Discographie et vidéographie de Lakmé

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Discographie et vidéographie de Lakmé
Discographie et vidéographie de Lakmé
Même si, dans la première moitié du XXe siècle, Lakmé est souvent programmé à l’OpéraComique, il n’y a aucun enregistrement intégral en français avant la version de 1952, chez
Decca. On dispose jusque-là, dans les années 1920-30, d’airs isolés ou de duos, avec Miguel
Villabella, Charles Friant, Georges Thill (Gérald), Germaine Feraldy, Solange Delmas,
Yvonne Gall, et même Maria Callas (Lakmé), André Pernet, impressionnant Nilakantha.
Versions abrégées
Elles ne sont guère plus nombreuses : Malibran a republié récemment une version, dirigée par
Jésus Etcheverry, parfait connaisseur de l’opéra français avec Alain Vanzo, Renée Doria et
Adrien Legros, parue chez Vega en 1961, bon exemple des distributions que l’on pouvait
entendre à l’Opéra-Comique, diction et technique impeccables. EMI réunit, sous la baguette
de Georges Prêtre, en 1962, Nicolas Gedda, Gérald racé, Gianna d’Angelo, Lakmé charmante,
Ernest Blanc, magistral dans le rôle du brahmane. La réédition en CD se trouve dans un
coffret EMI, Dix opéras français. Les années Pathé. On ne saurait oublier le couple canadien,
à la ville comme au disque, formé par le grand mozartien Léopold Simoneau et Pierrette
Alarie. Ils ont enregistré, en 1954, les airs et les duos des deux rôles principaux, avec Pierre
Dervaux et André Jouve, republiés chez Philips. Tous deux sont de parfaits stylistes et font
ressortir toute la délicatesse de l’écriture de Delibes.
Intégrales en monophonie
La première intégrale, réalisée en studio, est en fait en langue russe et date de 1946, avec la
Lakmé de Nadezhda Kazantseva et l’impeccable Gérald de Sergei Lemeshev : une fois passé
l’exotisme de la langue russe, on goûte une rare leçon de chant… français. Mais, en langue
originale, la primeur revient à la version, de 1952, avec le chœur et l’orchestre de l’OpéraComique, republiée par Decca, à partir des matrices originales. Cette version est dirigée par
Georges Sébastian (1903-1989). Ce chef d’orchestre d’origine hongroise, qui travailla avec
Bruno Walter, établit d’entrée une tonalité de sombre grandeur et d’exotisme luxuriant, ce qui
ne l’empêche pas de laisser percer l’humour des scènes avec les protagonistes anglais. Il sait
donner vie et mouvement à l’ensemble. Le ténor suisse Libero de Luca, par ailleurs Werther,
Des Grieux, Alfredo, ne rend pas le côté rêveur de Gérald et la voix a des raideurs
déplaisantes. Jean Borthayre campe un Nikalantha orgueilleux et vengeur, au timbre
chatoyant. À noter le (trop) suave Frédéric de Jacques Jansen, bien chantant mais qui manque
un peu d’humour britannique. C’est la seule intégrale d’opéra officielle de Mado Robin. Le
réalisateur, John Culshaw, qui devait produire, notamment, la Tétralogie de Wagner, dirigée
par Georg Solti, ne se montre pas tendre avec la soprano dont il reconnaît l’étonnante étendue
de la voix et la grande agilité mais dont il regrette l’absence d’expression. L’auteur de ces
lignes, qui a entendu Mado Robin, à la fin des années 1950 sur scène, en garde un autre
souvenir. D’abord celui d’une voix qui semblait jaillir sans le moindre effort, même dans le
registre le plus élevé et celui d’une artiste en empathie avec son public. Si bien que l’on
oubliait qu’elle ne fut point une grande comédienne -s’en souciait-on à l’époque ?- mais elle
imposait sa présence, faite de simplicité et de sincérité, ce qui allait droit au cœur du public et
