La Lyre d`ivoire

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La Lyre d`ivoire
La Lyre d’ivoire
Henry-Pierre Picou et les Néo-Grecs
Musée Ingres
21 février - 18 mai 2014
Dossier pédagogique
Henry-Pierre Picou, La naissance de Pindare, 1848. Huile sur toile, 115 x 145 cm.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 1
Sommaire
Introduction
3
1. la formation
4
A la loupe : Ingres, Stratonice
2. Gérôme
7
A la loupe : Gérôme, Un Combat de coqs
3. Les Néo-Grecs
9
4. Picou
10
A la loupe : Le Styx
5. la Villa Pompéienne
12
6. Les arts
13
A la loupe : Sapho
7. Les sujets mythologiques
15
A la loupe : Boulanger, Ulysse reconnu par sa nourrice Euryclée
8. Le nu
16
A la loupe : Mottez, Ulysse et les Sirènes
A la loupe : Burthe, Jeune femme à la fontaine
9. La scène de genre
19
A la loupe : Picou, Marchande de statuettes à Pompéi
10. Les arts décoratifs
21
11. Henry-Pierre Picou vs. Pascal Lièvre, Voguing or not voguing ?
22
Dossier élèves : des questions pour appréhender les œuvres
24
Biographies des principaux artistes exposés
30
Dossier réalisé par :
Vaidehi Glibert, conservatrice stagiaire au musée Ingres
Thomas Faugeras, professeur chargé de mission au musée Ingres.
Contact : [email protected]
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Introduction
Le musée Ingres de Montauban, en association avec le musée des Beaux-arts de Nantes,
propose, du 21 février au 18 mai 2014, une exposition consacrée au peintre Henry-Pierre
Picou et au mouvement néo-grec.
L’exposition retrace l’évolution de ce courant singulier et méconnu qui se manifeste au milieu du XIXe siècle, en mettant l’accent sur le peintre nantais Picou, dont la production
abondante atteste une fidélité durable au mouvement néo-grec.
Bien qu’issus du néo-classicisme (et donc héritiers de David), les représentants du mouvement néo-grec se singularisent par la volonté de s’affranchir de l’académisme des beaux-arts
et de renouveler la peinture d’histoire en y intégrant notamment des éléments pittoresques
et légers plus accessibles au grand public.
Soutenus par des critiques comme Théophile Gautier, les peintres, dont le chef de file, JeanLéon Gérôme, a fait sensation au Salon de 1847 avec son Combat de Coqs, privilégient des
thèmes antiques prétextes à des sujets d’histoire ou des scènes de genre, sans toutefois viser une dimension morale ou politique qui inspirait le néo-classicisme d’un David ou d’un
Peyron par exemple.
Dénigrés par la critique favorable au réalisme – un mouvement aux antipodes des Néo-Grecs
- les artistes tels que Gérôme, Picou, Hamon et bien d’autres, séduisent en revanche très
vite le public, inspirent les poètes (qu’ils rejoignent dans l’idéal de « l’art pour l’art »),
s’associent à des musiciens, des céramistes, influencent les arts décoratifs… bref suscitent un
engouement réel.
A partir de 1857 cependant, pour diverses raisons, le mouvement s’essouffle, et H.-P. Picou
est l'un des rares à poursuivre dans cette voie.
________________________
Ce dossier pédagogique se veut un accompagnement à la visite des élèves de collège et de
lycée. Il propose une présentation des principales sections de l'exposition (parties 1 à 5) puis
un choix de thématiques privilégiées par les artistes (parties 6 à 11), ainsi qu'un choix
d'œuvres commentées ("A la loupe").
Une deuxième partie est destinée plus particulièrement aux élèves avec l’objectif de faciliter
par des questions leur approche des œuvres exposées ("Dossier élèves : des questions pour
appréhender les œuvres")
Le parcours dans l’exposition avec les élèves pourra ainsi emprunter différents itinéraires en
fonction des objectifs de l’enseignant.
NB. Les analyses l'œuvres présentées ici proviennent pour l'essentiel des textes du catalogue
d'exposition.
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1. La formation
Les artistes exposés (Jean-Léon Gérôme, Henri-Pierre Picou, Jean-Louis Hamon, Gustave
Boulanger, Auguste Toulmouche et Léopold Burthe) ont presque tous été formés dans les
ateliers d’Hippolyte - Paul Delaroche et de Charles Gleyre.
D’abord peintre de tableaux de genre historique puis auteur de portraits et de scènes familiales, Delaroche (1791-1856) dirigeait depuis 1832 l’atelier le plus fréquenté de l’Ecole des
Beaux-arts de Paris. Préoccupé par le réalisme des détails, caractéristique de la peinture de
genre, il n’hésitait pas à l’introduire dans ses tableaux de format historique. Il a ainsi transmis à ses élèves le goût de cette ambiguïté, couplée à un trait précis et une facture d’un fini
parfait. En 1843, date à laquelle il ferme son atelier et part pour l’Italie, ses élèves seront
placés dans l’atelier de Charles Gleyre (1806-1874).
C’est l’époque des voyages et des découvertes archéologiques en Italie, en Grèce, en Egypte
et au Proche-Orient, qui aboutissent, pour les architectes et les artistes, à une nouvelle perception de la Grèce antique : l’époque archaïque, et non plus la période classique, est désormais au centre des préoccupations de ces derniers.
J.-A.-D. Ingres (1780 – 1867) partage ainsi cette admiration pour la Grèce antique, qu’il découvre lors de ses séjours à Rome. Dans sa volonté d’appropriation du modèle antique, il
acquit des plâtres, des terres cuites et des vases anciens (que le visiteur découvrira dans
l'exposition) et, surtout, s’est constitué une collection de milliers de calques, dessins et gravures, images d’œuvres antiques, notamment reproductions de vases grecs. Il affirmait : «
Les vases grecs nous en disent tout autant, sans tant d’efforts : un simple trait sur fond noir
et cela suffit. Mais ce trait il faut le trouver. […] Étudiez les vases. Je n’ai commencé à comprendre les Grecs qu’avec eux ».
Dans Stratonice ou la Maladie d’Antiochus - exposé en 1840 puis 1846 -, il parvient donc à un
rendu extrêmement fidèle du modèle antique, à travers le mobilier et les accessoires. C’est
dans ce contexte, où prime le goût pour la reconstitution archéologique et les thèmes antiques, que le tableau d’Ingres deviendra la référence de la peinture néo-grecque.
A la loupe : Ingres, Stratonice (1866).
Le musée de Montauban possède plus d’une centaine d’études et de dessins préparatoires
sur le thème de Stratonice qui a occupé l’esprit d’Ingres durant quasiment toute sa vie
d’artiste. Entre le premier dessin réalisé en 1801, et la dernière version de 1866, où l'artiste
a inversé la composition, nous pouvons suivre l'élaboration des différentes versions de
l’œuvre, dont la plus connue est celle exposée aujourd'hui au musée Condé de Chantilly, et
ainsi comprendre la quête d’appropriation de la culture grecque par Ingres.
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Ingres, Stratonice, 1866. Crayon et huile sur calque marouflé sur toile.
106,5 x 137,5, Montpellier, Musée Fabre
Le sujet de l’œuvre, un drame amoureux, est tiré des Vies parallèles, Vie de Démétrius, de
Plutarque. L’histoire raconte la passion du jeune Antiochus pour sa belle- mère Stratonice.
Celle-ci, princesse macédonienne, fut mariée au IIIe siècle av. J.-C. au roi de Syrie, Séleucos,
qui avait un fils d’un premier mariage, Antiochus. Pour éviter de voir son fils mourir d’amour,
il accepta qu’il épouse sa seconde femme. L’épisode tel que le décrit Ingres présente les personnages dans un luxueux décor oriental. Au centre, Antiochus couché dans son lit, le bras
renversé. À ses côtés, son médecin, Erasistrate, tâte le pouls de son patient et se retourne
vivement, percevant l’accélération cardiaque à la présence de Stratonice, placée à
l’extrémité droite de la scène. Au pied du lit, caché presque par les draperies, le roi Séleucos,
effondré, qui ignore qu’il peut seul ramener son fils à la vie.
Jacques-Louis David avait déjà figuré l’épisode en 1774. Mais le maître d’Ingres a illustré une
vision heureuse, celle où le père Séleucos donne sa bénédiction au mariage. Nul drame, mais
un exemple de vertu, un appel à la grandeur de l’antique pour régénérer la peinture
d’histoire. Ingres va transformer le sujet pour en faire un condensé de tension amoureuse et
symbolique, où les ressorts psychologiques l’emportent sur un modèle moral.
Dans sa quête de restitution de l'antique, Ingres a puisé dans des recueils de gravures les
nombreux détails archéologiques présents dans le tableau : le lit est placé dans ce qui ressemble à un temple grec, un naïskos, soit un édicule qui abrite la représentation du défunt.
Antiochus s’inscrit déjà dans la préfiguration de son destin funeste. Couvert d’un drapé vert,
le baldaquin donne une solennité à la scène, entre la vie et la mort, le drap servant aussi de
linceul. Au-dessus sont accrochés le bouclier (décoré d’une Méduse) et les armes
d’Antiochus. Derrière lui, posés sur un guéridon, des aiguières et des vases, où l’on devine
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affligées les servantes pleurant la maladie du prince héritier. Près de la chaise du malade, à
moitié cachée par un drap orange, une cithare, trace de raffinement et de culture, mais aussi
moyen d’invoquer les dieux. Un brûle-parfum distille de l’encens au bout du lit, au pied
d’une statue protectrice d’Alexandre. Autre figure prophylactique, Héraclès est représenté
dans la frise du temple, avec le déroulé de ses exploits que l’on reconnaît. Au sol, sur un pavement près de Stratonice, est dessiné le Sphinx (qui rappelle qu’Œdipe connut aussi une
liaison incestueuse avec sa mère Jocaste).
