LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L`HOMME ET LA

Transcription

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L`HOMME ET LA
LA COUR EUROPÉENNE
DES DROITS DE L’HOMME ET LA PROMOTION
DES DROITS DES FEMMES
Cour européenne du droits de l’homme (4e section)
Tysiac c. Pologne, 20 mars 2007
par
Jean-Manuel LARRALDE
Maître de conférences en droit public
à l’Université de Caen Basse-Normandie
Directeur adjoint du Centre de recherches
sur les droits fondamentaux et les évolutions du droit
A quoi reconnaît-on un grand arrêt de la Cour européenne des
droits de l’homme? La réponse n’est pas forcément simple. L’intérêt
de l’affaire et son importance pour le droit visé, la solution et la
méthode de raisonnement adoptés par la Cour constituent évidemment des éléments primordiaux (1). A cet égard l’arrêt Tysiac rendu
par la Cour européenne des droits de l’homme le 20 mars 2007 (2)
n’est probablement pas un grand arrêt, car il semble s’inscrire dans
la continuité de la jurisprudence de la Cour et peut même sembler,
à certains égards, en relative régression par rapport à certains standards jurisprudentiels antérieurs. Toutefois, si l’on prend en compte
les répercussions politiques et sociales de l’arrêt dans l’Etat concerné par cette affaire, à savoir la Pologne (3), il prend une tout
autre dimension et l’on peut y voir une intéressante contribution à
la protection des droits des femmes.
(1) Dans l’ouvrage intitulé Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de
l’homme, Frédéric Sudre met en avant le choix des arrêts cités et étudiés «en raison
tout à la fois de l’intérêt qu’ils présentent pour la connaissance des méthodes d’interprétation de la Cour (interprétation évolutive, notions autonomes, obligations positives, marge d’appréciation…) et de leur importance pour le droit visé ou la disposition procédurale de la Convention en cause», PUF, coll. «Thémis», 3ème ed., 2005,
p. 3.
(2) Quatrième section, requête n° 5410/03.
(3) Pour un panorama des vives réactions suscitées par l’arrêt dans la presse polonaise, voy. «Varsovie condamné pour refus d’IVG», Courrier international, 29 mars
au 4 avril 2007, p. 18.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
856
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
Les faits de la cause sont particulièrement sensibles et douloureux. La requérante, Alicja Tysiac, mère de deux enfants au
moment des faits, souffre d’une très forte myopie depuis l’âge de
6 ans et un collège de médecins de la sécurité sociale a conclu qu’elle
était atteinte d’une invalidité de gravité moyenne. Enceinte d’un
troisième enfant en 2000, elle consulte plusieurs médecins, pour évaluer les risques que pourraient entraîner la grossesse et l’accouchement sur sa santé et notamment sur sa vue. Trois ophtalmologues
vont estimer qu’en raison de changements pathologiques survenus
à la rétine de la requérante, la grossesse et l’accouchement entraîneraient des risques pour sa vue (tout en refusant cependant, en
dépit des demandes de l’intéressée, d’émettre un certificat en vue
d’une interruption de grossesse, au motif qu’il existe un «risque» et
non «une certitude» que la rétine se décolle à cause de la grossesse).
Un médecin généraliste consulté postérieurement va rédiger un certificat médical indiquant que cette troisième grossesse constitue une
menace pour la santé de Mme Tysiac, tant en raison d’un risque de
rupture de l’utérus consécutif aux deux précédents accouchements
par césarienne que d’importantes modifications pathologiques de la
rétine. La clinique de gynécologie et d’obstétrique de Varsovie,
hôpital public dont dépend la requérante, va toutefois rejeter sa
demande d’avortement thérapeutique, à l’issue d’un bref rendezvous avec le chef du service de gynécologie et d’obstétrique de la
clinique (4). Après la naissance de son troisième enfant, survenu par
césarienne en novembre 2000, la vue de Mme Tysiac se détériore
considérablement, en raison d’hémorragies de la rétine. Cette pathologie ne pouvant faire l’objet d’aucune intervention chirurgicale, la
requérante, qui ne peut plus distinguer les objets placés à une distance supérieure à 1.50 mètre, risque de devenir aveugle. S’occupant seule de ses trois enfants, elle dispose actuellement d’une pension d’invalidité mensuelle de 560 zlotys polonais (soit moins de
150 euros).
La plainte pénale déposée par Mme Tysiac en mars 2001 contre
le chef de service de la clinique de gynécologie et d’obstétrique de
(4) Comme le souligne la Cour, ce chef de service examina la requérante de visu
pendant moins de cinq minutes, dans une pièce dont la porte ouverte donnait sur
un couloir et ne consulta pas son dossier ophtalmologique. Pendant que la patiente
était dans son cabinet, le médecin consulta une endocrinologue, avec laquelle il
s’entretint à voix basse devant la requérante. Cette endocrinologue contresigna la
note du chef de service sans avoir adressé la parole à la requérante. A la fin du rendez-vous, le médecin déclarera même à la requérante qu’elle pourrait avoir huit
enfants si elle accouchait par césarienne (§§13 et 14 de l’arrêt).
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
Jean-Manuel Larralde
857
Varsovie sera classée sans suite au motif qu’il n’y avait aucune raison de poursuivre ce médecin. S’appuyant sur une expertise, le procureur conclut en effet à l’absence de lien de causalité entre les
actions du médecin et la détérioration de la vue de la requérante,
qui «n’avait été provoquée ni par les actions du gynécologue ni par
une quelconque autre intervention humaine» (§23). Cette décision
sera confirmée le 21 mars 2002 par le procureur régional de Varsovie, puis le 2 août 2002 par une décision définitive et insusceptible
de recours rendue par le tribunal de district de Varsovie. La requérante connaîtra également le rejet en juin 2002 de sa procédure disciplinaire engagée contre le chef de service et l’endocrinologue de
l’hôpital de Varsovie, les autorités compétentes de l’ordre des médecins ayant estimé qu’il n’y avait eu aucune négligence professionnelle.
Mme Tysiac va alors saisir la Cour européenne des droits de
l’homme le 15 janvier 2003, alléguant une violation à son encontre
des articles 8 (droit à la vie privée), 3 (prohibition des traitements
inhumains et dégradants), 13 (droit au recours effectif) et 14 (discrimination dans l’exercice de ses droits garantis). Cette requête
jugée recevable par une décision du 7 février 2006, la Cour européenne, sur le fond, va décider d’examiner l’affaire sur le seul fondement de l’article 8 (5) et juger, à six voix contre une, qu’il y a eu
violation de cette disposition de la Convention en ce que l’Etat n’a
pas satisfait à son obligation positive d’assurer à la requérante le
respect effectif de sa vie privée.
