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L’OBLIGATION GÉNÉRALE
DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME
DANS LA JURISPRUDENCE
DES ORGANES INTERNATIONAUX
par
Ioannis PANOUSSIS
Docteur en droit
Enseignant-chercheur à la Faculté libre de droit de Lille
La quasi-totalité des instruments de protection des droits de
l’homme contient une disposition énonçant l’obligation générale qui
pèse sur les Etats Parties de protéger les droits et libertés qui y sont
consacrés. La place et le contenu de ces dispositions sont essentiellement les mêmes dans tous les systèmes. L’article 2, §1er du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, par exemple, dispose que «les Etats Parties au présent Pacte s’engagent à respecter et
à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence (juridiction) les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune […]». C’est, à peu de choses
près, dans les mêmes termes qu’est rédigé l’article 1er de la Convention interaméricaine. Ce dernier prévoit que «les Etats parties s’engagent à respecter les droits et libertés reconnus dans la présente Convention et à en garantir le libre et plein exercice à toute personne
relevant de leur compétence (juridiction), sans aucune distinction
[…]». Ainsi, la Convention interaméricaine insiste un peu plus que
le Pacte sur la garantie du libre et plein exercice des droits individuels.
Dans un style un peu différent, l’article 1er de la Charte africaine énonce que « les Etats membres de l’Organisation de l’Unité
Africaine, parties à la présente Charte, reconnaissent les droits,
devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s’engagent à adopter
des mesures législatives ou autres pour les appliquer ». Enfin, dans
un style plus laconique, l’article 1er de la Convention européenne
dispose que « les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute
personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au
titre I de la présente Convention » ; cette disposition se limite, par
conséquent, à la simple reconnaissance de droits sans faire allusion
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aux obligations exactes qui pèsent sur les Etats pour atteindre cet
objectif.
En essayant d’identifier la véritable nature de cette clause et ses
effets, on ne peut s’empêcher dans un premier temps de constater
qu’elle figure toujours parmi les premières dispositions d’un texte.
Elle sert en quelque sorte de transition entre les Préambules des différents instruments de protection des droits de l’homme et l’énonciation des droits et garanties individuels contenus en leur sein. De
ce fait, on ne peut, a priori, automatiquement lui accorder ni un
contenu substantiel – les droits accordés à la personne privée consacrés par les différents textes figurant généralement dans un chapitre séparé (1) – ni une simple valeur introductive servant à définir
l’objet et le but du traité puisqu’elle figure déjà parmi les clauses
normatives des instruments en question (2).
Si l’obligation générale de protection ne correspond ni à un
droit substantiel, ni à une simple énonciation du but poursuivi
par les traités de protection des droits de l’homme, quel est alors
le sens de cette disposition ? Pour répondre à cette question il
faut se tourner vers les normes du droit international général. Il
est vrai que les instruments internationaux de protection des
droits de l’homme présentent quelques particularités dues au
caractère objectif et non exclusivement interétatique de leur
(1) Hormis la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui classe
l’obligation générale de protection parmi les « droits de l’homme et des peuples»
figurant dans son chapitre 1er, tous les autres textes distinguent clairement cette
obligation générale des droits accordés à la personne privée. Dans le Pacte, l’obligation générale figure en 2ème Partie, alors que les droits sont énoncés en 3ème Partie. Dans la Convention interaméricaine un 1er Chapitre est consacré à
l’« énumération des obligations » (obligation générale), puis un deuxième aux droits
civils et politiques. Enfin, dans le cadre de la Convention européenne des droits de
l’homme, l’article 1er figure seul entre le préambule et le Titre I consacré aux
« droits et libertés».
(2) La seule mention faite aux préambules des traités dans le cadre de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités figure à l’article 31 qui dispose qu’«aux
fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et
annexes inclus». Cela tend à prouver que les préambules font partie intégrante des
différentes Conventions. Cependant, comme le soulignent J.P. Cot et A. Pellet à propos du préambule de la Charte des Nations Unies, «le préambule est assimilé au
texte, mais uniquement dans le cadre du contexte», c’est-à-dire aux seules fins
d’interprétation des traités (voy., à ce propos, J.P. Cot et A. Pellet, La Charte des
Nations Unies, Paris, Economica, 1985, p. 5).
Ce raisonnement ne peut raisonnablement être appliqué aux dispositions relatives
à l’obligation générale de protection. Etant intégrées dans le corps même des différents textes, elles produisent incontestablement leurs effets même en dehors du cadre
de l’interprétation des clauses normatives d’une Convention.
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contenu (3) ; cependant, ils n’en restent pas moins de véritables
traités internationaux qui relèvent du régime juridique établi
dans la Convention de Vienne de 1969 (4). Partant de ce constat,
l’obligation générale de protection des droits de l’homme semble,
à première vue, transposer dans le cadre des droits de l’homme
les obligations générales qui pèsent sur les Etats en vertu des
articles 26 et 27 de la Convention de Vienne de 1969. C’est donc
bien le principe « Pacta sunt servanda » et l’obligation d’exécuter
de bonne foi ses obligations conventionnelles qui se trouvent derrière ces dispositions. Le Comité des droits de l’homme ne laisse
(3) Cela est particulièrement clair dans la jurisprudence des différents organes de
protection des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme, dès son
arrêt Irlande c. Royaume Uni du 18 janvier 1978, énonce que la Convention «déborde
le cadre de la simple réciprocité entre Etats contractants. En sus d’un réseau d’engagements synallagmatiques bilatéraux, elle crée des obligations objectives qui, aux
termes de son Préambule, bénéficient d’une ‘garantie collective’» (§259). De la même
façon le juge de San José affirme dans son avis consultatif n° 2 du 24 septembre
1982, The effect of reservations on the entry into force of the American Convention on
Human Rights, série A, n° 2, §29 que «the Court must emphasize, however, that modern human rights treaties in general, and the American Convention in particular, are
not multilateral treaties of the traditional type concluded to accomplish the reciprocal exchange of rights for the mutual benefit of the contracting States». Enfin, le
Comité des droits de l’homme se rallie à cette position en disant dans son observation
générale n° 24 du 4 novembre 1994, Questions touchant les réserves formulées au
moment de la ratification du Pacte ou des protocoles facultatifs y relatifs ou de l’adhésion à ces instruments, ou en rapport avec des déclarations formulées au titre de
l’article 41 du Pacte, que les textes internationaux de protection des droits de
l’homme «ne constituent pas un réseau d’échanges d’obligations interétatique. Ils
visent à reconnaître des droits aux individus. Le principe de la réciprocité interétatique ne s’applique pas […]».
(4) En effet, on ne peut nier aujourd’hui le fait que les traités de protection des
droits de l’homme sont en interaction constante avec le droit international général
et plus particulièrement avec le droit des traités et les règles du contentieux international. De nombreuses études en apportent une preuve indiscutable (voy., par
exemple, à propos du droit interaméricain, H. Tigroudja, «L’autonomie du droit
applicable par la Cour interaméricaine des droits de l’homme : en marge d’arrêts et
avis consultatifs récents», Rev. trim. dr. h, 2002, n° 49, p. 69, ou, à propos de l’utilisation du droit international général par la Cour européenne des droits de l’homme,
la chronique annuelle de G. Cohen-Jonathan et J.F. Flauss, in A.F.D.I. Certains
auteurs critiquent même violemment l’idée d’un droit obéissant à ses propres règles,
distinctes du droit international général. Voy., par exemple, A. Pellet, «Droits-del’hommisme et droit international», Revue des droits fondamentaux, n° 1, pp. 169 et s.
Pour emprunter une classification utilisée par le professeur Flauss, les droits de
l’homme relèveraient plutôt du courant de l’«évolutionnisme modéré» qui implique
la co-existence et l’interaction du droit international général des traités avec les normes internationales relatives à la protection des droits de l’homme; voy.
J.F. Flauss, «La protection des droits de l’homme et les sources du droit
international», in S.F.D.I., La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit
international, colloque de Strasbourg, Paris, Pedone, 1998, pp. 13-14.
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subsister aucun doute à ce propos dans son observation générale
n° 31 à l’occasion de laquelle il affirme que « l’article 2 définit la
portée des obligations juridiques contractées par les Etats Parties
au Pacte. Il impose aux Etats parties l’obligation générale de respecter les droits énoncés dans le Pacte et de les garantir à tous
les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur
compétence. Conformément au principe énoncé à l’article 26 de la
Convention de Vienne sur le droit des traités, les Etats parties
sont tenus de s’acquitter de bonne foi des obligations découlant
du Pacte » (5). D’ailleurs, l’organe de contrôle des Nations Unies
poursuit en affirmant que « les obligations découlant du Pacte en
général et de l’article 2 en particulier s’imposent à tout Etat partie considéré dans son ensemble […]. Cette interprétation découle
directement du principe énoncé à l’article 27 de la Convention de
Vienne sur le droit des traités, aux termes duquel un Etat partie
‘ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité’ » (6).
Cette interprétation est aussi celle de la Commission africaine des
droits de l’homme qui, de manière très laconique, énonce que
«l’article premier confère à la Charte le caractère légalement obligatoire généralement attribué aux traités internationaux de cette
nature» (7). C’est aussi sans doute celle qui est retenue dans le cadre
du droit interaméricain si l’on se fie à la position de l’ancien Président A.A. Cançado Trindade sous l’arrêt Caballero, Delgado et Santana, à l’occasion de laquelle il dit que les obligations générales
énoncées aux articles 1 et 2 de la Convention interaméricaine «are
incumbent upon the State Parties by the application of international law itself, of a general principle (pacta sunt servanda) whose
source is metajuridical, in seeking to be based, beyond the individual consent of each State, on considerations concerning the binding character of the duties derived from international treaties» (8).
Même si la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas tenu
un raisonnement aussi clair en la matière, on voit mal comment elle
pourrait se départir de cette position logique. Partant de là, l’obli(5) C.C.P.R., observation générale n° 31 du 26 mai 2004, La nature de l’obligation
juridique générale imposée aux États parties au Pacte, §3.
(6) Idem, §4.
(7) Commission afr. dr. h., communications nos 147/95 & 149/96, 27ème session,
11 mai 2000, Sir Dawda K. Jawara c. Gambie, §46.
(8) Opinion dissidente du juge A.A. Cançado Trindade, §8, sous l’arrêt Cour interaméricaine des droits de l’homme, arrêt du 29 janvier 1997, Caballero, Delgado et
Santana (réparation), Série C, n° 31.
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gation générale de protection est donc une disposition qui vient rappeler aux Etats leur devoir d’exécuter leurs obligations conventionnelles de bonne foi et de rendre effectifs les droits de l’homme.
Le sens premier accordé à cette disposition a souvent conduit à
l’ignorer. Ce n’est que depuis l’apparition de la jurisprudence contentieuse de la Cour interaméricaine à la fin des années 80 et le
développement croissant – tant sur le plan matériel que sur le plan
quantitatif – de la jurisprudence européenne depuis le milieu des
années 90 que l’on a commencé à prendre conscience de l’importance qu’elle pouvait revêtir (9). A travers, principalement, la jurisprudence de ces deux organes, on s’aperçoit que l’obligation générale de protection a produit des effets imprévus à deux niveaux
différents. D’un côté, au stade de l’examen préliminaire d’une
affaire par les juridictions, elle semble essentielle pour l’effectivité et
le bon fonctionnement des systèmes de protection des droits de
l’homme parce qu’elle permet de rattacher les griefs invoqués aux
Etats Parties (I) et, de l’autre côté, au moment de l’examen au fond
d’une affaire, elle tend souvent à enrichir considérablement le contenu substantiel des divers instruments internationaux qui la consacrent (II).