L'épure architecturale attribuée à Victor Baltard témoigne aussi du soin apporté par Ingres
au décor historique. Le tracé rectiligne de la feuille et les petites perforations régulières dont
elle est recouverte est caractéristique d'un dessin d'architecte. Victor Baltard rencontra
Ingres lorsqu'il était pensionnaire à la Villa Médicis. Très proche du maître montalbanais, il
lui fait partager ses connaissances sur Pompéi et les temples grecs de Sicile dont s’inspire
visiblement le décor de Stratonice. Ce grand dessin nous montre l’artiste au cœur des débats
de son temps sur la polychromie de l’architecture antique. Le dessin de Baltard présente, sur
la partie droite, un ensemble d’objets encore en lien avec les premières versions, telles
l’armure et la lyre, qui forment comme un bric-à-brac dont Ingres, dans une volonté de simplification, va finir par se débarrasser dans le tableau de Chantilly.
Ingres joue habilement de la dichotomie de la composition : scindée en deux parts distinctes,
la scène divise la gauche, où l’émoi amoureux, bouleversant, mène à la mort, de la droite où
l’amour le dispute aux remords, la pudeur à la tentation. Le père est accablé sous le poids du
chagrin, là où l’épouse et belle-mère est courbée sous le fardeau de la culpabilité. Les études
pour Stratonice témoignent de la réflexion formelle d'Ingres pour rendre les émotions,
toutes contenues, de l'épouse : la tête courbée, le corps voilé d’un somptueux drap gris, elle
se tient en contrapposto, donnant une courbe sensuelle à son corps, du pied à la tête. Sa
tête repose sur sa main gauche. Le chromatisme vif du décor – où le rouge « pompéien » se
veut archéologique – accentue le contraste dans les attitudes : la lumière, pénétrant comme
par une trouée par la fenêtre ouverte en hauteur, perce la scène et glisse de Stratonice au
médecin puis au patient, laissant les personnages accessoires dans l’ombre.
Par son sujet, son souci du détail archéologique, sa symbolique amoureuse, sa redécouverte
d’un sujet antique et sa mise au goût du jour, loin de la moralisation de l’école davidienne,
Antiochus et Stratonice annonce toute la peinture néo-grecque.
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2. Gérôme
Jean-Léon Gérôme (1824-1904) est considéré comme le chef de file des peintres néo-grecs
dès 1847, année où il présente au Salon Jeunes Grecs faisant battre des coqs, dit Un combat
de coqs, acclamé par la critique comme l’acte fondateur du groupe des Néo-Grecs. Il bénéficie d'un tel succès car il porte la promesse d’un renouvellement de l'art, au tout début de la
période éclectique, où les artistes en manque d’inspiration mêlent, dans toutes les formes
artistiques, des influences très diverses. Au même moment, le réalisme naissait sous le pinceau de Courbet, délibérément anti-académique, donc contraire au goût traditionnel. C'est
ainsi que le recours à l'antique de Gérôme, et la facture classique avec laquelle il peint ses
figures, sont considérés avec enthousiasme par les critiques, comme un retour au classicisme.
Cependant, l’antiquité dépeinte par Gérôme, ainsi que par les autres acteurs du mouvement, n’appartient plus au genre historique, mais à l’anecdotique et au quotidien. Théophile
Gautier, le principal promoteur de cette peinture d’un nouveau genre, met l’accent sur cette
caractéristique : « Ce sujet, tout vulgaire en apparence, a pris sous le fin crayon et le pinceau
délicat de M. Gérôme, une élégance rare et une distinction exquise ; ce n’est pas, comme on
pourrait le croire, au choix du thème abordé par l’artiste, une toile de petite dimension,
comme cela est habituel pour de semblables fantaisies. Les figures sont de grandeur naturelle, et traitées d’une façon tout historique. Il faut beaucoup de talent et de ressources pour
élever une scène si épisodique au rang d’une composition noble, et que ne désavouerait aucun maître ». Le spectateur accède ainsi à une antiquité subitement familière, loin des codes
moralisants du néo-classicisme.
Au Salon de 1848, Gérôme crée à nouveau la surprise avec son Anacréon, Bacchus et
l’Amour. Cette fois, son œuvre se situe franchement aux antipodes de la peinture classique :
l’absence de modelé des figures accentue la composition en frise sans point focal, et le traitement des objets et du décor est beaucoup plus réaliste que celui des personnages mêmes.
A la loupe : Gérôme, Un Combat de coqs (1846)
La scène de ce tableau imposant (143 x 204 cm) se veut simple : deux adolescents font combattre deux coqs sortis de leur cage. Les combats de coqs étaient particulièrement appréciés
à Athènes au Ve siècle av. J.-C. La dichotomie des poses des personnages est renforcée par
l’attitude de recul et de pudeur de la jeune Grecque, qui cache ainsi sa poitrine – mais non le
reste – tandis que l’adolescent n’hésite pas à poser la main dans les poils roux du coq, tout
en se maintenant en équilibre, à demi agenouillé. Les visages sont tout aussi contrastés : elle
montre l’air idéal des sculptures antiques, lui en revanche arbore des traits réguliers mais
une expression vériste ; elle est pâle, il est hâlé.
L’union du groupe est créée par la ligne du bras gauche de l’éphèbe qui est placée au niveau
du sexe de la jeune fille. L’allusion érotique au coq était bien connue dans les ateliers et il ne
fait pas de doute que Gérôme utilisait ce sous-entendu. La présence d’une cage placée près
de la jeune femme renforce la connotation sexuelle de la scène : n’est-ce qu’un combat de
coqs ? Ou ne s’agit-il pas plutôt de la lutte amoureuse du jeune homme épris et de la belle ?
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Le contraste est ainsi accentué dans une scène qui se veut d’histoire du fait de sa périodisation mais qui reste une peinture de genre par la représentation.
Le décor atteste de recherches poussées sur l’archéologie grecque : derrière les figures on
distingue un socle orné d’une frise rouge et noire « à la grecque », tandis qu’un lécythe (petit
vase contenant des huiles parfumées) semble en lévitation sur la base de la colonne, sculptée en bas-relief. Une figure qui s’inspire du sphinx semble veiller sur la scène. Les détails
sont très poussés, depuis l’ornementation de la cage jusqu’à la frise sous le soubassement
du socle, ou encore les plumes qui volent dans le choc du combat.
Les détracteurs de Gérôme ont ainsi reproché à ce tableau, son manque d’unité stylistique.
L’œuvre semble avoir été peinte par deux tempéraments artistiques antagonistes – un idéaliste et un réaliste – tant la divergence de traitement entre l’affrontement des coqs et le
reste du tableau est importante. Ainsi, sauf pour le traitement des coqs, la filiation avec ses
maîtres Delaroche et Gleyre est visible dans la prééminence de la ligne, ainsi que l'influence
d'Ingres, dans la touche lisse et les couleurs froides et maîtrisées.
Jean-Léon Gérôme, Jeunes Grecs faisant battre des coqs, dit aussi Un combat de coqs, 1846,
huile sur toile, 143 x 204 cm., Paris, musée d'Orsay.
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3. Les Néo-Grecs
Après la découverte de Gérôme au Salon de 1847, les autres protagonistes du mouvement
néo-grec se révèlent aux salonniers. Leur affinité artistique est accrue par la formation d’une
sorte de phalanstère qu’ils partagent depuis la fin de leurs études en 1846, au 27 rue de
Fleurus. Ecrivains, comédiens, musiciens et compositeurs étaient conviés aux rencontres et
aux échanges où, notamment, ils débattaient de l’idéal de l’art pour l’art, avec les poètes
Théodore de Banville, Charles Leconte de Lisle et Théophile Gautier.
Les productions de l’école néo-grecque partagent un certain nombre de caractéristiques
esthétiques (chromie claire, primauté de la ligne, goût pour la reconstitution archéologique)
et représentent généralement le même type de sujets, légers et tirés de la mythologie
grecque comme : Sapho jouant de la lyre, Jeune femme à la fontaine, Hercule aux pieds
d’Omphale de Burthe (1823 – 1860), Ulysse reconnu par sa nourrice Euryclée par Boulanger
(1824 – 1888). Il en va de même en sculpture avec par exemple Sapho de Pradier (1792 –
1852).
Cependant, quelques-uns de ces peintres se singularisent dans les sujets abordés : dans les
premières années du mouvement, Toulmouche (1829 – 1890) avec La Leçon de lecture et
Hamon (1821 – 1874) avec La Jeune Mère peignent des scènes familiales empreintes de
douceur ou de mélancolie, avant que le premier ne se tourne vers les portraits d’élégantes
Parisiennes (Dans la serre, Le billet) et que Hamon ne propose des sujets énigmatiques
(L’Escamoteur, quart d’heure de Rabelais, Le Triste rivage). Picou (1824 – 1895) quant à lui
préfère les thèmes érudits (La Naissance de Pindare, Le Styx).
Cette Antiquité idéale mais quotidienne, qui, dans les premiers temps, enthousiasme la critique appelant à un retour vers le classicisme, finit par lasser le public par la répétition de
sujets trop simples. Gérôme, Boulanger ou encore Toulmouche se tournèrent d’ailleurs vers
d’autres sujets, notamment des scènes orientalistes et des portraits, mais l’existence d’une
clientèle aspirant au plaisir et au divertissement entraîne certains peintres à rester fidèles à
ce courant, comme Hamon ou Picou, qui fut le plus prolifique représentant de la peinture
néo-grecque.
Auguste Toulmouche, Un baiser !, 1856.
Huile sur toile, 61 x 81 cm., Nantes.