Le cas posé à la Cour par Mme Alicja Tysiac apparaissait particulièrement délicat, car les juges se voyaient invités à confronter un
refus d’avortement thérapeutique à la Convention européenne des
droits de l’homme. A partir de ce «terrain jurisprudentiel
sensible» (I), la Cour a mis en place une habile stratégie
jurisprudentielle : en utilisant le caractère attractif de l’article 8 de
la Convention, elle pose de nouvelles exigences vis-à-vis des Etats,
qui renforcent encore un peu plus le rôle des juges de Strasbourg en
matière de protection des droits des femmes (II).
(5) «Vu les circonstances de la présente cause, la Cour juge que les faits allégués
ne révèlent aucune violation de l’article 3» (§66). Elle va par ailleurs estimer
qu’«aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13 de la
Convention» (§135) et qu’«eu égard aux motifs pour lesquels elle a conclu à la violation de l’article 8 et rejeté l’exception préliminaire du Gouvernement», il n’était pas
nécessaire d’examiner séparément les griefs de la requérante sous l’angle de
l’article 14 (§144).
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
858
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
I. – L’interruption de grossesse,
terrain jurisprudentiel sensible
La question de l’avortement renvoie toujours à des débats complexes et sensibles, et ce tant en droit international qu’en droit
interne. On peut ici évidemment se référer à la violence des débats
qui ont accompagné en France l’adoption de la loi Veil en 1975 (6),
ou encore aux crispations autour de l’arrêt Roe v. Wade rendu par
la Cour Suprême américaine en 1973 (7). La Cour européenne des
droits de l’homme ne se situe pas dans une autre perspective, ce qui
explique qu’elle a pu sembler très prudente, voire hésitante, dans
les différentes affaires relevant en tout ou partie de problématiques
relatives à l’avortement. La ligne jurisprudentielle a toutefois progressivement évolué, en faveur d’un droit à l’avortement encadré
(A). Mais l’affaire Tysiac s’avère également délicate en raison de
l’Etat mis en cause, la Pologne, qui présente des caractéristiques
socio-politiques particulièrement complexes en la matière (B).
A. – Une reconnaissance progressive
d’un droit encadré à l’avortement
dans la jurisprudence de la Cour
La Convention européenne des droits de l’homme ne prévoit
aucune disposition qui pourrait s’appliquer à l’interruption de grossesse, de manière explicite comme implicite. Bien au contraire, dans
son article 2, §1er elle proclame que «le droit de toute personne à la
vie est protégé par la loi». L’avortement ne constitue pas plus une
exception au droit à la vie que celles énumérées explicitement au
paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention. Dans son arrêt Streletz,
Kessler et Krenz c. Allemagne du 22 mars 2001, la Cour affirme
même fermement que le droit à la vie constitue «un attribut inaliénable de la personne humaine et qu’il forme la valeur suprême dans
l’échelle des droits de l’homme» (§§72 et 94).
A partir de cette seule référence conventionnelle, on peut aisément comprendre les hésitations et la gêne de la Cour européenne
des droits de l’homme, amenée à confronter les droits d’une femme
et ceux du fœtus qu’elle porte. En effet, toute jurisprudence concernant l’interruption volontaire de grossesse dépasse le strict cadre
(6) Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse.
(7) 410 U.S. 113 (1973).
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
Jean-Manuel Larralde
859
de la solution juridique et du constat de violation ou de non-violation de la Convention européenne des droits de l’homme. Juridiquement, les affaires telles que l’espèce Tysiac obligent la Cour à trouver une solution subtile en confrontant différents droits ou libertés,
parfois contradictoires, qui peuvent, selon les cas, être revendiqués
par une femme, une mère ou un père, entre eux (8), ou défendus au
nom de l’enfant à naître. Plus encore, la Cour doit toujours rendre
son arrêt en prenant en compte de multiples dimensions (9), non
seulement juridiques, mais également médicales, philosophiques,
politiques, sociales, éthiques ou religieuses (10). Ainsi dans sa décision sur la recevabilité D. c. Irlande du 27 juin 2006, la Cour prend
note du «caractère sensible, passionné et souvent polarisé du débat
(sur l’avortement) en Irlande», qui «implique de procéder à une mise
en balance complexe et sensible de droits à la vie placés sur le même
pied d’égalité et exige une analyse délicate de valeurs et mœurs propres à un pays» (§§97 et 90) (11).
La discussion juridique au cœur de l’arrêt Tysiac était rendue
encore plus sensible par la formulation du droit polonais qui accorde
une protection constitutionnelle à la vie du fœtus, se fondant sur la
conception selon laquelle la vie humaine doit être protégée par la loi
à tous les stades du développement (et ce même si la loi de 1993
admet des exceptions à ce principe de protection juridique de la vie
humaine dès la conception) (12). Dans ses observations du
(8) Dans sa décision X. c. Royaume-Uni (requête no 8416/79, décision du 13 mai
1980, D.R. 19, p. 244), la Commission européenne des droits de l’homme s’était prononcée sur la requête d’un mari qui se plaignait de l’autorisation accordée à sa
femme en vue d’un avortement thérapeutique.
(9) Dans son opinion séparée sous l’arrêt Vo c. France du 8 juillet 2004, le juge Costa
rappelait d’ailleurs que «la Cour collégialement n’a pas à se placer sur un plan principalement éthique ou philosophique. Elle doit s’efforcer de rester sur le terrain qui est
le sien, le terrain juridique, même si le droit n’est pas désincarné et n’est pas une substance chimiquement pure, indépendante de considérations morales ou sociétales».
(10) Il ne faut évidemment pas négliger en l’espèce le poids représenté par l’Eglise
catholique. Ainsi, pour l’ancien pape Jean-Paul II, «il n’appartient qu’à Dieu le pouvoir de décider en dernier ressort au sujet de la venue à l’existence d’un être humain»
(discours du 17 septembre 1983).
(11) Sur cet arrêt, voy. G. Rosoux, «La règle de l’épuisement des voies de recours
internes et le recours au juge constitutionnel : une exhortation au dialogue des juges
– Commentaire de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme D.C. c.
Irlande et digression autour du mécanisme préjudiciel devant la Cour constitutionnelle de Belgique», dans le présent n° 71 de la Rev. trim. dr. h.
(12) En vertu de l’article 38 de la Constitution polonaise du 2 avril 1997, «La
République de Pologne protège par la loi la vie de tout être humain». Le Forum des
femmes polonaises, tiers intervenant à l’affaire, mettait en avant cet argument dans
ses observations (voy. les §§96 et s. de l’arrêt).
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
860
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
20 décembre 2005, l’association des familles catholiques soutenait
d’ailleurs que l’article 2 de la Convention protège le droit à la vie,
qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et
forme la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme. Or,
ce mode de raisonnement, qui ferait primer le droit à la vie du
fœtus sur toute autre considération, n’est pas celui qui a été utilisé
par la Commission européenne des droits de l’homme, ni par la
Cour.
