrêt de Chambre repris par la Grande
Chambre).
(32) Voy. entre autres, arrêt Leyla Sahin c. Turquie, 29 juin 2004, 4e Section, §77.
(33) F. Sudre, J.-P. Marguénaud, J. Andriantsimbazovina, A. Gouttenoire,
M. Levinet, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 3e édition,
2005, voy. pp. 50-52.
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concernait que des instructions données par le ministre de l’Intérieur aux préfets et aux préfets de police en matière de non-admission d’étrangers aux frontières. Ce texte ne permettait au juge judiciaire de contrôler les conditions de séjour des étrangers ni, au
besoin, d’imposer à l’administration une limite à la durée du maintien en rétention (34).
En Pologne, la pratique interne qui consistait à maintenir une
personne en détention en raison du dépôt d’un acte d’accusation ne
se fondait sur aucune disposition législative ou jurisprudence spécifique mais, provenait de ce que la législation pénale interne ne prévoyait aucune règle précise pour régir la situation d’un détenu pendant la procédure judiciaire, après l’expiration de la période de
détention fixée dans la dernière ordonnance de mise en détention
rendue au stade de l’enquête (35).
Dans l’affaire Verbanov c. Bulgarie, le vide juridique n’avait pas
été comblé par le fait qu’une directive interne du parquet général
contenait des dispositions relatives aux examens psychiatriques
obligatoires. La directive en question était un document non publié
et dépourvu de force juridique officielle (36).
En matière de «régularité» d’une détention, celle-ci exige l’existence d’une «base légale» en droit interne qui soit compatible avec
la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles
de la Convention. Toute privation de liberté doit être conforme au
but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire. Les restrictions aux libertés nécessitent un fondement légal clair et précis (37).
Dans de nombreux arrêts, la Cour a rappelé que la «qualité de la
loi» impliquent des conditions qui vont au-delà de l’existence d’une
(34) Arrêt du 25 juin 1996, §53. Au contraire, dans l’arrêt Andersson c. Suède,
25 février 1992, le rapport d’un travailleur social, document administratif, constituait la «base légale», §84.
(35) Baranowski c. Pologne, 28 mars 2000, §54.
(36) Arrêt du 5 octobre 2000, 4e Section, §51. Voy. également l’arrêt Stafford c.
Royaume-Uni, Grande Chambre, 28 mai 2002, dans lequel la Cour examine
la «qualité de la loi» (§63) pour conclure à une violation de l’article 5, §1er ainsi que
les arrêts Steel et autres c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998 et Laumont c. France,
8 novembre 2001, 2e Section, dans lequel la Cour s’est fondée sur une jurisprudence
ancienne et constante de la Cour de cassation française qui reposait sur l’interprétation de deux dispositions légales, à savoir les articles 181, alinéa 2, et 214, alinéa 3,
du code de procédure pénale pour en déduire que la loi était «prévisible».
(37) Voy. A. Auer, G. Malinverni, M. Hottelier, Droit constitutionnel suisse,
vol. II, 2e édition, Berne, 2006, pp. 85-98.
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Michel Puéchavy
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base légale en droit interne et exigent que celle-ci soit «accessible»
et «prévisible».
La loi est accessible si le citoyen a pu disposer de renseignements
suffisants dans les circonstances de la cause sur les normes juridiques applicables à un cas donné. Celle-ci est satisfaite si la loi a fait
l’objet d’une publication ou d’une jurisprudence bien établie (38).
La Cour est toutefois plus exigeante sur la notion de
«prévisibilité». Une norme est «prévisible» lorsqu’elle est rédigée
avec assez de précision pour permettre à toute personne, en s’entourant au besoin de conseils éclairés, de régler sa conduite (39), si elle
offre une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la
puissance publique (40).
La condition de prévisibilité se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au
besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes
et omissions engagent sa responsabilité pénale (41). La portée de la
notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du
texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre
et de la qualité de ses destinataires (42).
Les professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande
prudence dans l’exercice de leur métier, doivent mettre un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (43).
Si le libellé des lois peut ne pas présenter une précision absolue,
en revanche, en cas d’atteinte grave à une liberté essentielle, il doit
se fonder sur une précision particulière (44).