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4. Henry-Pierre Picou (1824 – 1895)
Henry-Pierre Picou, d’origine nantaise, peint au début de sa carrière son entourage familial,
sa mère et sa sœur Céphise. Il répond aussi à des commandes pour décorer des églises parisiennes et nantaises, et expose au Salon à partir de 1847, ainsi que dans d’autres villes. Il
rencontre rapidement le succès, mais n’ayant obtenu que le deuxième Grand prix de Rome,
il n'a pas la chance, contrairement à Ingres, d’aller en Italie. Il se forme donc au goût antique
à partir de gravures et de reproductions dont on retrouve trace dans les dessins exposés.
Picou peint d’abord des sujets historiques d’inspiration antique ; en 1848 La Naissance de
Pindare obtient une médaille au Salon alors que la critique juge son sujet trop complexe. Le
succès officiel du peintre fut cependant tel que l’État lui acheta le tableau Le Styx et lui
commanda A la Nature.
Progressivement, la peinture de Picou évolue pour répondre au goût de la bourgeoisie montante en lui proposant des scènes de genre fantaisistes, légères ou poétiques. Les sujets
principaux, toujours enveloppés d’un décor néo-grec, en sont l’Amour, ou des jeunes
femmes insouciantes ou rêveuses. La clientèle peu éclairée de Picou était séduite tant par
les images que par les jeux de mots contenus dans les titres. Il en va ainsi pour Fermez lui la
porte au nez, il rentrera par la fenêtre, dont le protagoniste est l’Amour.
La diffusion et la commercialisation des œuvres de Picou se fait par le biais de nombreuses
galeries parisiennes. Le plus réputé des marchands qui composent alors son réseau est
Adolphe Goupil (1806-1893), qui édite également ses œuvres sous la forme d’estampes.
L’Amour plus léger que le papillon qui forme une paire avec Voilà le plaisir, mesdames!, connait ainsi un franc succès commercial.
Picou poursuit sa production néo-grecque jusqu’à la fin de sa vie, encouragé par les achats
de la bourgeoisie, mais déprécié par la critique. Elle le considère en effet comme un artiste
conservateur, à l’époque où s’imposent les thèmes sociaux prisés par les peintres réalistes.
A la loupe : Le Styx, 1849.
Le Styx est un sujet mythologique interprétant l'Enfer de Dante (Divine Comédie). Ce dernier
avait remis au goût du jour un épisode narré avant lui par Hésiode et Pausanias et qui
évoque le Styx, un des fleuves entourant les enfers. Dante attribue la garde du Styx au nocher Phlégias (Caron gardant l'Achéron, fleuve du chagrin) ; il est représenté nu, à droite, et
poussant vigoureusement sur son bâton pour faire avancer la barque.
Le tableau se lit comme une frise de gauche à droite. Suivons la lecture qu'en fait Théophile
Gautier : "Un poète, un guerrier, une jeune fille, un amant et quelques autres figures symbolisant les différents états de la vie, se pressent dans la barque légère sans faire entrer l'eau
bourbeuse par ses flancs disjoints, car cent âmes ne pèsent pas le poids d'un grain de sable.
Leur attitude est désolée ou morne ; sous l'obscurité de ces voûtes basses, ils regrettent la
douce lumière des cieux et la vie écoulée comme un rêve, en vrais morts antiques qu'ils sont,
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tout naïfs et sincères." Debout, tenant un sceptre, se trouve un roi déchu et couronné et au
centre de la composition, une courtisane dont la poitrine est partiellement dénudée.
H.-P. Picou, Le Styx, 1849. Huile sur toile, 100 x 147 cm. Nantes, musée des Beaux-arts
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5. La villa pompéienne
Collectionneur et passionné de théâtre, Joseph-Charles-Paul Bonaparte (1822-1891) dit
"Plon-Plon", cousin de Napoléon III, voulut faire construire une demeure dans laquelle il
pourrait réunir l’élite intellectuelle de son temps. Avant de choisir Alfred-Nicolas Normand
(1822-1909), jeune architecte et dessinateur, le prince fit appel à plusieurs architectes : Auguste-Jean Rougevin et Jacques-Ignace Hittorff (architecte notamment de la place de la Concorde).
Le plan ainsi que les décors polychromes évoquaient les maisons patriciennes de Pompéi,
ville ensevelie en 79 av. JC par l’éruption du Vésuve et redécouverte à la fin du XVIIIe s. Ainsi
fut-elle construite autour d’un atrium qui desservait les pièces principales, une salle à manger et une grande bibliothèque et en fond de logis, un salon et des appartements. Cependant Alfred Normand en fit une demeure moderne et couvrit l’atrium d’une verrière. Il prit
également soin de dissimuler l’escalier au fond d’un couloir, respectant en cela le fait que les
maisons romaines ne comportent à l’étage que des pièces annexes et de service. Mais ici, les
étages supérieurs renferment les bureaux et les appartements des aides de camp et des secrétaires du prince.
Bien que détruite en 1891, La villa pompéienne est un témoignage des thèses de Labrouste
et d’Hittorff, à l’origine de l’importante place donnée à la couleur par les architectes néogrecs dans leurs constructions. Ils s’inspiraient alors de relevés réalisés sur des monuments
qui prouvaient l’emploi de couleurs dans la Grèce antique et cherchaient à révolutionner la
vision de l’architecture gréco-romaine, l’éloignant alors de la blancheur austère mise en
avant durant la période néo-classique.
La façade était posée sur un soubassement peint en rouge, ses refends était indiqués avec
du minium, des filets de couleur accusaient les ornements des panneaux et de la frise, les
colonnes étaient teintées de jaune à mi-fût et les chapiteaux peints. À l’intérieur, la couleur
était omniprésente : le salon tendu de rouge antique, les plinthes noires, la cheminée de
marbre blanc, la chambre à coucher du prince tendue de jaune sur fond rouge, le cabinet de
toilette lilas.
Grand amateur d’art, le Prince associa pour le décor de sa villa des peintures à la mode
pompéienne et des œuvres contemporaines dont trois tableaux de Jean-Léon Gérôme, Homère aveugle, L'Iliade, L'Odyssée ; les bustes en marbre des Napoléonides ; une Tête de
Greuze et une Vierge de Van Eyck aux murs mais aussi le Bain turc de Ingres.
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6. Les arts
La mise en place d’une théorisation du rôle de l’artiste dans une société industrielle, l’essor
d’un marché de l’art privé face à un Salon de moins en moins accepté, la valorisation d’une
production originale, entre peinture et arts décoratifs, concourent à la formation d’un mouvement néo-grec très inspiré par l'esthétique de l'art pour l'art développée par Théophile
Gautier dans la préface de Mademoiselle de Maupin (1835): « Il n’y a de beau que ce qui ne
peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car l’expression de quelques besoins, et ceux
de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature ». Gautier participait régulièrement au phalanstère néo-grec, lieu d’échange et de création pluridisciplinaire, rassemblant en cénacle des peintres, sculpteurs, littérateurs, poètes et musiciens,
préoccupés du renouveau de l’inspiration antique.
La peinture des Néo-Grecs, déclinaison plastique de l’art pour l’art, témoigne aussi du rapprochement des diverses formes d'art. Ils mettent en image des artistes antiques, poètes,
musiciens, peintres ainsi que des sujets littéraires tirés de l'Antiquité. Si certaines œuvres
représentent des poètes grecs dans un contexte dépourvu de toute narration (Léopold
Burthe, James Pradier, Jean-Léon Gérôme ont mis en image Sapho et Anacréon), Jean-Louis
Hamon et Henry-Pierre Picou, auteurs de poèmes, ont choisi pour certains tableaux des sujets abscons, où le sens des images est à chercher dans les codes poétiques plutôt que dans
une iconographie commune. Le Triste Rivage et Le Styx présentent tous deux un sujet mythologique d’après L’Enfer de Dante (Divine Comédie), qui remet au goût du jour un vieux
thème grec.
A la loupe : La figure de Sapho
vue par Léopold Burthe (1849) et James Pradier (1852)
Sapho, ou Sappho, est une poétesse grecque du VIIe-VIe siècle av. J.-C., vivant à Lesbos.
D’Hérodote (Histoires, Livre II, 135) à Ovide (Héroïdes, Épitre XV) de nombreux historiens,
poètes et écrivains se sont emparés de son destin. Elle développa dans sa poésie lyrique le
thème des amours contrariées. Elle était aussi musicienne, s’accompagnant de la lyre. La
tradition raconte que Sapho, déçue dans son amour pour Phaon, se serait jetée du rocher de
Leucade, sujet qui inspira nombre d'artistes (Théodore Chassériau, Gustave Moreau,
Antoine-Jean Gros).
Sapho est sans doute le chef-d’œuvre de Burthe. D’une facture lisse, traitée comme un collage où la profondeur de champ n’existe pas, l’œuvre représente la poétesse grecque prête à
se jeter du rocher de Leucade. Le sujet pourrait être romantique, exaltant le « moi » par
l’intermédiaire de la poésie et de la musique. Mais Burthe en fait un thème à la fois épique
et simple, en choisissant d’user de couleurs froides, d’une technique impeccable pour les
drapés et d’une facture glacée. Les draperies sont en elles-mêmes un morceau de bravoure,
donnant une dynamique extraordinaire et presque abstraite au mouvement de Sapho. Les
lignes sont épurées, laissant peu de prise aux variations de lumière. Les détails sont rares : la
végétation est à peine esquissée et la sécheresse du rocher est renforcée par la noirceur de
l’ombre portée sur la pierre, qui paraît très étroite et inquiétante. La mer, à peine esquissée
en bleu foncé, se devine au bord de l’œuvre. L’adéquation entre le ciel clair – mais crépuscuDossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 13
laire, où la lune apparaît – et la mélancolie de la pose de la poétesse atteste d’un souci des
formes hérité d’Ingres. Le souci du détail archéologique, le choix du sujet pris chez Ovide et
le traitement virtuose des draperies placent le tableau de Léopold Burthe parmi les œuvres
majeures du cercle néo-grec.
James Pradier, Sapho, après 1852.