Les organes de la Convention ont initialement refusé d’examiner
in abstracto la compatibilité de lois concernant l’interruption volontaire de grossesse avec l’article 2 de la Convention (13). Mais, dès
1976, la Commission européenne des droits de l’homme estime que
la législation régissant l’interruption volontaire de grossesse relève
du domaine de la vie privée, étant donné que, lorsqu’une femme est
enceinte, sa vie privée devient étroitement associée au fœtus qui se
développe. Toutefois, la Commission précisait alors que l’article 8,
§1er de la Convention ne peut s’interpréter comme signifiant que la
grossesse et son interruption relèvent, par principe, exclusivement,
de la vie privée de la mère. La Commission n’avait donc pas totalement exclu que le respect du fœtus puisse être de nature à limiter
le respect de la vie privée de la femme enceinte (14).
Il faut attendre 1980 pour que la Commission indique de manière
explicite que l’interruption volontaire de grossesse est compatible
avec l’article 2, §1er de la Convention au nom de la protection de la
vie et de la santé de la mère. Tout en considérant le père potentiel,
auteur de la requête, comme «victime» d’une violation du droit à la
vie, elle a estimé que ce droit ne pouvait s’appliquer avant la naissance. En effet, «l’avortement se trouve couvert par une limitation
implicite du ‘droit à la vie’ du fœtus pour, à ce stade, protéger la
vie et la santé de la femme» (15).
(13) Requête X. c. Norvège, no 867/60, décision de la Commission du 29 mai 1961,
D.R., vol. 6, p. 34.
(14) ‘Les droits et libertés d’autrui’, dont l’article 8, §2 de la Convention prévoit
la protection, incluent la vie qui se développe dans le sein de la mère, en tant que
bien personnel protégé par la loi. Le recours à la voie du droit pénal demeure dans
la sphère de discrétion du législateur. L’exercice de cette discrétion ressort aussi du
fait que l’étendue de la protection du droit pénal varie sensiblement d’un Etat membre du Conseil de l’Europe à un autre» (requête n° 6959/75, Brüggemann et Scheuten
c. RFA, décision du 19 mai 1976, D.R., 10, p. 120. Voy. M. Levinet, in F. Sudre,
Les grands arrêts…, op. cit. p. 101).
(15) Requête X. c. Royaume-Uni, précitée, D.R., 19, p. 262. Cette solution sera
confirmée sur ce point par l’arrêt Vo c. France, précité, §80.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
Jean-Manuel Larralde
861
Plus récemment, la Cour a jugé dans sa décision Boso c. Italie du
5 septembre 2002 que la liberté d’avorter de la femme enceinte et
sa santé, largement entendue, l’emportent sur d’autres considérations, «à supposer même que, dans certaines circonstances, le foetus
puisse être considéré comme un titulaire de droits protégés par
l’article 2 de la Convention» (16). En l’espèce, la Cour estime que la
loi italienne, qui permet l’avortement thérapeutique dans certaines
conditions (17), «ménage un juste équilibre entre la nécessité d’assurer la protection du fœtus et les intérêts de la femme» (18). Cette
solution sera ensuite confirmée par l’arrêt Vo c. France (précité), où
la Cour relève que, «même si les organes de la Convention
n’excluent pas que, dans certaines circonstances, des garanties puissent être admises au bénéfice de l’enfant non encore né», le «‘droit’
à la ‘vie’ (du fœtus), s’il existe, se trouve implicitement limité par
les droits et les intérêts de sa mère» (§80). Dans cet arrêt, la Cour
refuse toutefois de se prononcer sur la qualification juridique du
fœtus, car «il n’est ni souhaitable ni même possible actuellement de
répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître
est une ‘personne’ au sens de l’article 2 de la Convention» (§85). La
législation fixant le point de départ du droit à la vie relève donc de
(16) Cette prudente formulation, qui évite de se prononcer in abstracto sur le droit
à la vie du fœtus, avait déjà été adoptée par la Commission dans l’affaire H. c. Norvège, lorsqu’elle indiquait qu’elle n’excluait pas que le fœtus puisse bénéficier d’une
«certaine protection» au regard de l’article 2 de la Convention (requête n° 17004/90,
H. c. Norvège, décision du 19 mai 1992, D.R., 73, p. 155).
(17) En vertu de la loi italienne no 194 de 1978, une femme peut décider d’interrompre sa grossesse avant la fin de la douzième semaine lorsque la poursuite de sa
grossesse, l’accouchement ou bien la maternité pourraient mettre en danger sa santé
physique ou psychique, compte tenu des conditions de santé de l’intéressée, des conditions économiques, sociales ou familiales, des circonstances dans lesquelles la conception a eu lieu, de la prévision d’anomalies ou de malformations du fœtus. Au-delà
des premiers quatre-vingt-dix jours, l’IVG peut être pratiquée lorsque la grossesse ou
l’accouchement entraînent un danger grave pour la vie de la femme ou lorsque l’on
a constaté des affections, dont d’importantes pathologies ou malformations de
l’enfant à naître entraînant un danger grave pour la santé physique ou psychique de
la femme.
(18) On trouve ici une solution qui peut être rapprochée de celle dégagée par le
Conseil constitutionnel français, qui estime qu’en «portant de dix à douze semaines
le délai pendant lequel peut être pratiquée une interruption volontaire de grossesse
lorsque la femme enceinte se trouve, du fait de son état, dans une situation de
détresse, la loi n’a pas, en l’état des connaissances et des techniques, rompu l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la
dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part,
la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen» (décision n° 2001-446, D.C. du 27 juin 2001 (dite IVG II),
cons. 5).
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
862
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
la marge d’appréciation des Etats. Contrairement au droit à la vie
de la personne humaine reconnu après la naissance, qui est intangible, le droit du fœtus n’est donc que relatif et peut être supplanté
par le droit à l’avortement de la femme enceinte dont la santé est
en jeu. Pour certains commentateurs ces jurisprudences récentes
opèrent la reconnaissance d’un véritable droit à l’avortement (19).
Il semble plus exact de dire que la Cour, sans reconnaître un «droit»
à l’avortement, estime que la protection de la vie privée d’une mère
puisse, dans certains cas légitimes, justifier une demande d’interruption thérapeutique de grossesse.
B. – L’environnement socio-politique
complexe de l’affaire Tysiac
Face à la jurisprudence plutôt libérale de la Cour en matière
d’interruption volontaire de grossesse, l’arrêt Tysiac apparaît de
prime abord extrêmement timoré et décevant. Dans son
paragraphe 104, la Cour indique en effet abruptement qu’elle «n’a
pas en l’espèce à rechercher si la Convention garantit un droit à
l’avortement». Elle adopte ici une stratégie d’«évitement» particulièrement prudente. Selon elle, la loi polonaise de 1993 interdit
l’avortement tout en renfermant certaines exceptions, prévues
notamment par l’article 4a, §1er, al. 1) de la loi. Ce renvoi au droit
interne permet d’évacuer (au moins officiellement) la question sensible de la conformité du droit à l’avortement à la Convention. La
Cour rappelle d’ailleurs fréquemment que c’est d’abord aux autorités nationales, et spécialement aux cours et tribunaux, qu’il
incombe d’interpréter le droit interne et qu’elle ne substituera pas
sa propre interprétation du droit à la leur en l’absence d’arbitraire (20).
