COGNIN dans l`Histoire des communes savoyardes
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COGNIN dans l`Histoire des communes savoyardes
Histoire des communes savoyardes Tome I : Chambéry et ses environs, le Petit Bugey COGNIN Appellation médiévale: Cohonnium ou Codonianum ou Cogninum (domaine du nommé Codonius ou colonie grecque venant de Kydonia , cité de Crète, patrie du Coing - à moins que ce ne fût , selon l'hypothèse du chanoine Secret, le domaine d 'un chef burgonde Coni ou Kuhn, le hardi ... Habitants : les Cogneros. Population: 1399, 52 feux - 1470, 40feux - 1561 , 417 hab. - 1672 , 400 communiants - 1776, 424 hab. 1806, 736 hab. - 1848, 1290 hab. 1911, 1529 hab. - 1936, 2533 hab. 1976, 5 753 hab. - 1978, 6855 hab. Altitude: 290 m au chef-lieu, étagée de 266 à 390 m. Superficie: 448 ha. 2,5 km de Chambéry. Pendant la Révolution, canton de Chambéry, après 1800, canton de Chambéry-sud - 1816-1818, mandement de Chambéry - 1818-1860, mandement de La Motle - Depuis 1860, canton de La Motte. La paroisse dépendait de l'archiprêtré de Saint-Pierre de Maché de Chambéry, puis de celui de la Métropole. Ham ea ux et lieux-dits : le Biolai, le Bois, les Capucins, la Cardinale, Chalod, Champrond, Chiron , les Chevronnes, Cognin, les Combes, Corinthe, l'Eglise, Eoret, Forezan, les Grandes Terres, Lode, chez Manet, les Mollasses, Mt -Charvin, la Pintaz, Pont d'Hyères, Pt St-Charles, les Raniers, la Ratière, Salins, la Thiolière, Villeneuve, Vieux Pont. Une histoire aussi riche qu'ancienne Un carrefour ancien tion romain e, c'est ici que partait par le Forezan la vo ie secondaire (actus), qui menait les voyageurs vers l'actuel Mont-Saint-Mich el et par là dans le bassin d' Aiguebelette pendant que la voie principale prétorienne, qui avait longé la colline de Jacob et traversé l'Hyère au niveau du vieux pont actuel, se poursuivait vers Les Echelles en su ivant le coteau de Vimines. L'embranchement se situait sans aucun doute au niveau de l'église actuelle, d'o ù l'importance de la découverte archéologique en 1970 d'une ville gallo-romaine occupée du le, au IVe siècle et qui révéla des marbres, des pavements et des moulures attestant de sa grandeur, c'est d'ailleurs dans ce li eu que l'on ava it découvert autrefois une urne cinéraire et des monnaies. L'o n n'avait pas pu ne pas profiter de ce carrefour, mais hélas! bien des preuves en restent dissimulées ou perdues. Plus tard la route du col déclina, mai s Cognin ne perdit pas sa fonction traditionnelle, en effet , pendant les longs siècles où l' Hyère et la Leysse formaient au fond de la cluse des marais difficiles à traverser, il fallut bien passer par Cognin pour all er de Chambéry à La Motte-Servolex et de là au Bourget et au col du Chat. Le nom même de Cognin est attaché au clos de l'église: n'y avait-il pas ici jusqu'au XIXe siècle un vieil édifice, qui serva it de presbytère et qui ava it été la maison forte de Cognin appartenant à une viei ll e famill e féodale du même nom ? Enrichie sa ns doute par le péage sur la grande route, cette fam ill e ne put qu e décliner lorsq ue les Savoie s'établirent à Chambéry. Cognin tire so n ancienneté de sa position de carrefour. Sous l'occupa- 145 Sous la direction de Philippe PAILLARD, avec la collaboration de Michèle BROCARD, Lucien LAGIER-BRUNO, André PALLUEL-GUILLARD Editions Horvath, Roanne, 1982 1 sur 7 Histoire des communes savoyardes L'église et le couvent La paroisse est mentionnée pour la première fois en 1107. L'église ancienne était consacrée à saint Pierre (e ll e fut reconstruite en 1830 un peu p\lus loin de la grande route qu 'auparavant). En 1700 le curé se plaint amèrement de la négligence des paroissiens à venir à l'office ici à cause du voisinage de Chambéry et des Capucins. Ceux-ci étab lis depuis 1575 à côté d' une antique chapelle fondée par Anne de Chypre près du vieux pont y restèrent jusqu'à la Révolution et leur couvent de ChambéryCognin fut non seulement la maison mère de leur rayonnement dans toute la région jusqu'en Val d'Aoste, mais aussi un grand centre de piété populaire. La route et les ponts Cognin retrouva prospérité et célébrité après la construction de la route des Echelles par Charles-Emmanuel II en 1671. Le vi ll age fut dès lors un actif centre-relais pour les voyageurs et les voitures, le duc avait fait construire en amont le pont