La mission civilisatrice au Congo

Transcription

La mission civilisatrice au Congo
Évariste PINI-PINI Nsasay
La mission civilisatrice
au Congo : Réduire des espaces de vie en prisons et en enfers.
Préface de Christian Comeliau
Postface de Jean-Pierre Lahaye
2
A vous tous, nos frères et ancêtres,
Morts sous l’odieux régime de la traite négroafricaine et des colonisations multiformes :
-
Réduits à la vie sauvage dans des forêts,
Noyés et asphyxiés dans les eaux profondes des
océans,
Affamés et épuisés par des travaux forcés,
Nous ne vous oublions pas.
3
REMERCIEMENTS
C’est à Marylène Van Laethem et à Émilie Cominelli que j’adresse d’abord mes
remerciements. Elles ont, chacune pour sa part, suscité et organisé la conférence que j’avais
animée à Arlon, en Belgique, le 28 novembre 2008 sur le Congo d’hier et d’aujourd’hui. Le
présent ouvrage est l’approfondissement de cette réflexion. Merci à Christian Comeliau et à JeanPierre Lahaye qui ont relu ce livre et m’ont fait part de leurs remarques. Je remercie également
Monique Sayag que j’ai rencontrée à Antony, en région parisienne, qui m’a toujours encouragé à
écrire et grâce à qui j’ai été en contact avec le Père Bernard Feuillet. Je me rappelle toujours ces
paroles de Bernard à Fontainebleau. « Nous avons besoin que vous nous parliez aussi. »
4
Table des Matières
Table des Matières .......................................................................................................................................... 4
PREFACE .......................................................................................................................................................... 6
Introduction .................................................................................................................................................... 9
Ière partie : Kongo-dyna-Nza de nos ancêtres et l’occupation portugaise. ................................................... 13
Chapitre 1 : KONGO-DYNA-NZA, espace de vie et d’entente. ...................................................... 15
1. Un pouvoir puissant sur la cote ouest africaine. ............................................................. 15
2. Un pouvoir tricéphale ...................................................................................................... 26
3. Le peuplement du territoire ............................................................................................ 30
4. L’unité culturelle du pays kongo ..................................................................................... 33
5. L’origine des peuples du Kongo ....................................................................................... 36
Chapitre 2 : De l’occupation portugaise du Kongo-dyna-Nza à sa dislocation totale. .................. 41
1. Drôles des frères : « Mindele », les méchants envahisseurs venus de la mer. ............... 41
2. « Mindele-ngulu », méchants envahisseurs esclavagistes .............................................. 46
3. « Mindele-ngulu » et la ruine de l’État Kongo. ................................................................ 57
IIème partie. Le Congo-prison. ....................................................................................................................... 66
Chapitre 1 : Concession privée, prison publique. .......................................................................... 68
1. Kinshasa, une prison à ciel ouvert. .................................................................................. 68
2. Le Congo-prison à l’image de l’Afrique-prison. ............................................................... 77
3. Les villages : marginalisés, exclus et combattus. ............................................................. 83
4. La prison catholique. ....................................................................................................... 91
Chapitre 2 : Le syndrome de la caverne et le règne de l’appropriation-privatisation-exclusion
chez les Occidentaux. .................................................................................................................... 96
1. Une haine aveugle et injustifiée ...................................................................................... 96
2. L’appropriation-exclusion, socle de la société anglo-saxonne, occidentale. ................ 110
3. La pieuvre aux multiples tentacules. ............................................................................. 118
IIIème partie : le Congo-enfer........................................................................................................................ 128
Chapitre 1 : Les mindele-ndombe ou les méchants colonisateurs noirs ..................................... 130
1. Un phénomène ancien .................................................................................................. 130
2. De la Force publique au Front patriotique rwandais : la ruine de l’Est du Congo......... 134
3. Une hypocrisie abjecte .................................................................................................. 138
Chapitre 2 : Diriger le pays contre sa propre population ............................................................ 146
1. Le pouvoir pour le vol et les détournements. ................................................................ 146
2. Le pays, conduit à l'agonie……………………………………………………………………………………. 156
5
3. Des intellectuels pervertis, intellectuels perroquets……………………………………………….. 165
IV
ème
partie : La résistance et la lutte pour le Congo libre et digne. ........................................................... 177
Chapitre 1 : La résistance dans le Congo ancien.......................................................................... 178
1. La résistance par les armes............................................................................................ 178
2. Ndona Nsimba Béatrice ou la Saint Antoine du Kongo, la redoutable prophétesse. ... 180
Chapitre 2 : la résistance pacifique face à l’occupant nouveau .................................................. 185
1. Simon Kimbangu, l’étonnante histoire d’un envoyé de Dieu........................................ 185
2. Patrice-Emery Lumumba, l’homme des années 1960-1961, celui qui a mis la
colonisation belge chaos debout....................................................................................... 202
3. 1+4 = 0, la énième révolte du peuple congolais contre l’occupation étrangère. ......... 227
Conclusion : Renouveau du Congo, espace de vie et de liberté. ................................................................ 242
Annexe ........................................................................................................................................................ 254
Postface ....................................................................................................................................................... 304
Bibliographie ............................................................................................................................................... 305
6
PREFACE
Christian COMELIAU
Professeur honoraire à l’Institut Universitaire
d’Études du Développement à Genève.
Le livre qu’on va lire est un témoignage, à la fois engagé, passionné, et ambitieux. Il survole l’histoire
du Congo depuis les temps précoloniaux jusqu’à la période actuelle. Non pour se substituer aux travaux
détaillés des historiens professionnels, mais pour traduire l’effort de compréhension d’un citoyen congolais
qui était encore un enfant au moment de l’accession à l’indépendance de son pays. Il a assumé depuis lors
diverses responsabilités dans la société congolaise - en tant que prêtre, d’abord, mais aussi en tant que
citoyen désireux d’éclairer davantage, par une radio locale, la conscience des ses concitoyens - ; il
est
aujourd’hui curé d’une paroisse rurale en Belgique, avec le projet de revenir prochainement dans son pays
pour poursuivre cette mission de conscientisation. Une expérience riche et multiple, donc, mais aussi un
défi redoutable, parce que l’histoire du Congo depuis plus de cinquante ans a été particulièrement difficile,
chaotique, cruelle même, et donc difficile à comprendre et à interpréter.
Ainsi conçu, le contenu de cet ouvrage ne fera pas plaisir à tout le monde, et risque même de
choquer certains lecteurs. Car il ne ménage personne : il s’en prend aussi bien aux initiateurs de la
colonisation qu’à ceux qui l’ont mise en œuvre, à l’administration coloniale, aux colons et aux
missionnaires ; puis aux responsables politiques qui ont pris le pouvoir au moment de l’accession à
l’indépendance, comme à ceux - nombreux - qui ont profité du système mobutiste ; à ceux enfin qui ne
parviennent pas aujourd’hui à sortir leur pays de l’ornière de la corruption, du marasme et de la misère
imposée à une majorité. Il suggère l’idée que la période post-coloniale au Congo n’est qu’une
conséquence, mais aussi une triste caricature, de la colonisation elle-même.
Aux lecteurs qui vont se sentir heurtés par cette interprétation sans concession, je voudrais
cependant demander, non pas l’indulgence, mais au contraire une large compréhension de la portée de
cet ouvrage. Justement, je le répète, parce qu’il s’agit d’un témoignage, et donc d’une manière personnelle
de ressentir et d’interpréter une histoire qui n’est pas nécessairement acceptée par tout le monde. Mais je
dirais que c’est bien là l’intérêt principal de ce livre : il fait comprendre, par un récit éloquent, comment
7
une population colonisée pouvait se sentir agressée par le refus de reconnaissance de sa dignité que
représentait le système colonial, quelle que soit l’ambition annoncée de ce système. La référence à la
« mission civilisatrice » dans le titre de cet
ouvrage est évidemment une provocation ; mais il est
indéniable que les coloniaux l’avaient proclamée eux-mêmes et avaient fait semblant d’y croire. De plus,
nous avons été abreuvés pendant des décennies, en Europe comme en Afrique, d’écrits et de discours de
propagande à propos de cette mission civilisatrice : pire, nous avons été enfermés - par les institutions
politiques, la structure sociale, les idéologies et la majorité de l’opinion publique - dans une conception de
l’histoire qui nous empêchait de comprendre pourquoi ce système colonial était et a toujours été
éthiquement inacceptable dans son principe. Nous avons donc grand besoin de comprendre pourquoi ce
système a pu soulever de telles violences et laisser jusqu’aujourd’hui un héritage aussi chaotique ; nous
avons grand besoin de comprendre, en d’autres termes, pourquoi l’histoire telle qu’elle nous a été
enseignée était tellement insultante pour des peuples entiers, qui n’avaient jamais demandé de se trouver
associés à une telle histoire. Et si le témoignage d’Evariste Pini-Pini comporte des interprétations qui
peuvent être jugées discutables de certains faits, il faut se rappeler que nous avons, pour notre part en
Europe, admis durant des décennies des interprétations mensongères, et en tous cas parfaitement
inacceptables pour ceux que nous prétendions « civiliser ». C’est en ce sens que ce témoignage est une
contribution importante pour éclairer tous ceux qui ressentent la nécessité de sortir des visions
unilatérales et de la fausse bonne conscience.
Mais en toute hypothèse, de multiples éléments de ce témoignage ne sont pas contestables : ils sont
simplement très mal connus par les commentateurs qui discourent à propos des expériences africaines, en
dehors de la minorité de ceux qui les ont directement vécus ou qui en vivent les conséquences aujourd’hui.
Je pense, par exemple, à la description de la vie des villages en Afrique (surtout lorsqu’elle est comparée
comme ici, avec un certain humour, à la vie des villages ardennais) ; aux violences physiques et au mépris
des vies humaines, que ne rachètent pas certaines politiques humanitaires qui ont suivi ; aux conséquences
de l’appropriation des terres par les plus riches ou les plus puissants ; aux contradictions des Églises, des
missionnaires, des évêques et du clergé ; à l’omniprésence du racisme ; à la pauvreté des médias actuels,
inspirés par les habitudes occidentales ; aux aberrations de l’aménagement – ou plutôt du nonaménagement – urbain dans une ville comme Kinshasa ; au scandale d’un réseau de transports conçu non
pour les populations locales, mais pour la seule exportation des matières premières vers l’Europe ; au rôle
écrasant des grandes sociétés privées ou des organisations publiques internationales ; aux illusions et aux
déceptions de l’émigration vers l’Europe en tant que remède espéré à la pauvreté ; et ainsi de suite… Les
sujets d’incompréhension entre Africains et Occidentaux, mais aussi entre classes sociales au sein des
sociétés africaines, sont aujourd’hui tellement multiples et tellement profonds qu’une œuvre comme celle-
8
ci peut être considérée comment une véritable entreprise de salubrité publique, dans la mesure où elle
nous suggère une interprétation nouvelle. Car cette interprétation est en définitive profondément
troublante, sinon même bouleversante.
Je voudrais formuler un souhait supplémentaire, qui est peut-être le plus important. Car ce livre écrit
par un citoyen Congolais en Europe, sur la base d’une longue expérience en Afrique, s’adresse d’abord aux
populations congolaises elles-mêmes : pour les informer, les faire réfléchir, leur faire prendre conscience
des enjeux très lourds de la situation présente et des perspectives d’avenir de leur pays. Et surtout pour les
inciter à prendre leur part de responsabilité dans l’immense tâche que va exiger la promotion d’un
développement réel du Congo. La portée de cet ouvrage est considérable dans cette perspective : je
souhaite de tout cœur qu’il soit compris à sa juste valeur par tous les responsables et par tous ceux qui
sont directement concernés, dans leur vie de tous les jours, à commencer par les habitants de la
République Démocratique du Congo.
Je remercie personnellement l’auteur de cet ouvrage, qui est un ami et qui vient d’un pays où j’ai
vécu moi-même de nombreuses années passionnantes : je le remercie pour la confiance qui a toujours
marqué nos relations, mais aussi pour la richesse du témoignage qu’il nous livre aujourd’hui, et surtout
pour ses efforts inlassables en vue d’une meilleure compréhension entre les « hommes de bonne volonté »
confrontés aux défis d’une histoire conflictuelle et difficile.
9
Introduction : une bien triste entreprise de déshumanisation.
Dans une interview accordée au journal belge “Le Soir“ sur son livre “Congo, een
geschiedenis,” David Van Reybrouck1, parlant de la situation actuelle du Congo, déclare que « la
décolonisation s’est faite trop tard et l’indépendance trop tôt. »2 Autrement dit si la
décolonisation s’était faite plus tôt et que l’indépendance était intervenue plus tard, certainement
que la situation du Congo serait meilleure qu’elle ne l’est présentement. Les congolais n’étaient
pas suffisamment préparés à assumer la direction de leur pays, entend-on souvent dire par ailleurs.
Il aurait fallu beaucoup plus de temps. Ce point de vue reprend une vieille problématique. Celle de
la mission civilisatrice. Argumentation bien connue, qui est au centre de la controverse entre les
Belges et les Congolais concernant la colonisation. Pour une certaine opinion belge assez
répandue, la colonisation était et demeure une nécessité vue l’état pitoyable dans lequel se
trouvaient les peuples du Congo depuis longtemps. Ils n’avaient rien et ne savaient rien. On parle
pêle-mêle de maladies, de pauvreté, de manque d’éducation, de paganisme, etc.
De ce point de vue, la colonisation était une mission civilisatrice, nécessaire, pour sauver
les malheureux Congolais. La construction des écoles, hôpitaux, routes, chemins de fer,
administrations, etc., concrétise cette œuvre de salut publique. Les colons belges avaient
commencé à bâtir un pays magnifique, entend-on dire aussi. Durant la colonisation le Congo était
si bien. Mais la mission n’a pas été menée jusqu’au bout. Elle n’a duré que quatre vingt ans.
L’indépendance prématurée l’a arrêtée et a replongé le Congo dans le chaos. D’où la situation
actuelle de désarroi que connaît ce pays : instabilité politique inquiétante, insécurité généralisée,
pauvreté économique devenue endémique, aliénation sans mesure, médiocrité culturelle inouïe, etc. La
situation chaotique dans laquelle est plongée le Congo est consécutive à l’impréparation politique,
à vrai dire humaine, de ce peuple. L’indépendance, qu’il a réclamée et obtenue, était, à ne pas
douter, prématurée. Les Belges, quant à eux, avaient bien fait leur boulot. Le bilan de leur mission
civilisatrice est plutôt positif.
1
2
« Jeune et talentueux écrivain flamand, né en 1971, il est auteur de nombreux livres aux récompenses multiples.
De filiation camusienne, David Van Reybrouck sonde la condition humaine en reliant archéologie, éthologie,
philosophie, histoire, poésie et littérature. Son livre “ Congo.Een geschiedenis (Une histoire du Congo) “ a reçu
le prix de littérature AKO et le Prix d'histoire Libris. Ce livre sera traduit en plusieurs langues “européennes“, à
savoir
anglais,
français,
allemand,
norvégien,
suédois,
italien
et
espagnol.
http://www.davidvanreybrouck.com/sommaire_francais.php
http://www.lalibre.be/culture/livres/article/629286/l-incroyable-triomphe-de-congo.html
10
A la fin de « Bruxelles Toussaint 2006 », semaine d’évangélisation de la ville organisée du
18 au 25 octobre à Bruxelles, l'Archevêque de Bruxelles-Malines de l’époque, Mgr Wilfried
Daneels, reçu à la radio publique belge francophone, RTBF, pour faire le point sur cet important
événement, avait dit la même chose répondant à une question sur le célèbre discours de Lumumba
prononcé à Kinshasa (Léopoldville) le 30 juin 1960, jour de l’indépendance du Congo : « …Nous
avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce
que nous étions des nègres… »3 Pour Mgr Daneels, Lumumba avait été excessif parce que les
Belges avaient construit des écoles, des hôpitaux, des routes et des chemins de fer au Congo.
Or le discours de Lumumba étonne justement par son silence à ce propos. Lumumba était
pourtant reconnu comme quelqu'un d’intelligent, voire même d’une intelligence exceptionnelle. Il
ne pouvait que connaître les réalisations dont a parlé Mgr Daneels. Il les avait bien vues tout au
long de sa vie de colonisé partout où il était passé : à Stanleyville (Kisangani), à Léopoldville
(Kinshasa) et à l’intérieur du pays durant ses multiples voyages. Alors comment expliquer son
silence sur ce sujet capital lors de son discours mémorable ?
Au sein de l’opinion congolaise en général, le discours de Lumumba reste toujours
d’actualité. Ce discours rejoignait les aspirations et les attentes profondes de la population vis-àvis de la colonisation. C’est le système colonial, en tant que tel, que ce discours jugeait. Et c’est là
dessus qu’il y a un véritable quiproquo entre les Congolais et les Belges. Quand les Belges
s’attardent sur leurs réalisations ou leur mission civilisatrice, les Congolais voient le système, le
régime colonial.
Pour les Congolais, en général, la colonisation, le régime colonial, est une entreprise de
domination et d’exploitation. C’est la poursuite de l’esclavagisme introduit depuis la traite
négrière du 15ème siècle et dont leurs ancêtres ont été victimes de la part des Européens : Portugais,
Hollandais et Anglais. Ce système là est inacceptable. Pour eux, l’argument des infrastructures
comme justification de la colonisation c’est du vent. Ils accusent la colonisation d’avoir propagé
au Congo des maladies endémiques qui ont décimé des populations autant que la traite négrière,
du fait d’avoir contraint des gens à habiter nombreux aux abords des rivières dans un pays
tropical. Pire, la mission civilisatrice, “portée par les infrastructures“, a été et est toujours en
opposition affichée contre leurs villages, pourtant vrais milieux de vie, construits à base
d’expérience très vieille. Dans aucun village, en effet, il n’y a eu le moindre signe de cette
3
Ce discours qualifié de virulent a été un événement, salué comme tel par toute la population congolaise. Il a
éclipsé les deux autres qui l’avaient précédé et a été relayé dans le monde entier comme étant l’événement du
jour. Depuis lors, l’histoire du Congo indépendant n’a plus été la même, la vie de Lumumba non plus.
11
« mission» dont on ignore toujours les commanditaires. Toutes les infrastructures se sont réalisées
non dans des villages, mais plutôt dans des centres urbains, « bwala mundele », lieux de vie des
Européens eux-mêmes. Le système colonial a non seulement ignoré les coutumes locales très
anciennes, mais les a combattues, sinon interdites. Il s’est approprié, armes à la main, un territoire
immense dont les différents peuples ont été contraints de vivre, enfermées et soumis, à l’intérieur
sans leur avis ni souhait. Ces territoires africains conquis par le Roi Léopold II et dont il s’est
octroyé la souveraineté constituent jusqu’à ce jour un espace clos, une grande prison à ciel ouvert.
Le Congo de Léopold II ou Congo belge, devenu Congo-Kinshasa, est une prison. Les mindelendombe, dirigeants congolais de la mouvance coloniale, l’ont réduit, quant à eux, en enfer pur et
simple. Ils ont accordé ainsi à la colonisation le sursis qu’il recherchait et voulait, c’est-à-dire sa
poursuite. L’organisation coloniale politique, sociale et économique, qu’ils ont héritée et
poursuivie, sans la moindre remise en cause, a ruiné le pays et hypothèque la vie de millions des
personnes.
Plusieurs témoignages contenus dans ce livre confirment cette tragédie. Le système
colonial, qui est l’application sur le terrain de la mission civilisatrice, est la cause première et
principale de la situation chaotique que connait le Congo. L’argument de la prétendue origine
congolaise de la traite ou de l’esclavagisme transatlantique pour corroborer la thèse d’une
incapacité ontologique des Congolais à s’organiser est un mensonge grossier. Ce commerce a
ruiné un pays stable et bien structuré, authentiquement africain, à savoir le Kongo-dyna-Nza. La
mémoire populaire garde intacte le souvenir douloureux de ce commerce inédit.
Ce livre, qui a quatre parties, s’ouvre sur cette page d’histoire autre, histoire simplement
humaine, celle de ce pays de nos ancêtres qui a été un vrai espace de vie au sud-ouest du
continent, rencontré par les Portugais au 15ème siècle et qu’ils ont ruiné à travers la pratique de la
traite négrière. C’est la première partie. La seconde, concerne le Congo de Léopold II, devenu
plutard Congo Belge qui est le Congo-Kinshasa actuel. C’est le Congo-prison. La troisième partie,
le Congo-enfer, présente le Congo des dirigeants congolais dans le géron de la colonisation, dont
Mobutu est le symbole. La quatrième partie rend compte de la résistance des peuples congolais
sous la conduite des leaders charismatiques, face aux occupations portugaises et belges et face aux
Mindele-ndombe.
La conclusion de ce livre est un appel à la réconciliation, sans prétention ni arrière pensée,
entre les Européens et les Africains, prélude d’une paix mondiale attendue par tous et possible de
ce point de vue. Il suggère aux autorités congolaises une démocratie autre, basée sur le modèle
ancestral et une politique des infrastructures, également différente, qui place la personne
congolaise, ainsi que son milieu de vie, y compris le village, au centre de l’action. Car pour la
12
population congolaise, la justice, la liberté et le respect sont des valeurs premières, les piliers, sur
lesquels le pays doit être bâti. C’est le tout premier chantier de la reconstruction du pays. C’est le
cri de cœur des peuples Congolais adressé aussi bien aux Portugais au 15ème siècle qu’aux Belges
au 19ème siècle, en vain.
13
Ière partie : Kongo-dyna-Nza de nos ancêtres et l’occupation
portugaise.
14
15
Chapitre 1 : KONGO-DYNA-NZA, espace de vie et d’entente.
1. Un pouvoir puissant sur la cote ouest africaine.
L’histoire du Congo est souvent vue à partir de l’occupation occidentale et peut même
porter à confusion en s’y identifiant. Cette histoire là est plutôt triste et elle fait souvent pleurer,
car elle a beaucoup endeuillé le Congo et a amené un dépeuplement sans précédent du territoire.
Mais l’histoire du Congo a ses racines dans la lointaine et lente histoire humaine, la vraie. Une
histoire qui n’est pas faite que de lutte et de résistance, mais aussi de construction, de fondement,
d’épanouissement. Histoire dont on ne connaît pas l’origine, mais qui a apparu un jour – jour dont
nous ignorons la date, mais qu’importe- le long de la mer du Kongo4 entre la Namibie et le Gabon
actuels. Histoire formidable des peuples du Kongo, prolongeant celle de leurs aïeux du Hwk Ka
Ptah ou Hat Ka Ptah, Mwene-Mutampa5, Munkamata6, « la maison de l’âme de Dieu », Ai gu
ptos, Aiguptos en grec, Aegyptus en latin, Qbt ou copte en arabe, en français Égypte7. Histoire de
nos ancêtres contée d’âge en âge et transmise de génération à génération. Page d’histoire écrite par
nos ancêtres dans notre âme et dans notre être. C’est notre fierté.
Quand je suis arrivé en France en 2000, mon premier étonnement était la référence
permanente de mes interlocuteurs au nom Zaïre, pourtant définitivement enterré au Congo trois
ans plus tôt, avec l’arrivée au pouvoir de M’zee Kabila Laurent-Désiré8, le tombeur de l’ignoble
Mobutu9, encore populaire en Occident, pourtant définitivement tombé dans l’oubli au Congo.
4
5
6
7
8
9
Raphaël Batsîkama ba Mampuya ma Ndâwla, L’Ancien royaume du Congo et les Bakongo ( LARC),
L’Harmattan, Paris, 1999, p.206
Idem, p.165
Mythique roi yansi dont les origines sont inconnues.
Fwakasumbu Luwawanu, Kimbangu, le plus vieux et le plus jeune des ancêtres de l’humanité,
Bibliorama§Eki International Éditions, Amfreville La Mivoie, 2009, note 6, p. 10.
M’zee Laurent-Désiré Kabila (27 novembre 1939-16 janvier 2001), a été président de la république
démocratique du Congo du 17 mai 1997 jusqu’à sa mort le 16 janvier 2001. Il est connu tombeur de Mobutu
qu’il a fini par faire fuir du Congo avec tout son clan. Une ère nouvelle s’est instaurée au Congo depuis lors
et ce, malgré sa mort prématurée et les multiples obstacles qui se dressent devant la marche de la nation vers
sa
liberté.
http://www.jesuismort.com/biographie_celebrite_chercher/biographie-laurent_desire_kabila3953.php
Mobutu Sese Seko, 14 octobre 1930-7 septembre 1997, président du Congo qu’il va rebaptiser du nom de
Zaïre (fausse appellation du mot Nzadi par les Portugais au 15ème siècle). Mobutu est arrivé au pouvoir à la
faveur d’un coup d’État le 24 novembre 1965. Il est resté au pouvoir durant 32 ans, a eu 19 premiers
ministres différents, certains dont ne sont restés en place que durant deux semaines. Véritable « mundele
16
Mes interlocuteurs avaient du mal à se faire au nom Congo, appelé aussi République
Démocratique du Congo (Rdc). Cette attitude est restée pour moi une énigme jusqu’au moment où
je suis arrivé en Belgique en 2002. Car ici aussi le nom Zaïre était toujours préféré à celui du
Congo. Et Mobutu considéré comme le modèle même des dirigeants congolais.
Après plusieurs échanges, j’ai compris que pour un certain public belge, européen et anglosaxon, assez large, – j’ai rencontré la même réalité au Canada – le nom Zaïre serait plus africain
que celui du Congo. Celui-ci serait une invention de la colonisation belge depuis Léopold II10, le
roi des belges qui s’est attribué le territoire congolais actuel. Toujours d’après cette opinion,
c’était pour rétablir les Africains dans leur droit que Mobutu avait rebaptisé le pays du nom de
Zaïre. Laurent-Désiré Kabila qui a repris le nom du Congo a repris un nom belge, donc
européen. Voilà pourquoi les Occidentaux en général s’en tiennent au nom Zaïre ainsi que le
témoigne le fameux documentaire du cinéaste belge Thierry Michel intronisant à titre posthume
« Mobutu, roi du Zaïre.»11
Pourtant la vérité est tout à fait différente. La première fois que le nom « Congo » apparaît
dans la littérature occidentale remonte au 16ème siècle, à l’époque où des « explorateurs » arrivent
pour la première fois à l’embouchure d’un grand fleuve qui leur fait une forte impression. Plus
tard ils vont donner à ce grand fleuve de son vrai nom « Mwanza »12 le nom de Congo en
référence à l’immense territoire qu’ils rencontrent et où règne un pouvoir puissant. Cet immense
territoire avec un pouvoir puissant était appelé « Kongo- dyna-Nza » ou encore « Nza-di-Kongo »
par ses habitants.13 Se référant à leurs propres traditions, les Portugais désignent les habitants de
ce territoire, qu’ils appellent aussi Royaume, des « Congois ». C’est plus tard que Voltaire les
appellera « Congolais ».14 Kongo-dyna-Nza n’est pas le Congo actuel, même si celui-ci s’y réfère.
Nous sommes donc ici dans une toute autre histoire du Congo.
Le mot histoire ici n’est pas à comprendre dans le sens de « l’histoire linéaire » ayant
débuté à une date précise, avec un fait précis, se déterminant à une personne précise, Jésus-Christ
10
11
12
13
14
ndombe » dictateur hors pair, son régime s’est caractérisé par une corruption sans nom, érigé en unique mode
de pouvoir, et qui a détruit complètement le tissu social du Congo. Aujourd’hui ce mal qu’il a inoculé
gangrène presque l’ensemble de la population congolaise, les dirigeants, tous niveaux confondus, sont
trempés jusqu’au cou. Il faudra une véritable révolution pour venir à bout de ce mal.
Né le 9 avril 1835, il est l’initiateur de l’Association internationale du Congo (1879), ancien Comité d’Études
du Haut-Congo, créé avec le concours du britannique Stanley. C’est un vaste territoire qui regroupe surtout
l’extraordinaire bassin du Congo, la région des grands lacs africains et le haut plateau, territoire riche en
minerais. En 1885, l’association devient « L’État indépendant du Congo » propriété du roi et en 1908,
colonie belge. Léopold II, meurt le 14 décembre 1909.
http://www.monarchie.be/fr/monarchy/history/leopold_II.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mobutu_roi_du_Zaïre
« Le nom du fleuve est MWANZA, celui de ZAIRE est le produit de l’altération du mot NZADI (fleuve,
rivière) par le colonialiste portugais » au 16ème siècle, LARC, p. 158
LARC , p.215
Idem, p.195.
17
en l’occurrence, et tendant vers un but ultime qu’est la société occidentale actuelle, ou
l’évolutionnisme linéaire15 du monde occidental bien connu et issu des « Lumières » et de la
révolution industrielle de Liverpool. Le mot « histoire » ici est à comprendre du point de vue
Kongo et africain en général. C’est-à-dire histoire circulaire dont l’homme d’aujourd’hui ignore le
début et dont il ignore aussi la fin. Histoire dans laquelle l’homme d’aujourd’hui n’est nullement
au centre ni même le centre, mais bien un élément parmi d’autres, peut-être même pas le plus
important. Celle que Théophile Obenga appelle la « Nouvelle Histoire », ou « l’Histoire
écologique de l’homme concernant la nature totale, le monde vivant particulièrement dans son
ensemble…Histoire qui est un dépassement de l’histoire, manifestée selon le mouvement même
de l’univers16 ».
L’histoire du point de vue Kongo ne met pas la personne actuelle au point d’arrivée et ne
se réfère pas non plus à Jésus-Christ ou à tout autre personnage spécifique, unique. Nous verrons
que l’élévation osée de Tata Simon Kimbangu comme le pendant noir de Jésus-Christ occidental
n’est pas Kongo. Car l’histoire du point de vue Kongo ne déifie pas les individus, mais les vénère,
leur rend grâce, pour leurs actions en faveur de la communauté comme l’œuvre libératrice de Tata
Kimbangu. Même quand le Maître dit que chaque ancêtre mort devient l’objet d’un culte : il s’agit
surtout des plus lointains, des plus anciens, dont les enseignements dans le domaine de la vie
sociale, c’est-à-dire dans le domaine de la civilisation, se sont révélés efficaces et qui deviennent
peu à peu de véritables dieux… Ils se détachent ainsi totalement du plan humain, ce qui ne veut
pas dire qu’ils n’ont jamais existé.17 Encore moins qu’ils égalent le Dieu, le Nzambi Mpungu. Un
non initié peut, en effet, le voir ainsi. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. C’est plutôt que dans la
société Kongo l’aujourd’hui est intimement lié à hier et tient compte de demain, même si demain
demeure une énigme. Ceci justifie la place prépondérante qui est accordé aux « anciens », comme
Tata Kimbangu, et non seulement aux ancêtres, dans la société Kongo. Les anciens font partie de
la société au propre comme au figuré. Tout le monde fait partie de la société. La société
d’aujourd’hui est inconcevable sans les anciens qu’on appelle parfois ancêtres. « La société
Kongo, ce sont les morts et les vivants que le lignage unit dans une communion à jamais
indissoluble. La société, ce sont les morts surtout car ils sont les fondateurs du Royaume, lequel ne
peut d’ailleurs subsister sans leur vigilance »18
Les anciens, y compris ceux qui sont morts, constituent l’œil protecteur et normatif de la
société. Ils sont les « vivants par excellence » ; ils se trouvent hors du temps et parmi les
15
16
17
18
Michael Singleton, Critique de l’Ethnocentrisme, L’Aventurine, Paris, 2004, p.45
Théophile Obenga, « Pour une nouvelle histoire », Présence africaine, 1980, p.11
Cheik Anta Diop, Nations nègres et cultures, Présence africaine, Paris, 1979, p. 148-149
LARC, p.242
18
richesses ; ils disposent d’une puissance qui leur permet de commander à la nature et aux hommes.
Dans leur village, situé sous le lit des fleuves ou le fond des lacs, ils peuvent sortir pour se mêler
aux vivants (sans être vus) et orienter le cours des choses.19 Ici le maître mot c’est le respect
envers les anciens. La prétention est bannie chez les jeunes, au sein de la société contemporaine.
Ceux qui sont désignés par le terme souvent inapproprié de morts, ce sont les anciens plutôt.
Il n’est pas rare d’ailleurs que les jeunes dont les aptitudes sont éprouvées fassent partie de
cette catégorie et jouent un rôle déterminant dans la société. Car dit le proverbe : « Kimbuta, ke
nzevo ko » : la barbe n’est pas synonyme de la sagesse. Ou encore « Zankaka mvumvulumvwa » :
des cheveux blancs, il y a lieu de distinguer les véritables des simulacres20. C’est à cause de leurs
actes de bravoure accomplis en faveur du groupe qu’ils sont respectés et cités en exemple. Donc
même si « ‘Nkazi’a Kanda’, mbuta ya Kikanda, (l’aîné du lignage) s’impose le plus souvent par
son âge, il peut aussi se désister s’il remarque dans la famille un jeune plus capable que lui dans
les affaires de la ‘kanda’ ou Kikanda (clan) et de son prolongement, le ‘luvila’ ou lignage. »21
Mon oncle Bukabi Christophe, le frère cadet de ma mère22, quoique très jeune, mais vigoureux,
homme de caractère, prospère, avait été choisi par notre aïeul Miténgwiy Ezana comme futur chef
de lignage alors qu’il y avait d’autres personnes du clan plus âgées que lui. Lui même Mpé Ezana
conduisait le clan tout entier alors que ses propres grands frères étaient encore vivants.
Les qualités humaines sont donc importantes dans la gestion de la communauté. Mais la
communauté, l’union des anciens et des personnes actuelles, est majeure. Dans cette conception,
le présent, le passé et le futur font un. Cette perception de la personne comme ayant un lien
indissoluble avec le passé et l’avenir a produit la perception Kongo de la personne, différente de la
perception occidentale. Ces deux perceptions différentes sinon opposées seront à l’origine du
grave quiproquo dans les relations entre l’Occident et le Kongo comme le dit Ndaywel è Nziem à
propos de la rencontre des peuples Kongo avec les Portugais. « …Il paraît évident que la vue de
l’homme blanc, bien que ce fût une première fois, ne provoqua pas de choc véritable. Au
contraire, le premier contact fut plutôt serein. On supposait volontiers avoir affaire à des
“mindele“23, c’est-à-dire des “revenants“. Il n’était certes pas courant d’en rencontrer mais si cela
19
20
21
22
23
G. Balandier, cité par Aurélien Mokoko Gampiot, Kimbanguisme et identité noire, L’harmattan, Paris,
2004, p.38
LARC, p.241
Idem
Chez nous, chez les Yansi, le terme oncle « Mpé, mampé » est réservé aux frères de la mère ; ceux du
père sont pères comme lui et au même titre que lui.
A propos du mot « Mundele », mindele au pluriel, l’explication la plus plausible est celle donnée par
Batsikama ba Mampuya ma Ndâula. « L’équivalent en français de mundele est envahisseur, du mot ‘undela
(undula), détester, mépriser ; d’ailleurs Blanc se dit bien Mpembe et non Mundele, tandis que l’on a les
19
devait se produire un jour, pensait-on, ils devraient nécessairement se présenter sous cet aspect.
Car l’ancêtre, suivant la cosmogonie des peuples de la côte, habitait au fond de l’océan et s’il lui
arrivait de prendre la forme d’un revenant, il devait nécessairement avoir cette apparence là.
Curieusement Diego-Caô et ses hommes correspondaient à cette vision des choses. C’est cette
méprise étrange qui justifie l’accueil extrêmement serein qui leur fut réservé. La vue des bateaux
(les pirogues des ancêtres) impressionnait en même temps qu’elle confirmait le statut extrahumain
des nouveaux venus, ‘nos anciens revenus chez nous’. C’est cette atmosphère d’euphorie, de
curiosité et en même temps d’assurance qui amenait certains à monter à bord pour visiter les
bateaux. C’est ainsi que pour ramener quelques otages de l’actuel Benguela à Lisbonne afin
d’illustrer sa découverte, ‘ l’explorateur ‘ n’eut qu’à lever l’ancre. Les populations d’Afrique
Centrale, composées de quelques nobles de Soyo, se retrouvèrent de la sorte au Portugal en cette
fin du XVème siècle occidental. »24
Certains observateurs « occidentaux » qui débarquent en Afrique, trouvent les peuples
africains naïfs à cause de l’accueil fraternel qui leur est souvent réservé même quand ils sont à
peine connus. On a encore vu combien le Pape Ratzinger, Benoît XVI, a été accueilli aussi bien
au Cameroun qu’en Angola25 où il s’est rendu dernièrement alors qu’on sait que le Saint Père est
ethnocentriste et que dans son entourage il n’y avait pas d’africains jusqu’il y a peu.26 Même le
président français M. Sarkozy, qui fustige l’Afrique la qualifiant de mystique et d’arriérée, est
reçu partout avec le même enthousiasme. Ce n’est pas qu’aux seuls Occidentaux que cet accueil
est réservé. Il s’adresse à toute personne, à moins bien sûr d’être banni pour une raison ou une
autre. Ainsi l’ancien président occidental du Congo, M. Mobutu, qui avait été porté en triomphe
partout pour avoir revalorisé la culture ancestrale, est mort dans l’indifférence totale, oublié de
tous, à cause du non respect de la parole donnée. Il s’est révélé un usurpateur hors norme des
valeurs traditionnelles sacrées qu’il ne respectait pas. En effet avec toute sa bande des Mobutistes,
il ne respectait rien ni personne. Il avait aliéné la culture ancestrale en la réduisant au culte de sa
personne. Dans ce cas la sanction est très sévère, cela peut tourner même à la vindicte.
Sinon d’une façon générale chez les peuples Kongo, l’accueil de l’étranger est sacro-saint.
C’est ce que rapportent déjà les visiteurs arrivés au Kongo au 15ème siècle. « Les Congolais, sans
avoir crainte ni frayeur des personnes inconnues qui se présentaient, s’approchèrent des Portugais
24
25
26
termes NDÛNDU (de tûnda, peler et Mvêmba, le blanchâtre, pour désigner l’albinos. Op.cit. p. 86. Le mot
« revenant » n’est pas mundele en langue kongo mais « bafwa », les morts.
Ndaywel è Nziem, Histoire générale du Congo, de l’héritage ancien à la République Démocratique,
Afrique-Edition, (HGC) 1998, P.85
Le pape Ratzinger a séjourné au Cameroun et en Angola du 17 au 27 mars 2009 et a été accueilli
partout en triomphe. http://www.afrik.com/article16429.html
http://www.cameroun2011.com/blog/
20
et montrèrent des signes de grande douceur et amitié…27 » L’étranger ne fait pas peur, il est
d’office accueilli et accepté. On partage volontiers avec lui. Chez le peuple Mbala, par exemple, il
est admis qu’un homme puisse manger seul. Mais, même dans ce cas, il est invité à manger non
dans la maison, mais dehors, au vu et au su de tous. De la sorte, tout passant qui aurait faim, peut
s’arrêter pour manger et continuer ensuite son chemin. A un étranger qui arrive chez soi, on donne
d’abord à manger avant toute chose, même avant de lui offrir de la boisson. Car le verre de vin
s’échange lors de la causerie. Et le repas précède la causerie quelle qu’elle soit, bonne ou
mauvaise. Le repas est essentiel. Le partager est un gage d’humanité. Chez nous, on mange
d’abord et on cause ensuite. Même quand on vient pour annoncer un décès ou une autre mauvaise
nouvelle, on est d’abord invité à manger avant toute chose. La tradition instruit le messager
d’attendre d’abord de partager le repas avant de faire son annonce, si grave fut-elle. C’est aussi
pareil chez les Wakonongo de Tanzanie. Michael Singleton raconte une expérience vécue chez ce
peuple. « Non seulement dans mon village, dit-il, nous n’avions point de table ni tout le reste de la
panoplie symbolique qui accompagne le repas en Occident et même dans la culture judéochrétienne, mais nous mangions sans boire, et jamais ensemble comme communauté. J’ai mis du
temps à me faire admettre au sein des notables qui étaient servis en premier lieu, car pendant des
semaines, en tant qu’hôte distingué, on me faisait manger d’abord, et seul. Quand enfin on
m’accepta dans la compagnie des hommes adultes… je me mettais ‘à table’ pour partager en plus
du pain, la parole. Le vieux chef qui m’hébergeait m’a vite fait comprendre que quand on
mangeait on mangeait, un point c’est tout, et que si on commençait à papoter cela n’était pas poli,
et surtout cela risquait de vous obliger à manger froid ou à ne rien manger du tout… le tout ayant
été consommé par des commensaux silencieux. 28» Les amis belges qui sont venus avec moi à
Kinshasa en 2009 et 2010 ont fait la même expérience. Nous étions contraints de manger sans
parler et de manger vite. Car à cause de la chaleur ou de l’obscurité, nous ne pouvions pas manger
dans la maison. Et étant dehors, il y avait souvent des mouches qui nous envahissaient. D’où
l’intérêt de manger assez vite. C’est après le repas que nous causions. Nous devrions aussi
partager notre repas avec de nombreuses personnes qui venaient nous rendre visite et qui
trouvaient tout à fait normal de partager notre repas. Ce qui étonnait parfois mes amis.
Chez nous l’étranger est un frère ou une sœur. Car toute personne humaine est “muntu. “29
C’est une réalité intrinsèque de la société Kongo ancienne et actuelle. Chez le peuple Yansi30 par
27
28
29
LARC, p.24
Michael Singleton, Critique de l’ethnocentrisme, Du missionnaire anthropophage à l’anthropologue
post-développementiste, L’Aventurine, Paris, 2004, p.62
Le terme Kongo “muntu“(bantu au pluriel) a été présenté par certains auteurs occidentaux comme une
caractéristique biologique spécifique des Africains habitant l’Ouest du Continent pour les distinguer des
21
exemple, dès qu’un étranger s’installe au village pour une raison ou une autre, bien souvent pour
des raisons matrimoniales, et s’il désire y habiter, le clan qui l’accueille le conduit en forêt et lui
indique une portion de terre où il pourra faire ses champs. On lui indique ensuite où couper le
bois, les lianes et la paille pour construire sa maison. Deux activités vitales, essentielles. La terre
appartenant à tous ceux qui habitent le village.
Mon propre père, Henri PINI-PINI Manzanza, appelé “Longi’adi“, né à Zumanzo, a vécu
toute sa vie dans le village de ma mère, notre village, depuis leur mariage en 1943 jusqu’à sa mort
en 1999. Ma mère m’a raconté que dès l’arrivée de mon père dans notre village, à We, son oncle
Léonard Miténgwéy Ezan31’, l’a accueilli comme son propre neveu. Notre papa, alors tout jeune,
a fait ses champs à côté des siens et ils ont partagé leurs repas tout le temps jusqu’à la mort de cet
oncle de ma mère qui était aussi notre oncle au même titre qu’à notre maman et à ses frères,
sœurs, cousines et cousins, qui chez nous sont tous frères et sœurs. Tous petits, nous allions
souvent partager le repas de notre papa avec notre oncle, plutôt arrière-oncle. C’est à ce moment
que nous apprenions beaucoup de choses que les deux hommes se disaient ou qu’ils nous disaient,
mon frère et moi, ainsi que le fils cadet de notre arrière-oncle qui avait notre âge. Mon père n’est
pas le seul qui a été ainsi accueilli. Il y a de nombreux autres hommes et femmes des villages
environnants et même de très loin qui ont bénéficié du même accueil. Il y a dans notre village des
hommes et des femmes venus du Kasaï qui s’y sont installés et qui y vivent tranquillement
pratiquant l’agriculture ou le commerce. Il arrive donc même souvent que le chef de lignage, en
concertation avec son entourage, décide d’accueillir des clans entiers de personnes qui viennent lui
demander asile. Il peut leur être attribué un territoire entier où ils vivront librement tout en se
gardant de briguer le pouvoir n’étant pas du lignage. On trouve ainsi plusieurs villages Bambala,
Basongo, Baungana ou Bateke en plein territoire Yansi.
L’accueil réservé aux Portugais, arrivés au Kongo en ce temps là, reste le même accueil
réservé à tout étranger ou groupe d’étrangers arrivant en territoire Kongo depuis lors et jusqu’à ce
jour. L’enthousiasme légendaire des peuples Kongo, leur sens profond d’accueil, leur sourire
permanent, viennent de la vision de l’homme et de l’histoire construites par les anciens et qui se
30
31
autres peuples. Mais chez les Kongo ce terme désigne simplement la personne humaine, toute personne
humaine, homme ou femme, jeune ou vieux, africain, européen, asiatique, américain ou papou. Les Kongo ne
se sont jamais désignés par le terme occidental inapproprié de “noir ou nègre“. Ils s’appelent Bantu, terme
par lequel ils désignent également toute personne de n’importe quel peuple.
Les Yansi est un peuple Kongo. Le terme « Muyanzi » vient du mot Kongo « Munyangi » ou Munyanga, ou
Munanga, venant de Kinânga, de Kiyânga, aussi appelé Kigôyo, Kikyângala autrement dit Mpângala du
Nsûndi de Kôngo-dya-Mpânzu. Bayanzi : cette étiquette désigne encore des « Besi Kinzinga » ou membres
du lignage Kinzinga, mais cette fois par la branche de KYANGALA. LARC, p.211 et 199
Un roi éthiopien du 4ème siècle, fondateur de la ville d'Axoum, portait ce même nom « Aezana ». Basil
Davidson, Les Royaumes Africains, Time-Life Books, Amsterdam, 1982, p.38
22
perpétue. Car le Kongo des ancêtres est une œuvre de très longue haleine et qui a modelé la
société entière. Cette œuvre grandiose a eu une grande influence sur un très large territoire appelé
Kongo-dyna-Nza. En langue « Kikongo », la langue Kongo, « Kongo-dyna- Nza » veut dire le
Kongo dans le monde ou le Kongo aux dimensions du monde.32
Il s’étendait entre la latitude 11/2 Nord et la latitude 22° sud, du 24° de longitude Est à
l’Océan atlantique, la mer du Kongo. D’après Duarte Lopez, cité par Batsikama ba Mampuya,
« Ce royaume est des plus peuplés qu’on puisse voir. » Les Congolais « se multiplient en nombre
incroyable que le roi peut, quand il lui convient, conduire en bataille cent mille soldats et
volontaires »33
La mobilisation des combattants pour la défense du pays est aussi un acquis légendaire de
la civilisation Kongo. Je me souviens encore d’un épisode qui m’a marqué durant mon enfance au
village. Ce devait être durant la rébellion muléliste du Kwilu. Un bruit avait couru au village que
les rebelles, appelés « jeunesse, zenesi » étaient en face de la rivière Inzia et qu’ils s’apprêtaient à
attaquer le village. Sans attendre, il y a eu un appel à la mobilisation générale du village. Jeunes et
vieux ont sorti divers armements et se sont mis en tenue de combat. Nous, enfants, étions surpris
et avions très peur de voir ces hommes transformés qui portaient toute sorte d’armes que nous
n’avions jamais vues. L’alerte s’est avérée fausse et les armes ont été rangées, bien cachées,
jamais à la portée des enfants. Jusqu’à ce jour je n’ai jamais su d’où étaient sorties ces armes ni où
étaient-elles cachées. Les anciens nous ont dit après, que ces armes leur ont été léguées par les
anciens et qu’elles ne servent qu’en cas de « Beta », guerre. Kongo-dyna-Nza est donc un
territoire bien gardé.
Cet immense territoire au pouvoir puissant est composé de trois grandes parties qui
constituent les trois branches de la société Kongo, à savoir Kongo-dya-Mpângala ou Kambamba,
Kongo-dya-Mulaza ou Kimpêmba (Kahêmba), Kongo-dya-Mpânzu ou Kâbangu et la partie
centrale « Zita-dya-Nza » (le nœud, le noyau).34 Ces trois branches ainsi que le noyau forment ce
qu’on peut appeler les quatre provinces ou départements, « Mpemba » ; mais il ne faut pas
comprendre provinces ou départements dans le sens occidental du terme.35 Les départements ici ne
correspondent pas à une délimitation au crayon et compas des territoires, mais ils se réfèrent aux
trois grands moments dans le fondement progressif du pays ou les trois âges du Kongo. A savoir :
le Kongo-dya-Mpangala (1er âge), le Kongo-dya-Mulaza (2ème âge) et le Kongo-dya-Mpanzu (3ème
32
33
34
35
LARC, P.215
LARC, p. 171
LARC, p. 215
Nous verrons d’ailleurs que le monde Kongo « Kongo-dyna-Nza » et le monde occidental dans sa
version « Anglo-Saxonne » sont totalement opposés quant aux origines, aux us et coutumes ainsi qu’à
l’organisation sociale.
23
âge). Le centre du foyer, Zita-dia-Kongo (4ème âge) vient à la fin pour couronner l’achèvement de
l’œuvre entreprise. C’est dans ce quatrième foyer ou département que sera installée la capitale du
Royaume, appelée Mbanza-Kongo, la ville, le rayonnement, le centre, du Kongo. Cette installation
progressive caractérise la plupart des peuples et des royaumes en Afrique. Ce qui témoigne d’un
travail laborieux et patient.
A l’intérieur du peuple Yansi dont je suis issu, peuple de la côte Yangala, du premier âge,
lignage Nzinga36, Kongo-dya-Mpangala, il y a une branche qu’on appelle des « Nsala
bambanda ». Le peuple Yansi fait partie des « Besi Kinzinga, du verbe kikongo « yanzakana,
s’étendre, se répandre, ». Il a immigré plus vers l’intérieur à cause de la traite qui sévissait à la
côte. Dans sa progression depuis la côte de la mer du Kongo, il s’est installé entre les rivières
Kwango et Kasaï, colonisant ainsi les bassins du Kasaï, Kwango, Wamba, Kwilu, Inzia (Nsay).
C’est une région très riche, à la lisière de la forêt équatoriale. Ici aussi l’installation a été
progressive. Il fallait d’abord s’assurer de ne pas être repéré par les marchands des hommes
(esclavagistes), et petit à petit reconstituer l’unité perturbée par la fuite. Ceci sera très difficile car
la crainte de la traite marquait désormais les populations. Il fallait se garder de grandes
organisations
concentrations
ou
afin
d’être
prêt à immigrer encore plus
loin si le besoin se faisait
sentir pour échapper aux
« esclavagistes ».