Ce type de démarche n’est pas nouveau (21). Il permet, en effet,
de ne pas se prononcer sur un débat de société sensible (ce qui ne
veut pas dire, pour autant, que la Cour n’apporte pas d’intéressants
(19) Voy. J.-P. Marguenaud et J. Raynard, «Quand la Cour de Strasbourg joue
le rôle d’une Cour européenne des droits de la Femme : la question de l’avortement
(Cour eur. dr. h., 1ère sect., 5 septembre 2002, décision sur la recevabilité Boso c.
Italie», Revue trimestrielle de droit civil, avril-juin 2003, pp. 373 et s.
(20) Voy., mutatis mutandis, les arrêts Ravnsborg c. Suède, 23 mars 1994, §33,
Bulut c. Autriche, 22 février 1996, §29, et Tejedor García c. Espagne, 16 décembre
1997, §31.
(21) Il est notamment déjà relevé en 1998 par F. Sudre, qui le qualifie d’«art de
l’esquive». Voy. «Les incertitudes du juge européen face au droit à la vie», in Mélanges Christian Mouly, Litec, 1998, p. 378.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
Jean-Manuel Larralde
863
éléments au débat). Ce contournement volontaire de la question
complexe de l’avortement avait déjà été opéré dans le célèbre arrêt
Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande du 29 octobre 1992,
selon lequel l’interdiction de diffuser des informations relatives aux
possibilités d’aller avorter à l’étranger n’amenait pas à se prononcer
sur l’existence ou non d’un droit à l’avortement, mais visait seulement l’entrave au droit de communiquer ou de recevoir des informations sur les IVG à l’étranger et relevait donc seulement d’une
discussion relative à l’application de l’article 10 de la Convention.
Cette «stratégie» jurisprudentielle rappelle que l’arrêt Tysiac est
rendu dans une période particulière pour la Pologne, avec l’avènement depuis 2005 d’un gouvernement de droite ultra conservateur,
sous la direction des jumeaux Kaczynski. Cette nouvelle équipe
politique a radicalisé de nombreux domaines de la vie politique (22)
et sociale (23). Ainsi, le 28 mars 2007, plusieurs milliers de personnes
sont descendues dans les rues de Varsovie, à l’appel de la très conservatrice Radio Maryja et d’un parti d’extrême droite, la Ligue des
familles polonaises (LFP), pour réclamer l’interdiction totale de
l’avortement, même en cas de viol ou d’inceste. La LFP proposait
d’amender la Constitution afin d’y inscrire un article stipulant que
l’Etat polonais «assure à toute personne la protection légale de sa
(22) Depuis la fin de l’année 2006, la coalition au pouvoir a mis en place un projet
de «rénovation politique et morale» du pays, visant en particulier à débarrasser
«définitivement la Pologne de tous les vestiges de l’époque communiste». La Commission européenne est intervenue pour «regretter» cette loi de «décommunisation»
qui oblige depuis le 15 mars 2007 quelque 700 000 personnes à s’expliquer sur leur
passé et dont l’application suscite énormément de remous en Pologne. Voy. Maja
Zoltowska, «Le gouvernement polonais de retour à l’extrême», Libération, 18 octobre 2006.
(23) En août 2006, le gouvernement polonais indiquait qu’il souhaitait faire modifier la Convention européenne des droits de l’homme de manière à autoriser la peine
de mort. Selon M. Gosiewski, proche collaborateur du premier ministre Kaczynski,
il est nécessaire de «lancer un débat pour obtenir un changement réel du protocole
n° 6» de la Convention qui bannit la peine capitale en Europe, «ou du moins faire
relever cette question des législations nationales». Voy. AFP, dépêche de presse du
3 août 2006. Le 14 octobre 2006, M. Orzechowski, vice-ministre de l’éducation polonais, député de Lodz et membre de la LFP, a remis en question la théorie de l’évolution de Darwin en la réduisant à un «mensonge» et à «une histoire à caractère littéraire qui pourrait servir de trame à un film de science-fiction». Voy. C. Chauffour,
«Pologne : le ministère de l’éducation conteste Darwin», Le Monde, 20 octobre 2006.
On peut enfin citer le projet de loi préparé par le gouvernement polonais en mars
2007 dans le domaine de l’éducation, qui prévoit d’«interdire l’activisme homosexuel
dans les écoles» en licenciant «les professeurs manifestant une orientation sexuelle
non conforme à la doctrine catholique». Voy. A. Thedrel, «Les anti IVG polonais
se mobilisent», Le Figaro, 29 mars 2007.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
864
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
vie dès sa conception et jusqu’à sa mort naturelle», ce qui reviendrait à interdire totalement l’avortement, mais aussi l’euthanasie.
L’amendement a été – provisoirement – rejeté le 13 avril 2007.
La Pologne se situe, même avant 2005, parmi les pays dans lesquels la législation en matière d’interruption volontaire de grossesse est parmi les plus restrictives. Le droit interne applicable,
à savoir la loi de 1993 sur le planning familial, interdit en effet
l’avortement tout en renfermant certaines exceptions.
L’article 1er, § 2 (dans la version de la loi amendée le 30 juin 1996)
dispose que « le droit à la vie, y compris au stade prénatal, est
protégé dans la mesure fixée par la loi ». Et l’article 4a, § 1er, al. 1)
dispose que l’avortement est légal lorsque la grossesse met en
danger la vie ou la santé de la femme, et que cela est certifié par
deux médecins, quel que soit le stade de la grossesse. Tout médecin qui enfreint les dispositions de la loi de 1993 risque une peine
pouvant aller jusqu’à trois ans de prison en vertu de l’article 152,
§ 1er du code pénal (la femme enceinte n’encourant elle-même
aucune responsabilité pénale en cas d’avortement effectué au
mépris de la loi de 1993). La jurisprudence de la Cour suprême
polonaise a jusqu’à présent rendu des arrêts très prudents concernant l’application de cette loi (24). Comme l’indique fort justement Melle Szerocynska, en matière d’interruption de grossesse,
la Pologne a choisi un chemin contraire à celui adopté par
d’autres Etats, tels la France, où « l’interruption volontaire de
grossesse est une manifestation de normalité et les incriminations
ne sont que les exceptions – transgressions à cette normalité.
