l`archive audiovisuelle saisie (ou non) par le droit de la propriété

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l`archive audiovisuelle saisie (ou non) par le droit de la propriété
L’ARCHIVE AUDIOVISUELLE SAISIE (OU NON) PAR LE
DROIT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
NATHALIE CHASSIGNEUX
AVOCAT À LA COUR
Le droit, la norme peuvent-ils fixer des règles strictes et précises à l’utilisation
des archives audiovisuelles ? La question sera abordée ici en droit français, ce
dernier étant souvent vu, au sein de l’Union européenne, comme celui qui
protège le mieux les auteurs. La réflexion se déclinera en quatre volets :
premièrement, la protection des archives audiovisuelles pouvant être qualifiées
d’œuvre ; deuxièmement, la protection de documents audiovisuels n’ayant pas
obtenu cette qualité ; troisièmement, la protection résultant de la seule
propriété du support ; quatrièmement, les conditions d’action en justice en cas
de mésusage d’une œuvre ou d’un document audiovisuel. Je conclurai en
revenant sur les enjeux relatifs à la persistance d’un traitement différencié des
documents imprimés et audiovisuels.
La protection d’une archive audiovisuelle qualifiée d’« œuvre audiovisuelle »
Au terme de l’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle, « sont
considérées notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code :
(…) 6° Les œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des
séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble
œuvres audiovisuelles (…) »1 . L’œuvre audiovisuelle comme toute autre œuvre
ne peut donner prise au droit d’auteur que si elle est considérée comme
originale. Selon la jurisprudence française, l’originalité consiste en l’empreinte
ou dans le reflet de la personnalité de l’auteur, c’est-à-dire dans l’existence d’un
rattachement à la personnalité de celui-ci. La Cour de Justice de l’Union
européenne a repris cette condition dans son arrêt Infopaq (CJUE 16 juillet 2009,
aff C-5/08) en décidant que « le droit d’auteur n’est susceptible de s’appliquer
1
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?
idArticle=LEGIARTI000006278875&cidTexte=LEGITEXT000006069414
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que par rapport à un objet qui est original en ce sens qu’il est une création
intellectuelle propre à son auteur. »2
Cette condition a été précisée à propos de photographies dans l’arrêt
3
Painer : l’originalité se traduit par « des choix libres et créatifs » par lesquels
l’auteur imprime à l’œuvre sa touche personnelle et ce, tant avant la réalisation
(mise en scène, pose, éclairage) qu’au moment de la prise de vue (cadrage,
atmosphère créée) ou après la réalisation du cliché (développement, retouches).
Ces éléments peuvent êtres transposés à l’œuvre audiovisuelle4 .
L’on assiste aujourd’hui à une raréfaction de l’attribution de la qualité
d’œuvre en raison de la multiplication des documents audiovisuels. Il a ainsi été
considéré qu’il n’y avait pas œuvre de l’esprit - et donc pas de droit d’auteur quand une vidéo était filmée sur le vif, donc sans que le filmeur ait eu le temps
d’effectuer des choix. Un document audiovisuel ne bénéficie pas du statut
d’œuvre lorsqu’il s’agit d’une retransmission d’événements. Il est par ailleurs à
noter que la cour d’appel de Paris a considéré qu’un restaurateur de film muet
n’était pas un auteur (CA Paris 5 octobre 1994). Cette tendance est de nature à
diminuer le nombre des archives audiovisuelles pouvant revendiquer la qualité
d’œuvre protégée. En outre, celle-ci est octroyée au cas par cas lors de litiges. Il
en résulte une grande incertitude.
S’il s’agit d’une œuvre protégée, l’article L.113-7 du Code de la propriété
intellectuelle (CPI) définit comme auteur d’une œuvre audiovisuelle: l’auteur du
scénario, l’auteur de l’adaptation, l’auteur du texte parlé, l’auteur des
compositions musicales avec ou sans paroles (lorsque celles-ci ont été réalisées
spécialement pour l’œuvre) et le réalisateur5. L’œuvre audiovisuelle est qualifiée
légalement d’œuvre de collaboration, ce qui implique que les auteurs doivent
exercer leurs droits d’un commun accord. Ces droits d’auteur comprennent le
2
http://ec.europa.eu/dgs/legal_service/arrets/08c005_fr.pdf
3
CJUE 1er décembre 2011, Painer/A. Springer aff C-145/10.
4http://curia.europa.eu/juris/document/
document.jsf;jsessionid=9ea7d2dc30d5598a84925a554bd18588aa047c91274d.e34KaxiL
c3qMb40Rch0SaxuSbxv0?text=&docid=82078&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir
=&occ=first&part=1&cid=813818
5https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?
cidTexte=LEGITEXT000006069414&idArticle=LEGIARTI000006278887
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droit de représentation et le droit de reproduction (droits patrimoniaux) qui
peuvent être cédés.