Saint-Charles (comme avait écrit l'auditeur Balland chargé de la route « afin que cette dénomination puisse servir à la postérité de mémoire des libéralités et des bontés que Votre Altesse Royale a pour ses sujets ... »). Ma lheureuse ment l'ingratitude, la négligence et le souci de modernité ont provoqué la destruction de ce pont aux lendemains de la première guerre et il ne reste rien de ses deux arches, et de la stèle qui ornait son parapet avec un grand écusson de Savoie entouré du coll ier de l'Annonciade. Seul subsiste à l'autre bout du pays le pont Vieux ou pont Notre-Dame du fait de la chape ll e voi- Tome I : Chambéry et ses environs, le Petit Bugey sin e. « Avec ses deu x culées qui font le dos-d 'âne, avec ses deux arches en plein cintre et les éperons aigus de sa pile, il est intéressant ce vieux pont que le conseil de Cha mbéry délibéra de reconstruire en 1499 » <Pérouse). Il fut achevé en 1503 so us l'invocation de Jésus-Maria comme l'atteste une inscription sur la stèle, qui marquait autrefois au milieu même du parapet la limite des deux communes. Châteaux et grands propriétaires Co mme toutes ses voisines, Cognin fut très vite le domaine d'élection des bourgeois et des nobles chambériens pour leurs résidences estivales. Le manoir de Montcharvin garde le che min de Vimines. Humbert de la Salle, mestral de Coux et de Vimines, avai t déjà vendu, en 123 1, sa maison de C hambéry à la riche famille bourgeoise des Bonivard, ceux-ci anoblis leur achetèrent plus ta rd Montcharvin qu'ils remanièrent entièrement. Par la suite, Janus de Duyn, baron de la Val d'Isère, vicomte de Tare ntaise s'en rendit propriétaire en épousant une Bonivard ; peu de temps après , en 1525 les de la Forest de la Barre l'acquirent par héritage et en restèrent les maîtres jusqu'au XVIII e siècle. Même évolution chez les Chabod que chez les Bonivard, de l'autre côté de l'H yère au château de Villeneuve, Jacques C habod, d'une vieille famille chambérienne enrichie dans le négoce s'était rendu maître du domaine en le réglant aux ClermontMont-Saint-Jean de bonne noblesse dauphinoise et dont c'était depuis fort longtemps le premier fief savoyard. Barthélémy, fils de Jacques , seigneur de Lescheraines et président de la Chambre des Comptes se 146 Sous la direction de Philippe PAILLARD, avec la collaboration de Michèle BROCARD, Lucien LAGIER-BRUNO, André PALLUEL-GUILLARD Editions Horvath, Roanne, 1982 2 sur 7 Histoire des communes savoyardes Tome I : Chambéry et ses environs, le Petit Bugey Sous la direction de Philippe PAILLARD, avec la collaboration de Michèle BROCARD, Lucien LAGIER-BRUNO, André PALLUEL-GUILLARD Editions Horvath, Roanne, 1982 3 sur 7 Histoire des communes savoyardes fit rembourser de ses avances pour le couronnement de l'antipape Félix V (l'ex-duc Amédée VII!) en se faisant octroyer par le duc Louis un gigantesque fief, autour de sa maison jusqu'aux Charmettes sur toute la colline\ voisine englobant Salins, la Peysse et Bellecombette. Cependant s'ils restèrent à Jacob, les Chabod perdirent Villeneuve. Au XVIIe siècle, le domaine appartenait aux Bruyset puis à leurs héritiers les Regard, qui prirent le titre de comtes de Villeneuve, seigneurs de Montagnole et de Bellecombette. Le château a perdu ses tours, mais a conservé ses ai les et ses deux cours séparées par un mur à élégantes arcades et surtout sa vue splendide sur tout le bassin du Bourget. Le manoir voisin de Salins a lui aussi dû appartenir au XIIIe siècle à l'antique famille de Villeneuve. De même il était au siècle su ivant entre les mains d'une riche famille bourgeoise les Candie, que la faveur ducale anoblit comme les Bonivard et les Chabod. En 1502 il fut vendu au drapier chambérien Dieulefis dont le petit-fils et héritier Jean Piochet de récente noblesse de robe, était déjà propriétaire de la maison forte de Salins à Saint-Jean-d'Arvey, co nfu sion qui pe rmit de donner le nom de cette dernière au manoir de Cognin. Jean , qui éta it homme de lettres, ami de Ronsard et cousin du poète Marc-C laude de Buttet, loua le châtea u en 1588 au sé nateur Antoine Favre, mais les Piochet en restèrent maîtres jusqu'à la Révolution. On ne peut passe r sous silence dans cette énumération, le château de Co rinthe incorporé maintenant dans l'Institut Nat iona l des Sourds, maison de plaisance pour l'humaniste C laude-Louis