Alors qu’en Pologne, à l’inverse, l’avortement reste illégal et c’est
l’IVG qui est exceptionnellement autorisée. Aussi, les valeurs protégées ne sont-elles pas les mêmes. Le droit pénal français protège
la santé de la femme (l’interruption illégale de grossesse constitue
une ‘mise en danger de la personne’). En revanche, le code pénal
polonais protège la vie de l’enfant conçu (l’avortement se trou-
(24) Par un arrêt du 21 novembre 2003 (V CK 167/03), la Cour suprême a dit
qu’un refus illégal d’interrompre une grossesse résultant d’un viol (c’est-à-dire dans
des circonstances prévues par l’article 4a, §1er, al. 3 de la loi de 1993) pouvait donner
lieu à une demande de réparation du dommage matériel subi en conséquence de ce
refus. Dans un arrêt du 13 octobre 2005 (IV CJ 161/05), elle juge qu’un refus de procéder à des tests prénatals dans des circonstances où l’on pouvait raisonnablement
supposer que la femme enceinte risquait de donner le jour à un enfant atteint d’une
malformation grave et irréversible, à savoir dans des circonstances prévues par l’article 4a, §1er, al. 2 de la loi de 1993, donnait lieu à une demande en réparation (voy.
le paragraphe 4 de l’arrêt Tysiac).
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
Jean-Manuel Larralde
865
vant dans le chapitre intitulé : ‘les infractions contre la vie et la
santé’) » (25).
Ce contexte politique et juridique particulier en matière d’avortement est d’ailleurs évoqué par la requérante, qui souligne que
l’article 4 de la loi de 1993 concerne un domaine très sensible de la
pratique médicale. Selon Mme Tysiac, les médecins hésiteraient à
effectuer les avortements nécessaires à la protection de la santé de
la femme en raison de la nature émotionnelle du débat sur l’avortement en Pologne et en raison de craintes sur leur réputation si
l’on apprend qu’ils ont pratiqué de tels actes, même dans les conditions prévues par la loi (26). La Cour est sensible à cet argument,
car elle tient à relever que «l’interdiction de l’avortement prévue
dans la loi, combinée avec le risque pour les médecins de se voir
accusés d’une infraction pénale en vertu de l’article 156, §1er du
code pénal, est tout à fait susceptible d’avoir un effet paralysant sur
les praticiens lorsqu’ils décident si les conditions pour autoriser un
avortement légal sont réunies dans un cas particulier» (§116).
A première vue, l’arrêt Tysiac n’apporterait donc aucune contribution majeure aux discussions relatives à l’interruption volontaire
de grossesse dans la jurisprudence de Strasbourg. Dans son opinion
concordante à l’arrêt, le juge maltais Giovanni Bonello tient
d’ailleurs à préciser que «en l’espèce, la Cour n’était ni saisie d’un
droit abstrait à l’avortement ni d’un quelconque droit fondamental
à l’avortement qui serait tapi quelque part dans la pénombre des
marges de la Convention (…). La Cour était seulement appelée à
statuer sur une question : existait-il, en cas de divergence d’opinion
(entre une femme enceinte et les médecins ou entre les médecins
eux-mêmes) quant à savoir si les conditions nécessaires pour obtenir
un avortement légal étaient ou non réunies, un mécanisme effectif
permettant de trancher ce point». Une analyse plus minutieuse de
cet arrêt permet d’aboutir à d’autres conclusions : en replaçant
l’affaire sur le strict terrain de la protection de la vie privée de la
requérante, la Cour pose de nouvelles garanties et montre, une nouvelle fois, sa volonté de se poser en actrice du renforcement des
droits de la femme.
(25) M. Szeroczynska, «L’avortement : une analyse comparée d’un choix de politique pénale», L’Astrée, 2000, n° 10, pp. 23 et s.
(26) Quelque 80 000 avortements clandestins seraient pratiqués chaque année en
Pologne. Voy. A. Thedrel, précitée.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
866
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
II. – La Cour européenne des droits de l’homme,
actrice du renforcement des droits de la femme
Malgré les apparences, l’arrêt Tysiac c. Pologne se situe dans la
ligne jurisprudentielle libérale de la Cour. On peut même juger que,
par l’utilisation judicieuse des obligations positives liées à la mise en
œuvre de l’article 8 de la Convention (A), il accroît la pression opérée par la Cour sur les Etats en matière de libéralisation de l’avortement (B).
A. – Un renforcement des obligations positives
liées à la mise en œuvre de l’article 8
La discussion juridique au centre de l’affaire Tysiac a été ramenée par la Cour à une seule interrogation : le refus d’autoriser la
requérante à avorter a-t-il entraîné une ingérence à son égard dans
les droits garantis par l’article 8 de la Convention?
Cet arrêt confirme, une fois encore, le caractère attractif de la
notion de vie privée dans la jurisprudence de la Cour. Il s’agit, en
effet, d’une notion composite, dont les juges de Strasbourg ont progressivement déterminé le contenu et les contours (27). Comme la
Cour a eu l’occasion de le rappeler notamment dans son arrêt
Pretty, «la notion de ‘vie privée’ est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive» (28). Elle constitue aujourd’hui un
ensemble extrêmement vaste dans la jurisprudence de la Cour, qui
renvoie tout à la fois – et sans que cette liste soit exhaustive – à la
protection de l’intégrité physique et psychologique de la personne,
son identification sexuelle, son nom, son orientation sexuelle, sa vie
sexuelle, son droit au développement personnel, son droit d’établir
et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde
extérieur et son droit à l’autonomie personnelle (29).
L’article 8 n’est pas seulement une disposition qui interdit aux
Etats des ingérences injustifiées dans le respect de la vie privée des
requérants. Sa mise en œuvre nécessite la mise en place de certaines
obligations positives permettant que la vie privée fasse l’objet d’un
(27) Voy., notamment F. Sudre, «La construction par le juge européen du droit
au respect de la vie privée», in F. Sudre (dir.), Le droit au respect de la vie privée
au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, Nemesis/Bruylant, coll.
«Droit et justice», n° 63, pp. 11 et s.
(28) Cour eur. dr. h., arrêt Pretty c. Royaume-Uni, 29 avril 2002, §61.
(29) Voy., entre autres, Cour eur. dr. h., arrêt Van Kück c. Allemagne, 12 septembre 2003, §69.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
Jean-Manuel Larralde
867
respect effectif (30). On sait, en effet, depuis l’arrêt Marckx c. Belgique, que, «si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir
l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il
ne se contente pas d’astreindre l’Etat à s’abstenir de pareilles
ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des
obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée
ou familiale» (31). Certes, en la matière, «la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’Etat au titre de
cette disposition ne se prête toutefois pas à une définition précise»,
ce qui implique que l’Etat «jouit d’une certaine marge
d’appréciation» (32). Le recours aux obligations positives a permis
de renforcer la portée de l’article 8. Ainsi, selon la Cour «il appartient à chaque Etat contractant de se doter d’un arsenal juridique
adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives
qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention» (33). La
Cour impose également aux Etats une obligation positive de protection de l’intégrité physique des personnes placées sous leur juridiction, alors même que la Convention européenne des droits de
l’homme ne possède aucune disposition relative à la santé ou aux
soins (34). La notion d’obligation positive a même entraîné des exigences renforcées dans le domaine de la santé publique. L’Etat doit,
en effet, mettre en place un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient privés ou publics, l’adoption de mesures propres
à assurer la protection de la vie des malades (35).
