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L’OBLIGATION GÉNÉRALE DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME DANS LA JURISPRUDENCE DES ORGANES INTERNATIONAUX par Ioannis PANOUSSIS Docteur en droit Enseignant-chercheur à la Faculté libre de droit de Lille La quasi-totalité des instruments de protection des droits de l’homme contient une disposition énonçant l’obligation générale qui pèse sur les Etats Parties de protéger les droits et libertés qui y sont consacrés. La place et le contenu de ces dispositions sont essentiellement les mêmes dans tous les systèmes. L’article 2, §1er du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par exemple, dispose que «les Etats Parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence (juridiction) les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune […]». C’est, à peu de choses près, dans les mêmes termes qu’est rédigé l’article 1er de la Convention interaméricaine. Ce dernier prévoit que «les Etats parties s’engagent à respecter les droits et libertés reconnus dans la présente Convention et à en garantir le libre et plein exercice à toute personne relevant de leur compétence (juridiction), sans aucune distinction […]». Ainsi, la Convention interaméricaine insiste un peu plus que le Pacte sur la garantie du libre et plein exercice des droits individuels. Dans un style un peu différent, l’article 1er de la Charte africaine énonce que « les Etats membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, parties à la présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s’engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer ». Enfin, dans un style plus laconique, l’article 1er de la Convention européenne dispose que « les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention » ; cette disposition se limite, par conséquent, à la simple reconnaissance de droits sans faire allusion this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 428 Rev. trim. dr. h. (70/2007) aux obligations exactes qui pèsent sur les Etats pour atteindre cet objectif. En essayant d’identifier la véritable nature de cette clause et ses effets, on ne peut s’empêcher dans un premier temps de constater qu’elle figure toujours parmi les premières dispositions d’un texte. Elle sert en quelque sorte de transition entre les Préambules des différents instruments de protection des droits de l’homme et l’énonciation des droits et garanties individuels contenus en leur sein. De ce fait, on ne peut, a priori, automatiquement lui accorder ni un contenu substantiel – les droits accordés à la personne privée consacrés par les différents textes figurant généralement dans un chapitre séparé (1) – ni une simple valeur introductive servant à définir l’objet et le but du traité puisqu’elle figure déjà parmi les clauses normatives des instruments en question (2). Si l’obligation générale de protection ne correspond ni à un droit substantiel, ni à une simple énonciation du but poursuivi par les traités de protection des droits de l’homme, quel est alors le sens de cette disposition ? Pour répondre à cette question il faut se tourner vers les normes du droit international général. Il est vrai que les instruments internationaux de protection des droits de l’homme présentent quelques particularités dues au caractère objectif et non exclusivement interétatique de leur (1) Hormis la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui classe l’obligation générale de protection parmi les « droits de l’homme et des peuples» figurant dans son chapitre 1er, tous les autres textes distinguent clairement cette obligation générale des droits accordés à la personne privée. Dans le Pacte, l’obligation générale figure en 2ème Partie, alors que les droits sont énoncés en 3ème Partie. Dans la Convention interaméricaine un 1er Chapitre est consacré à l’« énumération des obligations » (obligation générale), puis un deuxième aux droits civils et politiques. Enfin, dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 1er figure seul entre le préambule et le Titre I consacré aux « droits et libertés». (2) La seule mention faite aux préambules des traités dans le cadre de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités figure à l’article 31 qui dispose qu’«aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus». Cela tend à prouver que les préambules font partie intégrante des différentes Conventions. Cependant, comme le soulignent J.P. Cot et A. Pellet à propos du préambule de la Charte des Nations Unies, «le préambule est assimilé au texte, mais uniquement dans le cadre du contexte», c’est-à-dire aux seules fins d’interprétation des traités (voy., à ce propos, J.P. Cot et A. Pellet, La Charte des Nations Unies, Paris, Economica, 1985, p. 5). Ce raisonnement ne peut raisonnablement être appliqué aux dispositions relatives à l’obligation générale de protection. Etant intégrées dans le corps même des différents textes, elles produisent incontestablement leurs effets même en dehors du cadre de l’interprétation des clauses normatives d’une Convention. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 429 contenu (3) ; cependant, ils n’en restent pas moins de véritables traités internationaux qui relèvent du régime juridique établi dans la Convention de Vienne de 1969 (4). Partant de ce constat, l’obligation générale de protection des droits de l’homme semble, à première vue, transposer dans le cadre des droits de l’homme les obligations générales qui pèsent sur les Etats en vertu des articles 26 et 27 de la Convention de Vienne de 1969. C’est donc bien le principe « Pacta sunt servanda » et l’obligation d’exécuter de bonne foi ses obligations conventionnelles qui se trouvent derrière ces dispositions. Le Comité des droits de l’homme ne laisse (3) Cela est particulièrement clair dans la jurisprudence des différents organes de protection des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme, dès son arrêt Irlande c. Royaume Uni du 18 janvier 1978, énonce que la Convention «déborde le cadre de la simple réciprocité entre Etats contractants. En sus d’un réseau d’engagements synallagmatiques bilatéraux, elle crée des obligations objectives qui, aux termes de son Préambule, bénéficient d’une ‘garantie collective’» (§259). De la même façon le juge de San José affirme dans son avis consultatif n° 2 du 24 septembre 1982, The effect of reservations on the entry into force of the American Convention on Human Rights, série A, n° 2, §29 que «the Court must emphasize, however, that modern human rights treaties in general, and the American Convention in particular, are not multilateral treaties of the traditional type concluded to accomplish the reciprocal exchange of rights for the mutual benefit of the contracting States». Enfin, le Comité des droits de l’homme se rallie à cette position en disant dans son observation générale n° 24 du 4 novembre 1994, Questions touchant les réserves formulées au moment de la ratification du Pacte ou des protocoles facultatifs y relatifs ou de l’adhésion à ces instruments, ou en rapport avec des déclarations formulées au titre de l’article 41 du Pacte, que les textes internationaux de protection des droits de l’homme «ne constituent pas un réseau d’échanges d’obligations interétatique. Ils visent à reconnaître des droits aux individus. Le principe de la réciprocité interétatique ne s’applique pas […]». (4) En effet, on ne peut nier aujourd’hui le fait que les traités de protection des droits de l’homme sont en interaction constante avec le droit international général et plus particulièrement avec le droit des traités et les règles du contentieux international. De nombreuses études en apportent une preuve indiscutable (voy., par exemple, à propos du droit interaméricain, H. Tigroudja, «L’autonomie du droit applicable par la Cour interaméricaine des droits de l’homme : en marge d’arrêts et avis consultatifs récents», Rev. trim. dr. h, 2002, n° 49, p. 69, ou, à propos de l’utilisation du droit international général par la Cour européenne des droits de l’homme, la chronique annuelle de G. Cohen-Jonathan et J.F. Flauss, in A.F.D.I. Certains auteurs critiquent même violemment l’idée d’un droit obéissant à ses propres règles, distinctes du droit international général. Voy., par exemple, A. Pellet, «Droits-del’hommisme et droit international», Revue des droits fondamentaux, n° 1, pp. 169 et s. Pour emprunter une classification utilisée par le professeur Flauss, les droits de l’homme relèveraient plutôt du courant de l’«évolutionnisme modéré» qui implique la co-existence et l’interaction du droit international général des traités avec les normes internationales relatives à la protection des droits de l’homme; voy. J.F. Flauss, «La protection des droits de l’homme et les sources du droit international», in S.F.D.I., La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, colloque de Strasbourg, Paris, Pedone, 1998, pp. 13-14. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 430 Rev. trim. dr. h. (70/2007) subsister aucun doute à ce propos dans son observation générale n° 31 à l’occasion de laquelle il affirme que « l’article 2 définit la portée des obligations juridiques contractées par les Etats Parties au Pacte. Il impose aux Etats parties l’obligation générale de respecter les droits énoncés dans le Pacte et de les garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence. Conformément au principe énoncé à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les Etats parties sont tenus de s’acquitter de bonne foi des obligations découlant du Pacte » (5). D’ailleurs, l’organe de contrôle des Nations Unies poursuit en affirmant que « les obligations découlant du Pacte en général et de l’article 2 en particulier s’imposent à tout Etat partie considéré dans son ensemble […]. Cette interprétation découle directement du principe énoncé à l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, aux termes duquel un Etat partie ‘ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité’ » (6). Cette interprétation est aussi celle de la Commission africaine des droits de l’homme qui, de manière très laconique, énonce que «l’article premier confère à la Charte le caractère légalement obligatoire généralement attribué aux traités internationaux de cette nature» (7). C’est aussi sans doute celle qui est retenue dans le cadre du droit interaméricain si l’on se fie à la position de l’ancien Président A.A. Cançado Trindade sous l’arrêt Caballero, Delgado et Santana, à l’occasion de laquelle il dit que les obligations générales énoncées aux articles 1 et 2 de la Convention interaméricaine «are incumbent upon the State Parties by the application of international law itself, of a general principle (pacta sunt servanda) whose source is metajuridical, in seeking to be based, beyond the individual consent of each State, on considerations concerning the binding character of the duties derived from international treaties» (8). Même si la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas tenu un raisonnement aussi clair en la matière, on voit mal comment elle pourrait se départir de cette position logique. Partant de là, l’obli(5) C.C.P.R., observation générale n° 31 du 26 mai 2004, La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, §3. (6) Idem, §4. (7) Commission afr. dr. h., communications nos 147/95 & 149/96, 27ème session, 11 mai 2000, Sir Dawda K. Jawara c. Gambie, §46. (8) Opinion dissidente du juge A.A. Cançado Trindade, §8, sous l’arrêt Cour interaméricaine des droits de l’homme, arrêt du 29 janvier 1997, Caballero, Delgado et Santana (réparation), Série C, n° 31. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 431 gation générale de protection est donc une disposition qui vient rappeler aux Etats leur devoir d’exécuter leurs obligations conventionnelles de bonne foi et de rendre effectifs les droits de l’homme. Le sens premier accordé à cette disposition a souvent conduit à l’ignorer. Ce n’est que depuis l’apparition de la jurisprudence contentieuse de la Cour interaméricaine à la fin des années 80 et le développement croissant – tant sur le plan matériel que sur le plan quantitatif – de la jurisprudence européenne depuis le milieu des années 90 que l’on a commencé à prendre conscience de l’importance qu’elle pouvait revêtir (9). A travers, principalement, la jurisprudence de ces deux organes, on s’aperçoit que l’obligation générale de protection a produit des effets imprévus à deux niveaux différents. D’un côté, au stade de l’examen préliminaire d’une affaire par les juridictions, elle semble essentielle pour l’effectivité et le bon fonctionnement des systèmes de protection des droits de l’homme parce qu’elle permet de rattacher les griefs invoqués aux Etats Parties (I) et, de l’autre côté, au moment de l’examen au fond d’une affaire, elle tend souvent à enrichir considérablement le contenu substantiel des divers instruments internationaux qui la consacrent (II). I. – L’importance de l’obligation générale de protection pour le rattachement des griefs invoqués aux Etats Parties Les développements qui précèdent conduisent au constat que cette disposition n’est apparemment qu’une simple confirmation de la valeur accordée à chacune des garanties contenues dans les divers instruments susmentionnés par le régime général de la Convention de Vienne de 1969; elle ne semble, par conséquent, pas déterminante pour le bon fonctionnement des systèmes. (9) Au milieu des années 90, le juge européen a en effet commencé à s’intéresser à des questions de plus en plus complexes, telle la compétence rationae loci de la Cour (voy. en ce sens l’affaire Loizidou) ou les obligations positives liées aux dispositions relatives à l’intégrité physique (voy. dans ce sens l’arrêt Mc Cann), questions qui ont nécessité la prise en compte de l’article 1er de la Convention. De plus, avec l’adoption du Protocole n° 11, la juridiction de Strasbourg a considérablement augmenté le nombre d’arrêts rendus, y compris sur le champ de l’article 1er, et cela a contribué fortement à prendre conscience de la place de plus en plus importante qui est désormais conférée à cette disposition. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 432 Rev. trim. dr. h. (70/2007) Pourtant, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de sa consoeur américaine relative généralement aux exceptions préliminaires et aux questions de rattachement des griefs invoqués par les requérants aux Etats Parties aux différentes Conventions, de nombreux développements ont conduit à relativiser ce constat préalable. Au moins deux questions essentielles ont en effet été traitées sous l’angle des dispositions relatives à l’obligation générale de protection. Il s’agit, d’un côté, de l’établissement de la compétence rationae loci des organes internationaux (A) et, de l’autre, de l’attribution de la responsabilité d’une violation des droits de l’homme à l’Etat (B). A. – L’obligation générale de protection et l’établissement de la compétence rationae loci des organes internationaux de protection des droits de l’homme Lorsque l’on examine de plus près les dispositions relatives à l’obligation générale de protection, on s’aperçoit qu’elles fournissent des indications importantes quant à la compétence des organes de contrôle. On arrive, en effet, aisément à la conclusion que les droits garantis sont ceux, et uniquement ceux (10), figurant dans les textes concernés; que les personnes concernées sont les personnes privées (11) relevant de la «juridiction» d’un Etat Partie et se préten(10) Il s’agit là d’une affirmation qui ne concerne pas tous les organes de protection des droits de l’homme. Concernant en effet la compétence de la nouvelle future Cour africaine, l’article 3 du Protocole prévoyant sa création énonce que « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différents dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés ». De même, dans le cadre de sa compétence consultative, la Cour interaméricaine peut, en vertu de l’article 64 de la Convention interaméricaine, être consultée « [...] à propos de l’interprétation de la présente Convention ou tout autre traité concernant la protection des droits de l’homme dans les Etats Américains [...] ». De plus, au-delà de ces clauses leur attribuant une compétence expresse, les différents organes n’ont pas hésité à plusieurs reprises de se prononcer sur le respect d’un certain nombre d’obligations étatiques issues de textes extérieurs en recourant à une méthode que nous avons baptisée «combinaison normative». Voy. dans ce sens, I.K. Panoussis, La combinaison normative : recherches sur une méthode d’interprétation au service des droits de l’homme, thèse, dact., Lille II, 2006, spéc. pp. 413-539. (11) Le terme de «personne privée» inclut a priori aussi bien les personnes physiques que morales. Néanmoins, les solutions sont variées. La Convention interaméricaine semble par exemple exclure les personnes morales de son champ de compétence en faisant référence, en son article 1er, §2, aux seuls «êtres humains», alors que la Convention européenne fait référence à «toute personne», y compris les per→ this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 433 dant victime d’une violation imputable à ce dernier; enfin, pour certains d’entre eux (12), que l’espace géographique concerné est le territoire des Etats Parties. Ce dispositif est bien sûr complété par de nombreuses dispositions supplémentaires (13). Ces éléments plutôt clairs à la base ont cependant soulevé de nombreux problèmes. Le plus important d’entre eux concerne la notion de «juridiction» des Etats parties sur laquelle la jurisprudence européenne a fourni de précieuses indications. Devait-on avoir une vision territoriale de la «juridiction», un peu comme le Pacte international le laisse penser, ou des actes extraterritoriaux des Etats pouvaient-ils tomber sous le coup des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme? Plusieurs arrêts se sont succédés sur cette question. Parmi les plus significatifs, il y a eu l’arrêt Loïzidou c. Turquie (14) dans un premier temps, suivi dans le même sens de l’arrêt Chypre c. Turquie (15) qui ont posé la question de l’application de la Convention pour les actes commis par les autorités turques dans la partie nord de l’île de Chypre; ensuite, la décision de recevabilité Bankovic et autres c. Belgique et 16 autres Etats contractants (membres ← sonnes morales; la preuve en est du contentieux relativement abondant portant sur les partis politiques. Ce constat doit aujourd’hui être nuancé. Si par principe le système interaméricain réserve la capacité pour agir aux seules personnes physiques, la Cour de San José a néanmoins développé une jurisprudence qui commence à prendre en considération les droits des communautés. Une série d’arrêts récents de la Cour interaméricaine des droits de l’homme concerne désormais les droits des communautés indigènes; voy., par exemple, arrêt du 17 juin 2005, Comunidad indigena Yakye Axa, Série C, n° 125 et arrêt du 23 juin 2005, Yatama, Série C, n° 127. D’ailleurs dans le premier des deux arrêts, la réparation accordée par la Cour n’est même pas individualisée. Elle est adressée à la Communauté dans son ensemble (voy. §205). (12) Le plus souvent, les clauses relatives à l’obligation générale de protection font référence à «la juridiction» ou à «la compétence» des Etats. Néanmoins, l’article 2, §1er du Pacte précise en plus de cela que cette obligation concerne «[...[ tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence [...]». On verra cependant par la suite que cela n’empêche pas le Comité d’aller plus loin dans son interprétation et d’estimer qu’il ne s’agit pas là de deux conditions cumulatives. (13) Généralement, la question de la compétence (rationae personae, loci, temporis...) des organes de contrôle est envisagée de manière plus détaillée dans les dispositions relatives au fonctionnement des différents systèmes. Pour ne prendre qu’un seul exemple, c’est l’article 56 de la Convention européenne des droits de l’homme qui précise la compétence rationae loci de cet instrument de protection. Voy. sur ce point, S. Karagiannis, «Le territoire d’application de la Convention européenne des droits de l’homme : vatera et nova», Rev. trim. dr. h., 2005, n° 61, p. 86. (14) Cour eur. dr. h., arrêt du 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires). (15) Cour eur. dr. h., arrêt du 10 mai 2001, Chypre c. Turquie. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 434 Rev. trim. dr. h. (70/2007) de l’OTAN) (16) pour les actions menées par les Etats membres de cette organisation internationale sur le territoire de l’ex-Yougoslavie; enfin, plus récemment, l’arrêt Assanidzé c. Géorgie (17) à propos de la compétence de cet Etat en Adjarie, l’arrêt Ilascu et autres c. Moldova et Russie (18) pour les actes survenus en Transnistrie (territoire moldave sur lequel les forces russes exerçaient leur emprise), l’arrêt Issa et autres c. Turquie (19) à propos des intrusions de l’armée turque en Irak du nord ou encore la décision d’irrecevabilité de la requête de Saddam Hussein pour son arrestation par les américains et leurs alliés européens survenue en Irak (20). Dans les premiers arrêts impliquant la Turquie, la Cour de Strasbourg pose le cadre général. Elle affirme que, «si l’article 1 fixe des limites au domaine de la Convention, la notion de ‘juridiction’ au sens de cette disposition ne se circonscrit pas au territoire national des Hautes Parties contractantes» (21). A partir du moment où, suite à une action militaire – légale ou pas – un Etat exerce son contrôle sur une zone située en dehors de son territoire national, il peut voir sa responsabilité engagée. C’était, d’ailleurs, selon la Cour exactement le cas en l’espèce puisque, suite à l’invasion par l’armée turque de la partie nord de l’île de Chypre, on pouvait estimer que le contrôle de cette région s’exerçait directement par l’armée de cet Etat ou par le biais d’une administration locale subordonnée. Ce dernier point est même affiné dans son arrêt Chypre c. Turquie à l’occasion duquel elle précise que du moment où la Turquie exerçait un «contrôle global» sur la région, sa responsabilité ne pouvait se circonscrire uniquement aux actes commis par ses propres agents; il fallait prendre aussi en compte les actes commis par une administration survivant grâce à son soutien. En vertu de ces considérations, on comprend donc que ce qui compte, c’est que l’Etat Partie concerné exerce effectivement sa compétence sur le territoire en question (22). (16) Cour eur. dr. h., décision de recevabilité du 12 décembre 2001, Bankovic et autres c. Belgique et 16 autres Etats contractants. (17) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 avril 2004, Assanidzé c. Géorgie. (18) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 juillet 2004, Ilascu et autres c. Moldova et Russie. (19) Cour eur. dr. h., arrêt du 16 novembre 2004, Issa c. Turquie. (20) Cour eur. dr. h., décision de recevabilité du 14 mars 2006, Saddam Hussein c. Albanie et 20 autres Etats contractants. (21) Cour eur. dr. h., arrêt du 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), §62. (22) Voy. dans ce sens les commentaires de J.P. Cot dès le premier arrêt rendu sur les exceptions préliminaires et sur le fond. J.P. Cot, «La responsabilité de la Turquie et le respect de la Convention européenne dans la partie nord de Chypre», Rev. trim. dr. h, 1998, p. 102. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 435 La décision de recevabilité Bankovic et autres c. Belgique et 16 autres Etats contractants présente quant à elle un intérêt pédagogique certain. Les perspectives ouvertes par les arrêts concernant les interventions turques en Chypre du nord laissaient, en effet, la possibilité d’une interprétation plutôt extensive du terme «juridiction». Au grand regret de certains auteurs qui ont eu «le sentiment que cette décision Bankovic tend à nier le particularisme de la Convention européenne des droits de l’homme» (23), le juge européen, tout en se référant aux règles d’interprétation issues du droit international général (24), opte en l’espèce pour une vision moins audacieuse de la compétence rationae loci en affirmant que «l’article 1 de la Convention doit passer pour refléter cette conception ordinaire et essentiellement territoriale de la juridiction des Etats, les autres titres de juridiction étant exceptionnels et nécessitant chaque fois une justification spéciale, fonction des circonstances de l’espèce» (25). Dans un deuxième temps de son raisonnement la Cour identifie ces cas exceptionnels d’application de la Convention à des actes extraterritoriaux. Il s’agit, d’un côté, des actes accomplis sur le territoire d’un Etat partie et produisant leurs effets sur le territoire d’un Etat tiers (26) et, de l’autre, des actes accomplis à l’étranger mais sur des territoires se trouvant sous contrôle effectif d’un Etat partie à la Convention (27). (23) G. Cohen-Jonathan, «La territorialisation de la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme», Rev. trim. dr. h, 2002, n° 52, p. 1080. (24) Le juge européen s’inspire du droit international général pour rendre sa décision dans l’affaire Bankovic. Pour justifier son approche, il réitère un raisonnement désormais célèbre en affirmant que «de surcroît, l’article 31, §3, c) indique qu’il y a lieu de tenir compte de ‘toute règle pertinente du droit international applicable dans les relations entre les parties’. D’une manière plus générale, la Cour réaffirme que les principes qui sous-tendent la Convention ne peuvent s’interpréter et s’appliquer dans le vide. Elle doit aussi prendre en compte toute règle pertinente du droit international lorsqu’elle se prononce sur des différends concernant sa compétence et, par conséquent, déterminer la responsabilité des Etats conformément aux principes du droit international régissant la matière, tout en tenant compte du caractère particulier de la Convention, instrument de protection des droits de l’homme. Aussi la Convention doit-elle s’interpréter, dans toute la mesure du possible, en harmonie avec les autres principes du droit international, dont elle fait partie» (§57). (25) Cour eur. dr. h., décision Bankovic et autres, précitée, §61. (26) Il s’agit en l’occurrence de l’hypothèse envisagée dans l’affaire Soering du traitement contraire aux exigences de la Convention pouvant être subi par un individu dans l’Etat de destination suite à son éloignement ou extradition par un Etat Partie. (27) Il s’agit en l’occurrence du cas de figure envisagé dans les affaires turques relatives à la situation en Chypre du Nord. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 436 Rev. trim. dr. h. (70/2007) Cette décision est en quelque sorte un rappel à l’ordre. Malgré ses particularités, la Convention européenne n’en est pas moins un traité international de type classique. De ce fait, on ne peut modifier l’espace géographique d’application de la Convention par voie prétorienne au mépris de la volonté expressément exprimée des Etats Parties. D’ailleurs, cette décision n’est pas le fruit d’un faible nombre de juges « internationalistes » (28), mais bien une décision rendue à l’unanimité par la Grande Chambre de la Cour, ce qui signifie que même les juges les plus « libéraux » s’y sont ralliés. L’objectif d’une telle décision est clair, comme le constate M. Cohen-Jonathan. Loin de vouloir instaurer une compétence quasiment universelle de la Convention, la Cour opte pour une application régionale, tout en veillant à ce qu’il n’y ait pas – dans l’espace européen – de zones de non droit (comme en République turque de Chypre du Nord (RTCN)) (29). La Cour reconnaît, comme le fait aussi remarquer Mme Benoît-Rohmer, un « espace paneuropéen de protection des droits de l’homme » (30) ; parmi les implications de cette vision on trouve la volonté d’éviter les lacunes préjudiciables (31). Ce souci d’éviter les zones de non droit est brillamment illustré par les arrêts Assanidzé c. Géorgie et Ilascu et autres c. Moldova et Russie rendus par la Cour. Deux facettes sont ici envisagées. Il s’agit tout d’abord des zones de non droit pouvant exister à l’intérieur même d’un Etat. Dans l’arrêt Assanidzé le requérant se plaignait de la non-exécution d’un arrêt rendu par la Cour suprême de Géorgie en République autonome d’Adjarie (composante du territoire géorgien) ; or, il n’existait en l’espèce aucune justification à la non application de la Convention car il n’y avait ni mouvement sécessionniste qui pourrait de fait contribuer à renverser la présomption de compétence de la Géorgie (32), ni de clause fédérale dans la Convention européenne qui pourrait déga- (28) C’est une critique émise par une partie de la doctrine. Voy., G. Cohen-Jonathan, précité, p. 1079. (29) Idem, p. 1081. (30) F. Benoit-Rohmer, «Pour un espace juridique européen de protection des droits de l’homme», L’Europe des Libertés, n° 15, mars 2005, p. 5 (spéc. pp. 6 et s.). (31) Idem, pp. 8 et s. (32) Voy. dans ce sens, G. Cohen-Jonathan, «A propos des arrêts Assanidzé (8 avril 2004), Ilascu (8 juillet 2004) et Issa (16 novembre 2004) – Quelques observations sur les notions de ‘juridiction’ et d’‘injonction’», Rev. trim. dr. h., 2005, n° 64, pp. 773-774. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 437 ger ou relativiser la responsabilité d’un Etat Partie (33). Ainsi, en se fondant sur l’article 1er de la Convention, la Cour estime que la conception territoriale de la juridiction d’un Etat joue de la manière d’une présomption et qu’il faut apporter la preuve indiscutable d’une perte de contrôle sur un territoire donné pour que l’Etat concerné puisse être exempté de ses obligations conventionnelles. La deuxième facette envisagée est celle des zones de non droit existant hors du territoire d’un Etat partie, mais sur une zone où il exerce son contrôle global effectif, comme c’était le cas en RTCN. Or, dans l’arrêt Ilascu les choses sont un peu plus complexes car le territoire en question se trouve à l’intérieur d’un autre Etat Partie à la Convention. En l’espèce, les faits ayant justifié la saisine de la Cour se sont déroulés en République moldave de Transnistrie, territoire se trouvant en République de Moldova mais ayant autoproclamé son indépendance. La survie de cet «Etat sécessionniste» qui n’a été reconnu par aucun membre de la Communauté internationale a été assurée grâce au soutien militaire, économique, financier et politique de la Russie. La juridiction européenne en vient alors naturellement à s’interroger quel est l’Etat exerçant sa «juridiction» en l’occurrence? La Cour de Strasbourg opte pour une approche très audacieuse et riche d’enseignements en l’espèce. Tout en reprenant son raisonnement tenu dans l’arrêt Chypre c. Turquie relatif à la responsabilité de la Turquie en RTCN à raison de la théorie du «contrôle global», elle constate, dans un premier temps, que la Transnistrie «continue à se trouver sous l’autorité effective, ou tout au moins sous l’influence décisive de la Fédération de Russie» (34). Ainsi, c’est bien (33) Seule la Convention interaméricaine contient une telle clause en son article 28; en vertu de cette disposition «1. Le gouvernement central de tout Etat partie constitué en Etat fédéral se conformera à toutes les dispositions de la présente Convention concernant les matières qui relèvent de sa compétence dans le domaine législatif et dans le domaine judiciaire. 2. En ce qui concerne les prescriptions relatives aux matières qui sont du ressort des unités constitutives de la fédération, le gouvernement central prendra immédiatement les mesures pertinentes, conformément à sa Constitution et à ses lois, pour assurer que les autorités compétentes desdites unités adoptent les dispositions nécessaires à l’exécution de la présente Convention. 3. Lorsque deux ou plus de deux Etats parties conviennent à l’avenir de former une fédération ou toute autre espèce d’association, ils veilleront à ce que la charte fondamentale du nouvel Etat ainsi constitué comporte les dispositions nécessaires pour assurer, sans discontinuité, l’observation des normes prévues dans la présente Convention». (34) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 juillet 2004, Ilascu et autres c. Moldova et Russie, §392. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 438 Rev. trim. dr. h. (70/2007) de la «juridiction» de cette dernière que relève ce territoire. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que la Moldavie est complètement exonérée de ses obligations. La Cour dit que, «si un Etat contractant est empêché d’exercer son autorité sur l’ensemble de son territoire par une situation de fait contraignante, comme la mise en place d’un régime séparatiste accompagnée ou non par l’occupation militaire d’un autre Etat, l’Etat ne cesse pas pour autant d’exercer sa juridiction au sens de l’article 1 de la Convention sur la partie du territoire momentanément soumise à une autorité locale soutenue par les forces de rébellion ou par un autre Etat. Une telle situation factuelle a néanmoins pour effet de réduire la portée de cette juridiction, en ce sens que l’engagement souscrit par l’Etat contractant en vertu de l’article 1er doit être examiné par la Cour uniquement à la lumière des obligations positives de l’Etat à l’égard des personnes qui se trouvent sur son territoire...» (35). L’Etat concerné doit par conséquent prendre les mesures nécessaires afin d’essayer d’empêcher les violations des droits de l’homme sur les territoires en question. Il ne s’agit bien évidemment pas, en l’occurrence, d’une obligation de résultat consistant à empêcher les violations; il s’agit d’une obligation de moyen : avoir un comportement qui tend à protéger les personnes relevant de sa juridiction même s’il n’y arrive pas (36). Autant ce raisonnement peut être bienvenu quant aux obligations positives susmentionnées, autant on reste interloqué sur le rattachement des personnes concernées à la fois à la juridiction russe et à la juridiction moldave. Si la Russie exerce un contrôle global sur cette partie du territoire, comment peut-on encore estimer que la République de Moldova conserve une partie de sa juridiction sur ce même territoire (37)? Les développements de la Cour peuvent laisser penser en l’existence d’une certaine gradation quant au contrôle exercé par une autorité étrangère. Autant en RTCN on pourrait parler d’un contrôle global excluant de facto une quelconque influence d’un pays autre que la Turquie, autant dans la situation de la République moldave de Transnistrie, le degré du contrôle exercé par la Russie ne pouvait apparemment exclure une certaine marge de manœuvre des autorités de la République de Moldova. Cependant, un tel raisonnement, s’il n’est pas clairement encadré, (35) Idem, §333. (36) En l’occurrence, on reproche à la République de Moldova de ne pas avoir usé de tous les moyens diplomatiques pour essayer de mettre fin à la situation subie par les victimes. (37) Voy. sur ce point les propos très critique de O. De Frouville, «Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», J.D.I., 2005, n° 2, spéc. p. 475. