Les animaux d`artistes au regard des pratiques de laboratoire ___

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Les animaux d`artistes au regard des pratiques de laboratoire ___
Que la bête meure ! L’animal et l’art contemporain – Hicsa/musée de la Chasse et de la Nature –
INHA 11 & 12 juin 2012
Les animaux d’artistes au regard des pratiques de laboratoire
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Catherine Voison
En contrepoint de l’intitulé de ce colloque, qui évoque la mort de la bête humaine,
« cette bête qui sait qu’elle doit mourir », j’ai privilégié une certaine forme de résurrection de
l’animal non-humain, celui qui est appelé à renaître ou à vivre libéré de son ancestral
prédateur. À la charnière de l’art et de l’expérience scientifique et en écho aux réalités de la
biologie contemporaine, certains artistes franchissent le seuil des laboratoires, s’aventurant à
réinventer des espèces en voie d’extinction, à reprogrammer des organismes, à produire ou
tout simplement à domestiquer des chimères. Certains, usent des procédés biotechnologiques
pour prophétiser certaines de ses applications possibles, d’autres pour les désavouer mais
leurs démarches commune est une condamnation sans appel de la souffrance infligée aux
animaux et de l’anthropocentrisme dominant . Mis en scène par les artistes, ces « sujets de
vie » font état des espoirs et des craintes liées aux pratiques biotechnologiques et à leurs
possibles applications à l’homme.
S’il faut convenir que les manipulations opérées par les artistes sur l’animal sont tantôt
porteuses de rêve ou de cauchemar en termes de dépassement des frontières entre les espèces
d’une part et des limites biologiques du vivant d’autre part, les œuvres auxquelles nous ferons
référence dans le cadre de ce colloque relèvent de prime abord d’une démarche militante en
faveur de la cause animale entendue comme un ensemble complexe de relations
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d’interdépendance entre humains et non-humains. Qu’il fasse usage d’animaux-modèles de
laboratoires, d’animaux d’élevage ou d’animaux vivant à l’état naturel, chaque artiste souligne
selon des techniques biologiques singulières, l’empreinte mortifère de l’homme sur l’animal.
Pour étayer mon propos, je m’appuierai sur quelques œuvres exemplaires appartenant à une
mouvance artistique, labellisée sous le nom d’art biotechnologique.
1. des manipulations génétiques pour reconstruire la biodiversité
Brandon Ballangée perçoit les applications de l’ingénierie génétique comme un recours
possible au maintien de la biodiversité.
Ses premiers travaux visent à sensibiliser le public autour des espèces d’amphibiens en voie
d’extinction ou en proie à des mutations irréversibles dues aux dégradations par l’homme de
leur milieu de vie naturel.
Militant écologique au service d’une biodiversité animale menacée par l’emprise de l’homme
sur les écosystèmes, l’artiste New-yorkais, Brandon Ballengée parcourt depuis plusieurs
années la planète pour étudier les espèces naturelles d'amphibiens déformés ou malformés
(pattes en surnombre ou absentes). Il considère que sur plus de 5000 espèces connues, un
tiers d'entre elles environ sont menacées par les dégradations environnementales et en voie
d’extinction ou déjà éteintes. Ce déclin s’amplifie à un rythme sans précédent au niveau
mondial. Dans le cadre de sa première exposition personnelle à Londres en 2006, au Royal
Institut, Brandon Ballengée révèle de manière spectaculaire les mutations rapides de ces
sentinelles de notre écosystème.
Il expose des vidéos documentaires de spécimens de crapauds déformés et d’étonnantes
photos scannées en haute résolution de grenouilles malformées.
Pour rendre compte des malformations des batraciens (absence de pattes ou pattes en
surnombre) l’artiste développe également un processus chimique qui rend leur peau et leur
tissus transparents et qui colore les os et les muscles de différentes couleurs (procédé a été
réutilisé par les chercheurs). Chaque minuscule animal est posé dans un plat de verre
précisément éclairé. L’éclairage projeté sur les spécimens squelettiques de grenouilles
mutantes translucides et colorées accentue l’aspect fragile et monstrueux des amphibiens. Ces
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petits monstres vulnérables témoignent de la responsabilité de l’homme dans ce que Brandon
Ballangée considère comme un « holocauste écologique ».