I. – L’importance de l’obligation générale
de protection pour le rattachement des griefs
invoqués aux Etats Parties
Les développements qui précèdent conduisent au constat que
cette disposition n’est apparemment qu’une simple confirmation de
la valeur accordée à chacune des garanties contenues dans les divers
instruments susmentionnés par le régime général de la Convention
de Vienne de 1969; elle ne semble, par conséquent, pas déterminante pour le bon fonctionnement des systèmes.
(9) Au milieu des années 90, le juge européen a en effet commencé à s’intéresser
à des questions de plus en plus complexes, telle la compétence rationae loci de la Cour
(voy. en ce sens l’affaire Loizidou) ou les obligations positives liées aux dispositions
relatives à l’intégrité physique (voy. dans ce sens l’arrêt Mc Cann), questions qui ont
nécessité la prise en compte de l’article 1er de la Convention. De plus, avec l’adoption
du Protocole n° 11, la juridiction de Strasbourg a considérablement augmenté le
nombre d’arrêts rendus, y compris sur le champ de l’article 1er, et cela a contribué
fortement à prendre conscience de la place de plus en plus importante qui est désormais conférée à cette disposition.
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Pourtant, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme et de sa consoeur américaine relative généralement aux
exceptions préliminaires et aux questions de rattachement des griefs
invoqués par les requérants aux Etats Parties aux différentes Conventions, de nombreux développements ont conduit à relativiser ce
constat préalable. Au moins deux questions essentielles ont en effet
été traitées sous l’angle des dispositions relatives à l’obligation générale de protection. Il s’agit, d’un côté, de l’établissement de la compétence rationae loci des organes internationaux (A) et, de l’autre,
de l’attribution de la responsabilité d’une violation des droits de
l’homme à l’Etat (B).
A. – L’obligation générale de protection et l’établissement
de la compétence rationae loci des organes internationaux
de protection des droits de l’homme
Lorsque l’on examine de plus près les dispositions relatives à
l’obligation générale de protection, on s’aperçoit qu’elles fournissent
des indications importantes quant à la compétence des organes de
contrôle. On arrive, en effet, aisément à la conclusion que les droits
garantis sont ceux, et uniquement ceux (10), figurant dans les textes concernés; que les personnes concernées sont les personnes privées (11) relevant de la «juridiction» d’un Etat Partie et se préten(10) Il s’agit là d’une affirmation qui ne concerne pas tous les organes de protection des droits de l’homme. Concernant en effet la compétence de la nouvelle
future Cour africaine, l’article 3 du Protocole prévoyant sa création énonce que « la
Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différents dont
elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié
par les Etats concernés ». De même, dans le cadre de sa compétence consultative,
la Cour interaméricaine peut, en vertu de l’article 64 de la Convention interaméricaine, être consultée « [...] à propos de l’interprétation de la présente Convention
ou tout autre traité concernant la protection des droits de l’homme dans les Etats
Américains [...] ».
De plus, au-delà de ces clauses leur attribuant une compétence expresse, les différents organes n’ont pas hésité à plusieurs reprises de se prononcer sur le respect
d’un certain nombre d’obligations étatiques issues de textes extérieurs en recourant
à une méthode que nous avons baptisée «combinaison normative». Voy. dans ce sens,
I.K. Panoussis, La combinaison normative : recherches sur une méthode d’interprétation au service des droits de l’homme, thèse, dact., Lille II, 2006, spéc. pp. 413-539.
(11) Le terme de «personne privée» inclut a priori aussi bien les personnes physiques que morales. Néanmoins, les solutions sont variées. La Convention interaméricaine semble par exemple exclure les personnes morales de son champ de compétence en faisant référence, en son article 1er, §2, aux seuls «êtres humains», alors
que la Convention européenne fait référence à «toute personne», y compris les per→
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dant victime d’une violation imputable à ce dernier; enfin, pour
certains d’entre eux (12), que l’espace géographique concerné est le
territoire des Etats Parties. Ce dispositif est bien sûr complété par
de nombreuses dispositions supplémentaires (13).
Ces éléments plutôt clairs à la base ont cependant soulevé de nombreux problèmes. Le plus important d’entre eux concerne la notion de
«juridiction» des Etats parties sur laquelle la jurisprudence européenne a fourni de précieuses indications. Devait-on avoir une vision
territoriale de la «juridiction», un peu comme le Pacte international
le laisse penser, ou des actes extraterritoriaux des Etats pouvaient-ils
tomber sous le coup des dispositions de la Convention européenne des
droits de l’homme? Plusieurs arrêts se sont succédés sur cette question. Parmi les plus significatifs, il y a eu l’arrêt Loïzidou c. Turquie (14) dans un premier temps, suivi dans le même sens de l’arrêt
Chypre c. Turquie (15) qui ont posé la question de l’application de la
Convention pour les actes commis par les autorités turques dans la
partie nord de l’île de Chypre; ensuite, la décision de recevabilité
Bankovic et autres c. Belgique et 16 autres Etats contractants (membres
←
sonnes morales; la preuve en est du contentieux relativement abondant portant sur
les partis politiques.
Ce constat doit aujourd’hui être nuancé. Si par principe le système interaméricain
réserve la capacité pour agir aux seules personnes physiques, la Cour de San José a
néanmoins développé une jurisprudence qui commence à prendre en considération les
droits des communautés. Une série d’arrêts récents de la Cour interaméricaine des
droits de l’homme concerne désormais les droits des communautés indigènes; voy.,
par exemple, arrêt du 17 juin 2005, Comunidad indigena Yakye Axa, Série C, n° 125
et arrêt du 23 juin 2005, Yatama, Série C, n° 127. D’ailleurs dans le premier des deux
arrêts, la réparation accordée par la Cour n’est même pas individualisée. Elle est
adressée à la Communauté dans son ensemble (voy. §205).
(12) Le plus souvent, les clauses relatives à l’obligation générale de protection font
référence à «la juridiction» ou à «la compétence» des Etats. Néanmoins, l’article 2,
§1er du Pacte précise en plus de cela que cette obligation concerne «[...[ tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence [...]». On verra
cependant par la suite que cela n’empêche pas le Comité d’aller plus loin dans son
interprétation et d’estimer qu’il ne s’agit pas là de deux conditions cumulatives.
(13) Généralement, la question de la compétence (rationae personae, loci, temporis...) des organes de contrôle est envisagée de manière plus détaillée dans les dispositions relatives au fonctionnement des différents systèmes. Pour ne prendre qu’un
seul exemple, c’est l’article 56 de la Convention européenne des droits de l’homme
qui précise la compétence rationae loci de cet instrument de protection. Voy. sur ce
point, S. Karagiannis, «Le territoire d’application de la Convention européenne des
droits de l’homme : vatera et nova», Rev. trim. dr. h., 2005, n° 61, p. 86.
(14) Cour eur. dr. h., arrêt du 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires).
(15) Cour eur. dr. h., arrêt du 10 mai 2001, Chypre c. Turquie.
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de l’OTAN) (16) pour les actions menées par les Etats membres de
cette organisation internationale sur le territoire de l’ex-Yougoslavie;
enfin, plus récemment, l’arrêt Assanidzé c. Géorgie (17) à propos de la
compétence de cet Etat en Adjarie, l’arrêt Ilascu et autres c. Moldova
et Russie (18) pour les actes survenus en Transnistrie (territoire moldave sur lequel les forces russes exerçaient leur emprise), l’arrêt Issa
et autres c. Turquie (19) à propos des intrusions de l’armée turque en
Irak du nord ou encore la décision d’irrecevabilité de la requête de
Saddam Hussein pour son arrestation par les américains et leurs alliés
européens survenue en Irak (20).
Dans les premiers arrêts impliquant la Turquie, la Cour de Strasbourg pose le cadre général. Elle affirme que, «si l’article 1 fixe des
limites au domaine de la Convention, la notion de ‘juridiction’ au sens
de cette disposition ne se circonscrit pas au territoire national des
Hautes Parties contractantes» (21). A partir du moment où, suite à
une action militaire – légale ou pas – un Etat exerce son contrôle sur
une zone située en dehors de son territoire national, il peut voir sa
responsabilité engagée. C’était, d’ailleurs, selon la Cour exactement le
cas en l’espèce puisque, suite à l’invasion par l’armée turque de la
partie nord de l’île de Chypre, on pouvait estimer que le contrôle de
cette région s’exerçait directement par l’armée de cet Etat ou par le
biais d’une administration locale subordonnée. Ce dernier point est
même affiné dans son arrêt Chypre c. Turquie à l’occasion duquel elle
précise que du moment où la Turquie exerçait un «contrôle global»
sur la région, sa responsabilité ne pouvait se circonscrire uniquement
aux actes commis par ses propres agents; il fallait prendre aussi en
compte les actes commis par une administration survivant grâce à
son soutien. En vertu de ces considérations, on comprend donc que
ce qui compte, c’est que l’Etat Partie concerné exerce effectivement
sa compétence sur le territoire en question (22).
(16) Cour eur. dr. h., décision de recevabilité du 12 décembre 2001, Bankovic et
autres c. Belgique et 16 autres Etats contractants.
(17) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 avril 2004, Assanidzé c. Géorgie.
(18) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 juillet 2004, Ilascu et autres c. Moldova et Russie.
(19) Cour eur. dr. h., arrêt du 16 novembre 2004, Issa c. Turquie.
(20) Cour eur. dr. h., décision de recevabilité du 14 mars 2006, Saddam Hussein
c. Albanie et 20 autres Etats contractants.
(21) Cour eur. dr. h., arrêt du 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), §62.
(22) Voy. dans ce sens les commentaires de J.P. Cot dès le premier arrêt rendu sur
les exceptions préliminaires et sur le fond. J.P. Cot, «La responsabilité de la Turquie
et le respect de la Convention européenne dans la partie nord de Chypre», Rev. trim.
dr. h, 1998, p. 102.
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La décision de recevabilité Bankovic et autres c. Belgique et 16
autres Etats contractants présente quant à elle un intérêt pédagogique certain. Les perspectives ouvertes par les arrêts concernant les
interventions turques en Chypre du nord laissaient, en effet, la possibilité d’une interprétation plutôt extensive du terme «juridiction».
Au grand regret de certains auteurs qui ont eu «le sentiment que
cette décision Bankovic tend à nier le particularisme de la Convention européenne des droits de l’homme» (23), le juge européen, tout
en se référant aux règles d’interprétation issues du droit international général (24), opte en l’espèce pour une vision moins audacieuse
de la compétence rationae loci en affirmant que «l’article 1 de la
Convention doit passer pour refléter cette conception ordinaire et
essentiellement territoriale de la juridiction des Etats, les autres
titres de juridiction étant exceptionnels et nécessitant chaque fois
une justification spéciale, fonction des circonstances de
l’espèce» (25). Dans un deuxième temps de son raisonnement la
Cour identifie ces cas exceptionnels d’application de la Convention
à des actes extraterritoriaux. Il s’agit, d’un côté, des actes accomplis sur le territoire d’un Etat partie et produisant leurs effets sur
le territoire d’un Etat tiers (26) et, de l’autre, des actes accomplis à
l’étranger mais sur des territoires se trouvant sous contrôle effectif
d’un Etat partie à la Convention (27).
