Les tests cutanés sont-ils dangereux
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Les tests cutanés sont-ils dangereux
16 CoMinh-Demoly.qxd 5/16/05 2:50 PM Page 1 Diagnostic de l’allergie aux médicaments John Libbey Eurotext, Paris © 2005, pp. 16 Les tests cutanés sont-ils dangereux ? Hoai-Bich CO MINH, Pascal DEMOLY Unité d’Exploration des Allergies Service des Maladies Respiratoires - INSERM U454 Hôpital A. de Villeneuve - CHU de Montpellier 34295 Montpellier cedex 5 Des réactions fatales par choc anaphylactique ont été rapportées dans la littérature lors de la pratique de tests sous cutanés depuis 1928 et lors de tests intradermiques sous-cutanés depuis 1929. Par questionnaires obtenus auprès d’allergologues aux États-Unis, six cas de décès dus à des tests intradermiques (ID) ont pu être documentés entre 1964 et 1983. Ils concernaient divers trophallergènes, pneumallergènes et un cas avec le déterminant majeur de la pénicilline G (PPL) et la pénicilline G elle-même [1]. Les tests cutanés (TC) tels que les prick-tests, les tests ID et les tests épicutanés ou patch-tests font partie des moyens diagnostiques fiables de l’hypersensibilité médicamenteuse dans certaines classes. Bien que rares, des réactions systémiques peuvent survenir lors de ces tests cutanés. 16 CoMinh-Demoly.qxd 2 5/16/05 2:50 PM Page 2 HOAI-BICH CO MINH, PASCAL DEMOLY Réactions systémiques lors des tests cutanés aux bêtalactames Les bêtalactames sont les médicaments les plus étudiés dans l’exploration des hypersensibilités médicamenteuses, et pour cause : ce sont de grands inducteurs de ce type d’effets secondaires. Les tests cutanés ont été utilisés depuis 1963 dans de nombreuses études. Ils ont récemment été standardisés par l’ENDA (European Network for Drug Allergy), le réseau européen de l’allergie médicamenteuse [2]. Réactions non immédiates pendant les tests cutanés Des réactions systémiques ont été rapportées dans des études [3-5]. Sur 20 patients, un a eu une éruption exanthématique aux membres inférieurs après des tests ID pour une exploration d’allergie non immédiate aux pénicillines [3]. Schnyder et al. rapportent un exanthème papulovésiculeux généralisé 2 jours après des TC par patch-tests et tests ID [4]. Réactions immédiates pendant les tests cutanés La fréquence des réactions secondaires aux TC à la pénicilline varie entre 0,3 % et 1,4 %. La plupart sont des réactions immédiates. Les accidents graves sont exceptionnels [6]. Des réactions systémiques peuvent survenir lors des TC aux bêtalactames. Les signes initiaux peuvent être marqués par un prurit diffus, un exanthème maculopapuleux, un angio-œdème, une raucité de la voix et des vertiges, puis des signes plus évolués peuvent apparaître, comme une tachycardie, des douleurs abdominales, une dyspnée, une hypotension artérielle [2]. Dans une étude de 1964 sur 16 239 patients, 5 d’entre eux ont eu des réactions généralisées après tests intradermiques [7]. Finke et al. rapportent, en 1965, trois réactions systémiques sur 217 patients (1,4 % des patients ayant eu des TC et 6,8 % de ceux avec des TC positifs) ayant eu des tests ID [8]. Dans les années 70-80, 3 réactions fatales ont été décrites après scratch tests et tests ID aux pénicillines par Van Dellen 16 CoMinh-Demoly.qxd 5/16/05 2:50 PM Page 3 LES TESTS CUTANÉS SONT-ILS DANGEREUX ? 3 [9, 10]. Dans une étude de Green et al. de 412 patients ayant eu des tests ID positifs, trois ont eu des réactions systémiques (2 urticaires, 1 anaphylaxie), soit 0,7 % des patients avec TC positifs et 0,2 % des patients testés [11]. Sur 740 TC positifs dans une étude de Sullivan et al., 4 (0,85 % des patients avec TC positifs et 0,5 % des patients testés) ont été accompagnés de réactions généralisées : une éruption généralisée prurigineuse, trois urticaires. Ces réactions ont été provoquées après tests ID, sauf pour un patient ayant réagi après un prick-test [12]. Gadde et al. ont rapporté 12 réactions systémiques aux TC aux pénicillines sur 5 063 patients testés, soit 0,26 % des patients