Bronze, 73 x 89 x 48 cm. Musée d'Angers
Léopold Burthe, Sapho jouant de la lyre, 1849.
Huile sur toile, 106 x 109 cm. Carcassonne.
La Sapho de Pradier est représentée assise, les jambes croisées, les mains jointes sur ses genoux relevés, la tête baissée. Derrière elle est posée une lyre, tandis que sa tunique se déploie en de nombreux plis. Elle porte un bandeau (absent dans le bronze) et quelques bijoux
(bracelets, colliers). Toute son attitude renvoie à une réflexion sombre et la figure laisse
penser qu’elle va se suicider. La traduction dans l’œuvre de l’exaltation du moi,
l’introspection qui y figure, la dramatisation psychologique font de cette œuvre une représentation du désespoir.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 14
7. Les sujets mythologiques
La peinture mythologique s'inspire des sources antiques rapportant les épisodes des mythes
ou les aventures des dieux et héros grecs. Elle est une déclinaison de la peinture d'histoire où
la noblesse du thème traité est essentielle. La peinture d'histoire est à la première place dans
la hiérarchie établie par l'Académie de peinture. Plastiquement, elle présente des figures humaines en action sur une toile de grand format.
Les peintres néo-grecs détournent la peinture d'histoire car ils choisissent d'illustrer des épisodes anecdotiques tirés de la mythologie antique et non des scènes à proprement parler
historiques, où le spectateur serait témoin d'un événement crucial dans le déroulement de
l'histoire. Gustave Boulanger et Victor Mottez représentent des thèmes secondaires de
L'Odyssée, Burthe choisit de mettre en scène une des relations amoureuses du héros Hercule.
A la loupe : Gustave Boulanger,
Ulysse reconnu par sa nourrice Euryclée (1849)
Le sujet est tiré de L’Odyssée d’Homère (chant XIX) : revenu à Ithaque incognito, afin
d’éliminer les prétendants qui entourent son épouse Pénélope, Ulysse est reconnu par sa
nourrice du fait d’une cicatrice à la jambe qui lui avait été causée par un sanglier. Il lui ferme
la bouche pour éviter d’être découvert
par Pénélope, au second plan. Boulanger s’applique à rendre exactement la
scène. Les détails archéologiques de la
fresque en frise, presque crétoise, du
mobilier (lit, bassin) et du décor (colonne, statue) attestent d’une préciosité
très élégante. L’usage de couleurs
froides (bleu des tuniques et du ciel,
rose et blanc des drapés) pour les personnages secondaires (Euryclée et Pénélope) s’oppose à la vivacité de la
chromie consacrée à Ulysse. La musculature du héros, très michelangelesque,
en fait un personnage à part, l’air décidé et vengeur. Tout dans cette scène
respire le complot et l’action. Boulanger
investit ainsi une scène mythologique
de préoccupations très personnelles qui
rendent l’œuvre « bizarre », unique.
Gustave Boulanger, Ulysse reconnu par sa nourrice Euryclée, 1849.
Huile sur toile, 147 x 114 cm. Paris, ENSB-A.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 15
8. Le Nu chez les peintres néo-grecs
Le nu – féminin en particulier – est omniprésent dans la peinture des Néo-Grecs. Ceux-ci s'inscrivent dans une tradition qui remonte, justement, à l'Antiquité. Sans être un genre en soi, le
nu est en effet présent depuis toujours dans l'histoire de l'art. La statuaire grecque – modèle
des peintres néo-classiques et néo-grecs – et romaine a établi les canons de la représentation
du nu, masculin d'abord, féminin ensuite. L'étude de l'anatomie par les artistes de la Renaissance leur a permis de représenter avec un réel souci de naturalisme les corps nus qui abondent dans les peintures et les sculptures de la Renaissance, celles de Michel-Ange par
exemple, tout en remettant à la mode les modèles antiques. Si par la suite les nus féminins
sont privilégiés par les peintres des XVIIe et XVIIIe siècles, le néo-classicisme avec notamment
David remet le nu masculin à l'honneur, à l'image des modèles grecs.
Les peintres néo-grecs privilégient quant à eux les nus féminins, travaillés en atelier, et qui
apparaissent souvent comme le véritable sujet de tableaux aux prétextes variés. Alors que Le
Bain ; après le Bain de Gustave Boulanger fait visiblement de l'étude du corps féminin sous
toutes ses coutures le principal sujet du tableau, Victor Mottez s'abrite lui derrière une scène
mythologique issue de l'Odyssée (Ulysse et les Sirènes) pour représenter la nudité féminine.
Chez d'autres artistes, on perçoit nettement l'influence de la statuaire grecque (Léopold
Burthe, Jeune femme à la fontaine, Hercule aux pieds d'Omphale ; Jean-Léon Gérôme, Idylle).
A la loupe : Victor Mottez, Ulysse et les Sirènes, 1848.
Victor Mottez, Ulysse et les Sirènes, 1848.
Huile sur toile, 125 x 182 cm. Nantes, musée des Beaux-Arts.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 16
Le peintre représente une scène fameuse de l'Odyssée. Ulysse, prévenu par Circé du danger
des Sirènes mais désireux cependant d'entendre leur chant, demande de l'attacher au mat
du bateau pour éviter de céder à leur séduction alors que ses compagnons se bouchent les
oreilles.
Le héros de l'Odyssée, au second plan et dans l'ombre, se tord de douleur contre le mat à
l'image d'un Christ outragé attaché à une colonne. Le peintre place dans la lumière du premier plan trois sirènes dont la nudité constitue de toute évidence le sujet principal de
l'œuvre. Deux d'entre elles sont représentées comme des créatures hybrides mi-femmes mipoissons et se livrent à une étreinte lascive. La troisième, à gauche, munie d'une lyre,
cherche à charmer les marins qui rament vigoureusement pour s'éloigner du danger. Les
flots charrient au premier plan des cadavres et des ossements qui rappellent les dangers de
la séduction.
Véritable apologie des chairs et des courbes, la représentation des corps et des visages n'est
pas sans rappeler la facture d'Ingres. La présence des restes humains évoquant le danger de
ces créatures fabuleuses au premier plan peut également se référer à ceux que l'on trouve
au premier plan d'Œdipe et le Sphinx d'Ingres.
Souffrant d'une absence d'intégration des plans dans l'espace (les premier et deuxième
plans ne "communiquent" pas), le tableau, quoiqu'apprécié par Théophile Gautier, reçut un
accueil mitigé au Salon de 1848 où il fut présenté.
A la loupe : Léopold Burthe, Jeune femme à la fontaine, 1849.
La Jeune Femme à la fontaine de Burthe appartient à une série centrée sur les mythes grécoromains qui passionnaient l'artiste. Le sujet se veut simple : une belle jeune femme, à moitié
dénudée, pose près d'une fontaine d'où jaillit une source. La tête ceinte d'une couronne de
fleurs et de lierre, elle tient en main une amphore à figures noires. Les motifs de la fontaine
se veulent très précis : tête de lion ou grotesque, frise de lauriers. À gauche, on distingue un
paysage de montagnes au travers des arbres.
Les teintes sont douces et claires : le bleu du drapé, l'ocre de la fontaine, le rosé du corps nu
de la femme attestent d'une sage sensualité. L'attitude du modèle, les yeux baissés, se veut
chaste, tandis que ses deux bras tendus dessinent une ligne assez raide. L'abondance des
courbes, celles du corps, du drapé, des végétaux, ne permet pas de gommer tout à fait l'impression générale de raideur de ce corps-statue, dont la longueur du buste, peu académique,
n'est pas sans rappeler les licences ingresques. Pureté du dessin, douceur du coloris, simplicité du sujet sont autant d'aspects qui rapprochent d'ailleurs cette œuvre néo-grecque de
celles du peintre montalbanais.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 17
Léopold Burthe, Jeune femme à la fontaine, 1849.
Huile sur toile, 103 x 67 cm. Poitiers, musée Sainte-Croix
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9. La scène de genre
La hiérarchie imposée par les académies, notamment en France, voyait dans la peinture
d'histoire, mythologique et religieuse, la forme d'expression la plus élevée, et reléguait à un
rang inférieur les autres catégories picturales. La peinture de genre (ou scène de genre),
comme la peinture d’histoire, met en scène des hommes et des femmes et raconte leur histoire. Mais elle aborde des sujets quotidiens, scènes de rue ou d’intimité inspirées des mœurs
contemporaines et qui prêtent souvent à rire (comme dans la peinture hollandaise du XVIIe s.
où les scènes de genre ont néanmoins aussi une valeur religieuse ou morale). Ce n’est qu’au
XVIIIe s. que ce type de peintures reçoit son nom de peinture de genre, une appellation donnée par Diderot par défaut, car elle ne traite ni de l’histoire au sens noble du mot, ni de
l’allégorie, ni du paysage et pas plus de la nature morte. Certains artistes de la fin du XVIIIe
ont cherché à donner à ce genre une dignité nouvelle, insistant sur la dimension morale et
didactique (Greuze, Hogarth).
On peut considérer que la peinture des Néo-Grecs est essentiellement une peinture de
genre. En effet, les artistes, s’ils placent leurs figures dans un environnement inspiré de
l’Antiquité, ne se préoccupent que très rarement de la dimension morale, et encore moins
politique. Si l’on peut voir du sous-texte dans le Combat de coqs de Gérôme, à la manière
d’un Greuze par exemple (une allusion à peine voilée aux jeux de l’amour et à leurs dangers),
c’est rarement le cas dans la production des peintres néo-grecs, bien plus occupés à illustrer
des scènes littéraires, mythologiques ou de la vie quotidienne.