Mon
grand
père,
Kezobwok, de qui j’ai appris
beaucoup dans mon enfance,
me racontait comment ils
vivaient dans la forêt avec
leurs parents, terrifiés par
l’arrivée
imminente
esclavagistes
des
« Mindele-
ngulu. » Il fallait vivre en petits groupes, éloignés les uns des autres pour ne pas être pris tous
ensemble. C’est à ce moment que le lignage a perdu sa prédominance sur le clan, plus à même
d’assurer la protection d’un petit nombre, étant à taille humaine. C’est en ce moment là aussi, pour
36
LARC, p. 199
24
résister au cauchemar de la traite, que les petites tribus se sont constituées au détriment du grand
peuple. Mais tous les clans, quoique dispersés à travers la forêt, se réclamaient d’un chef unique,
demeuré mystérieux, « Sar37 », mythique, qui serait le fameux chef « Sar » africain, ou le Fari
égyptien, appelé aussi « Pharaon » par les Hébreux. C’est ainsi que cette branche venant de
Kémbâ38 (Mpangala), Kimbanda, appelé plus tard « Tsimbané », va traverser la rivière Nsay
(Inzia) et sera considérée comme les ailes de Kimbanda, « Nsala-bambanda ». La dénomination «
Kembâ, Kemban » est très répandue chez les Yansi. On la rencontre aussi chez les Ambun qui
sont un peuple très proche des Yansi. Sur leur nouveau territoire, étant finalement sortis de la
forêt, les Yansi reconstituent des lignages qu’ils appelent « Kimfûm, Kemwîl » comme le
Kemfûm ‘Ndan ou le Kémwîl Kémob.
Le Kemfûm ou le Kemwîl est un pouvoir auquel un certain nombre des villages se
reconnaissent et sont connus. Ce n’est pas un royaume, mais un pouvoir indépendant, dans un
espace bien limité, plutôt à taille humaine, comprenant 5 à 10 villages, rarement 15, mais dont les
règles de vie sont les mêmes et restent identiques à l’ensemble du peuple Yansi. Ici le chef n’est
pas un potentat, cruel et craint. Au contraire, c’est un sage respecté, tout dévoué pour son peuple
avec qui il partage la condition de vie. Il pratique un métier comme tout le monde. Il a des champs
et de l’élevage, mais il reçoit aussi des tributs suivant la réglementation en vigueur. Plusieurs
branches yansi se sont dispersées à travers le vaste territoire qu’ils occupent actuellement. Parmi
ces branches on peut citer les « Mbiem », les « Bi-Kwango », les « Bi-Niar ou Ngala-ngala », les
« Mputu », « Nsal’Bimban » etc. D’autre part, le pouvoir chez les Yansi se présente sous deux
formes. Il y a le pouvoir temporel, exercé par un clan spécifique à travers un chef reconnu et
respecté comme le célèbre « Mfum’Bay » de Kémfum ‘Ndan » ; il y a aussi le pouvoir spirituel, le
« Nga’musir » qui a pouvoir sur le « Lébwiy », l’esprit de la nature ; il est de ce fait le
« ngalubuy », le prêtre, le médiateur. Il a pouvoir de veiller sur la nature, c’est-à-dire la forêt, la
savane et l’eau, afin qu’elle soit bien traitée pour la survie de l’entité entière. Généralement le
pouvoir spirituel est entre les mains des femmes. Si elle n’a pas des filles à qui léguer ce pouvoir,
la reine-mère peut choisir un de ses fils comme héritier. Ainsi donc c’est le « Nga’musir 39» qui
37
38
39
Le nom le plus répandu de ce chef mythique est « Ta’sar ». Le « ta » étant le petit nom qu’on donne aux
garçons. Le nom étant généralement neutre, on le fait accompagner de « ta » pour les garçons et de « ma »
pour les filles. Ainsi par exemple le nom « Yay » (jumeau) sera « Tayay » pour les garçons et « Mayay »
pour les filles. Il en est de même du nom « Mpwo » (un totem bien connu », il sera « Tampwo » pour les
garçons et « Mampwo » pour les filles. Il en sera de même avec tous les autres noms génériques : Yey, Nzey,
Wab. Il en est de même d’autres noms génériques comme « Boko, Mbiol, Mwil, Nga’a, etc. »
Ce nom de village « Kembaa » est fréquent dans la contrée des Bayanzi. Ce qui témoigne de son origine
lointaine se rapportant au grand territoire Kongo « Mpangala. »
Le ou la « Nga-musir » n’est pas propriétaire de la forêt ou de la savane dont il (elle) s’occupe, mais a
pouvoir sur elle. Il peut avoir plusieurs propriétaires de la forêt ou de la savane et qui seront sous son pouvoir
25
autorise la chasse ou la pêche en se basant sur l’expérience léguée par les anciens. Il veille à
l’équilibre de la nature. Car une nature bien traitée, bien gérée, est préservée et assure ipso facto la
survie de l’entité. C’est le chef spirituel qui intronise le chef temporel, lequel est tenu de respecter
les préceptes de celui-là. C’est lui le véritable garant du pouvoir. « Au Kongo-dyna-Nza, le
pouvoir est une affaire d’investiture, et investiture de l’homme par les hommes et non par
Dieu.. 40» Le chef temporel « mwil’e musie41 » sollicite, par exemple, l’aide et le consentement
préalable de « ngalubuy » pour déplacer un village, distribuer la terre pour les cultures, organiser
une battue, la pêche ou encore fixer le jour de la chasse au feu…42 Le chef de territoire (politique),
le mwil, n’a pas de pouvoir sur la terre en tant que source de vie.43 Au-dessus d’eux se trouve le
peuple, “musie“, qui les suit à la loupe à travers les minièr’i mandwo (les chefs de lignages) et se
tient prêt à dénoncer les éventuels abus. Ceci peut conduire jusqu’à la destitution pure et simple.
Le peuple Yansi tout comme les autres peuples Kongo qui se sont dispersés à cause des
persécutions dues à la traite négrière a mis du temps pour se reconstruire, beaucoup de temps
certainement. Car la construction humaine est un travail de longue haleine. Il y a énormément
d’éléments qui entrent en ligne de compte. Ainsi on peut comprendre aisément que la construction
du grand peuple Kongo ait pris du temps, beaucoup de temps. « La réalisation du Royaume du
Congo dans ses dimensions aussi bien que dans la forme où l’avaient trouvé les Européens,
paraissait une œuvre digne d’admiration.44 »
40
41
42
43
44
spirituel et temporel. Car c’est à lui ou à elle qu’on s’adressera en cas de conflit de terre concernant les
champs, la chasse ou la pêche.
LARC, p. 157
« Mwil’e musie », chef du peuple
Josef Franz Thiel, La situation religieuse des Mbiem, Ceeba II1, 1972, p. 83
Ibidem
LARC, p.175
26
2. Un pouvoir tricéphale
A Kikwit, ville située à 500 km au sud-est de Kinshasa, les populations qui y habitent se
réclament toutes du pays Kongo des ancêtres. Elles disent toutes être venues de Ngola ou de
Kola.45 Une des émissions vedettes de la jeune Radio Tomisa46, « Na kisina na beto, concernant
notre racine, notre origine », avait mis en lumière cette problématique. Les anciens de l’ensemble
des peuples habitant Kikwit, Mbala, Yansi, Pende, Suku, Ungana, Mbund, Kwese, venaient
raconter à la radio comment s’était effectué la migration depuis la côte de la mer du Kongo
jusqu’au pays où ils se trouvent actuellement. Et comment était organisé leur pays d’origine. Une
des révélations qui étonnait et émerveillait les plus jeunes était la maitrise de la métallurgie par les
anciens. Ils racontaient aux jeunes médusés comment leurs ancêtres extrayaient les minerais de fer
et comment ils les transformaient pour fabriquer des outils.
Moi-même, étant tout jeune, à l’âge de 4 à 5 ans, j’ai vu de mes propres yeux comment se
pratiquait ce métier de métallurgiste. Le forgeron, un vieux et son fils, qui habitaient à l’écart du
village, avaient une soufflerie sur laquelle nous étions heureux de nous exercer. Lui nous laissait
faire et avec nos petites mains nous faisions marcher la soufflerie qui faisait fondre les métaux
avec lesquels le forgeron fabriquait des outils. Machettes, houes, haches, et aussi des fusils à feu.
Les anciens qui parlaient à la radio disaient que ces connaissances leur venaient du pays de
leurs ancêtres, le Ngola ou le Kola. Ce Kola ou Kikôla veut dire saison, époque, région des
grandes chaleurs. Tadi-dya-Kola, la pierre de Kôla, la pierre-allumette de laquelle les Anciens
faisaient jaillir le feu. Dans le sens de « pays des origines », il n’est pas impossible que Kôla ait
des affinités avec Kalahari, dit Batsïkama.47 Le témoignage des anciens de Kikwit à Radio Tomisa
rejoint toute la tradition sur l’origine du pays Kongo des Ancêtres. Le premier foyer comprenait
tout l’Angola au sud de la rivière Kwanza. C’était un pays immense dépassant 2.500.000 km2 de
superficie, soit quatre fois plus grand que la France actuelle ou dix fois plus grand que la GrandeBretagne actuelle, et quatre-vingt une fois plus grand que le Royaume de Belgique actuel. Ce
pouvoir puissant a commencé à se constituer dans les environs du Kalahari, car au début les
peuples Kongo désignaient leur pays sous le terme de Kongo-dya-Mpangala Nzundu Tadi. Pays
de pierre et des minerais. Le nom Mpângala, désigne une immense plaine. « Mpângala nseke’a
45
46
47
LARC, p. 197
Radio diocésaine de Kikwit en service depuis 1996.
LARC, p. 183
27
nene, yingila mêso, ke yilungila ntâmbi ko. » Mpangala est une immense plaine que seuls les yeux
sont capables de parcourir et non les pieds. Le nom Mpângala vient de kyângala, chaleur
excessive ou Mbângala ou encore Kikola, d’où le nom Kola et plus tard Ngola. 48 La saison sèche
qui est une saison de sécheresse s’appelle « Mbangala » en référence à ce premier foyer.
Le système politique du pays Kongo est particulier. Le pouvoir est tricéphale. Le monde
Kongo est représenté sous la forme d’un foyer ou trépied sur lequel on allume le feu pour préparer
la nourriture. Chaque pied est important. En retirer un, cause un déséquilibre fâcheux qui
handicape la préparation même de la nourriture. Dans ses débuts le pays Kongo des Ancêtres s’est
organisé autour de trois personnages que sont les trois enfants du « Nkaka ya kisina » grand’mère
originelle, Nzing’a Nkuwu. Deux de ces enfants sont des garçons : VITA NIMI ou Nsaku et
MPÂNZU’A NIMI. Il y a une fille LUKENI LWA NIMI. Ils sont à la base de la grande société
Kongo avec chacun une fonction spécifique. Ainsi Vita Nimi, appelé aussi Nsaku, sarcleur, du
verbe sakula, débroussailler, sarcler, a la charge de la diplomatie. Il aplanit les difficultés et
prépare la voie. Plus tard c’est du lignage Kinsaku que seront désignées les personnalités pour des
missions à l’étranger. Nsaku appelé aussi Masâmba avait également la fonction de prêtre. Ainsi
donc la diplomatie, la prêtrise et la prophétie devinrent des tâches exclusives du lignage Kinsaku.
Le second garçon qui était ingénieux et travailleur, devint forgeron ; ainsi la
fonction des
forgerons fut la charge du Mpânzu. La fille, LUKEMI, aussi appelée NKENGE LUKEMI, la
belle aux chances, avait la noble fonction de perpétuer le clan49. C’est d’elle que devait sortir les
chefs du peuple, c’est-à-dire les chefs de toute la descendance de la mère originelle. Chaque
lignage perpétue la tâche, le don, qui lui a été imparti, à travers l’initiation, système d’éducation
africaine bien connue.
Au fur et à mesure de l’expansion, le territoire Kongo se structure ainsi : Kongo-dya-Mpângala
au nord ; Kongo-dya-Mulaza au sud ; Kongo-dya-Mpânzu à l’est et Zita-dya-Kongo, au centre.
L’ouest était limité par
la mer du Kongo, dit “océan atlantique“. C’est de cette structure
circulaire, ayant un centre au milieu, que vient l’expression « Makukwa matatu malamb’e
Kongo » ou la « trinité, les trois pierres ayant préparé ou formé le pays Kongo » 50 Au sens propre,
les « Makukwa » qu’on appelle aussi « matuka », ce sont trois trocs de termitière, les trois pierres
du foyer qui supportent la marmite quand elle est au feu, les trois supports du trépied. Cette
tradition a traversé des siècles. Elle remonte même à l’époque de l’Égypte ancienne qui a aussi
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comme fondement trois ancêtres : Osiris, Isis et Horus51 qui seraient les premières branches
fondatrices de ce grand peuple. Makukwa matatu est donc une vieille tradition africaine. Une
marmite, on le sait, pour cuire, doit être chauffée par le feu. Et ce qui chauffe c’est la flamme qui a
besoin de s’élever grâce au vent. Ainsi quand une marmite est à une certaine hauteur du feu,
soutenue par un trépied, elle chauffe plus facilement et entraîne ipso facto une cuisson rapide de la
nourriture. Cette découverte a certainement fasciné les anciens qui l’ont prise pour symbole ;
d’abord du foyer, la maison maternelle et plus tard, du lieu même de la fabrique, le centre d’où
rayonne une influence. Les makukwa matatu représentent la grande zone de l’influence Kongo sur
la terre africaine, particulièrement dans sa partie du centre-ouest. Cette influence sur ce grand
territoire a été progressive. Le plus loin que remonte la mémoire populaire situe dans le sud-ouest
africain, la constitution première du premier foyer d’influence Kongo.52 Il va sans dire que
l’extraordinaire richesse de cette région depuis la Namibie jusqu’à l’embouchure du Kongo et plus
haut, a attiré les vagues des migrants venant certainement du nord-est africain comme bien
d’autres et fuyant la désertification accélérée du désert du Sahara.53
Les peuples Kongo, dans leur migration à partir de ce grand foyer à l’Est d’Afrique, se seraient
constitués à partir du sud-ouest, dans l’entre Namibie-Angola actuelles. Ils ont commencé à
devenir nombreux et petit à petit ils ont étendu leur influence sur cet extraordinaire territoire. Cette
région est une région des grandes mines appelée « Mwene Matâmba », écorché, Seigneur des
Mines, connu sous le nom de Monomotapa. Les Kongo l’appelaient aussi Kongo-dya-Mpangala,
Nzundu-Tadi, pays des pierres, pays de minerais. Le régnant de Mpangala s’appelait également
« Ntinu wa mpasi », le chef, propriétaire des richesses, des mines. « Mpasi » signifiant au
demeurant « richesses » et non souffrances comme c’est le cas aujourd’hui.54 Dès ce moment, les
Kongo ont établi une première capitale « Mbanza-Kongo » où fut couronné leur premier Ne
Kongo ou roi Nimi’a Lukeni lwa Nzinga. Cette capitale se déplacera avec les implantations
ultérieures jusqu’à son installation définitive à l’actuelle San Salvador des Portugais, aujourd’hui
sur le territoire angolais.55 L’observateur non averti se méprend souvent, dit Batsîmba, dans sa
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Cheik Anta Diop, Nations nègres et cultures, Paris, Présence africaine, 1979, p. 169
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« Voici huit mille ans, alors que les derniers vestiges de la période glaciaire refroidissaient encore l’Europe,
le Sahara, ce vaste désert de notre époque, était une région très fertile aux grandes rivières pleines de
poissons, aux collines herbeuses foisonnant de gibier. Pendant les six mille ans qui suivirent, vague après
vague, les immigrants occupèrent cette terre accueillante et élaborèrent des civilisations de plus en plus
poussées… Vers l’an 2000 av. J.-C., en rasion de la diminution du flux d’air humide en provenance de
l’Europe méridionale, ou de quelque autre changement climatique, le Sahara commença à se dessécher. »
Basil Davidson, Les Royaumes Africains, Amsterdam, Time-Life Books, 1982, p.43 Cette désertification
continue sa progression inéxorable jusqu’à présent.
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compréhension de la tradition congolaise. Il peut être égaré. Car en général ce qui lui est raconté
comme événement du moment remonte parfois à des milliers d’années bien avant et est resté ancré
dans la mémoire collective des souvenirs lointains transmis de génération à génération56.
L’essentiel ici ce n’est pas la précision des faits, mais la fonction didactique du lien indissoluble
avec le passé fondateur du présent. Car les événements ici ne tirent pas leur légitimité dans leur
précision interne, mais dans leur pouvoir à être transmis, c’est-à-dire dans le rôle qu’ils jouent au
sein de la société présente. Ainsi ils sont réellement intemporels et impersonnels.
Les bases de l’extraordinaire pouvoir Kongo sont posées dès ce moment dans ce premier
foyer. Le nom « Kongo » vient du verbe « Konga » et a plusieurs significations :
-
Konga : chercher, rechercher, se mettre en quête de, explorer.
-
Konga : troupes, foules assemblées : le pouvoir appartenant entièrement au peuple.
-
Konga : tranquiliser, dorloter, endormir, d’où attachement du peuple aux principes de la
paix.
-
Konga : cueillir, récolter, moissonner, appartenance des populations du Royaume à la
civilisation des peuples planteurs.
-
Kongeka, kongika : courber, se réfère à la forme sphérique qu’ils entendent donner à leur
entreprise.57
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3. Le peuplement du territoire
3.1. Kongo-dya-Mulaza
Le pays se consolide, prend racine, et l’occupation progresse vers l’intérieur et vers le
nord. Les peuples Kongo établissent ainsi un deuxième foyer de leur pays qui va de la rivière
Lwangu (Loange) à la rivière Kwangu. Ils donnent à ce nouveau territoire le nom de « Kongodya-Mulaza »58. Leurs nouveaux villages ainsi que les rivières qu’ils rencontrent portent les
mêmes noms que ceux du premier foyer. On trouve des noms des villages tels que Mpangala,
Matamba, Nsongo, Nsuku, Nsundi, Lemba, Kindundu, Kimbongo, Kongo, Kikongo, Kinsasa,
Boko, Kimbanda, Ngombe, Lukuni, Luwanda, Kimpangu, Kimbimbi, Musanda ; et Kwanza,
Mwanza, Lwanza, Kwangu, Lwangu, Kwilu, Likula, Lukunga, Kukala, Nkenge, Mpasa, Kitona,
Zambezi, Lutsima, etc comme noms des rivières.59 La région de Kikwit dont nous avons déjà parlé
se trouve dans cette partie. C’est ainsi que les Bambala, Basuku, Bapende, Bawungana, Basongo,
Bangogo, Bapindi, Batsamba, etc. se sont établis dans cette région qui garde une unité culturelle
très forte.
Pour garantir cette unité culturelle, après avis des explorateurs, le conseil des sages décide
d’installer à travers le pays à créer, des poteaux indicateurs hors d’atteinte, qui doivent servir à le
signaler aux générations à venir.60 Les plus anciens ne s’en cachent pas, au contraire ils affirment
fièrement être venus dans ce foyer à partir de Ngola. La progression est lente et patiente. Il faut
aussi faire face aux dangers multiples dans ces nouvelles aventures. Ainsi la tradition fait état
d’une attaque des gens du pays nouveau qui seraient des aborigènes, peut-être des pygmées.
Attaque contre laquelle un lignage, celui des Makaba, s’est distingué en mettant en déroute les
assaillants. Cet exploit a honoré les Makaba qui reçoivent le titre de « Mfumfu kya Miyaka »,
l’armée des lanceurs d’élite, d’hommes indomptables61. Cette armée nouvelle reçoit la tâche de
défendre l’ensemble du territoire nouveau et ancien, et celui à venir. Car un nouveau foyer est
fondé après l’installation définitive du second. La population s’est multipliée et est devenue
importante. Le foyer d’habitation est devenu étroit. Le conseil des sages se réunit et décide donc
de fonder un autre foyer. Les lignages installés au premier foyer, plus au sud, laissent partir une
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partie de leurs populations vers les nouvelles terres. Il va sans dire que ce sont les plus jeunes qui
se risquent à cette nouvelle aventure.
Dans leur nouveau foyer, les populations dupliquent l’organisation originelle. Ils échangent
aussi avec la mère patrie et dépendent de son pouvoir. Plus tard, bien plus tard, à cause de la plaie
incurable qu’a été pendant d’innombrables années la traite européenne, il va avoir un repli sur soi
pour résister. Les lignages originels se constituant en petites tribus, ce qui a beaucoup handicapé la
cohésion du groupe et mis en mal les liens avec le pays d’origine. Et ceci a duré plusieurs siècles.
C’est après les indépendances seulement que les liens ont commencé à se refaire. Mais on n’est
pas encore là. Bien avant cette triste époque, l’épopée Kongo a continué. Après le 2ème foyer, un
autre a aussi été ouvert.
3.2. Kongo-dya-Mpanzu
Ce territoire nouveau part des abords du fleuve Mwanza (Congo) et le traverse jusqu’au
niveau de la terre de Makoko et du Munhangi, Muyanzi, c’est-à-dire le Mpângala du Nsûndi, le
pays des Balâdi et des Basûndi en République du Congo.62 Comme pour les missions précédentes
de reconnaissance dévolues tour à tour aux lignages Nzinga et Nsaku, la nouvelle mission
d’implantation est confiée au lignage Mpânzu. Ses premiers éléments quittent donc le MbânzaKongo du Kongo-dya-Mulaza, anciennement créée, et traversent la rive droite du fleuve. Ils
partent s’enquérir sur le nouveau territoire et au préalable le pacifier.63 Auparavant les « BesiKongo » prennent soin de consolider les foyers anciennement bâtis que sont les Kongo-dyaMpangala et Kongo-dya-Mulaza par des frontières stables et fortement protégées. Ces frontières
sont délimitées par les rivières Wumba, Vumba ou Wamba au sud et au nord. Elles forment une
courbe qui entoure le pays à l’exception du littoral baigné par la mer du Kongo. La tranquillité de
ce territoire déjà vaste est assurée par des barrières au sud, à l’est et au nord.64 La tradition dit que
« Bawumbu : Mikama », les membres du lignage Bawumbu sont des barrages. Ils occupent le
« territoire-rempart », c’est-à-dire, celui qui forme la frontière, qui protège le pays contre les
attaques extérieures. « Kibûmbu (Mfumu Mbwêngi), buta bwanene kîma kyavita ku ndilu’a nsi. »,
je suis Kibûmbu ou l’armée puissante du Congo qui précède aux frontières pour les garantir et
étendre le pays.65 Dans ce nouveau territoire du pays Kongo, les noms des lignages, des villages
ou villes et des rivières sont les mêmes que ceux des foyers précédents. Ici comme là, on retrouve
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Kwângu, Kwîlu, Lwângu, Likula, Kukûnga, Matâmba, Nkênge, Lwâzi, Lwâyi, Kitona, Lêmba, etc
comme noms des rivières ; Ngôyo, Ngômbe, Kôngo, Kikôngo, Mbâmba, Kinganga, Mayânzi,
Bânda-Bushôngo, Kingôngo, Kibângu, etc comme noms des villages ; et Kinlaza, Kiwimba,
Mfumfu, Kiyaka, Kikwângu, Kimbunda, Kimakondo, Kimbenza, Kimbembe, Kikyunga, Ngom’a
Nzûndu, Mbûmba, Mangungu, etc comme noms de lignages.
Ici les Bawungana, forgerons, fondeurs de minerais de fer, s’installent au Mayumbu, qui
donnera plus tard le nom des Bayombe. Les peuples Mumbala s’installent dans la région comprise
entre Matadi et Nseke-Mbânza et prennent le pseudonyme de Bamboma.66 Dans cette progression,
la légende raconte la fondation de la ville de Nsând’a par un certain Nzondo, personnage atypique,
borgne, n’ayant qu’une seule jambe, un être exceptionnel. « Il bâtit d’abord la ville de Zimba au
nord-est de Luozi et alla bâtir celle de Nsand’a après la ruine de Zimba. C’est de cette ville de
Nsând’a que fut construit le débarcadère de Nsand’a Nzôndo, lieu principal de passage du
Mwânza pour la plupart des migrants vers la rive droite.67 » Cette nouvelle migration conduit vers
un nouveau foyer.
3.3. Zita-dya-Nza
Littéralement, zita-dya-nza, veut dire nœud, centre, du monde ; monde qui équivaut
évidemment au pays Kongo, depuis le premier foyer jusqu’à ce dernier. Et qui comprend quatre
provinces ou départements, correspondant aux quatre foyers d’installation : Kôngo-dya-Mpângala
ou Kambâmba, Kôngo-dya-Mulaza ou Kimpêmba (Kahêmba), Kôngo-dya-Mpânzu ou Kâbangu
et Nzyta-dya-Nza, sa partie centrale. Le pays Kongo forme donc une triade. Nzyta-dya-Nza étant
sa partie centrale. Chaque département, province ou territoire, forme une triade. Celle-ci est à son
tour subdivisée en trois entités administratives qui sont elles-mêmes aussi subdivisées.68 Les trois
provinces ou territoires ont trois agglomérations ou entités administratives portant les mêmes
noms : Nsaku, Mpanzu, Nzinga. Le chef-lieu du pays où réside le roi, le grand chef, se trouve dans
le territoire central, Nzyta-dya-Nza, sous l’autorité du lignage Nsaku chargé de veiller sur les
institutions dont le roi, mais ne pouvant lui-même espérer monter au trône.69Ainsi s’est formé le
Kongo-dyna-Nza, le pays Kongo, cet immense territoire au cœur de l’Afrique du centre-ouest.
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4. L’unité culturelle du pays kongo
Le pays Kongo, englobant les quatre foyers d’implantation dont le Nzyta-dyna-Nza a une
unité culturelle indéniable bâtie autour de la langue Kongo, le Kikongo70. C’est la langue
originelle qui a eu des variantes importantes à cause de l’éloignement dû aux implantations et aux
influences étrangères. Cette lacune est comblée aujourd’hui par la consolidation du Kikongo
moderne, commun, parlé actuellement dans tout l’ancien territoire du Kongo-dyna-Nza. Les
peuples de ce territoire sont reconnus dans tout le Congo Kinshasa(Rdc), au Congo Brazza, en
Angola et partout en Afrique comme étant des Bakongo, Besi-Kongo. Au Congo Kinshasa, les
autres parties de la République, notamment le nord, l’Est, le Centre et le Sud désignent du nom
générique de Bakongo tous les peuples de l’ancien territoire du Kongo. C’est pour cela que cette
affirmation de M. Aurélien Mokoko Gambiot est troublante. « Il est assez difficile, dit-il, de
reconstituer le tissu ethnique tel qu’il se présentait au temps du royaume de Kongo, celui-ci
n’étant plus que l’œuvre des idéologues en quête d’une généalogie perdue. »71
Les peuples ayant fondé le royaume Kongo sont bel et bien là, nous sommes leurs
descendants. Nous existons. Le régime du pouvoir ainsi que toute l’organisation sociale le sont sur
le système matrilinéaire. Ce système règle la vie des Ba-Kongo jusqu’à ce jour. Il est la source de
la légitimité du pouvoir. Les difficultés du pouvoir actuel dans les pays de l’aire Kongo viennent
entre autre du fait de l’abandon pur et simple de ce système, par le fait de la colonisation
européenne de triste mémoire. Dans la société Kongo, le pouvoir matrilinéaire régule la société
depuis le roi jusqu’au niveau des lignages et clans. Dans ce cas ci par exemple, il règle et garantit
les liens matrimoniaux. Comme le roi se fait couronner par le chef de terre, le pouvoir spirituel ou
maternel, qui est le véritable garant du pouvoir, les futurs mariés aussi contractent mariage en
présence du responsable du lignage de la fiancée qui est son garant. C’est à lui que la fiancée
devenue épouse s’en remettra si elle constate des abus de la part de son mari. Car tout en étant
mariée, la femme reste et demeure membre de son lignage tout comme son mari aussi de son côté.
Ils ne forment pas de famille, au sens occidental72 du terme, mais un foyer. Leurs enfants sont les
70
Aurélien Mokoko Gampiot, Kimbanguisme et identité noire, L’Harmattan, Paris, 2004, p. 218
Ibidem, p. 220
72
J’ai remarqué une différence de taille, dans les liens matrimoniaux, entre notre tradition congolaise et celle de la
région d’Ardennes où je vis présentement. Ici les femmes une fois mariées cessent d’appartenir à leurs familles
originelles. Elles font partie de la famille de leurs maris, désormais. Elles changent même de noms et adoptent ceux
de la famille de leurs maris. Dans le temps, les femmes étaient carrément à la merci de leurs maris, une fois mariés,
car leurs parents ne pouvaient pas intervenir dans leurs mariages. C’est pour cela que la loi autorisant le divorce est
vécue par de nombreuses femmes européennes comme une véritable libération. Elles ont le droit de quitter leurs
maris. Ce qui n’était pas envisageable dans le temps, il n’y a pas si longtemps de cela.
71
34
héritiers du lignage de la femme. Ce qui veut dire que les biens du mari restent sa propriété, donc
la propriété de son lignage et non celle de sa femme ou de ses enfants. Cette situation cause
énormément des difficultés notamment dans des cités et villes à style de vie occidental quand à
l’attribution des héritages. Car ici l’influence de la société traditionnelle est trop forte, et pose une
résistance farouche à la transformation du système qu’impose la société européanisée, qui, elle, est
patrilinéaire. A vrai dire, et nous en reparlerons abondamment plus loin, le système colonial
occidental, quoi que très autoritaire, n’a pas réussi à supplanter la société traditionnelle Kongo.
Celle-ci a su s’adapter à l’occupant tout en préservant intactes toutes ses valeurs millénaires tel le
système matrilinéaire. Car bien malins comme les autres peuples soumis à la puissance de feu
européenne, les peuples Kongo ont su contourner la domination en disant ce qu’ils ne pensaient
pas ou en pensant ce qu’ils ne disaient pas.73
Ainsi donc le premier roi Kongo, Nimi’a Lukeni Lwa Nzinga, a le pouvoir par sa mère, le
lignage de sa mère. Le côté du lignage paternel sera des « bankaka », des familiers proches par le
lien de sang. La filiation matrilinéaire Kongo, l’appartenance masculine au groupe de parenté se
fait par la mère ; le frère, lui, ne transmet pas son appartenance à ses enfants. Ceux-ci ne sont pas
membres de son lignage, de sa famille, parce qu’ils appartiennent au groupe de filiation de leur
propre mère. Tous les individus nés de sa sœur, en revanche, sont membres de son groupe de
parenté. Ce système est très connu de nous tous enfants issus du pays Kongo. Pour les oncles, les
frères de la maman, leurs neveux sont de leurs familles et pas de celles de leurs beaux-frères, les
maris de leurs sœurs. Autant les enfants ne peuvent pas prétendre avoir droit aux biens de leurs
pères, autant ceux-ci ne peuvent pas non plus prétendre bénéficier des biens de leurs enfants.
Lesquels biens reviennent de droit aux mamans et à leurs frères, c’est-à-dire les oncles des
enfants. A la mort de notre papa, par exemple, nous ses enfants, n’avions eu aucun droit sur ses
biens. Lui-même n’y avait du reste fait aucune allusion. Aussi ses frères s’estimaient-ils dans le
droit de tout avoir de lui et ne voulaient rien nous donner, encore moins à notre maman pourtant
vivante. Car le mariage dans ce système ne fonde pas famille et encore moins communauté des
biens. Mais pour compenser le père des enfants, chez les Yansi, la tradition a prévu de tisser des
liens matrilinéaires solides entre les deux lignages. C’est le fameux système de mariage dit
préférentiel appelé “Kétwil“. Les successeurs du père géniteur n’ayant pas de droit sur les enfants
de celui-ci, en auront sur ses petites filles. Ils pourront les épouser ou alors recevoir la dot de la
part des autres prétendants.
73
Parlant de ses relations d’expert du développement avec le peuple Wakonongo, Michael Singleton dit qu’
« il serait extrêmement naïf de croire que les gens disent toujours ce qu’ils pensent ou qu’ils pensent
toujours ce qu’ils disent… » Op.cit. p.64-65
35
Le mariage est un foyer, un lieu de vie, entre un homme et une femme qui se sont aimés, se
sont choisis et qui sont reconnus comme tels. Mais la femme, quant bien même le mari a payé une
dot, ne lui appartient pas, elle appartient à son lignage à elle et s’en réfère constamment. La
femme est en droit d’aller se plaindre du comportement reprochable de son mari auprès de ses
oncles à elle, les frères ou aïeux de sa mère et ceux-ci sont aussi en droit d’exiger des explications
au mari de leur sœur, nièce ou arrière-nièce. Dans ce cas le mari se doit de donner des bonnes
explications, sinon l’affaire peut aller très loin jusqu’au divorce. Le lignage de la femme assure sa
protection jusque dans son foyer. Car la femme est précieuse. Elle est la valeur unique sur laquelle
repose l’avenir du lignage. Dans le système matrilinéaire donc, l’individu appartient au groupe de
filiation matrilinéaire ; ses enfants constituent une véritable richesse lorsqu’ils sont de sexe
féminin, parce qu’ils sont considérés comme le facteur de pérennisation du clan74.
Mama Nkenge Lukeni, l’aïeule originelle des peuples Kongo a eu douze enfants. C’est du
rang de ceux-ci que sont sortis les rois qui ont régné sur le pays Kongo. Elle devint « Nsânda », ou
l’arbre aux innombrables branches. Sa progéniture devint nombreuse et s’étendit du sud-est vers le
centre-ouest du continent pour occuper une grande partie du bassin de Mwanza, le fleuve Congo
actuel. Ils étaient déjà une multitude.75
74
75
Aurélien Makoko Gampiot, Kimbanguisme et identité noire, L’Harmattan, Paris, 2004, p.3
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36
5. L’origine des peuples du Kongo
L’origine des peuples du Kongo est commune. En 1999, lors du Festival Radio Tomisa76,
organisé à Kikwit, du 3 au 7 novembre, les différents groupes folkloriques qui y ont presté, ont
célébré les grandes migrations qui ont conduit les différents peuples de la région, Pende, Ambund,
Suku, Yansi, Ungana, Mbala, etc depuis l’Angola, appelée « Ngola », l’origine connue des
anciens. Auparavant, à la même radio, nous avions mis dans la programmation des émissions
animées par des anciens qui racontaient aux jeunes, en langue Kikongo, la vie et l’organisation de
la société ancestrale. C’est avec passion et un immense soulagement qu’ils racontaient l’histoire
de leurs ancêtres, leur histoire, à travers ce moyen moderne de communication. Ils affirmaient
entre autres que l’origine de leurs ancêtres était le « Ngola », la belle terre des ancêtres. Depuis
l’indépendance de l’Angola, les liens se sont rétablis avec cette terre des ancêtres et les jeunes
gens y vont régulièrement pour diverses raisons, mais surtout pour ses mines et minerais
immenses connus déjà du temps des Anciens. L’héritage du pays Kongo vient de loin. Il y a des
similitudes certaines entre des pratiques sociales Kongo, les subtilités de ses langues et l’ancien
royaume de la vallée des rois, en Égypte.
En ce qui concerne le culte des morts par exemple la similitude est frappante.
Jusqu’aujourd’hui, dans la tradition Kongo, les morts doivent avoir des sépultures appropriées.
Les vivants doivent leur donner la part des biens qui leur revient, en commençant par les maisons.
Dans des nombreux villages Kongo, on rencontre des monuments aux morts qui rappellent les
fameuses pyramides égyptiennes quoique étant des tailles plus réduites évidemment. Mais l’esprit
reste le même. Ce sont les plus nantis qui se permettent de construire ces monuments. Mais le
commun des mortels, lui, attribue au défunt la part des biens qui lui revient et les laisse au
cimetière. Cette pratique était identique dans l’Égypte ancienne, elle est aussi présente chez
d’autres peuples en Afrique. Les Sérères enterrent leurs morts à la manière des Égyptiens, à la
momification près qui a dû être abandonnée en raison de la raréfaction du tissu et surtout du
changement des conditions d’hygiène qui l’avaient dictée en Égypte. On place, au dessus de la
tombe, au lieu d’une pyramide, un toit conique de case qu’on recouvre de terre… Le mort est paré,
habillé, selon la fortune de ses parents : on l’introduit dans la tombe avec tous les ustensiles de
ménage et objets familiers dont il se servait de son vivant, car, comme les Égyptiens, les Sérères
76
Evariste PINI-PINI Nsasay, Radio Tomisa de Kikwit, inédit, p.166
37
pensent que la vie continue outre tombe de la même façon qu’elle se déroulait sur terre.77 Cette
conception est identique chez les Yansi aussi. On trouve des ustensiles de cuisine, des meubles de
toute sorte au cimetière, sans parler des vêtements dont on entoure le défunt dans le cercueil. Le
culte des reliques est aussi identique chez Yansi et chez les Égyptiens anciens.
Tout yansi qui meurt doit être enterré dans son village, au cimetière du lignage, près des
anciens, même s’il meurt à l’étranger. Dans ce cas, si on ne sait pas ramener le corps, on prend
soin de prélever des reliques qui seront enterrées à l’endroit même où le défunt aurait pu se
trouver. Ces reliques sont enterrées avec le même respect que le corps lui-même. Ici donc il y a un
attachement indéniable à la terre qui montre que ce peuple est de tradition sédentaire et non
nomade. Chez le peuple Teke, jusqu’à ce jour, les chefs illustres sont momifiés, ils restent en
position assise et sont enterrés dans les petites heures de la matinée, en l’absence totale de la
population afin de perpétuer le caractère éternel du pouvoir. Il y a bien d’autres similitudes comme
l’utilisation du hiéroglyphe que Bastsîkama appelle le système d’écriture congolaise.78 La langue
Yansi a de nombreux mots qui ont la même signification qu’en égyptien ancien. Par exemple
« Kal », en yansi, charbon de bois, en égyptien kem, noir, chaleur, kam, pierre précieuse brune,
kem-t, l’Égypte.79 Le mot « sene » en yansi signifie ami, camarade, en égyptien il signifie
« frère ».80 « Fari, sar » en égyptien veut dire roi suprême, pharaon81, en yansi « sar, tasar » est un
grand chef mythique82. « Dans les textes de l’Ancien Empire, pour dire mourir, on emploie
l’expression ‘passer à son Ka’83, en yansi mourir, c’est ‘K’wah. Le peuple mbala appelle la
personne humaine adu, anu au pluriel, les égyptiens anciens se désignaient de la même façon.84 La
même écriture se retrouve au Cameroun et dans d’autres parties de l’Afrique de l’Ouest. Patrice
Nganang dit que des nombreuses écritures ont été inventées dans l’ouest du Cameroun. Il y a
même une importante littérature qui est en train d’être traduite, dont des traités de droit et un
manuel sexuel.85 Vivant en Europe, nous nous rendons bien compte que les peuples du Cameroun
par exemple et nous, du Congo, avons les mêmes cultures, et que nous mangeons la même
nourriture, même que les recettes sont identiques. J’ai été très surpris par exemple de constater
qu’une épice appréciée chez nous, « le nsimité » qui rend le poisson exquis et délicieux est aussi
77
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85
Cheik Anta Diop, Nations nègres et cultures, Présence africaine, 1979, p. 388
LARC, p. 96-100
LARC, p. 277
Cheik Anta Diop, Antériorités des civilisations nègres, Mythe ou vérité historique, Paris, 1993, p. 254
Idem, p.201
Chez les Romains, Sar deviendra Caesar, César.
Cheik Anta Diop, Nations nègres et cultures, op.cit. p.379
Ibidem, p. 164
Patrice Nganang, Lettre au Benjamin paru dans ‘L’Afrique répond à Sarkozy’ contre le discours de
Dakar, Philippe Rey, p.349-350
38
connue au Cameroun. Ce sont les Camerounais qui la commercialisent en Europe. Les légumes,
les fécules, les viandes, les poissons, sont exactement les mêmes. Mon oncle, Ernest Mombong,
ancien administratif des Mines, de passage à Yaoundé, était très surpris d’entendre le matin, à
l’hôtel, le personnel parler sa propre langue. Il m’a dit qu’il se croyait chez lui à la maison alors
qu’il était à Yaoundé. De nombreux peuples du Cameroun se réclament de tradition égyptienne.
Ce qui du reste montre l’importance de l’exhortation du Maître Cheik Anta Diop à la jeunesse
africaine de s’approprier sans plus tarder de la culture égyptienne ancienne qui est la leur et qui
leur apprendra énormément et même bien plus qu’ils ne l’imaginent.86
Je l’ai personnellement expérimenté au Musée du Louvre à Paris. La section égyptienne de
ce musée est tout simplement africaine. Car tout s’y réfère. Ce qui m’a le plus ému ce sont les
accoudoirs et les peignes égyptiens anciens qui ressemblent à ceux que j’ai vus chez mes grands
parents, ce qui semble si étrange à certains87. Les anciens, on le sait, ont toujours été très attachés
à l’Égypte ancienne, la terre de leurs ancêtres. Ils n’avaient pas besoin de le dire, car pour eux cela
coulait des sources, c’était plus qu’une évidence. C’était leur vie88. C'est bien vrai que « l'écho
rencontré en Afrique par la civilisation égyptienne prouve que la vallée du Nil, qui
géographiquement appartient à l'Afrique, était aussi liée par sa civilisation au monde africain.89 »
En effet, comme le dit Cheik Anta Diop « une vie humaine entière ne suffirait pas pour rapporter
tous les traits de parenté qui existent entre l’Égypte et le monde noir tant il est vrai qu’il s’agit
d’une seule et même chose.90» Et donc « c’est en raison de cette identité essentielle de génie, de
culture et de race que tous les Nègres peuvent, aujourd’hui, légitimement, rattacher leur culture à
l’Égypte antique et bâtir une culture moderne à partir de cette base…C’est par ce contact
dynamique que le Nègre arrivera à la conviction profonde que ces temples, ces forêts de colonnes,
ces pyramides, ces colosses, ces bas-reliefs, ces mathématiques, cette médecine, toute cette
science, sont bien l’œuvre de ses ancêtres et qu’il a le droit et le devoir de s’y reconnaître
totalement. »,
91
Il dit par ailleurs que « quelqu’idée que l’on ait sur les races qui ont peuplé
l’Égypte et le reste de l’Afrique noire, on est obligé de convenir que l’Égypte et l’Afrique noire
86
87
88
89
90
91
Cheik Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres, Présence africaine, 1967, p.241
« Voici peu de temps encore, chez certains peuples du Zaïre, région distante du Haut-Nil de plusieurs
milliers de kilomètres, hommes et femmes reposaient leur tête sur des oreillers en vois qu, par leur
forme, rappellent étrangement les oreillers égyptiens. » Basil Davidson, op.cit. p.35
«Un fait demeure capital : bien que l’Égypte ait fait de larges emprunts aux cultures de ses voisins du
Proche-Orient, tant dans le domaine politique que social (et vis-versa), sa civilisation conserve son
caractère fondamentalement africain... Hérodote lui-même a dit que 'tout esprit intelligent doit comprendre
que l’Égypte vers laquelle voguent nos navires est un don du Nil'... Les Grecs qui ne
connurent
que
l’Égypte décadente, discernèrent sa grandeur et admirent que leur civilisation découlait de
celle
des
Égyptiens. » Basil Davidson, Les Royaumes Africains, Time-Life Books, Amsterdam, 1982, p.33
Idem, p. 35
Cheik Anta Diop, Nations nègres et cultures, Présence africaine, 1979, p.211
Idem, p. 212
39
appartiennent au même univers culturel : la culture africaine actuelle plonge ses racines dans le
limon de la vallée du Nil. »92
Kongo-dyna-Nza, Nsi Kongo de nos ancêtres est un état organisé. Son système politique et
administratif est un modèle du genre. Il a une monnaie reconnue, le nzimbu. Nos ancêtres
échangent des messages et des idées par écrit. Leur écriture progresse à leur rythme.93 Le Nsi
Kongo de nos ancêtres est prospère, il vit en paix. Les peuples sont heureux. Ils créent des œuvres
magnifiques, comme le trône de leur roi, une œuvre d’art splendide. Le pays est protégé par des
frontières solides et une armée puissante. Que doivent-ils faire de plus. Traverser les océans,
parcourir la terre, aller à la lune ? Pourquoi y faire ? Dans son discours de Dakar le président
Sarkozy reproche à nos ancêtres du Kongo comme à tous les anciens africains de n’avoir pas pu
inventer, de ne pas être entré dans l’histoire. Opinion partagée par des nombreuses personnes
avant lui et répandue dans des nombreux milieux. Certains jeunes Kongo et Africains pensent la
même chose. Elo Messi Metogo, trouve même que les travaux du Maître Anta Diop n’ont pas
d’utilité. Car « comme telle, la thèse de l’antériorité des civilisations africaines ne change rien à la
situation actuelle des Noirs. Bien plus, il y a eu déchéance des initiateurs, et on aimerait plutôt
savoir pourquoi les premiers sont devenus les derniers. La connaissance de notre créativité ne sert
à rien si elle ne nous permet pas de reprendre l’initiative historique ici et maintenant. »94 Comme
si le travail d’un père n’a de valeur que dès lors que le fils le perpétue. Ce qui est ridicule. Il est
vrai qu’il y a une chose que nos lointains ancêtres n’ont pas inventé, ce sont les canons et
l’artillerie lourde, ces armes terribles qui ne sont de personne et qui ont changé le visage du monde
le rendant peu sûr pour tous depuis lors jusqu’à ce jour. Mais est-ce que cet « handicap », aussi
important qu’il puisse être, suffit à lui seul pour porter une aussi grave accusation aux
conséquences multiples, comme le pleure le poète ?
« Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole, ceux qui n’ont jamais su dompter la
vapeur ni l’électricité, ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel, mais ils savent en ses moindres
recoins le pays de souffrance, ceux qui n’ont connu de voyages que de déracinement, ceux qui se
sont assouplis aux agenouillements, ceux qu’on domestiqua et christianisa, ceux à qui on inocula
l’abâtardissement, tam-tams de mains vides, tam-tams inanes de plaies sonores, tam-tams
92
93
94
Cheik Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres, op.cit., p.74
A propos de l’écriture, on sait qu’en Égypte où elle est très ancienne, elle était sacrée, sacerdotale ; d’où le
mot grec hiéroglyphe (écriture sacrée). Selon les anciens Égyptiens, c’est le dieu Thot lui-même qui aurait
créé l’écriture, puis en aurait fait don aux hommes. “Lorsqu’on commence à déchiffrer l’« l’écriture des
dieux», le plaisir de comprendre se double du plaisir de contempler. » Georges Jean, L’Écriture mémoire des
hommes, Paris, Gallimard, 1987, p. 40 et 42 L’évolution de l’écriture a donc été lente. Sa maitrise requiert
de la patience encore aujourd’hui.
Cité par Aurélien Mokoko Gampiot, op.cit. p.16
40
burlesques de trahisons tabide. »95 Nos ancêtres n’ont rien démérité. Et nous pouvons être fiers
d’eux. Personnellement j’en suis très fier. Oui ils n’ont pas prévu que le danger viendrait de là où
ils l’attendaient le moins, de la mer. Comment y penser ? La mer, elle, est si calme, si belle, si
affectueuse et si immense. Et jamais rien de mal n’était venu de ce côté. N’est-elle pas le lieu
d’habitation des anciens, ceux-là même qui ont fondé la patrie ? Et puis comment se protéger de
la mer avec une côte aussi grande allant de la Namibie au Gabon ? Qui l’a jamais fait ? On sait ce
qu’a donné le fameux mur de l’atlantique de triste mémoire, construit pourtant sur toute la
longueur de la longue cote ouest de l’Europe,96 mur construit par les Allemands pour se protéger
des « envahisseurs» Américains. Ce mur n’a pas servi aux Allemands. Le danger est arrivé de là
où ils ne l’attendaient le moins.
95
96
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence africaine, Poésie, Paris, 1983, p.44
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mur de l’Atlantique (Wikipedia, 2010)
41
Chapitre 2 : De l’occupation portugaise du Kongo-dyna-Nza à sa dislocation
totale.
1. Drôles de frères : « Mindele », les méchants envahisseurs venus de la mer.
Parlant du Congo ancien que nous appelons Kongo-dyna-Nza, François Ryckmans dit
ceci : « … le pays a une histoire avant l’arrivée des Blancs. On est loin de la grande tache blanche
avec la mention ‘terra incognita’ (territoire inconnu) qui figurait sur les cartes des Européens…
Les populations du vaste ensemble géographique formé par le bassin du fleuve Congo ont des
échanges entre elles, grâce aux rivières et aux sentiers de caravane. De puissants royaumes se
développent. Les premiers échanges avec les Européens commencent avant la période coloniale
proprement dite, notamment à l’arrivée des Portugais, sur la côte atlantique et des marchands
arabes, en Afrique orientale. L’esclavage fait des ravages dans les populations, parfois très loin à
l’intérieur du continent. »97
Cette description de l’histoire du Congo ancien prend en compte le Congo tel qu’il est
aujourd’hui. Nous avons déjà relevé que Kongo-dyna-Nza n’est pas du tout le Congo actuel,
même s’il s’y réfère. Nous y reviendrons. Car l’Est du Congo actuel et l’Ouest ont chacun son
histoire, sa tradition, ses mœurs, même si actuellement il y a une jonction, devenue la triste
histoire du Congo liée à la colonisation et à ses multiples conséquences. On sait par exemple que
les échanges entre l’Afrique de l’Est et l’Orient en général, l’Inde et la Chine, sont millénaires.
Les Africains se rendaient à pied sec en Asie et vis-versa. Ces échanges là sont d’un tout autre
ordre et n’ont rien à voir avec ceux dont parle François Ryckmans ici ; ils n’avaient rien à voir
avec le pays Kongo tout à l’ouest. Restons donc pour le moment au Kongo-dyna-Nza.