testés et 9,4 % des patients avec scratch-tests ou tests ID positifs [13]. Valyasevi et al. ont étudié 1710 patients ayant eu des pricks et des tests ID aux pénicillines (pénicilline G, benzylpenicilloyl polylysine, penicilloate) en rétrospectif : 86 ont eu une réponse positive aux TC dont 2 avec des réactions systémiques, soit 2,3 % des patients ayant eu des TC positifs ou 0,12 % des patients testés. Le premier patient a déclenché une urticaire avec dyspnée 10 minutes après des tests ID positifs aux composants testés. Le second patient a développé une urticaire généralisée avec un délai de 20 minutes après des tests ID à benzylpenicilloyl [14]. Lisi et al. décrivent, en 1997, 2 réactions cutanées généralisées après TC, soit 2 % des TC et 4,2 % des patients avec TC positifs [15]. Dans une étude en Espagne sur 290 patients ayant une allergie démontrée aux pénicillines, 230 (70 %) ont eu au moins un TC positif aux allergènes testés. Onze pour cent des patients allergiques (32/290) ont développé des signes systémiques après ces TC. Trente réactions systémiques sont survenues après les tests ID aux doses maximales ; seulement deux ont été déclenchées par des prick-tests. Les molécules responsables, d’après les TC positifs, étaient l’amoxicilline (50 %), PPL (29 %), MDM (15 %), ampicilline (6 %). Les réactions étaient généralement anaphylactiques (78 %), suivies d’urticaire (15 %) puis de prurit généralisé isolé (6 %) [16]. Un cas d’anaphylaxie immédiatement après tests ID positifs à divers bêtalactames a été publié en 2002. Il s’agissait d’un patient (employé de l’industrie pharmaceutique) ayant une allergie professionnelle connue à la ceftriaxone [17]. En 2003, Nugent et al. rapportèrent une anaphylaxie après un test ID, soit 0,3 % des patients testés et 4,3 % des patients avec TC positifs [18]. Sur toute la bibliographie trouvée de 1963 jusqu’à nos jours, seuls trois patients ont eu des réactions généralisées après prick-tests aux bêtalactames. Elles sont donc extrêmement rares. Dans notre expérience, sur 129 patients testés avec des tests cutanés positifs, 15 ont eu une réaction systémique, quatre pendant des prick-tests. Ces réactions ont été parfois sévères avec trois chocs anaphylactiques. 16 CoMinh-Demoly.qxd 4 5/16/05 2:50 PM Page 4 HOAI-BICH CO MINH, PASCAL DEMOLY Réactions systémiques lors des tests cutanés aux autres médicaments Dans notre base de données, nous avons une patiente ayant fait un probable syndrome d’hypersensibilité ou DRESS après prise de Pyostacine®, Mucomyst® et Tixair®, avec fièvre à 39°C°, hyperéosinophilie à 650/mm3, exanthème maculopapuleux généralisé associé avec des œdèmes du visage, des membres supérieurs et inférieurs ayant duré 3 semaines. Le prick-test à la Pyostacine® a été très positif avec extension à la totalité du membre supérieur et apparition d’éléments maculopapuleux sur le visage et les membres inférieurs. Les tests épicutanés à la Pyostacine® et au Tixair® sont revenus très positifs (++ ou +++). Les curares sont la cause la plus fréquente d’hypersensibilité allergique pendant une anesthésie générale. L’exploration allergologique comprend des prick-tests et des tests ID à l’ensemble des curares disponibles. Les réactions systémiques sont rares après tests cutanés. Quelques cas ont été publiés après TC à l’atracurium (3µg/mL) et au vécuronium (20 µg/mL), à des concentrations inférieures aux concentrations maximales autorisées [19, 20]. La Société française d’Anesthésie et de Réanimation ainsi que l’ANAES ne préconisent pas d’arrêt de bêtabloquant avant ces tests cutanés [21]. Dans un cas clinique récent, une patiente a présenté une anaphylaxie 15 minutes après pose d’un patch-test au diclofénac (dilué à 1 %). Elle avait une histoire de choc anaphylactique immédiatement après une prise de diclofénac en suppositoire [22]. Nous avons rapporté ici l’existence de réactions systémiques après tests cutanés (prick-tests, tests intradermiques, patch-tests) médicamenteux. Elles comprennent non seulement des réactions cutanées généralisées, mais aussi des réactions anaphylactiques et même des décès. Malgré leur fréquence faible, la survenue de réactions généralisées doit nous faire réfléchir sur les conditions des tests médicamenteux ainsi que sur les précautions nécessaires à prendre chez certains patients. L’identification de ces patients à risque est importante. Références 1. Lockey RF, Benedict LM, Turkeltaub PC, Bukantz SC. Fatalities from immunotherapy (IT) and skin testing (ST). J Allergy Clin Immunol 1987; 79:660-77. 