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GILLES CARREZ
Par Pierre Laffon
Gilles Carrez est de ces
parlementaires
incontournables à
l’Assemblée nationale.
Spécialisé en finances
publiques, à qui l’on confie
des missions ponctuelles (le
financement du Grand Paris
par exemple), le rapporteur
du budget est l’homme clé
sur toutes les questions
ayant trait à la fiscalité.
46 - La Revue Parlementaire - Mars 2011
“J
e suis arrivé à la politique sans
drame” affirme Gilles Carrez.
Lorsque vos talents sont faits
pour la sphère publique, inutile de forcer la porte pour y entrer… Le député
insiste : « La vie politique peut se passer de façon amicale, en travaillant les
dossiers, sans arrière-pensées, de façon
transpar ente ». D’ailleurs, rien
n’horripile plus Gilles Carrez que le
spectacle surjoué des séances de questions au Gouvernement : « C’est
pitoyable et pathétique. Je n’arrive plus
à y rester » nous confie-t-il. Mais si le
Palais Bourbon contente les députés
aimant s’afficher, il peut aussi satisfaire
les besogneux et autres « intellos »
allergiques à l’à peu près et à
l’amateurisme… Gilles Carrez est assurément de cette deuxième catégorie et
a trouvé son bonheur dans le travail
plus discret de la Commission des
finances. Là, le député avoue ne jamais
s’ennuyer. L’éloignement de la « ter-
rible emprise médiatique » permet le
déroulement de débats plus sereins :
« En commission, il est rarissime que
les députés interviennent pour faire
de la politique politicienne et proférer
des attaques personnelles ». Si le rapporteur du budget est impitoyable
avec la médiocrité, c’est que quitter la
Haute Administration, dans laquelle il
a trouvé l’épanouissement d’une carrière passionnante, ne s’est fait qu’à la
condition d’appliquer son professionnalisme dans une autre partie de
la sphère publique : « J’étais angoissé
en 1993 de quitter mon milieu professionnel exigeant pour un monde
politique qui n’avait pas bonne
presse… » Son entrée en politique a été
prudente et progressive mais les succès se sont enchaînés. Son rapprochement de la sphère publique date
de sa sortie d’HEC, date à laquelle « je
ne voulais pas travailler ». Il s’inscrit
alors à Dauphine puis réussit le
© J-P Baron
Por tr ait
Portrait
concours de l’Ecole Nationale
d’Administration. Paradoxe improbable
pour celui qui deviendrait par la suite
un des piliers des questions de
finances à l’Assemblée : « A la sortie
de l’ENA, je ne souhaitais surtout pas
faire des finances. J’ai préféré prendre
ce poste de chef du bureau des Villes
nouvelles au ministèr e de
l’Equipement ». Dans ses diverses fonctions liées à l’urbanisme (chargé de
l’aménagement, du plan et des contrats
de la région Ile-de-France, adjoint au
délégué interministériel au projet
Eurodisney…), il se confrontera aux
finances locales et en deviendra, « à
son corps défendant », un spécialiste.
Dans les “années Mitterrand”, la vie
du futur député avait tout de “la force
tranquille”. Jeune marié, il s’installe au
Perreux. Sa femme qui a trouvé une
pharmacie à racheter dans la petite
ville, emporte son accord car l’officine
est à côté du terrain de tennis… « De
l’autre côté du pont », il sympathise
avec le futur maire de la ville d’à côté,
de Bry-sur-Marne, qui à l’époque
l’invite à faire partie du conseil municipal du Perreux. La petite ville a pour
maire Michel Giraud auquel le destin politique de Gilles Carrez sera lié,
outre une amitié et une confiance
indéfectibles. Quand Michel Giraud
redevient président du Conseil régional d’Ile-de-France puis ministre du
gouvernement Balladur, il cède au
passage la mairie du Perreux et sa
place à l’Assemblée nationale à son
adjoint au maire et suppléant au Palais
Bourbon, Gilles Carrez, en lui disant :
« Gilles tu es maintenant député, c’est
ta circonscription, je ne reviendrai
jamais ». Michel Giraud changera d’avis
mais reviendra dans la circonscription
d’à côté ce qui permit aux deux compères de siéger ensemble.
Vu son expérience dans la haute fonction publique, il siège depuis 1993 à
la Commission des finances. Il est le
rapporteur général du budget depuis
2002. La présidence de la commission
des finances par un député de
l’opposition ne pose-t-elle pas des pro-
100 milliards d’euros les recettes. Nous
n’avons pas fait d’économies pour 100
milliards. Comme le reflux de la
dépense est très faible, il faut protéger
les recettes ». Faire baisser les dépenses
d’un ministère est encore impossible
pour le Parlement, mais chaque année,
la loi de finances ressort de l’Assemblée
avec 80 à 100 millions d’euros de déficit en moins : « Ça peut vous paraître
peu mais vous n’imaginez pas l’effort
surhumain qu’il y a derrière » dit le rapporteur. Ce dernier n’est cependant
pas très optimiste et affirme : « Les
Français ont la mémoire courte. J’ai
toujours sur moi le discours du 28
blèmes au député ? Un temps réticent
à cette évolution, le consensuel Gilles
Carrez qui s’est entendu hier avec
Didier Migaud comme il s’entend
aujourd’hui avec Jérôme Cahuzac,
avoue désormais : « Avec le recul, c’est
une bonne réforme même si je ne le proclame pas sur les toits… » Normes de
bonne gouvernance, plafonnement
des niches, alerte sur les dérives du
photovoltaïque, aménagement du bouclier fiscal : à chaque fois, c’est dans
cette commission que le débat a commencé. La préoccupation première de
Gilles Carrez est de limiter le creusement du déficit. Son raisonnement est
simple : « Depuis 2000, on a baissé de
décembre 1958 du Général de Gaulle.
De Gaulle est revenu à cause de l’Algérie
mais aussi parce qu’on était sous quasitutelle du FMI et à l’agonie financière… » Gilles Carrez n’aurait pas
refusé le ministère du Budget mais
s’épanouit dans ce rôle d’empêcheur
de tourner en rond. Paradoxalement
ce rôle s’accommode avec celui
d’homme de consensus : missionné
sur le financement du Grand Paris,
son rapport, un temps « mis sous le boisseau », a servi de base à l’accord récent
entre l’Etat et l’Ile-de-France. Finances
et urbanisme : deux passions de Gilles
Carrez qui ne pouvaient pas donner
naissance à un rapport sans suite… ■
Expert en finances publiques
“La vie politique peut se passer de façon
amicale, en travaillant les dossiers, sans
arrière-pensées, de façon transparente”
© J-P Baron
La Revue Parlementaire - Mars 2011 - 47