lui faisait croire à son personnage. S’agissant de Lakmé, il y avait une indéniable adéquation
entre la pureté de son timbre, à la tonalité presque enfantine, et la jeunesse de son personnage
et sa naïve et absolue loyauté. On retrouvait le sens original du terme chant, carmen,
incantation magique qui faisait pénétrer l’auditeur dans un monde d’enchantement absolu,
auquel n’étaient pas étrangers ses fameux contre-mi, contre-fa (de la Reine de la Nuit) et un ré
au-dessus du contre-ré, aigus toujours harmonieux, d’une sonorité pleine et ronde, mais qui
posaient des problèmes aux ingénieurs du son de l’époque. Pour ces auditeurs privilégiés, il y
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aura toujours celles qui chantent Lakmé, souvent excellemment, et celle qui était Lakmé,
Mado Robin. Elle le vivait ainsi, comme elle le confessait, sans la moindre forfanterie :
« Quand je chante Lakmé, je suis Lakmé de tout mon cœur, et quand elle meurt, j’ai vraiment
la sensation de mourir avec elle. » On se risquera à suggérer que, peut-être, le fait qu’elle ait
épousé, à 18 ans, un bel Anglais qui devait disparaître prématurément dans un accident de
voiture, a contribué à renforcer cette identification. Mado Robin chanta Lakmé pour la
première fois en 1946, à 28 ans, à l’Opéra-Comique. Elle devait participer, dans cette salle, à
la 1500e, le 29 décembre 1960, jour de son quarante-deuxième anniversaire, mais elle
succomba le 10 décembre précédent à un cancer. La représentation, qui lui fut dédiée, eut lieu
avec Mady Mesplé entourée par Alain Vanzo et Michel Roux.
On a également publié, chez Rodolphe, une bande de radio de 1955, avec quelques coupures,
avec une Mado Robin égale à elle-même, l’excellent brahmane de Pierre Savignol, et un
Gérald Charles Richard, un peu frustre. La direction de Jules Gressier est inutilement brutale.
On retrouve, en 1961 (Malibran), Savignol et Alain Vanzo, à son meilleur, avec Denise
Boursin, qui a chanté Lakmé souvent, au timbre assez proche de celui de Robin, mais sans ses
dons exceptionnels, tous dirigés par un Pierre-Michel Leconte très dynamique. L’intérêt est
d’entendre le meilleur Gérald de sa génération, quelques années avant son intégrale en stéréo,
enregistrée chez Decca en 1968.
Versions stéréophoniques
Dans cette dernière version, la Lakmé de Joan Sutherland est assez exotique pour des oreilles
françaises : la voix n’a rien à voir avec celle d’une très jeune fille et sa diction très relâchée
ajoute au dépaysement. Reste la parfaite maîtrise de la technique vocale, même si l’air des
clochettes est baissé d’un demi-ton. Les moments les plus élégiaques sont finement ciselés et
elle se montre très vaillante dans les moments de forte tension. On est souvent plus du côté de
Bellini que de Delibes. La voix d’Alain Vanzo a un peu perdu son côté juvénile mais elle a
gardé ses accents charmeurs et la souplesse des demi-teintes. Gabriel Bacquier campe un
Nilakantha, menaçant à souhait, il exprime plus l’autorité que l’inquiétude d’un père. Les
aigus sont parfois un peu tendus, mais le personnage est crédible. Richard Bonynge, bon
connaisseur de la musique française tire le maximum de l’orchestre de Monte-Carlo et, la
stéréo aidant, fait rutiler toutes les couleurs et révèle les timbres les plus variés de la musique
de Delibes. Quoi que l’on pense de cette version, il faut être reconnaissant à ce chef et à la
Stupenda d’avoir défendu et fait triompher cet opéra en Amérique comme en Australie.