Le bio-activisme de l’artiste est tel qu’il souhaite recréer en laboratoire avec la collaboration
de chercheurs, une espèce de grenouille originaire du Congo, que des dégradations
environnementales, notamment l’assèchement des zones humides, a fait disparaître. Assisté
par des chercheurs en biologie, le projet consiste à sélectionner et à reprogrammer les cellules
de grenouilles ayant des similitudes avec le spécimen disparu.
« L'un des aspects les plus passionnants de la recherche génétique, est la possibilité de rétablir
un jour des espèces animales et végétales que nous sommes en train de perdre. » souligne
Brandon Ballangée dont la démarche vise en quelque sorte à produire techniquement et à
rebours ce qui est apparu naturellement au cours de l’évolution.
Cette tentative de reproduction d’un animal en voie d’extinction par manipulation génétique
n’a pas permis à ce jour de recréer Hymenochirus Curtipes, espèce endémique de la République
centrafricaine.
Les étapes de l’expérimentation sont présentées au public et regroupent sous forme
d’installation, des photos d’amphibiens en voie d’extinction et des documents rendant
compte des étapes du processus technique de la genèse de la grenouille.
Ainsi les manipulations génétiques sur l’animal sont envisagées comme un palliatif à la
disparition programmée de la biodiversité.
Les travaux du collectif de designers australiens TC&A (Tissue Culture & Art) s’appuient
également sur l’exploration des pratiques biotechnologiques mais dans un tout autre but, celui
de mettre fin à l’élevage industriel et à l’abattage de l’animal à des fins consuméristes.
2. De l’utilité sociale des procédés de culture tissulaire
Ces designers High-tech installés dans le laboratoire expérimental Symbiotic’A au sein de
l’institut d’anatomie de l’Université occidentale de Perth en Australie, envisagent les pratiques
de l’ingénierie tissulaire comme une alternative à l’élevage industriel et au commerce des
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animaux. Leurs recherches les ont ainsi conduit à produire une viande désincarnée et du cuir
sans victime.
Leur pratique consiste à ensemencer sur des biopolymères, des cellules souches prélevées in
vivo et à les conditionner in vitro afin qu’elles parviennent à se développer et former un
agglomérat épousant la forme du polymère biodégradable.
Réalisée au Lieu Unique à Nantes en 2003, Desembodied Cuisine1, est une performance qui met
en scène les processus de fabrication d’un succédané de steak à partir d’une biopsie de
cellules prélevées sur les tissus cartilagineux d’une grenouille. Les cellules ensemencées sur un
biopolymère se développent dans un bioréacteur. Elles sont ensuite transférées dans un
incubateur et nourries régulièrement à partir de sérum bovin pour arriver à maturité. Durant
l’exposition, des tracts sont distribués conviant le public à venir déguster à l’issue de la
réalisation, une cuisine dernier cri composée de « petits polymères farcis aux cellules de
Xénopus (type de grenouille utilisée) arrosés au calvados et garnis d’une persillade qui n’est
autre que du tissu végétal (provenant de la violette africaine), cultivé selon les mêmes
procédés de culture tissulaire que ceux qui ont produit les minuscules steak. les convives
assistent alors à un repas techno-bucolique en présence du batracien resté en vie et exposé
dans un aquarium.
Le procédé de fabrication de cette pseudo viande désincarnée, c’est-à-dire d’artefacts
constitués de cellules vivantes en culture, remet radicalement en cause nos modes de
consommation alimentaire. Cette nourriture n’a rien à voir cependant avec la consistance de
la viande rouge telle que nous la percevons et la consommons habituellement, c’est-à-dire la
chair d’un animal mort, rendant compte de son activité physique de l’animal et offrant une
texture qui est celle des muscles innervés et irrigués par des vaisseaux sanguins. Le pseudo
steak de laboratoire qui s’est développé dans un bain de nutriments agrémenté d’hormones
de croissance et d’antibiotiques offre une vision hygiénisée du corps de la bête. Réduit à
quelques-unes de ces cellules, la bête à abattre n’a plus lieu d’être et la culture tissulaire
pratiquée par les designers du vivant devient une alternative à l’élevage et à l’abattage
industriel, elle s’exprime en termes de salut pour l’animal.