(23) G. Cohen-Jonathan, «La territorialisation de la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme», Rev. trim. dr. h, 2002, n° 52, p. 1080.
(24) Le juge européen s’inspire du droit international général pour rendre sa décision dans l’affaire Bankovic. Pour justifier son approche, il réitère un raisonnement
désormais célèbre en affirmant que «de surcroît, l’article 31, §3, c) indique qu’il y a
lieu de tenir compte de ‘toute règle pertinente du droit international applicable dans
les relations entre les parties’. D’une manière plus générale, la Cour réaffirme que les
principes qui sous-tendent la Convention ne peuvent s’interpréter et s’appliquer dans
le vide. Elle doit aussi prendre en compte toute règle pertinente du droit international lorsqu’elle se prononce sur des différends concernant sa compétence et, par conséquent, déterminer la responsabilité des Etats conformément aux principes du droit
international régissant la matière, tout en tenant compte du caractère particulier de
la Convention, instrument de protection des droits de l’homme. Aussi la Convention
doit-elle s’interpréter, dans toute la mesure du possible, en harmonie avec les autres
principes du droit international, dont elle fait partie» (§57).
(25) Cour eur. dr. h., décision Bankovic et autres, précitée, §61.
(26) Il s’agit en l’occurrence de l’hypothèse envisagée dans l’affaire Soering du
traitement contraire aux exigences de la Convention pouvant être subi par un individu dans l’Etat de destination suite à son éloignement ou extradition par un Etat
Partie.
(27) Il s’agit en l’occurrence du cas de figure envisagé dans les affaires turques
relatives à la situation en Chypre du Nord.
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Cette décision est en quelque sorte un rappel à l’ordre.
Malgré ses particularités, la Convention européenne n’en est pas
moins un traité international de type classique. De ce fait, on ne
peut modifier l’espace géographique d’application de la Convention par voie prétorienne au mépris de la volonté expressément
exprimée des Etats Parties. D’ailleurs, cette décision n’est pas le
fruit d’un faible nombre de juges « internationalistes » (28), mais
bien une décision rendue à l’unanimité par la Grande Chambre de
la Cour, ce qui signifie que même les juges les plus « libéraux » s’y
sont ralliés. L’objectif d’une telle décision est clair, comme le constate M. Cohen-Jonathan. Loin de vouloir instaurer une compétence quasiment universelle de la Convention, la Cour opte pour
une application régionale, tout en veillant à ce qu’il n’y ait pas –
dans l’espace européen – de zones de non droit (comme en République turque de Chypre du Nord (RTCN)) (29). La Cour reconnaît, comme le fait aussi remarquer Mme Benoît-Rohmer, un
« espace paneuropéen de protection des droits de l’homme » (30) ;
parmi les implications de cette vision on trouve la volonté d’éviter
les lacunes préjudiciables (31).
Ce souci d’éviter les zones de non droit est brillamment illustré
par les arrêts Assanidzé c. Géorgie et Ilascu et autres c. Moldova
et Russie rendus par la Cour. Deux facettes sont ici envisagées.
Il s’agit tout d’abord des zones de non droit pouvant exister à
l’intérieur même d’un Etat. Dans l’arrêt Assanidzé le requérant
se plaignait de la non-exécution d’un arrêt rendu par la Cour
suprême de Géorgie en République autonome d’Adjarie (composante du territoire géorgien) ; or, il n’existait en l’espèce aucune
justification à la non application de la Convention car il n’y avait
ni mouvement sécessionniste qui pourrait de fait contribuer à
renverser la présomption de compétence de la Géorgie (32), ni de
clause fédérale dans la Convention européenne qui pourrait déga-
(28) C’est une critique émise par une partie de la doctrine. Voy., G. Cohen-Jonathan, précité, p. 1079.
(29) Idem, p. 1081.
(30) F. Benoit-Rohmer, «Pour un espace juridique européen de protection des
droits de l’homme», L’Europe des Libertés, n° 15, mars 2005, p. 5 (spéc. pp. 6 et s.).
(31) Idem, pp. 8 et s.
(32) Voy. dans ce sens, G. Cohen-Jonathan, «A propos des arrêts Assanidzé
(8 avril 2004), Ilascu (8 juillet 2004) et Issa (16 novembre 2004) – Quelques observations sur les notions de ‘juridiction’ et d’‘injonction’», Rev. trim. dr. h., 2005, n° 64,
pp. 773-774.
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437
ger ou relativiser la responsabilité d’un Etat Partie (33). Ainsi, en
se fondant sur l’article 1er de la Convention, la Cour estime que la
conception territoriale de la juridiction d’un Etat joue de la manière
d’une présomption et qu’il faut apporter la preuve indiscutable
d’une perte de contrôle sur un territoire donné pour que l’Etat concerné puisse être exempté de ses obligations conventionnelles.
La deuxième facette envisagée est celle des zones de non droit
existant hors du territoire d’un Etat partie, mais sur une zone où
il exerce son contrôle global effectif, comme c’était le cas en RTCN.
Or, dans l’arrêt Ilascu les choses sont un peu plus complexes car le
territoire en question se trouve à l’intérieur d’un autre Etat Partie
à la Convention. En l’espèce, les faits ayant justifié la saisine de la
Cour se sont déroulés en République moldave de Transnistrie, territoire se trouvant en République de Moldova mais ayant autoproclamé son indépendance. La survie de cet «Etat sécessionniste» qui
n’a été reconnu par aucun membre de la Communauté internationale a été assurée grâce au soutien militaire, économique, financier
et politique de la Russie. La juridiction européenne en vient alors
naturellement à s’interroger quel est l’Etat exerçant sa «juridiction»
en l’occurrence?
La Cour de Strasbourg opte pour une approche très audacieuse et
riche d’enseignements en l’espèce. Tout en reprenant son raisonnement tenu dans l’arrêt Chypre c. Turquie relatif à la responsabilité
de la Turquie en RTCN à raison de la théorie du «contrôle global»,
elle constate, dans un premier temps, que la Transnistrie «continue
à se trouver sous l’autorité effective, ou tout au moins sous
l’influence décisive de la Fédération de Russie» (34). Ainsi, c’est bien
(33) Seule la Convention interaméricaine contient une telle clause en son
article 28; en vertu de cette disposition «1. Le gouvernement central de tout Etat partie
constitué en Etat fédéral se conformera à toutes les dispositions de la présente Convention concernant les matières qui relèvent de sa compétence dans le domaine législatif et
dans le domaine judiciaire.
2. En ce qui concerne les prescriptions relatives aux matières qui sont du ressort des
unités constitutives de la fédération, le gouvernement central prendra immédiatement les
mesures pertinentes, conformément à sa Constitution et à ses lois, pour assurer que les
autorités compétentes desdites unités adoptent les dispositions nécessaires à l’exécution
de la présente Convention.
3. Lorsque deux ou plus de deux Etats parties conviennent à l’avenir de former une
fédération ou toute autre espèce d’association, ils veilleront à ce que la charte fondamentale du nouvel Etat ainsi constitué comporte les dispositions nécessaires pour assurer, sans discontinuité, l’observation des normes prévues dans la présente Convention».
(34) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 juillet 2004, Ilascu et autres c. Moldova et Russie,
§392.
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Rev. trim. dr. h. (70/2007)
de la «juridiction» de cette dernière que relève ce territoire. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que la Moldavie est complètement
exonérée de ses obligations. La Cour dit que, «si un Etat contractant est empêché d’exercer son autorité sur l’ensemble de son territoire par une situation de fait contraignante, comme la mise en
place d’un régime séparatiste accompagnée ou non par l’occupation
militaire d’un autre Etat, l’Etat ne cesse pas pour autant d’exercer
sa juridiction au sens de l’article 1 de la Convention sur la partie
du territoire momentanément soumise à une autorité locale soutenue par les forces de rébellion ou par un autre Etat. Une telle situation factuelle a néanmoins pour effet de réduire la portée de cette
juridiction, en ce sens que l’engagement souscrit par l’Etat contractant en vertu de l’article 1er doit être examiné par la Cour uniquement à la lumière des obligations positives de l’Etat à l’égard des
personnes qui se trouvent sur son territoire...» (35). L’Etat concerné
doit par conséquent prendre les mesures nécessaires afin d’essayer
d’empêcher les violations des droits de l’homme sur les territoires en
question. Il ne s’agit bien évidemment pas, en l’occurrence, d’une
obligation de résultat consistant à empêcher les violations; il s’agit
d’une obligation de moyen : avoir un comportement qui tend à protéger les personnes relevant de sa juridiction même s’il n’y arrive
pas (36). Autant ce raisonnement peut être bienvenu quant aux
obligations positives susmentionnées, autant on reste interloqué sur
le rattachement des personnes concernées à la fois à la juridiction
russe et à la juridiction moldave. Si la Russie exerce un contrôle
global sur cette partie du territoire, comment peut-on encore estimer que la République de Moldova conserve une partie de sa juridiction sur ce même territoire (37)? Les développements de la Cour
peuvent laisser penser en l’existence d’une certaine gradation quant
au contrôle exercé par une autorité étrangère. Autant en RTCN on
pourrait parler d’un contrôle global excluant de facto une quelconque influence d’un pays autre que la Turquie, autant dans la situation de la République moldave de Transnistrie, le degré du contrôle
exercé par la Russie ne pouvait apparemment exclure une certaine
marge de manœuvre des autorités de la République de Moldova.
Cependant, un tel raisonnement, s’il n’est pas clairement encadré,
(35) Idem, §333.
(36) En l’occurrence, on reproche à la République de Moldova de ne pas avoir usé
de tous les moyens diplomatiques pour essayer de mettre fin à la situation subie par
les victimes.
(37) Voy. sur ce point les propos très critique de O. De Frouville, «Chronique
de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», J.D.I., 2005, n° 2,
spéc. p. 475.
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439
semble dangereux; cela reviendrait à tenir toujours pour responsable un Etat des actes commis sur une parcelle de son territoire qu’il
ne contrôle pas et sur lequel il n’a donc pas la possibilité de garantir
les droits de la Convention (38).
Ces diverses facettes de la «juridiction» d’un Etat semblent, selon
M. Cohen-Jonathan, être complétées par une dernière. Il s’agit du
cas de figure où un acte extraterritorial est rattaché à la juridiction
d’un Etat partie à raison du comportement de ses services publics
à l’étranger. Ce cas de figure, totalement compatible avec les règles
du droit international en la matière (39), a été envisagé dernièrement dans l’affaire Issa et autres c. Turquie. Les requérants se plaignaient des agissements de l’armée turque en Irak du nord. A la différence des affaires Loizidou et Chypre c. Turquie, les autorités
turques n’ont cependant pas occupé effectivement ces territoires.
