le grand voyage - collegesaucinema
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LE GRAND VOYAGE Ismaël Ferroukhi réalise son premier long-métrage avec ce film mettant en scène un père et un fils qui ne parlent pas la même langue et qui vivent sous le même toit. Un père et un fils qui fuient en permanence la confrontation et qui sont obligés de se parler parce qu’ils sont dans la même voiture pendant 5000 km ! Ce grand voyage nous montre tour à tour leurs conflits et leurs rapprochements. A l’image des relations humaines, c’est un film à la fois simple et compliqué avec deux excellents acteurs « jouant de l’intérieur », exprimant les non-dits, suffisamment crédibles pour donner l’impression d’un documentaire - d’ailleurs les acteurs étaient dans un état réel de voyage, avec son lot de difficultés et sa fatigue accumulée tout au long de la route ! Le film montre avant tout l’évolution de la relation du père et du fils mais aussi leur pèlerinage. On peut noter que c’est le premier tournage cinématographique à La Mecque ! Passant de l’huis-clos à deux millions de personnes, Ismaël Ferroukhi invite les spectateurs à découvrir la religion musulmane loin des idées reçues, au plus près des individus, de leur culture et de leur histoire. LES ETAPES D’UNE RENCONTRE DIFFICILE 1. Dialogues évités et non-dits Les premières scènes montrent cet évitement de la confrontation entre Réda et son père, voire dans le cercle familial. (Le minutage est réalisé à partir du DVD dès que la lecture du film commence) 3'14 à 5'04 Arrivée de Réda dans l'appartement où vit sa famille, le père ne lui dit rien mais consulte sa montre pour signifier qu’il rentre trop tard... Le problème de la langue pour communiquer est posé d'emblée : les parents parlent un dialecte arabe et Réda le français. Son père lui expose son projet et Réda, manifestement estomaqué, reste sans voix ! Il répond en donnant ses arguments à sa mère laquelle reste sans voix à son tour. Chacun évite la confrontation et s'installe dans le non-dit. 5'30 à 7'00 La communication entre Réda et son frère ainé n'est guère meilleure dans la scène d'adieux... Les questions de Réda ("C'est tout ?", "Autre chose ?") laissent entendre que bien des choses ne sont pas dites. En l'occurrence, ce pourrait être des excuses de la part du grand frère qui aurait dû partir à la place de Réda… Le père, quant à lui, ne donne pas de recommandation au frère ainé. Le portable de 7'39 à 8'00 & de 12'09 à 13'14 Lisa appelle Réda sur son portable mais, sous le regard de son père, Réda ne répond pas. Rien n'est dit, chacun évite de parler. 1 Dans les scènes suivantes, le père dit à Réda de ne pas conduire si vite. Sans répondre, Réda attend que son père s'endorme pour foncer vers la frontière italienne ! Epilogue de la scène du portable : le père profite du sommeil du fils pour jeter le téléphone dans une poubelle. 2. Premières ébauches d'échanges conflictuels Les premiers dialogues mettent en évidence leurs oppositions sur le choix de la route à suivre comme sur la nature de ce voyage. Les conflits qui apparaissent tournent court : le silence clôt rapidement la conversation. De 13'14 à 14'00 Réda voulait s'arrêter à Milan puis à Venise mais le père lui demande s'il croit qu'ils vont faire du tourisme. Sans répondre directement, Réda insiste : il propose de s'arrêter juste une heure mais son père se lève mettant fin à la conversation. De 14'45 à 16’00 Réda ne trouve pas sur la carte la route qu’ils ont prise. - le père : On va continuer par là. - Réda : Mais qu'est-ce t'en sais, tu sais même pas lire ! Finalement, devant le mutisme du père. - Réda : OK, c'est comme tu veux. De 17'20 à 20'14 Réda apprend