Vins : Quels sont les coûts de production dans les

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Vins : Quels sont les coûts de production dans les
Article paru dans le N°192 de la Revue Française d’Oenologie (2002)
Quels sont les coûts de production dans les pays
producteurs autres que la France ?
Auteur : Dominique DELTEIL. Directeur Scientifique ICV. Institut Coopératif du Vin,
La Jasse de Maurin, 34 970 Lattes.
Cet article a pour seule ambition d’apporter quelques éléments ponctuels de
références pour que chacun mène sa propre réflexion sur le sujet, et peut-être faire
quelques mises au point par rapport à certaines idées reçues.
Cet article n’est pas basé sur des statistiques ni sur une analyse économique
méthodologique. Il est basé sur des réflexions personnelles.
Il reprend des informations acquises pendant des opérations de veille technologique
et de consultations menées depuis plusieurs années au cœur des entreprises en
Afrique du Sud en Argentine, en Australie, en Californie, au Chili, en Espagne, en
Italie.
Pas de différences majeures dans les coûts de vinification
De façon générale, dans les pays concurrents, on ne peut pas dire qu’il y ait des
situations très différentes de ce que l’on peut trouver et de ce que l’on connaît en
France.
Comme en France, les situations sont très variées en terme de taille d’entreprise, en
terme de techniques utilisées, en terme de cohérence entre les coûts et les
positionnements des vins.
Il y a de grandes unités traitant de grands volumes avec des outils avec de faibles
coûts unitaires : thermovinification, égouttoirs et pressoirs continus, grandes cuves
de fermentation jusqu’à 10 000 hl. Comme on peut en trouver aussi en France.
Il y a des petites unités qui travaillent des petits lots de raisins issus de viticultures
qui se rapprochent de la « viticulture de cru » à la française, dans des petites cuves,
avec aussi des barriques françaises. Comme on en trouve aussi en France.
Certains coûts œnologiques sont supérieurs
Dans les zones très chaudes, il y a des coûts en frigories sensiblement supérieurs à
ceux de la France en général.
Ceci est dû au climat d’abord, et ensuite une motivation souvent supérieure à
travailler de grands volumes de raisins à température maîtrisée.
On peut citer une cave australienne qui travaille environ 800 000 hl. Elle remplit ses
cuves de rouges avec du raisin entre 15 et 20°C et ses égouttoirs continus avec des
raisins blancs entre 5 et 10°C, alors qu’il fait 35°C à l’ombre dans la journée et 25°C
en milieu de nuit ! Leur choix technique est de systématiser la mise en température.
Il y a d’autres coûts qui sont souvent supérieurs : les coûts d’hygiène. Dans de
nombreuses unités industrielles, le travail de nettoyage fait partie intégrante du
schéma de vinification, qu’il s’agisse de matériel, de personnel, de temps dédié.
Il existe aussi des caves qui font des économies mal placées sur ces postes, avec
des résultats œnologiques en rapport : Brettanomyces, Pediocoques, etc.
On ne peut pas parler de coûts de coûts vinification dans le Nouveau Monde sans
aborder le sujet des copeaux et les douelles.
On observe une segmentation généralisée dans tous les pays :
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Les vins de début de cœur de gamme dont la structure ne supporterait pas le
passage en fût sont travaillés avec des copeaux ou des douelles dans les cuves,
quand une note boisée est recherchée, ce qui n’est pas systématiquement le cas.
Les vins de haut de gamme sont travaillés dans des barriques, dont les origines
et les coûts unitaires sont très proches de ce que les caves françaises peuvent
utiliser. Des chais avec 10 000, 20 000 voire 30 000 barriques bien réelles sont
monnaie courante.
Certaines différences nettes dans les coûts viticoles
Ceci est surtout vrai pour le cœur de gamme.
Pour le haut de gamme, les coûts se rapprochent de ceux de certaines régions
françaises, sans arriver toutefois à ceux des zones les plus chères.
Le coût du foncier en Australie ou au Chili par exemple est assez proche de celui de
la zone de vins de pays en Languedoc : de 3000 à 10000 Euros par hectare.
Les coûts d’établissement du vignoble peuvent être plus élevés sur certains postes
(hauteur et qualité des poteaux, nombre et solidité des fils, des agrafes, etc.).
Ils sont sensiblement plus faibles pour le matériel végétal pour les vignes franches de
pied !
Sur le cœur de gamme, certains vignobles ont obligatoirement recours à l’irrigation,
sinon la vigne meurt. Ceci génère des coûts certains.
En Australie, pour le cœur de gamme en zone semi-désertique, on peut considérer
que le coût annuel d’irrigation est d’environ 1500 Euros par hectare.
La main d’œuvre agricole est un facteur évident de différenciation des coûts.
Au Chili par exemple, le salaire net d’un ouvrier agricole est de l’ordre de 200 Euros
par mois ! Au delà de cet aspect de coût direct, il y a aussi la productivité de ce
travail et le niveau de formation de ce personnel. De nombreux articles généralistes
font état de la faible productivité et de la très faible formation technique de la main
d’œuvre en Afrique du Sud. J’ai pu le constater de façon évidente dans certains cas.