Ainsi, Contemplation de Jean-Louis Hamon (1853) plonge dans l’univers de l’enfance et réalise un portrait d’enfant dans une scène de genre – des jeux d’enfants – même si l’on peut
voir une interrogation sur la place du public, de son jugement et de son influence sur le travail du peintre. Hamon est coutumier de ces peintures de genre, qu’il place ou non dans un
contexte historique, rarement grec au demeurant, en témoignent L’Escamoteur, quart
d’heure de Rabelais (1861) ou La Jeune Mère (1863).
De même, l’œuvre de Picou explore à satiété des genres « mineurs » comme le portrait ou la
scène de genre. On remarquera à ce titre deux œuvres en particulier : La Marchande de statuettes à Pompéi (v. 1850) et La Bonne aventure (1872). Dans les deux cas, Picou met en
scène des femmes élégamment vêtues dans des intérieurs inspirés de l’Antiquité grecque ou
romaine, se livrant à des activités quotidiennes : une discussion animée autour d’un secret
joyeux dans un cas (La bonne aventure) ; la négociation d’une statuette dans un bric-à-brac
de Pompéi dans l’autre.
A la loupe : Henry-Pierre Picou, Marchande de statuettes à Pompéi, (v. 1850).
« Marchande de statuettes à Pompéi est l'un des seuls tableaux toujours existant de
Picou qui illustre son souci pour un passé archéologique. La scène que dépeint Picou
montre deux jeunes femmes élégamment vêtues dans une boutique de « souvenirs »,
observant une statuette en pied. La figure centrale, au port altier, au diadème orné, à
la tunique somptueuse, magnifie l'épisode par sa beauté toute classique (nez droit,
profil pur, taille haute).
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 19
En face, la marchande détonne par la disposition étrange de ses bras — maladresse du
peintre ou volonté de contraste. À ses pieds, dans un bric-à-brac de fantaisie, sont déposés des jouets, des éventails, des boîtes à bijoux, à parfums, à peignes... À droite, une
petite fille tire sur un cheval en bois, tandis qu'à l'arrière-plan on distingue d'autres
femmes dans une sorte d'atrium.
Depuis La Marchande d'amours de Joseph-Marie Vien (1763, Paris, musée du Louvre)
— copié sur un site de Pompéi — le thème était à la mode dans les milieux proches de
Jacques-Louis David. Tout l'art de Picou est de rendre contemporain un sujet antique,
replaçant les visages féminins dans le contexte du luxe du Second Empire, si friand de
bijoux et de vêtements étourdissants. » (extrait du catalogue de l’exposition)
Henry-Pierre Picou, Marchande de statuettes à Pompéi, v. 1850.
Huile sur toile, 65 x 54,5 cm. Rennes, musée des Beaux-Arts
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 20
10. Les arts décoratifs et la copie d'œuvres antiques
Le mouvement néo-grec, au-delà de la peinture, s'est élargi aussi à la sculpture, aux arts décoratifs et à l'architecture. L'intérêt que témoignaient les artistes et les architectes à l'art
antique est évoqué non seulement par les œuvres qui sont parvenues jusqu'à nous ou dont
nous avons gardé la trace, mais aussi par le travail de copie d’œuvres antiques qui a constitué une étape dans l'appropriation par les artistes des canons esthétiques et des réalisations
grecs et romains.
Joseph-Charles-Paul Bonaparte (1822-1891) fit construire une demeure à sa maîtresse la
comédienne Rachel, dont le plan ainsi que les décors polychromes évoquaient les maisons
patriciennes de Pompéi (cf. supra).
Le mobilier de la Villa était inspiré de Pompéi. Le prince Napoléon possédait ainsi un service
pompéien exécuté à la manufacture impériale de Sèvres en 1856, dont le décor, qui est valorisé par un rouge pompéien intense, comprend des variantes selon chaque assiette : sur le
marli, feuilles de vigne, grappes de raisin, cornes d’abondance, rosettes, palmettes, volutes…
Plus surprenants encore sont les motifs utilisés dans les bassins : on remarque des copies de
fresques antiques (paysages, marines, natures mortes, animaux) par le biais de gravures ou
de dessins très diffusés à l’époque.
Les recueils de gravures représentant des œuvres antiques étaient aussi sources d'inspiration pour les peintres. Picou par exemple, à la suite d'Ingres, s'appuya sur ces recueils pour
faire des copies d’œuvres antiques et les assembler afin d'en faire naître des compositions
originales.
Achille Joyau, Peinture murale à
Pompéi, v. 1860. Aquarelle et
gouache sur papier, 31 x 26 cm.
Nantes, musée des Beaux-Arts.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 21
11. Henry-Pierre Picou vs. Pascal Lièvre, Voguing or not voguing ?
La première salle du 2d étage propose un face-à-face entre une œuvre et son pastiche, le
tableau de Picou, la Naissance de Pindare, et celui de Pascal Lièvre, Voguing Picou.
La Naissance de Pindare (1848) est l'une des peintures les plus importantes de Picou (ill. p.
1). Le sujet représente une scène mythologique célébrant la naissance du poète auteur des
Odes anacréontiques au VIe s. av. J.-C.
Dans cette scène joyeuse, Apollon célèbre la naissance de l'enfant prodige. Les nymphes
dansent autour du nourrisson, placé au centre du tableau. La palette est claire. Le ciel, bleu
et ocre, domine la scène, donnant une tonalité douce à l'événement. Le cadre est fermé à
gauche par un temple (d'Apollon ?) ; à droite on devine des îles méditerranéennes.
A gauche, assise l'air sinistre, se trouve Melpomène, muse de la Tragédie (que l'on a pu remarquer dans la maquette exposée dans la Chapelle), alors que la muse de l'Eloquence et de
la poésie lyrique lève le bras droit, proclamant sans doute l'importance de l'événement.
L'Amour, assis à droite l'arc à la main, examine les protagonistes. Les cygnes du bassin bleuté
semblent renvoyer à un imaginaire gréco-romain sensuel. La perspective est créée par le
dallage au centre.
Picou, apôtre d'une vision élitiste de l'art, incarne ici au mieux l'esthétique néo-grecque.
Face à la trivialité du monde qui s'industrialise, l'artiste doit incarner des valeurs nobles et
pures.
Les critiques furent partagés. Pour Théophile Gautier, "l'Antiquaire1 y a dominé le peintre, et
le tout a un certain air de planche, pour un ouvrage savant, qui siérait mieux à une gravure."
A.-J. Du Pays est quant à lui "séduit par la grâce élégante de la composition et du dessin."
« J’aime répéter l’histoire de l’art autrement (…). Tout m’intéresse. Et même la « très mauvaise » peinture » déclare Pascal Lièvre.
Quelle que soit la technique ou le sujet, P. Lièvre mène une réflexion sur les rapports et croisements de la culture savante, voire élitiste avec la culture populaire, cherchant sans cesse à
provoquer le choc des cultures « High » et « Low ».
Engagé dans son temps, son art (peintures, performances et vidéos) est majoritairement
imprégné des faits culturels, sociaux ou politiques marquants de notre société. L’humour est
aussi une composante essentielle de son œuvre et sous-tend nombre de ses performances
ou créations vidéo comme l’atteste J’y crois encore, œuvre vidéo exposée au musée Ingres
et faisant chanter à l’élégante Mme Gonse une rengaine populaire interprétée par Lara Fabian.
1
Nom donné jusqu'au XIXe s. aux amateurs et spécialistes de l'Antiquité.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 22
Pascal Lièvre, Voguing Picou, 2013. Paillettes sur triage photographique, 115 x 145 cm
Le choc des cultures est ici patent, soumettant la Naissance de Pindare de Picou, figuration
emblématique de la supériorité du génie artistique (dans la lignée d’Ingres – Apothéose
d’Homère) à l’impertinence de l’artiste. Les chairs sont remplacées par des paillettes matérialisant ainsi le don du ciel qui fait de Pindare un poète grec hors du commun. En même
temps, il se moque de la peinture de Picou et de ses effets faciles.
Enfin, le titre renvoie à une forme de chorégraphie, le voguing. Style de danse urbaine né au
début des années 1960 dans des clubs gay, le voguing est caractérisée par la posemannequin telle que pratiquée dans le magazine américain Vogue à cette époque, intégrée
avec des mouvements angulaires, linéaires et rigides du corps, des bras et des jambes.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 23
Dossier élèves :
des questions pour appréhender les œuvres
1.
La formation. Ingres, Stratonice (1866)
Sur le thème de Stratonice étudié par Ingres, plusieurs musées (dont celui de
Montauban) abritent les multiples versions de son œuvre, et plus d’une centaine d’études et de dessins préparatoires. Nous pouvons ainsi comprendre la
quête d’appropriation de la culture grecque par Ingres, avec laquelle il se familiarise lors de ses deux séjours romains (1806-1824 et 1835-1841), en recopiant
des recueils de gravures d’œuvres antiques, et en fréquentant des archéologues
et des architectes. Pour le tableau de Stratonice ou la Maladie d’Antiochus, il
confia ainsi la réalisation du décor à un architecte, Victor Baltard, élève de
l’Académie de France à Rome sous son directorat. L’œuvre de Montpellier, présentée dans l'exposition, est la dernière version, où Ingres a inversé la composition.
Par son sujet, son souci du détail archéologique, sa redécouverte d’un sujet antique et sa mise au goût du jour, Antiochus et Stratonice annonce toute la peinture néo-grecque.
Questions :
o
Le titre de l’œuvre est obscur : peu de gens ont entendu parler de Stratonice ou d'Antiochus. Vous pouvez tout de même déterminer qui sont les personnages principaux. Qu'est-ce qui vous indique que ce sont les protagonistes
de l'histoire ?
o
Quelle semble être l'histoire ? Comment expliquez-vous la séparation de
la composition en deux parties ? Expliquez le choix des couleurs.
o
A quoi vous fait penser le baldaquin de la chambre ?
o
Décrivez les colonnes, le sol et les murs.
o
Tentez de nommer les éléments du mobilier antique dans la Stratonice et
dans l'épure architecturale de Victor Baltard.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 24
2.
