Interview Experts des ONG de l`Alliance pour la Planète INTERVIEW
Transcription
Interview Experts des ONG de l`Alliance pour la Planète INTERVIEW
Interview Experts des ONG de l'Alliance pour la Planète INTERVIEW APPA Nord-Pas de Calais www.appanpc.fr 1 Document APPA Nord-Pas de Calais – 2007 – www.appanpc.fr Interviews d'experts des ONG de l'Alliance pour la Planète Philippe Quirion, membre du Réseau Action Climat et chargé de recherche en économie au CNRS. Alain Grandjean, économiste, membre du comité stratégique de la Fondation Nicolas Hulot Benoît Faraco, coordinateur énergie et changement climatique à la Fondation Nicolas Hulot APPA NPC : Une taxe carbone, pour quelles raisons ? P. Quirion : C'est depuis la fin des années 80, début des années 90 que des propositions dans ce sens ont été faites, en fait depuis que le problème du changement climatique est venu sur la place publique. En 1988, l'Assemblée générale des Nations Unies et le G8 se saisissent du sujet et le GIEC se créait. Dès le début, les quelques économistes qui se penchent sur la question prennent position en faveur des taxations des émissions de GES parce que c'est la réponse assez standard du point de vue de l'analyse économique sur un problème de ce type, puisqu'en économie, depuis les années 20, on analyse les problèmes de pollution comme un problème de sous tarification, soit d'une ressource, soit d'une émission polluante. Dès le début des années 90, la commission européenne a proposé des directives dans ce sens, qui malheureusement n'ont pas été adoptées pour une raison institutionnelle qui est qu'au niveau de l'UE, les décisions en matière de fiscalité se prennent à l'unanimité. Un certain nombre de pays dont la France se sont opposés à ces diverses propositions de directives. Aux USA aussi, sous Clinton et Al Gore il y a eu des propositions dans ce sens là qui ont été rejetées par le congrès. Donc ce n'est pas quelque chose de nouveau, même si cela a été poussé de nouveau par Hulot et sa fondation tout récemment au moment de la campagne électorale, puisque c'est la principale proposition de son pacte sur cette question de l'énergie et du climat. Et puis cela a toujours été soutenu par les associations de protection de l'environnement. A. Grandjean : Aujourd'hui, le CO2 est un déchet qu'on envoie gratuitement dans l'atmosphère. Et vous savez bien que ce qui est gratuit n'est pas compté, mesuré et ne fait pas l'objet d'efforts particuliers. Dès lors que ce déchet va coûter, on fera des efforts, tant les producteurs que les consommateurs, pour réduire les émissions. Plus il y aura de pression sur les prix, plus les constructeurs automobiles seront incités à faire des voitures qui émettent moins de CO2. Et les consommateurs seront contents d'avoir ce genre de voiture. En gros, on n'est pas sale par morale ou par éthique, on est sale aussi parce que ça ne coûte rien d'être sale. Par ailleurs, on est persuadé qu'il va y avoir de très fortes tensions dans les 20-30 ans qui viennent sur la fourniture d'énergie d'origine fossile et donc il est important de prévenir les gens et de favoriser la gestion de ces montées de prix. Car s'il y a de très fortes tensions dans 20 ans, les gens vont subir un choc. Il vaut mieux accompagner ce mouvement. Aujourd'hui, on a un baril à 100 dollars, certains disent qu'il va augmenter de manière continue jusqu'à 2020, mais ce n'est pas du tout évident, on peut avoir des contre chocs et à ce moment là ne pas avoir des efforts d'économie permanents. Donc la fiscalité permet de garantir une hausse croissante du prix des énergies fossiles. 2 Document APPA Nord-Pas de Calais – 2007 – www.appanpc.fr APPA NPC : Ce type de taxe existe-t-il déjà dans d'autres pays ? P. Quirion : La réponse n'est pas simple. Elle existe partiellement. Au début des années 90, des pays scandinaves (Suède, Danemark, Norvège) ont fait des réformes fiscales en introduisant des taxes sur la pollution (SO2, protoxyde d'azote et CO2) et en utilisant ces recettes pour diminuer d'autres prélèvements. Ensuite, l'Allemagne, le Royaume Uni et la Suisse plus récemment ont mis en œuvre des taxes de ce type. Toujours avec des taux différenciés. Mais toujours avec certaines exemptions, par exemple en exemptant certains combustibles pour diverses raisons. Par exemple l'Allemagne subventionne le charbon, parce que c'est une industrie nationale puissante, bien organisée, etc. APPA NPC : Vous