universite aix-marseille – cret-log
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Lettre d’information Février 2004 AURELIEN ROUQUET UNIVERSITE AIX-MARSEILLE – CRET-LOG Aurélien Rouquet est ingénieur de l’Ecole Centrale de Lille et titulaire d’un DEA en Logistique et Organisation du CRET-LOG. Depuis octobre 2001, il réalise en partenariat avec GALIA une thèse sur les « facteurs clés de succès des standards élaborés par GALIA et Odette ». Il nous explique sa démarche et nous fournit ses premiers résultats. Parcours professionnel Ingénieur de l’Ecole Centrale de Lille MSc en Logistics et Supply Chain Management en Angleterre DEA Logistique et Organisation au CRET-LOG (Centre de Recherche en Transport et Logistique) en 2000/2001 Depuis octobre 2001, Thèse de Doctorat en Science de Gestion au CRET-LOG en partenariat avec GALIA Galia : Que faites-vous chez GALIA ? A.R. : J’ai une double casquette, puisque je suis à la fois chercheur/doctorant avec un rattachement universitaire au CRET-LOG et chef de projet sur le domaine logistique au sein de GALIA. Pourquoi ? Parce que le sujet de ma thèse porte, en accord avec GALIA et son Comité Directeur, sur les standards élaborés par l’association, notamment logistiques, et l’identification des raisons qui font qu’ils vont ou non être mis en œuvre par les différents acteurs de l’industrie automobile. Dans ce cadre, une partie de mon temps est consacré à l’implication concrète dans les travaux de GALIA, de façon à comprendre, en étant au plus près des pratiques, comment tout cela fonctionne. J’ai ainsi été le chef de projet du groupe de travail mesure du taux de service logistique qui a donné lieu à une recommandation en avril 2003, et j’ai représenté GALIA avec Jacky Cousin dans le groupe de travail mondial « Global Evalog ». Je participe également au Comité Logistique et contribue à certaines activités internes de l’association. Le reste de mon temps est consacré à la recherche, et à la lecture d’articles, livres, thèses portant sur mon sujet de recherche et concernant par exemple la logistique, les relations entre constructeurs et équipementiers, et les différentes théories permettant d’expliquer ce qui fait qu’un standard va être appliqué ou non. L’objectif étant pour moi de relier en permanence ce que je peux voir chez GALIA et les acteurs de l’automobile avec les théories et modèles scientifiques. Je ne veux en effet en aucun cas « pondre » une théorie éloignée de la réalité ! Galia : Quelles sont les retombées de votre thèse pour GALIA et les sociétés membres ? A.R. : J’ai trois grands « livrables ». D’un point de vue académique, l’écriture de ma thèse avec un objectif de soutenance en fin d’année 2004. Pour GALIA et ses membres, la rédaction d’un livre relatant mon expérience, l’objectif étant à la fois de mieux faire connaître GALIA aux industriels, et de leur faire comprendre les enjeux et difficultés liés à la standardisation des échanges. Enfin, sur la base des résultats de ma recherche, des prescriptions pour GALIA et les entreprises membres concernant par exemple l’organisation des travaux, la gestion de l’interface avec GALIA, le choix des représentants, les leviers pour aller vers plus de standardisation etc… Concernant l’intérêt de cette approche, on peut dire que ma condition de chercheur donne deux caractéristiques à mon travail. D’une part, j’ai du temps pour penser, contrairement aux cadres des entreprises, qui de par leurs emplois du temps surchargés ont plus difficilement l’occasion de s’arrêter pour réfléchir sur leur action (même s’ils le font, et souvent de manière très pertinente !). D’autre part, et c’est un constat qui s’applique aux êtres humains en général (y compris les chercheurs !), les cadres développent des connaissances et représentations sur leur action toujours limitées, qui dépendent ici notamment de leur position au sein de l’industrie automobile et de leurs intérêts. C’est un constat banal certes, mais il est vrai que les gens chez les constructeurs ne peuvent comprendre que partiellement toutes les contraintes liées à l’activité des fournisseurs, et réciproquement. Moi, de par ma position relativement neutre, j’essaye de reconstituer les vues partielles de chacun, en prenant tour à tour les points de vue de tous les acteurs : des personnes qui sont chez GALIA (permanents ou représentants aux comités et groupes de travail), logisticiens ou acheteurs des constructeurs, des fournisseurs (que ceux-ci soient mondiaux comme Valeo ou Faurecia, ou PME), ou encore de tous les acteurs tiers aux relations d’échange (SSII, place de marché). Concrètement, ce que je cherche à faire c’est à reconstituer tout le processus qui peut amener ou non au déploiement des standards : le lancement, la construction et l’adoption qui se font chez GALIA en lien avec