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Fédération Inter-Environnement Wallonie > Opinions > Analyses critiques > Un cap territorial wallon
pour le Nord-Pas-de-Calais ?
Un cap territorial wallon pour le
Nord-Pas-de-Calais ?
jeudi 30 janvier 2014, par Benjamin Assouad
Comprendre comment les choses se passent chez soi, et a fortiori, décider de l’organisation interne
desdites choses gagne – c’est bien connu mais peu pratiqué – à s’inspirer de ce qui se fait hors de chez soi.
C’est vrai dans (presque) tous les domaines, et certainement en matière d’aménagement du territoire.
Aussi, après nous être penchés, dans les opus précédents, sur le territoire du Grand-Duché du
Luxembourg (5925) et sur les territoires des régions françaises Lorraine et Champagne-Ardenne,
penchons-nous, dans cet opus, sur le territoire de la troisième région la plus proche de la Wallonie, le
Nord-Pas-de-Calais.
La géographie politique européenne est à ce point ancrée dans nos représentations qu’il est généralement
peu aisé de s’en extraire. Les continuités territoriales par-delà les frontières sont pourtant réelles. Deux
régions périphériques, qui sont séparées par un trait sur une carte de géographie politique, auront parfois
plus en commun, entre elles, que ces mêmes régions avec leurs régions capitales respectives. Plusieurs
aspects concourent à ça : relief, faciès agricole, hydrographie, marché du travail, proximité culturelle,
réalité linguistique…
La Belgique, ce « petit Etat sans nation », vit cette situation plus que tout autre pays. De nombreuses
sous-régions du pays, en Flandre comme en Wallonie, se prolongent irrésistiblement de l’autre côté de la
frontière. Richesse inestimable pour les uns, preuve irréfutable de l’anomalie de l’Etat belge pour les
autres, cette situation s’offre particulièrement à voir du côté du Nord-Pas-de-Calais. En effet, la région
nordiste ne peut s’appréhender sans ses continuités en Belgique, qui sont nombreuses et variées.
Côte d’Opale et Côte Belge présentent ainsi un faciès maritime très proche.
Les paysages du plat pays qui s’étend de Dunkerque à Lille sont étrangement similaires à ceux de
Flandre-Occidentale. La toponymie très néerlandophone y rappelle d’ailleurs l’ancrage historique de la
région dans le monde culturel néerlandais.
Occupation du sol dans le Nord-Pas-de-Calais et environs : on voit bien l’arrimage de la région dans
l’ensemble Benelux avec des continuités territoriales évidentes (crédits : Landcover, 2000)
Les cours de la Lys et de l’Escaut, de Lille, Armentières, Roubaix et Tourcoing en France, à Mouscron,
Courtrai, Gand et Saint-Nicolas en Belgique, constituent un ensemble socio-industriel unique en son genre.
Il faut dire que jusqu’au milieu du 20ème siècle y a prospéré, le long de ses berges, une industrie textile
d’importance majeure, qui a longtemps valu à la région la convoitise souvent manifestée des puissances
voisines.
La ville de Lille constitue d’ailleurs une grande conurbation transfrontalière avec ses voisines françaises
de Roubaix et Tourcoing et ses voisines belges de Mouscron et Courtrai. Là où l’industrie, pour l’essentiel
textile, et son cortège de logements ouvriers associés, a colonisé progressivement tout l’espace, la
frontière belgo-française disparaît, laissant, ici et là, le trottoir d’un côté d’une rue à la France et le
trottoir d’en face à la Belgique.
Enfin, s’il est une continuité qui touche particulièrement la Wallonie, c’est bien le prolongement français
du sillon Sambre-et-Meuse : le bien nommé Bassin Minier. Plus qu’un chapelet de cités industrielles, le
Bassin Industriel constitue une vaste conurbation est-ouest, qui cumule près d’un million et demi
d’habitants répartis entre Valenciennes, Douai, Lens et Béthune. Egrenant son cortège de corons, de
terrils et de charbonnages, il présente une organisation territoriale assez similaire à la Dorsale Wallonne,
entre Mons-Borinage et Liège.
Autant d’exemples de continuités qui démontrent la grande imbrication des territoires
nord-pas-de-calaisien et belge, et wallon en particulier. A se pencher sur leur existence, on comprend vite
que l’appartenance à la France de cette région n’est pas d’une évidence absolue. Sans la pression
continue exercée pendant plusieurs siècles par le pouvoir royal français, cette région ne compterait
sûrement pas aujourd’hui parmi les 22 régions françaises. L’attrait pour ce coin d’Europe était grand en
effet, ses ports, son réseau de canaux inégalé, ses villes importantes, ses activités manufacturières
diverses, dont textile, sa population nombreuse, faisant de cette Flandre élargie une région d’une rare
opulence.