Cette pratique offre également des perspectives surprenantes. Une étudiante végétalienne
inscrite au cours Vivoart proposé par le collectif TC&A, a suggéré, selon les propos d’Oron
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Cuisine désincarnée
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Catts, de prélever une biopsie de ses propres cellules, plutôt que d’infliger un stress physique
et psychologique (même temporaire) à un autre animal. »2Ce mode alimentaire autophagique
qui consiste à consommer des fragments provenant de sa propre chair peut paraître encore
utopique mais peut-il être perçu comme une transgression culturelle dès lors, qu’au regard des
réalités de la biologie actuelle, les similitudes entre l’homme et l’animal se situent au niveau
cellulaire ? De tels liens accentuent la confusion entre animal humain et animal non-humain
et témoignent de l’inanité des frontières entre les espèces.
Dans une même perspective, celle d’épargner la vie et le commerce des animaux d’élevage, le
collectif réalise pour l’exposition Sk-Interface organisée en 2008 à Liverpool un prototype
miniature de blouson en cuir sans victime animale.3
Victimless leather, le blouson sans couture ni victime est le résultat d’une co-culture de cellules
souches de souris, et de cellules souches prélevées sur du tissu humain (des cellules qui
secrètent le collagène et les protéines du tissu conjonctif). Les cellules en croissance sur une
structure biodégradable sont maintenues à une température constante de 37° C. Le tissu se
développe dans une sorte de « corps technoscientifique » relié à une pompe péristaltique similaire à une pompe cardiaque – et à un système d’aération faisant office de poumons. Le
dispositif contient du sérum bovin sous pression qui alimente régulièrement les cellules
Le cuir n’est plus représentatif d’un matériau mort. Il devient tissu vivant cultivé, incarnation
du dépassement des frontières entre les espèces. Ce singulier vêtement de petite taille
constitué d’un nouveau genre de peau animale en croissance se développe dans un dispositif
symbolique qui unit l’humain au non humain.
Les succédanés semi-vivants de chair comestible ou de cuir fabriqués par les artistes
laborantins mettent en lumière l’artificialité de la frontière entre les espèces animales. Cette
antique frontière héritée d’une pensée judéo-chrétienne permettait à l’homme de se situer au
sommet de la grande chaîne des êtres, la Scala Naturae4 et justifiait qu’il puisse tuer des
2 Oron Catts, Ionat Zurr et Guy Ben-Ary. «Que/Qui sont les êtres semi-vivants créés par Tissue Culture &Art ?»
L’art biotech’, (sous la dir. de Jens Hauser), Nantes : Éd. Filigranes, Le Lieu Unique, mars 2003, p. 26.
« Sk-Interface, Exploding Borders in Art, technology and Society », (sous la dir. de Jens Hauser), Fondation FACT
(Foundation for Art and Creative Technology), Liverpool, du 01/02 au 30/03/2008.
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« Aristote, le premier grand naturaliste et grand observateur dont les écrits sont parvenus jusqu’à nous distinguait,
en dépit de la diversité, une continuité du monde vivant : la nature, selon lui procède « des objets inanimés, aux plantes et
aux animaux en une séquence ininterrompue. » Reprise par de nombreux auteurs, sa thèse fut à l’origine du concept de scala
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animaux pour se nourrir. Remise en cause par les principes darwiniens de l’évolution et les
théories issues de la découverte de la structure de l’ADN, la domination de l’homme sur
l’aniamal demeure cependant encore bien présente dans notre société.
Il faut préciser que la présence effective de ces artefacts biologiques qui poussent sous nos
yeux est une application concrète de l’éthique animale telle que la conçoit le philosophe Peter
Singer. Rendu célèbre par son ouvrage « la libération animale », l’auteur développe à travers une
philosophie utilitariste le concept de spécisme auquel il s’oppose farouchement, nous incitant à
accorder aux animaux la même considération que celle que nous accordons aux humains.
Les échantillons visionnaires produits par TC&A dans une perspective utilitariste en faveur
de la libération animale, révèlent le potentiel prometteur des pratiques de l’ingénierie
tissulaire. Ils participent en quelque sorte du concept de développement durable, puisqu’en
qualité de substituts protéiniques d’origine animale, ils permettraient de répondre aux besoins
alimentaires de toutes les populations tout en préservant la vie de chaque entité vivante.
