Vins du Jura - QueSavoirDesVins
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Vins du Jura - QueSavoirDesVins
Club « Que savoir ? » Les Vins du Jura Dans mon article du mois d'août, je défendais âprement la notion du terroir. Encore faut-il insister sur le mariage Sol-Cépage. A une récente foire de Belfort, l'on m'avait présenté un vigneron qui d'après mes amis, était l'un des leaders de sa profession. Il me fit goûter un Chardonnay, dont il était apparemment très fier. A ma tête, il constata de suite que ce n'était pas mon avis. Alors il m'ouvrit une autre bouteille de Chardonnay qui semblait être la merveille de la famille. Même fierté vigneronne, même déception pour moi. Je luis fais remarquer que ses deux vins sont oxydés. Le vigneron surpris ne comprend pas, et semble douter de mes aptitudes à la dégustation. Il m'explique la manière dont il fait ses vins blancs, et que son Chardonnay il va l'élever dans des barriques où fut logé du Savagnin. Ce cépage est connu pour son célèbre Vin jaune, porte-drapeau des Vins jurassiens. Seulement il subit un élevage très particulier. L'on place le Vin dans des fûts de chêne de 228 litres pendant 6 ans au minimum, sans ouillage. Par la porosité du bois, le vin s'évapore, et progressivement le niveau baisse. Une pellicule de levures se forme à la surface du Vin. Ces levures permettront la formation d'acétaldéhyde protégeant le vin de la piqûre acétique (vinaigre) et de la madérisation. Mais l'acétaldéhyde que l'on retrouve dans le Jerez et tous les Vins rancio dégage des arômes de pommes ou coings très mûrs qui en vieillissant changent en noix, voire amandes grillées. Humez bien un Vin jaune, ses qualités olfactives (nez) sont des défauts pour tous les Vins à élaboration traditionnelle. Pour empêcher qu'un Vin ne développe une pellicule de levures, le vigneron va veiller, 1 à 2 fois par semaine, que son tonneau soit toujours plein. Il va compléter le vin évaporé. C'est l'ouillage. Et si vous servez un Chardonnay bien typé, avec un nez de Chardonnay, le consommateur du Jura ne l'appréciera pas, car il lui manquera son identité de Savagnin oxydé. Le défaut d'un vin est devenu une spécificité. Récemment un ami, professionnel en la matière, me fait déguster 4 vins – 2 blancs et 2 rouges -, d’un vigneron dont il me dit grand bien. Les 2 vins blancs, Chardonnay, présentent les mêmes défauts que dans le cas précédent. Je critique vertement ces vins, et cet ami en fait part au vigneron, qui m’invite à une dégustation dans sa cave. Pour commencer, 2 Chardonnay 2001, issus de 2 terroirs différents, marne pour l’un et calcaire pour l’autre. Je note sur mes fiches « Pas de typicité pour le premier et nez douteux pour le deuxième ». Mêmes vins pour le millésime 2000, et mêmes remarques en dégustation. Ce vigneron, jeune et passionné, qui recherche la qualité et le plaisir, me fait déguster un Savagnin 2001, élevé traditionnellement. Club « Que savoir ? » Un très beau Vin, avec la typicité du Savagnin, sans les excès aromatiques dû à l’acétaldéhyde. Un vrai plaisir. Et je sais maintenant que le vigneron a du talent. Alors je me pose la question. Quand une région possède un tel cépage, pourquoi vouloir absolument nous faire du Chardonnay, dont certains sols jurassiens ne semblent pas toujours lui convenir, et la vinification pas très bien adaptée. Le monde entier fait du Chardonnay, mais le monde entier ne possède pas le Savagnin. Encore faudrait-il lui donner sa chance à ce cépage en le vinifiant traditionnellement pour en faire un vin plus classique. Les Riesling, Gewurztraminer, Pinot Gris, Chenin, etc. se sont fait connaître et reconnaître en vinification classique, avant d'être honorés par les vendanges tardives. Le contraire fut fait dans le Jura. Le Savagnin est connu pour son Vin jaune, et sa participation au Vin de paille. Mais peu de personnes connaissent le Savagnin vinifié classiquement. Et c’est dommage pour le Jura. Je fis part de mes remarques au vigneron qui me dit que « cela faisait 800 ans que l’on fait du Chardonnay ». Il est à noter que jusqu’en 1900, le Corton Charlemagne (blanc)grand cru de Bourgogne, était fait avec de l’aligoté, que le Pinot en Bourgogne remplaça tardivement, suite aux ravages du Phylloxera en 1864, le Gamay ; et bien d’autres exemples… Ne pas oublier que le vigneron, au fil des siècles, fit ses essais qui ne furent pas tous concluants à la première vendange. Que de tâtonnements avant d'être satisfait. Il serait absurde de penser que leur quête du beau et du bon était arrivée à son apogée. Quand une région possède l’exclusivité de cépages tel le Savagnin, Trousseau, Poulsard, l’on se doit de les travailler, car il n’y a pas de concurrent. C’est un argument important pour lutter contre la mondialisation. Le Canton du Valais en Suisse possède des cépages que l’on ne trouve nul part ailleurs, soit par exemple l’Arvine, l’Amigne, la Reze, le Cornalin… Ces cépages furent progressivement abandonnés parce que pas assez productifs. Depuis 10 ans, il y a une évolution constante de la surface d’encépagement de ces variétés, suite à une demande grandissante de ces vins. Et le gouvernement suisse, offre CHFR 38'000 de dédommagement pour chaque hectare de Chasselas (cépage très productif) arraché. Si nous voulons être dignes de nos aïeux, il nous faut continuer à rechercher la perfection La concurrence devient plus vive, mais l’Europe viticole a les moyens de rester sur la première marche du podium, à la condition de ne pas s’endormir sur 20 siècles de Traditions. Club « Que savoir ? » **********