L’arrêt Tysiac c. Pologne s’insère dans ce courant jurisprudentiel.
La discussion a été centrée par la Cour autour de l’obligation positive de reconnaître le droit au «respect effectif» de la vie privée en
(30) Voy. sur ce point J.-F. Akandji-Kombe, Les obligations positives en vertu de
la Convention européenne des droits de l’homme, Précis sur les droits de l’homme, n° 7,
Conseil de l’Europe, 2006, p. 38.
(31) Cour eur. dr. h., 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, §31
(32) Cour eur. dr. h., 27 octobre 1994, Kroon c. Pays-Bas, §31.
(33) Cour eur. dr. h., 25 janvier 2000, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, §108.
(34) Cour eur. dr. h., 24 février 1998, Botta c. Italie, §32. Voy. également l’arrêt
Glass c. Royaume-Uni, 9 mars 2004, §§74-83, et les décisions Sentges c. Pays-Bas,
8 juillet 2003, Pentiacova et 48 autres c. Moldova, 4 janvier 2005, Nitecki c. Pologne,
21 mars 2002.
(35) Vo c. France, précité, §89. Cet arrêt prévoit également l’instauration d’un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès d’un
individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, tant ceux
agissant dans le cadre du secteur public que ceux travaillant dans des structures privées, et le cas échéant d’obliger ceux-ci à répondre de leurs actes. Voy. également la
décision sur la recevabilité Powell c. Royaume-Uni, 4 mai 2000 et l’arrêt Calvelli et
Ciglio (GC), 17 janvier 2002, §49.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
868
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
protégeant l’individu contre toute ingérence arbitraire des pouvoirs
publics (§§109 et 110 de l’arrêt). Comme elle le relève elle-même, «la
présente cause porte sur une combinaison particulière de différents
aspects de la vie privée. Alors que la réglementation de l’Etat sur
l’avortement implique de procéder à l’exercice habituel de mise en
balance de la vie privée et de l’intérêt public, il faut aussi – en cas
d’avortement thérapeutique – l’examiner au regard de l’obligation
positive qui incombe à l’Etat de reconnaître aux futures mères le
droit au respect de leur intégrité physique» (§107). En l’occurrence,
la Cour doit chercher une solution d’équilibre «entre les intérêts
concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble» (§111
de l’arrêt).
La Cour considère que, dès lors que le législateur décide d’autoriser l’avortement dans certaines conditions, il ne doit pas l’encadrer par des règles juridiques limitant dans la réalité la possibilité
d’obtenir une telle intervention. De surcroît, il doit prévoir une procédure devant un organe indépendant et compétent qui, après avoir
eu l’occasion d’entendre la femme enceinte en personne, puisse rendre rapidement une décision motivée. Tenant compte de la nature
même des questions en jeu dans les décisions d’interruption de grossesse, la Cour estime que ces procédures doivent permettre que des
décisions soient prises en temps et en heure, afin de prévenir ou
limiter le préjudice qui pourrait découler pour la santé de la femme
d’un avortement tardif. Or, en l’occurrence, même si les médecins
divergeaient sur les conséquences éventuelles de la grossesse sur
l’aggravation de la santé de Mme Tysiac, celle-ci craignait que sa
grossesse et son accouchement conduisent à une nouvelle aggravation de son état. Pour la Cour, «à la lumière des avis médicaux que
la requérante a obtenus pendant sa grossesse et, ce qui est important, de son état de santé à l’époque, ainsi que de ses antécédents
médicaux […], les craintes de l’intéressée ne sauraient être considérées comme irrationnelles» (§119).
Aucune des dispositions du droit polonais en vigueur n’a permis
de faire valoir le droit au respect de la vie privée de Mme Tysiac.
Les dispositions de l’ordonnance du ministre de la Santé du 22 janvier 1997 et l’article 37 de la loi de 1996 sur les professions médicales, invoquées par le Gouvernement, se contentent de prévoir que
les médecins peuvent adresser des patientes à un service pratiquant
l’avortement thérapeutique, sans donner de détails sur la façon de
procéder ni sur les délais à respecter. En outre – et surtout –, il
n’existe aucun mécanisme permettant de contrôler ou de contester
les décisions prises par les médecins de ne pas adresser la patiente
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
Jean-Manuel Larralde
869
à un service d’avortement. La mise en œuvre d’un recours civil
n’aurait pu conduire qu’au versement de dommages et intérêts. Les
recours pénal et disciplinaire n’auraient pas davantage permis
d’empêcher le préjudice survenu sur la santé de la requérante. La
Cour estime donc qu’«il n’a pas été démontré que la législation polonaise, telle qu’appliquée en l’espèce, renfermait des mécanismes
effectifs permettant de déterminer si les conditions à remplir pour
bénéficier d’un avortement légal étaient réunies dans le cas de la
requérante. Dès lors, celle-ci s’est trouvée plongée dans une incertitude prolongée et a éprouvé de grandes angoisses lorsqu’elle envisageait les conséquences négatives susceptibles de découler pour sa
santé de sa grossesse et de son accouchement» (§124).
En ne mettant pas en place de recours effectif contre une décision
de refus d’avortement thérapeutique, l’Etat polonais n’a pas satisfait à l’obligation positive qui lui incombait de protéger le droit de
la requérante au respect de la vie privée dans le cadre d’un désaccord portant sur le point de savoir si elle avait le droit de bénéficier
d’une interruption de grossesse. La Cour confirme ici que des mesures seulement rétroactives ne suffisent pas à protéger comme il convient l’intégrité physique de personnes se trouvant dans une situation aussi vulnérable que la requérante (36).
La Cour a, en l’espèce, largement pris à son compte les observations d’un des tiers intervenants à l’affaire (37), le Center for reproductive rights, qui avait très habilement replacé les termes du débat.
Pour cette association, en effet, la question centrale de l’affaire était
bien «de savoir si un Etat partie qui accorde dans la loi aux femmes
le droit de recourir à un avortement lorsque la grossesse menace
leur santé physique, mais ne prend pas les mesures légales et de
politique afin que les femmes se trouvant dans ce cas puissent exercer effectivement leur droit, méconnaît les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention» (§86). Cette même
association rappelait que la Pologne, contrairement à plusieurs
Etats européens (Bulgarie, Croatie, Danemark, Finlande, Norvège,
République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Suède) ne dispose pas de
(36) Voy. l’arrêt Storck c. Allemagne, 16 juin 2005, §150.