les représentants, et puis la mise en œuvre qui se déroule chez les industriels, avec différents départements impliqués et qui ne communiquent pas toujours bien ! L’objectif étant de donner la vue la plus objective possible et de la transmettre aux acteurs pour qu’ils puissent mieux se représenter la réalité, et donc mieux agir. Galia : Où en êtes-vous de votre thèse aujourd’hui ? A.R. : Au niveau du planning, cela fait un peu plus de deux ans que je suis chez GALIA. Il m’a fallu près d’un an et demi pour comprendre finement le contexte de l’association et de l’industrie automobile, et intégrer les différentes théories sociologiques, économiques et gestionnaires sur le sujet. Il faut apprendre à la fois sur le terrain et dans les livres, c’est très long, d’autant qu’on ne trouve aucune théorie sur des associations comme GALIA ! Depuis octobre 2003, je finalise ma récolte de données qui s’appuie sur plusieurs types de sources. Des documents GALIA (CR de réunions, projets de standards, etc…), de l’observation dans les groupes de travails et les comités, et plus de 80 entretiens d’environ 1 heure avec les acteurs concernés par le phénomène. Schématiquement, j’interroge les gens impliqués dans le fonctionnement de GALIA (permanents, membres du Comité directeur, Comité Logistique et du Groupe de Travail). Je réalise en parallèle des études de cas plus approfondies. D’une part chez les trois constructeurs implantés en France (Renault, PSA, Toyota) où j’interroge aussi bien la logistique en central, la logistique au niveau usine, que les informaticiens, acheteurs ou chef de projet B2B. D’autre part chez six fournisseurs choisis selon deux critères, leur taille et leur degré d’implication dans GALIA. J’ai choisi comme objet d’étude spécifiquement trois standards élaborés par GALIA et Odette : la recommandation Evalog, le cahier des charges web-EDI et la recommandation Taux de service. Au niveau des résultats, et avant de parler de GALIA, il faut parler des outils et des constructeurs. Force est de constater que pour ces derniers, il y a un besoin évident de mettre en œuvre un certain nombre d’outils de gestion, normes ou standards pour mieux intégrer avec leurs fournisseurs leurs modes de fonctionnement et fluidifier les flux en logistique, permettre de la co-conception en ingénierie, déployer des technologies Internet avec le B2B, de façon à réduire les coûts, le délai de livraison, augmenter la qualité, concevoir plus vite des voitures etc... On peut identifier trois stratégies différentes. La première, qui est celle suivie par une entreprise comme Toyota, consiste à développer des outils spécifiques qui ne sont pas basés sur des standards communautaires et à utiliser son poids pour les déployer avec ses fournisseurs. C’est une stratégie qui présente des avantages : le constructeur est complètement maître du contenu des outils et peut les adapter parfaitement à ses modes de fonctionnement internes. Les inconvénients sont pour les fournisseurs : si chacun faisait comme Toyota, vous imaginez la complexité de l’interface avec les différents clients et l’inefficience économique qui en résulterait ! La deuxième stratégie c’est d’essayer de plus ou moins laisser faire le marché imposer un standard. C’est ce qui a été tenté avec la place de marché Covisint où les constructeurs ont essayé de créer les standards de fait, en externalisant la problématique de l’élaboration du contenu. Force est de constater que pour un certain nombre de raisons, dans lesquelles il serait trop long de rentrer, ça n’a pas fonctionné. La troisième stratégie, qui est celle choisie par Renault et PSA (et par d’autres constructeurs en Europe et dans le monde) et à laquelle ont le plus intérêt les fournisseurs, c’est de passer par une structure communautaire comme celle de GALIA et d’élaborer des modes de fonctionnement ensemble. Il y a de nombreux avantages à fonctionner comme cela : au niveau du développement, on économise des ressources en mutualisant l’élaboration, et en faisant participer les utilisateurs potentiels à la conception, on peut espérer créer des standards qui ne seront pas trop loin des besoins et facilement mis en œuvre ; au niveau de la diffusion, à partir du moment où les constructeurs adoptent le standard, la diffusion doit aller plus vite et la mise en œuvre dans chaque entreprise sera plus économique, car demandant un seul développement, une seule interface, etc… ; enfin, au niveau de la formation, tout est plus simple car on n’a qu’un seul mode de fonctionnement à apprendre, suite à un recrutement on n’a plus nécessairement besoin de former le cadre à un mode de fonctionnement qu’il connaissait dans une autre entreprise, etc… Le problème, c’est que c’est en général plus long, qu’il faut composer avec énormément d’acteurs, aux intérêts