A l’inverse, en Australie un ouvrier agricole qualifié coûte environ 2000 Euros par
mois.
Autre piste de réflexion : certaines entreprises affectent certains coûts de façon
différente. Certaines caves mobilisent plus de personnel pour le suivi de la maturité
et le classement préalable des parcelles que pour la taille hivernale !
De nombreuses entreprises investissent fortement dans le
marketing et le commercial. Des structures de coûts différentes
C’est une caractéristique des pays du Nouveau Monde, en particulier pour les vins
de cœur de gamme.
Par exemple, pour le cœur de gamme (Commercial et Semi-Premium selon la
terminologie australienne) les caves australiennes considèrent (en tenant compte
des taxes pour leur marché intérieur) que le prix du raisin (au kilo) ne devrait pas
dépasser 10 % du prix de vente TTC de la bouteille de 0,75 L. Ceci afin de permettre
des coûts de marketing suffisants.
Les tableaux n°1 et n°2 reprennent quelques chiffres tirés de 2 publications
australiennes.
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Tableau n°1. Distribution des coûts pour des caves australiennes de 10000 à 100000
hl de production. Année 2000.
Extrait de : Frederique Perrin et Larry Lockshin, Wine Industry Journal, Vol 16, n°5 de
septembre – octobre 2001
Type de vin
Commercial
Semipremium
Premium
Super premium
Coûts raisins
Production et conditionnement
Marketing et distribution
Administration
Marge pour la cave
Volume produit
Prix de vente détail en Australie
(traduit en Euros)
10%
17%
45%
18%
17%
265000 cols
5,5
15%
20%
45%
17%
38%
120 000 cols
8,3
25%
35%
20%
13%
61%
57 000 cols
16
30%
30%
15%
15%
114%
26 000 cols
34
NB : Ces données sont des moyennes de pourcentages pour différentes caves. Ceci
explique que le total des pourcentages soit supérieur à 100.
Tableau n°2. Distribution des coûts pour 3 vins élaborés par la même grande
entreprise. Syrah, 1998. Différentes régions d’Australie.
Extrait de : Angus Kennedy et Tim James, ASVO proceedings : Modern viticulture –
Meeting Market Specification, Australian Society of Viticulture and Oenology, Adelaide, 2000.
Type de vin
Région
Commercial
Riverland
Semi-premium
Barossa Valley
Premium
Barossa Valley
Prix raisin au kilo (traduit en
Euros)
Coûts raisins
Bois
Matières sèches conditionnement
Main d’œuvre et frais généraux
Marge brute pour la cave
Taxes de ventes
Marge brute distributeur
Prix de vente détail en Australie
(traduit en Euros)
0,73
1,26
2,44
17%
0%
12%
11%
11%
21%
28%
4,4
12%
10%
8%
7%
13%
21%
29%
13
16%
7%
5%
8%
14%
21%
29%
20
Dans l’exemple de Kennedy et James ci-dessus le prix du raisin est inacceptable
pour le vin « commercial » pour une cave australienne. Il devrait être d’au plus de 0,5
Euros pour respecter leurs critères de distribution acceptable des coûts.
Ces données datent de 1998.
Depuis le kilo de raisin dans cette zone est tombé entre 0,33 et 0,45 Euros par kilo
pour les producteurs respectant les contrats (degrés, couleur, heure précise
d’apport). Hors contrat, le prix est tombé à 0,2 Euros.
Une originalité par rapport à la France : une forte proportion de
raisins achetés
Cette pratique est quasi généralisée dans certains pays. Le prix de transaction
donne une information immédiate et transparente du coût des raisins pour la cave de
vinification.
Par contre, elle ne renseigne pas sur les marges positives ou négatives réalisées
par le viticulteur.
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Une analyse rapide des marchés des raisins apporte des éléments de réflexion.
On peut distinguer deux grands cas de figure :
Une viticulture spéculative, avec des habitudes agricoles d’écoulement de matière
première peu différenciée.
Une viticulture intégrée dans un projet commercial à long terme.
La viticulture à tendance spéculative est présente dans tous les pays.
En général, elle se situe dans les zones de très forte production par hectare ou dans
les zones où les pratiques viticoles ne permettent pas chaque année une maturité
complète.
Les viticulteurs essaient de profiter à leur avantage des cycles de prix élevés des
raisins. Ils essaient de résister quand la conjoncture est défavorable.
Les critères d’achats des raisins se limitent au cépage et au degré.
Il y a en général un prix annuel de base pour un cépage.
La figure n°1 illustre les fluctuations des prix au kilo en Australie pour les raisins de
cuve rouges (specialist red) et les raisins de cuve blancs (specialist white).
Figure n°1. Evolutions des prix moyens au kilo des raisins en Australie. (1 AUS $ ≈
0,6 Euros). D’après L. Sandford, actes du 26th world congress OIV, Adelaide
(Australie), 2001.
