Allergie aux fruits de mer

Transcription

Allergie aux fruits de mer
M Morisset. L’allergie aux « fruits de mer » Alim’Inter 2008 ;13 :201-7
En français, le terme « fruits de mer » regroupe communément les crustacés d’une part et les mollusques
d’autre part. En langue anglaise le terme « Seafood » regroupe également les poissons (Lehrer SB, Mar
Biotechnol 2003); ainsi, le terme anglais s’approchant le plus du terme français, dans les publications
scientifiques semble plutôt « shellfish ».
Pour préciser la classification des principales espèces animales concernées, il est utile de souligner que les
crustacés dérivent de l’embranchement des Arthropodes dont les sous-embranchements sont détaillés cidessous. Cette classification permet d’objectiver la proximité sur le plan phylogénique entre les crustacés,
les acariens et les insectes.
Embranchement Arthropoda
• sous-embranchement Chelicerata -- Chélicérates
o classe Arachnida -- Arachnides (scorpion, araignées, acariens, tiques...)
o classe Merostomata -- (Gigantostracés fossiles, limules)
o classe Pycnogonida -- araignées de mer
Photo N°1/ Araignée de mer (Maja squinado)
•
sous-embranchement Crustacea ou crustacés
o classe Branchiopoda -- branchiopodes (Daphnie...)
o classe Cephalocarida
o classe Malacostraca – avec notamment l’ordre des Décapodes comprenant les crabes,
crevettes, homard et apparentés.
o classe Maxillopoda -- (Copépodes, Balanes, Pousse-pied...)
o classe Ostracoda -- ostracodes
o classe Remipedia
Photo N°2/ Pousse-pied ou Anatife (Policepes cornucopia)
•
•
sous-embranchement Hexapoda -- hexapodes
o classe Entognatha
o classe Insecta -- insectes (fourmi, abeille, mouche...)
sous-embranchement Myriapoda -- miriapodes
o classe Chilopoda -- (mille-pattes, scolopendre)
o classe Diplopoda -- (mille-pattes, iule)
o classe Pauropoda -- (mille-pattes nains)
o classe Symphyla
Les mollusques correspondent à un embranchement du sous-règne animal des métazoaires supérieurs.
Le phylum des Mollusques créé par Georges Cuvier en 1795, compte actuellement 8 classes de
Mollusques dont 3 concernent notre sujet, les gastéropodes, les céphalopodes et les bivalves.
• Les Solénogastres
• Les Caudofovéates
• Les Polyplacophores
• Les Monoplacophores
• Les Gastéropodes comprenant notamment la famille des helicidae (escargots), des buccinidaes
(buccin) et des littorinidaes (bigorneaux)
Photo N°3/ Buccin (Buccinum undatum)
•
Les Céphalopodes comprennent notamment le groupe des Coléoïdes
pieuvres).
(calamars, seiches et
Photo N°4/ Calamar ou calmar (Loligo vulgaris)
appellé aussi encornet ou supion dans le midi, parfois confondu avec la seiche.
•
•
Les Bivalves . Cette classe comprend environ 12 000 espèces vivant en eau douce et dans toutes
les mers du monde, compte notamment les moules, les huîtres et les palourdes.
Les Scaphopodes
Du point de vue épidémiologique, les fruits de mer sont responsables d’anaphylaxies alimentaires graves,
en particulier chez l’adulte. Dans une étude américaine récente de 601 cas d’anaphylaxie, chez des sujets
de 1 à 79 ans, ils sont enregistrés comme l’aliment le plus fréquemment incriminé, lorsqu’une cause
alimentaire a pu être identifiée (Webb LM, Ann Allergy Asthma Immunol. 2006).
Parmi les 294 observations d’anaphylaxie rapportées au réseau français d’Allergovigilance de 2001 à
2004, 17% sont liées aux crustacés et mollusques (escargots terrestres inclus), ce qui représente plus que
tous les fruits à coque réunis (16%) et l’arachide (11,6%) (Morisset M. et al., Rev Fr Allerg Immunol
2003). Sur les 624 declarations au RAV de 2002 à 2007, ils représentent 14,4 % des déclarations.
L’allergie alimentaire aux USA affecte environ 6% des jeunes enfants (Sampson HA. J Allergy Clin
Immunol 2004) et les fruits de mer sont incriminés chez 0,1% des sujets (Sicherer SH, J Allergy Clin
Immunol 2004). L’allergie aux crustacés qui concerne surtout les adultes, est considérée comme une
allergie persistante, bien qu’une guérison d’allergie à la crevette ait été publiée (Daul C, J Allergy Clin
Immunol 1990).
Les crustacés sont la seconde cause d’anaphylaxie induite par l’effort (Beaudouin E, Allerg Immunol
2006).