Gérôme, Un combat de coqs (1846)
Jean-Léon Gérôme (1824-1904) fut l'un des peintres français les plus célèbres de
son temps. Le tableau qu'il présente au Salon de 1847, Jeunes Grecs faisant
battre des coqs, dit Un combat de coqs, est considéré comme l’acte fondateur
du groupe des Néo-Grecs. La réinterprétation de thèmes et d'une iconographie
antiques était déjà présente dans l'art néo-classique, notamment chez JacquesLouis David, où l'histoire et la mythologie antiques véhiculaient des valeurs morales. Chez Gérôme, l'antiquité dépeinte est celle du quotidien, de l'anecdotique,
aboutissant ainsi à un genre hybride entre peinture d'histoire et scène de genre.
La filiation de Gérôme avec ses maîtres Delaroche et Gleyre est visible dans
l’importance donnée à la ligne, et l'influence d'Ingres apparaît dans la touche
lisse et les couleurs froides et maîtrisées.
Questions :
o
Quel est le sujet principal du tableau ?
o
Décrire la pose des deux personnages. D'après leur pose, peut-on faire
un lien entre le sujet représenté (le combat de coqs) et les deux adolescents ?
o
Décrire le décor. Quels sont les éléments grecs ?
o
Expliquer pourquoi le tableau est à la fois une peinture d’histoire et une
scène de genre.
3.
Les arts - Sapho - Pradier et Burthe
Sapho, ou Sappho, est une poétesse grecque du VIe-VIIe siècle av. J.-C., vivant à
Lesbos. Elle était aussi musicienne, s’accompagnant de la lyre. La tradition raconte que Sapho, déçue dans son amour pour Phaon, se serait jetée du rocher
de Leucate.
Questions :
o
Léopold Burthe : Décrivez les objets présents (les attributs de Sapho), les
vêtements, le paysage, l'attitude
o
James Pradier : décrivez les objets présents (les attributs de Sapho), les
vêtements, l'attitude
o
Laquelle des deux œuvres s'approche le plus des textes ?
o
Retrouvez deux autres tableaux dans l'exposition où le personnage principal joue de la lyre. Quel « type » d'artiste est-il ?
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 25
4.
Sujets mythologiques
La peinture mythologique s'inspire des sources antiques rapportant les épisodes
des mythes ou les aventures des dieux et héros grecs. Elle est une déclinaison de
la peinture d'histoire où la noblesse du thème traité est essentielle. La peinture
d'histoire est à la première place dans la hiérarchie établie par l'Académie de
peinture. Plastiquement, elle présente des figures humaines en action sur une
toile de grand format.
Questions sur Ulysse reconnu par sa nourrice Euryclée (Gustave
Boulanger) :
o
o
o
Décrivez la composition du tableau : les personnages à l'avant-plan, à
l'arrière-plan ; où est placée la source lumineuse du tableau ? Quel sont
les éléments et personnages mis en avant par ce processus
Qui est Ulysse ? Décrivez-le : son aspect physique correspond-il à son caractère ?
Comparez les tons (froids-chauds) / couleurs qui distinguent Ulysse des
autres personnages.
5. Le nu
Le nu – féminin en particulier – est omniprésent dans la peinture des Néo-Grecs.
Ceux-ci s'inscrivent dans une tradition qui remonte, justement, à l'Antiquité. La
statuaire grecque – modèle des peintres néo-classiques et néo-grecs – et romaine a établi les canons de la représentation du nu, masculin d'abord, féminin
ensuite. L'étude de l'anatomie par les artistes de la Renaissance leur a permis
de représenter avec un réel souci de naturalisme les corps nus qui abondent
dans les peintures et les sculptures de la Renaissance, celles de Michel-Ange par
exemple, tout en remettant à la mode les modèles antiques.
Questions :

Victor Mottez, Ulysse et les Sirènes.
o
Décrire l'œuvre par plans.
o
Comment les Sirènes sont-elles représentées ?
o
Comment l'artiste évoque-t-il le danger qu'incarnent les sirènes ?
 Léopold Burthe, Jeune femme à la fontaine.
o
Repérer les références à la culture antique.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 26
6. La scène de genre
La peinture de genre (ou scène de genre), comme la peinture d’histoire, met en
scène des hommes et des femmes et raconte leur histoire. Mais elle aborde des
sujets quotidiens, scènes de rue ou d’intimité inspirées des mœurs contemporaines et qui prêtent souvent à rire. Ce n’est qu’au XVIIIe s. que ce type de peintures reçoit son nom de peinture de genre, une appellation donnée par Diderot
par défaut, car elle ne traite ni de l’histoire au sens noble du mot, ni de
l’allégorie, ni du paysage et pas plus de la nature morte.
Questions
Henry-Pierre Picou, Marchande de statuettes à Pompéi, (v. 1850).
o Pourquoi peut-on dire qu’il s’agit d’une scène de genre ?
o Comment l’artiste oppose-t-il la vendeuse et l’acheteuse ?
o Qu’est-ce qui donne à cette scène son caractère quotidien et pittoresque ?
7. Les Arts décoratifs
Le mouvement néo-grec, au-delà de la peinture, s'est élargi aussi à la sculpture,
aux arts décoratifs et à l'architecture. L'intérêt que témoignaient les artistes et
les architectes à l'art antique est évoqué non seulement par les œuvres qui sont
parvenues jusqu'à nous ou dont nous avons gardé la trace, mais aussi par le
travail de copie d’œuvres antiques qui a constitué une étape dans l'appropriation par les artistes des canons esthétiques et des réalisations grecs et romains.
Questions :
o Choisissez une des assiettes du service pompéien et décrivez le décor
(bord plus bassin ou intérieur).
o Dans la « bibliothèque » d'Ingres, si vous deviez vous inspirer d'un vase
grec pour créer une œuvre, lequel choisiriez-vous, décrivez le sujet et la
composition, et ce qui vous a séduit.
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 27
8. Henry-Pierre Picou (1824-1895)
L'artiste nantais entre dans l'atelier de Paul Delaroche à Paris en 1836, puis
dans celui de Charles Gleyre en 1843. Il y rencontre Gérôme et les futurs NéoGrecs. Il rencontre le succès au Salon de 1848 avec Cléopâtre et Antoine sur le
Cydnus. Picou ne se rend ni en Grèce ni en Italie, mais puise toute son inspiration dans les gravures et photographies qui circulent à l'époque. Artiste méticuleux, il est apprécié par la Manufacture de Sèvres pour laquelle il réalise
quelques décors. Alors que le Salon de 1857 marque la fin de la vague néogrecque et que plusieurs artistes se tournent vers d'autres horizons comme
l'orientalisme, Picou reste fidèle au mouvement et poursuit sa carrière néogrecque au-delà de 1865.
L'œuvre de Picou, abondante et très bien représentée dans l'exposition, touche
à tous les aspects du mouvement néo-grec. Pour cette raison, elle peut être
l'occasion de "réviser" ses classiques néo-grecs !
-> Dans la dernière salle du 1er étage, repérer des dessins de Picou. Certains
sont des copies d'antiques. Lesquels ?
-> Trouvez le portrait de sa sœur Céphise et décrivez :
o
o
o
o
o
le cadrage
la posture du modèle
le décor
les couleurs
l'atmosphère générale qui se dégage de ce portrait
-> Reliez les œuvres suivantes (à gauche) à un des thèmes à droite (deux
œuvres peuvent correspondre à un thème) :
Le Styx
La Bonne aventure
La Naissance de Pindare
Marchande de statuettes à Pompéi
genre mixte ou indéterminé
la mythologie
scène de genre
les Arts
A la nature
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 28
-> Décrire et analyser une de ces 5 œuvres ci-dessus en suivant les consignes
suivantes :
décrire les personnages : position, vêtements, action
décrire le décor
analyser la composition (comment les différents éléments qui composent
l’œuvre sont-ils organisés ?)
comment l’artiste attire-t-il l’attention du spectateur sur ce qui constitue
le sujet de la peinture ?
Dossier pédagogique La lyre d'ivoire – Musée Ingres – 2014 / 29
Biographies des artistes principaux
Gustave Boulanger (Paris, 1824 - Paris, 1888)
Entré dans l'atelier de Paul Delaroche, Boulanger fut l'un des rares Néo-Grecs à remporter le Prix de
Rome en 1849 avec Ulysse reconnu par sa nourrice Euryclée (Paris, École nationale des beaux-arts).
Peintre de scènes de genre, de sujets orientalistes et de portraits, il est proche de Gérôme, Hamon et
Picou, avec lesquels il conçoit un panneau à plusieurs mains, Les Quatre Saisons (1850, Cleveland, the
Museum of Art). Ami de Théophile Gautier, Edmont Got ou Rachel, il exécute une vue de la Villa
pompéienne du prince Napoléon qui vaut manifeste néo-grec : La Répétition du Joueur de flûte (1860,
Versailles, musée national du château). Boulanger transpose son idéal grec dans des scènes orientalistes, tels Phryné (1850, Amsterdam, musée Van Gogh) ou Le Bain (1867, musées d'Angers), qui reprend l'architecture de la Villa pompéienne. Il s'oriente par la suite vers des scènes exclusivement
orientalistes qui lui valent un grand succès public. Décorateur, il œuvre pour l'ornementation du foyer
de la danse de l'Opéra Garnier.
Léopold Burthe (La Nouvelle-Orléans, États-Unis, 1823 - Paris, 1860)
Né aux États-Unis à la Nouvelle-Orléans, d'une famille de planteurs, il arrive à Paris avec sa sœur et
entre à dix-sept ans dans l'atelier du peintre Amaury-Duval. Amaury-Duval, fidèle disciple de J.-A.-D.