Alardet, qui se piqua , a u XVIe siècle, de donner un nom grec à son domaine. Par la suite Tome I : Chambéry et ses environs, le Petit Bugey ce fut la demeure des Pobel , du Sénat de Savoie, marquis de SaintPierre, puis des barons de Montfort de Saint-Sulpice et enfin des Vibert de Massingy , qui descendaient euxmêmes des Pobel et qui perdirent leurs biens durant la Révolution. II y a bien d 'a utres vénérab les domaines à C ognin , moins anciens que ces derniers, mais tout . aussi intéressants: sur le coteau · au pied de SaintSulpice, le château de Martinel est un e a im ab le résidence du XVIII e siècle. Sur la route de Vimines, le domaine de Maupas bien abrité derrière un épais rideau d'arbres s'enorguei llit d'avoir abrité le célèbre romancier Henry Bordeaux (\ 870- 1963). II y passait régulièrement ses vacances, il y résida même pendant la guerre et y rédigea une partie de son œuv re et bien de ses romans se situèrent ici (en particulier « la Peur de vivre »), l'écrivain a d 'a illeurs été inhumé à Cognin. Un peu en contrebas sur le Forezan, une belle vi ll a néo-classique appartint autrefois aux Forest. Près de la grande route, amputée de son jardin, la belle maison Dupont de la Forgerie attend d'être fixée sur son sort. Espérons- lui plus de cha nce qu'au château Chiron, où habitaient au X IX e siècle les Cui ll erie-Dupont et qui a disparu récemment, victime des lotissements. SC I ERIE HYDRAULIQUE ENTRE?RISE CHARPUJTES COUtlEqrURES J MENUISERIE Con,n-:.S.1'oe clo Eo!s Benoit B OLLO N Cil s A i n é PRESSOIRS GE . )ü5 S', "! r :':i.:S (" \:ES· Publicité/in X/Xc siècle 148 Sous la direction de Philippe PAILLARD, avec la collaboration de Michèle BROCARD, Lucien LAGIER-BRUNO, André PALLUEL-GUILLARD Editions Horvath, Roanne, 1982 4 sur 7 Histoire des communes savoyardes Une tradition industrielle vieille d'un siècle L'Hyère, son cana l et la gra nd e route ne pouvaient manquer de faciliter un e voca tion industrielle pour Cognin. On eut ici très tôt des moulin s et des tanneries. La tannerie Dumas fondée a u XVIII e siècle, qui tint « un ran g honorable parmi les industries de cette catégorie » <Barbier, 1875), dura jusq u'à la fin du XIX e siècle, et la tradition des min oteries persiste jusqu'à nos jours. La première forme industrielle loca le fut néanmoins le te xtile facil ité par le protectionnisme du gouvernement sarde. La première usine fut ce lle des draps et couvertures de laine pour l'armée, des sieurs Cheva li er et Biard puis des frères Levieux qui employaient ici 160 ouvriers en 1848. Hélas! Perier-Robert eut du mal à se reconvertir après l'annexion, en 1884, 12 ouvriers trava ill aient encore pour la survie de l'établi ssemen t qui d isparut peu après. La draperie Thomas créée en 1869, plus modeste que la précédente et mieux adaptée aux Joseph OP/NEL (/872 - /960) Tome I : Chambéry et ses environs, le Petit Bugey nouvelles réalités résista mieux aux crises et ne disparut que pendant la deuxième guerre. En 1864 Berthaud et Champenois reprennent le bâtiment de la filature de coton Perreau qui créée avec espoir en 1853, n'a pas su, elle non plus, survivre aux modi fication s économiques et commercia les. Ils y établ issent un ate li er de ti ssage de la soie en liaison avec la Fabrique lyonnaise. En 1875, 130 ouvriers, travaillant 12 heures par jour, produ isent avec 250 métiers mécaniques 360000 m de ti ss us par an . «No us ajouterons, écrit alors Barbier, que les soi ns attent ifs et la bienvei ll ance dont le propriétaire fait preuve pour le bien-être de ses ouvriers, ne pourront qu'avoir un bon effet pour le développement de leur établissement en vulgarisant le travail à l'usine peu familier encore dans le pays ... » Certes, l'établissement fut plus durable que bien d'autres créations éphémères qui émai ll èrent la vie de la co mmun e, comme la fabrique de chapeaux créée ici en 1854 ou l'atelier de confection Barut au début du siècle; Il n'empêche que les cri ses et les guerres du XXe siècle vinrent irrémédiablement à bout de la vocation textile de Cogn in. On avait cependant d'autres atouts: scieurs, charpentiers et menuisiers alimentés par le bois des villages voisins, ont prospéré ici depuis longtemps et la menuiserie DemuthCarlesso employa près d'une centaine d'ouvriers jusqu'en 1980. Quelques activités ont néanmoins donné un certain renom à