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 439 semble dangereux; cela reviendrait à tenir toujours pour responsable un Etat des actes commis sur une parcelle de son territoire qu’il ne contrôle pas et sur lequel il n’a donc pas la possibilité de garantir les droits de la Convention (38). Ces diverses facettes de la «juridiction» d’un Etat semblent, selon M. Cohen-Jonathan, être complétées par une dernière. Il s’agit du cas de figure où un acte extraterritorial est rattaché à la juridiction d’un Etat partie à raison du comportement de ses services publics à l’étranger. Ce cas de figure, totalement compatible avec les règles du droit international en la matière (39), a été envisagé dernièrement dans l’affaire Issa et autres c. Turquie. Les requérants se plaignaient des agissements de l’armée turque en Irak du nord. A la différence des affaires Loizidou et Chypre c. Turquie, les autorités turques n’ont cependant pas occupé effectivement ces territoires. En l’espèce, la Cour répond à la question relative à la juridiction par une formule très révélatrice de son souci d’effectivité des droits de l’homme. Elle affirme que «[...] l’article 1er de la Convention ne peut être compris comme autorisant un Etat partie à perpétrer sur le territoire d’un autre Etat des violations de la Convention qu’il ne pourrait commettre sur son propre territoire» (40). Une nouvelle piste d’application de la Convention à des actes extraterritoriaux est donc envisagée. Cependant, lorsqu’il s’agit d’agissements imputables aux services publics d’un Etat partie, les conditions de preuves sont très strictes; en l’espèce la Cour estime que la preuve apportée n’était pas suffisante. Cet arrêt peut a priori paraître être en contradiction avec la décision Bankovic et l’arrêt Ilascu. C’est la cohérence même de la jurisprudence européenne qui pourrait en pâtir (41). A moins de reconnaître une nouvelle exception à la «compétence essentiellement territoriale» dégagée précédemment, la Cour devrait faire preuve de vigilance dans l’avenir car la généralité des propos tenus dans l’arrêt Issa serait de nature à engager systématiquement la responsabilité des Etats pour les actes commis par leurs services à l’étranger (même en l’absence de contrôle effectif (38) C’est le fondement même des objections formulées par les juges Loucaïdes et Bratza dans leurs opinions dissidentes sous l’arrêt Ilascu. (39) Le projet d’articles de la Commission du droit international portant sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite reprend clairement l’idée d’une attribution d’un fait illicite à l’Etat à raison du comportement de ses services publics. (40) Cour eur. dr. h., arrêt du 16 novembre 2004, Issa c. Turquie, §20. (41) C’est une crainte exprimée, par exemple, par certains auteurs. Voy., F. Benoit-Rohmer, précitée, p. 11. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 440 Rev. trim. dr. h. (70/2007) global) : la compétence serait alors dans ce cas concurremment territoriale et personnelle (42). Même si la jurisprudence contentieuse des autres organes est quasiinexistante en la matière, on dispose cependant de quelques indices qui permettent de conclure à une approche similaire. C’est la position du Comité des droits de l’homme qui est la plus révélatrice en l’espèce. Ce dernier affirme, en effet, dans son observation générale n° 31 que l’obligation énoncée à l’article 2, §1er du Pacte de garantir les droits qui y sont consacrés à tous les individus se trouvant sur le territoire des Etats Parties et à tous ceux relevant de leur compétence «[...] signifie qu’un Etat partie doit respecter et garantir à quiconque se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus dans le Pacte même s’il ne se trouve pas sur son territoire» (43). En se référant d’ailleurs à l’Observation générale n° 15, le Comité des droits de l’homme va encore plus loin en affinant son raisonnement. Il poursuit en effet en précisant que «la jouissance des droits reconnus dans le Pacte, loin d’être limitée aux citoyens des États parties, doit être accordée aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou même s’ils sont apatrides, par exemple demandeurs d’asile, réfugiés, travailleurs migrants et autres personnes qui se trouveraient sur le territoire de l’État partie ou relèveraient de sa compétence. Ce principe s’applique aussi à quiconque se trouve sous le pouvoir ou le contrôle effectif des forces d’un État partie opérant en dehors de son territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi, telles que les forces constituant un contingent national affecté à des opérations internationales de maintien ou de renforcement de la paix» (44). La proximité donc avec les propos du juge européen est indéniable. Ce sont bien les mêmes critères qui vont servir de référence pour établir la compétence rationae loci des deux organes concernés. (42) Il s’agit là d’une question qui risque de préoccuper la Grande Chambre de la Cour dans le cadre des affaires Behrami c. France et Saramati c. France, Norvège et Allemagne actuellement en délibéré devant elle. Ces affaires ressemblent largement, sur le plan factuel, à l’affaire Bankovic. A ce titre, elles devraient soulever la question du maintien de la position tenue par le juge lors de l’examen de la recevabilité de cette dernière ou, au contraire, de l’élargissement de son point de vue pour y intégrer le raisonnement tenu dans l’arrêt Issa. (43) C.C.P.R., observation générale n° 31 du 26 mai 2004, La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, §10. (44) Idem. Comme le souligne le Professeur Weckel dans sa «chronique de jurisprudence internationale», il s’agit en l’occurrence d’une position que la Cour internationale de Justice a fait sienne lors de son dernier avis consultatif (Voy. R.G.D.I.P., 2004, p. 1038). this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 441 Les clauses relatives à l’obligation générale de protection sont, au vu de ces quelques exemples, indispensables pour délimiter l’espace géographique sur lequel s’appliquent les divers instruments internationaux de protection des droits de l’homme. Néanmoins, une fois cette compétence (principalement) ratione loci établie, une des premières questions à laquelle doivent faire face les organes internationaux de protection des droits de l’homme est celle de savoir si les allégations invoquées par les requérants sont imputables ou si elles peuvent être attribuées à l’Etat Partie concerné. La jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme s’est longuement penchée sur cette question essentielle et il s’avère à la lecture d’un certain nombre d’arrêts que l’article 1er de la Cout interaméricaine relative aux droits de l’homme joue un rôle essentiel à ce propos. D’ailleurs, l’attitude adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Ilascu semble confirmer cette tendance. B. – L’obligation générale de protection et l’établissement de la responsabilité internationale des Etats Parties Plutôt envisagée comme une question de recevabilité d’une requête que de compétence, la question de l’imputation ou de l’attribution d’un acte internationalement illicite à l’Etat est essentielle. Les mécanismes de contrôle mis en place par les divers instruments de protection n’admettent en effet que la recevabilité des requêtes dirigées contre un Etat Partie; aucune requête ne peut être dirigée contre un individu. Cela est clairement énoncé par la Cour interaméricaine dans son avis n° 14 à l’occasion duquel elle tient à préciser qu’elle est à distinguer des tribunaux pénaux internationaux, seuls compétents pour examiner les questions de responsabilité pénale internationale des individus; s’agissant de la violation des droits de l’homme garantis par la Convention interaméricaine, seule est envisagée la responsabilité internationale des Etats et non celle des individus ayant adopté ou exécuté des lois contraires à la Convention (45). Il est donc plus qu’évident qu’une requête qui ne respecterait pas ce principe serait manifestement mal fondée. (45) Cour interam. dr. h., avis consultatif du 9 décembre 1994, International responsability for the promulgation and enforcement of laws in violation of the Convention (articles 1 and 2 of the American Convention on Human Rights, Série A, n° 14, §§5157. Voy. spécialement §56 où la Cour dit que «as far as concerns the human rights protected by the Convention, the jurisdiction of the organs established thereunder refer exclusively to the international responsibility of states and not to that → this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 442 Rev. trim. dr. h. (70/2007) Au regard de ce qui précède, on s’aperçoit que le destinataire des obligations énoncées dans les différents textes est l’Etat. Or, existet-il réellement un lien entre ce principe et les clauses relatives à l’obligation générale de protection? Les articles concernés fournissent un premier indice positif puisque l’obligation générale de protection dont il est question est adressée aux Hautes Parties contractantes ou aux Etats parties contractantes. C’est cependant la jurisprudence contentieuse de la Cour de San José qui en apporte la preuve incontestable. Dès son premier arrêt au fond, le juge américain affirme que «article 1 (1) is essential in determining whether a violation of the human rights recognized by the Convention can be imputed to a State Party. In effect, that article charges the States Parties with the fundamental duty to respect and guarantee the rights recognized in the Convention. Any impairment of those rights which can be attributed under the rules of international law to the action or omission of any public authority constitutes an act imputable to the State, which assumes responsibility in the terms provided by the Convention» (46). Tout exercice de la puissance publique émanant de ses services ou agents qui violerait la Convention est de ce fait imputable à l’Etat et engage sa responsabilité. Cela est d’ailleurs tout à fait en phase avec le droit international général en la matière et est repris dans le projet d’articles de la Commission du droit international. Ce qui semble un peu plus problématique et qui révèle la spécificité des droits de l’homme, c’est le fait que l’obligation générale de protection ne se limite pas à servir de fondement pour l’imputation à l’Etat de ses agissements illicites. L’Etat peut aussi être tenu pour responsable pour son inaction, pour sa négligence, pour ne pas avoir rempli son obligation de prévention, de diligence. A travers cette obligation il est possible d’attribuer à l’Etat la responsabilité des actes qui n’émanent pas forcément d’une autorité publique, mais d’une simple personne privée ou d’une personne non-identifiée. La jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme a été là aussi, dès l’origine, particulièrement claire à ce propos. Dans le même arrêt Velasquez Rodriguez, elle dit, en se fondant sur l’article 1er de la Convention, que «an illegal act wich violates human rights and wich is initially not directly imputable to a State (for ← of individuals. Any human rights violations committed by agents or officials of a state are, as the Court has already stated, the responsibility of that state [...]». (46) Cour interam. dr. h., arrêt du 29 juillet 1988, Velasquez Rodriguez (fond), Série C, n° 4, §164. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 443 example, because it is the act of a private person, or because the person responsible has not been identified) can lead to international responsibility of the State, not because of the act itself, but because of the lack of due diligence to prevent the violation or to respond to it as required by the Convention» (47); cela est d’ailleurs transposable dans les diverses affaires de disparitions forcées à l’occasion desquelles on n’a pas pu identifier les responsables et pour lesquelles la Cour a conclu à la violation de la disposition qui était en question sur la base de sa combinaison avec l’obligation générale de protection (48). Mais, comment est-ce que cela est possible? En effet, l’établissement d’une telle responsabilité est possible parce que, dans ces cas, ce qui est déterminant «is whether a violation of rights recognized by the Convention has occurred with the support or the acquiescence of the government, or whether the State has allowed the act to take place without taking measures to prevent it or to punish those responsible» (49). A la lecture de ceci on s’aperçoit donc que la responsabilité de l’Etat est engagée du simple fait qu’il n’ait pas su garantir les intérêts des personnes lésées en se conformant aux obligations qui pèsent sur lui en vertu de l’obligation générale de protection des droits de l’homme énoncée dans les premiers articles des différents instruments de protection. On instaure ainsi une sorte de «violation passive» de ces Conventions. Ce raisonnement a été réitéré, clarifié et renforcé par la Cour de San José à de nombreuses reprises. Lors de son avis consultatif n°18, elle en est même arrivée à affirmer que, «in an employment relationship regulated by private law, the obligation to respect human rights between individuals should be taken into consideration. That is, the positive obligation of the State to ensure the effectiveness of the protected human rights gives rise to effects in relation to third parties (erga omnes). This obligation has been developed in legal writings, and particularly by the Drittwirkung theory, according to which fundamental rights must be respected (47) Idem, §172 in fine. (48) Pour une analyse complète de cette question, voy., J. Benzimra-Hazan, «Disparitions forcées de personnes et protection du droit à l’intégrité; la méthodologie de la Cour interaméricaine des droits de l’homme», Rev. trim. dr. h., 2001, n° 47, p. 765. Ce raisonnement, comme l’a d’ailleurs remarqué cet auteur est desormais applicable aussi en droit européen, la Cour européenne ayant procédé à un certain mimétisme en la matière. Voy., J. Benzimra-Hazan, «En marge de l’arrêt Timurtas contre la Turquie : vers l’homogénéisation des approches du phénomène des disparitions forcées des personnes», Rev. trim. dr. h., 2001, n° 48, p. 983. (49) Arrêt Velasquez Rodriguez précité, §173. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 444 Rev. trim. dr. h. (70/2007) by both the public authorities and by individuals with regard to other individuals» (50). C’est donc en se fondant sur la théorie des obligations positives que la Cour interaméricaine élargit le rôle joué par l’obligation générale de protection dans l’attribution d’un acte illicite à l’Etat. Cette théorie n’est pas inconnue au système européen (51). Néanmoins, le lien existant entre ces obligations positives et l’obligation générale de protection est moins évident. Le plus souvent cette théorie a révélé en droit européen son importance lors de l’examen au fond d’une affaire; jusqu’en 2004, il était quasi-impossible de déceler son influence sur l’attribution de la responsabilité d’une violation des droits à l’Etat. L’arrêt Ilascu et autres c. Moldova et Russie semble cependant modifier cet état de fait (52). Pour la première fois, la théorie des obligations positives est utilisée pour établir «la juridiction» de l’Etat. Cela a provoqué de fortes critiques de la part d’un certain nombre de juges, dont M. Loucaïdes qui trouve ce raisonnement absurde. Rappelons en effet que, dans cette affaire, il était, entre autres, question de savoir si la République de Moldova pouvait être tenue pour responsable pour les actes commis en République moldave de Transnistrie, région sécessionniste, survivant grâce au soutien de la Fédération de Russie. La Cour a conclu sur cette question que la sécession et le contrôle exercé par la Fédération de Russie n’étaient pas de nature à exclure la «juridiction» de la Moldavie; c’était simplement de nature à réduire ses obligations aux seules obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 1er de la Convention. Est-ce là un raisonnement absurde? On ne saurait souscrire à une telle position. En effet, le malaise ressenti par un certain nombre de juges est plus fondé sur la confusion instaurée par la Cour entre la question de la compétence rationae loci et celle de l’attribution d’une violation à (50) Cour interam. dr. h., avis consultatif du 17 septembre 2003, Juridical Condition and Rights of the Undocumented Migrants, série A, n° 18, §140. (51) Voy., par exemple, F. Sudre, «Les ‘obligations positives’ dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme», in Protection des droits de l’homme : la perspective européenne. Mélanges en l’honneur de Rolv Ryssdall, Köln : Karl Heymanns Verlag KG, 2000, p. 1359 ou encore P. Van Dijk, «‘Positive obligations’ implied in the European Convention on Human Rights : Are the States still the ‘masters’ of the Convention?», in The Role of Nation-State in the 21st Century – Human Rights, International Organisations and Foreign Policy, Essays in Honour of Peter Baehr, The Hague/Boston/London, Kluwer law International, 1998, p. 17. (52) Cela est particulièrement mis en valeur par une partie de la doctrine. Voy., dans ce sens, I. Petculescu, «La contribution du droit international de la responsabilité à la protection des droits de l’homme – L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 8 juillet 2004, dans l’affaire Ilascu et autres c. la République de Moldova et la fédération de Russie», R.G.D.I.P., 2005, n° 3, p. 581. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 445 l’Etat. Ce qui semble contestable en l’espèce, c’est la question de savoir comment on peut affirmer qu’un Etat continue à exercer sa juridiction sur un territoire où il n’exerce plus son contrôle effectif. Or, il s’agit là d’une question de fait et pas de droit. Une question qui aurait dû d’ailleurs être réglée séparément de cette question des obligations positives. Le juge Ress proposait une approche assez convaincante qui n’a malheureusement pas été retenue par la Cour. Elle consistait à distinguer l’insurrection de l’occupation effective, la première n’affectant pas l’exercice de la juridiction de l’Etat. En revanche, elle modifie le contenu des obligations étatiques en les allégeant : les Etats ne sont en effet tenus qu’au seul respect de leurs obligations positives. Comme le signale, M. Weckel cela n’a rien d’illogique. Au contraire, c’est une solution tout à fait logique qui transpose la position tenue par le juge interaméricain à propos des personnes privées au cas de l’insurrection. Nous pensons, à l’instar de cet auteur, que cette position de la Cour européenne «favorise l’unification et la simplification du régime de responsabilité. Le fait des insurgés est en effet traité d’une manière comparable au fait des personnes privées, c’est-à-dire sur la base des obligations de due diligence» (53). Ce qui est reproché à l’Etat n’est pas son impossibilité de protéger les droits de l’homme sur une partie de son territoire en raison des agissements d’une autorité séparatiste. Ce qui lui est reproché c’est sa passivité; c’est le fait de ne pas faire tout ce qui est dans son pouvoir pour prévenir, voire empêcher, les violations des droits de ses ressortissants. Il s’agit donc là d’une position qui ne peut être que la bienvenue (54). Tous ces développements démontrent que les dispositions relatives à l’obligation générale de protection sont essentielles pour le bon fonctionnement des systèmes mis en place par les différents textes. C’est en effet en grande partie grâce à cette disposition préalable qu’un grief adressé à un Etat Partie pourra être considéré comme recevable devant les organes de contrôle. Mais, au-delà de l’influence exercée par ces clauses au stade préliminaire de la compétence et de la recevabilité d’une requête, on doit aussi se demander si l’obligation générale de protection est dotée d’un contenu lui permettant aussi d’influer lors du constat de violation au fond d’une affaire. A travers cette interrogation il s’agit en effet d’examiner si, au-delà de son contenu formel, cette clause possède aussi un contenu substantiel instaurant des obligations supplémentaires à la charge des Etats. (53) P. Weckel, «Chronique de jurisprudence internationale», R.G.D.I.P., 2004, pp. 1040-1041. (54) O. De Frouville, précité, p. 475. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 446 Rev. trim. dr. h. (70/2007) II. – La contribution de l’obligation générale de protection à l’enrichissement substantiel des instruments de protection des droits de l’homme Les propos relatifs à l’attribution de la responsabilité aux Etats des actes commis par des personnes privées ou des personnes non identifiées sont déjà révélateurs du lien qui unit l’obligation générale de protection à la théorie des obligations positives. Mais cette théorie, au-delà de cet aspect premier, constitue aussi un fondement essentiel pour le renforcement des obligations auxquelles sont tenus les Etats lorsqu’ils ratifient les divers instruments de protection des droits de l’homme. Il est en effet intéressant de constater que le caractère objectif des droits qui y sont contenus n’appelle pas simplement une obligation de ne pas avoir une attitude contraire aux obligations consenties (55). Les obligations faites par ces traités doivent trouver un impact en droit interne; les Etats doivent faire tout ce qui est dans leur pouvoir pour donner effet aux droits garantis par les textes. Le professeur Sudre, en se fondant sur une série d’arrêts rendus par la Cour européenne dans les années 90, constate que le contenu de cette obligation emporte l’obligation d’«adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits que l’individu tient de la Convention» (56). Partant de ce constat, on s’aperçoit que les Etats ont à la fois une obligation négative qui consiste à s’abstenir de violer les droits de l’homme et une obligation positive qui consiste à mettre en œuvre toutes les conditions nécessaires à l’exercice des droits. Cette double nature des obligations étatiques est très claire au regard du droit interaméricain. Selon le juge de San José elle est même directement issue de l’obligation générale de protection qui précise d’un côté que les Etats Parties s’engagent à respecter les droits et libertés – ce qui fait référence à la jouissance des droits – et de l’autre à en garantir le libre et plein exercice. Concernant la première obligation, pour que le respect des droits soit effectif, l’Etat a l’obligation de s’autolimiter. La Cour indique à ce propos que «the exercise of public autho(55) Il est en effet intéressant de noter que la formulation employée dans l’article 27 de la Convention de Vienne de 1969 est négative. Il y est précisé qu’«une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant de la non-exécution d’un traité». (56) F. Sudre, précité, p. 1359. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 447 rity has certain limits which derive from the fact that human rights are inherent attributes of human dignity and are, therefore, superior to the power of the state» (57). D’ailleurs, elle tient à rappeler à ce propos que, surtout en ce qui concerne les droits civils et politiques, les Etats n’ont pas le droit d’intervenir ou du moins ils ne peuvent le faire que de façon très limitée (58). Quant à la deuxième obligation – positive –, la Cour dégage le devoir pour l’Etat d’organiser les pouvoirs publics de façon à ce que les individus puissent juridiquement se prévaloir de leurs droits de façon pleine et entière. Celui-ci correspondra plus particulièrement aux obligations de prévention, d’enquête et de punition de toute violation éventuelle d’un de ces droits, ainsi qu’à l’obligation de rétablir l’individu lésé et de l’indemniser. La Cour finit son raisonnement en indiquant que cette deuxième catégorie d’obligations nécessite un comportement actif de la part de l’Etat (59). Autant l’obligation négative de garantir la jouissance des droits ne modifie en rien le contenu substantiel des différents textes, autant cette obligation positive emporte des conséquences à la fois en amont, par le biais de la prévention (A), et en aval d’une violation des droits, par le biais de la répression (B). A. – L’obligation générale de protection et l’obligation positive de prévention des violations des droits de l’homme La nature de cette obligation de prévention est telle qu’il faut la manier avec beaucoup de prudence. Une acception large de cette obligation conduirait à la responsabilité de l’Etat pour «risque» de violation des droits de l’homme. Or, il ne faut pas oublier qu’une des conditions de recevabilité des requêtes individuelles devant les organes internationaux de protection des droits de l’homme réside dans la qualité de victime. Les victimes potentielles peuvent-elles bénéficier d’une protection devant les instances internationales concernées (60)? Ceci est en effet un faux problème; il faut par con- (57) Arrêt Velasquez Rodriguez, précité, §165. (58) Cour interam. dr. h., avis consultatif du 9 mai 1986, The Word ‘Laws’ in article 30 of the American Convention on Human Rights, Série A, n° 6, §21. (59) Arrêt Velasquez Rodriguez, précité, §§166-167. (60) Selon H. Tigroudja, le terme «victime potentielle», «virtuelle» ou «éventuelle» est impropre. Il reviendrait à ignorer les obligations positives de l’Etat. Voy., dans ce sens, H. Tigroudja, Contributions à l’étude du statut de la victime en droit international des droits de l’homme, thèse, dact., Lille II, 2001, pp. 32-40. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 448 Rev. trim. dr. h. (70/2007) séquent relativiser les difficultés qui en découlent. Comme le souligne le professeur Hélène Tigroudja, en se référant à une terminologie propre à la Cour européenne des droits de l’homme, «la victime dite potentielle est en réalité victime actuelle de la violation d’une obligation positive de l’Etat» (61). Cette obligation positive, c’est bien l’obligation de prévention qui pèse à sa charge. Le préjudice subi par la victime est objectif; en l’absence d’aménagement des droits garantis par les différents textes, le droit concerné par la requête ne saurait être exercé. Ainsi, comme le souligne Frédéric Sudre, «la Convention ne s’arrête pas à une approche défensive des droits de l’homme» (62). C’est grâce à cette affirmation par exemple qu’ont pu être prises en considération plusieurs requêtes relatives à la criminalisation de l’homosexualité dans certains pays européens ou encore les requêtes relatives à l’extradition d’un individu vers un pays où il risque la peine de mort... La preuve d’un préjudice physique avéré n’étant heureusement pas nécessaire dans ces cas de figure. En quoi consiste alors exactement cette obligation positive de prévention? En effet, les Etats doivent s’assurer, à ce titre, que leur législation interne est en conformité avec la Convention et à la suite de ceci que les pouvoirs publics (police, justice, armée...) ont un comportement garantissant l’effectivité des dispositions substantielles des différents textes. Cela est particulièrement clair en droit « onusien », interaméricain ou africain. L’article 1er de la Charte africaine énonce, par exemple, l’obligation d’« adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer». De même le dispositif mis en place par le Pacte est complété par une obligation de « prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur » (63). Enfin, l’article 2 de la Convention américaine dispose que, « si l’exercice des droits et libertés visés à l’article 1 n’est pas déjà garanti par des dispositions législatives ou autres, les Etats parties s’engagent à adopter en accord avec leurs prescriptions constitutionnelles et les dispositions de la présente Convention les mesures légis- (61) Idem, p. 39. (62) F. Sudre, précité, p. 1360. (63) Voy. article 2, §2 du Pacte international relatif aux droits civils et pratiques. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 449 latives ou autres nécessaires pour donner effet auxdits droits et libertés » (64). Encore une fois, on ne peut que constater que le droit européen se fait remarquer par son absence en la matière, aucune mention expresse n’étant faite à cette obligation positive d’adapter son droit interne et le comportement de ses agents et services aux exigences conventionnelles. Cette lacune a heureusement été complétée par la voie prétorienne. Le juge de Strasbourg a en effet, depuis longtemps, développé une jurisprudence qui semble en phase avec les dispositions des autres textes de protection des droits de l’homme. En se fondant sur la théorie des obligations positives, il tient un raisonnement analogue, en affirmant, comme on a déjà pu le signaler, que les Etats ont l’obligation d’«adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits que l’individu tient de la Convention». Néanmoins, deux questions restent entières : cette obligation est-elle issue de l’article 1er de la Convention? Et en quoi consistent ces mesures raisonnables et adéquates? S’agissant tout d’abord de la première question, pendant longtemps les propos du juge européen ont été de nature à prêter à confusion. Cela néanmoins est logique puisque la théorie des obligations positives s’est construite, comme l’indique le professeur Sudre, grâce à une interprétation dynamique de la Convention qui s’appuyait sur deux procédés : celui de la transformation d’une formulation négative d’un droit en une obligation positive (65) et celui de l’«inhérence» (66). Ces deux procédés ne nécessitaient nullement un renvoi à l’article 1er de la Convention. Ce fondement était probablement complémentaire (67). (64) Comme le fait remarquer le juge Cançado Trindade dans son opinion dissidente dans l’arrêt de réparation Caballero Delgado et Santana, série C, n° 31, les articles 1 et 2 de la Convention interaméricaine sont dépendants l’un de l’autre, puisqu’ils sont complémentaires : lorsqu’en vertu de l’article 1er, on estime que la législation interne est insatisfaisante au regard de la Convention, il est nécessaire de la changer en vertu de l’article 2. Voy., dans le même sens, A.A. Cancado Trindade, «The inter-american court of human rights at a crossroads : Current challenges and its emerging case-law on the eve of the new century», in Protection des droits de l’homme : la perspective européenne – Mélanges en l’honneur de Rolv Ryssdall, Köln, Karl Heymanns Verlag KG, 2000, spec. pp. 179 et s. (65) F. Sudre, précité, p. 1362. (66) Idem, pp. 1362-1363. (67) Idem, p. 1363. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 450 Rev. trim. dr. h. (70/2007) Ceci dit, depuis quelques années de nombreux arrêts de la Cour démontrent une véritable volonté d’uniformisation de cette théorie en s’appuyant sur l’obligation générale de protection. La Cour afin de justifier son raisonnement relatif aux obligations positives commence à généraliser les renvois à l’article 1er de la Convention. C’est ainsi, par exemple, que dans l’affaire Siliadin elle énonce sans équivoque «qu’il a déjà été établi que, concernant certaines dispositions de la Convention, le fait que l’Etat s’abstienne de porter atteinte aux droits garantis ne suffit pas pour conclure qu’il s’est conformé aux engagements découlant de l’article 1 de la Convention» (68). De même, dans son arrêt Sorensen et Rasmussen elle renvoie encore une fois à l’article 1er en affirmant qu’«il convient également d’observer qu’aux termes de l’article 1 de la Convention chaque Etat contractant ‘reconna[ît] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la [...] Convention’. Cette obligation générale peut impliquer des obligations positives inhérentes à la garantie de l’exercice effectif des droits consacrés par la Convention» (69). Une telle affirmation n’est bien évidemment pas, comme on peut le constater, de nature à remettre en cause la théorie de l’inhérence; elle tend plutôt à la renforcer en lui fournissant une véritable base légale. Si cette tendance confirme le rapprochement avec les autres instruments de protection des droits de l’homme, il reste encore à démontrer que le contenu des obligations qui en découlent est lui aussi analogue. De nombreux arrêts énoncent que l’absence de législation suffisante ou contraignante est de nature à violer le devoir de prévention qui pèse à la charge de l’Etat. La mise en place d’un cadre normatif contraignant est selon la Cour le premier moyen pour lutter contre les risques de violation de la Convention. Il est intéressant de noter que ce raisonnement concerne quasiment tous les droits de la Convention. On le retrouve dans l’arrêt Siliadin c. France à propos de la législation sur l’esclavage moderne (70); c’est la même logique que l’on retrouve dans l’arrêt Sorensen et Rasmussen c. Danemark à propos de la liberté syndicale négative (71) ou encore dans l’arrêt Broniowski c. Pologne à propos du droit à la propriété (68) Cour (69) Cour §57. (70) Cour (71) Cour eur. dr. h., arrêt du 26 juillet 2005, Siliadin c. France, §77. eur. dr. h., arrêt du 11 janvier 2006, Sorensen et Rasmusen c. Danemark, eur. dr. h., arrêt Siliadin précité, spéc. §89. eur. dr. h., arrêt Sorensen et Rasmusen précité, §§57-77. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 451 privée (72); enfin, la Cour tient un raisonnement équivalent au titre de la protection de l’intégrité physique (viol) au regard des articles 3 et 8 de la Convention dans son arrêt M.C. c. Bulgarie (73). Ainsi, il est clair au regard de ces quelques illustrations que l’obligation première de l’Etat afin de prévenir les violations de la Convention est d’adapter sa législation interne aux exigences de cette dernière. Ceci étant dit, il est intéressant de remarquer que dans l’arrêt Ilascu la Cour de Strasbourg va beaucoup plus loin à propos des obligations incombant aux Etats au titre de leur devoir de prévention. La Cour, en essayant d’expliquer le contenu des obligations positives pesant à la charge de la République de Moldova vis-à-vis des personnes relevant de sa juridiction mais se trouvant sur le territoire de la RM de Transnistrie, précise que «l’Etat en question se doit, avec tous les moyens légaux et diplomatiques dont il dispose [...] d’essayer de continuer à garantir la jouissance des droits et libertés de la Convention». Or, cette formule est tellement large que cela conduit la Cour à étendre son contrôle sur des mesures auxquelles on attribue traditionnellement une forme d’immunité juridictionnelle – exprimée notamment par la notion d’acte de gouvernement (74). C’est ainsi qu’elle se permet de constater un manquement de la République de Moldova à ses obligations parce que, à partir de 2001, elle n’a plus essayé d’obtenir un accord garantissant aux requérants les droits de la Convention ou encore parce que plus aucun projet de règlement global de la situation en Transnistrie ne traitait de leur sort ou enfin parce qu’elle n’a pas pris en considération cette question lors de ses relations bilatérales avec la Fédération de Russie (75). Il s’agit en l’espèce d’une interprétation particulièrement large de ce que l’on doit entendre comme mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits que l’individu tient de la Convention. Néanmoins, lorsque l’on se penche sur les textes africain, «onusien» ou interaméricain, on s’aperçoit qu’aucun d’entre eux ne limite les obligations étatiques aux seuls aménagements de son droit interne. D’autres mesures sont visées qui font certainement référence au comportement des autorités nationales. Il s’agit donc là d’un contrôle plutôt bienvenu. Cependant, lorsque ce contrôle touche à des (72) Cour eur. dr. h., arrêt du 22 juin 2004, Broniowski c. Pologne, §§143 et s. (73) Cour eur. dr. h., arrêt du 4 décembre 2003, M. C. c. Bulgarie, §§148 et s. (74) O. De Frouville, précité, p. 476. (75) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 juillet 2004, Ilascu et autres c. Moldova et Russie, §§348-349. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 452 Rev. trim. dr. h. (70/2007) questions de politique nationale, n’est-il pas normal de laisser à l’Etat une certaine marge d’appréciation? Ne faudrait-il pas imposer des critères objectifs pour le contrôle du juge? Nous rejoignons sur ce point la position d’Olivier de Frouville qui préconise d’appliquer les critères classiques de justification des atteintes que sont la légalité et la nécessité dans une société démocratique pour atteindre un but légitime (76). A cela, il faudrait même ajouter le contrôle de proportionnalité qui est omniprésent dans le cadre du contrôle des obligations positives de l’Etat (77). Au regard de ces développements, on s’aperçoit aisément que la combinaison de l’obligation générale de protection avec les autres droits de la Convention sert à renforcer leur régime juridique. Elle instaure une obligation de comportement, d’action positive de la part de l’Etat pour minimiser, voire éradiquer, le risque de violation des droits de l’homme. Tant que la législation nationale et le comportement des autorités étatiques ne sont pas en conformité avec les exigences des différents textes, la jouissance et l’exercice des droits ne peuvent être garantis. C’est pour cela que l’Etat sera condamné à chaque fois pour avoir failli à son obligation positive de prévenir les violations. Cela n’est qu’un aspect de la richesse substantielle de l’obligation générale de protection. Au-delà de l’aspect «prévention», elle instaure aussi une obligation de répression des comportements contraires aux droits et garanties consacrés par les différents textes. Cette obligation se situant en aval d’un constat de violation présente la particularité d’être parfois créatrice de nouveaux droits qui sont généralement d’ordre procédural. B. – L’obligation générale de protection et l’obligation positive de répression et de réparation des violations des droits de l’homme La jurisprudence interaméricaine et européenne des droits de l’homme est particulièrement révélatrice de la richesse procédurale de l’obligation générale de protection. Malgré l’obligation d’adapter la législation interne et le comportement des agents de l’Etat aux exigences des Conventions, on n’est pas pour autant à l’abri d’une violation des droits accordés à la personne privée. L’Etat est-il exonéré de sa responsabilité du simple fait qu’il a pris en amont de la (76) O. De Frouville, précité, p. 477. (77) Voy., dans ce sens, F. Sudre, précité, pp. 1372 et s. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 453 violation toutes les mesures nécessaires à l’exercice des droits concernés? Ce n’est pas la position tenue par les principaux organes de protection des droits de l’homme. En effet, les obligations positives de l’Etat s’étalent aussi en aval d’une violation constatée. L’article 1er inscrit dans ce cas de figure un devoir à la charge des Etats de tout faire pour punir les responsables et réparer le préjudice subi par la victime. Ce devoir se manifeste à tous les stades de la procédure car l’Etat doit, dans un premier temps, mener une enquête, puis, dans un second temps punir les responsables et réparer le préjudice. Si l’une de ces obligations est méconnue, l’Etat sera condamné. Ce contenu de l’article 1er se révèle dans le système interaméricain à chaque fois qu’un droit de la Convention est violé. Cela implique nécessairement de combiner le droit violé avec l’article 1er afin de se demander si les exigences de ce dernier ont été remplies. Ce constat est particulièrement visible dans la jurisprudence du juge de San José. Dans l’arrêt Paniagua Morales et autres par exemple, la Cour constate que les actes violant les articles 4, 5, 7, 8 et 25 de la Convention américaine restent souvent impunis au Guatemala. Cette impunité signifie «the total lack of investigation, prosecution, capture, trial and conviction of those responsible for violations of the rights protected by the American Convention, in view of the fact that the State has the obligation to use all the legal means at his disposal to combat that situation, since impunity fosters chronic recidivism of human rights violation, and total defenceless of victims and their relatives» (78). On est bien en l’espèce face à une autre forme d’obligation positive qui impose à l’Etat, au delà de la prévention, d’avoir un comportement actif pour enquêter et réprimer les violations des droits de l’homme. En l’absence d’un tel comportement, on assiste, comme en l’espèce, à une «violation passive» de la Convention de la part de l’Etat concerné. Concernant les droits liés à l’intégrité physique, la Cour insiste particulièrement sur ce comportement positif que doit avoir l’Etat pour deux raisons. Tout d’abord, parce que c’est essentiel afin de réparer le préjudice subi par les victimes. L’absence d’enquête effective de la part des autorités étatiques anéantit toute chance de succès dans les démarches du requérant devant les instances nationales. Ensuite, parce que c’est le meilleur moyen pour éviter la récidive. On instaure ainsi une sorte de «prévention a posteriori», la (78) Cour interam. dr. h., arrêt du 8 mars 1998, Paniagua Morales et autres (fond), Série C, n° 37, §173. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 454 Rev. trim. dr. h. (70/2007) crainte d’une répression étatique jouant un rôle essentiel pour décourager les personnes responsables de ce type d’actes. Cela est clair dans l’arrêt Myrna Mack Chang à l’occasion duquel la Cour affirme que «in cases of extra-legal executions, it is essential for the States to effectively investigate deprivation of the right to life and to punish all those responsible, especially when State agents are involved, as not doing so would create, within the environment of impunity, conditions for this type of facts to occur again, which is contrary to the duty to respect and ensure the right to life» (79). On s’aperçoit ainsi que le juge interaméricain lie de fait les devoirs de l’Etat en aval d’une violation avec ceux qu’il a en amont de celle-ci. Avant d’examiner la nature de ces obligations spécifiques issues de l’obligation générale de protection, il est aussi intéressant de noter que le juge leur confère un caractère quasi-impératif. Il n’existe aucune justification permettant à l’Etat de se défaire de cette obligation. Le Pérou, par exemple, dans l’affaire Castillo Paez, avait essayé de se réfugier derrière les difficultés internes qu’il rencontrait pour justifier sa passivité. Or, la Cour affirme que «in connexion with the above-mentioned violation of the American Convention, the Court considers that the Peruvian State is obliged to investigate the events that produced them. Moreover, on the assumption that internal difficulties might prevent the identification of the individuals responsible for crimes of this kind, the victims finally still have the right to know what happened [...]» (80). On rejoint ainsi le raisonnement tenu, mutatis mutandis, récemment par la Cour européenne dans l’affaire Ilascu en vertu duquel, même en cas de sécession d’une partie de son territoire, l’Etat reste tenu de respecter ses obligations positives. Celles-ci consistent alors en un devoir de mener une enquête effective suite à une violation constatée des droits d’une personne et ce (79) Cour interam. dr. h., arrêt du 25 novembre 2003, Myrna Mack Chang, Série C, n° 101, §156. Dans le même sens, voy. aussi plus récemment, l’arrêt du 8 juillet 2004, Caso de los hermanos Gomez Paquaiyauri, Série C, n° 110, §129, à l’occasion duquel la Cour affirme que «el cumplimiento del artículo 4 de la Convención Americana, relacionado con el artículo 1.1 de la misma, […] requiere que los Estados tomen todas las medidas apropiadas para proteger y preservar el derecho a la vida (obligación positiva), bajo su deber de garantizar el pleno y libre ejercicio de los derechos de todas las personas bajo su jurisdicción. […] En razón de lo anterior, los Estados deben tomar todas las medidas necesarias, no sólo para prevenir, juzgar y castigar la privación de la vida como consecuencia de actos criminales, en general, sino también para prevenir las ejecuciones arbitrarias por parte de sus propios agentes de seguridad». (80) Cour interam. dr. h., arrêt du 3 novembre 1997, Castillo Paez (fond), Série C, n° 34, §90. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 455 afin de punir les responsables et de réparer le préjudice subi par la victime. On est bien là face à des obligations dont la nature est procédurale, ce qui a justifié de nombreux rapprochements avec les articles 8 (procès équitable) et 25 (recours effectif) de la Convention américaine (81). Ce qui est intéressant à noter, c’est que cette nouvelle obligation procédurale – et plus spécialement l’obligation de mener une enquête effective – a été complétée par son pendant substantiel. En procédant au rapprochement des articles 8, 25 et 1 de la Convention interaméricaine, le juge de San José fait naître dans son arrêt Bamaca Velasquez un nouveau droit autonome : le droit à la vérité. Ce dernier est définit comme «the right of the victim or his next of kin to obtain clarification of the facts relating to the violations and the corresponding responsibilities from the competent State organs, through the investigation and prosecution [...]» (82). C’est, sans nul doute, un apport considérable de la jurisprudence de la Cour qui justifie en grande partie l’importance des obligations positives de l’Etat en aval d’une violation des droits de l’homme. C’est d’ailleurs un droit essentiel pour les victimes et leurs proches, surtout lorsque l’on traite de situations relatives aux disparitions forcées de personnes. On comprend, par conséquent, très difficilement le revirement récent de la Cour qui vient affirmer que ça n’est pas (ou plus) un droit autonome au motif que ce droit est déjà contenu dans l’obligation de l’Etat de mener une enquête et de juger les responsables (83). (81) Dans l’arrêt Suarez Rosero du 12 novembre 1997, Série C, n° 35, §65, la Cour affirme, par exemple, que «article 25 (recours effectif) is closely linked to the general obligation contained in Article 1(1) of the American Convention, in assigning protective functions to the domestic law of States Parties». De même, dans l’arrêt Paniagua Morales du 8 mars 1998, Série C, n° 37, §164, après avoir constaté cette même proximité entre l’article 25 et l’article 1, elle dit aussi que «that Article is closely linked to Article 8 (1) (procès équitable) of the American Convention which upholds every person’s right to a hearing […]». (82) Voy. sur ce point, Cour interam. dr. h., arrêt du 25 novembre 2000, Bamaca Velasquez (fond), Série C, n° 70, §201 et Cour interam. dr. h., arrêt du 14 mars 2001, Barrios Altos (fond), Série C, n° 75, §48. (83) C’est ce que le juge de San José a affirmé récemment dans son arrêt du 28 novembre 2005, Blanco-Romero, Série C, n° 138, §62 en disant que «la Corte no estima que el derecho a la verdad sea un derecho autónomo consagrado en los artículos 8, 13, 25 y 1.1 de la Convención, como fuera alegado por los representantes, y por lo tanto no homologa el reconocimiento de responsabilidad del Estado en este punto. El derecho a la verdad se encuentra subsumido en el derecho de la víctima o sus familiares a obtener de los órganos competentes del Estado el esclarecimiento de los hechos violatorios y las responsabilidades correspondientes, a través de la investigación y el juzgamiento» this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 456 Rev. trim. dr. h. (70/2007) Ceci étant dit, dans les années 90, le juge de Strasbourg, faisant preuve d’un certain mimétisme, développe lui aussi une jurisprudence similaire qui a pris actuellement une ampleur considérable (84). Le tout premier arrêt à l’occasion duquel la Cour européenne décide de faire jouer l’obligation générale de protection lors de l’examen au fond est l’arrêt Mc Cann et autres c. Royaume Uni du 27 juillet 1995. A cette occasion, elle énonce que «l’obligation de protéger le droit à la vie qu’impose cette disposition (article 2), combinée avec le devoir général incombant à l’Etat en vertu de l’article 1 de la Convention de ‘reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (…) Convention’, implique et exige de mener une forme d’enquête efficace lorsque le recours à la force, notamment par des agents de l’Etat, a entraîné mort d’homme» (85). On voit alors apparaître clairement l’obligation pour l’Etat de mener une enquête effective; cependant, il est à signaler que cette obligation est exclusivement associée aux droits indérogeables énoncés aux articles 2 et 3 de la Convention (droit à la vie et interdiction de la torture) et qu’elle se limite à l’origine à l’obligation d’enquêter en négligeant l’aspect répressif accordé au sein du système interaméricain. Sur ce dernier point, le juge remédiera à ce manque en calquant sa jurisprudence sur celle du juge interaméricain; ainsi, par exemple, dans son arrêt Bursuc, il affirme que, «pour ce qui est du bien fondé du grief, la Cour rappelle que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, de la part de la police ou d’autres services comparables de l’Etat, des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé par l’article 1 de ‘reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis […] [dans la] Convention’, requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l’instar de celle requise par l’article 2, doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables. Si elle n’en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction (84) L’attitude adoptée ces dernières années par la Cour européenne des droits de l’homme conduit d’ailleurs certains auteurs à parler de la procéduralisation des obligations issues des droits substantiels. D’ailleurs, l’article 1er ne semble être qu’une piste plausible de ce phénomène qui concerne de plus en plus de droits consacrés par la Convention. Voy. en ce sens, E. Dubout, «La procéduralisation des obligations relatives aux droits fondamentaux substantiels par la Cour européenne des droits de l’homme», dans la présente livraison de cette Revue, pour une étude spécifique dans le cadre de l’article 8 de la Convention, voy. aussi le commentaire de l’arrêt H.M. c. Turquie de M. Hottelier, «La nécessaire complémentarité des droits matériels et des garanties procédurales», dans la présente livraison de cette Revue. (85) Cour eur. dr. h., arrêt du 27 septembre 1995, Mc Cann et autres c. R.U., §167. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 457 légale générale des traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l’Etat de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle» (86). Le juge de Strasbourg insiste lui aussi désormais sur l’obligation de punir les responsables. L’obligation générale de protection impose aussi un comportement répressif de la part de l’Etat pour rendre sa législation efficace. D’ailleurs, il l’a clairement dit récemment dans son arrêt Perreira Henriques en affirmant qu’«il s’agit essentiellement, au travers d’une telle enquête, d’assurer l’application effective des lois internes qui protègent le droit à la vie et, dans les affaires où des agents ou organes de l’Etat sont impliqués, de garantir que ceux-ci aient à rendre des comptes au sujet des décès survenus sous leur responsabilité [...]. L’enquête doit permettre d’établir la cause des blessures et d’identifier et sanctionner les responsables [...]» (87). Même si pour le moment cette attitude n’est point généralisée – elle reste limitée aux articles 2 et 3 de la Convention –, l’obligation générale de protection commence, comme on a pu le signaler précédemment sous l’angle de l’obligation positive de prévention, à être rapprochée d’autres dispositions. Ce fut le cas de l’article 4 mais aussi des articles 9, 11, 1er du Premier Protocole, etc. Il est alors fort probable que dans un avenir proche le juge européen, à l’instar de la juridiction de San José, applique cette même logique aux droits substantiels de la Convention ne relevant pas de la catégorie des droits indérogeables liés à l’intégrité physique. Il s’agit là d’une position qui serait tout à fait logique et bienvenue, car totalement en accord avec la théorie des obligations positives de l’Etat qui ne se limite certainement pas à ces deux dispositions de la Convention (88). Enfin, pour conclure sur cette question particulière de l’obligation de répression et de réparation des violations des droits de l’homme issue de l’obligation générale de protection, il est intéressant de noter que le Comité des droits de l’homme tient lui aussi un raisonnement similaire. Dans son observation générale n° 31, il a clairement énoncé que «dans certaines circonstances, il peut arriver qu’un manquement à l’obligation énoncée à l’article 2 de garantir les (86) Cour eur. dr. h., arrêt du 12 octobre 2004, Bursuc c. Roumanie, §101. (87) Cour eur. dr. h., arrêt du 9 mai 2006, Perreira Henriques c. Luxembourg, §5556. (88) C’est d’ailleurs le sens de l’étude de M. Dubout, précitée, même si cet auteur ne vise pas expressément l’article 1er comme cause principale de la procéduralisation des autres droits substantiels de la Convention européenne. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 458 Rev. trim. dr. h. (70/2007) droits reconnus dans le Pacte se traduise par une violation de ces droits par un Etat Partie si celui-ci tolère de tels actes ou s’abstient de prendre des mesures appropriées ou d’exercer la diligence nécessaire pour prévenir et punir de tels actes commis par des personnes privées, physiques ou morales, enquêter à leur sujet ou réparer le préjudice qui en résulte en sorte que les dits actes sont imputables à l’Etat Partie concerné» (89). Ainsi, le Comité des droits de l’homme instaure lui aussi, sur le modèle des autres systèmes de protection des droits de l’homme, une «violation passive» des droits qui peut être due à l’insuffisance des garanties procédurales offertes à l’individu. Il consacre donc, de manière relativement timide, des droits à une enquête préalable, au jugement des responsables et à l’indemnisation des préjudices subis. Si cette affirmation est moins claire qu’en droit européen, c’est probablement parce que la structure de l’article 2 du Pacte est différente. En incluant au paragraphe 3 de ce même article le droit à un recours effectif, cette disposition met quelque peu au second plan les effets de l’association de l’article 2, §1er avec les autres articles du Pacte. Néanmoins, son importance capitale persiste et c’est l’objet des développements du Comité dans cette observation. Conclusion Tous les développements qui précèdent démontrent l’influence capitale que revêt l’obligation générale de protection dans le contentieux international des droits de l’homme. Néanmoins, il faut être conscient qu’il s’agit là de la simple partie visible de l’iceberg. Nous pensons que cette notion a en effet vocation à intervenir dans tous les domaines et seule la Cour interaméricaine des droits de l’homme semble pour le moment admettre cela. Si, comme nous l’avons vu en introduction, l’obligation générale de protection correspond au contenu des articles 26 et 27 de la Convention de Vienne, elle devrait de ce fait être associée à toutes les dispositions normatives d’un texte, même si elles n’énoncent que des obligations secondaires. L’obligation d’exécuter les arrêts des deux Cours régionales fourni d’ailleurs un exemple intéressant en la matière puisque, directement ou indirectement, on assiste à la diffusion de son esprit en leur sein. (89) C.C.P.R., observation générale n° 31 du 26 mai 2004, La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, §8. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 459 La Cour interaméricaine des droits de l’homme associe systématiquement et ouvertement l’article 1er de la Convention – mais aussi l’article 2 qui énonce l’obligation de mettre en conformité son droit interne – à l’obligation qui pèse sur les Etats Parties d’exécuter ses arrêts. En vertu de ces deux dispositions, les Etats doivent prendre toutes les mesures nécessaires en droit interne pour que les violations cessent. La Cour se permet alors à ce titre d’indiquer mais aussi de contrôler les mesures nécessaires à l’exécution de ses arrêts. Cela est particulièrement net, par exemple, au travers des arrêts rendus dans l’affaire Castillo Petruzzi. La Cour, après avoir constaté, dans son arrêt au fond, une défaillance de l’Etat au titre de l’article 1er, affirme que «the general duty under Article 2 of the American Convention implies the adoption of measures of two kinds : on the one hand, elimination of any norms and practices that in any way violate the guarantees provided under the Convention; on the other hand, the promulgation of norms and the development of practices conducive to effective observance of those guarantees» (90). Il s’agit là d’un raisonnement qui permet par la suite à la Cour de procéder à un contrôle poussé; c’est d’ailleurs ce qui l’a conduit en l’espèce à condamner la compétence des juridictions militaires sur des civils, à proposer la réouverture du procès et, enfin, à indiquer, dans un second arrêt portant sur les problèmes d’exécution du premier, que «Article 68(1) of the American Convention on Human Rights stipulates that ‘[t]he States Parties to the Convention undertake to comply with the judgment of the Court in any case to which they are parties.’ The conventional obligations of the States Parties bind all of the authorities and organs of the State […] this obligation corresponds to a basic principle of the law of international state responsibility, supported by international jurisprudence, according to which States must fulfill their conventional international obligations in good faith (pacta sunt servanda) and, as the Court has already stated, can not for reasons of domestic law fail to assume already established international responsibility» (91). Ce qui est remarquable, c’est que l’obligation d’exécution semble alors rejoindre, grâce au rapprochement opéré avec l’obligation générale de protection, le champ des obligations primaires de l’Etat. Ainsi quasiment aucune marge de manœuvre n’est laissée à ce dernier; c’est d’ailleurs ce qui justifie un contrôle aussi poussé. (90) Cour interam. dr. h., arrêt du 30 mai 1999, Castillo Petruzzi et autres, Série C, n° 52, §207. (91) Cour interam. dr. h., arrêt du 17 novembre 1999, Castillo Petruzzi et autres (compliance), Série C, n° 59, §§3-4. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 460 Rev. trim. dr. h. (70/2007) Pendant très longtemps, la Cour européenne semblait marquer une certaine réticence sur ce domaine. Le caractère secondaire de l’obligation d’exécution l’empêchait d’exiger de la part des Etats parties le respect d’un certain nombre d’obligations précises. Ils restaient particulièrement libres dans le choix des mesures d’exécution. Pourtant, dans un certain nombre d’arrêts récents, elle a changé d’attitude. Dans plusieurs arrêts portant sur le caractère équitable du procès interne (article 6), elle s’est permise d’indiquer que la meilleure réparation possible serait la réouverture du procès (92). De manière encore plus audacieuse, dans l’arrêt Assanidzé (93), elle a exigé, au titre de l’exécution de son arrêt, la remise en liberté des requérants. De même, dans l’arrêt Broniowski (94), elle a demandé la mise en conformité du droit polonais avec les exigences de la Convention. Ces exemples – non limitatifs – démontrent un véritable changement d’attitude. Quel est alors le fondement d’un tel changement de comportement? Si jusqu’à récemment l’influence probable de l’obligation générale n’était que soupçonnée, dans l’arrêt Sejdovic (95), la Cour se réfère expressément à l’article 1er en indiquant que les mesures qu’elle propose ont «[...] pour vocation d’aider les Etats contractants à remplir le rôle qui est le leur dans le système de la Convention en résolvant ce genre de problème au niveau national, en sorte qu’ils reconnaissent par la même aux personnes concernées les droits et libertés définis dans la Convention, comme le veut l’article 1, en leur offrant un redressement rapide...» (96). De même dans l’arrêt Scordino, avant d’énoncer les mesures qu’elle estime nécessaires pour l’exécution de l’arrêt, elle affirme qu’«il résulte de la Convention, et notamment de son article 1, qu’en ratifiant la Convention, les Etats contractants s’engagent à faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec celle-ci» (97). Voilà donc une tendance nette, fondée sur un rapprochement de l’obligation générale de protection avec l’obligation d’exécuter les arrêts de la Cour qui pourrait à moyen ou long terme modifier la nature de cette dernière. (92) Voy., par exemple, Cour eur. dr. h., arrêt du 23 octobre 2003, Gençel c. Turquie; arrêt du 18 décembre 2003, Ükünç et Günes c. Turquie; arrêt du 18 mai 2004, Somogyi c. Italie. (93) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 avril 2004, Assanidzé c. Géorgie. (94) Cour eur. dr. h., arrêt du 22 juin 2004, Broniowski c. Pologne. (95) Cour eur. dr. h., arrêt du 1er mars 2006, Sejdovic c. Italie. (96) Idem, §120. (97) Cour eur. dr. h., arrêt du 29 mars 2006, Scordino (n° 1) c. Italie, §234. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Ioannis Panoussis 461 On comprend bien, au terme de ces développements, que la place occupée par l’obligation générale de protection dans la jurisprudence des organes internationaux de protection des droits de l’homme ne peut que continuer à croître. Il est évident que le juge trouve en l’occurrence un formidable outil pour améliorer l’effectivité des mécanismes internationaux tout en responsabilisant les Etats Parties. Il est donc très probable – et souhaitable – que son domaine d’application se généralise et qu’il investisse, à terme, la totalité des droits et obligations énoncées par les différents textes. ✩