Ingres, lui inculque le goût de l'Antiquité. Burthe participe au Salon de 1844 à 1859. Il débute en exposant une Bethsabée (1844), puis décline des sujets héroïques (Hercule aux pieds d'Omphale, 1845, Hercule
vaincu par l'amour, 1859) ou poétiques (Sapho jouant de la lyre, 1849). Son art manifeste une préoccupation incessante pour les modèles grecs et romains, qu'il transforme en les rendant assez secs, d'aspect
archéologique. La majorité de ses œuvres sont conservées au musée Sainte-Croix de Poitiers, grâce au
legs, en 1881, de sa sœur devenue marquise Foucher de Circé. Mort prématurément, Burthe incarne
une figure originale, en marge et encore méconnue du mouvement néo-grec dont il fut l'un des précurseurs.
Jean-Léon Gérôme (Vesoul, 1824 — Paris, 1904)
Élève de Paul Delaroche puis de Charles Gleyre, Gérôme est le chef de file de l'école académique.
Poussé par Delaroche qui l'emmène avec lui en Italie en 1844, il s'affirme comme un peintre ambitieux,
malgré ses échecs répétés au Prix de Rome qu'il n'obtiendra jamais. Peintre, sculpteur, graveur, il jouit
d'une immense popularité favorisée par les éditions de la maison Goupil. Son premier envoi au Salon
en 1847, Un combat de coqs (Paris, musée d'Orsay) lui ouvre dès lors les portes d'une carrière officielle.
Soutenu par Théophile Gautier, qui loue son audace et sa technique, Gérôme s'impose comme le chef
de l'école néo-grecque. Autour de lui, il rassemble Picou, Hamon, Toulmouche, mais aussi Isambert,
Jobbé-Duval, Boulanger. Au « Chalet », rue de Fleurus, puis à la « Boîte à thé », il rassemble poètes,
écrivains, peintres, sculpteurs et musiciens, dans un joyeux « phalanstère ». Ses envois au Salon sont
remarqués pour leurs sujets équivoques à l'érotisme affiché, au message codé : Anacréon Bacchus et
l'Amour (1848, Toulouse, musée des Augustins) qui déroute, Intérieur grec (1850, collection particulière) qui fait scandale, suivis de Idylle. Daphnis et Chloé (1852, Tarbes, musée Massey). Sa Tête de femme
coiffée de cornes de bélier (1853, Nantes, musée des Beaux-Arts) reste une énigme, un tableau trouble.
Phryné devant l'Aréopage choque les critiques (1861, Hambourg, Kunsthalle). Mais sans cesse en mouvement, travailleur infatigable, Gérôme s'oriente dans des voies différentes. À partir de 1856, il voyage
en Egypte et au Moyen-Orient, parcourant l'Asie Mineure. Son mariage avec Marie Goupil, la fille de
l'éditeur, lui assure une grande diffusion de son œuvre par la gravure et la photographie. Il connaît
une brillante carrière officielle : il est promu dans l'ordre de la Légion d'honneur en 1855, puis devient
professeur à l'École des beaux-arts en 1863 et membre de l'Institut en 1865. Il pratique aussi la sculpture et devient un homme à part, au charisme reconnu par tous, à l'activité incessante. Ses prises de
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position contre l'avant-garde impressionniste le desserviront longtemps avant que son œuvre ne soit
réhabilité à la fin du XXe siècle. Ses peintures traitent de sujets historiques ou de scènes orientales. Il
aura une influence considérable sur de nombreux élèves.
Jean-Louis Hamon (Plouha, 1821 - Saint-Raphaël, 1874)
Élève de Delaroche, puis de Gleyre, Hamon échoue au Grand Prix de Rome en 1844, mais expose- au
Salon à partir de 1847 et obtient plusieurs récompenses, dont la Légion d'honneur (1855). Son œuvre la
plus célèbre, et aujourd'hui introuvable, Idylle. Ma sœur n'y est pas, est exposée au Salon de 1853, acquise par l'impératrice Eugénie et placée au château de Saint-Cloud. Sa diffusion par Goupil lui vaut
une célébrité naissante. De 1849 à 1857, il travaille comme dessinateur à la manufacture de porcelaine
de Sèvres. Il fait partie, avec Gleyre, Picou, Gérôme et Toulmouche, du courant néo-grec, mais apparaît comme une figure singulière et fut incompris du public parisien. Ses œuvres déroutent : La Comédie humaine (1851-1852, Paris, musée d'Orsay) comme L'Escamoteur, quart d'heure de Rabelais (1861,
Nantes, musée des Beaux-Arts) sont mal perçus par le public. Déçu par les critiques du Salon, incompris, Hamon décide de quitter la France. Il s'installe alors en Italie, à Capri, où sa peinture délicate, au
dessin adouci, fut appréciée, en particulier les scènes de genre souvent familiales et les sujets poétiques, reflet d'un univers idyllique inspiré par la Grèce.
Jean-Auguste-Dominique Ingres (Montauban, 1780 — Paris, 1867)
Né en 1780 à Montauban, Ingres est initié à l'art dès son plus jeune âge par son père Jean-Marie-Joseph
Ingres, lui-même artiste ornemaniste. Il apprend ainsi le dessin, la peinture mais aussi le violon. Il
rejoint à onze ans les peintres Roques et Briand, qui vont poursuivre son enseignement à l'école des
Beaux-Arts de Toulouse. Il les quitte pour l'atelier de David et vient vivre à Paris, alors qu'il n'a que
dix-sept ans. Quatre ans plus tard, en 1801, il obtient le Grand Prix de Rome, couronnement de sa
formation. Il doit toutefois attendre 1806 pour se rendre enfin en Italie où, fasciné par l'Antiquité et la
Renaissance omniprésentes, puis envoûté par la beauté des paysages et de la lumière, il passera de
longues années, loin des critiques qui saluent à Paris chacun de ses envois de tableaux.
C'est donc à Rome, où il choisit de rester au-delà de ses années de pensionnaire, qu'il peint ses premières grandes compositions. Parmi elles, deux commandes napoléoniennes destinées à décorer le
Palais du Quirinal : l'une pour le salon de l'impératrice Joséphine, Romulus vainqueur d'Acron (1812),
réinterprétation de la statuaire gréco-romaine traitée avec le style linéaire emprunté à la céramique
grecque, et l'autre pour la chambre à coucher de Napoléon, le Songe d'Ossian (1813) qui retrace l'épopée du peuple celte rêvée par le barde Ossian, surnommé « l'Homère du Nord ».
Durant ces mêmes années, il sut porter à son sommet le genre du portrait dessiné ou peint dont la
bourgeoisie française ou anglaise installée à Rome raffolait. Haut-fonctionnaires de l'Empire (Portrait
du baron Norvins, 1811), amis (Portrait de Marcotte d'Argenteuil, 1810), savants et archéologues (Portrait
de Charles-Robert Cockerell, 1817) mais aussi beautés féminines à l'image de la sensuelle Mme de Senonnes (1814, Nantes, musée des Beaux-Arts) se pressent dans son atelier romain.
Mais son art déplaît en France. Les critiques de ses premières œuvres furent violentes. Nombre de ses
contemporains furent déstabilisés par les déformations anatomiques et les invraisemblances de perspective mais aussi par les références au monde antique dont elles fourmillaient. Il faudra qu'Ingres
attende 1824 pour obtenir la reconnaissance avec la présentation couronnée de succès au Salon de son
tableau Le Vœu de Louis XIII, commandé pour la cathédrale de Montauban. Encouragé par l'accueil
enthousiaste de son œuvre, l'artiste quitte Rome pour revenir s'établir à Paris où il connaît une période
d'honneurs et de distinctions jusqu'en 1834. Elu à l'Académie des beaux-arts en 1825, il y enseigne et
ouvre en complément un atelier privé dans l'actuelle rue Visconti où passeront plusieurs dizaines de
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jeunes artistes dont un certain nombre inspireront ou rallieront la cause néo-grecque, tels AmauryDuval, Mettez, Etex, etc. Sans appartenir à ce mouvement, le Montalbanais influence toute une génération de peintres dont le jeune Jean-Léon Gérôme, et partage avec eux l'admiration et l'amitié de Théophile Gautier.
En 1834, l'accueil très mitigé réservé à son Martyre de saint Symphorien l'amène à repartir à Rome en
tant que directeur de la Villa Médicis. Il y peint peu, absorbé par la gestion et la restauration de la
Villa, puis connaît un nouveau triomphe à Paris pour sa Stratonice (1840, musée Condé, Chantilly),
manifeste en faveur de l'Antiquité et reflet de ses recherches sur la céramique grecque. Recommence
alors une période très active pour lui qui durera jusqu'à la fin de sa vie. Il réalise de somptueux portraits et cumule les hommages tout en se faisant aider par ses élèves et collaborateurs. Mais il est seul
pour peindre son plus célèbre tableau, Le Bain turc (1863), dont l'héritage grec désormais digéré et
invisible influencera toute sa postérité, de Gérôme à Degas, de Picasso à Matisse et de Rauschenberg à
Martial Raysse. Ingres meurt à Paris en 1867. Il est enterré au Père-Lachaise.
Achille Joyau (Nantes, 1831 - Nantes, 1873)
Entré en 1854 à l'Ecole des beaux-arts de Paris, Joyau est architecte. Il remporte en 1860 le Grand Prix
de Rome avec un Projet pour une Résidence impériale dans la ville de Nice. Achille Joyau séjourne à la Villa
Médicis en compagnie de Victor Baltard et Louis Boitte. Joyau est très intéressé par l'architecture antique et ses dessins transcrivent fidèlement, dans une touche colorée, les impressions que lui laissent
l'Italie et la Grèce. Depuis 1845, les artistes séjournant à l'Académie de France à Rome peuvent se
rendre en Grèce. Comme Boitte, Joyau en retient des vues d'ensemble spectaculaires, traçant la topographie d'Athènes dans une perspective très sûre et froide, presque photographique. Il se rend jusqu'au Liban, à Baalbek, où il copie l'ancien temple d'Héliopolis. Sa mort prématurée l'empêche de
déployer son talent précoce. Toutefois, l'ensemble des carnets de dessin que sa famille légua au musée
de Nantes en 1954 permet d'appréhender la cohérence de son parcours et sa grande curiosité envers le
passé.