Les pratiques de laboratoire conduites par les artistes soucieux du devenir animal apparaissent
comme une mise en application raisonnée des manipulations in vivo, la cellule vivante
devenant une matière recyclable qui rend caduque notre arrogance de carnivores à l’égard des
autres animaux que nous mêmes et que nous qualifions sous le terme de bétail.
Il faut cependant souligner que la production in vitro de cuir sans victime a nécessité une
quantité de sérum d’origine bovine non négligeable, une quantité équivalente à un veau entier,
tué pour la circonstance. Il convient alors au spectateur de discerner l’écart opéré entre la
dimension éthique - les « bonnes intentions » sur lesquelles sont fondées les productions du
collectif TC&A et les contraintes protocolaires que nécessite leur mise en œuvre en
laboratoire.
D’autres artistes font état de manière plus pathétique de la victimisation de l’animal en
donnant à voir le sort que les techniques biologiques réservent aux animaux de
naturae ou grande Chaîne des Êtres souvent représentée, à sa base, par des objets inanimés, à son sommet par
l’homme (voire des anges à forme humaine), alors qu’entre les deux étages extrêmes étaient rangés les plantes et les
animaux dans un ordre de complexité croissante. » Nicole Le Douarin, Le Vivant, unique et divers : un paradoxe pour
l’étude de son développement et de son évolution, Extrait du discours prononcé à l’Académie des Sciences le 26 novembre
2002,
[en
ligne],
consultable
sur :
en
ligne :
<http://www.academiesciences.fr/actualites/communiques/pdf/grands_prix_26_11_02_communique.pdf>.
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laboratoire, véritables bêtes de somme au service de la recherche scientifique. En
effet, même si leur nombre décroît depuis plus de trente ans, les rongeurs et les lapins
forment encore en France 81% des animaux à sang chaud soumis au rôle de cobaye.
Leur corps, perçu comme une machine est le support expérimental de nouvelles hybridations
qui permettent l’exploitation d’espèces inédites ainsi que l’exploration de nombreuses
pathologies humaines. Manipulé in vivo, en raison de son rapprochement phylogénétique avec
l’homme, le corps mutilé de l’animal-machine exposé par certains artistes force à la
compassion et devient une métaphore de l’humain dans sa forme expressive et sensible d’être
au monde.
3. Le spectacle pathétique des animaux de laboratoire
Une grande part des réalisations du duo AOo intègre justement des animaux morts dont la
présence vise à reconsidérer nos pratiques à leur égard.
Une de leurs installations met en scène la consciencieuse torture infligée à un lapin de laboratoire
au moyen de dispositifs qui mêlent le fictif et le réel.
L’installation Rabbits were used to prouve exposée en 1999 à La ferme du Buisson à Noisiel
présente sur une large paillasse la dépouille d’un lapin écartelé ayant fait l’objet d’une
expérimentation. De chaque organe tricoté avec soin, part un long fil de laine relié à des
phrases qui rendent compte de la nécessité d’utiliser les animaux comme objets
d’expérimentation pour faire progresser la science. La présence obscène - celle qui occupe
littéralement le devant de la scène- du lapin anonyme, offre un spectacle stigmatisant le
savoir-faire d’une science qui s’approprie l’animal et le met en pièces au nom du progrès. Ce
spectacle n’est pas sans rappeler les planches anatomiques de Buffon qui ne se contentait pas
d’une contemplation bucolique et paisible de la bête en pied, en l’occurrence ici un cheval,
mais démontait l’unité organique du corps de la bête avec l’intention de la soustraire aux lois
de la physique et de la mécanique pour trouver des similitudes avec le corps humain.
L’installation du duo Art Orienté objet est une tentative de reconstruction du corps de
l’animal mis en pièce pour servir la science. Les entrailles du lapin récupéré dans une poubelle
sont des organes fabriqués artisanalement. Ils ont été tricotés à partir de la laine filée et
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colorée de la brebis Dolly, laine obtenue par l’intermédiaire du généticien Axel Kahn dans le
laboratoire duquel les artistes ont mené une réflexion sur les manipulations génétiques. La
récupération de la laine de la célèbre brebis Dolly, (Produite en1996 par le chercheur anglais
Ian Wilmut ) fétichisée par les médias est une sorte d’offrande au lapin dépouillé de ses
organes. Elle s’inscrit comme un acte de réappropriation symbolique de l’animal sacrifié sur
l’autel des biotechnologies.5
Le transfuge des reliques de la brebis clonée sous forme d’un amas d’organes reconfigurés
comble le vide de la dépouille du lapin et s’apparente à une transsubstantiation. Sous ce terme
nous désignons à l’instar de François Dagognet « une sorte de réincarnation à la fois
symbolique - sous forme de simulacres -, et effective de la matière vivante» en l’occurrence
dans cette installation, il s’agit des fragments substantiels de l’animal cloné. Il est certain que
cette mise en scène spectaculaire ne saurait redonner vie à l’animal, mais elle peut contribuer
à nourrir les débats sur l’expérimentation animale.