voulez taxer la consommation plutôt que la production ? A. Grandjean : Il faut garantir que le prix de vente du consommateur augmente. C'est en appuyant sur la demande finale pour les énergies diffuses du consommateur et des entreprises (l'ensemble des acheteurs d'énergie) qu'on fait bouger l'ensemble de la chaîne de valeur. Si vous taxez la production mais que ça n'a aucun effet sur le prix final, ça réduira un peu les marges des producteurs. On a un exemple avec la crise énergétique des années 70, où l'augmentation des prix a fait baisser les consommations. Cela a incité les producteurs à construire des voitures moins émettrices. On a gagné entre 20 et 30% de consommation moyenne. Il faut par ailleurs savoir qu'il n'y a pas de taxe sur les voitures aux USA, alors qu'elles consomment en moyennent du 12l/100km. En Europe, on est proche de 7l/100. Un deuxième exemple concerne le tabac. A partir du moment où la population a été prête, l'augmentation du prix du tabac a eu un effet mesurable sur la baisse de la consommation. APPA NPC : Votre proposition de contribution ne fonctionne pas comme un système bonus-malus, où ne paieraient la taxe que ceux qui polluent tandis que ceux qui utilisent des moyens non polluants recevraient un avantage directement (réduction fiscale...) P. Quirion : Le problème général des subventions sur le vertueux, c'est qu'à chaque fois on va oublier le comportement qui peut être encore plus vertueux. Vous allez par exemple donner un bonus sur le chauffe eau solaire, mais est-ce que vous allez donner un bonus sur une maison qui est bien conçue, bien orientée et qui profite des apports solaires passifs ? Là cela va devenir très compliqué. Allezvous donner un bonus à des gens qui se chauffent à 19 degrés comme le prévoit la loi et pas au-delà ? Cela va être ingérable. En fait, on va subventionner des comportements semi vertueux et oublier les comportements encore plus vertueux. Pour le déplacement, c'est pareil. Pour réduire les déplacements motorisés domicile-travail. L'idéal c'est d'habiter à côté de son bureau... typiquement mettre un bonus sur la voiture propre. Mais on ne va pas mettre un bonus sur les vélos. APPA NPC : Cette contribution va induire une augmentation des coûts de production. Faut-il s'attendre à une répercussion à la hausse des prix de vente de produits très variés (jean, tomate...) ? A. Grandjean : L'idée globale est la suivante : on est habitué et on a vécu dans les vingt dernières années une période où le prix de l'énergie croissait toujours moins vite que le pouvoir d'achat. Donc un système de production et de consommation énergivore et non pas "travaillivore". La France est un pays où la productivité au travail est exceptionnelle. Je pense qu'on est les premiers au monde en 3 Document APPA Nord-Pas de Calais – 2007 – www.appanpc.fr la matière. [..] Une des raisons est économique : il y a des prélèvements sur le travail qui sont importants et des prélèvements sur l'énergie qui sont très faibles. Si on passe dans un univers qu'on accompagne et dans lequel le prix de l'énergie va croître plus vite que le pouvoir d'achat, ça va changer le donne. Donc tous les produits qui ont une part énergie ou carbone implicite vont forcément voir leurs prix augmenter plus vite que les autres. Sachant que là on est au niveau de la France. Si je prends l'exemple du transport de la banane, qu'elle vienne en bateau ou en avion, elle ne coûtera pas beaucoup plus chère parce qu'on n'arrive pas à instaurer pour l'instant une taxe sur le kérosène des avions. B. Faraco : A priori oui, à moins que l'entreprise ne réduise ses marges. Après c'est le choix des industriels et des acteurs économiques, notamment en fonction du contexte et du marché dans lequel ils se situent. En fait, c'est très difficile d'évaluer ce qu'on va induire en changement de comportement et ce qu'on va induire en rentrée fiscale brute -pour les comportements qui n'évolueraient pas. Nous, on donne un signal-prix, on pose un certain nombre de problèmes aux acteurs et ils n'y répondent pas tous de la même manière. APPA NPC : Les consommateurs ne vont-ils pas avoir des craintes pour leur pouvoir d'achat ? B. Faraco : Dans les secteurs des transports, du chauffage, du logement, il y aura un impact fort, visible, immédiat. Les simulations que nous avons faites montrent que si on ne fait rien, on consacre une part croissante du revenu au poste énergétique. Le