Champagne Duval-Leroy

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Champagne Duval-Leroy
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Champagne Duval-Leroy
Des maux dans les bulles
Travail & Sécurité 11 - 07
© Gaël Kerbaol pour l’INRS
Son nom évoque le luxe et l’excellence. Pour préserver cette image
du champagne et faire évoluer un poste de travail en cave générant
des douleurs articulaires pour les opérateurs, la maison Duval-Leroy a
planché sur l’analyse ergonomique des risques liés aux manipulations
des bouteilles. En parallèle, une large modernisation de l’outil de production
s’est opérée dans, le respect de la tradition champenoise.
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Des maux
dans les bulles
L
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e champagne aide à
l’émerveillement », disait
George Sand. Avec une
production annuelle globale
de 177 millions de bouteilles
et une renommée internationale, le plus élégant des vins
pétillants est surtout la fierté
d’une région qui cultive la vigne
depuis l’époque gallo-romaine.
Aussi, lorsque le métier est
confronté à un cas de maladie professionnelle, l’incident
dérange au plus haut point.
C’est ce qu’a connu, il y a cinq
ans, la maison familiale DuvalLeroy. Située à Vertus, dans
le département de la Marne,
elle compte aujourd’hui parmi
les dix plus grandes marques
de champagne (voir encadré
« Pour en savoir plus »). Suite
à la déclaration d’une maladie professionnelle inscrite au
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tableau 57 du régime général
de la Sécurité sociale (affection périarticulaire de l’épaule
provoquée par certains gestes et postures de travail), le
chef de cave fait appel à la
CRAM Nord-Est. L’activité en
cause consiste à empiler et
dépiler les bouteilles dans les
caveaux : c’est l’entreillage.
Plusieurs opérateurs affectés à
ce poste se plaignent de douleurs similaires.
Pour l’encadrement, l’origine
de la pathologie est d’autant
plus difficile à cerner que, quatre ans auparavant, l’entreprise
a investi dans une aide à la
manutention. À l’initiative de
Bernard Pierson, contrôleur de
sécurité à la CRAM, un groupe
de travail est constitué afin
d’analyser l’activité réelle et
d’évaluer les facteurs de ris-
ques. Le CHSCT, les opérateurs,
l’encadrement de proximité, le
médecin du travail, le concepteur de l’aide à la manutention, le contrôleur de sécurité
et un ergonome de la CRAM
sont impliqués. Ils travaillent
à partir d’une grille d’observation, d’un questionnaire et
d’un film. « Nous avons décortiqué l’activité et analysé la
problématique liée aux manipulations dans les caveaux,
pour avancer des solutions,
commente Jean-Jacques Atain
Kouadio, ergonome à la CRAM
Nord-Est. Celles-ci sont d’ordre technique et organisa­­tion­
nel. » Dans un premier temps,
il s’est agi de modifier le circuit
de commande de la machine.
La motorisation du système
de manipulation des bouteilles en a facilité la rotation.
Dans les champs, l’épandage
de produits nocifs ou irritants
pour l’homme est nécessaire
pour le désherbage ou
le traitement des maladies
cryptogamiques de la vigne.
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Des fûts de chêne réservés à
la vinification des grands crus
aux impressionnants pressoirs
pneumatiques et à la cuverie
thermorégulée : la maison
Duval-Leroy allie tradition
et modernité.
Juillet 2007 : nettoyage des
cuves de stockage en prévision
des prochaines vendanges.
L’intervention a lieu à partir
de passerelles qui facilitent
l’accès aux cuves.
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Les clés de la fabrication
I
l est l’invité d’honneur des fêtes et
des grandes tables. Chez Duval-Leroy,
le champagne nous livre ses secrets...
• De la vigne au pressurage
Fin août, les raisins cueillis à la main
sont acheminés vers les cinq pressoirs où
convergent ceux achetés à d’autres
viticulteurs. Chaque pressoir a une capacité
de 8 000 kg. Il peut être alimenté cinq
ou six fois par jour. Au terme de quatre
heures, le liquide s’écoule dans des belons
où sont séparés premier jus, deuxième jus
(ou cuvée) et première taille. La cuvée
(41 hectolitres pour un pressoir) donnera le
meilleur du produit.
• Le débourbage
Le moût s’écoule vers la cuverie de débourbage où il va décanter pendant 24 heures.
• La fermentation
• Le dégorgement
La maison élabore ses recettes dont
le secret est bien gardé par le chef
de cave. Côte des blancs oblige, le cépage
chardonnay prédomine dans les cuvées.