La blancheur de la dépouille et la texture des organes tricotés avec une laine aux couleurs
pastel confèrent au lapin inanimé une douceur macabre évoquant celle d’une peluche
éventrée que l’on chercherait à restaurer. Produit par un jeu d’assemblage de pièces
organiques recyclées, le lapin taxidermisé et animé artificiellement vient en écho d’une des
premières œuvres d’Annette Messager, Le repos des pensionnaires.
L’œuvre est une collection d’oiseaux morts emmaillotés comme des petites poupées pour
lesquelles l’artiste a tricoté des vêtements. Les petits cadavres couchés sur le dos, les pattes en
l’air et répondant au doux nom de pensionnaires, « rejouent à la fois sur le mode infantile et
morbide », les bonheurs et les drames de la condition humaine, comme le souligne Catherine
Grenier 6.
Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin évoquent sous une forme tout aussi morbide et
teintée de douceur le versant mortifère d’une science qui transforme l’animal de laboratoire
en objet pratique et reconfigurable.
Cette souris a également inspiré le travail de Patricia Piccinini (la réplique factice de cette souris est posée sur
l’épaule nue de l’artiste dans un portrait photographique) ainsi que le projet de fabrication d’une troisième oreille par
le collectif TC&A et Stelarc (Ear ¼ Scale).
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Extrait de la notice de l’œuvre présente dans Collection contemporaine du Centre Pompidou, » Musée national d'art moderne,
Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2006.
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La compassion envers les animaux de laboratoire est interprétée d’une toute autre
manière par la canadienne Kathie High. Si la biologie nous prouve un peu plus chaque
jour que la frontière entre le monde humain et le monde animal est mince, Kathie
High nous le rappelle en adoptant des animaux modèles des maladies humaines,
animaux qui s’inscrivent dans une “zoologie métaphorique” par rapport à l’humain.»7
4. L’animal modèle des maladies humaines
L’artiste canadienne fait intervenir dans son travail, intitulé Embracing Animal -animal
compréhensif- des rates utilisées pour la recherche du traitement de l’immunodéficience chez
les patients atteints de la maladie de Crohn, (une maladie chronique intestinale qui se traduit
par une incapacité à produire un taux d’anticorps en réponse à des agents pathogènes).
Elle adopte trois rates, qui sont habituellement euthanasiées après avoir fait l’objet de diverses
expérimentations en laboratoire. Les rates de la lignée étudiée présentent des aberrations
physiques, telles que la perte de leur poil et une démarche vacillante et souffrent de troubles
rhumatismaux, liés à la maladie auto-immune, dont l’artiste elle-même est atteinte.
Kathie High baptise ces animaux sous les doux noms de Matilda, Tara et Star et leur
administre les mêmes soins que ceux qu’elle a choisi pour se guérir elle même, c’est à dire un
traitement homéopathique. En choisissant pour ces rongeurs et pour elle-même une
médecine non conventionnelle elle fait de ses petites compagnes mammifères ses semblables.
Elle s’identifie en quelque sorte à ses cobayes de la science qu’elle a décidé de prendre en
charge. « Elle note leur état de santé, leurs habitudes de vie et leurs expériences dans un
journal de bord, complété par des photographies et des vidéos. En galerie, elle installe un
terrain de jeux sophistiqué composé de différents environnements destinés à observer,
distraire, et soigner les rates transgéniques devenues inutiles à la recherche.
Annick Opinel, Les organismes modèles dans la recherche médicale, (sous la dir. de Gabriel Gachelin). Paris : PUF, 2006,
pp. 53-72.
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Tels qu’ils nous apparaissent, ces animaux modèles des maladies humaines sont repoussants,
et nous sont étrangers à double titre : ils sont l’autre de l’humain pour la science et autre au
sens radical du terme, c’est-à-dire altéré par des pratiques tératogènes.