C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation française avait
écarté l’application de normes internes édictant des sanctions pénales au motif que l’interdiction était trop générale (45).
Toutefois, sur la question du maintien en rétention après la fin de
la garde à vue, le professeur Jacques Buisson notait que «la juris(38) Achour c. France, 29 mars 2006, Grande Chambre, §52.
(39) Par exemple, Amann c. Suisse, 16 février 2000, Grande Chambre, §§55-56.
(40) Décision Gianolini c. Italie, 29 août 2002, requête n° 34908/97, 1re Section.
(41) Karademirci et autres c. Turquie, 25 janvier 2005, 4e Section, §40; Dammann
c. Suisse, 25 avril 2006, §§31-32.
(42) Cantoni c. France, 15 novembre 1996, §35.
(43) Cantoni, id.; décision Chauvy c. France, 23 septembre 2003, requête n° 64915/
01, 2e Section; Touchereau et July c. France, 24 novembre 2005, 1ère Section, §58.
(44) Kruslin c. France, 24 avril 1990, §36.
(45) Crim., 16 janvier 2001, Dall. 2001, 1067.
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prudence avait dû, à plusieurs reprises et depuis longtemps, pallier
la carence législative pour tenter de donner un fondement juridique
à cette détention dont on s’accordait à reconnaître le caractère
indispensable, alors que le principe de légalité et les dispositions de
l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme
paraissaient exiger l’intervention du législateur afin de créer le
nécessaire titre de contrainte et, corrélativement, d’aménager une
telle détention par l’instauration des garanties de la personne» (46).
Par un arrêt en date du 19 juillet 1993 (cité au §25 de l’arrêt), la
Chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta un pourvoi qui
soulevait l’illégalité de la détention à l’issue de la garde à vue, en
relevant qu’aucun texte ne réglementait le délai nécessaire à la présentation d’une personne après l’expiration de cette garde à
vue (47). L’arrêt de la Chambre criminelle avait donc laissé la question de la durée illégale de rétention à l’issue de la garde à vue sans
réponse. Cette situation ne semblait pas troubler la doctrine qui
affirmait qu’elle était conforme à la pratique et qu’elle «ne pouvait
prêter le flanc à la critique» (48). Dans une affaire, elle avait jugé
que «l’ordre donné par le juge d’instruction de faire déférer une personne à l’issue de sa garde à vue justifie la privation de liberté pendant le temps strictement nécessaire à sa présentation» et dans une
autre que «l’ordre donné par le procureur de la République de faire
déférer une personne à l’issue de sa garde à vue, en application de
l’article 63, al. 3 du C.P.P., justifie la privation de liberté pendant
le temps strictement nécessaire à sa présentation». La Cour de cassation tirait ainsi de l’ordre donné soit le procureur, soit par le juge
d’instruction, une sorte de titre juridique de rétention spécifique
mais assimilable au mandat d’amener autorisant l’emploi de la coercition pour son exécution (49).
Or, dans l’affaire Zervudacki, la Cour a jugé qu’il est essentiel, en
matière de privation de liberté, que le droit interne définisse clairement les conditions de détention et que la loi soit prévisible dans
son application, en ce sens qu’elle doit être suffisamment précise
pour permettre au citoyen de prévoir, à un degré raisonnable dans
(46) J. Buisson, «Chronique de police», Rev. sc. crim., 2005, p. 382.
(47) Cass. crim., 23 mars 1983, Delafond, n° 81-92.456, cité par J. Buisson,
«Chronique de Police», Rev. sc. crim., 2005, p. 382.
(48) V. Lesclous et C. Marsat, «Chronique des Parquets et de l’instruction»,
Droit pénal, décembre 1993, pp. 3-4, n° 63. Il est vrai que les auteurs étaient des
magistrats.
(49) V. Valette, op. cit., §450, pp. 312-313.
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les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver
d’un acte déterminé (50).
L’argumentation de la Cour de cassation pour combler l’absence
de fondement légal était donc insuffisante et il est regrettable que
le juge national, sur une question aussi fondamentale que le droit à
la sûreté et la liberté, se soit montré aussi pusillanime en évitant de
casser les arrêts pour violation d’un droit garanti par la Convention.
✩
(50) §43 de l’arrêt.