Specialist red
Specialist white
1400
AUS $/tonne
1200
1000
800
600
400
200
0
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
Cette viticulture spéculative subit ou profite des variations des cours des raisins.
Depuis 3 années, elle subit de plein fouet la chute des prix à la suite de la saturation
de certains segments de marché.
La figure n°2 illustre la chute des prix pour les viticulteurs chiliens.
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Figure n°2. Evolution du prix du raisin au Chili. Informations recueillies auprès de
caves de vinification en novembre 2001.
Prix au kilo en Euros
Prix 1999
Prix 2001
1,2
1
0,8
0,6
0,4
0,2
0
Cabernet Sauvignon
générique
Cabernet Sauvignon haut de
gamme
Uva païs
A l’opposé de la viticulture de spéculation, la viticulture intégrée dans un projet
commercial stratégique est souvent régie par des contrats à moyen voire long terme.
Les projets les plus intégrés prévoient une rémunération à l’hectare.
L’entreprise qui achète les raisins met souvent en œuvre des moyens importants
pour le suivi technique des vignes.
Les critères de qualité sont à la fois viticoles (cahier des charges : mode de conduite,
charge par pied, taille, état du feuillage, traitements, etc.) et œnologiques (degré
potentiel et souvent la couleur pour les raisins rouges). De nombreuses caves se
rapprochent d’une assurance qualité totale pour leur approvisionnement en raisins.
Elles appliquent un vieil adage de la gestion d’entreprise : « la gestion des
fournisseurs est un point clé du système ».
Les grands groupes travaillent beaucoup dans ce domaine (critères objectifs de
qualité, système de maîtrise, etc.) pour pouvoir trier encore mieux leurs fournisseurs
quand la surproduction mondiale de certains cépages sera effective dans la plupart
des pays. En parallèle, certains investissent massivement dans les vignobles afin
d’augmenter la part de leurs approvisionnements totalement maîtrisés.
Pour ce type de viticulture et de relation contractuelle avec les caves de vinification,
la fourchette des prix est souvent largement plus étendue que pour la viticulture
spéculative.
Par exemple, en Australie, sur une même zone de forte fertilité, une grande
entreprise paie les raisins aujourd’hui entre 0,35 Euro et 0,70 Euro le kilo pour le
même cépage selon le positionnement dans leur grille de qualité.
Cette grille est communiquée et régulièrement expliquée et animée auprès des
producteurs - fournisseurs.
Afin de valoriser les raisins les plus intéressants pour son projet, cette entreprise de
vinification a prévu de monter en 2002 la fourchette haute à 0,85 Euro le kilo (soit
une augmentation de 21%).
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Comme le directeur technique aurait du mal à justifier une telle augmentation de
budget… les raisins les moins intéressants seront payés à 0,18 Euro (au lieu des
0,35 d’aujourd’hui). On retrouve l’ajustement des prix des raisins issus des
viticultures spéculatives analysées ci-dessus.
Un autre aspect de la maîtrise de plus en plus fine des fournisseurs : certaines caves
pénalisent les raisins trop mûrs et trop colorés !
Ceci est vrai pour le cœur de gamme, dans des zones où il n’y a pas de problème
d’approvisionnement en raisins sains et mûrs. En effet, la cave a un projet de cuvée
de cœur de gamme avec un certain degré, une certaine couleur et structure et une
certaine intensité aromatique. Les raisins pour cette cuvée doivent donc rentrer dans
une certaine fourchette de degré et de couleur potentielle. En dessous ou en dessus
de cette fourchette le prix au kilo baisse. Des raisins plus « riches » (d’un point de
vue œnologique absolu non segmenté) viennent perturber la régularité de la cuvée,
et donc la performance commerciale du produit final. Par ailleurs la cave a déjà
planifié et codifié la viticulture, le profil et le prix des raisins pour ses cuvées de
gamme supérieure. Elle n’a pas besoin de plus de raisins que ce qui est prévu, et
surtout pas de raisins issus d’une viticulture productive qui rentrent ponctuellement
dans le cadre de certains critères analytiques du haut de gamme.
En conclusion, il y a des disparités de coûts agricoles entre les pays concurrents,
comme il y a des disparités de coûts entre les régions et les entreprises françaises.
Il y a des disparités de coûts œnologiques entre les pays concurrents comme il y a
des disparités de coûts œnologiques en France.
Les différences fondamentales ne sont sans doute pas là.
La force de certaines entreprises sur le cœur de gamme réside surtout dans des
stratégies claires à long terme, de grands volumes de raisins régulièrement sains et
mûrs, une récolte organisée, une transparence dans la valeur commerciale des
raisins et un gros investissement dans le marketing et la mise en marché.
Dans les pays concurrents, les entreprises qui ne se positionnent pas sur ces axes
connaissent des difficultés énormes.
Quelques éléments qui ont pour seule ambition d’aider chacun à réfléchir sur sa
situation et sa propre stratégie.
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