que son père a jeté son portable, il rétorque juste "Quoi ?" et s'enferme à son tour dans le mutisme. La négligence voire le mépris avec lequel il se lave les mains est à l'image du mépris de son père pour ses préoccupations personnelles. Le lendemain, le père esquisse une explication que Réda n'est pas prêt à entendre alors qu'ils ignorent toujours où ils vont... 3. Les chemins chaotiques de la réconciliation Leurs tentatives de communication avec la mystérieuse femme en noir puis avec le personnage bavard semblent amener les deux hommes à se parler davantage. 2 De 32'49 à 34'40 Leur premier dialogue en Bulgarie sonne comme une réconciliation : sollicité par son père, Réda lui pose enfin une question directe à laquelle son père répond clairement. Noter l'importance du décor que le réalisateur a cherché à accorder avec les relations entre les deux hommes : c'est un foyer précaire, un petit abri dans un paysage envahi par la neige où chacun lutte pour garder un peu de chaleur. Ce foyer fragile est à l'image de ces premiers liens que Réda tisse avec son père - le fait que Réda dise pour la première fois un mot, un seul, dans le dialecte du père est un signe discret de cette ébauche de réconciliation. Noter également l'expressivité inédite du visage du père et le sourire de Réda... De 37'40 à 38'23 La scène à l'hôpital conforte ce rapprochement : Réda sourit à son père qui lui demande son livre de prière en ajoutant "s'il te plaît" pour la première fois... De 42'07 à 46'00 Dès lors, tout semble porter les deux hommes vers une amélioration de leur relation. Ismaël Ferroukhi va perturber cette situation en faisant intervenir un troisième personnage, Mustapha. Face à ce père taciturne, autoritaire, rigoureux, Mustapha est un peu le père idéal de Réda bien qu’il ne soit pas dénué d'ambigüité. Qui est-il, pourquoi paye-t-il et que verse-t-il pour arranger le passage de la frontière turque de Réda et de son père ? Sa décision précipitée de se joindre à eux pour effectuer le pèlerinage cache-t-elle d'autres intentions ? Ce sont d'abord ces interrogations qui peuvent motiver la méfiance du père. 4. Séparations De 47'40 à 51'10 Rapidement Mustapha prend place dans cet huis-clos : il parle très bien le français, il est ouvert, moderne, progressiste, bien intégré. Il établit d'emblée une relation affectueuse avec Réda qui lui parle de Lisa tout comme Mustapha lui parle de sa vie. Le problème entre le père de Réda et Mustapha, c’est surtout la jalousie. De 51'41 à 54'00 Méfiant, se sentant trompé par son fils qui lui préfère Mustapha, indigné par leur consommation d'alcool, submergé par la colère - qui est peut-être due à un sentiment de culpabilité : il n'a pas été un père à la hauteur - le père interprète la disparition momentanée de Mustapha comme le signe qu'il les a dû les voler... et il 3 oublie qu’il a caché lui-même son argent ! Le père fait mine de frapper son fils, chacun est convaincu d'avoir été abusé : le voyage et la réconciliation semblent alors bien compromis ! Le décor désertique de la route vers Damas renvoie chacun à son repli sur soi... Le scénario s'achemine vers la séquence de la mendiante du désert, point culminant du conflit entre Réda et son père De 1h00'30 à 1h03'55 Réda ne comprend pas et n'accepte pas que son père fasse l'aumône alors qu'ils n'ont pas assez d'argent pour finir leur voyage. Le conflit éclate, le père gifle son fils qui lui annonce qu'il devra continuer seul ! Au terme du jour, le père gravit la colline où son fils s'est isolé et lui rend sa liberté. Réda n'est plus un enfant tenu d'obéir, c'est maintenant un jeune homme indépendant même si cette autonomie se construit sur l'incompréhension. La