Le contrat détermine les conditions d’utilisation de l’œuvre, à savoir la
possibilité ou non de la modifier (colorisation, coupes, etc.) ou de
l’accompagner de musiques ou de commentaires. Si l’archive audiovisuelle est
considérée comme une œuvre de l’esprit, son auteur est également titulaire
d’un droit moral. Celui-ci impose à tous le respect de l’œuvre et interdit quelque
modification que ce soit, effectuée sans accord de l’auteur. Et ce, même si les
droits patrimoniaux ont été cédés au producteur.
Toutefois, le droit d’auteur autorise plusieurs exceptions permettant
d’utiliser une œuvre sans demander une autorisation à l’auteur ou au
producteur. Celles-ci sont définies à l’article L122-5 du Code de la propriété
intellectuelle :
« Lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire :
1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans
un cercle de famille ;
2° Les copies ou reproductions réalisées à partir d'une source licite et
strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une
utilisation collective, à l'exception des copies des oeuvres d'art destinées
à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l'oeuvre
originale a été créée et des copies d'un logiciel autres que la copie de
sauvegarde établie dans les conditions prévues au II de l'article L. 122-6-1
ainsi que des copies ou des reproductions d'une base de données
électronique ;
3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la
source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère
critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de
l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées ;
b) Les revues de presse ;
c) La diffusion, même intégrale, par la voie de presse ou de
télédiffusion, à titre d'information d'actualité, des discours destinés
au public prononcés dans les assemblées politiques,
administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les
réunions publiques d'ordre politique et les cérémonies officielles ;
d) Les reproductions, intégrales ou partielles d'oeuvres d'art
graphiques ou plastiques destinées à figurer dans le catalogue
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d'une vente judiciaire effectuée en France pour les exemplaires mis
à la disposition du public avant la vente dans le seul but de décrire
les oeuvres d'art mises en vente ;
e) La représentation ou la reproduction d'extraits d'oeuvres, sous
réserve des oeuvres conçues à des fins pédagogiques et des
partitions de musique, à des fins exclusives d'illustration dans le
cadre de l'enseignement et de la recherche, y compris pour
l'élaboration et la diffusion de sujets d'examens ou de concours
organisés dans la prolongation des enseignements à l'exclusion de
toute activité ludique ou récréative, dès lors que cette
représentation ou cette reproduction est destinée, notamment au
moyen d'un espace numérique de travail, à un public composé
majoritairement d'élèves, d'étudiants, d'enseignants ou de
chercheurs directement concernés par l'acte d'enseignement, de
formation ou l'activité de recherche nécessitant cette
représentation ou cette reproduction, qu'elle ne fait l'objet
d'aucune publication ou diffusion à un tiers au public ainsi
constitué, que l'utilisation de cette représentation ou cette
reproduction ne donne lieu à aucune exploitation commerciale et
qu'elle est compensée par une rémunération négociée sur une base
forfaitaire sans préjudice de la cession du droit de reproduction par
reprographie mentionnée à l'article L.122-10;
4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ;
(…)
8° La reproduction d'une œuvre et sa représentation effectuées à des fins
de conservation ou destinées à préserver les conditions de sa
consultation à des fins de recherche ou d'études privées par des
particuliers, dans les locaux de l'établissement et sur des terminaux
dédiés par des bibliothèques accessibles au public, par des musées ou
par des services d'archives, sous réserve que ceux-ci ne recherchent
aucun avantage économique ou commercial ;
9° La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une
oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse
écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information
immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve
d'indiquer clairement le nom de l'auteur.
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Le premier alinéa du présent 9° ne s'applique pas aux oeuvres,
notamment photographiques ou d'illustration, qui visent elles-mêmes à rendre
compte de l'information.
Les reproductions ou représentations qui, notamment par leur nombre ou leur
format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d'information
immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette
dernière donnent lieu à rémunération des auteurs sur la base des accords ou
tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés.
Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à
l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts
légitimes de l'auteur. »6
La durée de protection des droits patrimoniaux d’une œuvre audiovisuelle
est de soixante-dix ans. Cette durée est calculée à partir de l’année civile en
cours, le jour du décès du dernier des auteurs (auteur du scénario, auteur du
texte parlé, auteur des collaborations musicales avec ou sans paroles
spécialement réalisées pour l’œuvre, réalisateur). Le droit moral étant perpétuel,
aucune atteinte ne peut être portée à l’œuvre, même quand celle-ci est dans le
domaine public.
Un régime de protection limitée : une archive non reconnue comme œuvre,
protégée par des droits voisins
Les programmes des producteurs de vidéogrammes (première fixation d’une
séquence d’images sonorisée ou pas) et des entreprises de communication
audiovisuelle font l’objet d’une protection par le droit voisin. Au titre de l’article
L.215-1 du Code de propriété intellectuelle, « le producteur de vidéogrammes est
la personne, physique ou morale, qui a l'initiative et la responsabilité de la
première fixation d'une séquence d'images sonorisée ou non. L'autorisation du
producteur de vidéogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la
disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au
public de son vidéogramme (…)7 ». Le vidéogramme protégé n’est pas
obligatoirement une œuvre, il n’a pas besoin d’être original.