En cette saison sèche 1485, les pères Jean da Costa, Antonio de Porto et Jean de la
Conception sont arrivés à Mbazi’a Kôngo, la cour du Kongo, à Mbânza-Kongo, envoyés par
Diègo Cao, explorateur portugais envoyé, lui, par le roi du Portugal à la découverte des nouvelles
terres. Ces découvertes font suite à la bulle « Romanus Pontifex » du 8 janvier 1454, complétée
97
François Ryckmans, Mémoires noires (MN), les congolais racontent le Congo belge, 1940-1960,
Racine, Bruxelles, 2010, P. 103
42
par la bulle « Inter Caetera » du Pape Alexandre VI du 4 mai 1494 qui divisait le monde dit païen
en deux zones d’influence, portugaise et espagnole. Une ligne idéale de démarcation était tracée
d’un pôle à l’autre passant à cent lieues à l’ouest des Iles Açores et du Cap Vert. Tout ce qui se
trouvait à gauche de ladite ligne était l’apanage des Espagnols, aux Portugais revenait la partie
droite. Ainsi le Kongo, sans le savoir, était proclamé propriété du roi du Portugal.98 Cette visite
donc intervient au second voyage de Diègo Cao, le premier ayant eu lieu en 1482. Car suite au
décret papal, le roi du Portugal envoie des expéditions pour explorer les côtes occidentales et
orientales africaines, ces terres que le Pape lui a attribuées. Là, les Portugais construisent des bases
fortifiées qu’ils appellent « feitorias », les fameuses factoreries des Portugais qui deviendront plus
tard des comptoirs ou des centres actifs du commerce d’esclaves. Côte d’Ivoire, Côte d’Or
(Ghana), Sierra Léone, Guinée99, sont quelques uns de ces fameux comptoirs. Plus tard les cotes
des grands cours d’eau du Congo portugais et belge connaissent la même situation. Les factoreries
poussent partout comme des champignons. C’est le départ d’une industrie florissante de la traite
des êtres humains et de la production des matières premières.
L’expédition de Diègo Cao, quant à elle, arrive sur la cote du fleuve Mwânza en 1482.
Diègo Câo et ses hommes remarquent « l’entrée d’une rivière profonde et impétueuse » dans la
mer, et retournent au Portugal. C’est lors de leur deuxième voyage qu’ils s’engagent dans le fleuve
et voient sur la rive plusieurs hommes de même couleur que les Éthiopiens qu’ils avaient déjà vus.
La caravelle de Diego-Câo accoste à Mpinda, principal port du Kongo.100 Diègo Câo qui a déjà
dans sa cargaison des noirs appelés «Éthiopiens », vraisemblablement des esclaves noirs selon le
témoignage de son compatriote Eustache de la Fosse,101 entame un dialogue avec les riverains par
des signes. Ceux-ci leur font comprendre que leur roi, homme puissant et riche, demeure à
Mbânzo-Kôngo et qu’ils peuvent les y conduire ; qu’ils y seront bien accueillis. C’est ainsi que
Diego-Caô dépêchent les trois prêtres auprès du roi à Mbânza-Kongo. Lui-même ainsi que tout le
reste de l’équipage restent veiller sur la caravelle.102
L’expédition menée par Diègo Câo tout comme celle menée par les explorateurs portugais
et espagnols à l’époque n’a rien de civilisatrice, du tout. Il s’agit de conquérir. « L'idée
98
99
100
101
102
LARC, p. 23 et 26.
LARC, p. 24
LARC, p. 24
Cité par Batsikama ba Mampuya, LARC, p. 26
« Une caravelle, du portugais caravela dérivant lui même de l'arabo-andalou qarib, sorte de poutre, est un
navire à voile à hauts bords inventé par les Portugais sous la période de découvertes avec le prince Henri le
Navigateur, le troisième fils de Jean Ier de Portugal, au début du XVe siècle pour les voyages d'exploration
au long cours. Selon l'usage son appellation pourrait provenir de carvalho, qui en portugais signifie chêne car
à l'époque celui-ci était l'arbre le plus répandu au Portugal. » http://fr.wikipedia.org/wiki/Caravelle.
43
d'embarquer des canons sur des navires de guerre apparut dès le XIVe siècle… À la fin du XVème
siècle, l'Espagne et le Portugal, pour pousser plus avant les explorations maritimes qu'ils ont
entamées, ont besoin de navires mieux adaptés aux longues traversées des océans, notamment
Atlantique et Indien… La méthode de combat reste cependant inchangée : canonnade pour
diminuer les forces de l'adversaire puis abordage pour conclure le combat. »103
Nos trois prêtres arrivent donc à Mbanzi-di-Kongo à Mbânza-Kongo où ils sont bien
accueillis. L’accueil est serein et amical.104 Les Kongo montrent des signes de grande douceur et
d’amitié. Le séjour des ambassadeurs religieux se prolonge. Entretemps l’équipage et toute
l’équipe de Diègo Câo restés à la cote s’adonne à une besogne peu recommandable pour les
peuples Kongo. Des nouvelles parviennent jusqu’à la capitale faisant état des exactions dont
subissent les autochtones de la part des étrangers. Le peuple se plaint et traite les étrangers des
mindele, envahisseurs. La racine du mot mundele, vient du verbe wundula, détester, mépriser.
Mu-hundela, mundela, quelqu’un de détestable, d’ignoble. Les mindele ont aussi été désignés
comme des esprits maléfiques, Wundele, d’autant qu’ils venaient de la mer et que celle-ci est le
lieu d’habitation des esprits, bons et mauvais.105
Car en 1482, quand l’équipage de Diègo Câo est arrivé pour la première fois les Kongo les
ont désignés du nom des « Alundu » (Balundu), c’est-à-dire des hommes dont la couleur de la
peau est semblable à celle du champignon «Alundu ». « Bulundu bwatuka ku Mputu », des
hommes à la couleur d’Alundu venus du Portugal.106 Les relations qui s’établissent entre les
« mindele » et leur pays et le pays Kongo seront ambigües par la suite, car les attentes et les
intérêts seront diamétralement opposés. De prime à bord, les Kongo reçoivent les Alundu
« mindele par la suite » avec élégance. Ils ne se posent pas de question. Ce sont leurs frères
humains. Mieux, ce sont les esprits des ancêtres qui reviennent sous une apparence nouvelle. On
imagine bien que chaque lignage a reconnu l’un ou l’autre ancien décédé à travers tel ou tel de ces
nouveaux arrivés. En effet, il est très fréquent que les Kongo considèrent un étranger de bon cœur
comme un ancêtre qui revient. J’ai moi même été témoin d’un tel traitement vis-à-vis d’une jeune
femme d’origine allemande venue dans un village voisin du mien, à Nto-Mulomb, pour faire des
recherches en anthropologie. C’était dans les années 1970. Un lignage de ce village l’a
formellement reconnue comme étant une de leurs, morte en telle époque. Ce qui était une méprise
évidemment. Mais ils n’ont plus voulu la lâcher. Au contraire elle ne pouvait manquer de rien.
Elle avait les mêmes droits que tout le monde du clan. Pour eux c’était ainsi et c’était tout à fait
103
104
105
106
http://fr.wikipedia.org/wiki/Navire_de_ligne Phillipe Masson, Marines et Océans, 1982, p. 148
HGC, p. 85
LARC, p. 86
Idem
44
normal. Cet accueil fraternel a permis à la jeune femme de s’intégrer et de faire ses recherches en
toute sérénité. C’est en raison de l’arrivée imminente des ancêtres parmi les leurs sous des formes
diverses que les Kongo se gardent de réserver un mauvais accueil aux étrangers, car alors ils
n’auraient pas d’excuse ; le malheur pouvant les poursuivre pendant longtemps sous des formes
diverses. Les ancêtres, les anciens, étant les garants de la société ne doivent pas être outragés. Car
la société ne serait rien sans eux.
La mentalité Kongo attribue la plupart des bienfaits rencontrés dans leur vie à la
bénédiction des anciens ou des ancêtres. Une femme qui a attendu longtemps avant de concevoir
remercie les ancêtres quant elle accouche de son premier bébé. Les parents remercient également
les anciens quand les enfants réussissent aux examens. Une personne qui guérit d’une maladie
grave honore aussi les anciens etc. Les ancêtres sont des protecteurs, ils veillent sur les leurs
encore en vie. Ils sont passés de l’autre côté où vivre consiste à protéger les membres du lignage
restés en vie. Ils y veillent jour et nuit, partout où on se trouve. C’est pour cela que les vivants ont
tout intérêt à être en relation et en harmonie avec eux. Avoir la bonne grâce des anciens est un vrai
gage de protection et de vie heureuse. Chez les Yansi, si « un chef de lignage ou de clan meurt,
son remplaçant, l’héritier choisi, se rend au cimetière de nuit, après l’enterrement. Après avoir
sacrifié une poule sur la tombe du défunt, il remplit une corne de l’antilope-cheval, avec de la terre
prise sur le tombeau et la porte à la maison… On suppose que l’ancien chef revient par ce procédé
parmi les siens et continue à les protéger. »107 C’est pour cela que les vivants leur sont très
attachés car ils ne peuvent que leur vouloir du bien. La meilleure chose qui puisse arriver à
quelqu’un c’est d’avoir la visite d’un ancien du clan ou du lignage, souvent en songe mais parfois
aussi réellement. Les visites des anciens, des ancêtres, sont très attendues par les vivants. Très
souvent elles annoncent des événements heureux.
La visite inattendue des étrangers venus de la mer était perçue comme l’arrivée des
ancêtres, en chair et en os. Elle était célébrée comme un événement heureux. Aussi les avait-on
comblé des présents et des dons divers. Ce qui justifiait le prolongement de leur séjour dans la
capitale du Kongo. Mais les étrangers considérés comme des ancêtres ou des amis ne l’étaient pas.
Ils ne venaient pas apporter bénédictions et bienfaits. Ils avaient quant à eux d’autres projets. Des
projets qui allaient changer complètement le paysage politique, culturel et économique du Kongodyna-Nza. Celui-ci finit par être réduit en réserve d’esclaves et ruiné. Le comportement des
Portugais était tel que pour les Congolais, ils étaient inquiétants, voire dangereux. C’est sur leurs
107
Josef Franz Thiel, La situation religieuse des Mbiem, Ceeba, Bandundu, 1972, p. 96
45
actes que les Congolais les avaient jugés et placés dans la catégorie des « méchants ou des gens
dangereux. 108»
108
Alfredo Margarido, « Béatrice du Congo : de la résistance au supplice », cité par Aurélien Mokoko
Gampiot, Kimbanguisme§Identité noire, L’Harmattan, Paris, 2004, p.276
46
2. « Mindele-ngulu », méchants envahisseurs esclavagistes
Depuis mon arrivée en Europe, toutes les fois que j’ai pu avoir des échanges autour de la
question de la traite des noirs africains des 15ème- 19ème siècles, l’argument imparable de mes
interlocuteurs est toujours celui de la vente des pauvres esclaves par les Africains eux-mêmes.
« Les conflits ethniques ont joué un rôle de premier plan dans l’organisation et l’exécution de la
traite des Noirs. En effet, les différentes tribus africaines étaient souvent en lutte les unes contre
les autres. Et lorsqu’elles livraient bataille et se révélaient victorieuses, elles n’étaient que trop
heureuses de pouvoir vendre leurs ennemis vaincus aux esclavagistes. Ce scénario a pu se répéter
à des multiples reprises, d’où le nombre énorme d’hommes, de femmes et d’enfants embarqués
comme des bestiaux dans des caravelles où la plupart mouraient en cours de voyage109 », affirme
Louis Mathoux ! Max Gallo dit la même chose : « Certains noirs étaient des molosses, et les
autres Nègres leur gibier ! Or cela avait existé avant même que les Blancs s’installent en Afrique
et la colonisent ! Les tribus guerrières massacraient ou réduisaient les autres Nègres en esclavage,
les contraignant à marcher sur des centaines de kilomètres jusqu’aux côtes, à travers forêt ou
désert, pour les livrer aux négriers blancs d’Europe ou d’Arabie ! Sans molosses noirs, ni
l’esclavage, ni la conquête de l’Afrique, ni l’enrôlement de milliers de Nègres pour aller combattre
à Verdum, ni les chantiers de la Machine n’auraient été possibles ! …les blancs avaient aboli
l’esclavage, empêché le cannibalisme, troqué des cruautés modernes contre les anciennes, mais
toujours avec l’aide des molosses noirs : capitas, miliciens, tirailleurs et même députés et
administrateurs.110 »
C’est aussi ce que disent Marie-France Cros et François Misser, dans leur fameuse
brochure ‘Géopolitique du Congo (Rdc) : « le pays, à l’époque de la conquête coloniale, se
présentait comme une mosaïque de petits États vulnérables face à la ruée des prédateurs venus de
l’Est, à commencer par les esclavagistes de Zanzibar et les populations arabises.111 » C’est la
version très officielle de la traite négrière, celle des Africains vendeurs des Africains, qu’on
appelle aussi traite des êtres humains. C’est ce que dit Jean-Michel Olivier dans son roman
‘L’amour nègre’ par le bouche de son personnage Moussa : « Ce n’est pas la première fois que
109
110
111
Louis Mathoux, L’Afrique demande pardon à l’Afrique. in Dimanche Paroissial, Namur-Luxembourg, n°1
du 31 janvier 2004 p.3,
Max Gallo, L’Empire – 2, La possession, roman, Paris, J’ai lu, 2004, p.276-277
Marie-France Cros et François Misser, Géopolitique du Congo (Rdc), Complexe, Bruxelles, 2006, p.5
47
mon père essaie de me vendre. Il a déjà vendu cinq de mes frères. Et trois de mes sœurs. Souvent
plusieurs fois. A des touristes de passage ou à des gens de la ville qu’on n’a jamais revus.112 »
Cette opinion profondément ancrée est aussi celle qui nous a été enseignée à l’école. Mais
la réalité est loin d’être celle-là d’après la tradition et la mémoire populaire. Même s’il est
incontestable que, face à l’ampleur du phénomène et surtout à sa très longue durée - plusieurs
centaines d’années - des autochtones aient pu tremper dans la besogne. Il est tout aussi
incontestable que ceci n’a pu arriver que bien plus tard. Jamais, mais alors jamais au début. De
toute façon cela ne dédouane en rien les vrais commanditaires de ce désastre sans mesure et sans
véritable qualification, et qui de surcroit ne venaient que pour cela. Il en est de même aujourd’hui
des véreux trafiquants, de tout genre, des matières précieuses de l’Est du Congo, souvent
étrangers, qui commanditent des guerres et des tueries entre les populations locales, arment les
unes contre les autres et qui se cachent derrière cette sale besogne en accusant ensuite ceux qu’ils
arment et instrumentalisent d’être belliqueux et sauvages, pendant qu’eux-mêmes ne se gênent pas
d’acquérir ces matières précieuses des mains de ces mêmes personnes et d’en faire du commerce
fort lucratif. C’est tout simplement cynique. Oui, comme l’a dit le célèbre psychanalyste
autrichien, Sigmund Freud, dans l’une des nombreuses leçons qu’il a donné aux États-Unis, à
propos des symboles sexuels dans le rêve « la psychanalyse trouve correct et convenable d’appeler
les choses par leur nom et considère que c’est là le meilleur moyen de se préserver contre des
arrière-pensées troublantes.113» Appelons donc le chat par son nom. L’entreprise de la traite
négrière est une œuvre essentiellement européenne, occidentale ; œuvre dont elle a si bien profité.
La situation de collaboration des populations locales avec les envahisseurs est connue de
partout. Il est aussi connu que des faits reconnus graves par la tradition et qu’elle proscrit, peuvent
la dépasser et devenir banals du simple fait de leur répétition constante. C’est par exemple le cas
des veillées mortuaires dans la ville de Kinshasa et dans d’autres villes du Congo (Rdc)
actuellement. Dans le temps, la mort était rare, et la tradition tenait les enfants à l’écart des
veillées mortuaires pour qu’ils ne s’y habituent pas et surtout ne les banalisent pas. Les veillées
mortuaires étaient l’affaire des adultes, hommes et femmes. Les enfants restaient à la maison et ne
pouvaient faire que quelques apparitions sporadiques. Aujourd’hui dans la ville de Kinshasa, la
mort est devenue un phénomène banal, pour les jeunes et enfants, une occasion de jeux et
d’amusements. L’interdit a été levé par la fréquence exagérée des décès. Le
respect
légendaire
dévolu aux morts, la base même de la société Kongo, est sérieusement menacé par cette attitude
des enfants et surtout des jeunes. Mais on ne peut pas accuser ces jeunes et ces enfants d’être les
112
113
Jean-Michel Olivier, L’amour nègre, roman, Fallois/l’Âge d’Homme, Paris, 2010, p. 39
Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2001, p.181
48
principaux responsables de cette situation triste. Cela serait injuste. Les enfants et les jeunes sont
victimes d’une situation qu’ils n’ont nullement recherchée. Ils vivent à leur façon un drame
devenu banal. Autre chose et toujours dans cette ville de Kinshasa, aujourd’hui on est ahuri par la
manifestation de la violence de la population envers elle même. Il y a même par moment un
manque de pitié au sein de cette population vis-à-vis d’elle-même dès lors que l’un et l’autre de
cette même population a une moindre responsabilité. Fût-ce le fait d’être un chauffeur de taxis-bus
et un simple convoyeur. La manière brutale dont ils traitent leurs clients, pourtant leurs propres
voisins de quartier ou de rue, dépasse parfois tout entendement. Cette situation inédite au sein
d’une population réputée pacifique et sereine vient de la brutalité récurrente des forces de l’ordre
depuis la triste époque coloniale jusqu’à ce jour. La population elle-même tout en rejetant ce
comportement a fini par l’adopter ne sachant comment agir autrement dans un environnement de
plus en plus violent. Ici aussi il serait malsain de rendre la population entièrement responsable de
ce comportement dont elle n’attend qu’une seule chose, en être débarrassé.
Un autre exemple qui montre qu’on peut facilement se tromper de cible, à moins de le faire
délibérément, si on n’y prend garde, c’est le drame de la corruption. Aujourd’hui la corruption est
généralisée à Kinshasa. Le petit peuple s’en est accommodé, tout simplement parce que la vie
n’attend pas demain. Pour lui c’est aujourd’hui le jour le plus important. La population
s’accommode pour vivre parce qu’encore une fois la corruption ronge la société depuis des
dizaines d’années, sans aucune autre lueur possible de sortie. M’zée Laurent-Désiré Kabila114 qui
a voulu combattre cette pratique et que la population a aimé et qu’elle continue à pleurer jusqu’à
ce jour, est mort d’une façon précoce. Tous les corrompus du régime de Mobutu qui avaient fui le
pays sont revenus et ont repris le pouvoir avec leurs anciennes pratiques. Ici aussi accuser la
population d’être le principal instigateur de la corruption serait non seulement injuste, mais
méchant. Ces quelques exemples parmi tant d’autres peuvent faire comprendre que le véritable
instigateur, le véritable coupable, d’un drame que vit une population et qui s’enlise, peut passer
par les mailles du filet et laisser condamner ses propres victimes à ses lieux et places. En ce qui
concerne la traite des africains, en dépit du fait que les personnes ayant subi ce sort sont visibles à
travers leurs descendants, vivants aujourd’hui encore en terres de déportation, la mémoire
populaire, elle, n’a rien oublié. Au contraire, elle a soigneusement conservé les faits tels qu’ils se
sont passés et les transmet depuis bien longtemps de génération à génération. Et voici comment !
114
Laurent-Désiré Kabila (Moba ex-Baudouinville, 27 novembre 1939 - Kinshasa 16 janvier 2001) fut
président de la République Démocratique du Congo de mai 1997 jusqu’à son assassinat en janvier 2001. Il
était localement surnommé Mzee, littéralement le vieux, le sage en swahili.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent- Kabila
49
Lorsque je suis arrivé à Paris en 2002 pour suivre une formation en multimédia, j’ai été
interpellé par une expression que j’apprenais des jeunes Ba-Kongo de Paris : « kobwka ngulu ».
J’avoue que j’avais eu du mal à saisir la subtilité de cette expression pourtant populaire dans leur
milieu. Mon ignorance les surprenait beaucoup et les amusait en même temps. Ils me disaient que
tout Congolais qui arrive à Paris, normalement, sait bien ce que c’est. S’étant rendu compte que
mon ignorance n’était pas une blague, ils se sont décidés à m’expliquer l’expression.
« Notre établissement ici à Paris est un vrai parcours de combattant, me disaient-ils. Et le
combat commence déjà au pays, chez nous à Kinshasa. Là-bas la préparation pour faire le voyage
d’Europe peut prendre des années, bien souvent une dizaine d’années. Il faut déjà réunir une
importante somme d’argent jusqu’à dix mille dollars. Remplir d’innombrables formalités
administratives congolaises comme le passeport qui est un document difficile à obtenir et très
couteux. Au Congo, il ne s’obtient pas dans des communes, tout près de nos lieux de vie, mais au
Ministère des Affaires Étrangères qui nous est très difficile d’accès. Déjà qu’il est situé au fin fond
du centre ville, lui-même très excentrique et très difficile d’accès pour nous le petit peuple qui
habitons dans des cités périphériques. Pour acquérir ce passeport, il faut nouer d’innombrables
contacts, faire des dizaines d’aller-retour vers les services du ministère, trimer, transpirer. Et
quand enfin on l’a le fameux passeport, souvent en rupture de stock, commence alors un autre
combat beaucoup plus rude, le combat pour obtenir le visa.
Ici les démarches, les divers papiers à remplir, toutes les formalités peuvent prendre des
mois voire des années. Il est très difficile d’arriver à accéder au sein des Ambassades européennes
à Kinshasa. Avant il fallait être devant la grille d’entrée de l’ambassade à minuit pour espérer y
entrer à l’ouverture des portes à 9h. Car à 11h, ces véritables Empires que sont les ambassades
occidentales au Congo, particulièrement leurs consulats, ferment leurs portes. Il faut alors tout
recommencer non pas le lendemain, mais le jour indiqué. La plupart d’Ambassades européennes
de Kinshasa n’ont que deux ou trois jours d’ouverture au public par semaine pour l’obtention des
visas. Et pour nous petit peuple des pauvres cités périphériques, ce sont des rudes sacrifices. Mais
nous nous y astreignons parce que nous voulons quitter cet enfer de Kinshasa qui est pour nous
une vraie prison sans la moindre issue. Alors nous revenons et nous revenons encore, et encore, et
encore, jusqu’au jour où nous obtenons le précieux sésame pour les plus chanceux. Car la plupart
ne l’obtiennent pas bien sûr tout comme les passeports d’ailleurs. L’obtention d’un visa d’entrée
en Europe devient chaque jour plus difficile pour nous depuis l’ouverture de la Maison Schengen
50
que nous appelons aussi ‘Maison du refus’115. Bien souvent les agents des Ambassades nous
disent ceci : « Vous croyez que la République française n’a que cette seule préoccupation : prêter
l’oreille aux plaintes des (obscurs demandeurs) de visa ? Ce à quoi nous leur répliquons :
Comment, sans nous connaître, pouvez-vous décider de nous fermer ou de nous ouvrir les portes
de la France ?116 » Donc quand on obtient le visa, on fait la fête avec les amis et la famille, parce
que le chemin de l’Europe s’est enfin ouvert. On paie son billet et enfin on embarque pour Paris.
Paris la ville de tous les rêves.
Mais là, la triste réalité nous accueille à froid. Déjà qu’il fait parfois si froid. A l’aéroport,
nous qui venons d’Afrique, nous sommes accueillis comme des pestiférés, avec la plus grande
suspicion. Les agents de la douane et de tous les services nous contrôlent par quatre fois de peur
de laisser passer des clandestins. Car venant d’Afrique, nous sommes d’office considérés comme
des clandestins et traités comme tels. Il y a plusieurs douanes aux aéroports européens pour les
ressortissants africains et surtout Congolais. Finalement quand on a passé toutes ces douanes ou
barrières et que l’on sort, on voit enfin les amis ou la famille venus nous attendre, durant des
heures. Car souvent ayant atterris les premiers à l’aéroport, les ressortissants africains sortent les
derniers. Les voyageurs venant de toute l’Europe, des États-Unis, de l’Asie ou de l’Australie
passent bien avant nous, même s’ils arrivent après nous parce qu’ils sont les bienvenus
contrairement à nous. Il en est de même des Européens et autres qui prennent les mêmes vols que
nous, eux aussi passent avant nous et sortent rapidement de l’aéroport. Ils sont eux aussi les
bienvenus. Et si pour une raison ou une autre on a un moindre problème avec ses papiers, on est
arrêté, mis en prison, et le cas échéant rapatrié par le premier vol, menotté117 sous escorte
policière. Sinon, dès la sortie, démarre la dure aventure des papiers français pour un établissement
définitif car les papiers congolais n’ont pas beaucoup de valeur. Et d’après la convention de
Genève118, pour pouvoir vivre en France il vaut mieux avoir les papiers de réfugiés reconnus. Et
pour avoir ceux-ci il faut commencer par être un sans papier.
115
116
117
118
Dans sa livraison du 06/01/2011, le journal kinois « Le Potentiel », sous la plume de Martin Enyimo parle
d’un sit-in devant les ministères des Affaires Étrangères, de l’Intérieur et Sécurité, pour exiger la fermeture
pure et simple de cette maison unique au monde qui s’est attribué l’octroie des visas pour tous les pays
européens et pour qui octroie égale refus.
Erik Orsenna, Madame Bâ, roman, Paris, Fayard, 2003, p.22
Des menottes bien solides, et non ces ficelles avec lesquelles la police belge lie les mains des Flamingants
bruyants quand ils viennent manifester à Bruxelles pour réclamer l’indépendance de la Flandre !
Article 13 : 1) Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État.
2) Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
Article 14 : 1) Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en
d'autres pays.
3) Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun
ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
51
L’expression « kobwaka ngulu » s’utilise au moment où nous nous rendons à la préfecture
pour demander l’asile afin d’obtenir le statut de réfugiés pour avoir le droit de résider en France.
Ici c’est le quitte-ou-double. C’est un processus complexe, un combat de plus. Le plus grand
combat en fait. A la préfecture ou l’office des étrangers en Belgique, tu dois faire le vide de ce que
tu as été avant d’arriver ici. Tu ne dois tenir compte ni de tes études antérieures, ni de tes
compétences ou responsabilités ou tout autre chose de ce genre qui te donnait de la personnalité et
de la fierté au pays. Ici tu n’es plus quelqu’un, tu n’as pas de nom. Souvent nous changeons de
nom pour nous adapter à la nouvelle réalité. Quand tu entres à la Préfecture ou à l’Office des
Étrangers, tu dois attendre, parfois une journée entière, voire deux ou trois jours, parce que la file
des demandeurs d’asile est souvent interminable. Ils viennent de partout, pas seulement du Congo.
Ce qui est déjà une petite consolation. Mais avoir le numéro n’est pas aussi facile que cela peut
paraître. Il faut aussi se lever tôt, parfois à 4h ou à 3h du matin, afin d’espérer être reçu parmi les
premiers. Parfois il faut braver le dur froid d’hiver rigoureux, et surtout éviter à tout prix de se
faire contrôler par les policiers, sinon c’est l’embarquement immédiat et la prison en attendant le
retour à la case du départ, au pays, bien menottés. Certains viennent donc avec leurs petits enfants
malgré le froid. Car tant que tu n’as pas le papier de reconnaissance officielle de la République
Française de ton existence sur son territoire, tu n’es rien, et tu n’auras rien. Tu seras un « sans
droit », ce qu’ils appellent aussi « sans papier. » Donc sans travail, sans logement, sans argent,
sans nourriture. A vrai dire sans vie. Et ça c’est la pire des choses. Car c’est la condamnation à
mort pure et simple. C’est pour cela que nous nous astreignons à remplir coûte que coûte cette
exigence pour être tranquille et espérer vivre dignement comme des êtres humains. C’est cette
exigence si astreignante, inhumaine, humiliante et dégradante que nous appelons dans notre jargon
« kobwaka ngulu ».
Et pourquoi cette expression, d’où est-elle venue, leur demandais-je ? Ils ne savaient pas
me répondre sinon me dire qu’ils utilisent aussi une autre expression « kobwaka ngunda » pour
dire la même chose. Pour moi le mystère restait entier. Après avoir réfléchi longtemps, c’est dans
La Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dite Convention de Genève, définit les
modalités selon lesquelles un État doit accorder le statut de réfugié aux personnes qui en font la demande,
ainsi que les droits et les devoirs de ces personnes. Elle a été adoptée le 28 juillet 1951 par une conférence de
plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des apatrides convoquée par l'Organisation des Nations Unies,
en application de la résolution 429 (V) de l'Assemblée générale en date du 14 décembre 1950.
Produit de son contexte historique et de la primauté des intérêts étatiques sur ceux des réfugiés dans la
négociation, la Convention de Genève sur les Réfugiés ne définit pas le droit d’asile mais seulement le
réfugié et donne une définition particulière : restrictive, individuelle, associée à une sélection sur critères...
Une définition "au cas par cas" qui, ainsi, n'obligeait les États ni à reconnaître des fautes passées quant au
rejet des exilés durant les années 1930, ni à accueillir massivement dans le futur des populations en exode.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_relative_au_statut_des_refugiés_et_des_apatrides.
52
ma plus tendre enfance que j’ai dû retourner quarante quatre ans plutôt pour trouver l’explication
de cette expression « kobwaka ngulu ». Je me suis rappelé une expression très connue et très usée
chez nous « mundele- ngulu. »
Pour m’expliquer ce qu’est-ce, mon grand père, Célestin Kezobwok, le père de ma mère,
me faisait asseoir et prenait une boîte vide de conserve de viande américaine, communément
appelé corneed beef. Et il me disait: «Tu vois cette boîte, tu ne dois jamais manger son contenu,
nous ne le mangeons pas car c’est la chair de nos frères que les “mindele-ngulu“ ont emportés
chez eux, qu’ils ont tué et mis en boîte et qu’ils viennent nous vendre. Tu ne dois pas manger car
c’est de la chair humaine, la chair de nos frères.» C’est de cette façon que j’ai entendu parler pour
la toute première fois des mindele-ngulu et que j’ai appris l’histoire de la traite des africains119.
Donc un mot était identique entre l’avertissement de mon grand père et l’expression des jeunes à
Paris, le mot « ngulu ». Or le mot « ngulu » veut dire en langue kikongo, phacochère ou sanglier
ou truie. En fait les méchants envahisseurs qui étaient venus de l’océan, en plus d’avoir reçu la
désignation de « mindele », avaient aussi reçu une autre appellation encore plus terrible « ngulu ».
Et les deux mots avaient été liés, donnant l’expression « mindele-ngulu ». Littéralement,
« méchants envahisseurs-phacochères ». “Mindele-ngulu“, me disait mon grand père, était le cri
que le guetteur lançait pour permettre à tout le monde de s’enfuir quand les envahisseurs arrivaient
pour attraper les gens, les enchaîner, les entasser dans leurs bateaux et les conduire on ne savait
où. Dès que ce cri retentissait, quelque soit ce que l’on faisait, on l’abandonnait et on prenait la
fuite. C’était le sauve-qui-peut. Ainsi donc comme partout où ce régime de la terreur sévissait
« quelques individus qui réussissaient à s’échapper allaient vivre dans le bois ou au fond des
grottes avec tout ce que peuvent réaliser sur eux la pluie, le froid, les moustiques. Ne parlons pas
de la faim.120 »
Nos parents, me disait-il, nous ont raconté, combien ils ont souffert à cause de cette
situation. Leurs parents à eux, avaient fini par vivre dans la forêt en petits groupes pour échapper à
ces méchants envahisseurs sans pitié qui n’épargnaient personne, ni les femmes ni les enfants, ni
même les vieilles personnes. A les voir agir c’était comme si on avait affaire à des possédés, ils
voulaient toujours plus. Mais nous on n’était pas des truies aussi nombreuses et aux abondantes
portées. Nous étions des humains, leurs semblables. Les envahisseurs se trompaient de cible. Ils
auraient pu aller en forêt attraper autant des phacochères qu’ils désiraient et nous laisser vivre.
Mais c’étaient nos aïeuls la cible, la proie et pas les phacochères. Ils disent aujourd’hui que nos
aïeuls étaient des sauvages n’ayant aucune connaissance, n’ayant ni maison ni richesse. Mais
119
120
Une amie belge qui a séjourné au Zimbabwe m’a dit avoir appris le même recit là-bas.
LARC, p.105
53
comment avoir une maison quand on est dans une totale insécurité. Comment s’assumer dans ces
conditions, comment éduquer ses enfants, comment progresser ? Tant il est vrai que « l’être
humain qui n’a plus de maison, qui n’a plus de chez soi, ne peut plus être soi. Il est toujours sur le
qui-vive. Il devient hirsute, sauvage… Il se recroqueville, il renonce à lui-même...121 »
La
situation de nos aïeux, accusés des sauvages, des retardés, n’ayant rien inventé, est comme celle
des personnes à qui on ampute les mains et les jambes et dont on se moque ensuite parce qu’elles
ne savent plus se relever. Ce n’est pas simplement méchant, mais c’est cynique, cruel.
Ainsi nos aïeuls se sont désignés sous la dénomination de « ngulu », phacochères, truies,
sangliers, bétail prolifique, face à ces méchants envahisseurs, insatiables. Ngulu a fini par signifier
“esclaves“, ou plutôt personnes humaines réduites au rang du bétail, devenues ainsi du bétail
humain. Ils n’étaient plus des personnes humaines, mais simplement du bétail prolifique, devenus
des bêtes de somme en terre de déportation ou esclaves ; et mundele-ngulu, esclavagiste
(européen) aux esclaves. Et voilà d’où vient l’expression « kobwaka ngulu » des jeunes Ba-Kongo
à Paris. Cela veut dire en fait se livrer esclaves aux mains de l’administration territoriale française,
ou belge, ou néerlandaise, anglaise, allemande, suisse, canadienne ou américaine. Car cette
expression est répandue dans tous les milieux où les Ba-Kongo sont arrivés en exil en
« Occident ».
Dans beaucoup des milieux Ba-Kongo, encore aujourd’hui, à la maison ou sur les aires de
jeux, pour obtenir l’attention des enfants turbulents, ou les amener à obéir, les parents ou les
enseignants leur annoncent l’arrivée imminente des « mindele-ngulu » et c’est le sauve-qui-peut.
Les enfants détalent à toute jambe un à un!
Cela veut dire que pour ces jeunes Ba-Kongo le traitement qui leur est infligé dans ces
différents « pays occidentaux » où ils viennent demander l’asile, à vrai dire essayer de chercher un
mieux être, une vie meilleure – comme les Occidentaux l’ont cherché eux-mêmes partout dans le
monde - ce traitement est exactement le même, à leurs yeux, que celui subi par leurs ancêtres
durant des nombreuses années de la part des ancêtres des Européens actuels. Là-bas on les
embarquait sur des bateaux et on les conduisait en terre totalement inconnue, comme esclaves. Ici
ils viennent se livrer esclaves eux-mêmes en espérant d’être délivré plus rapidement que leurs
ancêtres. Mais la situation est la même, les humiliations aussi, les traitements également, les
injustices mêmement. Ici comme là-bas ils n’ont pas des noms, ils sont des simples numéros, des
sans-papiers, sans identité humaine. Ici il y a une loi, appelée convention de Genève, c’est vrai.
Mais c’est une loi qu’ils ont eux-mêmes promulguée et qu’ils interprètent comme bon leur
121
Armel Job, La maison, in Guérets d’Ardenne, Foyers communautaires de Houmont, Périodique trimestriel,
2010, n°04/10, p.2
54
semble122. Une loi faite en réalité pour eux. D’ailleurs là, il y avait aussi des lois qu’ils avaient
eux-mêmes promulguées et qu’ils interprétaient à leur guise.123 Car pour eux, la logique reste
toujours la même, à savoir que nous ne sommes pas comme eux124, nous ne sommes pas des
personnes humaines comme eux le sont. Nous serions, comme le disaient certains conteurs
cyniques du 16ème siècle, « des Africains, êtres monstres125 à l’âme aussi noire que la peau, qui se
faisaient cuire les uns les autres et se mangeaient entre eux, dont les femmes mettaient bas comme
des chiennes sur une litière de paille, et qui ne ressemblaient en rien à des humains ; êtres n’ayant
pas de tête… et dont la bouche et les yeux se trouveraient en plein milieu de la poitrine.126 » Nous
serions des êtres sans aspirations fondamentales et sans besoins humains réels, du simple bétail,
des « ngulu », des esclaves, des personnes sans droit, sans identité, des sans-papiers.
Ce très long supplice ne prend fin qu’au moment où on acquiert la nationalité française,
belge ou autre. Encore qu’ils peuvent nous la déchoir pour un oui ou pour un non. Quoiqu’il en
soit, à ce moment on peut se dire ouf, on est quelqu’un. Ce soulagement définitif est long à venir.
Il peut se faire attendre pendant des longues années, parfois une bonne dizaine. Alors, alors
seulement, on peut voyager partout dans le monde, car seuls les documents des européens vous
ouvrent larges les portes du monde, y compris les portes de notre propre pays que nous pouvons
désormais visiter à volonté comme le font les Européens. Eux peuvent aller partout dans le monde
comme bon leur semble. Et c’est aussi ce que nous faisons dès lors que nous avons le passeport et
la carte d’identité française. Nous passons ainsi « du statut de paria, de sans ‘papiers’ au statut
122
123
124
125
126
Dans des nombreux pays européens, dits aussi Occidentaux, les lois sur les étrangers changent presque tous
les mois au point que les Magistrats disent crouler sous le poids des lois. A peine peuvent-ils lire celle qu’ils
ont en main, qu’une nouvelle loi est déjà en route. A propos des étrangers, aussi incroyable que cela puisse
paraître, de nombreux pays européens ont à nouveau des ministères de l’immigration qui ont remplacé les
anciens ministères des colonies, eux-mêmes émanation des décrets et bulles ayant institué la traite des
Africains.
« Hélas, l’histoire donne peu d’exemples de peuples qui tirent les leçons de leur propre histoire »,
Stéphane Hessel, ‘Indignez-vous’, Montpellier, Indigène éditions, 2010, 8ème édition, p. 18.
Une dame belge avec qui j’ai échangé m’a dit qu’un prêtre d’origine belge, de type « occidental » lui a dit à
propos d’un autre prêtre d’origine africaine œuvrant dans le même secteur pastoral que lui, qu’ « ils ne sont
pas comme nous. » Devant la surprise de la dame, le prêtre s’est mis à énumérer des agissements de ce prêtre
africain qu’il trouvait répréhensibles. La dame n’a pas eu difficile à faire voir à son interlocuteur que ce qu’il
reprochait à son confrère n’était pas spécifique aux Africains et ne pouvait en aucune façon constituer une
raison pour les stigmatiser, le dénigrer, le discriminer comme il le faisait.
A ce propos, une jeune femme, étudiante à l’Universite Libre de Bruxelles, que j’ai rencontrée il y a quelques
annés dans le cadre de son travail de fin d’études, m’a dit qu’un étudiant africain de leur classe, se faisait le
plaisir d’alimenter les préjugés de ses camarades qui croyaient que les Africains dormaient sur des arbres et
toutes les autres assertions semblables. Il leur disait que dans son village chacun avait son arbre, les enfants
comme les adultes et qu’ils gambadaient en permanence au point que les visiteurs étrangers étaient également
reçus sur des arbres et qu’ils leur en attribuaient pour leurs séjours parmi eux. Ce que les autres étudiants
croyaient évidemment. L’étudiant africain se moquait plutôt de la naïveté de ses camarades qui ne s’en
rendaient pas compte.
Basil Davidson, op.cit. p.18
55
normal et à part entière, de citoyen du monde avec des papiers officiels127 », les seuls vrais papiers
reconnus, à savoir des papiers européens128. Nous pouvons alors partir chez nous et nous sommes
autorisés à revenir en France. Cette possibilité de mouvement libérateur, nous lui avons donné un
nom, « Kwenda-vutuka », en langue kikongo, “aller et revenir“, se mouvoir. A partir de ce
moment, le monde devient pour nous aussi un village comme il l’est pour eux. Pas avant.
Mais tout le monde n’a pas cette chance là. Car beaucoup meurent dans la mer
Méditerranée, pris dans les griffes de la fameuse Frontex. Le Frontex ou l’agence européenne qui
gère les frontières extracontinentales, notamment celles du sud vers l’Afrique, c’est-à-dire de la
méditerranée, est une forteresse. « Elle dispose de navires d’interception en haute mer rapides et
armés, d’hélicoptères de combat, d’une flotte d’avions de surveillance munis de caméras
ultrasensibles et de vision nocturne, de radars, de satellites et de moyens sophistiqués de
surveillance électronique à longue distance. Frontex maintient aussi sur le sol africain des ‘camps
d’accueil’ où sont parqués les réfugiés de la faim qui viennent…de toute l’Afrique. 129» Tous ces
équipements, c’est pour lutter contre les pauvres et paisibles Africains qui veulent venir vivre ou
visiter l’Europe.
J’ai rencontré à Tripoli, en Lybie, dans l’avion qui m’amenait à Ouagadougou, un groupe
des jeunes commerçants burkinabé qui revenaient de la Chine où ils avaient été faire du
commerce. Je leur ai demandé pourquoi ils allaient en Chine si loin au lieu de venir en Europe.
Leur réponse a été sèche et spontanée. « En Chine nous sommes traités comme des humains. En
Europe nous sommes des bêtes. On peut avoir de l’argent et justifier qu’on vient faire des affaires,
ils n’en ont que faire. Ils nous refusent les visas. C’est pour cela que nous nous sommes tournés
vers la Chine où nous sommes les bienvenus, où nous ne sommes pas traités de noirs ou de
sauvages. D’ailleurs la langue des Chinois est assez proche de nos langues. Nous nous
comprenons bien. Non, nous n’irons plus en Europe. Nos marchandises nous suivent, elles
arrivent par bateau. » Les commerçants congolais disent la même chose. Ils préfèrent aller à
“Ngwanso“- la dénomination que les jeunes congolais ont donné à la Chine – plutôt qu’en Europe.
On rencontre de plus en plus de Congolais et autres Africains à Dubaï, au Koweit ou en Chine.
127
128
129
Bernard Joachim, On est tous illégaux, in Guérets d’Ardenne, Foyers communautaires de Houmont,
Quatrième trimestre 2010, périodique trimestriel, n°04/10, p.28
En 2007, je suis allé au Burkina avec quelques amis belges. J’avais un passeport congolais. Nous avons fait
escale à Tripoli. A la douane à Tripoli ou à Ouagadougou, mes amis passaient comme une lettre à la poste.
Les agents me retenaient durant des longues minutes parce que j’avais un passeport peu sûr, étant congolais.
Et pour aller un an plus tard au Canada, j’ai du me rendre à Paris, faire la longue file devant l’Ambassade du
Canada à Paris, pour avoir le visa. Les Belges, eux, peuvent s’y rendre sans visa et n’ont donc pas besoin
d’aller jusqu’à Paris.
Jean Ziegler, L’Empire de la Honte, Paris, Fayard, 2005, p.13
56
A propos des mindele-ngulu et de l’interdit de manger de la viande de conserve
américaine, corned beef, la tradition ancestrale persiste à l’idée qu’on ne doit pas la manger parce
que c’est de la chair de nos frères partis en déportation. Car jusqu’aujourd’hui beaucoup
d’Africains n’ont jamais su où partaient leurs frères arrêtés et déportés. Quand le président
Hussein Barack Obama a été élu président des États-Unis d’Amérique et qu’il y avait une foule
impressionnante d’Africains-Américains en liesse, une jeune femme Kongo habitant la Belgique
s’est demandée ce que ces Africains étaient allés faire là-bas si loin. C’est tout dire. Pour revenir
encore à l’interdit de corned beef, à Kinshasa, jusqu’à ce jour cette viande est difficilement
consommée par la population. Il y a une trentaine d’années, quand la crise avait frappé le Congo et
que les quelques usines et autres entreprises occidentales avaient fermé les unes après les autres
sans aucune négociation et donc sans donner des indemnités aux travailleurs, ni allocations
familiales, ni pensions. Toute la ville s’est retrouvée au chômage. La famine s’est installée. Alors
une société d’import-export, voulant faire des affaires, a fait venir des tonnes de conserve de
viande en boîte et a inondé la ville de cette denrée. Les jeunes ont commencé à en manger et lui
ont trouvé un nom affectueux, « elengi eyei », le délice est là. Mais les plus âgés les en ont vite
dissuadés en leur faisant croire que cette viande était porteuse d’une maladie contagieuse
entraînant la paralysie générale du corps, appelée « buka-buka »
en langue kikongo,
« poliomyélite » en français. Et du jour au lendemain, toute la ville a refusé comme un seul
homme de consommer cette viande. L’importateur s’en est bien mordu les dents.
S’il peut s’avérer vrai comme le dit Ibrahim Thioub, qu’ « il y a eu de l’exploitation
domestique de la main-d’œuvre servile avec un impact certain sur le modelage de l’architecture
sociale d’une part et que d’autre part à des degrés divers, certaines élites africaines ont adhéré à la
traite atlantique en conformité avec leurs intérêts politiques et économiques et pour lesquels elles
auraient produit une idéologie légitimant leurs activités prédatrices »130, il faut dire aussi que
l’ampleur de cette activité telle que pratiquée par les Européens reste inédite. La mémoire
populaire qui en a gardé une douleur immense n’a rien oublié jusqu’à ce jour comme le montre
cette épisode de la demande d’asile par les jeunes Congolais dans des pays occidentaux, demande
appelée « kobwaka ngulu », expression qui fait appel au tout début de la traite. Étonnant !
130
Ibrahim Thioub, L’esclavage et les traites en Afrique Occidentale : entre mémoires et histoires, in Petit
précis de remise à niveau sur l’histoire africain à l’usage du président Sarkozy, Paris, 2008-2009, p.211
57
3. « Mindele-ngulu » et la ruine de l’État Kongo.
Comme on peut le voir, les nouveaux venus, les personnes venues de la mer n’ont pas été
perçues comme des civilisateurs, – ceci étant complètement stupide - mais comme des
envahisseurs. Et pas seulement au Kongo, mais aussi en Amérique, appelé aussi nouveau monde,
« où les autochtones amérindiens avaient fini par se méfier de ces nouveaux venus, si encombrants
et si belliqueux. »131 Les « civilisateurs » n’ont pas attendu la soi-disant civilisation pour montrer
leurs dents. Ils sont vite passés à la besogne, c’est-à-dire le commerce des Africains. Ce commerce
inédit avait commencé quelques années auparavant plus haut, sur la côte ouest africaine. Car la
première vente publique des êtres humains a eu lieu à Lagos le 8 août 1444 en présence d’Henri le
Navigateur.132 Et c’était l’œuvre des Portugais. Ils sont les tous premiers à se lancer dans ce
commerce avant d’être suivi par les autres nations européennes. Cette activité inédite, et dont
l’ampleur laisse muet le plus simple esprit, a marqué à jamais l’histoire aussi bien de l’Afrique
que de l’Europe. L’Europe et sa jeune sœur les USA ont connu une ascension fulgurante et
l’Afrique, elle, a connu un déclin inédit, foudroyant. L’arrivée des Européens et leur appétit
d’avoir plus en bêtes humaines ou en matières premières ne sont pas un fait du hasard. Quelque
chose de nouveau s’est produit en Europe.
A cette époque, arrive là-bas la renaissance de l’Empire romain antique133. Les Italiens,
lointains descendants des Romains, ont repris le flambeau de la civilisation romaine et parcourent
l’Europe sur les traces des anciennes routes romaines, c’est-à-dire sur les traces de la colonisation
romaine. Celle-ci avait été balayée par les invasions dites barbares134. Les barbares après avoir mis
à feu et à sang135 l’extraordinaire édifice romain, se sont retirés chez eux et ont retrouvé leurs
131
132
133
134
135
Hassimi Oumarou Maïga, Quelques aspects de la contribution de l’Afrique au développement du
Nouveau Monde et de la France, paru dans « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à
l’usage du président Srkozy », La Découverte, Paris, 2008, 2009, p.179
Selon Zurara, cité par Kinvi Logossah, Aux origines de la traite négrière transatlantique : introduction au
débat sur la responsabilité africaine, in op.cit. p. 190 (Logassah, 2008, 2009)
En 410, Rome a été conquise et pillée par les Wisigoths d’Alaric (anglo-saxons). Cfr Jean-Claude
Guillebaud, La Refondation du monde (LRFM), Seuil, Paris, 1999, p.345
« Le Saint-Empire romain germanique, ou Sacrum Romanorum Imperium, bien qu’il n’acquiert cette
dénomination que plus tard, l’adjectif Saint ne s’adjoint par exemple qu’en 1157, naît en 962 avec le
couronnement d’Otton 1er par le pape Jean XII à Rome....» http://www.oboulo.com/
naissance+saint+empire+romain+germanique
Les Germains « sont des hommes qui ne sont pas habiles à l'agriculture ou à la navigation, ou qui ne
cherchent pas à vivre de troupeaux ; ils ne connaissent au contraire qu'un ouvrage et qu'un art : combattre
sans cesse et vaincre ce qui s'oppose à eux » Plutarque, Aemilius Paulus, 12, cité par F. Engels, Sur l’histoire
des anciens Germains, César et Tacite, 1882, Conforme au texte publié en annexe à « l'Origine de la Famille,
58
anciennes cavernes. Ils ne sont pas allés plus loin, ni en Grèce et encore moins en Égypte. Ils ont
simplement mis à terre l’Empire romain. La ruine de l’Empire romain a été suivie d’une période
sombre en Europe, soumise à l’obscurité et à la barbarie. C’est la période dite du Moyen-âge.136
L’Europe vit repliée sur elle-même. Le sud de l’Europe est conquis en partie par les Arabes.137 Au
nord on est retourné au régime de la caverne. La renaissance italienne vient en réaction à cette
inertie. Elle enflamme à nouveau toute l’Europe, jusqu’à l’Europe du nord138. Elle atteint aussi les
pays du sud : la France, le Portugal et l’Espagne. Cette période marque une passation de pouvoir
entre d’une part la civilisation africaine d’ère égyptienne et la civilisation anglo-saxonne d’ère
germanique, et d’autre part entre la mer méditerranée et la mer du Kongo appelée aussi océan
atlantique. Autant la civilisation grecque et plus tard romaine ont été une renaissance de l’Empire
Égyptien et une passation de pouvoir de l’Afrique vers l’Europe, autant la civilisation italienne est
une renaissance de l’Empire romain et en même temps une passation de pouvoir du monde romain
vers le monde anglo-saxon.