séquence se clôt sur le visage de Réda en gros plan : quelle décision va-t-il prendre ? (cf. analyse d'une séquence, pages 9 à 11 du Dossier 174 Collège au cinéma) 5. Ellipses et allégories De 1h07’17 à 1h08’40 Deux détails nous permettront ensuite de déduire qu'ils ont finalement décidé de poursuivre leur route ensemble : le panneau routier indiquant qu'ils arrivent à Amman en Jordanie. Réda ne s'est donc pas arrêté à Damas pour prendre l'avion. Les quelques mots et sourires échangés dans la voiture (« On dirait qu’on se rapproche. ») témoignent en effet de ce rapprochement entre les deux hommes. Plus tard, tandis que son père est allé prier, Réda fouille son blouson sans doute à la recherche de la photo de Lisa. Celle-ci est probablement tombée de sa poche et son père l'a trouvée dans la voiture pendant la séquence de la mendiante du désert. 4 Durant cette scène, on voit Réda sortir son passeport français que son père lui a donc rendu... Ces deux détails significatifs ne sont cependant pas faciles à distinguer et interpréter ; il aurait peut-être été indiqué de placer une scène qui permette au spectateur d’être témoin de la transmission du passeport et de la décision de Réda plutôt que de recourir à l’ellipse… De 1h09’00 à 1h13’20 D’autant plus que leur réconciliation est loin d’être à l’abri de nouveaux conflits ! Réda retrouve l’argent prétendument volé par Mustapha et le donne à son père qui ne croit guère le mensonge de son fils… Un nouveau conflit les oppose (« Tu comprends rien, t’as jamais rien compris ! Tu vois pas qu’on n’est pas sur la même longueur d’ondes ? »). Et Réda sort, boit, revient avec une danseuse… provoquant la fureur de son père qui part à pied au matin. Réda le rattrape et le convainc de s’arrêter avec cette réplique : « Mais merde ! On pardonne pas dans ta religion ? » Nouvelle ellipse : nous voyons le père s’arrêter mais nous ne le verrons pas rejoindre son fils… Ces scènes sont encadrées par deux séquences allégoriques : la tentative de sacrifice du mouton et le cauchemar de Réda. Quand le père s'apprête en vain à égorger un mouton qui échappe à son fils, comment ne pas songer - au-delà de la scène de comédie avec sa chute savoureuse et de cette nouvelle illustration des difficultés de compréhension – à l’Aïd el-kébir et au sacrifice d’Abraham (Ibrahim dans la religion musulmane) ? L’agneau est traditionnellement associé au judaïsme, puis au christianisme et à l’islam, depuis le sacrifice d’Abraham. Pour éprouver sa foi, Abraham reçut de Dieu l’ordre de sacrifier son fils, Isaac (juifs, chrétiens) / Ismaël (musulmans), en lieu et place de l’agneau. Abraham accepta ce sacrifice. Heureusement, un ange l’arrêta à la dernière minute et lui demanda de remplacer son fils par un bélier prisonnier d’un buisson. L’agneau s'étant échappé, le père de Réda a-t-il, pour autant, l’intention de « sacrifier » son fils ? C’est un peu le sens du cauchemar que fait le jeune homme peu de temps après. Prisonnier de sables mouvants qui l’engloutissent peu à peu, il voit passer un troupeau de moutons conduit par son père vêtu en berger. Celuici continue sa route sans secourir Réda qui l’appelle. Cela révèle sans doute la 5 peur de Réda de s'être montré indigne de son père qui l'abandonne sans protection face aux dangers : ce rêve intervient après la dispute à l'hôtel lorsque Réda va s'enivrer et séduire une danseuse. Ce rêve est enfin prémonitoire car la nuit suivant la disparition de son père à La Mecque, Réda croisera également un berger et son troupeau. Ce berger qui disparaît et l'obscurité qui s'installe évoque la disparition du père qui laisse son fils seul privé de guide (dans le noir) mais cela symbolise peut-être aussi l'accession de Réda à l'âge adulte : il va maintenant poursuivre sa route de son propre chef... Le père de Réda est un peu ce berger qui s'acquitte tant bien que mal de sa mission : guider son fils tout au long de ce voyage initiatique, en cherchant à le protéger des tentations terrestres (alcools, femmes) et en lui inculquant des valeurs de solidarité et de partage. 