Le dépôt est réfrigéré treize minutes à
–25° C pour former un glaçon emprisonné
dans le col de la bouteille. Le passage
sur une dégorgeuse permet d’expulser
la capsule et le glaçon sous l’effet de la
pression.
• Le tirage
C’est la mise en bouteilles, qui a lieu
dès le printemps et jusqu’à début juillet.
L’ensemble de la chaîne est automatisé.
60 000 bouteilles sont remplies et
capsulées chaque jour.
• Le vieillissement
Dans l’obscurité des crayères, le vin entame
sa deuxième fermentation à température
constante. C’est la « prise de mousse ». Ce
processus de 15 mois en moyenne assure
la finesse des bulles. Au cours du repos,
un dépôt se forme dans la bouteille.
Il est amené dans le goulot par rotations
effectuées dans les caisses de remuage.
C’est aujourd’hui la technologie qui
reproduit les mouvements de remuage
traditionnels à une cadence de 600 000
bouteilles par mois : on « relève » le vin.
• Le dosage
Le vin reçoit la liqueur de dosage qui en
fera un champagne brut ou un demi-sec.
• Le bouchon
Un bouchon fait 31mm au départ
mais il est ramené à 15 par compression
mécanique sur sa partie en liège plein.
Un muselet est posé pour un verrouillage
total de la bouteille.
• L’habillage
Il va servir à identifier le vin : une capsule
de surbouchage est écrasée sur la bouteille,
puis la collerette, l’étiquette et
la contre-étiquette sont positionnées.
Le produit est fin prêt à être conditionné.
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Le moût est sous-tiré et transféré en
cuverie de stockage où a lieu la fermen­
tation alcoolique. Cette étape requiert une
température constante de 16 à 20°C.
• L’assemblage
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La hauteur de stockage a
également pu être réduite et
le temps de présence sur le
poste d’entreillage n’excède
jamais deux heures : une
rotation s’opère sur quatre
autres postes afin de réduire
la répétitivité des tâches et les
sollicitations biomécaniques.
Duval-Leroy prévoit également
de former un nouveau personnel à cette opération, de doubler les postes en rotation et
de renforcer le suivi médical.
« L’entreprise a réagi vite. Ce qui
a notamment permis de maintenir le salarié qui avait déclaré
La première fermentation est celle
de la transformation du sucre en
alcool. La seconde, plus longue,
correspond à la prise de mousse
dans le silence, l’obscurité et la
fraîcheur des crayères.
Et ce souci de réduction des
efforts physiques, la maison
Duval-Leroy le décline sur l’ensemble de sa production. Y
compris dans les vignes. « Nous
faisons la chasse au matériel
lourd et par là même aux tendinites. Les sécateurs électriques sont désormais utilisés sur
une bonne partie du vignoble,
explique Éric Fournel, directeur adjoint du secteur vignes.
L’amplitude journalière de taille
a été réduite au profit d’autres
tâches manuelles comme la
lierie (opération consistant
à accrocher les sarments). »
La finalité du remuage
est d’amener le dépôt
sur la capsule.
Sur un aspect plus général,
l’ensemble des risques dus à
l’exploitation des vignes a été
étudié suite à la mise à jour
du document unique. « Lors
de la préparation de la bouillie
de traitement de la vigne
dans une station prévue à cet
effet, l’opérateur est équipé de
combinaison, gants, masque,
visière. Il dispose des fiches de
données de sécurité reprenant
l’ensemble des informations
relatives aux produits chimiques mis en œuvre. Au cours de
l’épandage, il ne quitte pas son
tracteur. L’engin, dont la cabine
est pressurisée, est par ailleurs
équipé d’un module d’eau propre embarqué. Si, pour une
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De la vigne
à l’usine
L’entreilleur soulève une rangée
de 48 bouteilles, qui sont mises
sur palettes. L’élargissement
de la passerelle de travail et
l’asservissement électrique de la
tourelle ont considérablement
amélioré les conditions de travail.
quelconque raison, le conducteur devait descendre pendant
l’opération, il aurait à utiliser
les équipements de protection
individuelle nécessaires, poursuit Éric Fournel. Nous avons
également fait évoluer l’organisation afin de traiter la vigne
au moment optimal et ainsi
être plus efficaces en réduisant
l’utilisation des produits chimiques. Quelques parcelles sont
traitées par hélicoptère. »
Fin août, les champs connaissent le pic de l’activité avec les
vendanges. Le raisin est alors
livré sur palettes à l’unité de
pressurage. « Auparavant, on
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la maladie dans son emploi »,
se satisfait Bernard Pierson.
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L’éclairage des caves au sodium
permet de ne pas altérer le vin
avec les UV.