La chitine de crevette incorporée dans certains médicaments ou compléments alimentaires, peut entraîner
des réactions chez des sujets allergiques aux crustacés. Ces allergies masquées tout comme les
observations d’anaphylaxie par procuration (Steensma DP. Mayo Clinic Proc 2003), témoignent de la
puissance de cet allergène. Les allergènes de crustacés et de mollusques étant thermorésistant, une attaque
d’asthme par inhalation de vapeurs de cuisson peuvent être observée.
En plus des classiques réactions décrites à l’ingestion de fruits de mer, de nombreuses allergies
professionnelles sont rapportées, en particulier des asthmes professionnels lors de l’exposition aux
crustacés. Les études les plus connues sont celles de Cartier et Malo dans l’industrie du crabe des neiges
(Cartier A, J Allergy Clin Immunol 1984; Malo JL, Clin Exp Allergy 1997).
Durant les 10 dernières années de nombreux progrès ont été faits pour améliorer la connaissance des
allergènes des fruits de mer répertoriés dans le tableau 1. Trois différentes équipes ont identifié la
tropomyosine comme l’allergène majeur de la crevette. (Daul CB, Int Arch Allergy Immunol 1994;
Shanti KN, J Immunol 1993; Leung PSC, J Allergy Clin Immunol 1994). Ultérieurement d’autres études
ont objectivé que cette protéine était également l’allergène majeur du homard (Leung PS, Mol Mar Biol
Biotechnol 1998; Mykles DL, J Muscle Res Cell Motil 1998) et du crabe (Leung PS, J Allergy Clin
Immunol 1998).
La tropomyosine est un allergène non seulement identifié au sein des crustacés mais plus largement parmi
les arthropodes. Elle a été identifiée comme pneumallergène chez les insectes comme la blatte américaine
(Periplaneta americana) Per a 7 (Santos ABR, J Allergy Clin Immunol 1999; Asturias JA, J Immunol
1999), ou les acariens domestiques (Aki T, J Allergy Clin Immunol 1995), cette protéine étant considérée
comme un allergène mineur de Dermatophagoïdes pteronyssinus (Der p 10) et D. farinae (Der f 10).
La tropomyosine a également été identifiée comme l’allergène majeur des mollusques (Leung PS, J
Allergy Clin Immunol 1996). Cet allergène a été étudié chez le calamar (Miyazawa H, J Allergy Clin
Immunol 1996), l’huitre (Ishikawa M, J Food Sci 1998), le bigorneau (Ishikawa M, Biosci Biotechnol
Biochem 1998), ainsi que la moule, la palourde et la coquille St Jacques (Chu KH, Mar Biotechnol
2000).
La tropomyosine est l’allergène majeur non seulement des escargots marins mais aussi des escargots
terrestres: elle a été étudiée chez l’escargot petit-gris (Helix aspersa) Hel as 1 (Asturias JA, Int Arch
Allergy Immunol 2002). Des cas d’asthme aigu grave ont été rapportés chez des sujets allergiques aux
acariens après ingestion d’escargots (Banzet ML, Rev Fr Allergol Immunol Clin 1992) et
l’immunothérapie aux acariens a été mis en cause par certains auteurs dans la survenue d’anaphylaxie aux
escargots sans que cette hypothèse et le mécanisme de sursensibilisation n’ait été vraiment démontrés
(van Ree R, Allergy 1996).
Pen a 1 est l’allergène de crevette probablement le mieux étudié (Reese G, Clin Exp Allergy. 2006).
Cette tropomyosine est un allergène majeur reconnu par plus de 85% des sujets allergiques aux crevettes
(Daul CB, Int Arch Allergy Immunol 1994 ; Ayuso R, Int Arch Allergy Immunol 2002).
La tropomyosine est une protéine de 36-38 kDa, présente dans le muscle de tous les animaux. La structure
de cette protéine a été largement conservée au cours de l’évolution des espèces puisqu’on retrouve 60%
d’identité entre la séquence de la tropomyosine de la crevette et celles des vertébrés pour laquelle aucune
allergénicité n’a été rapportée. Sa résistance à la chaleur et son ubiquité contribue à en faire un puissant
pan-allergène. La primo-sensibilisation aux tropomyosines est probablement induite par une exposition
préalable par voie aérienne comme l’ont démontré Fernandes et al. (Fernandes J, Clin Expo Allergy 2003)
en étudiant 9 sujets juifs orthodoxes allergiques aux acariens mais n’ayant jamais été exposés aux fruits
de mer, en accord avec leur religion. Ces 9 sujets présentaient tous un prick-test positif à la crevette et 2
sur 7 étaient également sensibilisés à la blatte. 4/9 sujets avaient des RAST IgE positifs à la crevette et 3/9
avaient un immunoblot positif à Pen a 1. La fixation des IgE à Pen a 1 est inhibée lors d’une incubation
préalable du sérum en présence d’extrait d’acariens (D. farinae, D. pteronyssinus) ou de blatte
(Periplaneta americana). Cette expérience contribue donc à démontrer la cross-réactivité des
tropomyosines et le primum movens d’une sensibilisation aux pneumallergènes.