Et puis, vu depuis la France, il n’y avait que dans le nord que le territoire national n’était pas vraiment
circonscrit naturellement. Là-haut, nulles Alpes pour déterminer « naturellement » le commencement de
l’Italie, nuls Pyrénées pour déterminer le commencement de l’Espagne, nul Rhin pour déterminer le
commencement de l’Allemagne. Conclusion, rien de clair et décisif, pas même de vagues « collines
ardennaises », pour faire office d’ultime frontière septentrionale naturelle au territoire national. Le
pré-carré français put donc légitimement s’étendre dans cette Flandre élargie. A la faveur de plusieurs
guerres, dont les ultimes ont participé de la renommée d’un Louis XIV bien épaulé par Vauban, le
Nord-Pas-de-Calais s’est installé dans le giron français.
Si les continuités avec les territoires voisins sont demeurées et, pour certaines, se sont renforcées, la
région a progressivement pris le pli français. L’appareil national d’homogénéisation des particularismes
régionaux s’est mis en branle. Et des Flandre et Hainaut originels, l’héritage est aujourd’hui pour le moins
résiduel, dans la toponymie par exemple. L’architecture, l’urbanisme, les paysages ont, par exemple, été
d’autant plus francisés, qu’ils ne l’étaient pas originellement. De place royale, en route nationale plantée,
en architecture classique ou haussmannienne, il fallait convaincre et oublier la conquête. Une
province/région française en tant que telle était à mouler. Aujourd’hui, le résultat est là. De l’importance
de Calais dans la culture française, à la place de Lille dans l’économie nationale, aux prouesses de Lens
dans le football tricolore, personne ne remet en cause aujourd’hui le caractère éminemment français de la
région.
Une Région très petite, mais très dense et très urbanisée
Cette région de conquêtes est une des plus petites du territoire français (2,3% de la superficie du pays).
Elle est constituée de deux départements, le Nord au nord-est et le Pas-de-Calais au sud-ouest. C’est une
région frontalière qui partage 350 kilomètres de frontière avec la Belgique. La frontière est très découpée
et particulièrement perméable. Les dynamiques territoriales sont loin de s’arrêter à la frontière des deux
pays, d’autant que les connexions routières et ferroviaires sont nombreuses. Pour ce qui est de la Wallonie,
Maubeuge est à un mouchoir de poche de Mons et pas vraiment plus loin de Charleroi ; Valenciennes est à
la jonction avec la Dorsale Wallonne, Quiévrain, Boussu et Mons n’étant qu’à quelques encablures ; enfin,
Lille est certainement devenue la ville-centre de l’ensemble métropolitain qui inclut Mouscron et Tournai.
Reste que ces dynamiques territoriales sont très dépendantes de la voiture, les liaisons ferroviaires de
région à région étant fortement sur le déclin, tant dans les lignes en service que dans l’exploitation qui en
est faite. Ainsi, la connexion ferroviaire entre Maubeuge et Charleroi, par Jeumont et Erquelinnes, est
exploité aujourd’hui pour l’essentiel pour le trafic marchandises. Plus au nord, Valenciennes et Mons ne
sont pas connectés par le rail, alors que la ligne ferroviaire de la Dorsale Wallonne s’interrompt à
quelques hectomètres de la frontière à Quiévrain pour reprendre quelques hectomètres plus loin son
parcours dans le Bassin Minier. Enfin, les connexions ferroviaires dans la métropole lilloise, vers Tournai,
Mouscron ou Courtrai, sont loin d’être optimales, le service ayant été fort rationalisé ces dernières années.
Dans ce faible soutien au développement ferroviaire transfrontalier, certains ont vu un lien avec la montée
en puissance du réseau grande vitesse. L’attractivité de celui-ci a en effet indéniablement profité de la
disparition progressive des liaisons transfrontalières historiques.
La maîtrise de l’étalement urbain est un des grands défis de l’aménagement du territoire
nord-pas-de-calaisien (crédits : SRADDT)
Le Nord-Pas-de-Calais est aussi une région maritime avec plus de 140 kilomètres de littoral (falaises et
dunes essentiellement), qui fait face au Kent au Royaume-Uni. La région est composée de plaines, dans
l’ouest, avec la Flandre française et les plaines maritimes, et de collines, avec l’Avesnois, l’Artois et le
Boulonnais).
Ses 12.414 km2 en font une région un quart plus petite que la Wallonie et ses 16.844 km2. Sa faible
superficie n’en fait pas pour autant un nain démographique. Au contraire, ses quatre millions d’habitants
placent la région nordiste comme une des plus peuplées et des plus denses du pays. Cette densité de 320
habitants par km² explique un contexte urbain et artificialisé comparable à la région parisienne, en tout
cas, pour la métropole lilloise et le Bassin Minier.