Or, la complicité de Kathie High avec ces trois rongeurs vise à repenser notre rapport aux
animaux, qu’ils soient ou non monstrueux, en terme de similitude et non en terme d’altérité.
À ce titre il lui revient de soigner ces animaux mutants pour les garder en vie.
Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin qui explorent les rapports d’interdépendance entre le
comportement de l’homme et de l’animal vont plus loin encore dans la recherche d’une
complicité avec l’animal, Marion se faisant elle-même « cobaye à la place de son frère
mammifère ». Partant du principe que des cellules humaines peuvent être implantées dans des
animaux, elle choisit d’implanter dans son propre organisme une certaine dose du sang d’un
cheval. Sous cet angle, le transfert de la substance vitale de l’animal à l’homme va au delà d’un
rapport de similitude entre ces êtres, il implique un rapport de réciprocité biologique entre
l’homme et l’animal.
« Que le cheval vive en moi »
Imaginons alors en nous arrêtant sur la performance de l’artiste intitulée « Que le cheval vive en
moi » que grâce aux prouesses de la science, l’animal se mette à vivre dans l’humain.
La performance réalisée pour la première fois en Slovénie à Ljubljana par Marion LavalJeantet et Benoît Mangin consiste en une hybridation sanguine in vivo de sang de cheval dans
l’organisme humain, en l’occurrence celui de Marion Laval-Jeantet.
Pour réussir cette performance biologique, le duo argue d’un travail de recherche sur la
modification du cerveau humain par des immunoglobulines animales (sans en évoquer la
dimension artistique), et obtient ainsi la collaboration d’un laboratoire suisse spécialisé dans la
recherche de sérums animaux comme thérapie potentielle des cancers. (Les animaux étudiés
sont des vaches, des porcs, des moutons, des chevaux).
Marion Laval-Jeantet subit au préalable un traitement immunosuppresseur, c’est-à-dire un
traitement relativement lourd et périlleux, qui diminue voir inhibe les défenses immunitaires
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de l’organisme (ce que l’on nomme aplasie). Après plusieurs mois de traitement, son
organisme a développé une tolérance à certaines cellules sanguines de l’animal normalement
incompatibles avec celles de l’organisme humain. Marion Laval Jeantet, se fait alors injecter
lors de la performance, une certaine quantité de plasma et d’immunoglobulines du cheval,
c’est à dire des protéines qui détectent et neutralisent des agents exogènes ou pathogènes.
Après ces injections de sang de cheval, l’artiste chausse des prothèses articulées qui imitent la
jambe et le sabot de l’animal et lui permettent d’être à la hauteur de la bête, de croiser son
regard et de déambuler à ses côtés. Le sang hybride du corps de l’artiste est rapidement
prélevé dans des tubes à essai puis figé sous forme de paillettes. Ces échantillons en qualité de
produits dérivés inédits sont mis en exposition. À la fin de la performance, l'artiste cobaye
revêt une blouse blanche mais est-elle à présent artiste laborantine ou animal laborantin ?
Cette performance met en scène une expérimentation biologique hors norme où la fusion
avec l’animal dépasse toute fusion symbolique et mythique comme le serait le centaure.
Mais un tel acte témoigne-t-il vraiment d’une réciprocité inédite avec l’animal? Marion Laval
Jeantet affirme avoir ressenti l’hyper-réactivité du cheval dans sa chair. Cette expérience hors
limite s’apparente à une forme d’animisme assisté par la technique, une variante technoscientifique de rituels archaïques durant lesquels l’initié perd conscience en absorbant des
plantes aux effets psychotropiques pour se laisser habiter par des entités animales. (Initiation
d’AoO au Bwiti des Pygmées du Gabon)
Ce ressenti n’est-il pas seulement le résultat d’une modification psychique liée à l’intrusion
d’organismes étrangers dans son propre corps?
Se rendre autre, s’altérer à la place de l’autre que l’homme en recevant son humeur au sens
duel du terme (médical en latin et psychologique en grec) est une mise à l’épreuve technique
du corps humain, une exploration de ses limites biologiques atteignant les frontières du post
humain. La question est donc bien de savoir jusqu’où l’humain parviendra-t-il à s’effacer, à se
métamorphoser en chimère, à s’animaliser pour que la bête vive ?
