La presse en parle
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De Pourquery supersonique, super tonique et onirique au New Jeudi, 05 Juin 2014 10:51 | Écrit par Robert Latxague Il a accroché derrière lui sa veste aux motifs écossais très voyants A peine assis sur son tabouret Edward Perrault saisit ses baguettes pour entamer, Ghepetto plus ou moins articulé/désarticulé, assis puis debout mais en un mouvement perpétuel de mains, de bras, d’épaules, de jambes et de pieds. Soit une sarabande de frappes et de ponctuations sonores tonitruantes transmises en autant de notes aussi flamboyantes que les couleurs de son veston de tweed. A l’image de son batteur vraiment unique Supersonic s’affiche d’entrée de jeu super tonique Thomas De Pourquery / Supersonic 11 au 17 janvier 2014 Par Michel Contat Thomas de Pourquery (né en 1977) est un de ces musiciens énergumènes comme le jazz en produit de temps en temps et qui appartiennent à un espace cosmique parallèle au nôtre. Sa rencontre avec le vaisseau spatial déglingué de Sun Ra, un peu oublié aujourd'hui, était de l'ordre de la fatalité poétique. Saxophoniste alto à la sonorité glorieuse, Pourquery est surtout un animateur généreux, capable d'insuffler à un groupe de studio une exaltation réjouissante. Son Supersonic est formé de six musiciens qui sonnent comme douze ou plus, chacun doublant aux percussions ou à la voix. « S'il n'y avait pas de soleil / Nous aurions cette chanson / Pour donner chaleur et lumière / Et pour vous garder fort / Elle ferait de l'amour un gaz / Tournant sur lui-même / Et quand les météores tombent / L'amour toucherait terre... » C'est ce que chante Eulipions, morceau de Roland Kirk, l'homme-orchestre, autre génie tutélaire de Thomas de Pourquery revisité ici. Il donne une idée de l'univers de bande dessinée que cette musique propose avec autant de dévotion que de fantaisie. Love in outer space, un morceau lent de Sun Ra, orchestré ici pour des voix, semble bien nous venir d'un ailleurs désirable (sous une élégante pochette au graphisme poétique). Enlightenment, où la voix de Jeanne Added se mêle à un choeur, apparaît comme un manifeste pour de nouvelles Lumières ourdies dans la joie amoureuse. Thomas de Pourquery ramène Sun Ra sur Terre Le Monde.fr | 04.06.2014 | Par Francis Marmande Avec ses airs de Raspoutine gai, sa barbe rousse au cordeau, cette date de naissance qui ne saurait tromper (7/07/77) ; mais aussi ce regard de bonté que l'on ne connaît qu'aux amis qui vous veulent du bien, Thomas de Pourquery est chanteur, saxophoniste lyrique ou rugissant, meneur de bande, téméraire et généreux. Il a du corps et cette énergie transmissible. Mardi 3 juin au soir, son groupe, le Thomas de Pourquery Supersonic, a emballé la salle historique du New Morning, tous âges confondus, et les genres et les couleurs, par la seule joie d'emballer. Plus le savoir faire. Ça envoie du lourd, du subtil, des délires éruptifs, et ces instants de chansons légères qu'on allait oublier. Dans la salle, peu de survivants à avoir vu Sun Ra à l'œil et à l'oreille nus. Le Thomas de Pourquery Supersonic joue sa musique. Et ça donne. Vous pouvez jouer plus ou moins bien Monteverdi, Bach, le répertoire entier de Duke Ellington, ou celui de Mingus, quant à jouer Sun Ra, macache. « Sun Ra » (1914-1993), pianiste – synthétiseurs –, compositeur et leader afro-américain ; Sun Ra dont on n'est sûr de rien, ni sa date de naissance à Birmingham (Alabama), ni son nom, ni son parcours exact sous le pseudo de « Sonny Blount », est injouable. On le cartographie un peu mieux à partir de 1948, mais quand il se lance sur des claviers électriques bricolés à l'amiable, les amateurs de jazz, les bons amateurs, tirent leur révérence. Et quand il devient le prince très digne d'une légion de musiciens qui déjantent le « free jazz » en personne, on se méfie. Gourou, imposteur, ou génie insaisissable ? Ceux qui, au début des années 1970, choisissent la troisième option, s'emballent sans réserve pour ce qui ne saurait se répéter. Partout, et surtout, grâce à ce charmant malentendu, dans les fêtes politiques, le Solar Arkestra, bientôt renommé de mille noms parfumés de physique quantique, balade une idée inouïe de la musique à voir et à entendre. Etait-ce bien sérieux ? Tout employé à se laisser embarquer, on ne s'est jamais posé la question. REPRENDRE LES MUSIQUES DE SUN RA À LA RACINE La puissance détonante du Thomas de Pourquery Supersonic, c'est de faire comme si. Osant, sans la moindre gêne reprendre les