En l’espèce, la Cour répond à la question relative à la juridiction
par une formule très révélatrice de son souci d’effectivité des droits
de l’homme. Elle affirme que «[...] l’article 1er de la Convention ne
peut être compris comme autorisant un Etat partie à perpétrer sur
le territoire d’un autre Etat des violations de la Convention qu’il ne
pourrait commettre sur son propre territoire» (40). Une nouvelle
piste d’application de la Convention à des actes extraterritoriaux
est donc envisagée. Cependant, lorsqu’il s’agit d’agissements imputables aux services publics d’un Etat partie, les conditions de preuves sont très strictes; en l’espèce la Cour estime que la preuve
apportée n’était pas suffisante. Cet arrêt peut a priori paraître être
en contradiction avec la décision Bankovic et l’arrêt Ilascu. C’est la
cohérence même de la jurisprudence européenne qui pourrait en
pâtir (41). A moins de reconnaître une nouvelle exception à la
«compétence essentiellement territoriale» dégagée précédemment, la
Cour devrait faire preuve de vigilance dans l’avenir car la généralité
des propos tenus dans l’arrêt Issa serait de nature à engager systématiquement la responsabilité des Etats pour les actes commis par
leurs services à l’étranger (même en l’absence de contrôle effectif
(38) C’est le fondement même des objections formulées par les juges Loucaïdes et
Bratza dans leurs opinions dissidentes sous l’arrêt Ilascu.
(39) Le projet d’articles de la Commission du droit international portant sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite reprend clairement l’idée
d’une attribution d’un fait illicite à l’Etat à raison du comportement de ses services
publics.
(40) Cour eur. dr. h., arrêt du 16 novembre 2004, Issa c. Turquie, §20.
(41) C’est une crainte exprimée, par exemple, par certains auteurs. Voy.,
F. Benoit-Rohmer, précitée, p. 11.
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Rev. trim. dr. h. (70/2007)
global) : la compétence serait alors dans ce cas concurremment territoriale et personnelle (42).
Même si la jurisprudence contentieuse des autres organes est quasiinexistante en la matière, on dispose cependant de quelques indices
qui permettent de conclure à une approche similaire. C’est la position
du Comité des droits de l’homme qui est la plus révélatrice en
l’espèce. Ce dernier affirme, en effet, dans son observation générale n°
31 que l’obligation énoncée à l’article 2, §1er du Pacte de garantir les
droits qui y sont consacrés à tous les individus se trouvant sur le territoire des Etats Parties et à tous ceux relevant de leur compétence
«[...] signifie qu’un Etat partie doit respecter et garantir à quiconque
se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus
dans le Pacte même s’il ne se trouve pas sur son territoire» (43). En
se référant d’ailleurs à l’Observation générale n° 15, le Comité des
droits de l’homme va encore plus loin en affinant son raisonnement.
Il poursuit en effet en précisant que «la jouissance des droits reconnus
dans le Pacte, loin d’être limitée aux citoyens des États parties, doit
être accordée aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou même s’ils sont apatrides, par exemple demandeurs d’asile,
réfugiés, travailleurs migrants et autres personnes qui se trouveraient
sur le territoire de l’État partie ou relèveraient de sa compétence. Ce
principe s’applique aussi à quiconque se trouve sous le pouvoir ou le
contrôle effectif des forces d’un État partie opérant en dehors de son
territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi, telles que les forces constituant un contingent national affecté à des opérations internationales
de maintien ou de renforcement de la paix» (44). La proximité donc
avec les propos du juge européen est indéniable. Ce sont bien les
mêmes critères qui vont servir de référence pour établir la compétence rationae loci des deux organes concernés.
(42) Il s’agit là d’une question qui risque de préoccuper la Grande Chambre de la
Cour dans le cadre des affaires Behrami c. France et Saramati c. France, Norvège et
Allemagne actuellement en délibéré devant elle. Ces affaires ressemblent largement,
sur le plan factuel, à l’affaire Bankovic. A ce titre, elles devraient soulever la question
du maintien de la position tenue par le juge lors de l’examen de la recevabilité de
cette dernière ou, au contraire, de l’élargissement de son point de vue pour y intégrer
le raisonnement tenu dans l’arrêt Issa.
(43) C.C.P.R., observation générale n° 31 du 26 mai 2004, La nature de l’obligation
juridique générale imposée aux États parties au Pacte, §10.
(44) Idem. Comme le souligne le Professeur Weckel dans sa «chronique de jurisprudence internationale», il s’agit en l’occurrence d’une position que la Cour internationale de Justice a fait sienne lors de son dernier avis consultatif (Voy.
R.G.D.I.P., 2004, p. 1038).
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441
Les clauses relatives à l’obligation générale de protection sont, au
vu de ces quelques exemples, indispensables pour délimiter l’espace
géographique sur lequel s’appliquent les divers instruments internationaux de protection des droits de l’homme. Néanmoins, une fois
cette compétence (principalement) ratione loci établie, une des premières questions à laquelle doivent faire face les organes internationaux de protection des droits de l’homme est celle de savoir si les
allégations invoquées par les requérants sont imputables ou si elles
peuvent être attribuées à l’Etat Partie concerné. La jurisprudence
de la Cour interaméricaine des droits de l’homme s’est longuement
penchée sur cette question essentielle et il s’avère à la lecture d’un
certain nombre d’arrêts que l’article 1er de la Cout interaméricaine
relative aux droits de l’homme joue un rôle essentiel à ce propos.
D’ailleurs, l’attitude adoptée par la Cour européenne des droits de
l’homme dans l’arrêt Ilascu semble confirmer cette tendance.
B. – L’obligation générale de protection
et l’établissement de la responsabilité internationale
des Etats Parties
Plutôt envisagée comme une question de recevabilité d’une
requête que de compétence, la question de l’imputation ou de
l’attribution d’un acte internationalement illicite à l’Etat est essentielle. Les mécanismes de contrôle mis en place par les divers instruments de protection n’admettent en effet que la recevabilité des
requêtes dirigées contre un Etat Partie; aucune requête ne peut être
dirigée contre un individu. Cela est clairement énoncé par la Cour
interaméricaine dans son avis n° 14 à l’occasion duquel elle tient à
préciser qu’elle est à distinguer des tribunaux pénaux internationaux, seuls compétents pour examiner les questions de responsabilité pénale internationale des individus; s’agissant de la violation
des droits de l’homme garantis par la Convention interaméricaine,
seule est envisagée la responsabilité internationale des Etats et non
celle des individus ayant adopté ou exécuté des lois contraires à la
Convention (45). Il est donc plus qu’évident qu’une requête qui ne
respecterait pas ce principe serait manifestement mal fondée.
(45) Cour interam. dr. h., avis consultatif du 9 décembre 1994, International responsability for the promulgation and enforcement of laws in violation of the Convention
(articles 1 and 2 of the American Convention on Human Rights, Série A, n° 14, §§5157. Voy. spécialement §56 où la Cour dit que «as far as concerns the human rights
protected by the Convention, the jurisdiction of the organs established thereunder
refer exclusively to the international responsibility of states and not to that
→
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Rev. trim. dr. h. (70/2007)
Au regard de ce qui précède, on s’aperçoit que le destinataire des
obligations énoncées dans les différents textes est l’Etat. Or, existet-il réellement un lien entre ce principe et les clauses relatives à
l’obligation générale de protection? Les articles concernés fournissent un premier indice positif puisque l’obligation générale de protection dont il est question est adressée aux Hautes Parties contractantes ou aux Etats parties contractantes. C’est cependant la
jurisprudence contentieuse de la Cour de San José qui en apporte
la preuve incontestable. Dès son premier arrêt au fond, le juge américain affirme que «article 1 (1) is essential in determining whether
a violation of the human rights recognized by the Convention can
be imputed to a State Party. In effect, that article charges the
States Parties with the fundamental duty to respect and guarantee
the rights recognized in the Convention. Any impairment of those
rights which can be attributed under the rules of international law
to the action or omission of any public authority constitutes an act
imputable to the State, which assumes responsibility in the terms
provided by the Convention» (46). Tout exercice de la puissance
publique émanant de ses services ou agents qui violerait la Convention est de ce fait imputable à l’Etat et engage sa responsabilité.
Cela est d’ailleurs tout à fait en phase avec le droit international
général en la matière et est repris dans le projet d’articles de la
Commission du droit international.
Ce qui semble un peu plus problématique et qui révèle la spécificité des droits de l’homme, c’est le fait que l’obligation générale de
protection ne se limite pas à servir de fondement pour l’imputation
à l’Etat de ses agissements illicites. L’Etat peut aussi être tenu pour
responsable pour son inaction, pour sa négligence, pour ne pas avoir
rempli son obligation de prévention, de diligence. A travers cette
obligation il est possible d’attribuer à l’Etat la responsabilité des
actes qui n’émanent pas forcément d’une autorité publique, mais
d’une simple personne privée ou d’une personne non-identifiée. La
jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme a
été là aussi, dès l’origine, particulièrement claire à ce propos. Dans
le même arrêt Velasquez Rodriguez, elle dit, en se fondant sur l’article 1er de la Convention, que «an illegal act wich violates human
rights and wich is initially not directly imputable to a State (for
←
of individuals. Any human rights violations committed by agents or officials of a
state are, as the Court has already stated, the responsibility of that state [...]».
(46) Cour interam. dr. h., arrêt du 29 juillet 1988, Velasquez Rodriguez (fond),
Série C, n° 4, §164.
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example, because it is the act of a private person, or because the
person responsible has not been identified) can lead to international
responsibility of the State, not because of the act itself, but because
of the lack of due diligence to prevent the violation or to respond
to it as required by the Convention» (47); cela est d’ailleurs transposable dans les diverses affaires de disparitions forcées à l’occasion
desquelles on n’a pas pu identifier les responsables et pour lesquelles
la Cour a conclu à la violation de la disposition qui était en question
sur la base de sa combinaison avec l’obligation générale de protection (48). Mais, comment est-ce que cela est possible? En effet, l’établissement d’une telle responsabilité est possible parce que, dans ces
cas, ce qui est déterminant «is whether a violation of rights recognized by the Convention has occurred with the support or the
acquiescence of the government, or whether the State has allowed
the act to take place without taking measures to prevent it or to
punish those responsible» (49). A la lecture de ceci on s’aperçoit
donc que la responsabilité de l’Etat est engagée du simple fait qu’il
n’ait pas su garantir les intérêts des personnes lésées en se conformant aux obligations qui pèsent sur lui en vertu de l’obligation
générale de protection des droits de l’homme énoncée dans les premiers articles des différents instruments de protection. On instaure
ainsi une sorte de «violation passive» de ces Conventions.
Ce raisonnement a été réitéré, clarifié et renforcé par la Cour de
San José à de nombreuses reprises. Lors de son avis consultatif
n°18, elle en est même arrivée à affirmer que, «in an employment
relationship regulated by private law, the obligation to respect
human rights between individuals should be taken into consideration. That is, the positive obligation of the State to ensure the effectiveness of the protected human rights gives rise to effects in relation to third parties (erga omnes). This obligation has been
developed in legal writings, and particularly by the Drittwirkung
theory, according to which fundamental rights must be respected
(47) Idem, §172 in fine.
(48) Pour une analyse complète de cette question, voy., J. Benzimra-Hazan,
«Disparitions forcées de personnes et protection du droit à l’intégrité; la méthodologie de la Cour interaméricaine des droits de l’homme», Rev. trim. dr. h., 2001, n° 47,
p. 765. Ce raisonnement, comme l’a d’ailleurs remarqué cet auteur est desormais
applicable aussi en droit européen, la Cour européenne ayant procédé à un certain
mimétisme en la matière. Voy., J. Benzimra-Hazan, «En marge de l’arrêt Timurtas
contre la Turquie : vers l’homogénéisation des approches du phénomène des disparitions forcées des personnes», Rev. trim. dr. h., 2001, n° 48, p. 983.