Un territoire dominé par la métropole lilloise
L’urbanisation y couvre 13 % du territoire et les grandes agglomérations y polarisent deux tiers du
territoire régional. Si la région totalise près de la moitié du stock national de friches industrielles, sa
dominante reste agricole. L’agriculture intensive y occupe l’essentiel du territoire, soit 70 % contre 53 %
dans le reste du pays. L’arrimage de la région à la Belgique voisine s’en ressent au niveau de
l’organisation de l’urbanisation. Les deux grandes zones urbanisées, la métropole lilloise et le Bassin
Minier, se prolongent sans discontinuer en Belgique. La métropole lilloise s’organise autour d’une
ville-centre, la ville de Lille et ses 230.000 habitants, quand le Bassin Minier développe un réseau de villes
petites et moyennes, plus ou moins articulées entre elles, avec comme têtes-de-pont Valencienne (45.000
habitants), Douai (42.000 habitants), Lens (35.000 habitants), Béthune (25.000 habitants).
Les autres aires urbaines d’importance sont, d’une part, Maubeuge (30.000 habitants) à l’extrême est, et
d’autre part, les villes côtières comme Dunkerque (90.000 habitants), Calais (70.000 habitants) et
Boulogne-sur-Mer (42.000 habitants) à l’ouest. Dans une région rendue, pour une bonne part, exsangue
avec la désindustrialisation des années 1960-80, tant au niveau de l’industrie textile que de l’extraction du
charbon, la reconversion est difficile et laisse de nombreux territoires de côté.
Dans ce contexte difficile, Dunkerque tire son épingle du jeu : autour de son port, rendu attractif par la
proximité de Londres, Anvers et Rotterdam, un pôle industriel assez compétitif a su être développé, avec
des activités de raffinerie et de sidérurgie au bord de l’eau. Le pôle valenciennois s’en sort aussi
relativement confortablement. En ayant misé sur un développement urbain très qualitatif et la
diversification du tissu économique, la ville réussit à échapper aux difficultés plus preignantes du reste du
Bassin Minier.
Enfin, s’il existe un pôle qui rayonne dans une large mesure dans le Nord-Pas-de-Calais, c’est bien Lille.
La métropole nordiste a su, à la faveur de la localisation en son sein du raccordement des lignes de trains
à grande vitesse Paris-Londres-Bruxelles, s’imposer comme une ville compétitive dans le cœur de l’Europe,
à mi-chemin entre trois des villes aujourd’hui parmi les plus attractives d’Europe. Au-delà de
l’implantation du quartier d’affaires Lille-Europe, toute la ville avec ses qualités patrimoniales bien
affirmées a été ré-investie. Aujourd’hui, c’est l’ensemble de la métropole, avec Villeneuve-d’Ascq, Roubaix,
Tourcoing et les satellites belges, qui est devenu une conurbation dynamique avec de vraies perspectives
de développement.
L’hydrographie d’une région joue un rôle premier dans l’orientation que prend son développement. Celle
du Nord-Pas-de-Calais ne déroge pas à cette règle. Si la région est à ce point tournée historiquement vers
son voisinage nord, et pas uniquement pour le commerce des tissus, c’est parce que le Nord-Pas-de-Calais
forme avec la Belgique voisine un même grand bassin hydrographique. Les mêmes cours d’eau qui
commencent leurs routes dans le Nord-Pas-de-Calais la poursuivent plus au nord où ils se jettent dans la
mer, souvent après s’être rejoints, dans quelques deltas ciblés. Il en est ainsi de la Lys, de la Scarpe, de
l’Escaut et de la Sambre. Cette grande richesse hydrographique, qui a façonné ses grandes plaines du
nord, s’est enrichie d’un réseau fouillé de canaux, pour rencontrer au mieux les besoins des industries du
Bassin Minier et de la région de Lille pendant la Révolution Industrielle.
Une économie qui peine à redémarrer partout
L’économie du Nord-Pas-de-Calais est caractérisée par son affirmation très ancienne. En raison de sa
situation géographique favorable, l’agriculture et ses dérivatifs (activités brassicoles, lin), le textile et le
commerce prospèrent sur son territoire depuis le Moyen-Age. La révolution industrielle a donné un essor
considérable à ces activités traditionnelles. En outre, la présence de charbon a permis le développement
d’une industrie lourde très importante.