La tropomyosine est présente dans toutes les cellules eucaryotes. On la retrouve associée aux filaments
des muscles et dans les micro-filaments des cellules non-musculaires. La tropomyosine, de même que
l’actine et la myosine, jouent un rôle important dans la contraction ainsi que dans la morphologie et le
déplacement cellulaire (Smillie LB. Trends Biochem Sci 1979). La tropomyosine a une structure originale.
Elle est composée de 2 chaînes polypeptidiques comportant des hélices α, embobinées l’une dans l’autre.
Ayuso et al. ont identifié 8 principaux épitopes au sein de Pen a 1 (Ayuso R, Int Arch Allergy Immunol
2002).
Table 1: Principaux allergènes identifiés dans les fruits de mer
Inspiré de Lehrer SB et al. Mar Biotechnol 2003; Ree-Kim L et al. Seafood allergy. Curr Opin Allergy
Clin Immunol. 2004 et Ferreira F et al. Allergy 2004.
Origine
Protéine
C r e v e t t e r o y a l e g r i s e Tropomyosine
(Penaeus aztecus)
Nomenclature
Pen a 1
PM
kDa
36
Références
Daul et al., Int Arch Allergy
Immunol 1994
Crevette glissante
(Metapenaeus ensis)
Crevette
Penaeus indicus
Crevette neptune
(Parapenaeus fissurus)
Crevette (Penaeus monodon)
Tropomyosine
Met e 1
32.8
Leung et al., JACI 1994
Tropomyosine
Pen i 1
34
Tropomyosine
Par f 1
39
Shanti
et
J Immunol 1993
Lin RY, JACI 1993
Tropomyosine
Pen m 1
Crevette (Penaeus orientalis) Tropomyosine
Pena o 1
C r e v e t t e g é a n t e t i g r é e Arginine kinase Pen m 2
(Penaeus monodon)
Crabe (Charybdis feriatus) Tropomyosine
Cha f 1
40
Yu CJ, J Immunol. 2003
32.8
Leung et al. JACI 1998
Homard américain
(Homarus americanus )
Langouste
(Panulirus stimpsoni )
Calamar
(Todarodes pacificus)
Huitre (Crassostrea gigas)
Tropomyosine
Hom a 1
32.8
Tropomyosine
Pan s 1
32.8
Tropomyosine
Tod p 1
38
Mykles et al., J Muscle Res
Cell Motil 1998
Leung et al., Mol Mar Biol
Biotechnol 1998
Miyazawa et al., JACI 1996
Tropomyosine
Cra g 1
Moule (Perna viridis)
Tropomyosine
Per v 1
Bigorneaux (Turbo cornutus) Tropomyosine
Tur c 1
Ormeau
(Haliotis diversicolor )
Bernicle (Haliotis midae)
Hal d 1
49
Lopata et al., JACI 1997
118
Damiani et al. Ann Allergy,
Asthma Immunol 2008
O u r s i n ( P a r a c e n t ro t u s
lividus)
Tropomyosine
Hal m 1
al.
Récemment, un autre allergène, une arginine kinase, de 40 kDa, Pen m 2, a été décrit chez la crevette
géante tigrée Penaeus monodon. Une allergénicité croisée a été observée avec d’autres crustacés (Yu CJ, J
Immunol. 2003). Pen m 2, montre une similarité d’approximativement 90% vis a vis d’arginine kinases
provenant d’autres espèces de crevette (Marsupenaeus japonicus), du homard (Homarus gammarus), et
de l’écrevisse (Procamvarus clarkii). Pen m 2 est néanmoins considéré comme un allergène mineur.
Enfin, pour être tout à fait complet, quelques publications ont fait état récemment, d’allergie IgEdépendantes aux oursins de mer (Damiani et al. Ann Allergy, Asthma Immunol 2008). Les oursins
appartiennent à l’embranchement des échinodermes tout comme l’étoile de mer ou le concombre de mer.
Les oursins sont appartiennent à la classe des échinidés. Tous les oursins ne sont pas consommables. Le
plus couramment consommé est le Paracentrotus lividus. La partie qui est ingérée crue ou cuite,
correspond aux gonades femelles appelées communément « corail » de couleur verdâtre à rouge sombre
selon l’espèce. L’allergène en cause serait une protéine thermostable de 118 kDa dont la nature exacte n’a
pas encore été identifiée.