Évidemment cette passation de pouvoir de l’Égypte vers l’Europe a permis le
développement, le progrès, de l’Europe occidentale, mais n’a pas arrêté celui de l’Afrique. Loin de
là. D’autres états, d’autres empires ont pris la relève. Des empires puissants se sont bâtis au sud de
l’Égypte, à la suite des nouvelles migrations, comme l’extraordinaire empire du Ghana et le solide
pouvoir du Kongo. Les deux branches de l’ancienne civilisation égyptienne, à savoir l’européenne
et l’africaine, ne tarderont pas de se rencontrer. Une rencontre qui tournera vite au vinaigre, car
elles sont mues par deux visions du monde fort différentes sinon opposées. D’un côté l’incertitude
permanente du lendemain résultant de la rudesse du climat et de l’ingratitude du sol, et la
méfiance envers l’étranger perçu comme un danger, quelqu’un qui peut s’emparer du peu que l’on
136
137
138
de la Propriété privée et de l'Etat » Editions Sociales, Paris, 1976
http://www.marxists.org/francais/engels/works/1882/00/cesar1.htm
Au moyen âge, après la chute de l'empire romain, l'Europe connait un retour à la barbarie, un déclin général
du savoir et une longue période d'obscurantisme. Il faudra attendre l'apport des Arabes pour assister à une
véritable renaissance. Vers le 12ème siècle, les croisades relancent les échanges entre l'Europe et le MoyenOrient et contribue à la renaissance Italienne, le commerce des épices renaît. http://www.equi-nox.net/t1444histoire-des-plantes-aromatiques
En 711, les troupes musulmanes dirigées par le maure Tariq ibn Ziyad arrivent à Gibraltar, baptisée Djebel al
Tariq (la Montagne de Tariq), puis se dirige rapidement vers le nord de l'Espagne. En 714 la ville de
Saragosse tombe aux mains de l'envahisseur, puis c'est au tour de Tarragone puis de Barcelone d'être conquis.
En 718, pratiquement tout l'Espagne est soumise aux musulmans. Les troupes musulmanes poursuivent leur
avancée au-delà des Pyrénées. http://espagne.americas-fr.com/histoire.html. Cette terre espagnole devient le
pays d’al-Andalûs pour 800 ans. http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_lexpansion_de_lislam
Le passage du Moyen Âge à la Renaissance s’est fait graduellement dans le temps (de 1400 à 1500) et dans
l’espace (de l’Italie vers le nord de l’Europe). Le nom ‘’Renaissance’’ est utilisé pour illustrer les
changements de la société médiévale qui rejette son mode de vie pour reprendre et développer les idées et
techniques élaborées dans le passé par les sociétés athénienne et romaine. S’inspirant de la Bible et de la
philosophie de l’Antiquité, la société devient plus humaine ce qui favorise le développement de l’art et des
sciences.
Cette
période
favorise
également
le
développement
des
armes
à
feu.
http://membres.multimania.fr/bleu/renaissance.htm
59
a et qui peut même tuer pour la même raison, et de l’autre la quiétude voire l’assurance, offres
d’une nature très généreuse, et la confiance totale en l’étranger perçu comme un frère, quelqu’un
avec qui on doit partager, tant on a à partager justement. La quête permanente de la subsistance et
l’incertitude immanente de la vie à cause de la nature peu généreuse porte le nouveau monde
européen vers d’autres mondes à travers l’océan atlantique. La mer Méditerranée qui était l’ère
d’influence du monde égyptien cède le pas à l’océan Atlantique, la mer du Kongo et à tous les
océans par la suite. L’Afrique de l’Ouest étant à la porte de cette nouvelle Europe, c’est vers elle
qu’elle vient tout naturellement. Car une nouvelle technologie et une nouvelle technique
permettent cette nouvelle aventure. Les chars des Égyptiens, Grecs et Romains sont abandonnés
au profit de la caravelle. Les canons et l’artillerie remplacent les lances et les flèches.139 C’est
donc une nouvelle page qui s’ouvre à l’Europe.
C’est dans ce contexte nouveau, celui de la vie retrouvée et de la recherche de la richesse
en manque que les explorateurs Portugais arrivent au Kongo, encouragé par l’autorité du pape.
« Le souverain pontife apparaît au XVe siècle comme un prince italien parmi d'autres, avec
autorité sur un immense domaine au centre de la péninsule, les États pontificaux. La ferveur des
fidèles lui permet aussi de collecter des fonds en abondance. Mus par l'appétit de puissance et la
volonté d'en remontrer à leurs voisins, les papes de la Renaissance se conduisent en mécènes
jouissifs, tout en respectant généralement dans la forme leurs devoirs religieux. 140» En cette
période de la Renaissance, où tout bouge dans tous les sens, le pape reprend le flambeau de la
direction politique. Il est le chef suprême tant au spirituel qu’au temporel.141 C’est lui qui organise
les croisades, c’est lui aussi qui organise la traite des Africains. Ainsi Henri le Navigateur qui est
l’un des instigateurs du commerce des Africains est un « fervent chrétien, c’est-à-dire, versé dans
les croisades chrétiennes contre les infidèles, nommé gouverneur et administrateur de l’Ordre du
Christ par le pape Martin V le 20 mai 1420.142 Il est du reste de notoriété publique que les
hommes d’Église et l’Église elle-même avaient des esclaves comme tous les autres, qu’ils
achetaient et revendaient. C’est l’Église qui précipite la ruine de l’État Kongo-dyna-Nza et la
désolation de tout son peuple. Car à cette époque l’esclave est une richesse comme l’argent qu’on
a en banque. Il aura même la valeur de la monnaie.143
139
140
141
142
143
Ibidem
Marie Desclaux, XVe et XVIe siècles Les papes de la Renaissance, http://
www.herodote.net/histoire/synthese.php _dossier
LARC. p.23
Kinvi Logossah, Aux origines de la traite négrière transatlantique : introduction au débat sur la
responsabilité africaine, in Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président
Sarkozy, op.cit. p. 194
Idem, p. 198
60
Les explorateurs portugais sont donc au Kongo. Les trois émissaires de Diègo Câo sont à la
cour du roi à Mbanza-Kongo. Ils tardent à revenir. Entre temps sur le bateau tout est aménagé en
vue d’amener chaque jour le plus de Congolais possible… un jour Diego-Caô jugeant le nombre
des visiteurs suffisant pour constituer un chargement d’échantillons, fait lever l’ancre. A leur
arrivée au Portugal avec “leur marchandise“, ils reçoivent toute sorte de récompenses. Le capitaine
Mor est créé Cavalheiro et se voit adjuger une rente annuelle de 10.000 reis, le 8 avril 1484.144 Au
Portugal, conformément aux usages, dès leur débarquement les infortunés congolais sont
éparpillés à travers tout le pays afin de ne pas leur permettre de machiner un quelconque mauvais
coup. C’est une pratique qui est récurrente à la colonisation portugaise et belge au Congo, la
relégation et la séparation. Les soldats congolais de la Force publique qui se sont battus avec
bravoure, lors de la grande guerre européenne de 1940-1945, au front en Abyssinie, à Assossa, à
Gambela, et qui ont remporté une victoire éclatante sur les Italiens en Égypte, ont été relégués à
leur retour chacun dans son village par peur de leur mentalité très conscientisée.145
Mais les notables sont triés et reçoivent là où ils se trouvent un traitement différent en
prévision de leur témoignage futur à leur retour au Kongo. C’est ce qu’ils disent en effet. Le
Mfumu (roi) du Kongo organise une grande fête au cours de laquelle le roi du Portugal et son
peuple sont proclamés « Makangu », amis intimes et alliés inséparables du Congo.146 Aussi au
retour de Diego-Caô au Portugal, le roi du Kongo lui enjoint un ambassadeur et un important
groupe de jeunes gens pour les placer dans les écoles.147 Dans cette relation nouvelle avec les
Portugais qu’ils considèrent encore comme leurs amis, les peuples Kongo entendent tirer profit
pour améliorer leurs conditions de vie. Les nobles qui sont revenus du Portugal racontent ce qu’ils
y ont vu. Le Portugal a des infrastructures qui peuvent inspirer les Congolais, comme les édifices,
les écoles et les églises. Neuf ans après l’arrivée de Diego-Caô, le roi reçoit le baptême, la
première église est construite à Mbanza-Kongo où les prêtres, “Banganga za Nzambi“, annoncent
la « Bonne nouvelle ». Bientôt « Kongo dyawonso dibotekelo », tout le Congo est baptisé148. Rien
que dans Mbanza-Kongo on compte déjà plus de dix églises de sorte qu’elle se voit surnommer
Kongo-dya-Ngunga, le Kongo des cloches.149 Plusieurs Ordres religieux envoient leurs membres
au Congo. Il ya des Franciscains, des Dominicains, des Jésuites, des Capucins etc. auxquels
s’ajoutent des prêtres séculiers. Des jeunes Kongo sont instruits.
144
145
146
147
148
149
Raphaël Batsîkama ba Mampuya, Voici les Jagas ou l’histoire d’un peuple parricide bien malgré lui, p. 27,
in LARC
MN, p. 25
Voici les Yaga, in LARC, p. 28
Aurélien Mokoko Gampiot, op.cit. p. 28
Raphaël Batsîkama ba Mampuya, Dona Béatrice, p. 5 in LARC
Idem
61
Le contingent des jeunes Kongo, arrivés au Portugal, est confié au couvent Saint-Eloi des
Chanoines de Saint-Jean l’Évangéliste. Ce couvent a régulièrement reçu des jeunes Kongolais. Il
semble qu’un des fils du roi Ndo Funsu 1er, du nom de Ndo Funsu, s’installa définitivement à
Lisbonne après ses études et dirigea une école publique. Il paraît qu’il ait eu beaucoup de bons
disciples.150 Certains jeunes Kongo formés entrent dans les ordres et se font ordonner prêtres
comme l’abbé Lubeladyo151 entré chez les Capucins. Le premier évêque congolais, Kinu a
Mubemba, Ndo Kiki (Henrique), fils du roi Ndo Funsu 1er, est ordonné évêque à Rome en 1521. Il
était arrivé auparavant à Lisbonne au Portugal avec d’autres jeunes pour étudier. C’est à Lisbonne
qu’il a suivi sa formation religieuse. Il a été ordonné prêtre en 1520. Il a été promu évêque titulaire
d’Utique et est retourné au Kongo où il meurt en 1531. Il a été un étudiant brillant et a bien
assimilé le latin, langue dans laquelle se donnaient les enseignements à l’époque. Ce n’était pas le
cas des autres jeunes Kongo qui ont eu beaucoup de difficultés à cause de la langue. Il y a aussi un
taux de mortalité assez élevé parmi les jeunes Kongo envoyés à Lisbonne, à cause de la rudesse du
climat et de l’inadaptation à l’alimentation152. On s’en doute. Au Kongo même il y a une forte
demande de formation. Les Jésuites créent un collège à Mbanza-Kongo où seuls les enfants des
nobles peuvent y accéder ; et n’y est formé que le personnel auxiliaire à l’évangélisation à savoir
des catéchistes et des sacristains. Mais la demande congolaise concerne l’apprentissage de la
maçonnerie, de la menuiserie et de la tuilerie pour améliorer leur habitat.153 Le premier
Ambassadeur du Congo auprès du Saint-Siège, Ndo Manwele ne-Vunda, est nommé en 1604.154
Mais l’évangélisation du Kongo, appréciée au début par les Ba-Kongo eux-mêmes tourne
court. Car sans tarder l’esprit de suspicion hante les couvents. Les fidèles sont soumis à des
curieux serments comme celui de jurer solennellement de n’accepter chez eux que des prêtres de
l’ordre et du pays de l’Officiant.155 Tous les symboles du Royaume sont supprimés et remplacés
par des objets sacrés. Le trône, la couronne, les armoiries, et autres emblèmes sont tous remplacés
par les Missionnaires. L’eau bénite, venue de Rome, remplace la matière sacramentelle qu’utilisait
le lignage Kinsaku pour introniser le roi.156 Pire que cela les enseignants sont plus intéressés par la
traite, le commerce des Africains, que par l’enseignement de ces mêmes Africains.157 D’autre part
les agissements souvent inhumains et dégradants des missionnaires contredisent leurs bonnes
150
151
152
153
154
155
156
157
HGC. p. 101
LARC. p.7
Ibidem. p. 102
HGC, p. 101-102
LARC, p. 6
Ibidem, p. 8
Raphaël Batsîkama ba Mampuya, Voici les Jagga, p. 71-73 LARC.
HGC, p. 103
62
intentions. Ils se font conseillers des rois devenus chrétiens et s’immiscent entièrement dans la
conduite du pays. Ils brulent des villages entiers réputés être fétichistes158. Une jeune femme,
Kimpa Vita, appelée aussi Dona Béatrice Nsimba, accusée d’hérésie, est condamnée au bucher et
brulée vive.159 Les missionnaires font la loi. Le roi n’est qu’un rien devant eux. Ils font trembler
le peuple par des excommunications presque tracassières que les Congolais craignent comme de la
peste. De fois ils débordent de zèle. Ils bâtonnent, ils crucifient, ils incendient des cases pour
brûler les diables et les fétiches.160 Devant ces exactions répétées, le roi écrit au Pape Paul V pour
lui demander qu’on donne l’ordre à ceux qui viendront de se maintenir dans leurs devoirs.161
Cette immixtion déstabilise complètement le pays car les Missionnaires et les autres
Portugais parviennent à s’ingérer dans le mode d’élection du roi. Ils font monter au trône par ruse
Mvêmb’a Nzinga, le fils cadet du roi Nzing’a Nkuwu, alors que ce devait être son cousin, neveu
du roi qui devait lui succéder, la succession au trône en pays Kongo étant matrilinéllaire. La prise
du pouvoir de Mvêmb’a Nzinga, devenu roi Afonso 1er est un coup d’état. Car c’est arme à la
main, après avoir gagné la guerre contre son frère, en fait son cousin, Mpânzu’a Nzinga, grâce au
soutien massif des Portugais, qu’il monte au trône. Mpanzu’a Nzinga, qui avait légitimement
succédé à Nzing’a Nkuwu avant d’en être chassé par Mvêmb’a Nzinga, était réputé ferme. Il ne
s’était pas fait baptiser. Il ne voulait pas aliéner la personnalité du pays.162
Dès lors le pays sera divisé en divers petits royaumes. Les Portugais installent partout leurs
protégés. L’unité du pays est brisée et le pays entièrement ruiné. « Nsi yifwidi », le pays se
meurt.163 Le but de la colonisation portugaise du Kongo n’est pas altruiste ou civilisateur. Car rien
ne justifie une telle attitude. Il n’existe aucun lien entre le Kongo et le Portugal, ni de parenté, ni
d’amitié, ni de voisinage. Rien. Le but de la colonisation portugaise du Congo est ailleurs. « La
découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en
esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de
conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne
commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation
primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore.164 » L’évangélisation du Kongo est sur les
mêmes pas. Parlant de la colonisation chrétienne, M.W. Howitt, un homme dont la ferveur
chrétienne a fait tout le renom, s’exprime ainsi : « Les barbaries et les atrocités exécrables
158
159
160
161
162
163
164
Batsîmba ba Mampuya, Dona Béatrice, p. 9, LARC.
LARC, p. 30
LARC, Voici les Jagas, p. 71 in op.cit.
LARC, Dona Béatrice, p. 9
LARC, Voici les Jagas, p. 89-90
LARC, Dona Béatrice, p. 9
Karl Marx, Le Capital, Livre I, Gallimard, Paris, 1963 et 1968, p.760
63
perpétrées par les races soi-disant chrétiennes, dans toutes les régions du monde et contre tous les
peuples qu’elles ont pu subjuguer, n’ont de parallèle dans aucune autre ère de l’histoire
universelle, chez aucune race si sauvage, si grossière, si impitoyable, si éhontée qu’elle fût.165 »
De toute façon si les Portugais aimaient autant que cela les Congolais, ils ne les auraient pas
réduits en esclavage, les soumettant aux souffrances dont l’imagination a même de la peine à se
les représenter. « La richesse coloniale n’a qu’un seul fondement : l’esclavage. 166» L’argument de
la mission civilisatrice est un prétexte faux et hypocrite.
« Le régime colonial donna un grand essor à la navigation et au commerce. Il enfanta les
sociétés mercantiles, dotées par les gouvernements de monopoles et de privilèges et servant de
puissants leviers à la concentration des capitaux… L'esclavage direct est le pivot de l'industrie
bourgeoise aussi bien que les machines, le crédit, etc. Sans esclavage, vous n’avez pas d'industrie
moderne. C'est l'esclavage qui a donné leur valeur aux colonies, ce sont les colonies qui ont créé le
commerce de l'univers, c'est le commerce de l'univers qui est la condition de la grande industrie…
En somme, il fallait pour piédestal à l'esclavage dissimulé des salariés en Europe, l'esclavage sans
phrase dans le Nouveau Monde… Les trésors directement extorqués hors de l’Europe par le travail
forcé des indigènes réduits en esclavage, par la concussion, le pillage et le meurtre, refluaient à la
mère-patrie pour y fonctionner comme capital. Le Portugal, l’Espagne, la Hollande, la France et
l’Angleterre se disputaient le flambeau de l’œuvre coloniale. La vraie initiatrice du régime
colonial, la Hollande, avait déjà, en 1648, atteint l’apogée de sa grandeur.167» L’impérialisme
naissant mobilise les potentialités d’Afrique noire et de l’Amérique au seul profit de l’Europe lui
permettant de se développer au détriment des autres, contraints, eux, par le fait même à se sousdévelopper168.
A propos des Congolais déportés en Amérique, les esclavagistes et les colons eux-mêmes
affirment « qu’ils étaient excellents au service de la maison. Les Nègres du Congo sont très
appréciés à Saint-Domingue (Haïti) ; adroits et faciles à conduire, ils apprennent en peu de temps
tous les métiers qu’on veut leur montrer et ils sont intelligents dans la culture de la terre. Ils sont
les esclaves les plus communs et les plus estimés. Ils sont magnifiques, robustes, durs à la fatigue,
les meilleurs de nos colonies.169 » Et comme le dit Batsîkama ba Mampuya : « cette fameuse
renommée dont jouissaient les ‘esclaves’ en provenance du Congo n’allait pas sans de graves
conséquences pour ce malheureux pays qui fut d’ailleurs aussitôt envahi par des hordes armées, à
165
166
167
168
169
Cité par Karl Marx, Le Capital, Livre I, Gallimard, Paris, 1963 et 1968, p.761
Karl Marx, le Capital, cité Lilas Desquiron et Francçois Forestier, Martin Luther King, le Visionnaire,
Michel Lafon, Paris, 2008, p.57
Karl Marx, Le Capital, Livre I, Gallimard, Paris, 1963 et 1968, p.763
HGC, p. 98
LARC, Voici les Jagas, p. 32
64
la solde de tous ceux qui s’intéressaient au ravitaillement des colons des Indes occidentales en
cheptel humain. Ces bandes, composées en majeure partie des scélérats de tous les pays d’Europe,
semaient la panique, traquaient la population, capturaient hommes, femmes et enfants. Elles
pillaient, elles incendiaient et ainsi mirent le Congo en lambeaux. Certains de ces lambeaux étaient
prétendument placés sous la protection des puissances européennes qui leur firent signer des
traités d’amitié et d’assistance mutuelle dont ils ne comprenaient absolument rien. Et pour remplir
les obligations découlant de ces traités, lesdits lambeaux devenus ‘royaumes’ aux yeux de leurs
protecteurs, devaient, sans en comprendre le pourquoi, se mettre constamment en guerre contre
leurs frères habitant les autres régions du pays. L’ignoble supplice congolais dura cinq siècles
entiers ou plutôt dure toujours. 170» Car dans les relations entre le Congo et l’Europe il n’y a rien
de nouveau sous le soleil.
La prétendue origine congolaise de la traite, comme esclavagisme interne, est aussi fausse.
Car le régime de la traite telle qu’elle a été introduite au Congo était déjà en vigueur en Europe.
Parlant de la création du prolétariat et des expropriations violentes et répétées des grands seigneurs
féodaux et cultivateurs, voici ce qu’en dit Karl Marx : « Il en sortit donc une masse de mendiants,
de voleurs, de vagabonds. De là vers la fin du XVème siècle et pendant tout le XVIè, dans l’ouest de
l’Europe, une législation sanguinaire contre le vagabondage. Ainsi le roi Édouard VI ordonne, en
1547, que tout individu réfractaire au travail sera adjugé comme esclave à la personne qui l’aura
dénoncé comme truand… Le maître doit nourrir cet esclave au pain et à l’eau, et lui donner de
temps en temps quelque boisson faible et les restes de viande qu’il jugera convenable. Il a le droit
de l’astreindre aux besognes les plus dégoûtantes à l’aide du fouet et de la chaîne. Si l’esclave
s’absente une quinzaine de jours, il est condamné à l’esclavage à perpétuité et sera marqué au fer
rouge de la lettre S [=slave, esclave] sur la joue et le front ; s’il a fui pour la troisième fois, il sera
exécuté comme félon. Le maître peut le vendre, le léguer par testament, le louer à autrui à l’instar
de tout autre bien meuble ou du bétail. Si les esclaves machinent quelque chose contre les maîtres,
ils doivent être punis de mort… Quand on attrape un de ces va-nu-pieds, il faut le marquer au fer
rouge du signe V sur la poitrine et le ramener à son lieu de naissance où, chargé de fers, il aura à
travailler sur les places publiques… Ce genre d’esclaves de paroisse s’est conservé en Angleterre
jusqu’au milieu du XIXè siècle sous le nom de roundsmen (hommes qui font les rondes)… En
France, où vers la moitié du XVIIè siècle les truands avaient établi leur royaume et fait de Paris
leur capitale, on trouve des lois semblables. C’est ainsi que la population des campagnes,
violement expropriée et réduite au vagabondage, a été rompue à la discipline qu’exige le système
170
LARC, Voici les Jagas, p. 32 in op.cit.
65
du salariat par des lois d’un terrorisme grotesque, par le fouet, la marque au fer rouge, la torture et
l’esclavage.171 » Voilà d’où vient cette pratique nauséabonde que les capitalistes européens ont
introduit au Kongo.
Les missionnaires appuyés par les commerçants portugais ou les commerçants portugais
appuyés par les missionnaires, c’est selon, donnent le coup de grâce au pays Kongo-dyna-Nza.
Les sécessions se multiplient presque à l’infini. L’Angola fait secession, le Lwango fait de même
et le Ngôyo également. Les territoires de Nsôno, Zômbo, Kibângu, Kôngo-dya-Lêmba, Nsûndi,
Mpângu, Nkusu, etc. se mettent dans la danse. Désormais le Kongo-dyna-Nza est remplacé par le
Kongo-dyna-Nkongo’a Ngolo » le Kongo du pouvoir par la force des armes. C’en est bien fini du
« Kimfumu ma kya tûmbwa », le pouvoir affaire d’investiture, principe fondateur et stabilisateur
du Kongo.172 Ndo Mfûnsu Mvêmb’a Nzinga, Afonso 1er, porte une grande responsabilité dans la
débâcle totale que connait le pays Kongo du fait de son coup d’état. Mais on sait de toute façon
qu’à sa place, les Portugais auraient trouvé quelqu’un d’autre pour réaliser leur dessein. Car ce
sont eux les véritables instigateurs de la ruine totale de notre Kongo. Les Portugais sont restés
maîtres du Kongo depuis le 15ème siècle jusqu’en 1975, année de l’indépendance de l’Angola.
Le Kongo, ruiné, déstabilisé, est devenu la proie les pays européens qui se le partage.
Réunis à Berlin en 1885, les Européens décident de donner le coup de grâce au Kongo-dyna-Nza.
Le territoire est partagé entre la France, la Belgique et le Portugal sous l’œil vigilant de
l’Angleterre. C’est la fin définitive du pouvoir puissant du Kongo-dyna-Nza. Les nouvelles
frontières que s’attribuent les nouveaux maîtres ne suivent qu’une seule finalité, les richesses.
L’Europe a besoin des matières premières pour alimenter ses industries naissantes tout comme
l’Amérique avait eu besoin de la force musculaire congolaise pour ses plantations des cannes à
sucre. Comme elle, l’Europe vient puiser au Congo ce qui lui manque. Avec la découverte du
pétrole, le travail des esclaves est devenu inutile. La découverte de l’or noir sonne le glas de la
traite négrière. Car les machines produisent beaucoup plus que les biceps nègres. Alors on leur
fout la paix. Mais le supplice des Congolais du Congo est encore loin, très loin de prendre fin. Car
rien ne remplacera les matières premières. Et rien ne remplacera non plus l’appétit des Européens
dans ce domaine.
171
172
Karl Marx, Le Capital, Livre I, Paris, Gallimard, 1963 et 1968, p. 742 et 743
LARC p. 145
66
IIème partie. Le Congo-prison.
67
68
Chapitre 1 : Concession privée, prison publique.
1. Kinshasa, une prison à ciel ouvert.
Centre-ville
Kingasani-Masina
Quand on atterrit à l’aéroport de Ndjli à Kinshasa, on est surpris par le nombre
impressionnant du personnel qui se trouve au tarmac, à la douane et au hall d’arrivée. Le tout se
passe dans un désordre ahurissant. Il faut d’ailleurs tenir ses bagages à l’œil à leur sortie du tapis
roulant, sinon ils peuvent disparaître tant il y a du monde devant ce tapis. Tout le monde n’est pas
là pour travailler. Tout le monde veut saisir cette opportunité de l’arrivée des voyageurs pour
gagner un peu d’argent et espérer aller manger à la maison. C’est donc dès la sortie de l’avion
qu’on vous en demande. Tout le monde le fait, même les policiers et militaires commis à la garde
de l’aéroport. L’aéroport n’est que la porte d’entrée de la situation inédite de la ville entière. Celle
d’un désordre généralisé, un manque total d’ordre et d’organisation.
Dès la sortie de l’aéroport, au boulevard Lumumba, on est plongé dans une obscurité
effrayante. On ne voit pas grand’chose la nuit. Les véhicules roulent de façon bizarre. Chacun se
met sur la ligne qu’il veut. On se dépasse comme on veut, à gauche comme à droite. Les grands
69
camions, surchargés, plein de fumée, roulent tout à gauche pour essayer de garder l’équilibre que
leur surcharge ne permet pas. Les deux premiers kilomètres sur cette route se passent sans
encombre. On ne voit rien à part les véhicules. Mais le décor change dès qu’on entre dans les
quartiers populaires de Kingasani et de Masina. Là, il y a énormément de monde le long du
boulevard. Ils marchent à pied et vont dans toutes les directions. Il y a du monde partout depuis
Kingasani-Masina, en passant par Ndjli, Matete, Limete. Il en sera ainsi partout. Sur la route des
Poids Lourds en direction du centre-ville, sur la route de Bypass en direction de Mont-Ngafula,
sur l’avenue Bongolo en direction de Matonge, etc. La situation est la même sur l’avenue KasaVubu depuis le centre-ville vers Kinshasa-Kasavubu-Ngiri-Ngiri-Bandalungwa-Kintambo,
pareille depuis le centre-ville vers Kintambo-Ma Campagne, Binza-Upn ; ou encore depuis le
centre-ville vers Barumbu, Limete, Matete, Ndjili, Kingasani, Masina.
On constate vite qu’à Kinshasa, les routes sont très longues, elles traversent les quartiers
sans les relier entre eux. Par exemple il n’y a aucune route qui relie Kingasani à Masina, les deux
quartiers voisins que l’on rencontre après l’aéroport en direction du centre-ville. Il en est de même
du quartier de Masina et de Ndjili un peu plus loin. C’est pareil entre Matete et Limete, encore
plus loin ou entre Limete et Kingambwa, ainsi de suite. Le boulevard Lumumba, quatorze
kilomètres et demi173, traverse tout l’est de Kinshasa, depuis l’aéroport de Ndjili jusqu’à Limete.
Plus loin il est relayé par le boulevard Sendwe et plus loin encore par le boulevard Triomphal.
Toutes ces routes ne relient aucun quartier à un autre, elles les traversent seulement. Ainsi pour
aller en voiture de Masina à Ndjili par exemple, il faut nécessairement déboucher sur le boulevard
Lumumba, l’emprunter et aller prendre la bretelle qui mène à Ndjili. De la même façon pour aller
en voiture de Ndjili à Matete, pourtant face à face, il faut arriver au boulevard Lumumba,
l’emprunter également, et aller prendre la bretelle de Matete. Ainsi de suite. Pour les habitants de
l’est de Kinshasa, le boulevard Lumumba est l’unique voie de sortie pour pouvoir atteindre les
autres quartiers de la ville quels qu’ils soient. C’est pour cela que le boulevard Lumumba est
aujourd’hui bien plus que saturé. Il est infernal surtout au niveau du pont Ndjli. Il est comme un
long fleuve qui charrie toutes les eaux des divers affluents, mais sans l’être. Car c’est une route et
non pas un fleuve. C’est pour cela que c’est toujours un combat que de se rendre au centre-ville à
partir de l’Est de la capitale. Étant donné l’importance du centre-ville dans la vie de Kinshasa, les
personnes qui habitent à cinq voire dix kilomètres du boulevard Lumumba, doivent se lever de
bonne heure, parfois à 4h du matin, pour marcher jusqu’au boulevard et attendre un hypothétique
moyen de transport. Et quand il se présente, il est surchargé vu que la demande est trop grande. La
173
http://fr.allafrica.com/stories/200907310446.html
70
route asphaltée est une denrée rare à Kinshasa. C’est un vrai luxe pour un quartier d’en avoir. Les
quartiers qui les ont sont des privilégiés. Ils sont à compter du bout des doigts.
Les quelques routes qu’on rencontre traversent mêmement les quartiers sans relier rien à rien.
C’est une situation qui date depuis la colonisation belge. Le transport en commun est assuré par
des minibus, des vieilles carcasses, ramassées en Europe, dans lesquelles les personnes s’entassent
comme des sardines dans une boîte.
Le manque criant des moyens de transport, la rareté des routes et la surabondance de la
population, constituent des ingrédients sûrs pour une mortalité toujours grandissante à Kinshasa.
Les accidents de routes sont la première cause des décès dans cette ville. Un accident cause,
souvent, la mort d’au moins dix personnes. Il y a des dizaines d’accidents par jour. Ajouter à cela
toutes les autres difficultés que rencontre la population, Kinshasa semble un champ de ruines
occupé par des cimetières à perte de vue et qui se remplissent à un rythme effréné. Les cimetières
à l’Est comme à l’Ouest occupent un espace important de la ville. Ils sont devenus même des lieux
des négoces où les marchés prospèrent. Les cités périphériques sont dans un état lamentable. A ce
jour seul le centre-ville semble donner le visage d’un certain développement, si on peut parler
ainsi. Tout le reste stagne.
Il est impossible de partir de l’Est pour se rendre à l’Ouest directement et vice-versa. C’est
pareil du Sud au Nord, ou du Sud à l’Ouest, de l’Est au Sud. Il est difficile, sinon impossible, de se
rendre en voiture d’une rue à l’autre. On comprend dés lors que dans ces conditions la voiture ne
fait pas partie de l’environnement des gens. Ils se déplacent le plus régulièrement à pied quelque
soit la distance. Les gens marchent à pied de Kingasani-Ferbwa, de Kisenzo ou de Matadi Mayo
pour se rendre au centre-ville, distance qui se situe à plus de vingt kilomètres de chez eux. C’est
pour cela que les enfants grandissent à l’Est de Kinshasa sans être jamais arrivé à l’ouest, ni au
centre-ville et vice-versa. C’est la même situation pour les enfants de l’Ouest. Il est aussi difficile
de partir de Kinshasa vers Brazzaville juste en face. Il faut avoir un laissez-passer. Les voyages
pour Brazzaville ne s’effectuent que par bateaux aux rotations incertaines. La même difficulté de
déplacement se rencontre pour aller au Bas-Congo ou bien au Bandundu. Au point que pour la
population, Kinshasa ressemble à une prison qu’il est préférable de quitter au plus vite. C’est ainsi
que les jeunes n’hésitent pas à tout brader pour aller ailleurs, en Angola, en Afrique du Sud, au
Cameroun, en Côte d’Ivoire ou en Europe. Là ils se sentent libérés et peuvent enfin respirer et
vivre. Car la vie dans des quartiers, surpeuplés, est extrêmement difficile. Tout manque. Il n’y a
aucune infrastructure moderne permettant une vie harmonieuse de la population. Les gens disent
facilement : « Kisasa, pasi na pasi, à Kinshasa il n’y a que souffrance sur souffrance. »
71
En faisant un peu attention, quand on arrive au centre-ville de Kinshasa, on se rend bien
compte de l’architecture de la ville et on comprend d’où viennent les difficultés que rencontre la
population dans tous les domaines. On comprend même d’où émane la corruption généralisée. La
ville de Kinshasa, alors Léopoldville174, est fondée en décembre 1881 par Henry Morton
Stanley.175 Construite par les colonisateurs belges comme capitale de leur colonie, le Congo-belge,
elle est bâtie sur un escarpement de terrain très étroit le long du fleuve, sur la rive gauche du Pool.
Les Belges ont choisi cet endroit parce que c’est le point terminal de la navigation sur le grand
fleuve Congo depuis la province orientale. C’est ainsi qu’ils construisent à Kinshasa un grand port
qu’ils relient à celui de Matadi, à 350 km, par la voie ferrée. Le lieu où est bâtie Léopoldville est
en fait assez incommode à cause des nombreux marécages, du sol sablonneux et des collines
pierreuses. Son centre-ville, le lieu de vie des Européens, à l’époque, les colons belges et les autres
européens, est situé tout au nord, le long du fleuve, tout à fait collé à lui, près du port. C’est un
cul-de-sac, une sorte de fortification très subtile, un lieu hyper protégé. Au nord il y a le fleuve qui
à cet endroit forme un lac intérieur de plusieurs kilomètres de large.
Cette côte du fleuve est constituée des marécages vers le sud-est, d’une grande falaise au
centre, des pierres et des rapides au nord-ouest. La côte et sa falaise constituent une véritable
barrière. A cette barrière naturelle, les Belges en ajoutent d’autres. Toutes vont de l’est à l’ouest.
Elles sont subtiles et efficaces. Il y a des usines et des ports à l’est et à l’ouest du centre-ville. Les
habitations des colons suivent le même tracé. Au-delà de ce quartier se trouvent les commerces
qui s’étalent, eux aussi, également de l’est à l’ouest, la tendance étant d’aller de NdoloKingambwa à l’est vers Kintambo à l’ouest, pour assurer une meilleure protection du centre-ville.
Après les commerces il y a une zone neutre, appelée aussi « zone sanitaire ». Ici se trouve entre
autre le cimetière des Européens – l’actuel fameux cimetière de la Gombe -, leur jardin, un grand
terrain, le « no man’s land », vide, délimité par des camps militaires s’étalant également de l’est à
l’ouest. Il y en a quatre. La Base militaire de Ndolo, le Camp Kokolo, le Camp Lufungula, la Base
174
175
Henry Morton Stanley atteint pour la première fois le site de la ville au niveau de Ntambo le 12 mars 1878
lors de sa traversée d'est en ouest du continent africain. En 1881, il signa le « traité de l’amitié » avec un chef
téké, Ngaliema, obtenant ainsi le droit d’établissement à l'emplacement de l'actuelle commune de Kintambo,
sur les bords de la baie de Ngaliema, et il chargea le capitaine Charles-Marie de Braconnier d'y fonder un
poste qu’il baptisa plus tard Léopoldville (Leopoldstad en néerlandais) en l’honneur de son commettant
Léopold II de Belgique. Stanley avait choisi l’endroit où le fleuve Congo devenait navigable en direction de
l’amont. Le site spacieux et facile à défendre était déjà peuplé de 66 villages antérieurs à Stanley avec une
population totale estimée à 30 000 habitants. Stanley fonda aussi une autre station, celle-ci près du hameau de
Kinshasa (nshasa signifiant « marché »), avec l'accord du chef Ntsuvila. Ce village donna son nom à la ville
actuelle, se dressant, avec le village de Mpumba, là où aujourd’hui se trouve le quartier des affaires.
http://fr.wikipedia.org/wi (htt16) (Albin-Georges)ki/Léopoldville#Du_XVIe+au+XIXe.C2.A0si.C3.A8cles
Alphonse-Jules Wauters, Carte de l’État Indépendant du Congo, Principaux faits de l’histoire de l’œuvre
africaine 1878 à 1887, Revue du Mouvement Géographique, Bruxelles, Institut national de Géographie, p.3
http://www.congoforum.be/upldocs/Wauters_texte_accompagnant_carte20l0EIC.pdf
72
navale de Kintambo. Le centre-ville est donc une zone hyper protégée, un endroit sûr pour les
Européens. Les écoles, les cinémas, les banques, la poste, les hôpitaux et cliniques, tous, se situent
dans cette zone. Et c’est toujours le cas jusqu’à ce jour. C’est ce qui justifie l’engouement
quotidien de la population vers le centre-ville. C’est là qu’il y a tout, contrairement aux
innombrables cités périphériques où tout manque.
Entre ce premier no man’s land et les camps militaires, les colons ont construit quatre cités
indigènes réservés à leur personnel colonisé. Ces quatre cités ou communes s’étendent de l’est à
l’ouest également. Ce sont les communes de Barumbu, Kinshasa, Lingwala et Kintambo. Ici
habitent essentiellement les populations venues du nord du pays, les Bangala-Batetela et les
Swahili, populations plus dociles que les Bakongo, autochtones. Se trouvant loin de chez elles, à
Léopoldville, les populations Bangala et Swahili se sont sentis plus proches des colonisateurs qui
les y avaient amenées. C’est au sein de ces populations venues du nord et installées dans les
environs du centre-ville européen que seront recrutés les éléments de la Force publique, l’armée
coloniale de répression, celle qui deviendra plus tard l’armée nationale. C’est aussi en son sein que
sont recrutés le plus grand nombre des commis et boys travaillant chez les belges. Par la
conjugaison de ces deux faits, sur le plan professionnel, les populations Ba-kongo, se sentent en
infériorité par rapport aux ‘gens du Haut Congo, communément appelés “Bangala“. Leur langue,
le Lingala, devient la langue parlée de Kinshasa au détriment du Kikongo, la langue des Ba-kongo
pourtant majoritaire.176
Ce paradoxe sera encore plus visible après le départ des Belges, car l’appareil politique et
administratif de la ville de Kinshasa, et de tout le pays en général, reste entre les mains des gens
du Haut Congo. Ne se sentant pas aimés des Ba-kongo, ils ne s’engagent pas à la construction
réelle de la ville dans l’intérêt de la population. Au contraire ils se préoccupent beaucoup plus de
leurs intérêts personnels. Le comble est atteint quand Mobutu, devenu président par coup d’État
contre Lumumba, construit le palais présidentiel de la République dans son village, en pleine forêt
équatoriale, tout au nord du pays et qu’il va y habiter, abandonnant purement et simplement
Kinshasa, la capitale des institutions sans la moindre concertation avec quiconque.177 Les Bangala
176
177
Aurélien Mokoko Gampiot, Kimbanguisme et identité noire, L’Harmattan, Paris, 2004, p.220
En 1967, Gbadolite est un hameau, comptant à peine quelques cases. Mobutu transforma Gbadolite en une
ville luxueuse souvent surnommée le « Versailles de la jungle ». Il fit construire un barrage et une centrale
hydroélectrique sur la rivière Unbangi, un aéroport international qui pouvait accueillir le Concorde, et trois
palais immenses. Les habitants de la ville se trouvèrent particulièrement privilégiés, notamment pour trouver
de l'emploi, généralement en tant que personnel de maison. Deux palais furent élevés à Kawele, à quelque
distance de Gbadolite. L'un était composé d'un ensemble de pagodes chinoises, et l'autre de résidences
modernes, et étaient généralement dévolus à l'habitat pour Mobutu et ses invités. Les trois palais de
Gbadolite étaient quant à eux réservés pour un usage de fonction ou protocolaire. (Monographie Province
Equateur, DSRP, 2005 http://fr.wikipedia.org/wiki/Gbadolite)
73
et les Swahili sont donc installés dans la périphérie plus au moins immédiate du centre-ville. Au
delà de ces camps, on rencontre encore un terrain vide et alors seulement viennent les premières
cités indigènes où habitent les Ba-kongo. Kasa-vubu, Ngiri-Ngiri, Makala, Kalamu, Bumbu,
Ngaba, Lemba, Matete, Kisenso, Ndjili, Kimbanseke, Masina. De ce fait, les Ba-kongo,
majoritaires sont minorisés, renvoyés vers la lointaine périphérie. Les colonisateurs les dénigrent à
volonté. Jusqu’aujourd’hui les Ba-Kongo et leur langue sont rélégués en queue de peleton à
Kinshasa. Ils sont complexés. Les Européens viennent en tête, suivent des Bangala/Baswahili, puis
les Baluba.
Le centre-ville est en réalité complètement excentrique. Il est difficile d’accès et rend de ce
fait la vie à Kinshasa très pénible. Toute la ville de Kinshasa a été conçue sur le modèle de
l’apartheid, c’est-à-dire de la séparation des races. Les Européens d’un côté, les Congolais de
l’autre. Jean-Marie Mutamba dit que, le propre de la société coloniale est de sauvegarder le mythe
de l’européen.178 Elle met en avant leur prestige, leur sécurité, et leur statut d’êtres différents,
voire exceptionnels. Toutes les villes coloniales sont conçues sur ce modèle.179 Le centre-ville ou
le lieu de vie des Européens s’accapare de tous. Écoles, commerces, hôpitaux, banques, toutes les
infrastructures modernes. Les Européens s’estiment dans leur droit de s’approprier de toute la
modernité au motif qu’ils en seraient les inventaires, tous, et donc uniques jouisseurs. Ils exigent
des Congolais, la soumission totale pour pouvoir bénéficier comme personnes de seconde, voire
de troisième zone, des avantages de la vie moderne. Sinon c’est la bastonnade, les brimades, la
relégation, l’exclusion, l’exécution.
Le centre-ville, appelé ville, est très propre, tranquille. C’est « la ville blanche, avec ses
larges avenues, avec ses maisons coloniales aux toits ondulés, bordées de grands jardins colorés de
fleurs et d’arbustes, ainsi que les administrations et les sièges des grandes entreprises.180 » Les
maisons sont belles et individuelles pour la plupart. Les Européens y sont chez eux.181 Mathieu
Kuka dit qu’il y avait une frontière avec la cité. Et à cette frontière il y avait une barrière. A 18h,
les Congolais ne pouvaient plus monter en ville. Et on les fouillait. Deux catégories de Congolais
travaillent au centre-ville, les clercs ou les commis et les boys, les domestiques. Les clercs rentrent
dans les cités à 17h et les domestiques, quant à eux, peuvent rester plus longtemps, voire y passer
la nuit dans des boyeries ou des logements pour domestiques182. Dans les cités des Congolais, il y
a un couvre-feu permanent, à partir de 20h. Et c’est le clairon qui renvoie tout le monde au lit,
178
179
180
181
182
MN, p. 44
Idem
MN, p.37
MN, p. 39
MN, p. 40
74
enfants ou vieux. Les Congolais qui se rendent au travail dans la ville européenne, le seul lieu de
travail rémunéré, y vont à vélo, les véhicules étant réservés aux seuls Européens.183 Pour pouvoir
accéder au mode de vie moderne, les Congolais doivent se soumettre à une longue procédure
d’intégration, le fameux statut des évolués ou immatriculés. Ceux à qui sont octroyés des cartes de
mérite civique. « C’est une émancipation lente accordée aux plus méritants ou aux plus instruits,
pour préparer une assimilation graduelle et sélective.184 »
Les cités des Congolais appelées « les Belges, belesi » sont des grands quartiers quadrillés,
avec des longues rues souvent rectilignes, des maisons basses ou à un seul étage, identiques,
divisées en blocs, et pouvant abriter trois à quatre familles. Ce sont des cités-dortoirs, des
townships. Les blocs sont souvent étroits et les espaces de vie réduits. Mais ces quartiers sont
équipés d’égouts et de la distribution en eau. Il y a aussi des arbres.185 Après l’indépendance, les
Congolais agrandissent tant bien que mal ces petites maisons. Chacun le fait suivant sa fortune et
son inspiration, car l’État nouveau ne s’occupe pas de ces quartiers non plus. Alors pour se mettre
à l’abri, les gens s’entourent de murs de protection. Aujourd’hui ces quartiers ont l’allure des
véritables prisons à ciel ouvert. Car tout le monde s’y est mis. Même dans les quartiers plus
récents, la préoccupation première est de s’entourer des murs. Et plus hauts ils montent, mieux
protégé on se sent. Au point qu’aujourd’hui si on doit aligner en ligne droite l’ensemble des murs
des maisons des habitants de Kinshasa, le mur s’étendra sur plusieurs milliers de kilomètres.
Kinshasa est une ville fortifiée, mais à l’envers. Ce n’est pas la ville qui est protégée par un mur,
ce sont des gens qui se protègent par des murs à l’intérieur de la ville. L’ennemi n’est pas à
l’extérieur de la ville comme au Moyen-âge européen, l’ennemi est à l’intérieur de la ville. C’est
le voisin, n’importe qui, c’est tout le monde. Au point que Kinshasa est aujourd’hui l’une des
villes parmi les plus dangereuses du monde. N’eût été le bon sens de la tradition ancestrale qui
essaie de tempérer le comportement des gens, la ville aurait brulé depuis bien longtemps. On ne
peut pas parier sur le temps que durera encore cette influence ancestrale.
L’enseignement colonial est aussi restrictif et sélectif. Les Congolais ne peuvent pas
dépasser le niveau de la 3ème primaire. Les enfants doivent toujours faire des kilomètres à pied
pour se rendre à l’école. A l’époque coloniale toutes les écoles de la ville étaient situées au centre
ville, appelée aussi Kalina. C’est encore le cas aujourd’hui. Les meilleures écoles de la ville se
trouvent dans ce quartier et sont fréquentées par les enfants des Européens et ceux des Congolais
183
184
185
MN, p. 42
MN, p. 29
MN, p.37
75
aisés, généralement des politiciens. La plupart des autres élèves habitant les cités périphériques, se
rendent à pied dans leurs écoles où les enseignements sont toujours dispensés en français.
Aujourd’hui, à Kinshasa, dans les quartiers populaires, anciens et nouveaux, on rencontre
quelques signes visibles de la modernité. En premier lieu, ces milliers des pylônes des opérateurs
de la téléphonie cellulaire. Ils poussent comme des champignons et sont installés partout, même
dans les parcelles d’habitations. Il y aurait près de 5.000 pylônes sur toute l’étendue de la ville.
Les autorités de tutelle ignorent leur nombre exact, se contentant seulement de délivrer des
licences d’exploitation et d’empocher des milliers de dollars américains en termes de
commissions. La population, quant à elle, abandonnée à elle-même, en accordant leurs parcelles
en location aux opérateurs de téléphonie mobile pour y installer leurs pylônes, accède, malgré elle,
à cette demande alléchante pour recevoir un peu d’argent afin de subvenir aux besoins des
familles. Elle succombe ainsi au piège mortel de cohabitation au quotidien avec sa propre mort et
celle de ses quartiers. Toujours pour essayer de survivre, la population essaie d’ouvrir quantité de
maisons de communication pour revendre encore et encore les cartes prépayées et renflouer encore
et encore les caisses des opérateurs de la téléphonie. Le second signe de la modernité qu’on
rencontre, ce sont les maisons de jeux du hasard et d’argent. Et le troisième, ce sont les
incontournables agences de Western Union186, la fameuse banque américaine des transferts
d’argent à travers le monde. On ne sait pas faire un pas sans en trouver. Aujourd’hui, dans ces
quartiers, la plus grande attraction, ce sont des concerts géants de musique qu’organisent
régulièrement les deux grandes brasseries de la ville, et où la bière coule à flou.
La situation des Congolais vivant dans des villes et dans des missions européennes n’a pas
changé depuis la colonisation jusqu’à ce jour. Celle-ci continue son petit bonhomme de chemin,
mais autrement, de façon plus subtile, mais tout aussi efficace. Ainsi donc, si Kinshasa est l’enfer
pour la grande majorité des Congolais qui y vivent, elle est un paradis pour les étrangers,
particulièrement les Occidentaux. Eux habitent toujours le centre-ville, ils continuent de bénéficier
de tous les services modernes. Ils occupent toujours des positions privilégiées au sein des
entreprises. Ils ont toujours leurs magasins, leurs écoles, leurs restaurants, séparés, bref tout le
confort moderne qu’ils peuvent trouver partout. Bien plus, ils peuvent prendre l’avion à tout
moment et se rendre en Europe ou partout ailleurs sans aucun problème, car ils ont des moyens,
tout comme la fameuse élite congolaise qui vit, comme eux, coupés du reste de la population,
séparés. Jusqu’à ce jour les Européens du Congo vivent entre eux et ne se mélangent pas avec la
186
Il y a près de cinquante agences Western Union à Kinshasa (http://www.biac.cd/wu.php) qui hissent cette
banque américaine au sommet des institutions bancaires de Kinshasa. Mais quoi qu’importante et sans
concurrente, cette banque n’assure que des transferts d’argent sans plus et n’intervient en rien dans la relance
de l’économie congolaise.
76
population congolaise. En tout cas dans les quartiers populaires ils sont tout simplement invisibles.
Ils partagent leur vie avec quelques responsables politiques ou religieux congolais formés dans ce
but. Depuis quelques années un certain nombre de mes amis belges viennent avec moi à Kinshasa.
Nous allons habiter dans un quartier populaire de la commune de Ndjili. Pour les habitants du
quartier, c’est à une véritable révolution qu’ils assistent, avoir des voisins européens. Ils n’osent
pas croire leurs yeux. Comment se fait-il que les « Mindele » viennent vivre avec eux et chez eux.
C’est impensable. Dans ce quartier et dans toute cette périphérie il n’y a pas d’Européens qui y
habitent.
C'est à l'hôtel Memling de l'ex Sabena, donc belge, que nous avons rencontré les
Européens, confortablement assis en train de boire ; également au supermarché Select non loin de
l'Ambassade de Belgique. C'est le monde des Occidentaux et associés. Tous les grands
supermarchés de la ville sont dans ce périmètre. Les produits vendus sont ceux que l'on trouve en
Europe, y compris la nourriture pour chiens et chats. Ici les Congolais sont au service depuis la
rangée des caddies jusqu'au contrôle des achats à la sortie. Mais ils sont rares au niveau de la
clientèle. C'est à partir de l'avenue du commerce jusqu'au grand marché qu'on les rencontre
nombreux. Ce quartier du centre-ville est une véritable jungle humaine. Les Indiens, Pakistanais et
Libanais, propriétaires des magasins, sont barricadés derrière des comptoirs vitrés avec leurs
ouvriers congolais, sans contact avec la clientèle congolaise sinon à travers des petits trous pour
recevoir l'argent et livrer les articles achetés. Kinshasa vit toujours sous le régime de la séparation
des races et des classes. Même les quelques missionnaires occidentaux qu’on rencontre encore
dans les quartiers populaires ne vivent pas avec les gens non plus. Ils vivent dans les missions,
leurs missions, paroisses ou couvents, bien séparés des gens.