pas toujours convergents. Partant de là, où en suis-je dans mes réflexions ? D’abord, je constate que tout le monde ou presque souhaite qu’il y ait des standards, et qu’ils soient les plus mondiaux possible. Le problème, c’est qu’actuellement, dans les faits ça ne fonctionne pas aussi bien que tous le voudraient. Essayons de voir les différents problèmes. Le premier, on l’a déjà évoqué, ce sont les constructeurs qui par stratégie délibérée développent leurs propres outils. Là, il n’y a rien à faire qu’attendre un éventuel revirement… Le second problème a trait aux niveaux géographiques des standards. Historiquement GALIA et les autres organisations nationales se sont créées en 1984 et ont développé des normes locales. Les échanges inter-pays étant à l’époque faibles, ces normes étaient pertinentes. Mais depuis 20 ans, les grands acteurs de l’industrie automobile, se sont mondialisés, et chacun à l’international met en œuvre les standards développés dans son pays d’origine. Conséquence, les fournisseurs doivent gérer des manières de travailler différentes pour chacun. J’ai ainsi été il y a une semaine chez un équipementier qui ma montré son stock de 30 emballages durables différents ! L’idée pour résoudre ce problème est donc de lancer les travaux directement au niveau européen Odette afin d’avoir des standards que les fournisseurs puissent utiliser avec beaucoup plus de monde que Renault et PSA. Pour cela, il faut une vrai organisation européenne Odette, avec des ressources, un vrai management, la participation plus directe des sociétés, leur implication, etc… C’est loin d’être aujourd’hui le cas. GALIA travaille actuellement à une réforme avec les autres associations nationales, mais c’est difficile, car ce monde est très politique, il y a parfois des intérêts personnels en jeu… Troisième problème, les modes de fonctionnement des organisations comme GALIA, la manière dont les membres représentent plus ou moins parfaitement l’industrie et l’interfaçage de chacun avec l’association. Théoriquement, GALIA doit représenter l’industrie au sens large, mais dans les faits on peut dire que les petites entreprises sont sous-représentées. D’une part, car les ressources sont plus rares chez ces PME, et qu’elles sont en général éloignées en province, ce qui rend plus long et coûteux leur venue chez GALIA. D’autre part, soit la méconnaissance pure et simple de GALIA (ou la connaissance par les standards), soit la perception que de toute façon, elles ne pourront influer sur le processus. Enfin, si dans les groupes de travail on postule que le standard est théoriquement applicable tout au long de la chaîne automobile, dans la réalité sa conception se fonde sur le contexte des relations entre les constructeurs et les fournisseurs de rang 1 et il n’est pas forcément adapté aux relations plus en amont de la chaîne. Je crois que GALIA prend de plus en plus conscience de cela. D’abord avec le web-EDI, solution complémentaire à l’EDI pour les plus petits fournisseurs. Ensuite aujourd’hui avec le projet ALFA. Toujours dans les modes de fonctionnement, l’interfaçage des sociétés avec GALIA apparaît comme problématique. Les représentants dans les différentes instances doivent donner la position de leur société, mais il est toujours difficile de savoir ce qu’ils représentent. Donnent-t-ils un avis personnel ou celui de leur département ? Est-ce que ce département a le poids suffisant pour engager leur entreprise ou non ? Pour bien fonctionner, GALIA doit donc avoir dans ses instances les bonnes personnes au bon endroit, ce qui suppose inversement que les entreprises doivent s’organiser en interne pour gérer les nominations, les prises de position, etc... Au niveau du comité directeur, il faut des personnes hiérarchiquement élevées qui peuvent engager leur société sur des projets touchant l’ingénierie, la logistique, le B2B. Au niveau des comités fonctionnels, des représentants des directions centrales des métiers. Enfin, au niveau des projets, des gens plus opérationnels ayant des vrais compétences sur les sujets abordés et missionnés par leur entreprise pour travailler sur le projet de standard. Si cette représentation des entreprises se fait mal le long du processus, une fois les travaux terminés, le standard peut être validé dans l’association par les représentants, mais pas en interne car pas adapté au besoin ! Quatrième problème, la diffusion. Une fois le standard terminé, GALIA va communiquer à ses membres le résultat du travail. La première question que se pose un fournisseur est alors : « quelle est la politique de mes clients ? Un standard c’est bien beau, mais ce qui en fait la valeur, c’est l’usage, et si Renault et PSA ne l’utilisent pas… ». Tant qu’il n’y a pas d’usage par les clients constructeurs, d’une part l’information se perd