(49) Arrêt Velasquez Rodriguez précité, §173.
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Rev. trim. dr. h. (70/2007)
by both the public authorities and by individuals with regard to
other individuals» (50).
C’est donc en se fondant sur la théorie des obligations positives que
la Cour interaméricaine élargit le rôle joué par l’obligation générale de
protection dans l’attribution d’un acte illicite à l’Etat. Cette théorie
n’est pas inconnue au système européen (51). Néanmoins, le lien existant entre ces obligations positives et l’obligation générale de protection est moins évident. Le plus souvent cette théorie a révélé en droit
européen son importance lors de l’examen au fond d’une affaire;
jusqu’en 2004, il était quasi-impossible de déceler son influence sur
l’attribution de la responsabilité d’une violation des droits à l’Etat.
L’arrêt Ilascu et autres c. Moldova et Russie semble cependant modifier cet état de fait (52). Pour la première fois, la théorie des obligations positives est utilisée pour établir «la juridiction» de l’Etat. Cela
a provoqué de fortes critiques de la part d’un certain nombre de
juges, dont M. Loucaïdes qui trouve ce raisonnement absurde. Rappelons en effet que, dans cette affaire, il était, entre autres, question
de savoir si la République de Moldova pouvait être tenue pour responsable pour les actes commis en République moldave de Transnistrie, région sécessionniste, survivant grâce au soutien de la Fédération de Russie. La Cour a conclu sur cette question que la sécession
et le contrôle exercé par la Fédération de Russie n’étaient pas de
nature à exclure la «juridiction» de la Moldavie; c’était simplement de
nature à réduire ses obligations aux seules obligations positives qui
lui incombent en vertu de l’article 1er de la Convention. Est-ce là un
raisonnement absurde? On ne saurait souscrire à une telle position.
En effet, le malaise ressenti par un certain nombre de juges est plus
fondé sur la confusion instaurée par la Cour entre la question de la
compétence rationae loci et celle de l’attribution d’une violation à
(50) Cour interam. dr. h., avis consultatif du 17 septembre 2003, Juridical Condition and Rights of the Undocumented Migrants, série A, n° 18, §140.
(51) Voy., par exemple, F. Sudre, «Les ‘obligations positives’ dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme», in Protection des droits de l’homme : la
perspective européenne. Mélanges en l’honneur de Rolv Ryssdall, Köln : Karl Heymanns Verlag KG, 2000, p. 1359 ou encore P. Van Dijk, «‘Positive obligations’
implied in the European Convention on Human Rights : Are the States still the
‘masters’ of the Convention?», in The Role of Nation-State in the 21st Century –
Human Rights, International Organisations and Foreign Policy, Essays in Honour of
Peter Baehr, The Hague/Boston/London, Kluwer law International, 1998, p. 17.
(52) Cela est particulièrement mis en valeur par une partie de la doctrine. Voy.,
dans ce sens, I. Petculescu, «La contribution du droit international de la responsabilité à la protection des droits de l’homme – L’arrêt de la Cour européenne des
droits de l’homme du 8 juillet 2004, dans l’affaire Ilascu et autres c. la République
de Moldova et la fédération de Russie», R.G.D.I.P., 2005, n° 3, p. 581.
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l’Etat. Ce qui semble contestable en l’espèce, c’est la question de
savoir comment on peut affirmer qu’un Etat continue à exercer sa
juridiction sur un territoire où il n’exerce plus son contrôle effectif.
Or, il s’agit là d’une question de fait et pas de droit. Une question qui
aurait dû d’ailleurs être réglée séparément de cette question des obligations positives. Le juge Ress proposait une approche assez convaincante qui n’a malheureusement pas été retenue par la Cour. Elle consistait à distinguer l’insurrection de l’occupation effective, la première
n’affectant pas l’exercice de la juridiction de l’Etat. En revanche, elle
modifie le contenu des obligations étatiques en les allégeant : les Etats
ne sont en effet tenus qu’au seul respect de leurs obligations positives.
Comme le signale, M. Weckel cela n’a rien d’illogique. Au contraire,
c’est une solution tout à fait logique qui transpose la position tenue
par le juge interaméricain à propos des personnes privées au cas de
l’insurrection. Nous pensons, à l’instar de cet auteur, que cette position de la Cour européenne «favorise l’unification et la simplification
du régime de responsabilité. Le fait des insurgés est en effet traité
d’une manière comparable au fait des personnes privées, c’est-à-dire
sur la base des obligations de due diligence» (53). Ce qui est reproché
à l’Etat n’est pas son impossibilité de protéger les droits de l’homme
sur une partie de son territoire en raison des agissements d’une autorité séparatiste. Ce qui lui est reproché c’est sa passivité; c’est le fait
de ne pas faire tout ce qui est dans son pouvoir pour prévenir, voire
empêcher, les violations des droits de ses ressortissants. Il s’agit donc
là d’une position qui ne peut être que la bienvenue (54).
Tous ces développements démontrent que les dispositions relatives à l’obligation générale de protection sont essentielles pour le bon
fonctionnement des systèmes mis en place par les différents textes.
C’est en effet en grande partie grâce à cette disposition préalable
qu’un grief adressé à un Etat Partie pourra être considéré comme
recevable devant les organes de contrôle. Mais, au-delà de
l’influence exercée par ces clauses au stade préliminaire de la compétence et de la recevabilité d’une requête, on doit aussi se demander si l’obligation générale de protection est dotée d’un contenu lui
permettant aussi d’influer lors du constat de violation au fond
d’une affaire. A travers cette interrogation il s’agit en effet d’examiner si, au-delà de son contenu formel, cette clause possède aussi
un contenu substantiel instaurant des obligations supplémentaires à
la charge des Etats.
(53) P. Weckel, «Chronique de jurisprudence internationale», R.G.D.I.P., 2004,
pp. 1040-1041.
(54) O. De Frouville, précité, p. 475.
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II. – La contribution de l’obligation générale
de protection à l’enrichissement substantiel
des instruments de protection
des droits de l’homme
Les propos relatifs à l’attribution de la responsabilité aux Etats
des actes commis par des personnes privées ou des personnes non
identifiées sont déjà révélateurs du lien qui unit l’obligation générale de protection à la théorie des obligations positives. Mais cette
théorie, au-delà de cet aspect premier, constitue aussi un fondement
essentiel pour le renforcement des obligations auxquelles sont tenus
les Etats lorsqu’ils ratifient les divers instruments de protection des
droits de l’homme.
Il est en effet intéressant de constater que le caractère objectif
des droits qui y sont contenus n’appelle pas simplement une obligation de ne pas avoir une attitude contraire aux obligations consenties (55). Les obligations faites par ces traités doivent trouver un
impact en droit interne; les Etats doivent faire tout ce qui est dans
leur pouvoir pour donner effet aux droits garantis par les textes. Le
professeur Sudre, en se fondant sur une série d’arrêts rendus par la
Cour européenne dans les années 90, constate que le contenu de
cette obligation emporte l’obligation d’«adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits que l’individu tient de
la Convention» (56).
Partant de ce constat, on s’aperçoit que les Etats ont à la fois une
obligation négative qui consiste à s’abstenir de violer les droits de
l’homme et une obligation positive qui consiste à mettre en œuvre
toutes les conditions nécessaires à l’exercice des droits. Cette double
nature des obligations étatiques est très claire au regard du droit
interaméricain. Selon le juge de San José elle est même directement
issue de l’obligation générale de protection qui précise d’un côté que
les Etats Parties s’engagent à respecter les droits et libertés – ce qui
fait référence à la jouissance des droits – et de l’autre à en garantir
le libre et plein exercice. Concernant la première obligation, pour que
le respect des droits soit effectif, l’Etat a l’obligation de s’autolimiter. La Cour indique à ce propos que «the exercise of public autho(55) Il est en effet intéressant de noter que la formulation employée dans l’article
27 de la Convention de Vienne de 1969 est négative. Il y est précisé qu’«une partie
ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant de la non-exécution d’un traité».
(56) F. Sudre, précité, p. 1359.
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Ioannis Panoussis
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rity has certain limits which derive from the fact that human rights
are inherent attributes of human dignity and are, therefore, superior to the power of the state» (57). D’ailleurs, elle tient à rappeler
à ce propos que, surtout en ce qui concerne les droits civils et politiques, les Etats n’ont pas le droit d’intervenir ou du moins ils ne
peuvent le faire que de façon très limitée (58). Quant à la deuxième
obligation – positive –, la Cour dégage le devoir pour l’Etat d’organiser les pouvoirs publics de façon à ce que les individus puissent
juridiquement se prévaloir de leurs droits de façon pleine et entière.
Celui-ci correspondra plus particulièrement aux obligations de prévention, d’enquête et de punition de toute violation éventuelle d’un
de ces droits, ainsi qu’à l’obligation de rétablir l’individu lésé et de
l’indemniser. La Cour finit son raisonnement en indiquant que cette
deuxième catégorie d’obligations nécessite un comportement actif
de la part de l’Etat (59).
Autant l’obligation négative de garantir la jouissance des droits
ne modifie en rien le contenu substantiel des différents textes,
autant cette obligation positive emporte des conséquences à la fois
en amont, par le biais de la prévention (A), et en aval d’une violation des droits, par le biais de la répression (B).
A. – L’obligation générale de protection
et l’obligation positive de prévention des violations
des droits de l’homme
La nature de cette obligation de prévention est telle qu’il faut la
manier avec beaucoup de prudence. Une acception large de cette
obligation conduirait à la responsabilité de l’Etat pour «risque» de
violation des droits de l’homme. Or, il ne faut pas oublier qu’une
des conditions de recevabilité des requêtes individuelles devant les
organes internationaux de protection des droits de l’homme réside
dans la qualité de victime. Les victimes potentielles peuvent-elles
bénéficier d’une protection devant les instances internationales
concernées (60)? Ceci est en effet un faux problème; il faut par con-
(57) Arrêt Velasquez Rodriguez, précité, §165.
(58) Cour interam. dr. h., avis consultatif du 9 mai 1986, The Word ‘Laws’ in article 30 of the American Convention on Human Rights, Série A, n° 6, §21.
(59) Arrêt Velasquez Rodriguez, précité, §§166-167.
(60) Selon H. Tigroudja, le terme «victime potentielle», «virtuelle» ou «éventuelle»
est impropre. Il reviendrait à ignorer les obligations positives de l’Etat. Voy., dans
ce sens, H. Tigroudja, Contributions à l’étude du statut de la victime en droit international des droits de l’homme, thèse, dact., Lille II, 2001, pp. 32-40.
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Rev. trim. dr. h. (70/2007)
séquent relativiser les difficultés qui en découlent. Comme le souligne le professeur Hélène Tigroudja, en se référant à une terminologie propre à la Cour européenne des droits de l’homme, «la victime
dite potentielle est en réalité victime actuelle de la violation d’une
obligation positive de l’Etat» (61). Cette obligation positive, c’est
bien l’obligation de prévention qui pèse à sa charge. Le préjudice
subi par la victime est objectif; en l’absence d’aménagement des
droits garantis par les différents textes, le droit concerné par la
requête ne saurait être exercé. Ainsi, comme le souligne Frédéric
Sudre, «la Convention ne s’arrête pas à une approche défensive des
droits de l’homme» (62). C’est grâce à cette affirmation par exemple
qu’ont pu être prises en considération plusieurs requêtes relatives à
la criminalisation de l’homosexualité dans certains pays européens
ou encore les requêtes relatives à l’extradition d’un individu vers un
pays où il risque la peine de mort... La preuve d’un préjudice physique avéré n’étant heureusement pas nécessaire dans ces cas de
figure.