77
2. Le Congo-prison à l’image de l’Afrique-prison.
La situation de Kinshasa est à ce point de vue semblable à celles des autres villes
coloniales congolaises. C’est aussi la situation de toutes les missions catholiques. Beaucoup
d’entre elles, sinon toutes, sont des culs-de-sacs, sans véritables issues. C’est également la
situation du pays lui-même. Le Congo187 léopoldien, devenu Congo belge, est un pays isolé,
complètement enfermé à l’intérieur de l’Afrique centrale avec une toute petite pointe de sortie vers
la mer. Le Congo que s’octroie le Souverain des Belges, Léopold II, n’est pas le Congo ancien,
Kongo-dyna-Nza, ce vaste territoire qui s’étendait le long de la mer du Kongo. Le Kongo-dynaNza ancien, a déjà été disloqué et coupé en divers morceaux. Les Portugais ont pris une partie,
l’Angola actuel. Les Français aussi ont pris une partie en face du territoire du Roi des Belges
qu’ils ils se sont disputés, par l’intermédiaire de leurs agents respectifs.
Le Congo de Léopold II embrasse divers territoires de part et d’autre du fleuve Congo.
Léopold II veut englober le long fleuve, tout entier, qui traverse l’Afrique Centrale dans son
territoire. Sur les conseils de Stanley, le journaliste-explorateur, il acquiert une grande partie de la
cuvette centrale, la grande forêt équatoriale baignée par le fleuve et ses dizaines d’affluents
navigables et poissonneux. Il va plus loin. “Son territoire“ déborde la grande forêt et s’étend
jusqu’aux montagnes de l’Est aux énormes potentialités, ainsi qu’aux Hauts Plateaux du Sud,
rivalisant également de richesses, où le territoire forme une sorte de botte pénétrant dans un
territoire apparemment étranger et bien enfermé. C’est le territoire du Katanga. Le Roi veut des
richesses. Il les veut toutes. Il va les faire chercher partout. Son territoire englobe tout. Forêts
denses aux essences riches et nombreuses, savanes boisées peuplées des divers animaux,
montagnes volcaniques aux riches limons, lacs immenses très poissonneux, hauts plateaux pleins
de minerais de toute sorte, etc.
Un territoire baigné par d’innombrables cours d’eau, très varié, aux saisons régulières,
véritable poumon économique, “un don inespéré reçu du ciel même“. Pour bien profiter de toutes
ces richesses, le Roi s’octroie une sortie vers la mer pour pouvoir ramener au plus vite les
immenses richesses exploitées dans ce territoire si riche, vers la Belgique ou d’autres pays
187
Cette dénomination étendue à tout le territoire léopoldien est une usurpation. Les différents territoires de ce
vaste pays avaient des dénominations différentes suivant les implantations de différents peuples qui y
habitaient. Comme ce vaste territoire, le long fleuve qui le traverse a eu aussi des appellations différentes.
78
européens. Il fait construire un chemin de fer entre Léopoldville et Matadi188 pour vite couvrir les
centaines des kilomètres où le fleuve n’est plus navigable. La construction de ce chemin de fer
donne aux Colonisateurs le célèbre et terrible nom de « Mbula Matari 189», les casseurs de pierre.
En réalité ils ne les cassaient pas eux-mêmes, mais les faisaient casser par des indigènes sous
forme de corvée, à mains nues. Cette construction est restée mémorable jusqu’à ce jour parce
qu’elle a décimé la population, exténuée par les durs travaux190. Sept mille y ont perdu la vie. A
partir de Matadi, les richesses de toute sorte sont chargées sur des bateaux pour rejoindre l’Europe
en passant par l’estuaire de Banana. Car depuis Matadi jusqu’à Banana le fleuve est à nouveau
navigable.
Comme on le voit, le Congo léopoldien ou le Congo belge, un territoire de deux millions
trois cents quarante cinq mille kilomètres carrés, n’est pas un état africain fondé sur une
quelconque unité culturelle, politique ou économique. Ce n’est pas un État qui a existé et qui serait
délivré de quoi que ce soit. C’est un ensemble de divers territoires et terres africains confisqués
par le Roi Léopold II aux différents peuples qui s’y trouvaient, à travers des expéditions militaires.
Il s’est arrogé ensuite tous les droits, droits auxquels les autochtones rencontrés étaient privés.191
Les territoires qui se trouvent sur le tracé prévu par l’équipe de Léopold II sont conquis un à un
par la force des armes à feu. « De 1876 à 1884, écrit le docteur Mouchet, c’est l’époque des
expéditions militaires, des reconnaissances géographiques, de la création des postes de pénétration
et d’occupation. En un mot, l’ère de la conquête.192 ». Les expéditions193 sont nombreuses. Il y a
l’expédition Crespel en 1877, l’expédition Crespel-Cambier en 1878, l’expédition Popelin en
188
189
190
191
192
193
« Le chemin de fer Matadi-Kinshasa (CFMK), à écartement de 1.067 m, a une longueur de 366 km. Il existe,
en outre, deux embranchements majeurs, d'environ 7 et 15 km, desservant respectivement le terminal
pétrolier d’Ango-Ango et les ateliers centraux de Mbanza Gungu à environ 120 km de Kinshasa. Deux autres
voies secondaires, qui desservent le dépôt pétrolier de Masina et l'aéroport de N'Djili ainsi que la zone
industrielle de Kintambo, font partie du complexe de Kinshasa. » http://www.congonline.com/transpor.htm.
Ce chemin de fer est à voie unique.
Le mot “mbula-matari“ est entré dans le langage populaire pour signifier l’autoritarisme des agents de
l’État.
Albert Sarlet, « Dans le contexte de la création au Congo belge en 1890 d'une ligne de chemin de fer entre
l'océan Atlantique et Léopoldville, Albert Thys, officier belge a été chargé par Léopold II, roi des Belges, de
créer une ligne pour l'acheminement du caoutchouc. La construction de cette ligne a été confrontée à
d'importantes difficultés techniques et a été très coûteuse en vies humaines. Le 6 juillet 1893, le Chemin de
fer du Congo entrait en service. » http://fr.wikipedia.o rg/wiki/Train_Blanc.
« Sous le contrôle de l’administration de Léopold II, l’État indépendant du Congo vit l'application d'un
régime de travail forcé. À partir de 1900, des informations concernant les conditions de travail dans l’État
indépendant du Congo déclenchèrent une vague d’indignation et de protestation, au Royaume-Uni
principalement, puis aux États-Unis et dans quelques pays européens. »
http://fr.wikipedia.org/wiki/etat_independant_du_Congo
A. Dubois et A. Duren, Soixante ans d’organisation médicale au Congo Belge, Ann. Soc. Belg. Méd.
Trop. p.2
L’occupation du Congo par Léopold II avait débuté par le nord, baptisé “Haut-Congo. “ L’intérêt pour la
partie ouest est venu plutard quand il s’est agi de ramener les richesses en Belgique.
79
1879, l’expédition Bia-Francqui au Katanga en 1891, l’expédition Van Kherkoven dans les Uélé
en 1891, l’expédition Hodister en 1892, la campagne arabe en 1893, la campagne arabe de l’Ituri
en 1894, la répression de la révolte des soldats de Dhanis en 1897, la prise de Redjaf en 1897,194
etc. Les peuples ainsi soumis par la force et la ruse sont contraints de vivre enfermés dans cet
espace clos.
En effet à partir de l’appropriation de ce territoire par Léopold II et la Belgique, les peuples
qui s’y trouvent sont pris au piège et n’ont plus aucun droit de mouvement, sinon celui décidé par
les maîtres du pays, les colons.195 Cette situation n’est pas particulière au territoire léopoldien, elle
s’est généralisée sur l’ensemble de l’Afrique occupée par les Européens et alliés. Car tels des
vautours, les États Européens se sont rués sur l’Afrique et l’ont disséquée en divers territoires.
Tous les anciens empires et royaumes Africains ont été coupés en petits morceaux. Le Kongo
s’évanouit dans trois territoires distincts. L’empire du Ghana est disloqué entre la Mauritanie, le
Mali, le Sénégal et le Brukina Faso. L’empire du Mali est morcelé et éparpillé entre le Mali, Le
Niger, le Sénégal, le Ghana actuel, la Guinée. Il y a aussi création des différentes Guinées :
Guinée Conakry, Guinée Bissau,196 etc. Les cas les plus hallucinants dans l’appétit insatiable des
Européens sur l’Afrique sont ceux de la Séné-Gambie, ou la Gambie anglaise à l’intérieur du
Sénégal français ou encore le cas de Kinshasa et Brazzaville à quelques mètres l’une de l’autre, et
pourtant sans contact sinon celui d’un laissez-passer obligatoire. Les habitants de la Cassamance,
province sénégalaise au sud de la Gambie, doivent contourner la frontière gambienne et endurer
des risques énormes la mer pour atteindre Dakar, au nord. Ceux de Kinshasa et de Brazzaville,
eux, sont toujours soumis aux tracasseries administratives multiples pour atteindre l’autre rive.
Leurs demandes répétées de voir supprimer les frontière coloniales artificielles qui les
emprisonnent et empoisonnent leur vie demeurent sans suite. La découpe de l’Afrique est la
principale source des difficultés que l’Afrique, éprise de liberté, éprouve aujourd’hui. Mais elle est
tout bénéfice pour les pays européens colonisateurs. Elle les fait vivre et prospérer.
Ainsi, la Belgique qui accède à l’indépendance en 1830,197 devient rapidement un pays
moderne grâce aux richesses du Congo. En effet, après avoir habilement damé le pion aux
Anglais, le Roi Léopold II exploite à grande échelle les richesses du pays, se permettant les pires
194
195
196
197
Ibidem, op.cit. , p.3
Mon grand-père Kezobwok m’a raconté que tous les jeunes de son âge de son village et des autres villages
étaient forcés de porter le courrier et autres effets des colons d’un village à l’autre lors de leurs tournées
diverses.
http://aidermadagascar.over-blog.com/ext/http://planetejeanjaures.free.fr/geo/afrique-empires.htm
http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Belgique
80
exactions sur les populations locales à qui il ne reconnaît aucun droit198. Elles sont ses esclaves. Il
utilise les richesses du Congo pour moderniser son pays, la Belgique dont il avait reçu la couronne
le 17 décembre 1865. Léopold II est très ambitieux et veut la prospérité de son pays. A vingt ans,
il veut établir une ligne de navigation entre Anvers et les ports du Levant car il y voit d’énormes
possibilités pour le commerce et l’industrie belges. En 1876, il convoque à Bruxelles une
conférence géographique sur l’Afrique pour mieux la connaître et l’ouvrir à la “civilisation
chrétienne“. Cette conférence aboutit à la création de l’Association africaine dont il est le
président. En 1876 toujours, est créé le Comité d’Études du Haut-Congo199 qui explore et occupe
des nouveaux territoires. Cette mission est confiée à Stanley à qui le roi donne mission de
rechercher un certain droit de souveraineté sur les indigènes, à leur insu évidemment. En 1881,
Stanley fonde Léopoldville. En 1883, se crée l’Association Internationale du Congo. En 1884, la
Conférence de Berlin déclare le Congo état indépendant. En 1885, Léopold II en devient le
souverain. En 1908 enfin le Congo est annexé à la Belgique. Il faut dire que les deux pays sont à
une distance de plus de sept mille kilomètres l’un de l’autre.
Les richesses du Congo sont énormes : gisements de fer, étain, or, diamants, cuivre, argent,
charbon, radium, cobalt ; la houille blanche : les affluents du Congo sont coupés par de
nombreuses chutes : donc utilisation de cette force motrice. Le caoutchouc, le copal, les palmiers,
les arachides pour l’huile, le coton, café, cacao, canne à sucre, l’ivoire des défenses d’éléphants.
Le foisonnement des richesses est tel qu’ «au moment où l’Union Minière se constituait à
Bruxelles, M.H.Caylely, le “manager“ de la Tanganyka concessions Limieted C° (T.C.L.), disait
au major Wangermée, en circulant avec lui dans les tranchées de Kambove : “Nous marchons sur
des millions !“200 » En effet constitué en 1906 avec un petit capital, l’Union minière connaît un
succès foudroyant. Et comme le dit René j. Cornet, à l’époque « on aurait bien étonné les
souscripteurs de ce modeste capital de 10 millions de francs en leur prédisant qu’il serait un jour
porté à trois milliards ! 201» Ainsi donc ces richesses sont surtout exploitables grâce : aux voies
navigables. Le Congo possède 12 000 km de voies navigables par de gros bateaux et de nombreux
lacs. Les richesses sont aussi exploitables par voie ferrée. Il est rapidement développé pour
contourner les chutes et amener les minerais. Le réseau routier est aussi modernisé.
198
199
200
201
A ce propos une émission de la RTBF, “Les racines et les ailes“ produites en 2005 a démontré combien le
“roi bâtisseur belge“ a été sans pitié pour le pays qui lui procurait toute sa richesse.
http://caderange.canalblog.com/archives/2005/11/20/987923.html
Il est à noter que l’occupation du territoire actuel du Congo par les Belges a commencé par le nord qui à
l’époque n’était pas Congo, Kongo-dyna-Nza.
René J. Cornet, Terre Katangaise, cinquantième anniversaire du Comité Spécial du Katanga 1900-1950,
Bruxelles, M. Lesigne, 1950, p.127
René j. Cornet, op.cit.
81
Les Belges n’étaient, au départ, pas d’accord pour la colonisation du Congo ; celui-ci a
néanmoins permis à la Belgique de s’enrichir fortement : par ses exploitations industrielles, par
ses richesses, par l’importation surtout de produits alimentaires. Léopold II : le « Bâtisseur ». Il
modernise les ports d’Anvers et d’Ostende, améliore les voies ferrées et navigables ainsi que les
routes, restaure Bruxelles et les autres grandes villes en y effectuant de nombreux travaux. Il fait
construire le musée colonial de Tervueren, l’arc de triomphe du parc du cinquantenaire, il agrandit
le château de Laeken. Il s’investit dans la construction du barrage de la Gileppe et dans
l’ascenseur de Houdeng-Gougnies.202 On voit donc que la petite porte vers la mer a été d’une
importance stratégique. Elle est amplement suffisante pour ramener les matières premières du
Congo en Belgique, mais insignifiante pour les Congolais disséminés et enfermés dans cet
immense territoire comme des véritables prisonniers. Le Congo est un véritable eldorado pour les
Belges. La richesse est partout. J’ai rencontré il n’y a pas longtemps un vieux monsieur, belge,
ancien colon, qui m’a affirmé fièrement qu’il avait, à 22 ans, 250 ouvriers dans son exploitation
dans les Uélé. Ils lui obéissaient au doigt et à l’œil me disait-il en riant.
Le Congo belge n’est pas le seul pays de l’Afrique coloniale européenne dans cette
situation. Presque tous s’y trouvent. Car ces pays ont été créés au compas à Berlin vers la fin du
19ème siècle par les Européens pour leurs propres besoins et intérêts. Les Africains, complètement
absents à Berlin et ignorés, se trouvent simplement piégés dans ces territoires où ils sont obligés
d’habiter d’après la volonté des “maîtres occidentaux“ devenus leurs propriétaires. Ils sont leurs
prisonniers, leurs esclaves. Les Européens ne se sont d’ailleurs pas privés d’isoler complètement
l’Afrique en creusant de leur propre gré, sans la moindre consultation, sans la moindre
considération, et sans une quelconque compensation, le canal de Suez203, dans l’intérêt unique de
l’Europe.204 Les Européens ont ainsi achevé l’œuvre d’isolement et d’amputation de l’Afrique
commencée depuis la traite et poursuivie sans relâche avec la colonisation. Ils ont ainsi
délibérément coupé l’Afrique de l’Asie, privant ces deux continents de tous les avantages que leur
202
203
204
Léopold II. http://www.ecoles.cfwb.be/marbaix/Travaux desenfants/13- Leopold II....pdf
Au terme des travaux, le canal, d'une longueur de 162 km, sur 54 mètres de largeur et 8 mètres de
profondeur, traverse l'isthme de part en part. Des villes nouvelles naissent dans le désert : Port-Saïd sur la
Méditerranée (ainsi nommée en l'honneur du khédive) et Suez sur la mer Rouge, ainsi qu'Ismaïla, entre les
deux. La jonction des eaux a lieu le 15 août 1869. De ce jour, le canal abrège de 8000 km la navigation entre
Londres et Bombay en évitant de contourner le continent africain !
www.herodote.net/histoire/evenement.php? Quelque 20 000 navires traversent le canal chaque année,
représentant 14 % du transport mondial de marchandises. Un passage prend de onze à seize heures.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Canal_de_Suez
“ J’ai parlé du commerce que le Kair entretient avec l’Arabie et l’Inde par la voie de Suez ; ce sujet rappelle
une question dont on s’occupe assez souvent en Europe : savoir, s’il ne serait pas possible de couper
l’isthme qui sépare la mer Rouge de la Méditerranée, afin que les vaisseaux puissent se rendre dans l’Inde par
une route plus courte que celle du cap de Bonne-Espérance.“ Constantin-François, Voyage en Égypte en
Syrie, pendant les années 1783, 1784, 1785, Parmantier/Froment, Paris, 1825, p.166-167
82
offrait l’isthme qui les avaient toujours relié et qui permettaient aux peuples de ces deux terres
sœurs d’entretenir d’innombrables rapports.205 Bien plus, la mer méditerranée, haut lieu des
rencontres et d’échanges est aujourd’hui, pour les Africains, une frontière infranchissable, qu’ils
ne peuvent traverser qu’au risque suprême de leur vie. Ainsi comme Kinshasa et le Congo belge,
l’Afrique entière est également isolée et donc condamnée au sous-développement perpétuel,
condamnée à la mort voulue et imposée par les autres pour leurs intérêts à eux, intérêts
uniquement matériels. A savoir les richesses du sol et du sous-sol africain et particulièrement du
sous-sol congolais.
205
« Les routes terrestres ont existé du Nil aux portes de la mer Rouge. » Mohamed Anouar Moghira, l’Isthme
de Suez, passage millénaire (640-2000), L’Harmattan, Paris, 2002, p. 22 ; cfr aussi la célèbre phrase de
Ferdinand Lesseps à propos du canal de Suez : “Diviser deux continents pour réunir deux monde. » in
op.cit.
83
3. Les villages : marginalisés, exclus et combattus.
Le petit village de
Tillet
où
présentement
je
vis
dans
les
Ardennes belges, est un
véritable lieu de vie. C’est
un
village
monde.
ouvert
Quatre
au
routes
bitumées relient Tillet au
reste de la Belgique, et de
l’Europe. Une route relie
l’est du village au village
d’Amberloup à trois kilomètres. Là cette route rejoint la N826 qui relie Houffalize à Libramont.
De Libramont, on peut se rendre beaucoup plus loin jusqu’ à Sedan, en France. D’Houffalize on
atteint facilement Liège et la frontière Hollandaise à Maastricht.
Une autre route relie l’ouest de Tillet au village de Magerotte, à six kilomètres. Là elle
aboutit à la route qui mène à Morhet, puis rejoint la N85 qui relie Bastogne à Neufchâteau en
passant par Vaux-sur-Sûre. De Bastogne, diverses routes et autoroutes vont à Luxembourg,
Bruxelles ou Liège. Une troisième route part de Tillet, au sud, et rejoint la N848 qui relie SaintHubert à Martelange. La N4 qui relie Bruxelles et Luxembourg-ville passe par là. De
Luxembourg-ville il y a diverses routes vers la France, l’Allemagne et toute l’Europe de l’Est et
du nord. Il en est de même de Namur ou bien Bruxelles où on sait également se rendre en France
ou en Angleterre. La quatrième route va du nord de Tillet à Bastogne en passant par Laval,
Rechrival-Hubermont, Milliomont. Elle rejoint également la N4. Pour relier les différents villages
de la commune de Sainte-Ode, des ponts ont été construits sur les ruisseaux qu’on y trouve. Sur le
petit ruisseau du Laval, il y a près de sept ponts sur une distance de six kilomètres. L’Ourthe qui
traverse également la commune en a encore plus. Il y a des ponts partout. Certainement une bonne
vingtaine sur toute l’étendue de la commune, 9.786 ha206
206
http://www.uvcw.be/communes/1/.cfm
de superficie. Le territoire de la
84
commune est traversé par des routes communales, provinciales et régionales. Deux autoroutes, la
E25 et la E411 passent non loin.
Ainsi donc de Tillet, on est relié à tout le pays et plus loin encore. Il suffit d’avoir une
voiture. Et à Tillet, un village d’une centaine de maisons, il y a plus de cent voitures. Les jeunes
ménages en ont facilement deux. Les divers cylindres s’y retrouvent également, berlines, breaks
ou autres véhicules utilitaires. Il fait bon vivre à Tillet. Les habitations sont approvisionnées en
eau, électricité, et équipées de téléphone, internet, bouquet numérique, télévision nodale, etc. Tout
le monde a accès à tous les crédits, hypothécaires ou autres, que proposent les banques. Ainsi les
maisons sont d’un grand standing. Les nouvelles maisons bénéficient de tout le confort moderne.
Elles sont bien isolées, très lumineuses, bien équipées et toujours avec des vues imprenables sur
les prairies et les ruisseaux qui bordent le village. Les jeunes qui habitent à Tillet partent travailler
partout en Belgique, au Grand-duché du Luxembourg, voire même à Paris ou à Londres. Ils
occupent différentes fonctions, y compris celles de directeur de société. Il y en a qui ont leurs
propres sociétés. A Tillet, mais aussi dans d’autres villages environnants ou plus lointains,
habitent côte à côte des cultivateurs, des enseignants, des policiers, des militaires, des avocats, des
médecins, des magistrats, des commerçants, des bourgmestres ou des ouvriers. Les problèmes de
nourriture ne se posent pour personne. Tout le monde mange à sa faim. L’alimentation est très
variée. Tout le monde se rend au supermarché à Bastogne, Saint-Hubert, Libramont, Marche ou
Arlon, faire ses achats. Tous les magasins sont ouverts à tous sans distinction et sans
discrimination. Chacun y achète ce qu’il veut et ce que sa bourse lui permet d’acheter. A Tillet il y
a une superbe église moderne d’une capacité de 250 places assises avec un clocher de 65 m de
haut. Il y a un presbytère et une école primaire. Quelques entreprises y sont installées. Les quatre
agriculteurs de Tillet bénéficient de la toute dernière technologie agricole ou d’élevage. Ils ont
multiples tracteurs et autres engins pour tous les travaux des fermes modernes qu’on trouve en
Allemagne, en France ou aux États-Unis. Leurs étables sont bien équipées, avec le système de
caméra pour surveiller les bêtes pendant la nuit, spécialement les vêlages. Les vétérinaires
viennent régulièrement contrôler les bêtes en suivant la législation du pays en matière d’élevage.
Les agriculteurs qui sont aussi éleveurs ont tous la race de vaches « bleu-blanc-belge », bien
adaptée, très viandeuse et bonne productrice de lait.
Grâce à tout ce confort, le taux de natalité reprend à Tillet. L’école primaire est à nouveau
remplie. Car la mortalité enfantine a aussi été enrayée à Tillet comme partout en Belgique207.
207
« En Belgique le taux de natalité est en hausse et la presse parle déjà d’un baby boom. Le taux de
fécondité a atteint un niveau sans précédent de 1,7 enfant par femme. » L’Europe en plein baby boom ?,
http://www.euractiv.com/fr/europe-sociale/europe-baby-boom/article.
85
Tillet, petit village des Ardennes, bénéficie de tous les bienfaits de la technologie et de la vie
moderne comme n’importe quelle grande ville de la Belgique. Ses habitants ne manquent de rien.
Ils sont des citoyens comme tous les autres et ont droit de prétendre aux mêmes droits que les
autres habitants du Royaume de Belgique, sans la moindre soumission ou contrainte. C’est vrai à
Tillet, c’est vrai n’importe où en Belgique, c’est vrai également n’importe où en Allemagne, en
France ou en Angleterre, partout en Europe.
Certaines personnes âgées disent que cela n’a pas toujours été ainsi. Cette situation de
confort que connaîssent les villages est récente. Elle est même très étonnante. Car le village de
Tillet comme les autres villages des Ardennes étaient très pauvres il n’y pas si longtemps de cela.
Étant petits, ils se promenaient à pied et parcouraient des kilomètres pour aller à l’école. Il n’y
avait pas d’électricité à la maison et l’eau était une denrée précieuse, au point que prendre son bain
n’était pas aisé. La maman, qui avait souvent des nombreux enfants, devait bien réglementer le
jour et l’heure de bain pour chacun. C’était l’époque charnière de l’après-guerre, marquée par « la
fin de la traction chevaline et cette révolution dans le milieu agricole avec l’apparition de la
mécanisation… deux mondes aussi différents que le jour et la nuit : celui de l’énergie animale en
vigueur depuis la nuit des temps et celui de l’énergie motrice. 208» Une personne dans la quatrevingtaine d’un village voisin dit que dans sa jeunesse, elle a connu des maisons en chaume, et des
gens qui partageaient leurs logis avec les bêtes pour se chauffer durant l’hiver. A cette époque tout
le monde était cultivateur ou presque. Les filles ne fréquentaient presque pas l’école. Elles étaient
occupées aux travaux des champs qui les épuisaient, car tout était fait à la main ou presque209.
Seuls les barons et ceux qui revenaient du Congo étaient riches. D’ailleurs, disent certains, les
nombreux riches qu’on voit ça et là sont des anciens coloniaux ou leurs descendants.
« Jusqu’après la guerre, le paysan ardennais quittait peu son village sinon pour aller aux
enterrements et au marché hebdomadaire à la bourgade voisine. A ce marché, il se rendait à vélo
ou en tombereau tiré par un cheval s’il avait une nichée de porcelets à vendre. Son univers se
limitait à un rayon de quinze kilomètres autour de sa ferme. Il vivait donc en sédentaire, tout
comme les sangliers qui peuplaient les bois voisins et détruisaient ses récoltes. 210»
Ces personnes âgées s’étonnent quelque peu de la prospérité actuelle dans des villages.
Elles n’en sont pas moins heureuses. Elles l’attribuent, entre outre et même beaucoup, à
l’avènement des Américains depuis la guerre. Nous devons beaucoup aux Américains, disentelles. Ils nous ont libérés de la domination des Boches certes, mais surtout du sous208
209
210
Albin-Georges Terrien, La Glèbe, Violence et passion en terre d’Ardennes, Memory Press, Tenneville,
2009, p.14
Ibidem
Albin-Georges Terrien, op.cit. p.40
86
développement et de la pauvreté. La vie actuelle est rythmée par le mode de vie américaine sur
tous les points de vue, politique, économique et culturel. Ils ont tout popularisé : l’alimentation
saine et variée, le cinéma, la télévision, le divertissement, le véhicule, l’habillement, la
motorisation de l’agriculture, les centrales nucléaires, machine à laver, le lave-vaisselle ou le
seche-linges qui ont littéralement libéré la femme, mais aussi les prêts hypothécaires qui ont
ouvert la voie à la vie d’aisance actuelle. Les prêts bancaires rendent riches sans l’être en soi.
C’est une richesse virtuelle qui vous tombe du ciel et qui finit par devenir réelle dans la vie
pratique. On vit endetté, mais on vit riche et bien, et c’est tant mieux. Les Américains ont
universalisé la richesse grâce aux prêts bancaires, beaucoup mieux que ne l’ont fait les
communistes par l’effort du travail manuel, même si on constate aujourd’hui que cette politique,
qui consiste à octroyer toujours plus d’argent aux personnes sans qu’elles aient des richesses
véritables, conduit le monde entier à la banqueroute et des états à la faillite. Malgré cela les prêts
bancaires rythment notre vie moderne. Si les banques tombent, eh bien tout s’écroule comme un
château de paille. Vous avez vu ce qui s’est passé avec la crise des subprimes211. Les Américains
ont appliqué une politique différente de celle de nos précédents gouvernements, affirment les
personnes âgées. Ils ont mis les villages au centre de leur action. Ils chuchotent à l’oreille que
c’est l’économie américaine qui dirige nos pays. Nous vivons au rythme des Américains, bien audessus de nos moyens. Grâce à leur intervention, le développement, le bien être, dans les villages
et le reste du pays n’est plus l’affaire de quelques personnes, à savoir le curé, le médecin et
l’enseignant, le baron, le roi ou la hiérarchie catholique. Désormais c’est tout le monde qui aspire
et vit la prospérité. Elle est à la portée de tous. Les routes sont construites dans des villages, les
écoles sont modernisées, les entreprises s’installent. Le bonheur est ouvert à tous.
La guerre a eu quelque chose de bon, disent-elles. Car depuis lors, le village est la cellule
du développement, en Ardenne, en Belgique et ailleurs en Europe. Le développement du pays ne
se conçoit plus qu’à partir de celui des villages. Car les gens qui habitent les villages ont droit à la
vie comme tout le monde et doivent de ce fait bénéficier des avancées techniques et
technologiques qu’offre le monde moderne. La modernité ne se conçoit plus sans la modernisation
des villages, sans l’amélioration de la vie de leurs habitants. La modernité, c’est l’amélioration des
conditions de vie de tous.
211
La crise des subprimes s'est déclenchée au deuxième semestre 2006 avec le krach des prêts immobiliers
(hypothécaires) à risque aux Etats-Unis (les subprimes), que les emprunteurs, souvent de conditions
modestes, n'étaient plus capables de rembourser. Révélée en février 2007 par l'annonce d'importantes
provisions passées par la banque HSBC, elle s'est transformée en crise ouverte lorsque les adjudications
périodiques n'ont pas trouvé preneurs en juillet 2007. ..De l'été 2007 à l'été 2008, ces dépréciations ont
totalisé 500 milliards de dollars américains, ce qui a fait chuter d'autant les capitaux propres des banques.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_subprimes.
87
On ne peut malheureusement pas dire la même chose des villages du Congo sous diverses
administrations coloniales. Le village congolais que le colon a rencontré, lieu d’habitation
traditionnelle des Congolais, est combattu. Il est marginalisé, il est exclu, appelé à disparaitre. Le
village est présenté comme impropre à toute vie. Le mieux à faire est de le quitter, l’abandonner.
Les missionnaires se chargent de le diaboliser. Ainsi ceux qui restent dans des villages sont
diaboliques. Leur vie démoniaque. Aussi ni le colon laïc ni le missionnaire n’habitent le village
africain. Les Congolais qui habitent dans les cités européennes du Congo ou dans des missions
catholiques sont des habitants de seconde zone, voire de troisième zone. Mais ils sont bien au
dessus de ceux des villages, qui eux ne sont pas classés dans la catégorie des personnes ni de lieux
de vie. En tout cas, là-bas il n’est pas question de construire quoi que ce soit. Ni école, ni hôpital
ou dispensaire, ni magasin, encore moins des entreprises ou la moindre route. Si une entreprise
doit être installée à proximité d’un village, celui-ci doit déguerpir. Ses habitants chassés sans
ménagement. Ici on est en droit de crier comme ce fut le cas aux États-Unis, « nous souffrons
depuis trop longtemps…Nous sommes fatigués d’être traités comme des citoyens de seconde
zone, des non-personnes. 212» Le sort des habitants des villages africains du Congo depuis la
colonisation jusqu’à ce jour est comme celui des cinquante mille citoyens noirs de Montgomery
aux États-Unis à l’époque de Martin Luther King. Ils vivent la discrimination, le racisme, au
quotidien. « Ils sont tirés vers les lumpenprolétariat. Femmes de ménage, cuisinières, journaliers,
jardiniers, éboueurs, serviteurs, les emplois sont subalternes et souvent, illicites.213 »
Le cas des villageois congolais est pire. Les habitants des villages africains sont tous des
personnes de seconde zone, aux yeux des colons, des pauvres, sans droits réels. Les gens des
villages ne connaissent qu’un seul travail, l’agriculture. Même alors ils n’ont pas droit de changer
de méthode de travail, car personne ne le leur apprend. Ils sont obligés de répéter ce qu’ils savent,
ce qu’ils ont appris des anciens ou alors de faire ce qu’exigent les colons sans comprendre. C’est
le fameux « éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes
gestes…214 » du président Nicolas Sarkozy. A la différence que contrairement à ce qu’il affirme,
les gens veulent bien changer, mais le système en place ne l’entend pas de cette oreille. « A preuve
qu’à l’heure actuelle, ce sont les indigènes d’Afrique ou d’Asie qui réclament des écoles et que
c’est l’Europe colonisatrice qui en refuse ; que c’est l’homme africain qui demande des ports et
212
213
214
Lillas Desquiron et François Jorestier, op.cit. p.80
Ibidem, p.77
Discours de N. Sarkozy à Dakar le 26 juillet 2007 in Petit précis de remise à niveau sur l’histoire
africaine à l’usage du président Sarkozy op.cit. p.348
88
des routes, que c’est l’Europe colonisatrice qui, à ce sujet, lésine ; que c’est le colonisé qui veut
aller de l’avant, que c’est le colonisateur qui retient en arrière.215 »
Donc dans des villages, proprement dits, lieux d’habitations traditionnelles des Congolais,
rien n’est construit par les colons. Mais les villageois sont, quant à eux, soumis aux travaux forcés.
Ils sont obligés d’abandonner leur mode de vie, leur production vivrière traditionnelle. Les colons
les obligent à cultiver du café, de la fibre, des noix palmistes, du coton, etc. pour leurs industries à
Kinshasa. Les agents des grandes sociétés parcourent les villages pour réceptionner les produits.
Le mode de vie traditionnel est interdit aux villageois, mais ils n’ont pas non plus accès au mode
de vie moderne, réservé aux Européens. A bien y voir, avec le régime colonial, le progrès est
interdit aux villages et dans les villages. Ils sont présentés comme l’antithèse même du progrès et
appelés à disparaître. « La mission civilisatrice du livre (la Bible et l’école), de la modernité, de la
ville et de l’État fait en sorte que la vie au village et la culture orale sont essentiellement définies
en termes d’absence, de négativité, d’infériorité. Le village, aux fins fonds de la brousse, est
oublié, privé de toute existence sociale et culturelle, extériorisé face à la mission civilisatrice des
institutions coloniales. 216» Ce sont ces villages ainsi exclus, ignorés et combattus, non nommés,
que certains présentent comme le modèle même de nos pays. « Je suis né en Afrique. Il y a
longtemps. Dans un petit village coincé entre la mer et un volcan éteint… A cette époque, notre
village comptait une centaine d’âmes...Les cases étaient des huttes de terre rouge au toit de
chaume. Elles dessinaient une sorte de colimaçon. Au centre se trouvaient les cases des femmes.
Les hommes occupaient toute la périphérie. Elle-même protégée par une double haie d’épieux
tranchants.217 »
Dans son roman Jean-Michel Olivier oppose ce village africain à la ville
américaine de Los Angeles. Bruno Chenu l’oppose à Paris. De certains prêtres qu’il aurait
rencontrés, il affirme qu’ « il n’est pas rare que ce prêtre ait passé son enfance et son adolescence
dans un village sans eau et sans électricité. Arrivant à Paris, il est ébloui par les déluges des
moyens à la disposition de la population.218 »
Le village où je suis né, est proche de quatre autres. La distance la plus grande est de huit
kilomètres. Il y a partout des ruisseaux. Il n’existe pourtant aucun pont construit entre tous ces
villages, si bien qu’il faut toujours contourner les rivières et passer par delà les sources pour
atteindre les autres villages par véhicule. Il n’existe aucune route bitumée. Dans mon village
durant la colonisation il n’y avait qu’un seul petit édifice en dur. C’était une petite chapelle de
215
216
217
218
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 2004, p. 27-28
René Devisch, La violence à Kinshasa, ou l’institution en négatif, Cahiers d’études africaines, Année
1998, volume 38, n° 150-152, p. 443
Jean-Michel Olivier, l’Amour nègre, roman, Fallois/L’Âge d’Homme, Paris, 2010, p.9
Bruno Chenu, Des prêtres africains en France. in Journal La Croix, du 17 septembre 2002.
89
cinquante centimètres de haut et vingt de large. Je l’avais vue durant mon enfance, mais elle a été
inexistante après. Je n’avais jamais su ce qui lui était arrivée et je n’ai jamais posé de question.
Maintenant en y pensant, je crois qu’elle a été détruite après l’indépendance car elle devait être
perçue comme le signe visible de la colonisation et ne représentait rien pour la population. Par
contre après mon ordination, le village s’est mobilisé et a construit une chapelle en dure de 20 m
de long et de 10 m de large où j’ai dit ma première messe. Grâce à cette même mobilisation, le
village a aussi construit une école secondaire en plus de l’école primaire qui existait déjà.
La marginalisation, l’exclusion et le mépris du village africain ainsi que de sa population a
eu et continue à avoir des effets très nocifs. La jeunesse par exemple reproche à la tradition
africaine de n’avoir rien inventé et de ne lui avoir rien légué, étant donné que la colonisation
attribue toute la modernité à sa tradition à elle. La jeunesse, ainsi offensée, se retourne contre sa
tradition à elle - contre les anciens – qu’elle accuse de négligence, d’incapacité notoire et
d’indigne, responsable de tous ses malheurs. Ainsi les jeunes s’attaquent facilement aux personnes
âgées qu’ils accusent de sorciers, des personnes nuisibles et occultes, arriérées, nuisibles à la
société qui veut prospérer. Il s’est ainsi créé un fossé entre la jeunesse et sa tradition, ses anciens.
La population est donc subtilement opposée à elle-même. Elle s’entre-déchire et s’entretue
bêtement. Cette situation explosive concerne tous les milieux, aussi bien villageois que citadins et
est très inquiétante à Kinshasa où tous les maux qui rongent la société sont attribués à la tradition
et à ceux qui la représentent, les vieux. Un musicien congolais de renommée a même accusé la
tradition congolaise de n’avoir pas inventé l’ordinateur contrairement à la tradition européenne qui
aurait tout inventé : la télévision, les voitures et l’ordinateur.219 Comme on peut le voir la situation
des villages sous la colonisation est misérable. Mais celle des cités ou des missions catholiques
construites par les Européens n’est pas meilleure. C’est en fait la situation du Congo entier qui est
ainsi pour ses habitants autochtones. Le régime colonial est loin d’être le régime de prospérité
qu’il a prétendu être.
Le Congo-léopoldien devenu Congo-belge n’est pas un état libre. C’est une prison. Au
Congo belge, les Congolais sont considérés comme des bons enfants que les bons pères colons
doivent éduquer, cela par des coups de fouet, la prison, la relégation ou l’exil intérieur.220 Le
régime colonial belge est un régime d’apartheid qui ne dit pas son nom.221 Les boucheries, les
boulangeries, les écoles, les quartiers, les églises, les bars, tout était séparé à l’avantage des
Européens du Congo et de la Belgique. Les meilleurs établissements sinon les meilleures places
219
220
221
C’est l’auteur-compositeur et chanteur de charme, Jean Bialu Madilu System, alias Ramsès II, mort en
2007 qui l’a chanté.
MN, p. 59
Marie-France Cros et François Misser, op.cit. p.41
90
sont pour eux. Les richesses aussi.222 Sous ce régime, la vie des Congolais est très difficile, elle est
assimilée à une vie d’arriérés. Ainsi à l’expo 58 de Bruxelles, les colons font construire « un
village congolais, reconstitué en dehors du pavillon, dans une espèce d’enclos. Là-dedans, il y a
une hutte. La famille qui y vit est obligée de vivre comme au village congolais. Le petit garçon est
habillé presque nu, pieds nus, en hiver comme en été. L’homme et la femme doivent faire les
mêmes métiers qu’au village pour satisfaire la curiosité des visiteurs. Ce pavillon est très visité,
les Belges de passage lancent des bananes aux habitants Congolais comme s’ils les lancent aux
singes. Certains vont même jusqu’à soulever la culotte de l’enfant, pour voir s’il n’a pas de queue,
étant donné que la rumeur dit que les Congolais ont des queues.223 »
222
223
MN, p. 46-50
MN, p. 151 ; Ceci s’était déjà produit quelques années plutôt. « Des ancêtres Congolais, sont morts à
Bruxelles, en juillet et août 1897. Ils sont arrivés au nombre de 267 personnes, ils provenaient de tous les
coins du pays, le Congo belge. Leur voyage ignoble a duré près de quatre mois au total. Ils ont été emmenés à
Tervuren pour y être exhibé dans une sorte de zoo humain à l'exposition universelle de 1897. Près d'un
million de visiteurs. Initialement prévu pour l'été, on décida de maintenir le zoo humain jusqu'en
automne…Comme il fallait s'y attendre, sept d’entre eux meurent de froid dans le déshonneur, dans un état
de non-humain, comme des SDF [Sans Domicile Fixe] qui ne disaient pas leur nom. Mama SAMBO ; mama
MPEMBA ; mama NGEMBA ; papa EKIA ; papa NZAU ; papa KITUKWA ; papa MIBANGE. Le
déshonneur les poursuivit, même morts : point de place pour eux dans les tombes belges. D'autre part, on
n'ose pas entrer en contact avec ces corps, exposés en public : question de « santé publique » arguait-on... Ils
furent enterrés dans un premier temps dans une fosse commune, qu’ils devraient partager avec les indigents
de l'époque. Ce qui fut fait dans le bois de Tervuren. Une dizaine d'années plus tard, ils ont été enterrés dans
la cour de l'église catholique Saint Jean Évangéliste de Tervuren, sise rue de l’église. Il n'y avait toujours pas
de place pour eux dans les cimetières belges. » cfr Mavambu Mavungu, Nyembo Risasi, Moïse Essoh,
Mabita ma Motingiya asbl MOJA et ELAN-Congo, 30 Octobre 2006
http://www.culturek.net/www/index_section_.Histoire
91
4. La prison catholique.
Mon père, Henri PINI-PINI Manzanza, m’a raconté l’épopée de sa vie à la mission où il est
allé pour étudier dans les années 1935. C’était à la mission Beno, l’unique endroit où on pouvait
aller étudier dans tout le territoire de Banningville, au nord-est de Kinshasa, territoire compris
entre les embouchures du Kasaï, Kwango, Kwilu. De son village natal jusqu’à la mission Beno il
y a près de 60 km. Ils vont en groupe des jeunes. La plupart sont des catéchumènes. Ils retournent
au village après le baptême. Quelques uns seulement restent poursuivre les études. Mon père est
de cette seconde catégorie. Il retourne chaque samedi au village chercher de la provision et revient
le dimanche, tous les mois, toutes les années. Mon père est, bien sûr, très jeune. Mais il est
brillant. Les Pères Jésuites l’ont remarqué. Ils lui confient alors plusieurs responsabilités. Il est
leur boy. Il prépare les repas pour eux et les sert à table. Il est sacristain et doit sonner la cloche de
l’église pour donner le signal du réveil. Souvent il reste tard chez les Pères. Car après leur repas
du soir, il doit débarrasser la table, faire la vaisselle, leur préparer le café et le leur servir, etc. Il
retourne dormir au dortoir, épuisé. Mais malgré cela il doit déjà être debout à 5h du matin pour
sonner la cloche dès que le père responsable siffle. Et il siffle trois fois. Donc mon père doit
sonner trois fois aussi. Et s’il lui arrive d’être en retard pour sonner, il est puni et doit transporter
500 briques cuites sur la tête. 1000 quand il n’a pas sonné deux fois. Il lui arrive de dormir
profondément et de ne pas sonner du tout. Dans ce cas là il doit transporter 1500 briques. Pourquoi
toutes ces briques ?
Au début de la colonisation, les missionnaires se choisissent des endroits, le long des cours
d’eau, pour construire leurs missions et les administrateurs s’en choisissent, eux aussi, pour bâtir
leurs villes. Les lieux où doivent être construites les missions ou les villes sont toujours en dehors
de tout lieu d’habitation des Congolais, leurs villages en l’occurrence. Les villages des Congolais
sont bâtis, eux, aux abords des clairières, suffisamment loin des cours d’eau, des marigots et des
marécages. Car ces lieux sont des foyers prolifiques de maladies telles que le paludisme, la
trypanosomiase, la lèpre, etc. qui se sont répandues à un rythme effréné depuis le début de la
colonisation européenne et l’installation de ses villes le long des cours d’eau, et sont devenues
endémiques. Dans le village où je suis né, Kibala-luli/We, il n’y a jamais des moustiques,
rarement des mouches Tsé-tsé. Car le village est construit à trois kilomètres de la rivière
Nsay/Inzia. Il est bâti sur une clairière et est en hauteur par rapport au niveau de la rivière. Les
gens de We vivent de la forêt, mais n’y habitent pas. Ce qui n’est pas le cas des nouveaux venus,
92
missionnaires en l’occurrence. Les Européens choisissent des lieux inhabités pour établir leurs
villes ou missions, « bwala mundele.224 » Au début de la colonisation ils utilisent des cours d’eau
pour leurs déplacements par pirogues ou petits bateaux à vapeur. La mission est « bwala
mundele » tout comme la cité administrative coloniale. Les Européens choisissent donc d’habiter
le long des fleuves ou carrément en pleines forêts et ils contraignent les populations indigènes à y
habiter aussi. Cette nouvelle donne nécessite la mise en place rapide du service d’hygiène. Créé en
1922, il a « pour objets entre autres, l’hygiène des travailleurs, l’hygiène des ports et des villes et
notamment la lutte contre les transmetteurs et hôtes intermédiaires des affections
transmissibles. 225» La multiplication et la fulgurance des multiples maladies endémiques trouvent
là une de leurs explications. Sinon comment justifier que les populations autochtones aient pu
résister si longtemps sans être exterminés ? Les Européens ont vu la beauté des lieux sans se
rendre compte des dangers. C’est pour cela que les bwala mindele offrent aujourd’hui ce visage si
dangereux et désastreux, et posent actuellement des problèmes réels de vie et de survie des
populations. Missions et villes confondues.
Beno
se
situe le long du
fleuve Kwilu, non
loin de Bagata, la
cité administrative.
A
l’époque
de
leurs constructions,
les missions et les
villes ne cohabitent
pas.
Mais
elles
restent
suffisamment
proches
pour
pouvoir se rendre
des services réciproques. Elles sont séparées, mais leur mode de vie est le même. En ville, le
centre-ville, le meilleur endroit de l’entité, est réservé aux Européens. A la mission les meilleures
maisons sont les couvents des Pères, qui sont aussi situés aux meilleurs emplacements. Les Pères
224
225
Village d’Européens (le mot mundele ayant fini par désigner tout européen vivant au Congo et s’étendra
même à tout Européen tout court)
A. Dubois et A. Duren, Soixante ans d’organisation médicale au Congo Belge, 1947, Ann. Soc. Belge Méd.
Trop., Liber Jubilaris sous la direction de J.Rodhain, Bruxelles, Ed. Goemaere, pp.7
93
tout comme les autres colons sont servis par des boys. Les missionnaires se comportent, eux aussi,
en maîtres absolus dans leurs missions comme les autres colons dans leurs villes. Les pères se sont
approprié forêts, savanes et rivières, comme domaines de la mission. Les Congolais n’y ont rien à
dire et leur doivent soumission à eux comme aux autres colons. Les Pères portent toujours des
soutanes, des longues barbes et des casques coloniaux. La plupart traite les Congolais comme les
nombreux autres colons le font, c’est-à-dire comme des gens inférieurs. J’ai rencontré un belge
d’une cinquantaine d’année, né au Congo, des parents coloniaux. Il m’a dit avoir assisté dans son
jeune âge à un de ces agissements cruels des missionnaires. Il avait accompagné son père chez le
père missionnaire du coin. A leur arrivée, le père buvait son café plongé dans la lecture des
journaux en provenance de la métropole. Et derrière sa résidence, des dizaines des femmes
congolaises transpiraient, soumises aux durs travaux de terrassement de la véranda du père en
signe de pénitence pour leurs péchés. Les cas semblables se rapportant aux corvées infligées par
les colons aux Congolais sont tellement nombreux que la terre entière ne suffirait pas pour les
contenir, tout comme les cas de racisme aujourd’hui. Ils s’étalent sur plus de cinq cents ans de
domination européenne non stop.
L’abbé Kayembe, un de tous premiers prêtres autochtones du diocèse de Kikwit dont
dépendait la mission Beno, m’a raconté comment ils se comportaient envers les villageois. Au
début de leur ministère, les prêtres Congolais adoptent les pratiques des missionnaires, tout
comme les commis congolais, qui eux font pareil que les colons européens. L’abbé Kayembe m’a
dit qu’une fois arrivé dans un village, s’il entendait le son des tam-tams durant la nuit, il s’amenait
immédiatement jusqu’au lieu de la danse, confisquait les tam-tams et les faisait brûler de suite.
C’était comme ça que tous agissaient. Car les tam-tams et la danse étaient ni plus ni moins
diaboliques. Il a reconnu avoir réalisé cette opération sinistre dans mon village à Kibala-luli/We.
Mon père l’a aussi confirmé.
Les efforts demandés aux Congolais pour construire les missions sont les mêmes que les
travaux forcés auxquels ils sont soumis dans les villes et villages. Les catéchumènes et les élèves
sont soumis à un rythme infernal de travail. C’est ainsi que mon père est puni tous les jours. Car
en plus de toutes ces charges, il doit aller à l’école où il brille. Ses amis - parmi lesquelles des
filles, dont ma mère, qui avaient pitié du jeune homme - lui apportent de l’aide tous les jours pour
qu’il accomplisse sa punition car le père passe pour compter les briques. Aucune ne doit manquer,
sinon c’est encore une punition. Évidemment cela ne pouvait pas durer infiniment. Mon père a fini
par retourner chez lui au village sans demander son reste aux missionnaires. Et il n’est plus
revenu. Mais il s’est réconcilié avec les pères, car sur leur demande il est devenu enseignant du
correspondant de la maternelle pour une dizaine de villages autour du nôtre, fonction qu’il a
94
exercée sans discontinuer jusque dans les années 70. Car après, d’autres pères, ceux de la Société
du Verbe Divin, ont construit une autre mission à dix-neuf kilomètres de chez nous, à Mbanzalute. C’est là que j’ai fait mon école primaire. J’y suis aussi allé comme mon père pour la semaine,
avec ma petite provision sur la tête quand mon père ne pouvait pas m’y conduire sur son vélo.