(37) En vertu de l’article 36, §2 de la Convention européenne des droits de
l’homme, «dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le président de la
Cour peut inviter toute Haute Partie contractante qui n’est pas partie à l’instance
ou toute personne intéressée autre que le requérant à présenter des observations écrites ou à prendre part aux audiences». L’arrêt Tysiac confirme la montée en puissance
de cette tierce intervention, puisque en l’espèce pas moins de quatre organisations
ont été autorisées à présenter leurs observations à la Cour.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
870
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
mécanismes juridiques et administratifs effectifs permettant la contestation en appel ou la demande du contrôle des décisions de médecins constatant que les conditions nécessaires pour autoriser un
avortement sont ou non réunies. Ces Etats prévoient, en outre, des
délais stricts pour que ces organes de recours rendent leur décision.
Plus que la reconnaissance d’un droit à une interruption de grossesse largement reconnue et ouverte aux femmes, l’arrêt Tysiac doit
plutôt être analysé comme un approfondissement de la notion
d’obligations positives applicables à l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme et permettant de prémunir les
femmes contre des actes arbitraires des pouvoirs publics. Il ne s’agit
plus seulement pour l’Etat de prévoir les modalités de recours à un
avortement thérapeutique, encore faut-il permettre que ce droit soit
effectif et que celle qui le fait valoir soit efficacement protégée :
«une fois que le législateur a décidé d’autoriser l’avortement, il ne
doit pas concevoir le cadre légal correspondant d’une manière qui
limite dans la réalité la possibilité d’obtenir une telle intervention»
(§110). Au-delà de la solution d’espèce, on peut se demander si cet
arrêt ne conduit pas également la Cour à accroître la pression opérée sur les Etats en matière de reconnaissance de l’avortement, en
leur présentant un certain nombre de «standards» internationaux
qu’il importerait de respecter en la matière.
B. – Un accroissement de la pression
opérée sur les Etats en faveur de la libéralisation
de l’avortement
L’arrêt Tysiac se limite explicitement à une dénonciation des
carences en matière de garanties dans la mise en place de l’avortement thérapeutique en Pologne et l’on peut estimer que la Cour
européenne se situe ici dans le cadre des «standards» internationaux
reconnus en la matière. Cet arrêt peut notamment être rapproché
d’une constatation du Comité onusien des droits de l’homme, rendue le 24 octobre 2005. Dans une affaire Lantoy Huaman c.
Pérou (38), une mineure s’était vue refuser le droit à l’avortement
thérapeutique qui lui avait pourtant été recommandé par plusieurs
médecins du secteur public après que des examens médicaux aient
révélé l’anencéphalie du foetus qu’elle portait, signifiant non seulement la mort certaine de l’enfant mais aussi un risque vital pour la
(38) Communication n° 1153/2003. Obs. C. Husson, L’Europe des libertés, n° 20,
janvier-avril 2006, pp. 70-71.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
Jean-Manuel Larralde
871
mère. Pleinement consciente du décès inévitable de l’enfant à naître, et même contrainte de l’allaiter pendant les quatre jours qu’il
a finalement vécus, la requérante a enduré une grande souffrance
psychologique durant sa grossesse et a même sombré dans une profonde dépression. En l’absence de coopération de la part du Pérou,
le Comité des droits de l’homme admet l’argument de l’auteur de la
communication selon lequel il n’existe pas en droit interne de
recours utile et suffisamment rapide, qui permette à une femme
enceinte de voir garanti l’exercice de son droit à un avortement
légal dans le délai autorisé. La solution retenue ici est donc tout à
fait comparable à celle de l’arrêt Tysiac (39).
On peut enfin penser que la Cour va plus loin dans son analyse. Si
elle ne pose explicitement aucun droit à l’avortement, on remarque
toutefois qu’elle utilise les faits de l’affaire Tysiac pour adresser aux
autorités polonaises, de manière relativement diffuse, certaines indications relatives à «la mise en œuvre de la législation portant sur les
conditions d’accès à un avortement légal» (§123). De manière subtile,
tout en refusant de placer l’affaire sur le plan d’une discussion générale relative à l’interruption de grossesse, elle rappelle pourtant un
certain nombre de standards internationaux en la matière (40). Ainsi
la Cour utilise-t-elle le cinquième rapport périodique transmis par la
Pologne au Comité des droits de l’homme de l’ONU et les observations finales de ce même Comité adoptées en octobre-novembre 2004.
Le Comité avait alors réitéré «sa profonde préoccupation devant la
législation restrictive qui existe en Pologne en matière d’avortement
et risque d’inciter les femmes à recourir à des avortements peu sûrs,
(39) On doit toutefois souligner que, dans une opinion dissidente, M. Solari-Yrigoyen, estimait que le Comité aurait dû conclure à la violation supplémentaire de
l’article 6 du Pacte sur les droits civils et politiques. En effet, à travers une interprétation extensive de ce dernier, il estime qu’«il n’y a pas qu’ôter la vie à autrui
qui constitue une violation de [cet article]; mais aussi mettre gravement en danger
la vie d’autrui (art. 6, §1er du Pacte : «Le droit à la vie est inhérent à la personne
humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé
de la vie»).
(40) On peut ici regretter que l’affaire Tysiac ne conduise pas la Cour à effectuer
un véritable travail comparatiste comme elle l’avait notamment effectué dans les
arrêts Evans c. Royaume-Uni des 7 mars 2006 (arrêt de chambre) et du 10 avril 2007
(arrêt de Grande chambre). La Cour reprenait de manière détaillée les conclusions
d’un rapport du Conseil de l’Europe de 1998 relatif à l’assistance médicale à la procréation et protection de l’embryon humain dans 39 pays pour examiner la question
du consentement en matière d’implantation d’embryon. De même dans l’arrêt Odièvre c. France du 13 février 2003, la Cour a eu recours à des éléments de droit comparé
pour développer sa position relative à la conformité de l’accouchement sous X avec
la Convention.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
872
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
illégaux, avec les risques qui en découlent pour leur vie et leur santé».
Il se déclarait également «préoccupé par l’impossibilité pratique de
recourir à l’avortement même lorsque la législation l’autorise, par
exemple en cas de grossesse faisant suite à un viol, et par l’absence
d’information sur les cas où les médecins qui refusent de pratiquer
des avortements légaux font valoir la clause d’objection de
conscience». Il en concluait que «l’Etat partie devrait libéraliser sa
législation et sa pratique en matière d’avortement. Il devrait donner
un complément d’information sur l’utilisation de la clause d’objection
de conscience par les médecins et, dans la mesure du possible, sur le
nombre d’avortements illégaux pratiqués dans le pays. Ces recommandations devraient être prises en compte lorsque le Parlement sera
saisi du projet de loi sur la sensibilisation parentale» (41). On peut
donc ici légitimement se demander si la Cour ne propose pas implicitement que la Pologne rejoigne les Etats qui ont adopté une approche
plus libérale en matière d’avortement (42).