6. L’aboutissement du voyage De 1h19’18 à 1h21’42 Après la rencontre des pèlerins, importante pour le père mais aussi pour Réda qui commence à percevoir l’importance de ce pèlerinage, arrive la scène de réconciliation explicite. Celle-ci sera suivie du geste du père qui place la photo de Lisa sur le volant pour que son fils la trouve au réveil. Ces deux séquences qui succèdent à plusieurs épisodes de conflits plus ou moins intenses depuis la mendiante dans le désert ont un peu de mal à convaincre le spectateur que père et fils sont maintenant parvenus à construire une relation affective solide et durable fondée sur une bonne compréhension mutuelle… mais il est vrai qu’ils ont avancés l’un vers l’autre (Réda surtout mais aussi son père qui pardonne, remercie son fils et accepte sa petite amie non-musulmane) ; les deux hommes se connaissent, se comprennent et s’acceptent mieux maintenant. De 1h39’21 à 1h40’30 Le départ de Réda qui fait l’aumône, ouvre la fenêtre du taxi pour respirer l’air de la Mecque et regarder le ciel sur une chanson arabe… C’est la fin du voyage initiatique de Réda qui a appris à comprendre et connaître son père, à découvrir sa culture et à accepter cet héritage… POUR MIEUX COMPRENDRE C'est en faisant ce grand voyage ensemble que Réda et son père vont cheminer l'un vers l'autre. Comme bon nombre de spectateurs, le personnage de Réda - qui ne manifeste aucun signe extérieur d’appartenance à une quelconque religion - va découvrir à la fois le pèlerinage et son père. 6 Ce n'est pas le moindre pari du Grand voyage que de nous inviter à regarder un film sur l'islam et le pèlerinage à La Mecque dans le contexte actuel ! Cette difficile rencontre entre deux hommes est aussi, pour le spectateur, celle d'une famille immigrée et de la religion musulmane... Ismaël Ferroukhi invite ainsi chacun à mieux se comprendre au-delà des différences linguistiques, culturelles et religieuses. En géographie, ce sera l'occasion de retracer l'itinéraire de Réda et de son père : des Bouchesdu-Rhône dans le sud de la France à la Mecque en Arabie saoudite, via l’Italie (passage de la frontière de 9'17 à 10'28), la Slovénie (à 14' 13 panneau d'autoroute indiquant Ljubljana en Slovénie), la Croatie (Réda consulte la carte à 14'50: "Il faut faire demi-tour jusqu'à Zagreb (Croatie), là on récupère l'autoroute jusqu'à Belgrade (Serbie)".), la Serbie (passage de la frontière entre Croatie et Serbie de 21'45 à 22'48), la Bulgarie (Réda demande à un bavard la direction de Sofia de 31'20 à 32'33 puis de 35'54 à 37'09 "Papa, on est en Bulgarie, on est coincé par la neige !"), la Turquie (de 39'28 à 42'29 passage de la douane turque suivi de la visite de la mosquée bleue à Istanbul), la Syrie (à 57'20 : une station service à 150 km de Damas) et la Jordanie (à 1h07'31 "Bienvenue à Amman, Jordanie") pour arriver en Arabie Saoudite à 1h13'14. On pourra utiliser les ressources de Google Earth et en extraire cartes et photos pour reconstituer ce périple... Noter que les indicateurs de lieux sont peu nombreux dans le film. En histoire, on pourra rappeler l'histoire de la religion musulmane et des cinq piliers de la foi. (cf. Le pèlerinage de La Mecque, pages 20 et 21 du Dossier 174 Collège au cinéma) 7
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