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Pour conclure, nous dirons que certains artistes comme Brandon Ballangée ou le collectif
TC&A ont recours aux pratiques de laboratoire comme une alternative possible à la mort
programmée de l’animal par l’homme. Pour d’autres comme Katie High ou le duo AOo, il
s’agit de mettre en scène la tératologie de laboratoire et d’interroger la nécessité des
expérimentations animales au nom de la science. Néanmoins, tous ces artistes s’accordent à
vouloir briser la dichotomie rassurante entre l’animal et l’homme. Il en va ainsi de Brandon
Ballangée qui fait usage des manipulations génétiques pour préserver la biodiversité animale
mise à mal par la domination de l’homme sur la nature. Mais les artistes vont plus loin encore
et tentent d’établir une solidarité morale entre humains et non-humains, en révélant à la
lumière des pratiques biologiques contemporaine, les rapports d’interdépendance, de
similitude et de réciprocité entre l’homme et l’animal. Leurs pratiques sont fondées sur une
éthique biocentriste, c’est à dire une éthique qui établit un rapport d’égalité entre tous les
êtres vivants. Ce concept est un courant de l'éthique environnementale apparu dans les
années 70 et théorisé par Tom Reggan, un des plus grands défenseurs du respect de la vie
des animaux. Pour le collectif TC&A, inspiré de cette éthique, la culture tissulaire permet
d’établir un continuum entre l’humain et le non-humain et inaugure de nouveaux modes
alimentaires et vestimentaires au profit de l’animal d’élevage. Pour Katie High qui entretient
des rapports de complicité avec les animaux exploités pour la recherche, l’animal de
laboratoire est un sujet de droit au même titre que l’humain. Pour le duo AOo qui témoigne
d’une profonde empathie envers les animaux, le mythe de la chimère homme-animal est
devenue une réalité incarnée.
Ainsi, dans une perspective utopique, dénuée de toute nostalgie de la figure de l’homme
moderne, ce rêve d’un nouvel ordre écologique du vivant perçu à travers le prisme de la
science abolit définitivement la frontière entre les espèces.
À l’heure où les organismes vivants sont utilisés par la science comme des réservoirs de
cellules et de gènes disponibles et interchangeables, les artistes revendiquent la nécessité de
repenser notre rapport à l’animal selon une vision élargie à l’ensemble de tous les organismes
vivants.
Les animaux d’artistes revisités à la lumière des nouvelles pratiques scientifiques et au nom de
la libération animale ne sont donc plus des objets sans âme, ils deviennent des sujet de vie.
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Donc, les artistes, soucieux de dépasser le dualisme cartésien qui consiste à séparer le corps
de l’esprit et qui n’est autre que la trajectoire centrale de la modernité, interrogent les limites
de notre humanité. Mais l’éthique biocentriste qui fonde ces œuvres de l’art biotechnologique
freinera-t-elle pour autant la fin programmée du sujet moderne, celui qui continue à faire de
l’animal machine un outil au service du progrès? Ou pour le dire autrement, selon la
formulation de Bernard Lafargue : « Combien de devenirs-animaux ou machines l’homme
doit encore expérimenter afin de devenir un peu plus humain, c’est-à-dire heureux de vivre en
participant au devenir pacifique et tragique de la grande famille de la vie. »8
BIOGRAPHIE
CATHERINE VOISON est docteur en esthétique et sciences de l’art (Université de Paris 1Panthéon Sorbonne) et chercheuse associée au laboratoire « Rationalités contemporaines », Paris
4- Panthéon- Sorbonne (HDR en cours).
Elle poursuit des recherches sur l’art biotechnologique – évaluation de la dimension éthicopolitique des biofacts construits par les artistes hors de tout programme de recherche lié à la
médecine et à l’industrie. Entre le pire et le meilleur des mondes, quelle alternative nous
proposent ces designers du vivant qui font appel aux procédés de laboratoire les plus récents
pour produire du vivant sur mesure ?
Elle est aussi artiste plasticienne, diplômée de l’École de beaux-arts de Nancy
(catherinevoison.com).
Bernard Lafargue, Dans l’œil de la bête, « Animaux d’artistes », Figures de l’art n° 8, Publications de l’université de Pau,
Pau, novembre 2004, p. 406, p. 65
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