En quoi consiste alors exactement cette obligation positive de
prévention? En effet, les Etats doivent s’assurer, à ce titre, que leur
législation interne est en conformité avec la Convention et à la suite
de ceci que les pouvoirs publics (police, justice, armée...) ont un
comportement garantissant l’effectivité des dispositions substantielles des différents textes.
Cela est particulièrement clair en droit « onusien », interaméricain
ou africain. L’article 1er de la Charte africaine énonce, par exemple, l’obligation d’« adopter des mesures législatives ou autres pour
les appliquer». De même le dispositif mis en place par le Pacte est
complété par une obligation de « prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte,
les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures
d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur » (63).
Enfin, l’article 2 de la Convention américaine dispose que, « si
l’exercice des droits et libertés visés à l’article 1 n’est pas déjà
garanti par des dispositions législatives ou autres, les Etats parties
s’engagent à adopter en accord avec leurs prescriptions constitutionnelles et les dispositions de la présente Convention les mesures légis-
(61) Idem, p. 39.
(62) F. Sudre, précité, p. 1360.
(63) Voy. article 2, §2 du Pacte international relatif aux droits civils et pratiques.
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Ioannis Panoussis
449
latives ou autres nécessaires pour donner effet auxdits droits et
libertés » (64).
Encore une fois, on ne peut que constater que le droit européen
se fait remarquer par son absence en la matière, aucune mention
expresse n’étant faite à cette obligation positive d’adapter son droit
interne et le comportement de ses agents et services aux exigences
conventionnelles.
Cette lacune a heureusement été complétée par la voie prétorienne. Le juge de Strasbourg a en effet, depuis longtemps, développé une jurisprudence qui semble en phase avec les dispositions
des autres textes de protection des droits de l’homme. En se fondant sur la théorie des obligations positives, il tient un raisonnement analogue, en affirmant, comme on a déjà pu le signaler, que
les Etats ont l’obligation d’«adopter des mesures raisonnables et
adéquates pour protéger les droits que l’individu tient de la
Convention». Néanmoins, deux questions restent entières : cette
obligation est-elle issue de l’article 1er de la Convention? Et en quoi
consistent ces mesures raisonnables et adéquates?
S’agissant tout d’abord de la première question, pendant longtemps les propos du juge européen ont été de nature à prêter à confusion. Cela néanmoins est logique puisque la théorie des obligations
positives s’est construite, comme l’indique le professeur Sudre, grâce
à une interprétation dynamique de la Convention qui s’appuyait sur
deux procédés : celui de la transformation d’une formulation négative d’un droit en une obligation positive (65) et celui de
l’«inhérence» (66). Ces deux procédés ne nécessitaient nullement un
renvoi à l’article 1er de la Convention. Ce fondement était probablement complémentaire (67).
(64) Comme le fait remarquer le juge Cançado Trindade dans son opinion dissidente dans l’arrêt de réparation Caballero Delgado et Santana, série C, n° 31, les articles 1 et 2 de la Convention interaméricaine sont dépendants l’un de l’autre,
puisqu’ils sont complémentaires : lorsqu’en vertu de l’article 1er, on estime que la
législation interne est insatisfaisante au regard de la Convention, il est nécessaire de
la changer en vertu de l’article 2. Voy., dans le même sens, A.A. Cancado
Trindade, «The inter-american court of human rights at a crossroads : Current challenges and its emerging case-law on the eve of the new century», in Protection des
droits de l’homme : la perspective européenne – Mélanges en l’honneur de Rolv Ryssdall, Köln, Karl Heymanns Verlag KG, 2000, spec. pp. 179 et s.
(65) F. Sudre, précité, p. 1362.
(66) Idem, pp. 1362-1363.
(67) Idem, p. 1363.
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Rev. trim. dr. h. (70/2007)
Ceci dit, depuis quelques années de nombreux arrêts de la Cour
démontrent une véritable volonté d’uniformisation de cette théorie
en s’appuyant sur l’obligation générale de protection. La Cour afin
de justifier son raisonnement relatif aux obligations positives commence à généraliser les renvois à l’article 1er de la Convention. C’est
ainsi, par exemple, que dans l’affaire Siliadin elle énonce sans équivoque «qu’il a déjà été établi que, concernant certaines dispositions
de la Convention, le fait que l’Etat s’abstienne de porter atteinte
aux droits garantis ne suffit pas pour conclure qu’il s’est conformé
aux engagements découlant de l’article 1 de la Convention» (68). De
même, dans son arrêt Sorensen et Rasmussen elle renvoie encore une
fois à l’article 1er en affirmant qu’«il convient également d’observer
qu’aux termes de l’article 1 de la Convention chaque Etat contractant ‘reconna[ît] à toute personne relevant de [sa] juridiction les
droits et libertés définis [dans] la [...] Convention’. Cette obligation
générale peut impliquer des obligations positives inhérentes à la
garantie de l’exercice effectif des droits consacrés par la
Convention» (69). Une telle affirmation n’est bien évidemment pas,
comme on peut le constater, de nature à remettre en cause la théorie de l’inhérence; elle tend plutôt à la renforcer en lui fournissant
une véritable base légale.
Si cette tendance confirme le rapprochement avec les autres instruments de protection des droits de l’homme, il reste encore à
démontrer que le contenu des obligations qui en découlent est lui
aussi analogue.
De nombreux arrêts énoncent que l’absence de législation suffisante ou contraignante est de nature à violer le devoir de prévention qui pèse à la charge de l’Etat. La mise en place d’un cadre normatif contraignant est selon la Cour le premier moyen pour lutter
contre les risques de violation de la Convention. Il est intéressant
de noter que ce raisonnement concerne quasiment tous les droits de
la Convention. On le retrouve dans l’arrêt Siliadin c. France à propos de la législation sur l’esclavage moderne (70); c’est la même logique que l’on retrouve dans l’arrêt Sorensen et Rasmussen c. Danemark à propos de la liberté syndicale négative (71) ou encore dans
l’arrêt Broniowski c. Pologne à propos du droit à la propriété
(68) Cour
(69) Cour
§57.
(70) Cour
(71) Cour
eur. dr. h., arrêt du 26 juillet 2005, Siliadin c. France, §77.
eur. dr. h., arrêt du 11 janvier 2006, Sorensen et Rasmusen c. Danemark,
eur. dr. h., arrêt Siliadin précité, spéc. §89.
eur. dr. h., arrêt Sorensen et Rasmusen précité, §§57-77.
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Ioannis Panoussis
451
privée (72); enfin, la Cour tient un raisonnement équivalent au titre
de la protection de l’intégrité physique (viol) au regard des articles
3 et 8 de la Convention dans son arrêt M.C. c. Bulgarie (73). Ainsi,
il est clair au regard de ces quelques illustrations que l’obligation
première de l’Etat afin de prévenir les violations de la Convention
est d’adapter sa législation interne aux exigences de cette dernière.
Ceci étant dit, il est intéressant de remarquer que dans l’arrêt
Ilascu la Cour de Strasbourg va beaucoup plus loin à propos des
obligations incombant aux Etats au titre de leur devoir de prévention. La Cour, en essayant d’expliquer le contenu des obligations
positives pesant à la charge de la République de Moldova vis-à-vis
des personnes relevant de sa juridiction mais se trouvant sur le territoire de la RM de Transnistrie, précise que «l’Etat en question se
doit, avec tous les moyens légaux et diplomatiques dont il dispose
[...] d’essayer de continuer à garantir la jouissance des droits et
libertés de la Convention». Or, cette formule est tellement large que
cela conduit la Cour à étendre son contrôle sur des mesures auxquelles on attribue traditionnellement une forme d’immunité juridictionnelle – exprimée notamment par la notion d’acte de gouvernement (74). C’est ainsi qu’elle se permet de constater un
manquement de la République de Moldova à ses obligations parce
que, à partir de 2001, elle n’a plus essayé d’obtenir un accord garantissant aux requérants les droits de la Convention ou encore parce
que plus aucun projet de règlement global de la situation en Transnistrie ne traitait de leur sort ou enfin parce qu’elle n’a pas pris en
considération cette question lors de ses relations bilatérales avec la
Fédération de Russie (75).
Il s’agit en l’espèce d’une interprétation particulièrement large de
ce que l’on doit entendre comme mesures raisonnables et adéquates
pour protéger les droits que l’individu tient de la Convention. Néanmoins, lorsque l’on se penche sur les textes africain, «onusien» ou
interaméricain, on s’aperçoit qu’aucun d’entre eux ne limite les obligations étatiques aux seuls aménagements de son droit interne.
D’autres mesures sont visées qui font certainement référence au
comportement des autorités nationales. Il s’agit donc là d’un contrôle plutôt bienvenu. Cependant, lorsque ce contrôle touche à des
(72) Cour eur. dr. h., arrêt du 22 juin 2004, Broniowski c. Pologne, §§143 et s.
(73) Cour eur. dr. h., arrêt du 4 décembre 2003, M. C. c. Bulgarie, §§148 et s.
(74) O. De Frouville, précité, p. 476.
(75) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 juillet 2004, Ilascu et autres c. Moldova et Russie,
§§348-349.
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452
Rev. trim. dr. h. (70/2007)
questions de politique nationale, n’est-il pas normal de laisser à
l’Etat une certaine marge d’appréciation? Ne faudrait-il pas imposer des critères objectifs pour le contrôle du juge? Nous rejoignons
sur ce point la position d’Olivier de Frouville qui préconise d’appliquer les critères classiques de justification des atteintes que sont la
légalité et la nécessité dans une société démocratique pour atteindre
un but légitime (76). A cela, il faudrait même ajouter le contrôle de
proportionnalité qui est omniprésent dans le cadre du contrôle des
obligations positives de l’Etat (77).
Au regard de ces développements, on s’aperçoit aisément que la
combinaison de l’obligation générale de protection avec les autres
droits de la Convention sert à renforcer leur régime juridique. Elle
instaure une obligation de comportement, d’action positive de la
part de l’Etat pour minimiser, voire éradiquer, le risque de violation
des droits de l’homme. Tant que la législation nationale et le comportement des autorités étatiques ne sont pas en conformité avec les
exigences des différents textes, la jouissance et l’exercice des droits
ne peuvent être garantis. C’est pour cela que l’Etat sera condamné
à chaque fois pour avoir failli à son obligation positive de prévenir
les violations.
Cela n’est qu’un aspect de la richesse substantielle de l’obligation
générale de protection. Au-delà de l’aspect «prévention», elle instaure aussi une obligation de répression des comportements contraires aux droits et garanties consacrés par les différents textes. Cette
obligation se situant en aval d’un constat de violation présente la
particularité d’être parfois créatrice de nouveaux droits qui sont
généralement d’ordre procédural.