La fin des Trente Glorieuses a coïncidé avec le déclin des charbonnages, qui alimentait en énergie
l’industrie lourde de la région. Ces difficultés structurelles se sont ajoutées à la crise économique : des
trois grands secteurs qui étaient les piliers de son économie, charbon, acier, textile, seuls les deux
derniers subsistent encore, mais dans des proportions nettement moindre. Ainsi, la dernière mine de la
région a fermé en décembre 1990. La sidérurgie s’est déplacée de la Sambre et du Valenciennois, à
Dunkerque, pour valoriser dès son arrivée par la mer le minerai bon marché. La pétrochimie s’est
également installée sur la côte. Le textile résiduel s’est spécialisé et automatisé, pour faire face à
l’importation des grandes séries. En l’état, le secteur secondaire n’occupe plus que 33,8 % de la
population active (28,9 % pour la France).
Au niveau économique plus général, le bon raccordement, au niveau des transports, de la Région à
l’Europe du Nord-Ouest, en particulier au niveau des lignes à grande vitesse (Londres, Paris, Bruxelles,
Cologne, Anvers, Rotterdam, Amsterdam) et du réseau autoroutier particulièrement fouillé, lui permet de
bénéficier de retombées importantes.
Malgré un retard initial sur d’autres territoires, la région a connu une rapide tertiarisation, 62,8 % des
emplois relevant de cette catégorie. Le développement régional s’appuie sur des compétences fortes et
historiques, comme la vente par correspondance (la Redoute, 3 Suisses, Damart), la grande distribution
(Auchan), les transports et la logistique. Le développement du secteur tertiaire s’appuie sur le réseau des
villes moyennes et surtout sur la métropole lilloise, qui concentre 50% des services supérieurs de la
région.
Au niveau agricole, la région est caractérisée par une agriculture très intensive, avec des grandes cultures
(céréales, betteraves, pomme de terre) qui occupent une grande partie du territoire. On y observe le
même phénomène de concentration des activités agricoles que dans le reste du pays, de 1988 à 2000, le
nombre d’exploitations agricoles ayant chuté de 31.156 à 18.036, pour une surface agricole utile (SAU)
moyenne qui passait de 28 hectares en 1988 à 46 hectares en 2009.
La protection de la surface agricole utile régionale est un des enjeux prioritaires retenu par le Schéma
Régional d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire (SRADDT). En 2006, la Région se
mettait en effet d’accord sur un nouveau schéma d’aménagement. Par celui-ci, les édiles régionaux
tentaient de concilier au mieux les nombreux intérêts présents sur le territoire et d’en permettre le bon
développement. La recherche de durabilité et la protection du cadre naturel étaient par ailleurs centraux
dans les préoccupations.
Des orientations territoriales incomplètes pour la Wallonie
Le SRADDT déploie en ce sens une action très volontaire pour limiter l’étalement urbain, un phénomène
très grave dans le Nord-Pas-de-Calais. Si le schéma vise une meilleure structuration du territoire entre
grandes métropoles et une meilleure articulation entre pôles de ces grandes métropoles, il n’autorise pas
un comblement de tous les espaces interstitiels internes aux aires métropolitaines, bien au contraire. Ainsi,
quand il intègre dans la métropole lilloise l’ensemble du Bassin Minier, ce n’est pas pour à terme autoriser
l’urbanisation entre Lille et la grande conurbation est-ouest. Très clairement, le parti est pris, dans la
définition de ce grand ensemble, de ne pas s’articuler avec la Dorsale Wallonne et le pôle de Mons. Car si
la métropole lilloise dans la SRADDT intègre un peu de Belgique, c’est du voisinage wallon et flamand
immédiat de Lille dont il est question, avec Tournai, Mouscron et Courtrai. Dans le reste du territoire
régional est mise en place une grande métropole du littoral qui associe les pôles urbains et industriels
assez importants de la côte.
La coopération territoriale jusqu’au-delà des frontières, constitue un axe majeur de l’aménagement du
territoire nord-pas-de-calaisien (crédits : SRADDT)
A la vue d’une telle organisation spatiale, on ne peut que regretter que toutes les continuités
transfrontalières qui structurent les dynamiques territoriales entre Nord-Pas-de-Calais et proche
voisinage belge ne soient pas soutenues. Dans une juste poursuite d’un développement territorial durable,
il y a pourtant une nécessité première à ne pas aller, pour des raisons de découpages administratifs ou de
divergences politiques, contre les processus territoriaux naturels. En les canalisant, ce sont eux qui
offrent les solutions les plus durables pour l’aménagement du territoire de demain. Il est piquant – ou
rassurant ? – de noter que côté wallon, le projet de SDER acte dans sa structuration les mêmes continuités
au-delà des frontières – et n’acte pas celles que le SRADDT n’acte pas. Reste qu’on pourra regretter dans
cette organisation spatiale le faible soutien accordé au développement ferroviaire, ce dont la
durabilisation des dynamiques transfrontalières a tant besoin pourtant.