facilement (ex : si GALIA et un acheteur tiennent le même propos à un fournisseur, la qualité d’écoute ne sera certainement pas la même) et d’autre part GALIA n’a alors que la force de la conviction et pas le pouvoir d’imposition du client ! Mais même quand un client constructeur affirme utiliser le standard, ce n’est pas aussi simple, car un client constructeur regroupe différents départements, qui ne tiennent pas nécessairement le même langage. Il va falloir pour le fournisseur regarder qui parle, et notamment si c’est une demande du métier ou des achats… Si c’est seulement par exemple la logistique, on a encore le temps, puisqu’on continuera à avoir les marchés. Si c’est les achats, par contre il va falloir y aller et très vite ! Partant de là, on peut alors reboucler avec le problème de la représentation des sociétés évoqué plus haut, en constatant que les gens qui représentent les constructeurs chez GALIA viennent des métiers, que ce soit en logistique ou en ingénierie. S’ils sont les bons représentants pour concevoir les standards, ils ne sont que prescripteurs et non décideurs de modes de fonctionnement aux fournisseurs. Les vrais décideurs, ce sont ceux-qui choisissent les fournisseurs et expriment le besoin des entreprises dans la relation commerciale : les acheteurs. Or chez GALIA, il n’y en a pratiquement pas… Ce constat nous conduit alors au dernier problème identifié. En effet, plutôt que d’avoir des acheteurs dans l’association, une solution consisterait à ce qu’en interne les métiers arrivent à faire entendre leurs besoins aux acheteurs. C’est ainsi un problème de reconnaissance de la fonction logistique, d’intégration des besoins du métier dans la négociation commerciale. Or, si la logistique prend de plus en plus d’importance, elle n’a pas encore complètement gagné toutes ses lettres de noblesse. Dans mes entretiens, beaucoup de cadres me disent que la logistique a dix ans de retard sur la qualité. Preuve en est, aujourd’hui, pour fournir un constructeur, il faut être certifié ISO TS/16949, si on ne l’est pas, ça n’est même pas la peine d’essayer d’avoir un marché. En logistique, si on n’est pas certifié EVALOG, on peut toujours. Si on poursuit la réflexion, cette non reconnaissance au niveau de la relation commerciale impacte également la reconnaissance de cette fonction chez les fournisseurs ! En effet, les fournisseurs ont tendance à mettre en face des constructeurs des organisations miroirs pour répondre aux besoins de leurs clients. On nous demande de la qualité, on crée un département qualité. Si les clients ne nous demandent rien ou peu en logistique dans la relation commerciale, les logisticiens en interne auront moins de ressources, seront moins écoutés, et il sera plus difficile pour eux de mettre en œuvre les standards. Dans mes entretiens, j’ai pu ainsi constater que même chez certains gros équipementiers, une fonction logistique centrale n’était que très récente ! Comme vous le voyez, c’est une problématique très complexe, mais si je devais résumer en quelques mots les pistes d’amélioration : aller vers des standards plus globaux, mieux représenter les besoins des petites entreprises, valoriser l’apport d’une approche logistique structurée pour progresser et économiser en interne et impliquer les achats. Galia : Comment vivez-vous votre immersion dans ce milieu finalement complexe ? A.R. : C’est à la fois excessivement passionnant et difficile. Difficile, car être propulsé chef de projet chez GALIA pour élaborer un standard, quand on ne connaît la logistique et l’automobile que par les livres, et qu’on doit à 25 ans animer des cadres en ayant parfois plus du double, il faut s’accrocher ! Surtout que ces derniers, toujours avec gentillesse, ont parfois tendance à moquer le jeune qui croît tout savoir, fait une recherche universitaire perçue comme un peu inutile et utilisant un jargon incompréhensible, et n’a de surcroît jamais mis les pieds dans une usine ! Il m’a ainsi fallu acquérir rapidement des compétences techniques sur l’EDI et développer des capacités de managers pour être légitime dans ce milieu. Passionnant car aujourd’hui, avec la mondialisation des échanges, des organismes comme GALIA ont tendance à proliférer dans le monde, aussi bien à un niveau industriel (avec GENCOD dans la grande distribution, EUROFER dans la sidérurgie, etc…) que politique (avec la commission européenne, l’ONU ou l’OMC). Or, ces organisations sont très peu pensées théoriquement. Il me semble crucial de le faire, et modestement je m’y essaie. Et puis GALIA est un lieu d’observation tellement intéressant. Même si mon sujet est très difficile, je considère que j’ai vraiment de la chance d’être dans ce milieu. Propos recueillis par : Nadine Buisson-Chavot
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