On retrouve, en 1970, chez EMI, une distribution française avec Mady Mesplé, qui a
longtemps chanté ce rôle. Elle a mûri le personnage, mais sa voix, elle le reconnaît elle-même,
a des côtés métalliques qui passent parfois mal au disque. Charles Burles pâlit à côté de
Vanzo, Roger Soyer est stylé, la voix est belle mais on ne croit pas un instant à son
personnage. Alain lombard fait une lecture qui tend vers le grand opéra, ce qui alourdit parfois
certains passages. Chez le même éditeur, en 1997, Natalie Dessay, qu’on a pu entendre à
Nancy en 1996, grave une nouvelle version. C’est pour elle que l’Opéra-Comique a remonté
Lakmé, longtemps délaissée, en 1995. On connaît les qualités d’interprétation de la soprano.
Alors au début sa riche carrière, elle possède la voix du rôle qui se prête à toutes les inflexions
qu’elle apporte à son personnages. Elle trouve en José Van Dam, un parfait alter ego : beauté
du chant et incarnation d’un personnage fort mais blessé. Il donne une grande humanité à son
Nilakantha, plus torturé qu’effrayant. L’américain Gregory Kunde a le style et la diction qui
conviennent au rôle, un timbre assez séduisant, mais le chant semble précautionneux et
manque de la fièvre qui ferait croire à sa passion. On connaît la probité musicale de Michel
Plasson, à la tête de l’orchestre du Capitole de Toulouse, attentif à faire ressortir toutes les
nuances de la musique, au risque de ralentir à l’excès le tempo. Notons dans le petit rôle
d’Ellen, Patricia Petitbon et dans celui d’Hadji, Charles Burles !
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Versions prises sur le vif
Les versions live ne sont pas légion. Il faut signaler celle, historique avec la Française Lily
Pons qui a imposé l’ouvrage au Metropolitan Opera (The Golden Age). On en a un
témoignage qui date de 1940, dirigé par Wilfrid Pelletier. Il faut passer sur la qualité
technique d’une prise de radio de cette époque et accepter une conception de l’œuvre qui a
évolué. Cependant Lily Pons se montre convaincante et le Nilakantha de Ezio Pinza est
superbe.
On trouve sous différentes étiquettes, Nuova Era notamment, la réalisation du Festival de
Martina Franca (1991) avec Alessandra Ruffini, Giuseppe Morino, Bruno Pratico, sous la
direction de Carlos Piantini. Le public semble beaucoup aimer, mais les accents sont à couper
au couteau, le ténor a une curieuse émission de voix. Seul Nilakantha reste acceptable.
Il ressort de toutes ces auditions que sans une grande Lakmé et un bon Gerald l’œuvre est
dénaturée et perd son charme. Il est rare d’avoir ce couple parfait. Dommage que Mado Robin
n’ait pas pu enregistrer avec Vanzo vers 1960. Il reste quatre grandes Lakmé : Mado Robin,
Mady Mesplé, Joan Sutherland, Natalie Dessay. Le choix est large pour Nilakantha mais on
regrette qu’Ernest Blanc n’ait pas fait l’intégrale. Quant à Gerald, Vanzo reste insurpassé par
la séduction du timbre et l’art du chant.
DVD
Il a existé une version filmée à l’opéra de Sydney, avec Joan Sutherland en 1976, sous la
direction de Richard Bonynge. Elle n’est plus disponible. En 2012 a paru, sous le label Opera
Australia, tournée dans les mêmes lieux, une prise directe, avec Emma Matthews dans le rôletitre, Aldo di Toro en Gérald, Stephen Bennett en Nilakantha, sous la direction d’EmmanuelJoel Hornak, dans une mise en scène de Roger Hodgman. Le spectacle joue à fond sur la
luxuriance des costumes et des décors. La soprano est connue par les retransmissions d’Opera
Australia au cinéma. On a pu l’applaudir cette année dans La Traviata. L’ensemble se laisse
voir et écouter agréablement.
Danielle Pister
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