Mais nous étions plus en contact avec nos enseignants qu’avec les missionnaires. Malgré cela j’ai
été le seul élève de mon village à fréquenter l’école jusqu’à la fin. Car la distance était trop
grande. Moi, je restais dans la famille de mon père, chez sa sœur qui habitait la mission. Sa mère
n’était pas loin non plus, et un autre de ses frères. Je restais donc un peu en famille. Et mon père
venait régulièrement me rendre visite quand il visitait sa famille dont il était le chef. L’école
primaire du village a été construite en 1966 à la demande des gens du village. J’étais déjà en
troisième primaire.
La structure de la mission est presqu’identique partout. Il y a d’abord et avant tout la
maison des Pères, leur couvent. Elle est en dur et tôles ondulées et a tout le confort d’une maison
européenne. Elle est approvisionnée en eau courante et électricité. Les pères ont un groupe
électrogène qui permet de pomper l’eau et d’éclairer leur maison. Souvent c’est la seule maison
qui en a, avec le couvent des religieuses si elles sont présentes à la mission. Le père est le seul
motorisé de la contrée, il a souvent une jeep 4X4 avec laquelle il sillonne les villages pour célébrer
des messes et administrer les sacrements226. La mission de Mbanza-lute, par exemple, a un rayon
de 60 km. La maison des pères est souvent clôturée. En face du couvent des pères se trouve
l’église, une grande bâtisse en dur également. L’église, lieu du travail des pères, est éclairée aussi.
L’intérieur de l’église est décoré comme les églises en Europe. On y trouve des vitraux, le
traditionnel chemin de la croix, des tableaux des Saints et des crucifix. Il y a aussi un autel et une
sacristie. Les ornements des prêtres sont les mêmes que ceux que l’on trouve en Europe : aubes,
chasubles, cordons, etc. Il y a ensuite les bâtiments des classes pour les enfants congolais. Ils
peuvent être en durs et en pisé, cela dépend de la fortune des pères. Il y a également des dortoirs
des élèves et aussi le camp des enseignants. Ceux-ci n’habitent pas leurs villages, mais la mission.
Ils sont toutefois bien séparés des missionnaires. Le camp des enseignants correspond aux camps
des travailleurs Congolais dans des villes. A la mission, outre les écoles, il y a aussi souvent un
dispensaire, une maternité, des boutiques. La mission a un standing bien au dessus des villages,
lesquels se trouvent au bas de l’échelle dans la montée vers l’évolution à l’humanité occidentale.
226
Le premier évêque du Diocèse de Kenge dont dépendait la mission Mbanza-lute, Mgr François Hoenen, un
allemand, disposait d’un petit porteur pour faire ses tournées pastorales. Il avait fait construire des pistes
d’aviation dans toutes les missions. En 2ème primaire, nous devrions transporter d’énormes termitières sur
nos petites têtes pour la consolidation de la piste d’aviation des Pères.
95
Y habiter est synonyme de régression, de privation de la modernité, synonyme de vivre une nonvie, une vie sauvage. Sous le régime de la colonisation belge, le village africain du Congo est
stigmatisé comme un lieu inapproprié à la vie moderne. Laquelle ne peut se vivre qu’en milieu
urbain colonial ou à la mission catholique, auprès des colons européens, laïcs ou missionnaires.
96
Chapitre 2 : Le syndrome de la caverne et le règne de l’appropriationprivatisation-exclusion chez les Occidentaux.
1. Une haine aveugle et injustifiée
« Mindele227 ke zolaka beto ve. » Les « Mindele » ne nous aiment pas. Et les gens se
demandent pourquoi ? Ce cri du cœur m’a interpellé. C’est à Kikwit que je l’ai entendu dans les
milieux populaires. C’était en 1998, quand les soldats rwandais attaquaient le Congo sur deux
fronts à la fois, à l’est et à l’ouest. Les gens y avaient vite vu la main des Européens derrière cette
action criminelle des soldats rwandais. Car le Rwanda, « minuscule État de 26.340 km², 89 fois
plus petit que la RDC (2.345.095 km²), enclavé, … dépourvu des ressources 228», ne pouvait pas
disposer des moyens pour oser attaquer le Congo sur deux fronts à la fois et l’envahir. Il y avait
donc une main derrière. « Dans son rapport d’octobre 2002, confirmé par celui d’octobre 2003, le
panel d’experts de l’Onu chargés d’enquêter sur l’exploitation illicite des richesses de la Rdc avait
montré que la guerre… a été largement motivée par le pillage des ressources considérables de ce
pays-continent : notamment le coltan, l’or, la cassitérite et le diamant, sans oublier les importantes
réserves de gaz et de pétrole mises à jour par des prospections récentes autour du Lac
Édouard….229 » Quatre vingt cinq entreprises sont citées dans ce rapport et la plupart ont pignon
sur rue à Washington, Bruxelles, Paris, Londres, Johannesburg, Anvers, Ottawa, Tel-Aviv,
Berlin230. On connaît tout ce qui est arrivé au Congo depuis 1998. La population ne s’est pas donc
trompée. Elle avait vu juste. C’était le retour des Mindele par l’entremise des Rwandais, leurs
hommes de main du moment. Donc tout recommençait, la colonisation était relancée. La
souffrance et la misère étaient de nouveau à leurs portes. Les exactions aussi. Les humiliations
227
228
229
230
Le mot kikongo « mundele, mindele » a connu une longue évolution tout en gardant toujours son sens
premier de méchant envahisseur européen. Du colon portugais, il est passé au colon belge, du colon belge il a
mué au colon congolais (mundele-ndombe), du colon congolais, il est passé à l’occidental prédateur (colon,
missionnaire, capitaliste, humanitaire) et maintenant, il désigne aussi le chinois, nouveau colonisateur. A vrai
dire aujourd'hui « Mindele » représente une forêt vierge dans laquelle les grands criminels occidentaux se
cachent en se présentant aux yeux des autres comme des blancs qui défendent la race. C'est pour le bien de
leurs congénères de la race qu'ils agissent, font-ils croire. C'est pour cela que ceux-ci se doivent de les
défendre contre vent et marée. Ainsi passent-ils par les mailles des filets, s'assurant une vie paisible sans un
moindre ennui.
Frac, Quel avenir pour le Congo, Kinshasa, Mediaspaul, 2010, p.125
Ibidem, p. 119
Idem
97
mêmement. Les viols allaient reprendre, les mutilations aussi. Ils avaient pourtant beaucoup
espéré avec l’arrivée au pouvoir de M’zee Kabila Laurent-Désiré, appelé aussi “soldat du peuple“
un an plutôt, en 1997. Cet homme avait réussi un coup de maître. Celui de chasser Mobutu et toute
sa bande du pouvoir. Les Mobutistes avaient fui le pays. La population respirait la liberté
retrouvée. M’zee Kabila Laurent-Désiré avait réussi à redonner espoir au peuple complètement
désespéré après tant d’années de souffrances sous le régime autoritaire de Mobutu, successeur du
régime autoritaire colonial des Belges. Mais voilà qu’un an seulement après, tout l’espoir
s’évanouissait comme un feu de brousse. D’où, ce cri de cœur “Mindele ke zolaka beto ve.” Car
la population, ne s’explique pas autrement toutes les souffrances subies depuis des siècles de leur
part, gratuitement, sans aucun antécédent. Elle s’étonne que ces souffrances continuent toujours et
toujours, qu’elles les laissent impassibles.
Effectivement, aussi loin que l’on remonte dans les relations entre l’Europe et le Kongo de
nos ancêtres, Kongo-dyna-Nza, on ne trouve aucun antécédent qui peut expliquer ou justifier
l’attitude cruelle, méprisante et humiliante de ceux que les Congolais avaient gentiment accueillis
comme leurs frères, mieux comme leurs ancêtres d’autrefois venus leur rendre visite. Ils ne
s’expliquent pas que cette visite qui était au départ amicale, si fraternelle, se soit transformée en
cauchemar, en un cauchemar qui dure toujours et toujours. La population de Kikwit n’est pas la
seule à se plaindre des souffrances endurées de la main des “Mindele“. Le constat est presque
général.
Lors d’un séjour à Kinshasa, quelques amis belges qui m’accompagnaient et qui ont logé
comme moi dans le quartier populaire de Ndjili, ont été excédé par les interpellations continuelles
des gens. « Mindele, pourquoi nous faites-vous souffrir ? Regardez comment nous souffrons, cela
ne vous fait-il rien ? » Mes amis étaient embarrassés et ne savaient quoi dire, sinon qu’ils n’y
étaient pour rien. Un ami m’a rapporté un entretien qu’il a eu avec un groupe d’importantes
personnalités dans un pays européen. Il se plaignait auprès d’elles du racisme dont beaucoup des
Congolais étaient victimes, pensant qu’il aurait une réponse raisonnable. Mais il a été surpris de
s’entendre dire que l’Europe virait vers la droite populiste et qu’il y aurait de plus en plus de
racisme et de discrimination. Et que le mieux à faire serait de retourner en Afrique si on ne
s’astreignait pas à supporter ce genre de comportement. Il m’a dit qu’il ne croyait pas ses oreilles.
Les Congolais qui vivent en Europe se plaignent presque tous des mauvais traitements de la part
des Européens. Une amie, française, qui habite à côté du Montmartre à Paris, m’a dit qu’elle est
souvent prise à parti par des nombreux Congolais et Africains qui lui reprochent de leur causer
tant de malheurs en tant qu’Européenne. Ils se plaignent de la discrimination, du racisme, des
injustices de toute sorte. Certains Congolais me disent que les Européens qu’ils rencontrent ne leur
98
reconnaissent l’humanité qu’ils portent que dès lors qu’ils ont, eux-mêmes, fait l’expérience de
l’humanité des Africains. Il faut qu’ils les aient approchés, qu’ils les aient jugés sur pièce pour
leur accorder l’humanité, pour les accepter. Ceci blesse profondément les Congolais.
Personnellement je n’ai pas encore rencontré un seul qui ne s’en soit plaint, quelque soit le pays
où j’ai été. La question que tous se posent est toujours la même « Pourquoi ne nous aiment-ils
pas ? Qu’est-ce que nous leur avons fait ? »
Pour répondre à ces interrogations, certains prétendent que les peuples du Congo comme
tous ceux d’Afrique ont payé cher leur manque d’engagement vis-à-vis du monde. Ils ont été
vulnérables, une proie facile. C’est le pays où « quand on a faim, on grimpe dans les arbres. On va
cueillir une mangue ou une banane. Un ananas. Une papaye. On se gave de sauterelles. 231» Voilà
pourquoi ils souffrent. Cette présentation de la situation congolaise et africaine est caricaturale et
méprisante. Sa visée est claire. Il s’agit de dédouaner à tout prix les colons et l’odieux système
d’esclavage qu’ils ont bâti. La réalité est bien différente. Les recherches engagées par le Cheikh
Anta Diop et poursuivies par sa veuve permettent de dire qu’ « un bilan économique vraiment
pertinent devrait considérer les situations économiques respectives, à la veille de la colonisation,
d'une part des pays colonisateurs et d'autre part des régions africaines qu'ils ont colonisées… Il en
résulte qu'avant sa colonisation par l'Europe, l'Afrique Noire développait ses propres institutions et
pratiques scientifiques, monétaires, métallurgiques, urbaines, agricoles, minières, artisanales,
marchandes qui n'avaient rien à envier à ce qui était en vigueur ailleurs dans le monde. Les
témoignages de nombreux voyageurs arabes de l'époque précoloniale en attestent ; de même que
les récits des premiers européens à avoir pénétré en Afrique, dès le XVIème siècle avec les
Portugais, mais aussi des Hollandais, Français, Allemands, Anglais, à partir du XVIIème siècle. La
différence la plus décisive en faveur des Européens fut d'ordre maritime et surtout militaire..232»
Jean-François de Rome, témoin oculaire du Kongo-dyna-Nza donne le témoignage que
voici dans son livre La Relatione. « La noirceur de cette nation ne procède pas de la chaleur
excessive du soleil, comme certains le pensent. En effet, comme je l’ai dit plus haut, les chaleurs
dans ces contrées sont très modérées ; en plus les Européens y restent blancs comme dans leurs
propres patries, et les enfants qui leur naissent sont et restent blancs. La noirceur des habitants
provient du fait de leur nature et qualité intrinsèque. En effet, nous constatons aussi que les enfants
nés de noirs en Espagne ont la même noirceur que leurs parents. Il y a certains enfants de père et
de mère noirs qui naissent blancs et quels que soient les moyens qu’ils emploient, jamais ils ne
peuvent leur donner leur propre noirceur ; aussi sont-ils tenus pour des monstres (albinos). Ils ont
231
232
Jean-Michel Olivier, l’amour nègre, roman, Paris, Fallois/L’Âge d’Homme, 2010, p.14
www//fr.wikipedia.org/wiki/Bilan_économique_de_la_colonisation_en_Afrique
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les mêmes traits que les noirs : leurs cheveux sont crépus mais blancs ; ils ont la vue courte mais
quant aux autres caractéristiques du corps, ils sont bien faits comme les autres. Pourtant ils sont
très rares. Les noirs du Congo ne sont pas aussi difformes que ceux de la Nubie ; ils ont bien les
lèvres un peu épaisses et le nez un peu aplati, mais dans une mesure telle que cela ne les rend
nullement difformes ; quand à la stature, ils sont plutôt grands que petits ; tant les hommes que les
femmes sont de taille vraiment harmonieuse ; ils sont agiles à la course et doués d’une grande
force ; ils ne se laissent pas pousser les cheveux mais ils le coupent, les femmes aussi bien que les
hommes, et les esclaves font de même. Les hommes portent une petite barbe mais lorsqu’ils
approchent de la trentaine, ils la coupent, gardant seulement des moustaches comme en Europe.
Lorsqu’ils vieillissent, leurs cheveux blanchissent comme chez nous ; ordinairement ils vivent
longtemps ; ainsi j’ai vu parmi eux des vieillards de 108 et 110 ans… 233»
Ainsi donc la question de la férocité et de la méchanceté des visiteurs qui sont arrivés au
Kongo par la mer n’est pas à mettre sur le compte des Congolais qu’ils ont rencontrés à leur
arrivée. Cette attitude n’est pas du tout liée à une quelconque mission civilisatrice. Elle reste une
énigme pour des nombreux Congolais. Ceci d’autant que les Occidentaux que l’on rencontre ou
avec qui on discute la balayent d’un revers de la main. Beaucoup trouvent tout à fait normal ce qui
est arrivé. Pire ils le défendent constamment. J’ai toujours été choqué d’entendre des personnes
raisonnables défendre la traite des Africains. Ils disent simplement que c’était la mentalité de
l’époque. Une sorte de mise entre parenthèses de l’humanité à une certaine époque. C’est la
référence à l’histoire linéaire où plus on recule dans le temps, plus on rencontre de la sauvagerie ;
et le contraire, plus on remonte dans le temps plus on rencontre de la civilisation. Dans ce cadre
les reproches que les Africains font aux anciens Occidentaux sont hors contexte. C’est du passé.
Les agissements de l’époque étaient tout à fait normaux, conformes. Aujourd’hui cela ne se ferait
plus. Ce qui n’est pas vrai évidemment. Car on sait que l’abolition de la traite et de l‘esclavagisme
des Africains ne sont intervenus vraiment que grâce à la découverte des puits de pétrole. Cette
nouvelle énergie pouvant faire tourner d’énormes machines a supplanté la force musculaire des
Africains et les a ainsi libérés de la servitude à laquelle ils avaient été soumis depuis des siècles.
L’abolition de l’esclavage n’a jamais éliminé le racisme et le mépris des Africains. D’ailleurs les
Africains savent qu’ils ne sont pas à l’abri d’une reprise éventuelle de ce commerce et d’une
nouvelle servitude. Certains Occidentaux le disent ouvertement comme le président Sarkozy à
Dakar. « N’écoutez pas, jeunes d’Afrique, ceux qui veulent faire sortir l’Afrique de l’histoire au
nom de la tradition parce qu’une Afrique où plus rien ne changerait serait de nouveau condamnée
233
Jean-François de Rome, cité par F. Bontinck, cfr Isidore Ndaywel’e Nziem, Histoire générale du Congo,
op.cit. p. 110
100
à la servitude. 234» On voit donc que non seulement la traite et la servitude pourraient reprendre
par la main des descendants des esclavagistes et colonialistes, mais que prétendre à une
humanisation à l’aveuglette à cause de l’héritage des droits de l’homme par exemple est
hasardeux. Cela serait même insultant à l’endroit de certaines personnes du passé, parfois très
lointain, et ayant vécu en dehors de l’Occident. Des personnes qui prouvent à suffisance que
l’humanisme ou l’absence d’humanisme de quelqu’un ne dépend pas de son époque, ni de sa race
ou de son territoire d’habitation ou d’origine. Certaines personnes du passé – tous continents
confondus - sont et demeurent des icones dans le domaine de l’humanisme. Elles nous donnent de
vraies leçons dans le domaine sans recourir du tout à la déclaration universelle des droits de
l’homme. Par contre, nombreuses sont les personnes présentes prétendument modernes, et même
héritiers des principes universels235, qui devraient en apprendre de ces autres personnes du passé.
C’est ici que le bat blesse. Nous avons de la peine à comprendre les appels quasi
permanents à la guerre, aux affrontements. Quand je suis arrivé à Paris, l’attitude de certaines
personnes que je rencontrais de tous les milieux, même sacerdotal, me choquait beaucoup. La
guerre ne les effrayait pas. Au contraire, tous, les évêques compris, soutenaient des actes et des
déclarations de guerre, notamment après les abominables attaques du World Trade Center (WTC)
à Manhattan, à New York, le 11 septembre 2001236. Le soutien à l’invasion de l’Afganisthan était
presqu’unanime. Cette attitude du va-t-en guerre permanent nous pose problème. Ce chapitre se
rapporte à cette problématique. Il s’agit d’apporter une petite pierre comme celle du travail de
mémoire réalisé par la Mairie de Nantes237 sur la traite transatlantique ; mais il s’agit aussi et
234
235
236
237
Nicolas Sarkozy, Allocution à l’Université de Dakar le 26 juillet 2007, in Petit précis de remise à niveau sur
l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, op.cit. p.349. Dans ce discours qui l’a rendu célèbre, le
président Sarkozy étonne à plus d’un titre, mais surtout quand il se refuse d’endosser la responsabilité de la
traite et de la colonisation de ses propres ancêtres qu’il désigne par le pronom personnel “ils“ alors qu’il parle
de “vos ancêtres “quand il s’adresse à son auditoire africain et qu’il leur parle des anciens esclaves et
colonisés. « …jadis, les Européens sont venus en Afrique en conquérants. Ils ont pris la terre de vos ancêtres.
Ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes de vos pères… » op.cit. p.345 Il faut peutêtre ajouter que la jeunesse de l’université de Dakar à qui M. Sarkozy s’adressait n’avait pas plus de 30 ans
de moyenne et ne pouvait donc pas avoir des parents qui seraient des colonisés directs, et encore moins des
esclaves de la traite négrière. Il avait lui-même l’âge des parents des jeunes à qui il s’adressait.
« Nous avons, disent Stéphane Hessel et Edgar Morin, un double devoir : le premier est un devoir de
Français parcipants au destin planétaire des Terriens et qui portons dans notre héritage national les
principes universels.. » Stéphane Hessel et Edgar Morin, “Le chemin de l’espérance“, Paris, Fayard, 2011,
p.8. Il y a de Français, toutes catégories confondues, qui ont tout intérêt à apprendre les valeurs universelles
de la liberté, de la fraternité, et de l’égalité, comme beaucoup d’autres dès par le monde.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_du_11_septembre_2001
A Nantes dans le château des ducs de Bretagnes, il y a une exposition intitulée, “Nantes capitale négrière“ qui
retrace toute l’histoire de la traite négrière qui a impliqué cette ville et qui a permis son essor et son
épanouissement. Cette exposition, tout à l’honneur du Maire actuel de Nantes, laisse patois sur le degré de
cruauté des habitants anciens, de cette ville, qui ont réalisé des atrocités à peine imaginable sur leurs
semblables humains. A voir. http://www.nantes.fr/salles-1-a-17
101
surtout d’essayer de comprendre ce que les populations congolaises appellent la cruauté des
Mindele. D’où vient-elle ? Et comment se répand-elle ?
La méchanceté gratuite des Européens et leur cruauté effrayent les Congolais. Le constat
date du 15ème siècle. Le vocable “mundele, mindele“ appliqué originellement aux Portugais a été
étendu à tout Européen arrivant au Congo, missionnaire ou laïc. Il a fini par identifier la
colonisation elle-même qui, elle, n’a jamais trouvé de synonyme dans la langue Kikongo.238 Car
c’est une réalité inconnue. Totalement. Les Congolais généralisent cette cruauté et cette
méchanceté à cause notamment de l’attitude des nouveaux dirigeants européens, pourtant
généralement jeunes. On se serait attendu à ce qu’ils soient plus sensibles aux souffrances
actuelles des Congolais ; qu’ils en soient compatissants et veillent y mettre fin. Mais le constat est
plutôt contraire. Les nouveaux dirigeants des pays, des institutions bancaires internationales et des
multinationales, qui tous sont de race européenne, en tout cas occidentaux, gardent la même vision
des noirs que leurs prédécesseurs, ceux-là qui avaient organisé et pratiqué la traite et la
colonisation à grande échelle aussi bien au Congo que dans toute l’Afrique de l’Ouest. Les
Congolais voient, les Congolais observent. Même l’Europe qui se construit, qui aurait pu se
rapprocher davantage de l’Afrique et surtout des Africains, semble se construire contre eux.
Pourquoi cette résistance à vivre harmonieusement et respectueusement avec les Africains ? D’où
la question récurrente : « Que leur avons-nous fait ? Que nous reprochent-ils ? » Cette question ne
peut trouver réponse qu’en interrogeant la société européenne elle-même, celle d’aujourd’hui
comme celle du passé. J’ai eu la chance de vivre depuis dix ans en Europe, et très longtemps en
milieu rural, ancré dans la tradition. J’ai pu y faire quelques observations.
Une première chose. La soumission à laquelle ont été contraints les peuples du Kongo
d’abord et ceux du Congo léopoldien/Congo Belge ensuite n’est pas à mettre sur le compte d’une
quelconque mission civilisatrice. Je l’ai déjà relevé. Elle est tout simplement liée à la puissance de
feu des visiteurs. Puissance de feu qui a tout soumis sur la surface de la terre, y compris les
océans. Nous le voyons tous. C’est un fait. L’Occident a tout soumis par les armes
essentiellement, et des armes très meurtrières. Les visiteurs arrivés au Congo depuis le 15ème siècle
ont les doigts faciles sur la gâchette. D’après Edgar Morin « la domination de l’Occident est la
pire de l’histoire humaine dans sa durée et son extension planétaire. 239» Cette domination remonte
de très loin. Parlant de la colonisation romaine, des nombreux récits témoignent de la cruauté sans
mesure de ce peuple. Les historiens estiment que la dernière vague de persécutions
antichrétiennes, déclenchée par l’empereur Dioclétien, poussé par son fameux César Galère, un
238
239
En langage Kongo actuel le vocable “flamand“ désigne le colon belge.
Edgar Morin cité par Jean Ziegler, La haine de l’Occident, Albin Michel, Paris, 2008, p.96
102
barbare cruel et violent, fit à elle seule, trois mille cinq cents victimes.240 Ce sont les Romains qui
ont inventé la peine de la crucifixion des condamnés bien avant la fameuse guillotine française.
Avant la guillotine, les Anglais avaient inventé le bûcher et le marquage des personnes humaines
par le fer brûlant. Auparavant les peuples germaniques brulaient tout sur leur passage pour
anéantir l’Empire romain. Ce n’est que plus tard que cette cruauté s’est exportée vers d’autres
terres avec plus de raffinement. Parlant de l’attitude française dans ce domaine, Léon Bloy
affirme que « l’histoire de nos colonies, surtout en Extrême-Orient et en Afrique, n’est que
douleur, férocité sans mesure et indicible turpitude.241 » Face à cette férocité, Jean-Claude
Guillebaud lance un appel : « la conscience aiguë de ces dévastations innombrables ... laisse à la
charge du monde occidental une responsabilité historique qu’il doit apprendre à regarder en
face. 242»
On croyait avoir atteint le pic avec les incroyables cruautés faites aux Africains lors de la
fameuse et longue traite. Le pire est arrivé sur la terre d’Europe elle-même quand les Nazis ont
élevé la mort des ennemis au niveau de la science, au niveau du savoir, la Shoah. Avec la Shoah –
également le lancement des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki - tout ce qu’on
connaissait avant comme cruauté apparaît comme rien. Désormais la personne humaine devient
objet des recherches scientifiques pour raffiner les tueries de ses semblables. La personne humaine
est réduite au rang des simples amas des chairs. Cette pratique d’un autre genre a ouvert une aire
toute nouvelle en Europe, celle de la construction des laboratoires de l’extermination humaine.
Aujourd’hui notre monde est truffé des bombes atomiques. Il vit en permanence avec sa propre
destruction. « Les risques les plus graves nous menacent. Ils peuvent mettre un terme à l’aventure
humaine sur une planète qu’elle peut rendre inhabitable pour l’homme. 243» Les sous-marins
nucléaires de toutes sortes sillonnent les océans et les mers. Les côtes africaines en sont envahies,
alors que l’Afrique est l’une des rares terres au monde n’abritant pas de bombe atomique. Il y a
lieu de craindre que le pire n’arrive un jour. « Toute l’humanité subit les mêmes menaces
mortelles qu’apportent la prolifération des armes nucléaires. 244» A cela s’ajoute l’horrible travail
des apprentis sorciers, ces dieux de l’extermination, que rien ni personne ne sait arrêter.245 Le Pape
240
241
242
243
244
245
Jean-Claude Guillebaud, La Refondation du monde, (LRFM), Paris, Seuil, 1999, p. 347
Léon Bloy, cité par Jean Ziegler, op.cit. p.53
Jean-Claude Guillebaud, LRFM, p. 274
Stéphane Hessel, op.cit. p. 21
Stéphane Hessel, Edgar Morin, Le chemin de l’espérance, op.cit. p.7
Le documentaire Marchands d’Anthrax, diffusé sur l’Association des radios et télévisions européennes, la
Télévision franco-allemande, ARTE, dénonce qu’une enquête approfondie conduirait dans un univers
effrayant où la recherche interdite sur les armes bactériologiques est néanmoins approuvée dans les plus
hautes sphères gouvernementales. Un univers habité par les effrois des différentes expériences sur l’homme
et par les dangers que dressent les nouvelles technologies. Bob Coen explore l’élaboration d’armes
103
Joseph Alois Ratzinger, Benoît XVI, relaye la même inquiétude à propos des avortements
appliqués aux femmes des pays dits pauvres par certaines organisations occidentales. « Certaines
Organisations non gouvernementales travaillent activement à la diffusion de l’avortement, et
promeuvent parfois dans les pays pauvres l’adoption de la pratique de la stérilisation, y compris à
l’insu des femmes… ce n’est pas sans fondement que l’on peut soupçonner les aides au
développement d’être parfois liées à certaines politiques sanitaires impliquant de fait l’obligation
d’un contrôle contraignant des naissances.246 »
Pour répondre à cette inquiétude, certains affirment que la méchanceté est humaine. « Oui.
La Bête Immonde n'est pas morte, mais tente de se faire oublier quelque temps... Pourtant, elle
n'est plus dans la Psychosphère... Elle a simplement trouvé un abri dans notre réalité consensuelle,
chez ses plus fervents serviteurs : les Chefs de Grandes Entreprises247» C’est donc l’homme qui
est accusé quand certaines multinationales polluent volontairement des vastes régions habitées
d’Afrique ou d’ailleurs. C’est toujours l’homme qui est accusé quand à cause de l’intense activité
d’extraction pétrolière et gazière, les glaciers de l’Arctique et de l’Antarctique fondent à un
rythme accéléré et très inquiétant248. Mais ces accusations portées contre toute l’humanité à cause
des actions et activités de quelques personnes ou groupes de personnes bien identifiés ne
convainquent pas.
Il en est de même de la méchanceté déferlée sur les populations congolaises. L’explication
donnée portée sur l’activité humaine n’est pas plus convaincante. La notion des intérêts
246
247
248
bactériologiques dites « ethniques », y compris une « Bombe Noire » mise au point par des chercheurs
travaillant pour le régime d’apartheid en Afrique du Sud. « Il faut savoir, argumente t-il, que la
dissémination de ces germes présente des risques énormes : ce sont des organismes vivants, qui se
reproduisent et se répandent. Une fois dans la nature, ils sont impossibles à récupérer. […] Selon moi, cette
menace est bien plus terrifiante que le nucléaire. » http://habitat-durable.over-blog.com/article-marchands-danthrax-vers-une-guerre-bacteriologique-un-documentaire-mardi-7-septembre-a-22h35-sur-arte-.html.
A Kikwit les gens affirment que le virus de sida viendrait des laboratoires des États-Unis pour exterminer les
Africains. Ils accusent aussi les mêmes Américains qui envoient des millions des doses de vaccin contre la
polio de vouloir exterminer les Africains en inoculant des produits stérilisant chez les enfants. C’est pour cela
que beaucoup refusent de faire vacciner leurs enfants lors des fameuses campagnes de vaccination de l’OMS
au Congo, campagnes récurrentes mais qui n’éradiquent pas l’endémie. Etonnant !
Benoît XVI, L’amour dans la vérité, lettre encyclique, Fidélité, Namur 2009, p.41-42
Jérôme "PP" Charlet, Les derniers soubresauts de la Bête Immonde, in au fil d'une ligne de probabilité,
http://www.noosfere.org/heberg/rcw/histoire/ligneproba7.htm
« L'activité humaine fait subir au climat des bouleversements importants. La forte concentration de gaz à
effet de serre générée par les activités humaines provoque le réchauffement de la planète. » in Climat et
développement durable. http://www.vedura.fr/environnement/climat/rechauffement-climatique. En
décembre 1995, le second rapport du GIEC confirme l’influence des activités humaines sur les changements
climatiques et prévoit un réchauffement moyen de 1 à 3, 5 degrés d’ici à 2100 ainsi qu’une augmentation du
niveau de la mer de 15 à 95 centimètres, in La documentation Française, dossier, changement climatique,
chronologie. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/changement-climatique/chronologie.html
104
occidentaux249 – belges, américains, français, anglais ou allemands - intrigue les Congolais. C’est
pour sauvegarder leurs intérêts que les Occidentaux entreprennent des actions nocives contre le
Congo et son peuple, disent-ils. Ces intérêts sont toujours économiques. Il ne s’agit pas des
personnes qui vivent sur le sol du Congo. Les intérêts occidentaux au Congo concernent les
matières premières provenant du sol et sous-sol congolais. Les Congolais savent que cette
question d’intérêts est au centre de la présence nuisible des Occidentaux au Congo depuis des
siècles. Ils ont du mal à comprendre cette notion d’intérêts occidentaux dans leur pays. Comment
des étrangers peuvent-ils tenir tant à leurs soi-disants intérêts dans un pays qui n’est pas le leur ?
Voilà la question. Mais pour les Occidentaux cette question d’intérêts est capitale. Pour eux ils
sont dans leur droit strict de prétendre aux intérêts n’importe où et surtout là où ils en trouvent
comme c’est le cas du Congo.
Depuis mon arrivée en Europe j’observe les comportements et les déclarations des hommes
et femmes politiques concernant le Congo. Le discours est bien huilé, il est invariable. Ce sont les
dirigeants congolais qui sont responsables de la misère de leurs peuples. Ce sont eux qui
détournent à souhait tous les dons et investissements faits en faveur du Congo. Tous. Les
dirigeants congolais sont bons quand ils sont dans l’opposition. Une fois au pouvoir ils tombent
dans l’opprobre. Par contre tous les dirigeants occidentaux sont honnêtes vis-à-vis du Congo. Ils
sont tous portés par des bonnes intentions. Ils se disent tous très proches de ce peuple qui souffre.
Ils veulent l’aider à s’en sortir. Ils multiplient les voyages au Congo dans ce but, disent-ils. Mais
pour les Congolais tout ceci c’est du théâtre, car le vrai intérêt ce n’est pas eux. Il y a donc un réel
problème. Il est de taille. Il concerne la terre. Le rapport à la terre. C’est là l’enjeu. Ce rapport est
complètement à l’opposé entre les Congolais et les Occidentaux, notamment les Anglo-saxons qui
sont les maîtres de l’Occident. Pour comprendre l’agir des Occidentaux, particulièrement les
invasions du Congo et d’autres terres et la lutte sans merci qu’ils mènent pour garder les terres du
Congo sous leur contrôle, il faudra interroger leurs rapports à la terre, à leurs terres.
Comme beaucoup d’autres Congolais et Africains, j’observe avec étonnement l’attitude
des Européens en général à l’accaparement, notamment en ce qui concerne la nourriture. Ceci est
plus manifeste la veille des grandes fêtes ou les lundis qui suivent les longs week-ends des congés.
Les gens se jettent littéralement sur la nourriture comme s’ils n’avaient jamais mangé de leur vie.
Ils achètent quantité et quantité de nourritures, remplissent des énormes caddies qui doivent leur
249
«Rdc, réservoir des matières premières et petites mains du capital » Jp Mbelu, La politique extérieure des
candidats aux élections probables de 2011, in Le Potentiel du 26 Mai 2011
http://fr.allafrica.com/stories/201105260345.html
105
survie à la solidité de l’acier ayant servi à leur fabrication. Une famille de quatre personnes peut
acheter jusqu’à dix kilos de viande pour un week-end. Les week-ends de grand soleil du printemps
ou d’été, les vendeuses des boucheries des supermarchés courent sans arrêt tellement il y a des
clients pressés d’emporter leurs montagnes de viande. Ces consommateurs me donnent toujours
l’impression d’être des enfants qui veulent manger sans arrêt si les parents n’interviennent pas. Le
problème c’est qu’ici il s’agit des parents et non des enfants. Les supermarchés ne désemplissent
presque jamais. La seule fois où j’ai vu les vendeurs d’un supermarché décontractés, c’était un
jour où j’y suis arrivé à deux minutes de la fermeture sous la pluie, aux environs de 21h.
L’engouement vers la nourriture ou plutôt sa recherche effrénée est certainement l’élément
déterminant qui a conduit les Occidentaux sur les routes du monde et qui les y maintient. La peur
du manque et la ruée vers ce qui se trouve à portée de main, remonte à la période de la vie dans les
cavernes. La vie actuelle en est le reflet. C’est au Canada, mais aussi en Allemagne, que j’ai été
frappé par cette vie cavernienne. Il y a dans ces deux pays, certainement ailleurs aussi, des grandes
villes souterraines comme à Munich ou à Montréal. On y vit sous terre comme si on était sur la
surface. Des villes entières ont été construites sous des villes au sol. A Montréal on peut rester
toute une journée en sous sol sans voir le soleil. Les salles de séjour et les chambres sont aussi au
sous-sol dans des nombreuses maisons. La vie s’organise là-bas au sous-sol pour se protéger du
froid. La protection contre le froid est à l’origine de la vie de la caverne.
Les cavernes sont des trous sous-terrains aménagés comme demeures pour des familles250.
La vie dans ces cavernes était des plus incertaines évidemment et des plus précaires. On y vivait
dans l’insécurité permanente. Dans une caverne on est toujours aux aguets pour répondre aux
attaques de toute sorte. Celles des bêtes sauvages ou d’autres personnes. Car à cause du froid et du
sol gelé, les hommes comme les bêtes ont faim et cherchent à manger. Et s’ils en trouvent, il n’y a
guère d’autre choix que de les prendre. Le film de Charlie Chaplin, « La ruée vers l’or251 » illustre
bien cette vie difficile dans une caverne sous un sol gelé. Dans ce cas toute personne extérieure
devient un ennemi, susceptible de prendre de force ce qui peut servir à la famille. Et la famille se
résume au père, sa femme et ses enfants. C’est le chacun pour soi. Et tant pis pour les autres. La
250
251
« Nous devons signaler les nombreuses analogies que les écrivains de l’Antiquité ont constatées entre les
Bretons insulaires, les Germains et les Gaulois. Les mœurs des Gaulois, dit Strabon, étaient celles qu’ont voit
encore aujourd’hui chez les Germains… L’identité des races de l’île de Bretagne avec celles de ces deux pays
est attestée de même par tous les historiens…Quant aux Germains, ils ne connaissaient pas non plus, dit
Tacite, l’usage du moellon ni des tuiles ; ils se servaient de poutres brutes dans leurs constructions, … Ils y
ajoutaient aussi l’usage de creuser des cavernes recouvertes de fumier, pour s’abriter eux-mêmes et leurs
grains durant l’hiver. » Jean-Gabriel Bulliot, La cité gauloise selon l'histoire et les traditions, Autun, 1878,
p.10-11 http://www.mediterranee-antique.info/Gaule/Bulliot/Gaule/C_Gaul_02.htm
A Charles Chaplin, The Gold Rush : La ruée vers l’or – United Artists Production, Premiere : 1925 at the
Los Angeles Theater, Los Angeles, La collection Chaplin, mk2, Z10 37643 DVD Vidéo,
106
lutte à mort pour la vie. C’est la dépendance à l’extérieur incertain qui rend les gens méchants et
les oppose les uns contre les autres pour la survie. Les anciens racontent la vie qu’ils ont menée
dans leur enfance durant les périodes de grand froid. Ils disent toujours qu’ils n’avaient pas grand
chose à manger. Les pères de familles devaient travailler dur au printemps et en été pour faire des
réserves suffisantes des pommes de terre et du lard qui constituaient la nourriture de base, pour
tenir pendant les longs mois d’hiver. Pour une famille de dix personnes, ce y compris les ouvriers
éventuels, il fallait un cochon entier de 300 kg pour faire du lard, une grande quantité des pommes
de terre, un sac de farine de 45 kg et de la choucroute. C’est avec cette réserve qu’on tenait tout
l’hiver. Sinon la vie devenait très difficile, intenable. Ceci a existé jusqu’il y a peu, à peine
soixante ans. Mais plus on remonte dans le temps, plus on réalise ce qu’a dû être la vie dans ces
régions d’Europe à l’époque où les Romains les ont découvertes et avant qu’ils n’aient construit
leurs villas romaines, modèles des maisons occidentales actuelles. Ces villas qu’ils avaient euxmêmes vues en Grèce et que les Grecs avaient trouvé en Égypte252.
A cette époque là donc, les gens vivaient dans des cavernes. Ils devaient lutter en
permanence pour survivre. Cet instinct de lutte pour la vie est resté et a certainement modelé la
société comme cela se voit à travers l’engouement sur les rayons des supermarchés. Mais aussi à
travers l’attitude des patrons des multinationales qui veulent toujours plus et encore plus. Car il
s’agit d’avoir toujours plus pour se parer des lendemains incertains. Ce qui explique la peur et le
sentiment d’insécurité qui habitent nombre d’Occidentaux. Comme le dit Benoît Lobet « je nous
crois habités par des peurs ancestrales, venues du fond des âges, dont nous tentons de retarder
l’effroi par des pratiques compulsives, rituelles, religieuses.253 » La découverte d’autres terres aux
immenses richesses et leur exploitation, même leur confiscation ne rassurent pas plus. D’où la
rapidité mise à les exploiter, de préférence de façon intensive pour se parer à toute éventualité.
Tant pis si cela doit vider les réserves naturelles ou causer des désastres. Il faut accumuler pour se
parer contre l’incertitude. C’est pour cela que les multinationales, n’ont jamais assez ni en
matières premières ni en argent. Quand elles ont un million de dollars, c’est dix qu’elles
voudront ; et quand elles ont en dix, elles miseront sur cent millions. Mais cent millions ne seront
252
253
L'habitat des égyptiens de l'antiquité varient selon la position sociale. Les maisons des paysans sont faites de
murs de briques crues structurées avec des colonnes de roseaux liés. Les briques sont fabriquées avec la boue
récoltée sur les rives du Nil de la paille et de l'eau. Ces constructions en torchis sont compatibles avec le
climat sec du pays. Les artisans possèdent des maisons également en briques crues mais à un ou deux
niveaux. Ils sont parfois regroupés dans un village comme à Deir el-Médineh. Les demeures des notables
sont plus luxueuses et plus grandes, avec un étage. Au rez-de-chaussée il y a les pièces destinées à
l’approvisionnement, les salles de réception et de séjour ; à l'étage, les chambres avec leurs salles de bain,
meublées de manière raffinée. Les palais royaux sont au cœur de véritables villes avec des résidences
distinctes pour Pharaon et sa famille… http://fr.wikipedia.org/wiki/Habitat_dans_l’egypte_antique.
Benoît Lobet, Mon Dieu, je ne vous aime pas, Foi et spiritualité chez Marie Noël, Nouvelle Cité, 2009,
p.25
107
pas plus suffisants ! C’est au milliard qu’elles s’attaqueront et ainsi de suite. C’est ainsi que les
richesses de nombreuses personnes et des multinationales qu’elles dirigent se comptent en
centaines de milliards sans que cela ne suffise non plus. Car la hantise du manque est toujours
présente quelque soit la richesse que l’on peut avoir. Chez tous et chez chacun. Il faut toujours
plus. C’est « la course au “toujours plus“… ouragan destructeur.254 Et tant pis pour les autres.
Leur sort les regarde. Qu’ils vivent ou qu’ils crèvent, c’est leur affaire. Le mieux serait d’ailleurs
qu’ils disparaissent. « Les chercheurs de l’OCDE évaluent l’”empreinte écologique” de l’homme
en hectares terrestres, la mesure de la superficie biologiquement productive nécessaire pour
pourvoir aux besoins d’une population humaine de taille donnée. Les derniers calculs montrent
que nous avons largement dépassé notre quota, globalement. La Terre ne peut aujourd’hui offrir
que 1,78 hectare global (hag) par habitant, pas un centimètre carré de plus. Or la consommation
mondiale actuelle exige 2,23 hag productifs per capita. Et les calculs montrent que si l’ensemble
de la population humaine adoptait aujourd’hui le mode de vie des Européens et des Américains,
voitures, eau chaude à volonté, viande chaque jour, énergies fossiles à la demande… il lui faudrait
disposer en surface de quatre à cinq planètes Terre. 255»
Il n’y a donc pas assez pour tous dans cette vision occidentale de la consommation ; en tout
cas pas assez pour eux et pour les autres. D’où la lutte, la violence, l’extermination. Ce sentiment
d’insatisfaction pour des personnes qui, aujourd’hui, ont pourtant tout, et qui déconcerte les
Africains, est porté par les dirigeants au travers de leurs actions gouvernementales. Ils se doivent
de rassurer leurs populations respectives que rien ne leur arrivera, surtout qu’elles ne manqueront
de rien. D’où leur mainmise, soit par la force soit par la corruption ou la manipulation, sur les pays
qui regorgent des matières premières comme le Congo. Le but étant de rassurer les populations en
s’assurant qu’il n’y aura pas de rupture de stock. Et la meilleure façon de s’en assurer, c’est de
s’en approprier, tout au moins d’avoir le contrôle. Aussi simple que cela. La conquête du pouvoir
passe par la défense des “intérêts occidentaux“, c’est-à-dire la pérennisation du mode de vie
actuelle marquée par une consommation accrue des biens et services que l’on ne produit pas soimême, mais que l’on va prendre chez les autres comme au bon vieux temps de la caverne.
Il y a quelques années, l’actualité en Belgique avait été dominée par la vente des armes de
l’usine de FN Herstal à la Libye de Kadafi256. L’opinion était partagée à ce propos. Pour
254
255
256
Stéphane Hessel, Indignez-vous, Indigène, Montpellier, décembre 2010, p.13
Journal Le Monde du 09.01.09, Démographie Mondiale : le “earth overshoot day” a été atteint, sommesnous trop nombreux? http://www.geopopulation.com/20090110/demographie-mondiale-le-earth-overshootday-a-ete-atteint-sommes-nous-trop-nombreux/
« En juin 2009, le gouvernement wallon a accordé des licences d'exportation de deux mille armes FN303,
armes anti-émeute, produites par la FN de Herstal vers la Libye (un contrat de 11,5 millions d'euros). » O.R.,
108
convaincre les sceptiques sur les bienfaits de cette opération, une dame employée à l’usine, avait
dit à la presse que « de toute façon, nous ne connaissons pas ces gens et puis nous devons nourrir
nos enfants. » Tout était dit. L’étranger on ne le connaît pas. Ainsi aux enfants on leur apprend de
ne pas le saluer, plutôt de s’en méfier. Le rapport à l’étranger se rapporte au rapport à la nature.
Pour la société occidentale la nature est un ennemi contre qui il faut se battre pour vivre.
L’hostilité de la nature rend les rapports avec le prochain conflictuel. La notion du pardon, et donc
de la paix qui s’en suit, s’accommode difficilement avec cette mentalité. C’est pour cela que les
conflits se transmettent de génération à génération, et peuvent durer jusqu’à cent ans, au point que
des personnes vivent côte à côte dans un même village sans jamais se parler du tout durant toute
leur vie. La conséquence est que des personnes meurent et se décomposent toutes seules,
abandonnées de tous.257 Les échanges avec certains amis Européens m’ont fait comprendre que la
solidarité à l’africaine s’accommode difficilement avec la mentalité occidentale. Ici on n’accepte
que difficilement un don gratuit. Car on se sentira alors obligé de rendre la politesse. On ne peut
recevoir que dans la mesure où on est capable de donner soi-même. Sinon on doit refuser le don.
Dans ces conditions, personne ne donne rien à personne et personne ne reçoit rien de personne.
Les pauvres et plus pauvres ne veulent pas recevoir de peur que l’on se moque d’eux ou qu’ils
soient tout simplement incapables de faire pareil. Les riches et plus riches ne voient aucun intérêt
à donner car ils ont ce qui leur faut. Chacun se referme donc sur soi et chacun tire son plan. La
sociaté se résume à l’individu et à ce qui l’entoure. C’est lui le centre du monde. Le prochain, le
voisin est ignoré, sinon combattu, écrasé. C’est dans ce contexte et avec cet héritage que les
Portugais et les autres Occidentaux arrivent au Congo. Ici comme chez eux, les Occidentaux
continuent à considérer l’étranger appelé aussi le prochain comme ennemi. Ils se comportent
envers lui comme ils l’ont toujours fait.
L’apparente situation d’autosuffisance actuelle et de distribution égalitaire est tributaire des
injustices multiples commises contre d’autres peuples du monde, dont ceux du Congo. Elle permet
aux Occidentaux de vivre bien au dessus de leurs maigres moyens. De toute façon, si cela a pu
amener une certaine accalmie et une certaine paix sociale au sein de la société occidentale, la
suspicion contre les étrangers, la peur de manquer n’est pas effacée pour autant. On remarque une
réelle remontée de la xénophobie et un sérieux recul de la société occidentale actuelle vis-à-vis des
droits de l’homme. Au point qu’aujourd’hui cette société se présente effroyablement comme une
257
Kadhafi est un vieux client de la FN Herstal, Le Vif/L’Express du lundi 04 avril 2011,
http://levif.rnews.be/fr/news/actualite/belgique/kadhafi-est-un-vieux-client-de-la-fn-herstal/article-htm
L’Occident conflictuel devrait s’inspirer de la tradition africaine qui a mis en place la notion de l’arbre à
palabres, ce haut lieu de la paix au sein des villages, lieu où tous les conflits trouvent solution, où les
personnes en conflit renouent les liens et retrouvent la paix. L’arbre à palabres, c’est la justice pour la paix.
109
« société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés, société où l’on
remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, société où les médias sont entre les
mains des nantis ».258 Le vrai socialisme et les différents acquis sociaux ont tant de mal à se faire
accepter dans la société occidentale actuelle. Ils lui demandent, en effet, de s’accommoder à
quelque chose de difficile, à savoir
le partage avec autrui. Car la société
occidentale est encline au contraire,
au tout pour soi. La propriété
privée, voire le tout “privé“ et la
confiscation, s’il le faut, des biens
d’autrui.
Quand je suis arrivé pour
vivre
à
Tillet,
quelqu’un
m’a
prévenu. « Il ne faut pas chercher à
nous dépasser, à avoir plus que
nous. Nous ne le tolérons pas. Nous ne tolérons pas que les étrangers nous surpassent, qu’ils aient
plus que nous. » Il avait dit vrai. Il m’arrive souvent de me promener seul ou en groupe sur les
chemins communaux balisés à cet effet. J’avoue que ces promenades font un grand bien à
l’organisme et qu’elles sont bien relaxantes. Dans notre commune de Sainte-Ode, il y a des
dizaines de kilomètres de chemins balisés qui sont bien indiqués. Il n’y a pas moyen de se
tromper. Mais je me suis rendu compte en me promenant que la raison de toutes ces indications
n’est pas seulement d’éviter que les promeneurs se trompent ou se perdent. Les indications servent
aussi et surtout à empêcher les promeneurs de pénétrer dans des domaines privés. Ils risqueraient
de déranger les paisibles propriétaires, quand bien même ceux-ci se font garder par des chiens
méchants. Tout au long de ces chemins, il y a d’innombrables domaines privés à accès interdits.
Pour moi venant d’un village du Congo où tout appartient à tout le monde, surtout la terre et la
forêt, cette privation protégée de la nature me paraît très drôle. Les domaines privés englobent
tout, les cours d’eau, les prairies, les forêts, parfois même les chemins.