Tradition et
technologie
« Il est possible d’accéder aux
parties hautes de la cuverie
en empruntant les passerelles sécurisées. Depuis un an et
demi, nous nous sommes également dotés d’une nacelle qui
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le retroussait à la fourche pour
l’aérer, se souvient René Gérard,
responsable matériel et maintenance. Les caisses de 40 kg
sont désormais déchargées dans
les pressoirs, puis convoyées et
lavées dans un circuit automatique. » Sur un écran tactile, un
opérateur contrôle la quantité
de jus passé dans le compteur
volumétrique. La cuvée est
acheminée pour 24 heures au
débourbage, avant son séjour
dans les cuves de stockage.
nous est utile pour les opérations d’entretien et de maintenance, poursuit René Gérard.
C’est ici qu’est fait le vin. Il est
ensuite mis en bouteilles et
stocké en cave. »
Nous retrouvons notre
entreilleur. « Son poste ­consiste
à prendre une rangée de
48 bouteilles et les mettre en
palettes. Les nouvelles dispositions permettent de ne plus
avoir à lever les bras au-dessus
des épaules », précise le responsable matériel et maintenance.
Les bouteilles sont ensuite
transférées dans les caisses de
remuage. Traditionnellement,
un remueur tournait entre
40 000 et 50 000 bouteilles
par jour. Cette opération est
désormais programmée, avec
une fréquence variable pour
chaque cuvée. Ainsi va la fabriLe cariste prélève une bouteille
et repère le numéro de lot, afin
d’avoir une traçabilité de ce qui
va se passer sur la ligne.
L’étiquetage manuel
des bouteilles est encore
pratiqué pour les bouteilles
spéciales et les produits
haut de gamme.
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Anatomie
du 9e vignoble
champenois
tandis que les différentes opérations sont effectuées en
automatique : dosage de la
liqueur, mise en place du bouchon et du muselet, habillage...
Les opérateurs n’interviennent
qu’en sortie de ligne, pour des
contrôles visuels. « Seules les
bouteilles “spéciales” (magnums, demi…) sont récupérées
et étiquetées manuellement,
l’automatisation de ces lignes
n’étant pas justifiée compte
tenu du volume de produc-
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cation moderne, sans que
soit remis en cause le caractère traditionnel du produit.
Au cours des étapes suivantes,
l’homme ne touchera quasiment plus la bouteille. « Dès
la phase de dégorgement, le
secteur est protégé par cellules,
explique Bernard Pierson. Tout
le système est asservi, l’ouverture d’une machine ayant pour
conséquence immédiate de
couper le circuit. » Les bouteilles
défilent sur le tapis convoyeur,
tion », précise René Gérard.
Ce souci d’évolution est porté
depuis plus de quinze ans par
Carol Duval-Leroy, qui a pris
la tête du domaine en 1991,
entrant par là-même dans le
cercle restreint des femmes du
champagne. Il va de pair avec la
diversification de la gamme et
l’élargissement de l’exportation.
Fièrement recouvertes de ce qui
leur donne leur identité commerciale, les bouteilles sont
mises en cartons et conduites
en zone de conditionnement
et stockage où l’outil de palettisation 5 faces fait son travail.
En fin d’année, 35 000 à 60 000
bouteilles prennent chaque
jour le départ de ce lieu vers
les différents points de vente.
Les bouteilles finissent par
un long parcours automatisé,
avant d’être mises sur des palettes.
Grégory Brasseur
Photos : Gaël Kerbaol
L
a maison de champagne
Duval-Leroy est
implantée depuis 1859
à Vertus (51), au cœur
de la côte des blancs.
86 personnes y travaillent
dans les caves et bureaux,
32 sont en permanence dans
les vignes et sont rejointes
par quelque 400 saisonniers
en période de vendanges.
En 2006, le groupe a vendu
5 200 000 bouteilles
et réalisé un chiffre
d’affaires de 61 000 000
d’euros. 17 000 000 de
bouteilles sont stockées
en permanence dans ses
caveaux. 60 % des ventes
se font à l’exportation
(Angleterre, Allemagne,
Belgique, États-Unis…).
La maison Duval-Leroy
exploite en direct 170 ha
de vignes.
Elle est présente sur
toutes les communes de
la côte des blancs classées
« grand cru ». La maison
dispose également
d’approvisionnements
dans les « grands noirs »
de la montagne de Reims.
Ses champagnes sont issus
des assemblages de trois
cépages : le pinot noir,
le pinot meunier et,
bien sûr, le chardonnay,
qui règne en maître sur la
côte des blancs.
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