musiques de Sun Ra à la racine. Arnaud Roulin, claviers, Edward Perraud, tambours, Frederick Galiay, basse, Fabrice Martinez, trompette et bugle, Laurent Bardainne, ténor et baryton, tous au charbon dans l'électronique et les chants, Pourquery à la manœuvre, ils réalisent l'impossible. Jouer la musique de Sun Ra par l'esprit, la violence et la drôlerie. La pure envie du cœur et de l'amour. Sun Ra, au début des années 1950, dit avoir accompagné Coleman Hawkins, joué avec Fletcher Henderson ou le violoniste Stuff Smith. Du moins connaît-on pour ce dernier une trace enregistrée. Il écrit des arrangements pour des revues musicales, aura laissé quelques souvenirs à des musiciens de Chicago, en fin des années 1930, sa vie est un mystère. Ni plus ni moins que celle des musiciens que n'homologue pas le cimetière enchanté de l'enregistrement. Il joue, point. On le suit en trio, pianiste d'une séance du big band dirigé par Eugene Wright (les « Dukes of Swing »), rassemble une troupe où l'on trouve ses fidèles parmi les fidèles jusqu'au bout, John Gilmore, Marshall Allen, Pat Patrick, et devient à la fois pilier et décalé de la scène free, à New York, au début des années 1960. L'article que lui consacre Philippe Carles dans le Dictionnaire du Jazz dont il est co-auteur (Bouquins Laffont), est une merveille de recensement de ces incertitudes. Ce qui laisse pantois, c'est cette faculté de mobilisation, d'attrait et d'invention, qui pousse à passer dans ses rangs Pharoah Sanders, Clifford Thornton, Alan Silva… Du coup, toute sorte de rumeurs auront couru sur la vérité de cette communauté musicale qui intrigue. Parce qu'elle est au cœur nucléaire de la « free music ». Et parce qu'elle en reste indépendante. PLUS D'UNE CENTAINE D'ALBUMS « Myth Science Arkestra », « Astro Infinity Arkestra », « Intergalactic Research Arkestra », toutes sortes d'ensembles dont on ne savait pas prendre les noms au pied de la lettre, voient défiler Clifford Jarvis, Julian Priester, Von Freeman, Wilbur Ware, on ne mentionne que les plus connus (n'exagérons rien), tandis que s'ouvre une phonographie ahurissante, plus d'une centaine d'albums, sous son label très artisanal Saturn, ou pour de petites compagnies. Le mythe de Sun Ra tient à cela : une attraction bizarre, une fidélité sans faille, et quelque chose comme un incognito, au regard des stars – en jazz comme en pop ou en rock – de l'époque. La vraie question, c'est que tout le monde l'écoute, et cinquante ans après, un Pourquery l'entend. Traces filmiques ? Le Free Jazz – Sun Ra de Jean-Michel Meurice (1970), Space Is The Place, long métrage de science-fiction coréalisé par Sun Ra (1974), Mister Ra, de Franck Cassenti (1983) ou la bande-son de Passin Through, de Larry Clark (1977). « Ma musique va d'abord faire peur aux gens. Elle représente le bonheur et ils n'en ont pas l'habitude. » (cité par Philippe Carles). Il disait aussi : « Toute l'humanité est soumise à des contraintes et des interdits, mais eux sont dans la prison de Sun Ra, et c'est la meilleure du monde. » Troupe ? Secte (on a osé le dire) ? Communauté amoureuse (tiens donc !) ? Outre que l'acte musical de Sun Ra synthétise – il aura beaucoup pratiqué le « Moog » détesté par les bons amateurs – toute la musique afro-américaine, sa démarche frôle dans des espaces-temps mal étudiés et qui, du coup, font peur, celle des prophètes noirs américains : « Marcus Garvey, Elijah Muhammad (leader des Black Muslims dont Malcolm X fut le disciple » (Carles, toujours), pas si loin de l'ambition de Duke Ellington, « donner à entendre la musique du peuple noir américain ». VOYAGE DANS LE TEMPS ET L'ESPACE Donné à entendre en France par Daniel et Jacqueline Caux (Fondation Maeght, 1970), courant non sans désinvolture, toujours à part, avec sa troupe, de Sigma à Bordeaux à la première édition du Jazz Nancy Pulsations dont il fut le phare (1973), ses fêtes n'auront effrayé que timides et dominants. En 1971, le ministre Marcelin interdit un concert de Sun Ra aux Halles de Paris. En 1973, Le Monde avait publié en illustration de l'article sur Nancy, un dessin représentant Sun Ra, robe drapée, tiare au front, en lieu et place de la statue de Stanislas avec sur son socle ainsi gravé : « A Sun Ra, la Lorraine reconnaissante. » Voyage dans le temps et l'espace, connexion directe avec le cosmos, le tout sur fond de polyphonie et de chansonnettes à pleurer. Qu'est donc allé chercher dans ce parcours, Thomas de Pourquery (37 ans) ? Mystère. Toujours est-il qu'il l'aura trouvé.