B. – L’obligation générale de protection
et l’obligation positive de répression et de réparation
des violations des droits de l’homme
La jurisprudence interaméricaine et européenne des droits de
l’homme est particulièrement révélatrice de la richesse procédurale
de l’obligation générale de protection. Malgré l’obligation d’adapter
la législation interne et le comportement des agents de l’Etat aux
exigences des Conventions, on n’est pas pour autant à l’abri d’une
violation des droits accordés à la personne privée. L’Etat est-il exonéré de sa responsabilité du simple fait qu’il a pris en amont de la
(76) O. De Frouville, précité, p. 477.
(77) Voy., dans ce sens, F. Sudre, précité, pp. 1372 et s.
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Ioannis Panoussis
453
violation toutes les mesures nécessaires à l’exercice des droits
concernés? Ce n’est pas la position tenue par les principaux organes
de protection des droits de l’homme. En effet, les obligations positives de l’Etat s’étalent aussi en aval d’une violation constatée.
L’article 1er inscrit dans ce cas de figure un devoir à la charge des
Etats de tout faire pour punir les responsables et réparer le préjudice subi par la victime. Ce devoir se manifeste à tous les stades de
la procédure car l’Etat doit, dans un premier temps, mener une
enquête, puis, dans un second temps punir les responsables et réparer le préjudice. Si l’une de ces obligations est méconnue, l’Etat sera
condamné.
Ce contenu de l’article 1er se révèle dans le système interaméricain
à chaque fois qu’un droit de la Convention est violé. Cela implique
nécessairement de combiner le droit violé avec l’article 1er afin de
se demander si les exigences de ce dernier ont été remplies. Ce constat est particulièrement visible dans la jurisprudence du juge de San
José. Dans l’arrêt Paniagua Morales et autres par exemple, la Cour
constate que les actes violant les articles 4, 5, 7, 8 et 25 de la Convention américaine restent souvent impunis au Guatemala. Cette
impunité signifie «the total lack of investigation, prosecution, capture, trial and conviction of those responsible for violations of the
rights protected by the American Convention, in view of the fact
that the State has the obligation to use all the legal means at his
disposal to combat that situation, since impunity fosters chronic
recidivism of human rights violation, and total defenceless of victims and their relatives» (78). On est bien en l’espèce face à une
autre forme d’obligation positive qui impose à l’Etat, au delà de la
prévention, d’avoir un comportement actif pour enquêter et réprimer les violations des droits de l’homme. En l’absence d’un tel comportement, on assiste, comme en l’espèce, à une «violation passive»
de la Convention de la part de l’Etat concerné.
Concernant les droits liés à l’intégrité physique, la Cour insiste
particulièrement sur ce comportement positif que doit avoir l’Etat
pour deux raisons. Tout d’abord, parce que c’est essentiel afin de
réparer le préjudice subi par les victimes. L’absence d’enquête effective de la part des autorités étatiques anéantit toute chance de succès dans les démarches du requérant devant les instances nationales. Ensuite, parce que c’est le meilleur moyen pour éviter la
récidive. On instaure ainsi une sorte de «prévention a posteriori», la
(78) Cour interam. dr. h., arrêt du 8 mars 1998, Paniagua Morales et autres
(fond), Série C, n° 37, §173.
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Rev. trim. dr. h. (70/2007)
crainte d’une répression étatique jouant un rôle essentiel pour
décourager les personnes responsables de ce type d’actes. Cela est
clair dans l’arrêt Myrna Mack Chang à l’occasion duquel la Cour
affirme que «in cases of extra-legal executions, it is essential for the
States to effectively investigate deprivation of the right to life and
to punish all those responsible, especially when State agents are
involved, as not doing so would create, within the environment of
impunity, conditions for this type of facts to occur again, which is
contrary to the duty to respect and ensure the right to life» (79). On
s’aperçoit ainsi que le juge interaméricain lie de fait les devoirs de
l’Etat en aval d’une violation avec ceux qu’il a en amont de celle-ci.
Avant d’examiner la nature de ces obligations spécifiques issues de
l’obligation générale de protection, il est aussi intéressant de noter
que le juge leur confère un caractère quasi-impératif. Il n’existe
aucune justification permettant à l’Etat de se défaire de cette obligation. Le Pérou, par exemple, dans l’affaire Castillo Paez, avait essayé
de se réfugier derrière les difficultés internes qu’il rencontrait pour
justifier sa passivité. Or, la Cour affirme que «in connexion with the
above-mentioned violation of the American Convention, the Court
considers that the Peruvian State is obliged to investigate the events
that produced them. Moreover, on the assumption that internal difficulties might prevent the identification of the individuals responsible for crimes of this kind, the victims finally still have the right to
know what happened [...]» (80). On rejoint ainsi le raisonnement tenu,
mutatis mutandis, récemment par la Cour européenne dans l’affaire
Ilascu en vertu duquel, même en cas de sécession d’une partie de son
territoire, l’Etat reste tenu de respecter ses obligations positives.
Celles-ci consistent alors en un devoir de mener une enquête effective suite à une violation constatée des droits d’une personne et ce
(79) Cour interam. dr. h., arrêt du 25 novembre 2003, Myrna Mack Chang, Série
C, n° 101, §156. Dans le même sens, voy. aussi plus récemment, l’arrêt du 8 juillet
2004, Caso de los hermanos Gomez Paquaiyauri, Série C, n° 110, §129, à l’occasion
duquel la Cour affirme que «el cumplimiento del artículo 4 de la Convención Americana, relacionado con el artículo 1.1 de la misma, […] requiere que los Estados tomen
todas las medidas apropiadas para proteger y preservar el derecho a la vida (obligación positiva), bajo su deber de garantizar el pleno y libre ejercicio de los derechos
de todas las personas bajo su jurisdicción. […] En razón de lo anterior, los Estados
deben tomar todas las medidas necesarias, no sólo para prevenir, juzgar y castigar
la privación de la vida como consecuencia de actos criminales, en general, sino también para prevenir las ejecuciones arbitrarias por parte de sus propios agentes de
seguridad».
(80) Cour interam. dr. h., arrêt du 3 novembre 1997, Castillo Paez (fond), Série
C, n° 34, §90.
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Ioannis Panoussis
455
afin de punir les responsables et de réparer le préjudice subi par la
victime. On est bien là face à des obligations dont la nature est procédurale, ce qui a justifié de nombreux rapprochements avec les
articles 8 (procès équitable) et 25 (recours effectif) de la Convention
américaine (81). Ce qui est intéressant à noter, c’est que cette nouvelle obligation procédurale – et plus spécialement l’obligation de
mener une enquête effective – a été complétée par son pendant
substantiel. En procédant au rapprochement des articles 8, 25 et 1
de la Convention interaméricaine, le juge de San José fait naître
dans son arrêt Bamaca Velasquez un nouveau droit autonome : le
droit à la vérité. Ce dernier est définit comme «the right of the victim or his next of kin to obtain clarification of the facts relating to
the violations and the corresponding responsibilities from the competent State organs, through the investigation and prosecution
[...]» (82). C’est, sans nul doute, un apport considérable de la jurisprudence de la Cour qui justifie en grande partie l’importance des
obligations positives de l’Etat en aval d’une violation des droits de
l’homme. C’est d’ailleurs un droit essentiel pour les victimes et leurs
proches, surtout lorsque l’on traite de situations relatives aux disparitions forcées de personnes. On comprend, par conséquent, très
difficilement le revirement récent de la Cour qui vient affirmer que
ça n’est pas (ou plus) un droit autonome au motif que ce droit est
déjà contenu dans l’obligation de l’Etat de mener une enquête et de
juger les responsables (83).
(81) Dans l’arrêt Suarez Rosero du 12 novembre 1997, Série C, n° 35, §65, la Cour
affirme, par exemple, que «article 25 (recours effectif) is closely linked to the general
obligation contained in Article 1(1) of the American Convention, in assigning protective functions to the domestic law of States Parties». De même, dans l’arrêt Paniagua Morales du 8 mars 1998, Série C, n° 37, §164, après avoir constaté cette même
proximité entre l’article 25 et l’article 1, elle dit aussi que «that Article is closely linked to Article 8 (1) (procès équitable) of the American Convention which upholds
every person’s right to a hearing […]».
(82) Voy. sur ce point, Cour interam. dr. h., arrêt du 25 novembre 2000, Bamaca
Velasquez (fond), Série C, n° 70, §201 et Cour interam. dr. h., arrêt du 14 mars 2001,
Barrios Altos (fond), Série C, n° 75, §48.
(83) C’est ce que le juge de San José a affirmé récemment dans son arrêt du
28 novembre 2005, Blanco-Romero, Série C, n° 138, §62 en disant que «la Corte no
estima que el derecho a la verdad sea un derecho autónomo consagrado en los artículos 8, 13, 25 y 1.1 de la Convención, como fuera alegado por los representantes, y
por lo tanto no homologa el reconocimiento de responsabilidad del Estado en este
punto. El derecho a la verdad se encuentra subsumido en el derecho de la víctima o
sus familiares a obtener de los órganos competentes del Estado el esclarecimiento de
los hechos violatorios y las responsabilidades correspondientes, a través de la investigación y el juzgamiento»
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Rev. trim. dr. h. (70/2007)
Ceci étant dit, dans les années 90, le juge de Strasbourg, faisant
preuve d’un certain mimétisme, développe lui aussi une jurisprudence similaire qui a pris actuellement une ampleur considérable (84). Le tout premier arrêt à l’occasion duquel la Cour européenne décide de faire jouer l’obligation générale de protection lors
de l’examen au fond est l’arrêt Mc Cann et autres c. Royaume Uni
du 27 juillet 1995. A cette occasion, elle énonce que «l’obligation de
protéger le droit à la vie qu’impose cette disposition (article 2),
combinée avec le devoir général incombant à l’Etat en vertu de
l’article 1 de la Convention de ‘reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (…)
Convention’, implique et exige de mener une forme d’enquête efficace lorsque le recours à la force, notamment par des agents de
l’Etat, a entraîné mort d’homme» (85). On voit alors apparaître clairement l’obligation pour l’Etat de mener une enquête effective;
cependant, il est à signaler que cette obligation est exclusivement
associée aux droits indérogeables énoncés aux articles 2 et 3 de la
Convention (droit à la vie et interdiction de la torture) et qu’elle se
limite à l’origine à l’obligation d’enquêter en négligeant l’aspect
répressif accordé au sein du système interaméricain. Sur ce dernier
point, le juge remédiera à ce manque en calquant sa jurisprudence
sur celle du juge interaméricain; ainsi, par exemple, dans son arrêt
Bursuc, il affirme que, «pour ce qui est du bien fondé du grief, la
Cour rappelle que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable
avoir subi, de la part de la police ou d’autres services comparables
de l’Etat, des traitements contraires à l’article 3 de la Convention,
cette disposition, combinée avec le devoir général imposé par l’article 1 de ‘reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction
les droits et libertés définis […] [dans la] Convention’, requiert, par
implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette
enquête, à l’instar de celle requise par l’article 2, doit pouvoir mener
à l’identification et à la punition des responsables. Si elle n’en allait
pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction
(84) L’attitude adoptée ces dernières années par la Cour européenne des droits de
l’homme conduit d’ailleurs certains auteurs à parler de la procéduralisation des obligations issues des droits substantiels. D’ailleurs, l’article 1er ne semble être qu’une
piste plausible de ce phénomène qui concerne de plus en plus de droits consacrés par
la Convention. Voy. en ce sens, E. Dubout, «La procéduralisation des obligations
relatives aux droits fondamentaux substantiels par la Cour européenne des droits de
l’homme», dans la présente livraison de cette Revue, pour une étude spécifique dans
le cadre de l’article 8 de la Convention, voy. aussi le commentaire de l’arrêt H.M.
c. Turquie de M. Hottelier, «La nécessaire complémentarité des droits matériels et
des garanties procédurales», dans la présente livraison de cette Revue.