258
Stéphane Hessel, Indignez-vous ! Indigène, Montpellier, 2010, p.9
110
2. L’appropriation-exclusion, socle de la société anglo-saxonne, occidentale.
Évidemment cette situation d’appropriation-privatisation-exclusion n’est pas propre à une
commune. On la rencontre partout, dans toutes les communes, toutes les provinces, tous les pays
anglo-saxons, occidentaux. C’est même le socle sur lequel est assise cette société et où elle est le
plus à l’aise. Les inégalités dans la société lui vont bien. Les exclusions beaucoup mieux. La
société anglo-saxonne a besoin des exclusions, des séparations pour vivre, pour survivre. C’est
pour cela qu’il lui faut absolument des classes des personnes séparées partout, dans des avions,
des trains, des aéroports, dans des villes et des villages. Il lui faut un monde séparé, un monde des
classes sociales, tout séparé, composé des pauvres et des riches, des lettrés et des illettrés, des
évoluées et des sauvages, de la préhistoire et de l’histoire, des noirs et des blancs, des HLM et des
maisons individuelles, des personnes issues de l’immigration et des Français (Belges) de souche,
des expatriés et des immigrés, des pays pauvres et des pays riches, des pays développés et des
pays sous-développés, des pays émergents et des pays émergés, des membres permanents de
l’Onu et des non-permanents, etc. Tout cela bien marqué. Cet apartheid généralisé lui va bien. Il
s’y sent à l’aise, assuré, rassuré. Il est très dur envers lui-même, à vrai dire. La solidarité
mécanique organisée par la sécurité sociale et le système des pensions ne change rien. Au
contraire, elle la renforce. La lutte permanente pour la survie, et les exclusions qui s’en suivent, est
bien illustrée par le surréalisme belge. Ici à cause des simples problèmes linguistiques
particulièrement, une victoire électorale peut devenir un cauchemar259. Sur les voies des chemins
de fer belges, le surréalisme devient très surréaliste, et même plus que cela au point que l’on croit
rêver. La Belgique est un petit pays, divisé en plusieurs régions. La plupart des trains partent de la
Flandre vers la Wallonie, et vice versa, en traversant Bruxelles, la capitale, qui est aussi une région
à part entière. En Flandre on parle flamand et en Wallonie français. Dans ce pays beaucoup de
compétences sont régionalisées, les langues aussi. Mais dans les trains les wagons ne le sont pas
encore. Si bien que dans un même train les Wallons et les Flamands et les Bruxellois se retrouvent
259
« Par un arrêté ministériel daté du 14 novembre 2007, le ministre flamand Marino Keulen avait décidé, de
manière arbitraire et juridiquement très contestable, de refuser la nomination, nonobstant les actes de
présentation déposés régulièrement le 30 octobre 2006 à la suite des dernières élections communales, des
bourgmestres, pourtant démocratiquement élus par la majorité de leurs électeurs, des communes de Crainhem,
de Linkebeek, et de Wezembeek-Oppem. Damien Thiéry (Linkebeek), Arnold d’Oreye de Lantremange
(Crainhem) et François van Hoobrouck (Wezembeek-Oppem), les trois bourgmestres faisant fonction, ont
décidé cependant de se représenter, pour exprimer ce respect de la démocratie locale, soutenus par la majorité
des conseillers communaux de leurs communes respectives. » Guy Debisschop Porte-parole du FDF, Les trois
bourgmestres non nommés des communes à facilités seront représentés. Le 8 avril 2008. http://www.fdf.be/
article1918
111
côte à côte. Ainsi quand le train est en territoire flamand, l’accompagnateur qui est obligé d’être
bilingue, ne peut pourtant parler qu’en flamand quand il s’adresse à tous les voyageurs. Lorsque le
train arrive à Bruxelles, il s’adresse aux mêmes voyageurs en flamand et en français, langues de la
capitale, et dès que le train pénètre en territoire wallon, là il n’utilise plus que le français. Plus un
mot du flamand quand bien même il sait qu’il y a des Flamands dans le train et qui peut-être de
surcroît ne comprennent pas le français. Il m’est déjà arrivé plus d’une fois de demander à un
voisin flamand de me dire en français ce que l’accompagnateur venait de dire en flamand. Car je
n’avais rien compris. Ce qui oppose tant les Flamands et les Wallons c’est le problème des
langues. Ce qui ne peut pas poser des problèmes du tout au Congo où presque tous sont bilingues,
chacun parlant la langue du peuple voisin généralement, en plus d’une des langues nationales que
chacun connaît également. Par contre l’héritage foncier ancestral est primordial. Sa mise en cause
peut provoquer des véritables problèmes, voire générer des conflits très sérieux.
A voir donc de plus près, ce qui oppose les Occidentaux aux Congolais et aux autres
Africains, et les divise profondément, c’est la notion de l’appartenance à la terre, à sa terre. Pour
les peuples du Congo, particulièrement ceux de l’ère Kongo, la terre est très primordiale. C’est à
elle qu’ils s’identifient. C’est la richesse principale. Ce qui n’est pas le cas chez les Occidentaux.
Dans la région des Ardennes les gens ne tiennent pas compte de l’attachement à leurs villages, à
leurs terres. A vrai dire la plupart n’en ont pas. Cette situation n'est pas particulière aux Ardennais.
La belle Carole Bouquet, la célèbre actrice française, porte-parole de La Voix de l’enfant, sa
grande fierté, a fait une révélation à propos de l’île volcanique de Pantelleria où elle a choisi de
planter ses racines. « Dans la famille, nous n’avons pas de terres, ni d’origines particulières. 260»
Ceci vient de loin, de très loin, de l’époque féodale, longtemps après la sortie des cavernes. Seules
quelques personnes possédaient des terres. Les autres devaient travailler pour ces propriétaires
afin d’avoir de quoi vivre. Ils étaient leurs serfs, leurs esclaves, à cause de la terre ou plutôt de son
manque. C’est une réalité jusqu’à ce jour. A cause de ce manque, les terrains se vendent et
s’achètent comme des chemises. Le résultat est le non attachement à la terre. D’où le fait très
surprenant pour un africain-mukongo que les gens se fassent enterrer partout où ils se trouvent,
sans attache véritable. Ainsi le père sera enterré à tel endroit, le fils à tel autre, le petit fils à un
troisième. Chacun où il peut et où il veut. D’ailleurs beaucoup se font carrément incinérés. Durant
sa vie une personne peut avoir déménagé jusqu’à cinq fois d’un village à l’autre. Et chaque départ
est définitif. C’est le cas en Ardennes, c’est le cas un peu partout en Belgique et ailleurs en
Europe. Car les gens viennent de Flandre ou de la Hollande, s’établissent dans un village en
260
Patricia Khenouna, Carole Bouquet, Engagée, in Reader’s Digest Belgique, rdb.be 10/08, octobre 2008,
p .52- 58
112
Ardennes et mettent une croix sur leur origine. Ainsi il y a des Flamands qui deviennent des
Wallons par le simple fait d’habiter en Wallonie et vice-versa. C’est pareil en Hollande, en
Allemagne ou en Angleterre. On peut alors comprendre les exodes massifs des Occidentaux et
particulièrement les Anglo-saxons vers des terres lointaines, Amériques, Australie, Nouvelle
Zélande, sans retour. Ainsi arrivés en Amériques ou en Australie, ils ne sont plus Anglais, mais
Américains ou Australiens, aussi facile que cela. Les Anglais, les Écossais, Hollandais, Allemands
ou Français qui ont immigré en Amérique ne s’appellent pas Européens-Américains, ils sont
Américains point. Dans cet entendement la catastrophe que ressentait les Africains arrachés à leurs
terres auxquelles ils étaient si attachés importait peu.
De toutes les populations, venues d’ailleurs, qui habitent aujourd’hui les États-Unis, les
originaires d’Afrique continuent jusqu’à ce jour à s’identifier à leur terre d’origine, l’Afrique. S’ils
se reconnaissent Américains, ils sont d’abord Africains. C’est pourquoi ils s’appellent des
Africains-Américains. Cette référence à la terre des ancêtres est fondamentale. Outre toutes les
souffrances subies, les Africains conduits contre leur gré en Amériques, ont senti cette absence
totale des terres ancestrales comme une blessure incurable.261 Les Occidentaux, esclavagistes, ne
pouvaient pas le comprendre, car ils ne le ressentaient pas de la même façon. Eux étaient contents
de trouver des vastes terres où ils pouvaient produire ce qu’ils voulaient. Les Africains pleuraient
leurs terres abandonnées, non pas les terres pour cultiver, mais les terres ancestrales, leurs terres
d’origine, leur origine tout court. Les terres présentes d’Amérique leur importaient peu, encore
qu’elles étaient synonymes de misère et de souffrance. Ce qu’ils voulaient, c’était les terres
ancestrales, celles auxquelles ils étaient attachés. Cette attache matricielle à la terre ancestrale se
remarque chez les tous les Africains de la diaspora aujourd’hui encore. Une grande controverse est
née entre certains Congolais de la diaspora et le Gouvernement du Congo sur la double nationalité.
En vertu de la loi qu'il a rédigée, calquée sur le modèle occidental, le gouvernement nie aux
Congolais ayant acquis une nationalité étrangère leur nationalité congolaise originelle. Ce qui est
pour ces Congolais plus que la mort elle-même, une négation pure et simple de leur identité
261
«
Grâce au développement de la généalogie génétique, de plus en plus d'Africains-Américains renouent avec la
terre de leurs ancêtres et fait nouveau: demandent une double nationalité. C'est fut récemment le cas de l'acteur
Isaiah Washington (Grey's anatomy)… fait récent, certains noirs américains explorent un nouveau chemin pour
nouer un lien avec le continent : la double nationalité. Selon eux, la double nationalité permettrait de panser des
blessures durables. Dotés de deux passeports, les Africains-Américains auraient davantage de droits dans leur
pays ancestral, pourraient y acheter des biens immobiliers, y créer des entreprises et s'y déplacer librement. » Les
noirs américains souhaitent obtenir leur nationalité africaine, in http://brownsista.skyrock.com/-Les-Noirsamericains-souhaitent-obtenir-leur-nationalite-africaine.html
En réponse à une question sur l’héritage africain des Africains-Américains, John E. Fleming, président national
de l’Association pour l’étude de la vie et de l’histoire africaines-américaines (Asalh), a dit ceci :
« Pendant que nous en apprenons plus sur nos racines africaines et étudions notre passé africain, nous apprécions
l’héritage des cultures africaines qui façonnent les Africains-Américains. » in Afrik.com, samedi 09 février
2008, Les Africains-Américains célèbrent le Black History Month, http://www.afrik.com/article.html
113
africaine, leur identité ancestrale. C’est pour cela que la thèse de ceux qui mettent sur un même
pied d’égalité l’esclavagisme africain et la traite transatlantique est difficile à soutenir, parce que
les deux peuples n’avaient pas la même attache à la terre. Et ceci est très important. Ce qui
paraissait sans importance aux Occidentaux, était pour les Africains une véritable catastrophe.
C’est toujours le cas jusqu’à présent de part et d’autre.
Pour les Occidentaux la terre n’a pas de valeur culturelle. Elle sert à produire. Pour cela
elle doit être exploitée jusqu’à l’épuisement total. On la gavera des engrais et autres produits
chimiques pour qu’elle donne plus et encore plus. Et quand elle ne sert plus à rien, on l’abandonne
et on va ailleurs. Dans la région où je suis né, région de Manzasay, dans le territoire de Bagata, au
nord-est de Kinshasa, une multinationale anglo-américaine de production de tabac, la British
Américan Tabacco, (BAT262), a fait abattre toute la forêt en l’espace d’une dizaine d’années.
Même la forêt réservée, celle à laquelle personne ne touchait, a été abattue pour y cultiver le tabac.
Cette firme a brisé la résistance des gens à détruire leur forêt en se présentant comme le sauveur
de la région. « Elle avait des appâts. Elle achetait elle-même le tabac récolté au prix qu’elle fixait,
suffisamment attrayant pour ces paysans qui n’avaient pas d’autres métiers ni beaucoup de
revenus non plus. Lors des achats, la société organisait des grands marchés qui étaient des
véritables kermesses où ses agents s’amenaient avec quantité des produits manufacturés, dont des
tôles ondulées, des clous, des vêtements, du savon, du sel, des casseroles, etc., qui étaient vendus
aux agriculteurs recensés. Ainsi petit à petit tout le monde s’y était mis et d’étendues énormes des
forêts ont été abattues d’année en année. Les gens se tuaient au travail et pour avoir plus d’argent,
ils coupaient la forêt toujours et toujours. Mais cette forêt ne se régénérait pas à cause des engrais
chimiques… Alors les gens allaient toujours plus loin. Quand les réserves forestières touchèrent à
leur fin, la multinationale plia bagages du jour au lendemain sans crier gare. Mêmes ses propres
agents qui travaillaient dans des bureaux avaient été surpris. Les hangars et les dépôts avaient été
vidés et abandonnés. On apprit plus tard que la multinationale était allée s’installer en pleine forêt
équatoriale du côté de Mbandaka… Les pratiques de la BATC ne sont pas différentes de celles
d’une autre multinationale, Morrison-Knudsen International, une entreprise américaine
d’ingénierie et de construction, qui a construit la ligne à haute tension Inga-Katanga (1700 km), la
plus longue du monde. Cette ligne traverse tout le pays de l’ouest au sud-est sans éclairer le
moindre village ou ville sur toute cette étendue, sinon les mines du Katanga. Mais pour la
protéger, la multinationale a semé une plante ayant des vertus d’étouffer la forêt, cette plante
mortelle s’est répandue sur d’énormes étendues tuant littéralement la forêt et ceux qui en vivaient.
262
A l’époque la BAT s’appelait BATZA (British American Tabaco Zaïre)
114
Aujourd’hui, la région de Manzasay, jadis prospère, connaît une disette récurrente263.» La perte
de leur forêt est pour cette population est une véritable catastrophe. Catastrophe qu’ont ressentie
les Africains qui étaient conduits comme « Ngulu » aux États-Unis.
Pour les Africains donc, la forêt, la terre, c’est comme leur mère. Le village d’origine
aussi. On vit avec sa terre, on s’identifie à elle. Ceux qui sont allés vivre ailleurs, s’ils y meurent,
sont ramenés au village pour être enterrés. Mon père ayant vécu toute sa vie dans le village de son
épouse, notre village, à We-Kibalaluli, a été ramené dans son village d’origine, Nkwaya, pour y
être enterré quand il est mort. Notre père était originaire de Nkwaya, mais n’y était pas né. Mais
même dans ce cas c’est dans son village d’origine, le village de ses ancêtres, et seulement dans
son village d’origine, qu’il devait être enterré. Si ce retour physique du défunt est difficile à
réaliser à cause de la distance par exemple, on ramènera ses reliques dans son village d’origine
pour y être enterré.
Chez nous l’attachement au village, à la terre, est la raison de vivre, car c’est le village qui
perpétue les liens avec les anciens, les garants de la vie. La terre et le village natal, sont
primordiaux. C’est une attache indissoluble. C’est une identité. C’est pour cela qu’il conviendrait
d’offrir symboliquement des sépultures dignes en terre africaine à tous les Africains morts,
victimes de la traite négrière occidentale pour apaiser leurs esprits errants. Dans le même ordre
d’idée les crânes des Africains, victimes des atrocités sans nom de 1994, conservés comme objets
d’art au Rwanda, devraient, eux aussi, recevoir des sépultures dignes. Ceci pourrait se passer lors
d’une cérémonie funéraire commune organisée en terre africaine. Cérémonie qui serait même
précédée d’une période de deuil pour toutes les victimes directes ou indirectes de la traite et de
toutes les exactions occidentales en Afrique, ce, y compris l’assassinat de Patrice Lumumba. Ce
qui nécessitera une même prise de conscience en Europe comme le demande le sage Stéphane
Hessel avec insistance face aux traitements inhumains auxquels sont soumis des êtres humains
appelés « sans papiers » « immigrés »,264 et cela pour que de tels faits ne se reproduisent plus. Les
multinationales et les autres individus anglo-saxons, occidentaux, Chinois ou autres, devraient
désormais renoncer à aller acheter des terres en Afrique ou les exploiter jusqu’à l’épuisement
total. Les dirigeants aussi. Même pas dans le cas des contrats chinois dits win-win265. Les
263
264
265
Evariste PINI-PINI Nsasay, Kibala-luli se meurt, la mère nourricière a disparu, in Guérets d’Ardenne
n°4/09, Houmont/Belgique, 4ème trimestre 2009, p.10-13
Stéphane Hessel, op.cit. p. 16
« En accord avec le programme de cinq chantiers prioritaires fixés par le Président de la République, à savoir
l’eau, l’électricité, l’éducation, la santé et le transport, les entreprises chinoises, la China Railway
Engineering Corporation (CREC) et Synohydro Corporation, vont réhabiliter ou construire à travers le pays,
trois mille kilomètres de routes asphaltées, 3200 km de voies de chemin de fer, des infrastructures de voiries
surtout à Kinshasa, 31 hôpitaux de 150 lits, 145 centres de santé, quatre universités, cinquante mille
logements sociaux équivalent à environ 6,5 milliards de dollars américains auxquels s’ajoute un
115
étrangers qui s’empressent d’acquérir ainsi des milliers d’hectares ne l’accepteront jamais chez
eux. Il n’y a d’ailleurs pas de développement qui peut se faire contre la population, un
développement que la population refuse. C’est du non-sens. Et pour la population sa terre ne doit
être ni bradée, ni échangée encore moins vendue. Ceci blesse de nombreux peuples. La terre est
un bien à préserver. C’est l’âme des peuples qui sont aujourd’hui si désespérés à cause de la mort
de leurs terres. L’action qui consiste à exploiter, à mettre en valeur au plus vite pour tirer profit,
est une « entreprise agressive envers la nature comme envers les peuples, elle est comme la
colonisation qui la précède et la mondialisation qui la poursuit, une œuvre à la fois économique et
militaire de domination et de conquête. 266» « La pensée productiviste, portée par l’Occident, a
entraîné le monde dans une crise dont il faut sortir par une rupture radicale avec la fuite en avant
du ‘toujours plus’, dans le domaine financier mais aussi dans le domaine des sciences et des
techniques. 267» La terre ne devrait plus être considérée comme un ennemi à soumettre à tout prix,
mais comme un ami avec qui il faut vivre en paix. C’est à ce prix là que les Occidentaux sortiront
de l’esprit de la caverne qui les hante tant. Ils pourront ainsi améliorer leurs rapports avec les
autres peuples également, particulièrement avec les peuples du Congo et du reste de l’Afrique. Car
l’exclusion-privation leur colle trop à la peau.
C’est au cours d’un séjour au Canada que cette réalité m’est apparue au grand jour. Et
pourtant rien ne le laissait envisager. Car l’accueil que j’ai rencontré au Canada à la descente
d’avion fait rêver pour un africain qui habite en Belgique. La douane à Montréal est ouverte à
tous. Il n’y a pas des guichets séparés, genre guichets pour Canadiens et autres Américains d’un
côté et guichets pour non-américains de l’autre. Ce genre d’apartheid qu’on rencontre à Bruxelles
par exemple n’existe pas là-bas. J’y ai rencontré beaucoup de guichets. Il n’y avait pas besoin de
faire des files non plus. Le contrôle était aussi très humain. On n’était pas scruté du nez au pied
parce qu’on était africain venant du Congo. Tous les passagers étaient traités de la même façon,
une façon correcte, humaine, amicale. Une fois entré au Canada, on est libre. La police n’est pas
omniprésente268. A Montréal, mais aussi dans d’autres villes, on ne trouve pas ces grands quartiers
266
267
268
investissement minier de l’ordre de 3,25 milliards de dollars américains. Le préfinancement chinois est un
prêt sur 30 ans au taux de 0,25% assuré par la banque d’Etat China Exim Bank.... Les accords signés avec la
Chine précisent que celle-ci livre à la RDC les ouvrages réalisés clés en main. » Frédéric Kabasele, Les
contrats sino-congolais du 17 septembre 2007, contrats léonins ou contrat du siècle /DIA-MMC,
http://www.digitalcongo.net/article/78470
Serge Latouche, Survivre au développement, Mille et une nuit, Paris, 2004, p.29
Stéphane Hessel, op.cit. p.21
A propos de la présence policière rassurante, un ami m’a dit que bientôt chaque européen sera gardé par
quatre policiers, un de chaque côté, lors de ses déplacements. Soit quatre policiers par habitant.
116
à étrangers appelés HLM269 en France. Les Africains que j’ai rencontrés aussi bien à Windsor,
Toronto, Timmins, Ottawa, Québec ou Montréal, et qui pour la plupart sont venus d’Europe,
m’ont dit qu’ils se sentent bien au Canada. Certains m’ont même dit que pour rien au monde ils ne
retourneraient vivre en Europe. Car au Canada ils ne souffrent pas de discrimination. A diplôme
égal, travail égal et à travail égal, salaire égal. C’est pour cela qu’ils ont des grosses voitures
comme tout le monde et qu’ils ont des maisons individuelles aussi comme tout le monde.
Mais, même au Canada, à l’apparence égalitaire poussée, les exclusions existent, hélas.
Elles m’ont bien frappé aussi. D’ailleurs les Africains m’ont dit avec un petit sourire malicieux
qu’ici nous sommes aussi des “noirs“. Dans la petite ville type balnéaire de Cobourg sur le bord
du lac Ontario, les avenues sont larges, la circulation toujours fluide. Les maisons sont très belles.
Cobourg est une ville anglo-saxonne. On n’y trouve presque pas d’autres races, en tout cas pas des
noirs. Ici tout le monde semble bien vivre. Mais Cobourg a aussi ses pauvres. Pire, elle a aussi son
quartier des pauvres reconnu comme tel par toute la ville. C’est dans ce quartier que l’on trouve
les logements sociaux. Les vrais Canadiens, les nantis, n’osent pas s’y approcher. Les gens qui y
habitent, sont presque des parias. Et pourtant, ailleurs, ce quartier serait celui de la classe moyenne
ou carrément des riches. A Montréal, j’ai vu des maisons de repos insérées dans des quartiers. Des
maisons dignes, à taille humaine. Les pensionnaires côtoient les autres personnes de leur quartier.
Beaucoup vivent là-dedans dans des petits pavillons individuels où ils peuvent se faire leur propre
manger, vivre un peu comme chez eux tout en étant dans des maisons de repos. Mais malgré cela,
ces maisons restent bien des maisons de repos, des homes où sont parqués des vieillards et vieilles,
où ils vivent entre eux, seuls, presqu’abandonnés. Car le Canada actuel fait partie du monde anglosaxon qui ne conçoit pas une vie humaine harmonieuse, sans séparation des personnes, sans
exclusion.
Dans cette société la séparation touche toutes les catégories des personnes, tous les âges.
Personne270 n’est épargné. Les enfants peuvent être enfermés dans des centres ou dans des foyers
269
270
Habitations à loyer modéré, les HLM sont « des habitations collectives ou individuelles, urbaines ou rurales,
répondant aux caractéristiques techniques et de prix de revient déterminées par décision administrative et
destinées aux personnes et aux familles de ressources modestes. A ces habitations peuvent être adjoints, dans
des conditions fixées par décision administrative, des dépendances, des annexes et des jardins privatifs ou
collectifs, accolés ou non aux immeubles. En outre, les ensembles d’habitations mentionnés aux premiers
alinéas peuvent comprendre accessoirement des locaux à usage commun et toutes constructions nécessaires à
la vie économique et sociale de ces ensembles. » Définition extraite de l'article L. 411-1 du Code de la
Construction et de l'Habitation. http://fr.wikipedia.org/wiki/Habitation_A_loyer_modere_France La plupart
des Africains habitant en France, particulièrement à Paris, vivent dans des HLM, qui sont aussi appelés
quartiers difficiles ou quartiers des personnes d’origine étrangère.
D’après le livre Eugène Buret, De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, publié en
1840, l’Angleterre du 19ème siècle, par exemple, est le pays privilégié pour les études sociales, celui qui a
plus de chose à nous apprendre que tout le reste du monde… l’extrême opulence à côté de l’extrême
dénuement, « la liberté des riches et des forts » à côté de la « servitude des pauvres et des faibles » – la
117
pour une raison ou une autre. Les adultes également. Soit à cause de la vieillesse, soit à cause d'un
handicap, ou bien à cause de la maladie etc. Les prisons et autres centres fermés poussent comme
des champignons. A un moment ou un autre, on subit cette triste réalité de l’exclusion.
nation anglaise, ajoute-t-il, « est celle de toutes où l’opulence de quelques-uns fait ressortir d’une façon plus
saisissante la pauvreté du grand nombre. » Cité par Jeremy Jennings – Peut-on parler d’un modèle anglosaxon ? Contribution à une histoire de nos préjugés (Queen Mary, University of London) Cevipof – Notes &
études N°20 / janvier 2007, p.8-9
118
3. La pieuvre aux multiples tentacules.
Si l’action des Occidentaux, particulièrement la traite, la colonisation et toutes les
conséquences qui s’en suivent, ne semble pas leur poser problème, les Africains par contre ne
cessent de s’interroger. Le questionnement des habitants de Kikwit au Congo ou de la rue de
Kinshasa reste pertinent. Il ne trouve toujours pas de réponse adéquate. Ni l’action des Ong, ni
celle des Évangélistes ou autres missionnaires religieux n’arrivent à résoudre l’énigme. C’est
souvent l’effet contraire qu’elle produit. Tant que ce questionnement ne trouvera pas de réponse
satisfaisante, les relations entre les Africains et les Occidentaux seront toujours hypocrites, car
elles se joueront toujours sur le terrain de la force maquillée par des actions caritatives non
convaincantes. Ce chapitre essaie d’approfondir la question et éclairer tant soit peu l’opinion sur
l’origine de l’action nocive de l’Occident au Congo. En tout cas considérée comme telle par
l’opinion congolaise en général. A quel niveau se situe la chaîne de commandement et qui fait
partie de cette chaîne. D’après l’opinion congolaise, quelque soit le genre de l’action nocive contre
lui, au final se trouve la main invisible des Occidentaux. C’est ce que Serge Bailly récuse dans son
attaque contre le « nationalisme congolais » qu’il qualifie de « bombe qui stigmatise les ennemis
du peuple, cette communauté internationale qui ne serait là que pour mieux contrôler les richesses
du pays. L’ennemi est de préférence blanc… 271» Le problème est que la population congolaise
n’est pas dupe. L’opinion sait très bien que ce sont les grands pays occidentaux, appelés
communauté internationale, qui commandent les grandes institutions mondiales et que ce sont des
Occidentaux en général qui sont à leurs têtes. Elle sait que le sort de son pays se joue toujours à
l’étranger, dans des pays occidentaux. Elle constate, non sans amertume, qu’il n’y a pas un pas
sans eux dans l’hécatombe que vit au quotidien la population congolaise. D’où le questionnement,
la question. Cet essai prend en compte cette opinion congolaise et en rend compte. Car l’état de
paupérisation et de désolation du peuple congolais est tel qu’il est urgent de tout mettre en œuvre
pour apporter quelque soulagement.
L’action de la communauté internationale au Congo est particulière. Elle est comme celle
d’une pieuvre aux multiples tentacules, les unes aussi vénéneuses que les autres et toujours prêtes
à causer des morsures mortelles. Elle s’exerce à travers l’Église, la Science, les Politiques,
l’Économique, les ONG et les Médias. L’action varie, les procédés aussi, mais la finalité reste la
même. La confiscation des richesses. L’Église, on le sait, a utilisé le « goupillon du christianisme
271
Serge Bailly, op.cit. p. 97
119
missionnaire pour légitimer la conquête coloniale.272 » Avant de conduire la politique coloniale,
l’Église a longtemps joué ce rôle en Occident. Elle est à l’avant plan de la grande valeur
occidentale appelée, individualisme. Elle a repris de la philosophie grecque, des fondements posés
par Platon, la notion de l’individu défini comme personne. Ainsi « on s’attacha à concilier le
message biblique et l’héritage platonicien, voire égyptien, comme le montre la figure d’Hermès
trismégiste (trois fois très grand), incarnation mythique du dieu Thot à tête d’Ibis… 273» « La
Bible a été lue avec des lunettes platoniciennes… Il y a une harmonie préétablie entre révélation
juive et pensée grecque ; et c’est pour cela que la philosophie est la vérité de la religion. 274» C’est
ce qui a conduit Nietzsche à dire que le christianisme est un platonisme à l’usage du peuple.275
Aussi l’Église joua-t-elle « un rôle majeur dans l’émergence des Lumières et de… la
modernité. »276 C’est elle qui a posé « les équations malhonnêtes : christianisme = civilisation ;
paganisme = sauvagerie, d’où ne pouvaient que s’ensuivre d’abominables conséquences
colonialistes et racistes, dont les victimes devaient être les Indiens, les Jaunes, les Nègres.277 »
C’est donc comme un élément important sinon primordial du projet occidental, d’après
l’expression chère à Michael Singleton278, qu’Elle débarque au Congo. La longue liste des instituts
missionnaires qui s’établissent au Congo à partir de 1880, est consécutive à l’importance de la
mission aux yeux de ce projet et pour son profit. Les premiers à s’établir sont des Pères Blancs. Ils
sont suivis des Pères de Scheut, des Jésuites, des Trappistes, des Prêtres du Sacré-Cœur, des
Prémontrés, des Rédemptoristes, des Pères de Mill-Hill, des Pères du Saint-Esprit, des
Bénédictins, des Capucins, des Salésiens, des Dominicains, des Franciscains, des Croisiers, des
Frères des Écoles Chrétiennes, de la Charité et Maristes, des Sœurs de la Charité, de Notre-Dame,
des Sœurs Blanches, des Franciscaines, des Sœurs Dominicaines de Fichermont, et des
représentantes d’une dizaines d’autres ordres encore.279 Au Congo depuis lors et jusqu’à ce jour, la
pression de l’Église s’exerce sur les évêques et les prêtres. Les nominations épiscopales depuis le
Vatican créent une véritable cacophonie au sein des diocèses, créés eux à l’image de la colonie
belge sans la moindre attention aux sensibilités culturelles. Les diocèses sont devenus des sources
de déchirements et de divisions permanents qui empoisonnent la vie des gens. Les instituts
272
273
274
275
276
277
278
279
Jean-Claude Guillebaud, LRFM, p. 252
Marcel Simon et André Benoit, Le Judaïsme et le Christianisme antique. D’Antiochus
Epiphane à Constantin, cité par Jean-Claude Guillebaud, LRFM, p.208
Jean Beaufret, Leçons de philosophie, cité par J-C. Guillebaud, op.cit. p.209
Jean-Claude Guillebaud, LRFM, p.290
Idem, LRFM, p. 352
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence africaine, Paris, 1999 et 2004, p.10
« Le Christianisme fait partie intégrante du projet occidental. » Michael Singleton, Critique de
l’ethnocentrisme, du missionnaire anthropophage à l’anthropologue post-développementiste,
L’Aventurine, Paris, 2004, p.58
Pierre Dave, Le Congo belge, Librairie de l’œuvre Saint-Charles, Bruges, 1936, p.133
120
religieux sont des hauts lieux de la jalousie et des coups bas. Les prêtres et les religieux
poursuivent l’œuvre coloniale de l’aliénation et de la soumission. C’est au sein de ce corps que se
recrute le plus grand nombre des auditeurs des radios occidentales dites internationales émettant
en direction du Congo.
Le 2ème tentacule du projet occidental ou de la pieuvre anglo-saxonne c’est la science,
digne héritière de l’Église, toutes deux héritières de la logique grecque. Celle-ci, à travers la
logique aristotélicienne, dont la fameuse loi du tiers exclu, a conduit « au dogme et à la science, à
l’Église catholique, à la découverte de l’énergie atomique.280» Affaiblie, l’Église a été remplacée
par la philosophie, remplacée aujourd’hui par la science qui, elle-même, est portée par l’argent.
Celui-ci est le véritable maître du jeu. C’est lui qui manipule tous les autres en s’appuyant sur la
presse et le politique. Rien ni personne ne lui échappe. Ni l’Église, ni le Politique, ni la Presse, ni
les Ong. Il peut tout, invente tout et détruit tout. Il fait l’Occident et l’Occident n’est rien sans lui.
La science est dans ses bottes. Il la mène où il veut. La science soumise au pouvoir dévastateur de
l’argent est comme une créature ayant échappée à ses créateurs. 281 Elle est devenue folle. C’est
pour cela qu’elle inquiète. Plus rien n’a la moindre valeur à ses yeux, surtout pas la personne
humaine. Ce qui effraye le plus, c'est l’obsession à la pensée unique qui conduit à la
standardisation de la personne humaine. L'accouchement doit être uniforme, la naissance aussi et
la mort également. Longueur : 1, 85m ; poids : 105 kg ; yeux bleus ; cheveux blonds ; lèvres
fines ; nez long, etc. C'est l'homme produit à partir d'une moule. L'homme idéal de la science
occidentale, négation de l'humanité elle-même, en tant que variée et libre dans son adéquation.
Cette humanité que personne ne devrait dominer, mais que tous doivent respecter et accepter
comme elle est. La science inquiète, car elle anéantit. D’où ce cri de cœur. La science ne peut pas
« se priver de sa capacité critique pour ne pas s’accommoder… avec des nouveaux fanatismes,
tyrannies ou totalitarismes. Elle doit éviter cette compatibilité parfaite entre la techno science… et
la barbarie282 », à l’instar de la science égyptienne dont elle se réclame.
Au Congo la science s’est présentée comme une propriété privée des Occidentaux à
laquelle les Congolais ne pouvant prétendre qu’en se soumettant. Ils devraient acquérir des visas
d’accès à la science à travers les langues et la pensée européennes. Car leurs langues à eux ne
pouvaient pas être propices à l’acquisition scientifique, leurs cultures non plus. Leurs propres
acquisitions scientifiques étaient considérées comme impropres. Eux-mêmes étaient considérés
comme inaptes à l’apprentissage scientifique véritable. Sinon à travers des pseudo-connaissances.
280
281
282
Éric Fromm, L’art d’aimer, Desclée de Brouwer, Paris, 1995, p. 99
LRFM, p. 219
Idem, p. 222
121
Aussi la demande pressante de vulgarisation scientifique que la population ne cesse d’exprimer
pour lui permettre d’acquérir des outils scientifiques modernes pour son épanouissement et son
bien être, est-elle balayée d’un revers de la main. Par conséquent le peuple reste toujours maintenu
dans l’obscurantisme béant qui hypothèque son avenir. Les jeunes et les moins jeunes vont à
l’école pour ne rien apprendre, car soumis à l’acquisition des langues occidentales plutôt qu’à
l’apprentissage scientifique. Au Congo le français est une matière principale d’apprentissage qui
équivaut à la mathématique. Et celle-ci ne peut s’apprendre que dans cette langue. Par conséquent
les jeunes qui ont du mal à apprendre le français, ne comprennent ni l’un ni l’autre. Ils sont
accusés d’êtres des imbéciles. “Cette science particulière“ a aussi produit un développement
atypique au Congo. Ce sont des routes rectilignes qui passent leur chemin sans ne s’occuper de
personne ou les quartiers quadrillés des centres urbains, véritables espaces-prisons ou encore des
personnes bien constituées soumises à une étonnante évolution, et appelés carrément “évolués“.
Le troisième tentacule de la pieuvre anglo-saxonne ce sont les médias. Le rôle des médias
est déterminant dans l’œuvre déstabilisatrice des peuples d’Afrique, particulièrement du Congo.
Les médias anglo-saxons ou européens occupent tout l’espace de l’information sur le Congo, aussi
bien chez eux dans le monde anglo-saxon qu’en Afrique même. Au Congo les médias occidentaux
sont les plus suivis. Radio France, Radio anglaise, Radio Américaine, Radio Néerlandaise, Radio
onusienne, Télévision française, etc.283 Ces médias occupent l’espace médiatique congolais et
viennent en tête de l’audience. Ils contribuent donc à étouffer la voix de la population et à tenir
l’élite en laisse. Elle se laisse mener et suit aveuglement ces médias qui n’hésitent pas à monter
des oppositions qui finissent par la dénigrer complètement aux yeux de l’opinion. Cette élite là,
prise au piège, se coupe complètement de sa population et se met servilement au service du patron
occidental. La mainmise et l’ingérence de ces médias dans les affaires internes du Congo
dépassent tout entendement. Ils ne rendent pas compte de ce qui se passe au Congo à l’intention de
populations occidentales, mais veulent avoir la mainmise sur les dirigeants Congolais en émettant
vers eux. Et pourtant l’ignorance de l’Afrique et de ses peuples par les populations occidentales
est tellement flagrante que les médias occidentaux, omniprésents sur le Continent, devraient
s’atteler de la combler pour une meilleure connaissance mutuelle, prélude d’une paix véritable
283
D’après une étude de l’IMMAR, institut d’études et de conseil en médias et marketing spécialiste du
Maghreb et de l’Afrique francophone, datant d’octobre 2008, étude réalisée sous la direction de Marie-Soleil
Frère, et supervisée par France Coopération Internationale avec l’appui de la coopération britannique et de la
coopération française, la radio onusienne, Radio Okapi (subventionnée par la Belgique, la France,
l’Angleterre, le Canada et la Suisse) et Radio France Internationale (Rfi) arrivent en tête d’audience à
Kinshasa et à Lubumbashi. Leurs programmes les plus suivis sont les informations du matin. « Paysage
médiatique congolais, État des lieux, enjeux et défis, octobre 2008, http://www.france-expertiseinternationale.eu/IMG/pdf/Paysage_mediatique_congolais-2.pdf p.6
122
entre les peuples de deux continents. Plutôt que de donner une information juste sur les peuple qui
habitent le continent, les médias occidentaux, la Télévision anglaise en tête, ne montrent que
l’Afrique sauvage dans leurs reportages.284 C’est l’Afrique des animaux et des oiseaux qu’ils
montrent plutôt que celle des peuples et des civilisations. Sinon ce sont des conflits qu’ils
exacerbent et gonflent à volonté pour alimenter le mépris et le racisme. « Quand il était enfant,
Isaiah Washington n'avait des Africains que l'image que lui en donnait la télévision, celle
"d'indigènes en pagne avec un os dans le nez". Aujourd'hui âgé de 45 ans, la star raconte que sa
mère ne lui parlait jamais de l'Afrique, que l'école ne lui avait pas enseigné grand-chose à propos
du continent de ses ancêtres. Quant aux informations, elles décrivaient un lieu où régnaient la
misère, la maladie, la corruption et la guerre.285 »
Le politique qui distille le racisme anti-noir, ce venin dévastateur, à travers les médias, est
le quatrième tentacule de la pieuvre. Car il est, lui aussi, assis sur le racisme anti-noir et s’y
conforte. Alors que l’Afrique n’est séparée de l’Europe seulement que d’une dizaine de
kilomètres, le Politique européen bâtit incroyablement une barrière infranchissable entre les deux
continents. La mer méditerranée est interdite aux Africains au motif de la lutte contre
l’immigration africaine286. Même lorsque ses réunions se tiennent au Portugal ou en Espagne, à la
porte de l’Afrique, l’Union européenne n’y invite jamais les dirigeants africains. Il n’y a pas de
présence africaine lors de ces messes européennes à Bruxelles ou ailleurs. Les réunions de l’Union
européenne sont les seules dans notre monde actuel, pourtant dit globalisé, où ne se rencontrent
que des personnes d’une seule race, la race européenne. Au sommet de Lisbonne287 ayant jeté les
bases de l’intégration européenne, c’est la présidente du Chili qui avait été invitée et mise à
284
285
286
287
L’Afrique sauvage, c’est l’Afrique du monde spectacle, monde vaincu, domestiqué, monde soumis de la
société occidentale urbanisée et industrialisée s’enivrant de ses victoires, de ses richesses ; c’est le piège de
l’écocolonialisme, de créer des réserves naturelles sans transformer l’Afrique subtropicale ou l’Amazonie
brésilienne ou la taïga sibérienne en zoos destinés à divertir les nantis. C’est la dangereuse et irresponsable
attitude bien connue que beaucoup des peuples n’ont cessé de dénoncer. « Tout ce qui arrive à la Terre, disait
le chef indien Lumni Stealth, arrive aux enfants de la Terre(…) la Terre n’appartient pas à l’homme, c’est
l’homme qui appartient à la Terre. J.-M.G. Le Clézio, Tout ce qui arrive à la Terre arrive aux enfants de la
Terre, in Terre sauvage, numéro spécial du 9 octobre 2010, p.9-10. Eddie Koiki Mabo, l’enfant terrible de
l’Australie, l’homme de l’annulation de la fiction juridique de terra nullius, l’arret Mabo, a dit la même chose
durant sa longue lutte pour les droits indigènes.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Eddie_Mabohttp://videos.arte.tv/fr/videos/aborigenes_et_citoyens-4086070.html
In http://brownsista.skyrock.com/-Les-Noirs-americains-souhaitent-obtenir-leur-nationalite-africaine.html,
op.cit.
En matière d’immigration les lois européennes en général changent tellement que les magistrats et juges
disent crouler sous leur poids. A peine doivent-ils appliquer celle qu’ils ont en main qu’une autre est déjà
arrivée. Les projets des lois contre l’immigration sont toujours parmi les tous premiers points d’accord des
gouvernements occidentaux toutes tendances confondues. Ils passent souvent comme une lettre à la poste.
C’est le 17 octobre 2007 que les chefs d’État et des gouvernements des pays membres de l’Union
Européenne ont ratifié, à Lisbonne au Portugal, le nouveau traité de réforme, mettant un terme à la
Conférence intergouvernementale (CIG). Le point phare de ce nouveau traité est la nomination par les
dirigeants européens d’un président et d’un ministre des Affaires Étrangères de l’Union.
http://www.europarl.es/ressource/static/files/Parlamento_Europeo/frances.pdf
123
l’honneur. Mais les Européens, eux, sont nombreux dans n’importe quelle réunion en Afrique,
particulièrement lors des réunions de l’Union africaine à Addis-Abeba, aussi bien dans des
couloirs que dans les salles officielles. La politique européenne envers l’Afrique reste la même
depuis des siècles, de préférence basée sur la séparation des races. L’Europe, donnée héritière des
prouesses technologiques et techniques modernes, est tirée vers le haut ; l'Afrique, qui n'aurait rien
inventé, est tirée vers le bas.
La politique occidentale fait tout pour montrer qu’il y a deux niveaux de vie différents
entre l’Afrique et l’Europe et qui doivent rester différents, mais que l’Afrique doit rester un
réservoir des matières premières de l’Europe pour les milliers d’années à venir. Et si les peuples
d’Afrique veulent s’approcher du niveau de vie des Européens, ils doivent d’abord payer le prix le
plus fort. Ainsi les populations africaines accusées de n’avoir pas inventé l’automobile par
exemple, doivent se contenter des vieux véhicules que les Européens jettent. Il en est de même des
avions et de tous les autres équipements modernes. L’opinion dit que le ciel congolais est envahi
par des cercueils volants288. Les rues de Kinshasa sont, elles, envahies par des carcasses de toute
sorte qui arrivent par bateaux entiers d’Europe. En général, les véhicules qui sont déclassées en
Europe atterrissent d’abord au « centre ville » de Kinshasa et quand ils sont tout usés et ne roulent
presque plus, ils se retrouvent encore sur les petites routes encombrées de la périphérie-est, à
Masina, Ndjli et Kingasani. Là-bas ce sont des squelettes qui roulent. On aperçoit facilement le
sol sous le plancher du dedans. Dans tous les cas, s’ils veulent des voitures neuves, les Congolais
les payent aux prix tellement exorbitants que seule une infime minorité se le permet. Le plus
inquiétant dans tout ça, est que la nouvelle classe politique européenne, jeune et dynamique, voit
elle aussi l’Afrique à travers ces lunettes racistes, comme une terre arriérée et des arriérés. Ils sont
convaincus comme tous les autres de leur supériorité légendaire.
Le racisme289 ant-noir, dont tous les Africains se plaignent, et qui les tuent beaucoup plus
que les balles réelles, est porté par le Politique, mais entretenu par les médias au service de ce
politique. Le mardi 16 mai 2006, l’Association des radios et télévisions européennes, ARTE, la
288
289
Dans sa livraison du 3 février 2010, le journal kinois La Prospérité se demandait si « Tous les aéronefs
circulant en RDC, seraient-ils des cercueils volants ? Cette question se pose eu égard aux atterrissages en
catastrophe, craches et autres pannes d'avions qui surviennent chaque semaine au pays. »
http://fr.allafrica.com/stories/.html
A ce propos les Africains ont de la peine à trouver le pays européen à qui attribuer la palme d'or du racisme.
Ceux qui habitent en Italie disent que les Italiens sont les plus racistes, ce dont se moquent ceux qui vivent en
Allemagne pour qui ce pays est le plus raciste de tous. Mais ceux qui habitent en France disent que ce pays a
définitivement viré à droite et que là le racisme est devenu une affaire d’État plus qu'ailleurs. Là-bas les
dirigeants affirment leur racisme en toute complaisance. Pour ceux qui habitent la Belgique des Flamands
ultra-nationalistes ou la Hollande, ces deux pays n'ont pas de concurrents en la matière. Et ceux d'Angleterre
disent que là aussi les habitants s'y sont mis eux. A vrai dire on se perd dans cette jungle au racisme que
semble redevenir petit à petit l'Europe moderne.
124
télévision franco-allemande, a diffusé un reportage intitulé « Sur les routes du coton. » Reportage
réalisé par Joël Calmettes et Eric Orsenna. Ces deux réalisateurs ont voulu montrer comment le
coton, produit dans différents pays parmi lesquels des pays africains comme le Mali, aboutit sur le
marché mondial. Ils ont montré comment le coton est produit au Mali, aux États-Unis et au Brésil
et comment il arrive en Chine qui en est le plus grand consommateur au monde. « Pas grand-chose
de commun entre Issa Coulibaly, petit cotoculteur d'un village malien qui fait travailler toute sa
famille, et le Texan Joe Kirk Smith, qui cultive ses quelque 600 hectares avec un unique
employé, disent-ils. Ils travaillent pourtant tous les deux la même matière : le coton, cet or blanc,
synonyme de douceur et de pureté, et la vendent sur le même marché mondial. Au Mali, la culture
traditionnelle du coton fait vivre un quart de la population. Mais elle ne résistera pas longtemps
aux assauts du FMI et des pays occidentaux, qui poussent à la privatisation de l'entreprise d'État
du secteur. Aux États-Unis, la culture du coton, peu rentable, ne survit que parce qu'elle est
massivement subventionnée. Au Brésil, par contre, le secteur est dynamique et novateur, mais il
est aussi fragile car si un producteur n'arrive pas à maîtriser ses coûts, il est irrémédiablement
condamné. D'où qu'il provienne, le coton est en bonne partie exporté vers la Chine qui le
transforme à bas coûts (grâce à l'application de salaires misérables) et avec une grande dextérité.
Ces productions bon marché sont la hantise des fabricants européens. Dans les vallées vosgiennes,
certains d'entre eux résistent encore grâce à des innovations technologiques et à la constitution de
pôles de compétitivité... En fait de douceur et de pureté, le monde du coton cache une lutte
économique sans merci entre petits et gros, entre riches et pauvres, entre pays occidentaux, pays
en développement et pays émergents. »290
J’ai bien aimé ce reportage que j’ai suivi de bout en bout. Les réalisateurs se sont bien
documentés, ils ont beaucoup voyagé. Il faut dire qu’ARTE a des moyens pour produire des
reportages comme celui là. C’est tout à son honneur. Reste à savoir d’où lui vient cet argent. En
tout cas le reportage était très instructif. Mais comme le font souvent des nombreuses autres
initiatives « occidentales » en faveur de l’Afrique, ce beau reportage a péché contre lui-même. A
la fin de leur analyse pertinente, les réalisateurs ont affirmé à propos des producteurs africains de
coton que ceux-ci ne rattraperaient jamais leur retard surtout au regard des prouesses brésiliennes
basé sur la méthode de semis sous couvert végétal. Cette conclusion tendancieuse m’avait surpris
d’autant que quelques instants auparavant, les agriculteurs maliens interrogés affirmaient avec
certitude que mis dans les mêmes conditions ils battraient leurs collègues américains ; et qu’ils
trouvaient injustes que les prix du coton soient fixés dans des bourses américaines qui ne visent
290
www.arte-tv.com/fr/semaine/244,
125
qu’à sauvegarder l’intérêt des producteurs américains et les condamnent à la paupérisation
illimitée. Et la méthode dite révolutionnaire des brésiliens n’est pas aussi inconnue que cela en
Afrique. Personnellement je l’ai pratiqué au Congo. Les agronomes congolais avaient déjà trouvé
qu’il fallait assurer une bonne couverture du sol et intercaler la culture des légumineuses entre les
plants des palmiers, caféiers ou maniocs. Cette technique augmente la production car les
légumineuses fixent l’azote qui enrichit le sol. Pas besoin d’autres engrais.
Dans l’Avenir du Luxembourg du lundi 17 juillet 2006, on a lu « Harry Roselmack
débarque291. Ce soir il sera dans le fauteuil du JT français le plus regardé.» Ce qui lui valut cette
notoriété, ce fut le fait qu’il était le premier journaliste dit de couleur, c’est-à-dire premier
journaliste d’origine africaine, à assumer cette fonction et qu’il remplaçait à ce poste Patrick
Poivre d’Arvor, de race européenne, mythique présentateur habituel de ce journal, parti en
vacances. Ce présentateur si mythique a été viré depuis.292 Et TF1 continue pourtant. Sa grande
édition du journal télévisé est toujours à 20h. Harry Roselmack, quand à lui, n’arrête pas de
monter au sein de cette entreprise. Les mêmes propos ont été tenus lors de la prestation de serment
de M. Hussein Barack Obama293 en tant que président des États-Unis, le 20 janvier 2009, après sa
victoire aux élections présidentielles avec 52,9 % des voix et 365 Grands électeurs, le 04
novembre 2008. De nombreux médias occidentaux ont affirmé que cette prestation de serment
était historique à cause du fait que M. Obama est afro-américain et qu’en tant que tel il est le
premier président de sa race dans ce pays. Ses immenses qualités, qui n’ont du reste pas tardé à se
révéler, ont été reléguées à l’arrière-plan. Et pourtant cet homme brillant, d’une très grande
responsabilité politique, n’a rien volé. C’est encore grâce à lui que le capitalisme s’est donné des
précieux moments de répit après avoir été profondément secoué par la célèbre crise financière de
2007294.