but de la taxe, ce n'est pas forcément de faire rentrer de l'argent, mais d'induire des changements de comportement. Notre objectif est de maintenir le niveau de dépense constant, donc de ne pas toucher au pouvoir d'achat, en augmentant les prix et donc en faisant baisser la consommation énergétique Après, on est relativement confiant dans la capacité des acteurs économiques à s'adapter, et à proposer des modes de consommation qui soient moins gourmands en carbone. On propose une contribution qui soit différenciée, des mécanismes d'ajustement différenciés par secteur, car on sait très bien que pour un industriel, c'est relativement facile de s'adapter à un signal-prix faible, tandis que pour un particulier, c'est plus compliqué de s'adapter à une hausse des prix de l'essence. On a établi 3 grands secteurs : logement, transport et industrie pour lesquels on ne donne pas la même valeur au carbone, donc pas le même niveau de taxation. On est sur un système efficace sur le moyen-long terme, mais qui, sur le court terme, peut être mal interprété. Il est clair qu'il faut insister sur la cohérence entre ces deux niveaux. Enfin, il faut à la fois des bâtons -telle que cette contribution- et des carottes. Il faut aussi avoir une grande part de confiance dans les citoyens. On est dans un contexte où les choses ont beaucoup changé, où les gens comprennent de mieux en mieux les enjeux et sont de plus en plus sensibles. APPA NPC : Et pour les particuliers les plus pauvres ? B. Faraco : Une partie des revenus issus de la contribution ira aux plus pauvres. Sans doute en fonction de critères de revenus, mais on n'est pas allé beaucoup plus loin. Il faut quand même un minimum de conditionnalité dans cette aide, cet accompagnement des ménages. C'est-à-dire de ne pas leur donner une prime à la cuve ou quelque chose qui leur permettrait de payer une taxe d'un côté et de récupérer le montant de l'autre pour reconsommer la même énergie, car cela n'a pas de sens. Donc il faut trouver des mécanismes incitatifs qui amènent à un usage rationnel de l'énergie. On a beaucoup discuté avec les banques à ce sujet. Elles mettent en place des prêts bonifiés sur les 4 Document APPA Nord-Pas de Calais – 2007 – www.appanpc.fr travaux d'isolation, l'achat de véhicules les moins consommateurs... tout simplement parce que ça améliore la solvabilité de leurs clients. Donc on a cherché de ce côté des idées. Cela nous semble pertinent d'avoir des crédits d'impôts ciblés et vraiment efficaces -parce qu'ils ne le sont pas tous. Pour les Rmistes, je pense qu'il y a vraiment de gros efforts à faire sur le parc de logement sociaux (amélioration du cadre de vie, impact environnemental...). Nous discutons avec les partenaires sociaux pour accompagner la rénovation de ce parc, car c'est une catastrophe. D'un point de vue énergétique et on est en train de mettre les gens dans la dépendance énergétique alors qu'ils sont déjà dans une situation sociale assez précaire. En gros, les gens sont locataires de leurs logements et continuent à payer les charges liées à ces consommations. C'est donc une situation insoutenable des points de vue économique et environnemental. Pour les transports, il serait intéressant de mettre en place un véritable chèque transport efficace, ciblé sur les transports en commun, le co-voiturage, ou qui permette d'acheter un vélo. Il faudrait l'accompagner de Plan de Déplacements en Entreprise et de la mise à disposition de transports en commun fiables. Mais c'est encore du moyen-long terme. Sur le court terme, il faut travailler au niveau du renouvellement du parc sur des modèles petits et performants du point de vue énergétique, accompagnée d'une vignette annuelle (ou écopastille) fonctionnant en bonus-malus, mesure qu'on a soutenue lors du Grenelle. Dans ce cas, si on achète un petit véhicule neuf pour aller travailler, on est rapidement gagnant sur le plan économique, même sans contribution finalement. Si on a une prime annuelle de 500 euros sur les petits véhicules, alors on fait plus qu'atténuer les effets de la contribution, et on est même gagnant sur le pouvoir d'achat puisqu'on diminue la consommation énergétique. Donc les ménages ont dans ce cas de l'argent à consacrer à autre chose. En savoir plus : Alliance pour la Planète (http://www.lalliance.fr/) 5 Document APPA Nord-Pas de Calais – 2007 – www.appanpc.fr 6 Document APPA Nord-Pas de Calais – 2007 – www.appanpc.fr