2. Torres MJ, Blanca M, Fernandez J, Romano A, de Weck A, Aberer W, Brockow K, Pichler WJ, Demoly P. Diagnosis of immediate allergic reactions to beta-lactam antibiotics. Allergy 2003; 58: 961-72. 16 CoMinh-Demoly.qxd 5/16/05 2:50 PM Page 5 LES TESTS CUTANÉS SONT-ILS DANGEREUX ? 5 3. Torres MJ, Sanchez-Sabate E, Alvarez J, Mayorga C, Fernandez J, Padial A, Cornejo-Garcia JA, Bellon T, Blanca M. Skin test evaluation in nonimmediate allergic reactions to penicillins. Allergy 2004; 59:219-24. 4. Schnyder B, Helbling A, Kappeler A, Pichler WJ. Drug-induced papulovesicular exanthema. Allergy 1998; 53:817-8. 5. Machet L, Vaillant L, Dardaine V, Lorette G. Patch testing with clobazam: relapse of generalized drug eruption. Contact Dermatitis 1992; 26:347-48. 6. Haouichat H, Guénard L, Bourgeois S, Pauli G, de Blay F. Les tests cutanés dans l’exploration de l’allergie à la pénicilline. Rev fr Allergol 2002; 42:779-92. 7. Brown B, Price E, Moore B. Penicilloyl-polylysine as an intradermal test of penicillin sensitivity. JAMA 1964; 189:599-604. 8. Finke SR, Grieco MH, Connel JT, Smith EC, Sherman WB. Results of comparative skin tests with penicilloyl-polylysine and penicillin in patients with penicillin allergy. Am J Med 1965; 38: 71-82. 9. Van Dellen RG, Gleich GJ. Penicillin skin test as predictive and diagnostic aids in penicillin allergy. Med Clin North Am 1970; 54:997-1007. 10. Van Dellen RG. Skin testing for penicillin allergy. J Allergy Clin Immunol 1981; 68:169. 11. Green GR, Rosenblum AH, Sweet LC. Evaluation of penicillin hypersensitivity: value of clinical history and skin testing with penicilloyl-polylysine and penicillin G. A cooperative prospective study of the penicillin study group of the American Academy of Allergy. J Allergy Clin Immunol 1977; 60:339-45. 12. Sullivan TJ, Wedner HJ, Shatz GS, Yecies LD, Parker CW. Skin testing to detect penicillin allergy. J Allergy Clin Immunol 1981; 68: 171-80. 13. Gadde J, Spence M, Wheeler B, Adkinson NF Jr. Clinical experience with penicillin skin testing in a large inner-city STD clinic. JAMA 1993; 270: 2456-63. 14. Valyasevi MA, Van Dellen RG. Frequency of systematic reactions to penicillin skin tests. Ann Allergy Asthma Immunol 2000; 85:363-65. 15. Lisi P, Lapomarda V, Stingeni L et al. Skin tests in the diagnosis of eruptions caused by betalactams. Contact Dermatitis 1997; 37:151-4. 16. Torres MJ, Romano A, Mayorga C, Moya MC, Guzman AE, Reche M, Juarez C, Blanca M. Diagnostic evaluation of a large group of patients with immediate allergy to penicillins: the role of skin testing. Allergy 2001; 56:850-6. 17. Hausermann P, Bircher AJ. Immediate and delayed hypersensitivity to ceftriaxone, and anaphylaxis due to intradermal testing with other beta-lactam antibiotics, in a previously amoxicillin-sensitized patient. Contact Dermatitis 2002; 47:311-12. 18. Nugent JS, Quinn M, McGrath CM, Hrncir DE, Boleman WT, Freeman TM. Determination of the incidence of sensitization after penicillin skin testing. Ann Allergy Asthma Immunol 2003; 90:398-403. 19. Aldrete JA. Allergic reaction after atracurium. Br J Anaesth 1985; 57:929-30. 20. Farrell AM, Gowland G, McDowell JM, Simpson KH, Watkins J. Anaphylactoid reaction to vecuronium followed by systemic reaction to skin testing. Anaesthesia 1988; 43:207-29. 21. Reducing the risk of anaphylaxis during anaesthesia. Abbreviated text. Ann Fr Anesth Réanim 2002; 21:S7-23. 22. Jonker MJ, Bruynzeel DP. Anaphylactic reaction elicited by patch testing with diclofénac. Contact Dermatitis 2003; 49:114-5.