Une telle analyse de l’arrêt Tysiac n’est pas pure spéculation, si
l’on replace cette affaire dans le mouvement jurisprudentiel récent
de la Cour de Strasbourg. Celle-ci a, en effet, dégagé plusieurs éléments qui permettent de penser qu’elle pourrait désormais poser
des exigences communes aux différentes Etats membres en matière
d’interruption volontaire de grossesse. Avec l’arrêt Pretty (précité),
la Cour a évoqué un principe d’autonomie personnelle, qui renvoie
au droit d’opérer des choix concernant son propre corps car, «bien
qu’il n’ait été établi dans aucune affaire antérieure que l’article 8
de la Convention comporte un droit à l’autodétermination en tant
que tel, la Cour considère que la notion d’autonomie personnelle
reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des
garanties de l’article 8 » (§61). Elle a même jugé encore plus précisément, dans son arrêt Evans c. Royaume-Uni relatif à un refus
médical de procéder à l’implantation d’embryons, que «la ‘vie privée’, qui est une notion large, […] recouvre également le droit au
respect de la décision d’avoir un enfant ou de ne pas en avoir» (43).
(41) Doc. CCPR/C/SR.2251. Voy. le par. 50 de l’arrêt.
(42) Suivant ici en cela l’exemple du Portugal, où le Parlement a adopté le 8 mars
2007 une loi qui légalise l’avortement durant les dix premières semaines de la grossesse.
Ce texte fait suite à l’échec du référendum du 11 février 2007 sur la question, dont le
résultat n’avait pu être pris en compte en raison d’une trop faible participation.
(43) Voy. le par. 57 de l’arrêt. Mais, probablement effrayée par sa propre audace,
la Cour précise aussitôt, sans plus d’explications, qu’il lui apparaît plus approprié
«d’examiner la question sous l’angle des obligations positives de l’Etat» (§59). Cour
eur. dr. h., arrêt Evans c. Royaume-Uni du 7 mars 2006 (voy. F. Sudre, «Droit de
→
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
Jean-Manuel Larralde
873
Le droit reconnu à toute femme de procéder ou non à une interruption volontaire de grossesse, dans des conditions évidemment
prévues par la loi, pourrait constituer la suite logique de cette
jurisprudence.
Certes, les Etats possèdent toujours une certaine marge d’appréciation dans la recherche du juste équilibre à ménager entre les
intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble (§ 111 de l’arrêt) et l’on sait bien que la Cour laisse le droit
interne des Etats régler les questions sensibles de détermination de
la qualification juridique du fœtus et de la date du commencement de la vie. Mais il n’est pas impossible que l’interruption
volontaire de grossesse subisse le même sort jurisprudentiel que les
domaines sensibles de l’homosexualité ou du transsexualisme :
après avoir laissé aux Etats une très large marge d’appréciation
pour régler ces questions en droit interne, la Cour a ensuite posé
des règles communes, en rappelant les exigences conventionnelles
en la matière (44). Le temps n’est peut être pas loin pour la Cour
de juger que la protection des droits de la femme nécessite que
leur droit à la vie privée inclue un droit à l’avortement mis en
oeuvre par la loi (45).
L’arrêt Tysiac est-il, au final, un « grand » ou un « petit » arrêt ?
La réponse est peut-être sans réelle importance… Contrairement à
la virulente – et éminemment contestable – opinion dissidente formulée par le juge espagnol Javier Borrego Borrego, qui estime que
la solution de la Cour dans cet arrêt « va trop loin » et « va à
l’encontre de la jurisprudence de la Cour, tant par son approche
que par sa conclusion », on peut estimer qu’il s’agit d’une nouvelle
←
la Convention eur. dr. h.», J.C.P., ed. G, n° 31, 2 août 2006, I, 164. Dans son arrêt
de Grande chambre du 10 avril 2007, dans la même affaire Evans c. Royaume-Uni,
la Cour confirme que «la notion de ‘vie privée’ […] recouvre également le droit au
respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent» (§71).
(44) En matière d’homosexualité, voy. respectivement la requête n° 7215/75, décision de recevabilité du 7 juillet 1977, X. c. Royaume-Uni, D.R. 11, p. 36 et l’arrêt
Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981. Concernant le transsexualisme, voy. respectivement les arrêts Rees c. Royaume-Uni, 10 octobre 1986 et Goodwin c. RoyaumeUni, 11 juillet 2002.
(45) On peut regretter que la Cour n’ait pas examiné l’affaire sous le double angle
des articles 8 et 3, ce qui aurait pu renforcer la pression mise sur les Etats qui ne
possèdent pas de législation protectrice des femmes en matière d’avortement. Une
telle solution aurait permis de mieux préciser la mise en place de techniques et de
normes permettant, dans le cadre des «obligations positives», un meilleur respect de
l’autonomie des femmes.
this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]]
d0c101a524dc96800124df0039772291
874
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
étape utile dans la mise en place de mécanismes de contrôle et de
recours effectifs en matière de protection des droits fondamentaux (46). On peut également se féliciter que la Cour, depuis maintenant plusieurs années, prenne en compte de manière spécifique
les droits des femmes, ce qui constitue évidemment l’une des composantes indispensables de la protection et de la promotion des
droits de l’homme (47).
✩
(46) La Cour a eu l’occasion de répéter que les notions de légalité et de prééminence du droit dans une société démocratique exigent que les mesures touchant les
droits fondamentaux soient dans certains cas soumises à une forme de procédure
devant un organe indépendant, compétent pour contrôler les motifs de ces mesures
et les éléments de preuve pertinents. Voy. notamment, l’arrêt Rotaru c. Roumanie
(GC), 4 mai 2000, §§55 et 59. Plus récemment, la Cour a condamné la Pologne dans
l’arrêt Matyjek du 24 avril 2007, car sa première loi de «lustration» de 1997, relative
à la publication des noms des personnes accusées d’avoir collaboré avec le régime
communiste, n’offrait pas de voies de recours effectives aux personnes concernées.
Voy. également, sur cette question, B. Geremek, «Pourquoi je refuse la ‘lustration’»,
Le Monde, 26 avril 2007.
(47) Cette jurisprudence peut en effet être mise en relation avec l’arrêt M.C. c.
Bulgarie du 4 décembre 2003, qui met à la charge de l’Etat une obligation positive
d’incriminer et de poursuivre devant les juridictions répressives tout acte sexuel non
consensuel, même si la victime n’a pas opposé de résistance physique. Note
F. Sudre, J.C.P., 2004, ed. G, I, 107, p. 181; obs. J. Raynard, «Quand la Cour de
Strasbourg poursuit sa mutation en Cour européenne des droits de la Femme : la
question du viol (Cour eur. dr. h., 1ère sect., arrêt M.C. c. Bulgarie, du 4 décembre
2003», Revue trimestrielle de droit civil, avril-juin 2004, pp. 364-365.