Victor Mottez (Lille, 1809 - Bièvres, 1897)
Mottez est principalement un peintre de portraits et de scènes religieuses. Élève proche de son maître
J.-A.-D. Ingres, Mottez connaît une longue carrière. Il expose aux Salons dès 1833. Il exécute des portraits de proches (Mme Victor Mottez, 1842, Paris, musée de la Vie romantique, Julie Mottez, 1840, Lille,
Palais des beaux-arts, et Portait de Mme Mottez, vers 1840, musée du Louvre) ou des portraits officiels
comme ceux de membres de l'aristocratie (La Duchesse d'Aumale et son fils le prince de Confié, 1851 ; Le
Duc d'Aumale à Twickenham, 1853, Chantilly, musée Condé) ou de cercles politiques (Portrait de l'architecte Charles Benvignat). Il reste surtout célèbre - comme Hippolyte Flandrin — pour ses peintures
d'églises à Paris (Saint-Germain-l'Auxerrois, Saint-Séverin, Saint-Sulpice...). Fortement influencé par
Ingres et sa recherche de la beauté antique, Mottez traite de sujets tirés d'Homère (Ulysse et les Sirènes,
1848, Nantes, musée des Beaux-Arts) ou de Pline (Zeuxis choisissant ses modèles, 1859, Chantilly, musée
Condé et Roubaix, La Piscine). Le soin apporté aux détails vestimentaires, à la ligne, à la personnalité
de ses modèles atteste sa filiation avec Ingres. Mais sa recherche d'un idéal absolu, son goût pour les
sujets grecs et les accessoires antiques font de Mottez l'un des précurseurs des Néo-Grecs.
Dominique Papety (Marseille, 1815 - Marseille, 1849)
Grand Prix de Rome en 1836, Papety se fait une réputation en multipliant les vues de l'Italie. Comme
son maître Léon Cogniet, il fut un peintre de scènes de genre, sensible à la couleur locale. Il séjourne
en Italie de 1836 à 1841, à l'Académie de France à Rome, sous le directorat de J.-A.-D. Ingres. Il se rend
en Grèce avec son ami le collectionneur François Sabatier d'Espeyran (1818-1891), qu'il rencontre dans
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la Ville éternelle. En 1841, il exécute un tableau remarqué par la critique, Femmes à la fontaine (Montpellier, musée Fabre). Ce tableau est son envoi de troisième année, qui sera exposé au Palais des beauxarts à Paris et sera remarqué par la critique. Il œuvre pour Sabatier, qui est un proche ami et qui lui
commande son tableau le plus célèbre, Un rêve de bonheur (Compiègne, musée Antoine Vivenel), vaste
composition aux idées fouriéristes. Parallèlement, Papety s'intéresse à l'Italie pittoresque (Prière à la
madone, Nantes, musée des Beaux-Arts), ce qui le rapproche du parcours de Gérôme à la même
époque. En 1846, Papety voyage en Grèce avec Sabatier, concevant ce voyage comme une initiation à
l'Antiquité révélée. Papety y multiplie les études de monuments, de sites, de costumes, de types grecs,
qui lui serviront pour ses œuvres. L'année suivante, il publie dans La Revue des Deux Mondes un récit
de son périple grec : « Les peintures byzantines et les couvents de l'Athos ». Il y retourne en août 1847
et peint la toile Le Duc de Montpensier visitant les ruines d'Athènes en compagnie du roi Otton en 1845 (Versailles, musée national du château). De retour de Grèce, Papety meurt à Marseille, sa ville natale.
Henry-Pierre Picou (Nantes, 1824 - Nantes, 1895)
Peintre et dessinateur, le Nantais Henry-Pierre Picou (1824-1895) est issu d'une famille d'artistes. Son
père lui donne ses premiers rudiments, tandis que son frère Eugène deviendra architecte et peintre.
Envoyé à Paris, Picou devient élève de Charles Gleyre, l'un des plus célèbres professeurs de l'époque.
Il rencontre, dans son atelier et auprès de son cercle artistique, ceux qui deviendront ses proches amis :
Jean-Léon Gérôme, Auguste Toulmouche, Jean-Louis Hamon, Gustave Boulanger. Autour de Gérôme,
ils forment un groupe animé d'une nouvelle envie de peindre, les « Néo-Grecs ». Soutenus par certains
critiques comme Théophile Gautier, les Néo-Grecs développent des thèmes antiques, des scènes de
genre à sujets historiques qu'ils mettent à la mode, en les investissant d'une moralité parfois codée.
Une esthétique raffinée, prônant une place élevée de l'artiste dans la société, chantre d'un art qui revient vers les classiques, se développe ainsi dans les années 1850. « L'art pour l'art » de Gautier incarne leur idéal. Cette peinture connut un grand succès, par le biais de la gravure et de la photographie, notamment grâce à Goupil qui diffusa à une large échelle ces scènes plaisantes et doubles. Picou
connaît un grand succès par ses peintures présentées au Salon : Le Styx (1849, Nantes, musée des
Beaux-Arts), La Naissance de Pindare ou À la Nature (1850, Nantes, musée des Beaux-Arts) le rendent
célèbre. Il ne sait toutefois pas renouveler son style et se consacre par la suite à une large production
destinée à une clientèle aisée. Les critiques se font sévères à la fin des années 1850 et Picou revient à
Nantes y vivre paisiblement de son art, tombant progressivement dans l'oubli. Le don en 1917 par sa
famille, au musée des Beaux-Arts de Nantes, de peintures de l'artiste (Portrait de Céphise Picou, 1846 ;
Portrait de Mme Henri-Jean Picou, 1846) puis celui, en 1986, de centaines de dessins souvent préparatoires à des tableaux perdus, ont permis la redécouverte de cet artiste singulier.
James Pradier (Genève, Suisse, 1792 - Bougival, 1852)
D'origine suisse, Jacques dit James Pradier pratique la sculpture dans l'atelier de François-Frédéric
Lemot et la peinture avec Charles Meynier et François Gérard. À l'Ecole des beaux-arts, sous l'égide de
ces maîtres, il remporte en 1813, à vingt et un ans, le Grand Prix de Rome de sculpture (Néoptolème
empêche Philoctète de percer Ulysse de ses flèches, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts). Le
succès vient avec les honneurs sous la Restauration et la monarchie de Juillet. Il est nommé professeur
à l'Ecole des beaux-arts (1828), en même temps qu'il reçoit de nombreuses commandes publiques. Il
œuvre à la Chambre des députés en 1830, pour la place de la Concorde (1836), l'Arc de triomphe (Renommées) et à Nîmes (fontaine Pradier). Il prend la figure féminine comme thème de prédilection : Les
Trois Grâces (1831, musée du Louvre), Odalisque (1841, Lyon, musée des Beaux-Arts), Nyssia (Montpellier, musée Fabre) ou Sapho (1852, Paris, musée d'Orsay). Il aura une liaison avec Juliette Drouet, dont
naîtra une fille Claire (morte à 22 ans), avant que Juliette ne le quitte pour Victor Hugo, qui défendra
toujours l'art de Pradier. Il est sensible au romantisme et son art sensuel met en exergue l'érotisme des
figures féminines et l'énergie des portraits masculins (Maxime Du Camp, Paris, musée du Louvre). Sa-
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pho est l'ultime sculpture de Pradier, qui reçoit la médaille d'honneur au Salon à titre posthume,
l'œuvre étant alors couverte d'un voile noir en hommage au défunt.
Auguste Toulmouche (Nantes, 1829 — Paris, 1890)
Portraitiste et peintre de scènes de genre, Toulmouche est aussi connu comme peintre néo-grec, ami
de Jean-Léon Gérôme et Henry-Pierre Picou. Entré dans l'atelier de Charles Gleyre, Toulmouche y
rencontre Jean-Louis Hamon et Henry-Pierre Picou. Il s'installe près de la rue de Fleurus, où le « phalanstère » de Gérôme — le fameux « Chalet » — l'accueille au 9 puis au 27 rue de Fleurus. Toulmouche
s'installe ensuite 70 rue Notre-Dame-des-Champs, dans la « Boîte à thé », un ensemble d'ateliers lotis
par son père, qui est fréquenté par tous les Néo-Grecs fédérés autour de J.-L. Gérôme. Au début des
années 1850, les premiers succès au Salon de ses œuvres néo-grecques assurent à Toulmouche la reconnaissance (La Leçon de lecture, 1854, Nantes, musée des Beaux-Arts). Malgré son échec au Prix de
Rome, Toulmouche connaît une brillante carrière officielle; il reçoit la Légion d'honneur (1870) à une
époque où il peint des portraits et des scènes de genre recherchées par une clientèle aisée : Les «
Toulmoucheries » sont alors diffusées pas l'éditeur Goupil, ce qui lui assure une grande popularité
(Dans la. Serre, Le Billet doux, 1883, Nantes, musée des Beaux-Arts). En 1861, il se marie avec une
femme d'une grande beauté et d'un esprit raffiné, Marie Lecadre, cousine de Claude Monet. À partir
des années 1870, à l'abbaye de Blanche-Couronne, à Savenay, dans la campagne nantaise, Toulmouche
recevait ses proches amis : Gérôme, Elie Delaunay, Paul Baudry, José-Maria de Heredia. Grâce à
Toulmouche, Monet rentra dans l'atelier de Gleyre. Fidèle à ses amis de jeunesse, d'une grande générosité, loué pour sa douceur, Toulmouche mourut prématurément, alors que ses œuvres commençaient à passer de mode.
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