6https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?
cidTexte=LEGITEXT000006069414&idArticle=LEGIARTI00000627891&dateTexte=2008121
1
7https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?
cidTexte=LEGITEXT000006069414&idArticle=LEGIARTI000006279060
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L’article L216-1 du Code de propriété intellectuelle dispose que « sont
soumises à l'autorisation de l'entreprise de communication audiovisuelle la
reproduction de ses programmes, ainsi que leur mise à la disposition du public
par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au
public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d'un droit
d'entrée.»8 Les programmes ne sont pas obligatoirement des œuvres. Ces droits
voisins ne contiennent pas de droit moral, les limites de l’utilisation sont donc
uniquement contractuelles. Ces droits comprennent les mêmes exceptions que
le droit d’auteur.
En application de l’article L.211-4 du CPI, pour les producteurs de
vidéogrammes, la durée des droits est de cinquante années à compter du 1er
janvier de l'année civile suivant la première fixation d'une séquence d'images,
sonorisée ou non. Toutefois, si, durant cette période, un vidéogramme fait l'objet
d'une mise à disposition du public sous forme d’exemplaires matériels ou d'une
communication au public, les droits patrimoniaux du producteur de
vidéogrammes expirent cinquante ans après le 1er janvier de l'année civile
suivant ces mises à disposition. Pour les entreprises de communication
audiovisuelle, la durée des droits est de cinquante années à compter du 1er
janvier de l'année civile suivant celle de la première communication des
programmes au public.
En l’absence de protection par le droit de la propriété intellectuelle seule
peut être opposée la propriété du support. Lorsque seul s’applique le droit de
propriété sur le support, l’archive audiovisuelle ne fait l’objet d’aucune
protection, au-delà de l’interdiction d’utiliser le support. Dès lors que le contenu
de celui-ci est mis à disposition il n’y a plus de protection. Dès lors pour protéger
l’archive il est nécessaire de ne pas la divulguer, ou de la divulguer avec des
mesures techniques de protection interdisant toute reproduction afin d’en faire
une chose unique c’est à dire de réifier l’archive audiovisuelle.
Responsabilité en cas d’utilisation des archives en dehors de leur contexte
de production et/ou en contradiction avec celui-ci
Le droit d’agir sur l’archive audiovisuelle appartient au titulaire des droits, soit
l’auteur et les héritiers de l’auteur pour le droit moral, l’auteur et les héritiers de
l’auteur ou cessionnaire des droits pour les droits patrimoniaux, ou encore le
8https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?
idArticle=LEGIARTI000006279061&cidTexte=LEGITEXT000006069414
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producteur de vidéogramme ou l’entreprise de communication audiovisuelle.
En cas de violation de ce droit, une action peut être intentée par le détenteur des
droits. Si le fondement de l’action est le droit moral ou patrimonial d’auteur, il
appartient au demandeur de prouver qu’il s’agit d’une œuvre, donc de prouver
son originalité. Pour les atteintes aux autres droits, le plaignant doit prouver la
titularité des droits et qu’a eu lieu une utilisation sans autorisation ou hors
autorisation. L’aléa judiciaire est important pour un résultat souvent mineur
(obligation de mention de l’identité du détenteur des droits). Et ce, d’autant plus
quand il s’agit d’une œuvre tombée dans le domaine public.
En conclusion, la meilleure protection des archives audiovisuelles est
assurée par le travail des historiens, lorsqu’ils rappellent le contexte de
production, de classement et de diffusion des documents qu’ils mobilisent. Si
l’on souhaitait renforcer leur protection, il conviendrait de réfléchir aux
conditions de dépôt des originaux et de veiller à la collecte de toutes les
informations nécessaires à la contextualisation de l’archive. L’enjeu concerne la
production aujourd’hui des archives de demain, au regard des outils juridiques
et techniques à notre disposition. A l’échelle européenne, et sous l’impulsion de
la Cour de justice de l’Union européenne, nous assistons depuis vingt ans à un
rapprochement des législations dans le domaine du droit patrimonial, visant
leur uniformisation. Par contraste, le droit moral sur les œuvres n’est pas à ce
jour protégé par la législation de l’Union européenne.
Pour citer cet article : Nathalie Chassigneux, « L’archive audiovisuelle saisie (ou non) par le droit de la
propriété intellectuelle », dans Nadège Ragaru, Ania Szczepanska (dir.), L’écriture documentaire de
l’histoire : le montage en récit, actes du colloque des 3 et 4 novembre 2015, Université Paris 1
Panthéon Sorbonne, site de l’HiCSA, mise en ligne le 9 septembre 2016.
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