Cognin: une ri zerie au début du siècle, et surtout la poterie Schlibs créée par un Silésien en 1840 et qui dura ici sur cinq générations, mais la plus célèbre demeure bien sûr, la coutellerie Opinel : cette entreprise mauriennaise, passée à 149 Sous la direction de Philippe PAILLARD, avec la collaboration de Michèle BROCARD, Lucien LAGIER-BRUNO, André PALLUEL-GUILLARD Editions Horvath, Roanne, 1982 5 sur 7 Histoire des communes savoyardes Cognin au début du siècle, ne cesse avec 150 ouvriers (deux fois plus qu ' il y a dix ans) de produire des couteaux au manche de bois connus dans le monde entier, produit typique d'une vieille tradition métallurgique savoyarde habilement adaptée au monde moderne (il y en a si peu!). Cognin n'est plus la seule commune industrielle de la banlieue chambérienne, mai s elle peut se targuer d' en être la plus ancienne et la plus originale. Une vocation enseignante En 1844, l'actif curé Fasy, qui avait déjà construit le cimetière et le presbytère, décida de faire venir à Cognin deux frères des Ecoles Chrétiennes afin d' instruire « une jeunesse aussi abondante que pauvre ». Il leur fallut attendre 1863 pour édifier grâce à l'aide des notables locaux le premier bâtiment scola ire (qu i laïcisé, devint plus tard la mairie-école) . Victimes des lois anticléricales, les frères construisirent successivement trois écoles libres jusqu'à la Tome I : Chambéry et ses environs, le Petit Bugey mort du dernier d'entre eux , le frère Ozier en 1919, mais la tradition d'un enseignement confessionnel dura encore longtemps ici. Entre-temps, les Lassaliens avaient établi en 1862, dans l' ancien domaine de Corinthe, la première institution savoyarde pour les enfants sourds et muets. L'initiative remontait certes à 1840 et à la création à Chambéry d'une petite école par la genereuse Mlle Barthélémy. Les frères en avaient pris la charge en 1845 et avaient obtenu pour ell e la protection royale avant de la transférer à Saint-Louis du Mont dans l'ancien petit séminaire au-delà de Lémenc, puis à Cogn in. Certes en 1866, Victor Duruy chassa les frères de l'établissement, mais il continua néanmoins à prospérer, devenu actuellement un des quatre instituts nationaux pour la réducation des nonentendants, mais aussi centre d'enseignement classique et techniqu e à part entière. Un collège agricole en 1965 et un c.E.S. dix ans plus tard sont venus encore compléter cet équipement sco laire aussi original qu'ancien. Cognin au début du siècle après . Une commune champignon . . . Sous la direction de Philippe PAILLARD, avec la collaboration de Michèle BROCARD, Lucien LAGIER-BRUNO, André PALLUEL-GUILLARD Editions Horvath, Roanne, 1982 6 sur 7 Histoire des communes savoyardes Tome I : Chambéry et ses environs, le Petit Bugey Et maintenant ... La commune est en passe de devenir partie intégrante de l'agglomération chambérienne. Déjà en 1832, la circul atio n avait exigé le doublement du vieux pont, et quarante ans plus tard Raverat note : « Ce grand et riche vill age arrosé par l'Hyère semble ne faire qu ' un avec la cité de C hambéry. Sa proximité de la ville, la faci lité de ses avenues, la beauté de ses ombrages, la coquetterie de ses resta urants, guinguettes et bals cha mpêtres en font, les jours de fêtes , le but des promenades de la jeunesse de C hambéry ... » Mais les promeneurs ont été bien vite remplacés par les rés idents et le flot des co nstru ctions a envahi la plaine et les cotea ux. La popul ation , qui avait mis un demi-siècle pour doubler de 1910 à 1960, a encore plus qu e doublé en quinze ans. Les cités nouvelles et les lotissements ont progressivement occupé toute la vallée de l' Hyère. En cinq ans, le parc imm obili er a a ugmenté de 50 %, reco rd du canton et de toute l'agg lom ération avec La Ravo ire et Barby. L'agri culture se réduit de plus en plus aux cultures maraîchères, mais il est déjà loin le temps où les paysans venaient approviso nner le march é hebdomada ire de Chambéry avec leurs « baladeuses ». Cogni n s'est délibérément orientée vers l'urbani sation, sa position nat urell e de ca rrefo ur ne pouva it lui faire manquer cette évo luti on décisive. en /98/ . trois générations 151 Sous la direction de Philippe PAILLARD, avec la collaboration de Michèle BROCARD, Lucien LAGIER-BRUNO, André PALLUEL-GUILLARD Editions Horvath, Roanne, 1982 7 sur 7