(85) Cour eur. dr. h., arrêt du 27 septembre 1995, Mc Cann et autres c. R.U., §167.
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Ioannis Panoussis
457
légale générale des traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents
de l’Etat de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les
droits de ceux soumis à leur contrôle» (86). Le juge de Strasbourg
insiste lui aussi désormais sur l’obligation de punir les responsables.
L’obligation générale de protection impose aussi un comportement
répressif de la part de l’Etat pour rendre sa législation efficace.
D’ailleurs, il l’a clairement dit récemment dans son arrêt Perreira
Henriques en affirmant qu’«il s’agit essentiellement, au travers
d’une telle enquête, d’assurer l’application effective des lois internes
qui protègent le droit à la vie et, dans les affaires où des agents ou
organes de l’Etat sont impliqués, de garantir que ceux-ci aient à
rendre des comptes au sujet des décès survenus sous leur responsabilité [...]. L’enquête doit permettre d’établir la cause des blessures
et d’identifier et sanctionner les responsables [...]» (87).
Même si pour le moment cette attitude n’est point généralisée –
elle reste limitée aux articles 2 et 3 de la Convention –, l’obligation
générale de protection commence, comme on a pu le signaler précédemment sous l’angle de l’obligation positive de prévention, à être
rapprochée d’autres dispositions. Ce fut le cas de l’article 4 mais
aussi des articles 9, 11, 1er du Premier Protocole, etc. Il est alors
fort probable que dans un avenir proche le juge européen, à l’instar
de la juridiction de San José, applique cette même logique aux
droits substantiels de la Convention ne relevant pas de la catégorie
des droits indérogeables liés à l’intégrité physique. Il s’agit là d’une
position qui serait tout à fait logique et bienvenue, car totalement
en accord avec la théorie des obligations positives de l’Etat qui ne
se limite certainement pas à ces deux dispositions de la Convention (88).
Enfin, pour conclure sur cette question particulière de l’obligation
de répression et de réparation des violations des droits de l’homme
issue de l’obligation générale de protection, il est intéressant de
noter que le Comité des droits de l’homme tient lui aussi un raisonnement similaire. Dans son observation générale n° 31, il a clairement énoncé que «dans certaines circonstances, il peut arriver qu’un
manquement à l’obligation énoncée à l’article 2 de garantir les
(86) Cour eur. dr. h., arrêt du 12 octobre 2004, Bursuc c. Roumanie, §101.
(87) Cour eur. dr. h., arrêt du 9 mai 2006, Perreira Henriques c. Luxembourg, §5556.
(88) C’est d’ailleurs le sens de l’étude de M. Dubout, précitée, même si cet auteur
ne vise pas expressément l’article 1er comme cause principale de la procéduralisation
des autres droits substantiels de la Convention européenne.
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droits reconnus dans le Pacte se traduise par une violation de ces
droits par un Etat Partie si celui-ci tolère de tels actes ou s’abstient
de prendre des mesures appropriées ou d’exercer la diligence nécessaire pour prévenir et punir de tels actes commis par des personnes
privées, physiques ou morales, enquêter à leur sujet ou réparer le préjudice qui en résulte en sorte que les dits actes sont imputables à
l’Etat Partie concerné» (89). Ainsi, le Comité des droits de l’homme
instaure lui aussi, sur le modèle des autres systèmes de protection
des droits de l’homme, une «violation passive» des droits qui peut
être due à l’insuffisance des garanties procédurales offertes à l’individu. Il consacre donc, de manière relativement timide, des droits
à une enquête préalable, au jugement des responsables et à l’indemnisation des préjudices subis. Si cette affirmation est moins claire
qu’en droit européen, c’est probablement parce que la structure de
l’article 2 du Pacte est différente. En incluant au paragraphe 3 de
ce même article le droit à un recours effectif, cette disposition met
quelque peu au second plan les effets de l’association de l’article 2,
§1er avec les autres articles du Pacte. Néanmoins, son importance
capitale persiste et c’est l’objet des développements du Comité dans
cette observation.
Conclusion
Tous les développements qui précèdent démontrent l’influence
capitale que revêt l’obligation générale de protection dans le contentieux international des droits de l’homme. Néanmoins, il faut
être conscient qu’il s’agit là de la simple partie visible de l’iceberg.
Nous pensons que cette notion a en effet vocation à intervenir dans
tous les domaines et seule la Cour interaméricaine des droits de
l’homme semble pour le moment admettre cela. Si, comme nous
l’avons vu en introduction, l’obligation générale de protection correspond au contenu des articles 26 et 27 de la Convention de
Vienne, elle devrait de ce fait être associée à toutes les dispositions
normatives d’un texte, même si elles n’énoncent que des obligations
secondaires. L’obligation d’exécuter les arrêts des deux Cours régionales fourni d’ailleurs un exemple intéressant en la matière puisque,
directement ou indirectement, on assiste à la diffusion de son esprit
en leur sein.
(89) C.C.P.R., observation générale n° 31 du 26 mai 2004, La nature de l’obligation
juridique générale imposée aux États parties au Pacte, §8.
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La Cour interaméricaine des droits de l’homme associe systématiquement et ouvertement l’article 1er de la Convention – mais aussi
l’article 2 qui énonce l’obligation de mettre en conformité son droit
interne – à l’obligation qui pèse sur les Etats Parties d’exécuter ses
arrêts. En vertu de ces deux dispositions, les Etats doivent prendre
toutes les mesures nécessaires en droit interne pour que les violations cessent. La Cour se permet alors à ce titre d’indiquer mais
aussi de contrôler les mesures nécessaires à l’exécution de ses arrêts.
Cela est particulièrement net, par exemple, au travers des arrêts
rendus dans l’affaire Castillo Petruzzi. La Cour, après avoir constaté, dans son arrêt au fond, une défaillance de l’Etat au titre de
l’article 1er, affirme que «the general duty under Article 2 of the
American Convention implies the adoption of measures of two
kinds : on the one hand, elimination of any norms and practices
that in any way violate the guarantees provided under the
Convention; on the other hand, the promulgation of norms and the
development of practices conducive to effective observance of those
guarantees» (90). Il s’agit là d’un raisonnement qui permet par la
suite à la Cour de procéder à un contrôle poussé; c’est d’ailleurs ce
qui l’a conduit en l’espèce à condamner la compétence des juridictions militaires sur des civils, à proposer la réouverture du procès
et, enfin, à indiquer, dans un second arrêt portant sur les problèmes
d’exécution du premier, que «Article 68(1) of the American Convention on Human Rights stipulates that ‘[t]he States Parties to the
Convention undertake to comply with the judgment of the Court in
any case to which they are parties.’ The conventional obligations of
the States Parties bind all of the authorities and organs of the State
[…] this obligation corresponds to a basic principle of the law of
international state responsibility, supported by international jurisprudence, according to which States must fulfill their conventional
international obligations in good faith (pacta sunt servanda) and, as
the Court has already stated, can not for reasons of domestic law
fail to assume already established international responsibility» (91).
Ce qui est remarquable, c’est que l’obligation d’exécution semble
alors rejoindre, grâce au rapprochement opéré avec l’obligation
générale de protection, le champ des obligations primaires de l’Etat.
Ainsi quasiment aucune marge de manœuvre n’est laissée à ce
dernier; c’est d’ailleurs ce qui justifie un contrôle aussi poussé.
(90) Cour interam. dr. h., arrêt du 30 mai 1999, Castillo Petruzzi et autres, Série C,
n° 52, §207.
(91) Cour interam. dr. h., arrêt du 17 novembre 1999, Castillo Petruzzi et autres
(compliance), Série C, n° 59, §§3-4.
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Pendant très longtemps, la Cour européenne semblait marquer
une certaine réticence sur ce domaine. Le caractère secondaire de
l’obligation d’exécution l’empêchait d’exiger de la part des Etats
parties le respect d’un certain nombre d’obligations précises. Ils restaient particulièrement libres dans le choix des mesures d’exécution.
Pourtant, dans un certain nombre d’arrêts récents, elle a changé
d’attitude.
Dans plusieurs arrêts portant sur le caractère équitable du procès
interne (article 6), elle s’est permise d’indiquer que la meilleure
réparation possible serait la réouverture du procès (92). De manière
encore plus audacieuse, dans l’arrêt Assanidzé (93), elle a exigé, au
titre de l’exécution de son arrêt, la remise en liberté des requérants.
De même, dans l’arrêt Broniowski (94), elle a demandé la mise en
conformité du droit polonais avec les exigences de la Convention.
Ces exemples – non limitatifs – démontrent un véritable changement d’attitude. Quel est alors le fondement d’un tel changement
de comportement?
Si jusqu’à récemment l’influence probable de l’obligation générale
n’était que soupçonnée, dans l’arrêt Sejdovic (95), la Cour se réfère
expressément à l’article 1er en indiquant que les mesures qu’elle propose ont «[...] pour vocation d’aider les Etats contractants à remplir
le rôle qui est le leur dans le système de la Convention en résolvant
ce genre de problème au niveau national, en sorte qu’ils reconnaissent par la même aux personnes concernées les droits et libertés
définis dans la Convention, comme le veut l’article 1, en leur offrant
un redressement rapide...» (96). De même dans l’arrêt Scordino,
avant d’énoncer les mesures qu’elle estime nécessaires pour l’exécution de l’arrêt, elle affirme qu’«il résulte de la Convention, et notamment de son article 1, qu’en ratifiant la Convention, les Etats contractants s’engagent à faire en sorte que leur droit interne soit
compatible avec celle-ci» (97). Voilà donc une tendance nette, fondée sur un rapprochement de l’obligation générale de protection
avec l’obligation d’exécuter les arrêts de la Cour qui pourrait à
moyen ou long terme modifier la nature de cette dernière.
(92) Voy., par exemple, Cour eur. dr. h., arrêt du 23 octobre 2003, Gençel c.
Turquie; arrêt du 18 décembre 2003, Ükünç et Günes c. Turquie; arrêt du 18 mai
2004, Somogyi c. Italie.
(93) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 avril 2004, Assanidzé c. Géorgie.
(94) Cour eur. dr. h., arrêt du 22 juin 2004, Broniowski c. Pologne.
(95) Cour eur. dr. h., arrêt du 1er mars 2006, Sejdovic c. Italie.
(96) Idem, §120.
(97) Cour eur. dr. h., arrêt du 29 mars 2006, Scordino (n° 1) c. Italie, §234.
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On comprend bien, au terme de ces développements, que la place
occupée par l’obligation générale de protection dans la jurisprudence des organes internationaux de protection des droits de
l’homme ne peut que continuer à croître. Il est évident que le juge
trouve en l’occurrence un formidable outil pour améliorer l’effectivité des mécanismes internationaux tout en responsabilisant les
Etats Parties. Il est donc très probable – et souhaitable – que son
domaine d’application se généralise et qu’il investisse, à terme, la
totalité des droits et obligations énoncées par les différents textes.
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