Plutôt que de continuer sur cette voie de la discrimination dite positive qui est aussi idiote
et stupide que la négative, les médias occidentaux et leurs commanditaires de tous ordres,
291
292
293
294
L’Avenir du Luxembourg », n° 165 du lundi 17/07/06 p.16
« Selon nos informations, le présentateur du 20h, qui devrait être remplacé à la rentrée par Laurence Ferrari, a
envoyé une lettre à la direction expliquant qu'il n'attend pas et qu'il quitte de lui-même la chaîne. Mercredi, peu
avant le 20h00, une lettre de soutien signée par 200 journalistes de la rédaction lui aurait été remise. » Nouvel
Observateur du 13/06/2008
http://tempsreel.nouvelobs.com/article/20080612.OBS8169/patrick-poivre-darvor-quitte-tf1-et-se-dit-victime-d-un-licenciement-deguise.html
Barack Hussein Obama II, né le 4 août 1961 à Honolulu, dans l’État d'Hawaï, est l'actuel 44e président
des Etats-Unis. Il a reçu le prix Nobel de la paix le9 octobre 2009 à Oslo.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Barack_Obama
« La crise financière de 2007 à nos jours est considéré par de nombreux économistes comme la pire crise
financière depuis la Grande dépression des années 1930. Il a été déclenché par un manque de liquidités
dans le système bancaire des États-Unis, et a entraîné dans l'effondrement de grandes institutions financières,
le plan de sauvetage des banques par les gouvernements nationaux, et le ralentissement des marchés boursiers
à travers le monde. » Reuters Retrieved 2009-09-30, from Business Wire News database in
http://en.wikipedia.org/wiki/Financial_crisis_(2007 present)
126
devraient se convertir et juger, s’ils s’en donnent le droit, les personnes d’après leurs qualités ou
leurs défauts et non en raison de leur race. A propos de George Bush Junior, le prédécesseur
d’Obama, de race européenne, voici ce qu’en dit le sage Stéphane Hessel : « les dix premières
années du XXIé siècle ont été une période de recul. Ce recul, je l’explique en partie par la
présidence américaine de George Bush, le 11 septembre, et les conséquences désastreuses qu’en
ont tirées les États-Unis, comme cette intervention militaire en Irak. 295»
Le fameux retard
technologique et technique imputé aux Africains, consécutif de la traite, de la colonisation, et de
tous leurs lots d’abominations, aurait été le même si d’autres peuples avaient vécu en Afrique, à la
côte ouest africaine, au moment où les « Mindele-ngulu » exécutaient leur sinistre projet de la
traite. Les Chinois, les Indiens ou les autres, auraient subi le même sort s’ils avaient été soumis
aux mêmes traitements inhumains et injustes. « Notre malchance a voulu que ce soit l’Europe
tombée entre les mains des financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules,
celle-là qui s’est propagée, que nous avons rencontrée sur notre route et que l’Europe est
comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de l’histoire. 296» On ose
espérer que le président Obama prendra le temps de visiter plus souvent les peuples d’Afrique
pour les encourager et leur donner espoir.
Au Congo, une telle visite redorera l’image trop ternie des nouveaux dirigeants jugés trop
incapables et appelés aussi « Mindele-ndombe » par la population. A ses yeux ils assurent la
continuité pure et simple de la colonisation européenne. Ils en sont même les fidèles gardiens. Un
diplomate onusien en poste à Kinshasa depuis quelque temps dit que jamais il n’a rencontré une
population qui soit si indifférente vis-à-vis de ses dirigeants comme la population congolaise et
kinoise en particulier. Le peuple congolais reproche à la classe politique et à l’élite en général, son
alignement aveugle, sans condition, au système colonial qu’il rejette, le jugeant abominable,
inhumain et indigne. Le peuple s'estime plus lucide que ses « prétendus dirigeants. » Pour lui, la
classe politique, en général, a remplacé les dirigeants belges sans se poser de questions, sans
prendre une quelconque distance, sans savoir que les Belges étaient des colonisateurs et que le
système qu’ils avaient mis en place était colonial, donc antinational, anti-bien-être national. La
population accuse l’élite d’avoir tué le pays.
Contrairement à elle, contrairement à la classe politique, le peuple, lui, a posé des actes
délibérés d’opposition à la colonisation. Par exemple, dans beaucoup de villages, les gîtes d’État,
les maisons de passage des agents coloniaux, ont été purement et simplement abandonnées à
l’indépendance. Personne n’y est allé s’installer, même pas les chefs des villages, contrairement
295
296
Stéphane Hessel, Indignez-vous, Indigène Éditions, Montpellier, 8è édition, p. 21
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence africaine, Paris, 1995 et 2004, p. 26-27
127
aux dits dirigeants qui se sont engouffrés dans des maisons laissées par les colonisateurs et s’y
sont installés sans se poser des questions. De même à Kinshasa, à l’indépendance, la population a
purement et simplement abandonné l’utilisation de la bicyclette coloniale pour revendiquer
l’utilisation par tous de l’automobile, qui à l’époque coloniale était réservée aux seuls colons. Des
gestes symboliques de rejet de la colonisation. La population aurait voulu que les dirigeants aussi
les eussent posées comme elle. Ce qu’ils n’ont pas fait et n’ont toujours pas fait jusqu’à présent.
D’où le fossé béant qui les sépare du peuple qu’ils prétendent diriger. En fait les dirigeants se
complaisent à perpétuer le système colonial que le peuple rejette. C’est pour cela qu’aux yeux du
peuple, les dirigeants congolais sont des « mindele-ndombe ».
128
IIIème partie : le Congo-enfer.
129
130
Chapitre 1 : Les mindele-ndombe ou les méchants colonisateurs noirs
1. Un phénomène ancien
L’expression « Mindele-ndombe » apparaît dans le langage des Congolais à partir de 1940
sous la houlette du mouvement de l’ « émancipation» appelés « évolués », les colonisateurs
considérant les Congolais en général comme des « évoluants297 », en condition de pouvoir évoluer
vers l’humanité véritable, occidentale ou anglo-saxonne, belge. Certains Congolais se sont
engouffrés dans cette brèche de salut espérant se hisser au niveau des colonisateurs et être acceptés
par eux comme étant des hommes à part entière, leurs égaux. Ils se sont placés du côté des
colonisateurs contre les autres Congolais qu’ils ont dénigrés eux aussi et considérés comme leur
étant inférieurs. Depuis, les Congolais-évolués vivent comme les colonisateurs. Ils ont adopté leur
mode de vie et se montrent impitoyable envers les autres Congolais. Ceux-ci les assimilent aux
colonisateurs, méchants envahisseurs. D’où l'expression « mundele-ndombe », envahisseurs,
colonisateurs noirs, mundele ayant muté d’envahisseurs portugais aux colonisateurs belges. La
réalité étant du reste la même. Le Portugal au 15ème siècle et la Belgique au 19ème suivent les
mêmes objectifs et utilisent les mêmes méthodes.
Dès le début, dès le 15ème siècle, la colonisation avait prévu de se succéder à elle-même,
en se servant des Congolais assimilés et aliénés. Les rois Kongo tombent les premiers dans le
piège que leur tend la colonisation portugaise. Comme tout le peuple, ils font foi aux nouveaux
venus, qu’ils prennent pour leurs propres ancêtres. Ils pensent que la religion nouvelle
qu’apportent ces nouveaux venus est celle de leurs ancêtres. Ils adhérent donc massivement à la
religion chrétienne prêchée par les missionnaires. Le roi Nzing’a Nkuvu reçoit le baptême le 3 mai
1491298. Il change même de nom. Il prend un nom chrétien, « Ndo Nzao (Dom Joâo) comme son
homologue portugais dont il s’estime frère. De la même façon, sa femme Muzinga a Nlenza,
baptisée le 5 juin, devient Ndona Leonor, à l’instar de la reine portugaise ; le fils aîné Mvêmb’a
Nzinga devient Ndo Funsu, prénom de l’héritier de la couronne portugaise.299 » Comme le roi,
tous les Congolais baptisés prennent des noms chrétiens qui sont en réalité, des noms portugais ou
italiens, sinon hollandais ou allemands. Le roi, devenu chrétien, abandonne les pratiques
297
298
299
MN, p.29
LARC, p.5
HGC, p.86
131
ancestrales réglementant l’exercice du pouvoir. Il rejette les insignes mythiques du pouvoir. Le
« nsesa » queue de buffle, insigne du pouvoir est remplacé par la queue de cheval venue d’Europe.
Le trône royal millénaire, une estrade en bois si haute que de partout on pouvait le voir, fait
d’ivoire et de quelques pièces de bois très bien ouvragés à la façon du pays, est remplacé par un
fauteuil en or de fabrication européenne.300 » Après lui, plusieurs autres lui succèdent comme rois
chrétiens. Le plus célèbre de tous est Mvêmb’a Nzinga, Ndo Mfûnsu 1er, dont un des fils
deviendra évêque. Il monte au trône, aidé par les Portugais, en faisant la guerre à son frère-cousin,
héritier légitime du trône. Il livre littéralement son pays aux missionnaires à travers la loi de
« brûlage » ou “ Nsiku’a kiyoka“. Sous l’instigation des missionnaires il fait brûler tous les objets
du pays, appelés idoles, et distribue en leur lieu et place, des croix et des images des saints
apportés par les Portugais. Il envoie un ambassadeur au Portugal, un prêtre portugais, chargé d’y
chercher des prêtres pour enseigner la religion, pour administrer à chacun les sacrements très
saints et salvateurs et pour apporter diverses images de Dieu, de la Vierge, sa Mère et de ses saints
à distribuer à tous.301 »
Depuis lors le roi n’est plus rien devant les missionnaires. Il est à leur service. Il capitule
comme l’illustre le traité signé le 10 juillet 1700. Voici quelques articles de ce traité. « Pour
couvrir les dépenses de l’église, le roi est obligé de donner chaque année deux esclaves pour
l’achat de cire, de vin, d’huile et d’hosties pour les messes. Le roi doit veiller à extirper la race des
magiciens ; il châtiera ceux qui ont recours à eux et s’efforcera de capturer les féticheurs ; une
partie du prix de la vente de ces féticheurs ira à l’église pour l’achat d’ornements sacrés… S’il
arrive que quelqu’un donne sa fille ou une parente comme concubine à un autre, il payera
l’amende d’un esclave et celui qui l’aura prise comme concubine, payera lui aussi un esclave ; un
esclave ira au roi, l’autre à l’église pour le culte divin. Si le roi et ses conseillers ont à déclarer la
guerre à leurs ennemis, pour la tranquillité de leur conscience, ils soumettront les motifs de cette
guerre au Père missionnaire qui réside alors chez eux et de sa bouche ils entendront si cette guerre
est juste ou injuste, etc.302»
La guerre juste entre les Congolais sous l’instigation des Portugais ruine complètement le
Kongo. Car les sécessions se succèdent et s’enchaînent. Le royaume est morcelé en divers petits
états indépendants, tous soumis aux Portugais. Royaume de Matâmba, royaume de Monoemugi,
royaume d’Angola, royaume de Ngôyo, royaume de Kakôngo, royaume de Lwângu, royaume de
Soyo, etc. « Les monarchies poussent comme des champignons à travers tout le territoire. C’en est
300
301
302
Voici le Jagas, in LARC, p. 82-83
Le dossier Jaga, in LARC, p. 91
Le dossier Jaga, in LARC, p. 74
132
fini de l’unité plusieurs fois millénaires du puissant État du Kongo et de sa paix légendaire. Pour
légaliser le plan macabre, les éhontés marchands concluent des conventions d’assistance mutuelle
avec les dirigeants des nouveaux royaumes. Ces conventions leur permettent d’organiser des
forces dans ces territoires, soit disant, en vue de les protéger contre les éventuelles invasions
ennemies. A la suite d’une convention avec les chefs indigènes de la côte d’Angola, les capitaines
peuvent s’emparer arbitrairement des Congolais. Mais ces gouvernements nouveaux, bien
qu’ayant un seul et même protecteur, sont ennemis l’un de l’autre, de sorte que, tout en cherchant
à réduire les légitimistes, ils se livrent une interminable et épuisante guerre d’hégémonie, bien
entendu avec l’aide des alliés portugais à qui ils remettent tout le butin… Telle est la stratégie qui
va désormais permettre aux sadiques de vider peu à peu le Kongo de tout ce qu’il renferme
d’hommes. On agira en sorte que ces guerres qui sont le principal moyen de s’approvisionner en
pièces d’Inde (esclaves) demeurent permanentes.303 » Le morcellement du Kongo a rendu possible
l’œuvre civilisatrice de la colonisation portugaise, à savoir la traite. Celle-ci n’aurait jamais été
possible sans cela. Pour cette œuvre sans vrai nom, les Portugais se servent des intermédiaires
congolais. Comme ils l’ont fait avec le roi, les colons se servent des Biyaki.
Chez les Kongo, les Biyaki étaient chargés de réglementer les marchés. Kiyaki,
intermédiaire, vient du verbe « yaka », saisir en l’air quelque chose qu’on lance en votre direction,
kuyamba. En Yansi 'Yak' . « Dans le langage commercial, yaka veut dire faire réserver une
marchandise, demander le prix, prendre à crédit. Faire la réclame : yakisa. Biyaki ce sont ceux qui
sont chargés d’aller s’informer sur les prix, prendre les marchandises à crédit, faire la propagande
des produits.
304
»
Ce sont eux qui fixent les jours du marché et qui contrôlent son bon
déroulement. Il n’y avait pas de marché sans eux. Les colons, les Portugais, recourent aux Biyaki
quand ils commencent leur commerce des esclaves. Mais étant donné que cette pratique est
proscrite chez les Ba-Kongo, les colons tendent des appâts. Ils arment ceux qui collaborent, les
comblent des cadeaux et d’honneurs, les font rois. Ainsi se forment des bandes, des véritables
hordes, qui pillent et capturent, semant ainsi la désolation et la misère au sein du peuple. Car sans
les guerres et sans cette collaboration des « Biyaki », mercenaires, la traite des esclaves, du moins
pour le Kongo, n’aurait pas été possible.305
Les colons belges s’appuient eux aussi sur les « Biyaki » pour asseoir leur autorité et
soumettre les vaillants peuples du Kongo. Ce sont leurs collaborateurs, les évolués. Le procédé est
aussi le même qu’à l’époque de l’invasion portugaise. Diviser pour régner. Au début les colons
303
304
305
Idem, p. 104-105
Le dossier Jaga, in LARC, p.64
Idem, p. 65-66
133
arment les peuples du nord et de l’est contre ceux de l’ouest. Au moment de l’indépendance ils
tirent sur la ficelle des divisions ethniques et multiplient les sécessions et les guerres. On assiste au
morcellement du Congo et à la création des différents États dits indépendants du Katanga, du
Kasaï, de Kisangani, etc. Ils n’ont servi qu’à alimenter les économies occidentales et accentuer la
misère des peuples autochtones. Il en est de même des guerres des pillages engagées depuis 1998,
elles aussi, ne servent que la même cause. Grâce à elles le commerce des matières premières vers
les pays occidentaux continuent à se faire au moindre coût et sans aucun risque. C’est leur raison
d’être. Les Européens se servent des intermédiaires congolais pour réaliser cette besogne.
134
2. De la Force publique au Front patriotique rwandais : la ruine de l’Est du Congo
Sous l’ère belge, les biyaki deviennent la Force publique et les Évolués. La Force publique
est constituée en 1885 à partir des recrues des peuples du nord, notamment tetelas, kusu, mbunza,
appelés aussi « Bangala ». Sa fonction est de réprimer les révoltes de populations locales.306 La
Force publique, devenue l’Armée nationale congolaise sous le règne de Mobutu, après
l'indépendance, poursuit cette même mission. La répression. Les autres armées rebelles,
particulièrement celle du Rassemblement dit Congolais pour la Démocratie sous la houlette du
Front patriotique rwandais, à partir de 1998, au service des étrangers et sous leur instigation,
suivent la même mission. C’est la population sans arme qu’elles combattent. Elles ne font aucune
distinction entre les enfants et les vieux, entre les femmes et les hommes. Pour elles, ils sont tous
du bétail qu’elles abattent sans ménagement. Et les femmes constituent leurs principales proies.
Ces armées ou ces hordes armées se comportent envers les femmes comme des véritables bêtes
sauvages tant leur férocité laisse dubitatif tout esprit normal ayant le minimum de bon sens. Elles
ont tellement détruit le tissu social que Serge Bailly peut affirmer qu’ « Au Congo le viol est
devenu un phénomène banal, aussi banal que le détournement de richesses. » Il ajoute même pour
expliquer ce drame que « sans doute parce que le respect dû aux femmes et aux enfants n’est pas
plus élevé que l’intérêt porté à l’État.307 » Et de s’exclamer « On pensait, avec les crimes de
Bosnie et le génocide rwandais, que le viol était une arme de guerre. Arme de la dénégation de
l’autre, de l’humiliation absolue, de la volonté de salir une communauté… mais, au Congo, le viol
s’est banalisé, même là où la paix est revenue. 308» Parlant du désastre qu’a connu la ville de
Kisangani face aux assauts de ces bandes armées étrangères qui l’avaient investie, le même Serge
Bailly dit que : « Les bâtiments, qui ont résisté aux outrages du temps comme aux guerres qui ont
marqué la ville de Kisangani, sont témoins d’un temps où l’homme blanc309 était persuadé310
d’œuvrer au bonheur de l’humanité en sauvant de l’obscurantisme les âmes noires. 311» La
question que l’on peut se poser, en ce qui concerne cette population de l’Est du Congo dont parle
Serge Bailly, est celle de savoir comment une population démunie, sans armes, peut-elle se
306
307
308
309
310
311
Marie-France Cros et François Misser, Géopolitique du Congo (Rdc), op.cit. p. 98
Serge Bailly, Le poisson te dit que le crocodile est malade, Bruxelles, La mesure du possible, 20062007, p. 82-83
Ibidem, p.83
C’est nous qui soulignons
C’est le fameux « fardeau de l’homme blanc » qui a longtemps été une opinion courante en Europe.
Basil Davidson, op.cit., p. 22
Serge Bailly, op.cit. p. 85
135
défendre face à la fureur, à la barbarie des hommes armés, fussent-ils Congolais ou étrangers ? Il
faudra tout de même un peu de décence et d’humanité.
C’est comme si on avait demandé aux populations belges ou françaises soumises à la
barbarie nazie de se défendre elles-mêmes. Comment auraient-elles pu ? L’Europe entière est
pleine de reconnaissance envers l’Armée américaine venue la délivrer à travers une intervention
musclée et historique. Les populations de l’Est du Congo ont demandé en vain aux pays et
gouvernements dits amis de venir à leur secours, mais personne n’y est jamais allé. Ce sont des
Ong qui sont allées construire des camps des réfugiés et créer ainsi des conditions de vie inédites
et inconnues dans cette région. Il n’est pas juste de dire que ces tueries affreuses dont sont
victimes les populations du Kivu et de l’Ituri particulièrement depuis de très longues années et qui
ont fait des millions des victimes, soient dues à l’obscurantisme des âmes noires enclin à la
barbarie. C’est un raccourci un peu trop facile face à l’ampleur du drame. C’est même du mépris.
Tout le monde sait que le Congo est touché, profondément atteint et qu’il aura du mal à se relever.
Mais qu’à l’inverse de nombreux pays dans le monde, et pas seulement des pays voisins comme le
Rwanda ou l’Ouganda, tirent d’immenses retombées bénéfiques de cette longue et interminable
tuerie. Elle ressemble à un plan structuré de déstabilisation de la région et d’extermination des
populations avec en toile de mire la corne de l’Afrique.
Cette Afrique là, l’Afrique de l’Est, a été prospère et l’est restée malgré la colonisation
occidentale. Car elle a été épargnée de la traite endémique qui a endeuillé et ruiné l’Afrique de
l’Ouest. De ce fait l’Afrique de l’Est représentait l’espoir plausible de la renaissance perceptible
de toute l’Afrique. Le Rwanda particulièrement était l’un des fleurons de l’Afrique de l’Est.
C’était un pays où il faisait bon de vivre. Les Congolais au temps de Mobutu avaient hâte de
traverser la frontière à Goma pour aller à Gisenyi au Rwanda. Là, on était dans un tout autre pays,
organisé et prospère. Plusieurs pays de la région étaient dans la même situation. D’ailleurs grâce à
sa proximité avec l’Afrique de l’Est, la partie Est du Congo était aussi prospère. Sa population
était de loin la plus nombreuse du pays. Elle bénéficiait donc du progrès de la région. Mais tout
ceci n’est plus qu’un lointain souvenir. Car toute la région a basculé. Tous les pays ont été
déstabilisés en commençant par le Soudan, puis l’Éthiopie, la Somalie, l’Ouganda, le Burundi, le
Rwanda. Aucun n’a été épargné. Serait-ce un hasard ? Le génocide du Rwanda a démarré après le
drame de Sarajevo en Bosnie-Hérgozévine dans les Balkans.312 A l’époque, quand la télévision
avait commencé à montrer les cruautés insoupçonnées qui s’y passaient, j’avais dit à quelques
312
« Le Massacre de Srebrenica, également appelé « Génocide de Srebrenica », désigne le massacre de 6 000 à
8 000 hommes et jeunes hommes Bosniaques, aussi appelés «Musulmans », dans la région de Srebrenica en
Bosnie-Herégovine au mois de juillet 1995 durant la guerre de Bosnie-Herzégovine. » Certains parlent de
30.000 morts. http://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Srebrenica.
136
amis autour de moi qu’il y aurait une réplique africaine. Parce que les caciques de la supériorité
viscérale des « blancs » ne pourront jamais tolérer que leur race subisse une telle humiliation en
plein 20ème siècle. Ils feront tout pour la laver. Ils trouveront vite une parade pour faire porter le
chapeau de la barbarie aux Africains. Et cela n’a pas tardé, le drame du Rwanda est survenu.
Aujourd’hui tout le monde a oublié le génocide de Srebrenica, la guerre de Bosnie-Hergozévine et
des Balkans. Ces pays se reconstruisent rapidement grâce à d'importantes aides anglo-saxonnes,
tandis que le génocide du Rwanda est tous les jours dans les médias depuis 1994
jusqu’aujourd’hui. Le génocide du Rwanda est tristement entré dans le top dix de plus grands
crimes de l’humanité313. Il a fait entrer toute l’Afrique dans ce qui était le record imbattable de
l’Europe, le crime gratuit. Aujourd’hui un drôle de musée a été érigé au Rwanda, musée constitué
de crânes humains qui sont exposés comme des simples objets d’art. Des touristes font la file au
Rwanda pour aller visiter ce musée. Le drame du Rwanda avait été précédé par une propagande
sans pareille sur les Grands Lacs Africains. J’étais déjà inquiet de ce tapage médiatique.
Ainsi le Rwanda qui était, il y a peu encore, la fierté de l'Afrique, pays des rois illustres,
dignes successeurs des Faris d'Égypte314, est aujourd'hui une terre de désolation. Sa population est
exténuée. Exterminée par des tueries sans fin, rejetée et abandonnée dans la forêt équatoriale ou
bien dispersée à travers l'“Occident sauveur“. J'ai rencontré, il y a quelques années, une dame
originaire du Rwanda qui pleurait sur son pays en se rendant compte de cette situation d'exode
forcé à laquelle sont soumis les Rwandais à travers le monde. Elle me disait que les Rwandais sont
chassés de chez eux, ils sont étrangers dans leurs pays d'accueil et sont considérés par des
nombreux Africains comme des envahisseurs, source de malheur par lequel l'Afrique est tirée vers
le bas. Elle se demandait vraiment ce qu'ils sont réellement. Aujourd'hui, le maître de Kigali,
l'homme fort du Rwanda, instrumentalisé, craint partout en Afrique, règne en maître. Ses forces
d’occupation agissent au Kivu comme celles du Roi Léopold II jadis. Elles tuent, violent et pillent.
Les richesses sont acheminées à Kigali, qui est devenue une plaque tournante du négoce
international, celui des Occidentaux évidemment. Kigali est devenu un temple du diamant comme
Anvers ou Tel-Aviv, sans avoir la moindre mine dans le pays. Un ami qui en revenait m’a affirmé
qu’il était surpris du nombre des comptoirs de diamant que l’on y rencontre. Le maître de Kigali
se croit admis dans la cour des grands de ce monde, mais il oublie qu’il n’est pas occidental
comme l’était le roi Léopold II et qu’il ne le sera jamais. D’autres ont joué le rôle qui est le sien
313
314
Christian Comeliau, L’économie contre le développement ? Pour une éthique du développement mondialisé,
Paris, l’Harmattan, 2009, p.232
« D’allure aristocratique, les Watuzi (Batutshi, Tushi) sont très vêtus et avec recherche ; ils se drapent dans
des étoffes de couleurs éclatantes. Leurs attitudes sont nobles et fort étudiées, méprisantes même. On sent, en
le voyant, une race de maîtres et l’on songe aux bas-reliefs égyptiens. » Pierre Daye, Le Congo Belge,
Librairie de l’œuvre Saint-Charles, Bruges, 1936, p.82
137
aujourd’hui bien avant lui, comme Kasa-vubu, Tshombe, Mobutu, Alphonso 1er ou Nzing'a
Nkuwu. Le scénario reste le même, seuls les acteurs changent. L’opération « Turquoise » qui a
jeté dans la nature des millions des Rwandais démunis a été pour l’homme fort du Rwanda une
vraie aubaine. Il a eu ainsi l’opportunité d’entrer impunément au Kivu pour piller et massacrer des
paisibles citoyens sous le fallacieux prétexte de la traque des « Interahamwe315 », sachant que
personne ne le sanctionnerait et qu’il ne trouverait aucune résistance militaire véritable.316
315
316
Les Interahamwe constituent la plus importante des milices rwandaises créées dès 1992 par le MRND, parti
du président Juvénal Habyarimana, au Rwanda. Interahamwe signifie « ceux qui combattent ensemble » en
kinyarwanda. Ces milices sont responsables de la plupart des massacres pendant le génocide en 1994. Leur
nom est attribué par les médias internationaux à toutes les milices des partis impliqués dans le génocide et qui
ne pouvaient pas, de fait, être différenciées sur le terrain. » 5.5.19. Témoin de contexte: François-Xavier
Nsanzuwera http://fr.wikipedia.org/wiki/Interahamwe ; http://www.assisesrwanda2001.be/050519.html
Appel à la responsabilité face au drame du peuple congolais, Déclaration du Frac, n°5 – Février 2005, in
Quel avenir pour la R.d. Congo, Kinshasa, Médiaspaul, 2010, p.123
138
3. Une hypocrisie abjecte
Le génocide du Rwanda est devenu la carte de visite de tout Africain en Europe. Pour
beaucoup d’Européens, les Africains sont tous soit Hutus soit Tutsi. Ils sont tous sanguinaires,
génocidaires. Aujourd'hui le viol des femmes congolaises devient aussi une autre carte de visite
des Africains, présentés désormais comme étant des violeurs de femmes. Et les femmes africaines,
elles, présentées, toutes, comme des femmes violées. Une étude publiée par le Centre For Foreign
Politicy Studies de Dalhousie University le dit clairement. Au moment de la révolte de la
population congolaise contre la prise de la ville de Bukavu par les troupes rwandaises de Jules
Mutebushi, la population de Kisangani particulièrement a dirigé sa colère contre la Monuc. « Le
bilan provisoire de cette manifestation : 3 voitures de la Monuc brûlées, 8 endommagées, plus les
dégâts matériels importants. Des dizaines de maisons où étaient logés certains agents de la Monuc
ont été saccagées.317 » La population a reproché à la Monuc sa passivité étant donné le but de sa
mission. « Curieusement au moment de pillage des maisons des agents de la Monuc (des Milobs
surtout) par la population, un grand nombre de photos pornographiques mettant en scène la nudité
des femmes et petites filles ont été découvertes aux côtés des paquets des préservatifs. Ce qui fait
croire à l’existence d’un vaste réseau de prostitution et des viols orchestrés par les forces
onusiennes à Kisangani. Certains faits en témoignent à juste titres : en date du 03 avril 2003, le
commissariat Makiso signalait que l’ordre public avait été troublé par l’arrestation de quatre filles
dont Claudine, Elysée, Sandra et Nathalie. Cette dernière était soupçonnée d’avoir eu des relations
sexuelles avec un chien de l’agent de la Monuc non identifié.318»
Curieusement et contre toute attente, le Centre va jeter l’opprobre et condamner la tradition
congolaise pour justifier cette attitude répréhensible des agents de la Monuc. Il trouve que « La
violence sexuelle n’est pas un phénomène nouveau en R.d.c. et à Kisangani. Elle est le résultat des
inégalités homme/femme. Plusieurs coutumes de la R.d.c. commettent à travers leurs pratiques de
mariage et similaires de violences sexuelles à l’égard de la femme et jeune fille en les exposant au
risque de contamination aux maladies congénitales et sexuellement transmissibles. 319» Pire,
d’après lui, la violence sexuelle reprochée aux agents de la Monuc entre autres, s’explique par le
fait que « tous les types de violence sexuelle à savoir le viol, le harcèlement sexuel, la pédophilie,
317
318
319
Centre for Foreign Politicy Studies, Thème : La protection, la Violence sexuelle et les Nations Unies.
Expériences de Kisangani. p.15 in http://centreforforeignpolicystudies.dal.ca/pdf/fff-welepele.pdf
Ibidem
Idem, p. 5 et 6
139
la sodomie, la fellation, le proxénétisme et la prostitution forcée se pratiquent à Kisangani. Parmi
les milieux propices à ces violences sexuelles à Kisangani, l’on peut citer entre autres la famille,
l’école, l’université, le milieu professionnel, les hôtels et les bars. Les enquêtes menées sur terrain
révèlent que 90% de violence contre les femmes et les filles se font dans la famille. Les violeurs
habituels sont les maris, les cousins, les neveux, les beaux-frères. Beaucoup des femmes mariées
sont victimes de violence sexuelle de la part de leurs propres époux. L’absence de dialogue, la
sous-information au sein des foyers et la chosification de la femme sont autant des facteurs qui
expliquent cet état de choses. 320»
Il est curieux que le centre de Dalhousie University jette ainsi l’opprobre sur la société
ancestrale congolaise pourtant millénaire qui aurait déjà cessé d’exister depuis bien longtemps
d’après ces accusations. C'est tout simplement scandaleux. On le sait, concernant la société
ancestrale congolaise, qu’elle a été florissante, vigoureuse, travailleuse, avant l’arrivée des
Européens et aussi malgré toutes leurs exactions. Les Congolais déportés en Amérique,
particulièrement, se sont avéré des travailleurs vigoureux. Leurs descendants excellent dans tous
les domaines, particulièrement sportifs où ils battent tous les records et raflent toutes les médailles.
Il est malheureux et regrettable de présenter ainsi à la légère tous les Congolais comme étant soit
des violeurs de femmes soit des produits des viols. Cette attitude est un choix volontaire pour
s’éloigner du débat sur les agissements des agents de la Monuc afin de les camoufler et éviter de
les dénoncer vigoureusement et de les sanctionner. C’est de la complicité pure et simple. Il est de
notoriété publique que les nombreux cas de viols actuels perpétrés par les troupes étrangères,
rwandaises, ougandaises ou onusiennes, au Kivu ou ailleurs dans cette partie, n’arrivent que parce
que le Congo est volontairement affaibli. On n’a pas le droit de se servir de cette situation
malheureuse pour discréditer tout un peuple. La situation difficile sinon insoutenable que vivent
les femmes dans l’Est du Congo et qui les exposent aux viols d’une part, la désolation, le désarroi,
dans lesquels vivent les peuples de l’Est du Congo d’autre part, ne leur sont pas propres. Les
femmes de l’Est du Congo sont victimes des atrocités insoutenables, comme d’autres l’ont été ou
le sont ailleurs.
Ici en Belgique où je vis présentement, on parle souvent des « enfants des Anges ». Ce sont
des enfants dont les mamans ont été victimes de viol de la part des soldats Allemands durant la
guerre 1940-1945. En Allemagne même «Près de deux millions d’Allemandes furent violées par
l’armée russe en 1945. Un traumatisme enfoui pendant soixante ans. 321 » Au Canada, de
320
321
Idem
« Il apparaît aussi que dans ces circonstances de guerre beaucoup de femmes ne pouvaient malheureusement
pas garder le fruit de leurs amours souvent discrets ou même cachés. Un chroniqueur affirme que les trois
140
nombreuses jeunes filles ont été utilisées comme des véritables machines à produire des enfants.
Elles ne devaient pas avoir de répit, si bien qu’on trouve facilement jusqu’à ce jour des familles de
vingt à vingt-cinq enfants, tous issus d’une même mère. On ne peut tout de même pas parler
d’amour dans ce cas. Car les jeunes filles étaient arrêtées en Europe et amenées de force au
Canada où elles étaient mariées également de force pour peupler le pays. Ces cas sont très bien
connus. On connaît d’ailleurs la célèbre phrase « Plus il y aura de catholiques, plus l'Église pourra
étendre son pouvoir. » Les prêtres passaient de famille en famille et vérifiaient que des nouveaux
enfants étaient bel et bien en route.322 Il est donc tout à fait malsain de se servir des cas de viol des
femmes congolaises à l’Est du pays pour amplifier l’idéologie de l’infériorité des Africains et de
la supériorité des Européens comme semble le suggérer l’étude initiée par le Centre for Foreign
Politicy Studies de Dalhousie University. Ces affirmations par trop légères sont malheureusement
trop nombreuses pour ne pas s’y arrêter. On devrait condamner et tout mettre en œuvre pour
arrêter ces atrocités plutôt que de chercher des justifications stupides.
Quand j’étais curé à Aten, à 80 km de Kikwit, j’avais reçu une dame européenne qui venait
travailler dans un centre de santé d’un village voisin comme bénévole. Elle était arrivée avec
l’idée que tous les Africains étaient sidéens. Comme elle travaillait au laboratoire du dispensaire,
elle se permettait de faire passer le test de sida à tous ceux qui y arrivaient pour une raison ou une
autre. Ce qui n’était pas mauvais en soi. Mais pour elle le but n’était pas de dépister la maladie,
mais plutôt de chercher à confirmer sa conviction sur les Africains sidéens. Malheureusement pour
elle, durant tout le temps où elle est restée dans ce dispensaire, plus d’un mois, elle n’a trouvé
aucun cas de sida chez les malades qui venaient au dispensaire. Elle m’a fait part de son désarroi
en m’affirmant que dans son pays, on lui avait dit que tous les Africains étaient sidéens. Comment
alors cela se faisait-il qu’elle n’en eût pas trouvé ? Ainsi donc beaucoup des personnes tombent
dans le panneau des généralisations tapageuses et dangereuses.
A ce propos j’ai échangé il y a quelque temps avec un ancien ingénieur des Chemins de fer
français, à la retraite. Il m’a dit fièrement avoir été au Gabon pour construire une ligne de chemin
de fer. Je lui ai demandé si c’était une ligne électrique. Il s’est exclamé en me disant simplement
que les Africains n’étaient pas encore aptes à gérer des lignes électriques à haute tension sur leurs
322
quarts des femmes enceintes du fait des soldats de l‘Occupation se faisaient avorter par des faiseuses d‘anges.
Mon dieu! » Le nombre des femmes françaises fécondées par nos soldat seraient donc de 800 000. « Près de
deux millions d’Allemandes sont violées par les Soviétiques entre janvier 1945, lorsque l’Armée Rouge entre
dans le pays, et juillet 1945, quand les Alliés se partagent le Reich. Rien qu’à Berlin, on estime à 100 000 le
nombre des victimes. Dix mille femmes meurent des suites de ces violences. » Nathalie Versieux, Rouge
cauchemar (2 000 000 d'Allemandes violées par les Soviétiques)? Berlin, correspondante à Berlin de
Libération.fr grand angle du 13/02/2009 http://fr.answers.yahoo.com/question/index
Le peuplement des Cantons de l’Est, L’arrivée des Francophones, 1850-1900, in oliviermailhot.com/usherb/didactique/1850-1900/index.html
141
voies ferrées. Pour corroborer son affirmation, il m’a raconté un épisode vécu lors de ce séjour
gabonais. Il m’a dit qu’un accompagnateur gabonais de train sur la nouvelle ligne qu’il avait
construite s’est permis d’arrêter le train dans une gare pendant plus de trente minutes pour le faire
voir à son beau père qui s’y trouvait. Comment imaginer, me disait-il, laisser la gestion d’un
réseau de trains électriques à de telles personnes ? Je lui ai demandé ce qu’en avaient pensé les
autres usagers gabonais qui se trouvaient dans le train. Il m’a répondu qu’ils étaient tous
mécontents de ce comportement. Ce qui veut dire, lui ai-je dit, que ces Gabonais là comme tous
les autres voyageurs dès par le monde souhaitaient avoir des trains à l’heure et que le
comportement répréhensible de cet accompagnateur ne pouvait pas être imputé à l’Afrique. Bien
au contraire il méritait le châtiment, voire la révocation pour cet acte grave. Ainsi le coupable
serait puni et les victimes dédommagées ou lieu de faire le contraire. C’est-à-dire punir les
victimes, et innocenter le coupable au motif que tous les Africains sont pareils, en mal. Alors le
coupable est non seulement gracié, mais surtout innocenté. Pire il est présenté comme le modèle
des Africains.
Le roi Albert II323 de Belgique, en visite à Kinshasa, à l'occasion du cinquantenaire de
l'indépendance du Congo – ceci pour la première fois depuis son accession au trône -, avait été
accueilli avec joie par une foule en liesse. A son retour en Belgique, il s’était adressé au peuple
belge et lui avait parlé de son voyage au Congo. « J’en viens maintenant à notre voyage au Congo.
La Reine et moi avons été très touchés par l’accueil si chaleureux324 que nous avons reçu. Nous
avons senti toute l’amitié que le peuple congolais a pour la Belgique, avec qui il a partagé une
longue histoire. J’ai pu dire aux Congolais que nous avons rencontrés, combien nous admirions le
courage et la persévérance de la population, au cours d’une histoire qui a connu des moments
heureux comme celui de cet anniversaire, mais aussi des périodes difficiles et parfois dramatiques.
Cette admiration concerne toute la population, un peuple jeune325 et vivant où le rôle des femmes
mérite d’être souligné. En effet, outre leurs tâches ménagères elles travaillent aussi pour assurer la
subsistance de leur famille mais dans certaines régions elles ont été victimes de graves
323
324
325
Le Roi Albert II a été l'un des invités de marque aux festivités grandioses ayant marquée le
cinquantenaire de l'indépendance du Congo du 29 juin au 1er juillet 2010.
50 ans de l'indépendance du Congo: la délégation belge est arrivée à Kinshasa. « Le Roi, en costume civil, a
été accueilli avec les honneurs militaires au son des hymnes nationaux des deux pays au Palais de la Nation,
le long du fleuve Congo. Des milliers de Kinois s'étaient massés, sous forte protection policière, sur la route
reliant l'aéroport à la ville situé à l'est de la capitale congolaise pour acclamer les souverains belges. » Agence
Belga, cité par L’avenir.net lundi 28 juin 2010 19h05 http://www.lavenir.net/article/detail. _057
Cette expression royale qui revient dans de nombreux discours officiels et dans beaucoup des médias
occidentaux mérite des explications. En quoi le peuple congolais, et africain en général, serait-il plus jeune
que les autres peuples du monde ? Y-aurait-il dans le monde une seule société humaine à visage unique,
uniquement jeune ou uniquement vieux ? Et laquelle ?
142
violences.326» Le roi faisait allusion aux souffrances sans nom des femmes à l'Est du Congo qu’il
n’avait pas visité. La population de l’Est du Congo en général, si meurtrie et martyrisée aurait été
enchantée, elle aussi, par une visite royale. Car cette population et particulièrement les femmes de
l'Est du Congo ne cessent d'appeler à l'aide pour que soit arrêté enfin le traitement dégradant dont
elles sont victimes. Elles sont convaincues qu’une pression militaire, diplomatique sinon
économique, occidentale, sur les groupes armés qui sèment la désolation, menée par des véritables
responsables des pays occidentaux, éliminera sans tarder cette gangrène qui n’a que trop duré. Car
les pays occidentaux sont aujourd’hui les seuls à même d’arrêter le massacre. Cette tâche ne doit
plus être laissée, ni aux seules organisations non gouvernementales, ni aux seules armées
africaines ou onusiennes, souvent aux contours flous. Les femmes congolaises de l’Est ne veulent
plus servir de fond de commerce, ni continuer à être traînées sur la place publique. Elles ont
besoin de leur dignité et de leur intimité. Elles appellent tout un chacun, et particulièrement les
dirigeants à entendre leurs cris et leurs détresses, comme le dit Solange Lusiku, éditrice du
mensuel Le Souverain de Bukavu. « Je m’insurge lorsque Margot Alstrom, la représentante de
l’ONU pour les violences sexuelles, ose qualifier Bukavu de “capitale mondiale du viol“. C’est
injuste, c’est horrible : si nous, nous sommes la capitale, de quel pays parle-t-elle ? Peut-être de ce
vaste pays situé quelque part au Nord, qui abrite ces multinationales qui viennent piller nos
ressources et sacrifient des populations entières ? En réalité, les femmes de Bukavu se battent pour
essayer de s’en sortir, elles sont debout ; malgré le viol la vie continue et nous sommes là pour en
témoigner.327»
On ne devrait donc pas se servir des malheurs et du calvaire que vivent une partie
importante des femmes dans des régions bien connues de l’Est pour des affabulations, des
exagérations, des aberrations et des généralisations et surtout pour alimenter le racisme, comme
c’était le cas durant la colonisation et aussi pendant la traite. Déjà à cette époque les appels au
secours des Congolais meurtris n’étaient pas entendus tant il demeure vrai que les bourreaux ne se
transforment pas par un coup de baguette magique en libérateurs de leurs propres victimes. Ce
serait rêver. On peut dire que les instigateurs du génocide du Rwanda, mais aussi les initiateurs de
l’opération Turquoise par la suite, ont touché le cœur de l’Afrique en touchant l’Est du Congo.
C’est un coup fatal qui a été porté au Continent entier. Cette Afrique là, terrassée, réduite à sa plus
simple expression, éprouvera tant de peine à s’en remettre. Elle devrait être aidée. La population
occidentale, particulièrement, devrait se montrer sensible à la tragédie qui s’y vit et éviter des
326
327
http://fr.groups.yahoo.com/group/lecridesopprimes/message/ 21 Juillet 2010 : Discours du Roi Albert II
Colette Braeckman, Le combat d’une éditrice de choc, à la tête du seul journal de Bukavu, article non
classé, publié sur http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/page/2/ le 09 juin 2011
143
amalgames ou des propos réducteurs et égoïstes. J’ai suivi une conversation entre deux femmes
dans un train entre Namur et Jemelle dans la province de Luxembourg en Belgique. L’une d’elles
disait qu’elle fait souvent taire ses enfants qui se plaignent en leur disant de voir à la télévision
combien les enfants Africains souffrent et manquent de tout. Ils doivent se réjouir de la chance
qu’ils ont de vivre dans un pays prospère où ils ne manquent de rien. L’une de ces femmes est
professeur à l’Université de Louvain-la-Neuve près d’Ottignies, elle se préparait à aller au Sénégal
dans le cadre de la coopération Nord-Sud entre son université et une université du Sénégal. Dans
leur entretien, aucune de ces femmes ne parlait de la provenance de l’abondance qu’on trouve en
Belgique. Abondance qui ne tombe pas du ciel, car il ne suffit surtout pas d’avoir une technologie
avancée pour bien vivre. Encore faut-il avoir des richesses réelles, et pas seulement virtuelles, des
matières premières réelles, pour que la technologie aide réellement au développement de l’entité.
Il serait donc juste de dire également aux enfants d’où viennent les richesses dont ils jouissent et
aussi comment elles atterrissent dans le pays. Ceci permettra d’ouvrir les yeux sur l’origine et la
pérennité de certaines guerres et de leurs conséquences collatérales et très nuisibles comme le cas
des viols dont souffrent de nombreuses femmes dans certaines parties de l’Est du Congo. Car la
déstabilisation de l’Est du Congo à cause de ses richesses est un vrai désastre pour l’Afrique.
L’espoir suscité par les indépendances et la jonction espérée par certains de l’Afrique noire avec
l’Égypte des Fari(Sar) sont compromis. La population vit sans vivre. Elle n’espère plus.
Les guerres à répétition au Kivu et en Ituri, dans l’Est du Congo, ont une origine qui n’est
pas à imputer à la population. On peut bien constater que « Toute l’Afrique de l’Est et l’immense
Congo, au centre du continent, ont été bouleversés par cette guerre qui a visé à en redessiner la
carte. Le classique affrontement entre les États-Unis, cherchant à étendre leur aire d’influence, et
l’ex-puissance coloniale française, voyant son pré-carré lui échapper, a pris une ampleur inédite et
tragique après 1990… Somalie, Sud-Soudan, Rwanda, Congo-Brazzaville, RDC, Érythrée,
Darfour, la liste est longue des conflits incompréhensibles si l’on n’en saisit pas les dessous.328 »
En 1977, j’avais écrit un roman, inédit, « Quand les morts en parlent329… », dans lequel
j’avais mis en scène deux pays. L’un européen, le Bourg, et l’autre africain, Mawa, qui se sont
affrontés suite à un mauvais traitement dont auraient subi des ressortissants de Bourg au Mawa.
Tous les pays de l’Europe y compris ceux du bloc soviétique, de l’époque, s’étaient mis derrière le
Bourg et avaient dévasté, écrasé, Mawa. Quelques années plus tard, cette prédiction s’est réalisée.
La Russie est devenue un partenaire occidental à part entière, futur membre de l’Otan. Et l’armée
328
329
Pierre Péan, Carnages - Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Editions Fayard.
Cité par Radio France in http://sn104w.snt104.mail.live.com
Evariste PINI-PINI NSASAY, Quand les morts en parlent…, inédit/
144
française a écrasé au sol, sans rien craindre ni personne, les quelques avions ivoiriens de combat à
Bouaké330 à cause de la mort des soldats français dans une attaque du gouvernement de l’époque
contre les rebelles dans cette région. Aujourd’hui ces rebelles-là sont au pouvoir à Abidjan, même
s’ils prétendent être passés par les urnes, et encore, tout comme les différents rebelles et guerriers
de l’Est du Congo qui sont au pouvoir à Kinshasa, en ayant passé eux aussi par la voie des urnes.
Avec cette étonnante classe politique, celle des hommes aux “Kalachnikov“, la soumission
est certaine et l’exploitation des richesses assurée. J’ai été témoin des exactions lors des pillages
organisés par les militaires à Kikwit en 1991. La ville a été mise sens dessus dessous par les
militaires qui ont tiré durant toute la nuit afin de créer la panique et de procéder ainsi aux vols et
pillages de la ville. Ces horribles actions se sont passées dans toutes les villes du Zaïre à l’époque.
Il y a quelques mois, le journal kinois « Le Phare » a lancé un appel pathétique à propos de la
police congolaise. « L’opinion congolaise et internationale se demande si notre pays héberge une
police ou une association des malfaiteurs. La question se pose avec autant d’acuité que l’affaire
Chebeya est en train de dévoiler, à la face du monde, une police qui, au lieu de sécuriser les biens
et les personnes, s’emploie plutôt à planifier des crimes de sang. Cette sale besogne implique non
seulement la troupe mais aussi de hauts galonnés de ce corps… Au lieu d’incarner la sécurité et la
protection, le policier est davantage vu comme le porte-malheur de l’automobiliste, du voyageur,
du touriste, de l’armateur, du commerçant, de l’investisseur, du vendeur à la criée, de la
marchande des pains, de la paysanne, du pêcheur, du noctambule, de l’étudiant, de l’écolier. Bref,
au lieu d’être le régulateur de la vie en société, le dernier recours des “faibles“ dans leurs relations
avec les “puissants“, le redresseur des torts, le policier fait fuir sur son passage toutes les
personnes qui se savent vulnérables face à l’arbitraire, à la violence, à la corruption, à la tricherie,
à la loi de la force… Malheureusement l’image du policier “ kuluneur“, voleur, assassin,
malfaiteur, menteur, corrompu, colle encore dangereusement à la peau du policier congolais.331 »
Une chose est sûre, la population congolaise n’a confiance ni dans l’armée, ni dans la police. Elles
sont tout sauf son armée et sa police. Pour l’armée congolaise, les civils congolais sont des
ennemis. Elle continue l’œuvre de la colonisation, à savoir, brimer, torturer, violer, tuer. Au
Congo-enfer, l’armée est au service des « Je les connais332 ». Aujourd’hui à Kinshasa et dans tout
330
331
332
Thomas Hofnung et Alain Chabod, Le mercenaire français de Gbagbo, « le 6 novembre 2004, l'aviation de
Gbagbo avait bombardé un campement de la force Licorne à Bouaké (Centre), tuant outre un civil américain
neuf soldats français et en blessant une trentaine d'autres…En représailles, Paris ordonnait la destruction
immédiate de l'aviation militaire de Gbagbo, stationnée à Abidjan et à Yamoussoukro. »
http://www.liberation.fr/grand-angle/010993800-le-mercenaire-francais-de-gbagbo, 13/02/2007
Jacques Kimpozo, Affaire Chebeya : la police défigurée, in le Phare du 11/02/2011
http://www.congoforum.be/fr
C’est un autre titre donné aux intellos par le petit peuple
145
le Congo, les dirigeants ont tous des gardes de corps. Les ministres, les députés provinciaux et
nationaux, les bourgmestres, maires et gouverneurs, tous ne se déplacent qu’à accompagner des
policiers armés. Leurs résidences bien clôturées sont gardées par l'armée. L’armée et la police sont
à leur service. Avec des telles armées ou plutôt de telles hordes armées, le Congo, l’Afrique sont
des proies faciles. Aujourd’hui, on le sait, toute armée européenne, même celle du plus petit état
européen, comme Malte, Belgique, Hollande ou autre, peut se payer une vraie promenade de santé
du nord au sud de l’Afrique sans une moindre résistance, car les fameuses armées africaines ne
sont expertes que de la répression des populations africaines. L’armée congolaise ne fait pas
exception. Oui l’armée nationale congolaise est cruelle, oui les armées qui tuent les populations à
l’est, le sont. Mais cette cruauté des armées vis-à-vis des populations innocentes du Congo n’est
pas nouvelle et n’est pas à mettre sur le chef des Congolais en tant que tels. C'est injuste et
cynique.
146
Chapitre 2 : Diriger le pays contre sa propre population
1. Le pouvoir pour le vol et les détournements.
J’ai rencontré une jeune femme congolaise habitant la Belgique qui m’a rapporté les
paroles d’une de ses amies. Celle-ci veut se porter candidate aux prochaines élections prévues au
Congo au courant de cette année 2011 ; habitant aussi la Belgique, elle lui a annoncé qu’elle serait
ministre dans le prochain gouvernement après les élections. Devant l’étonnement de celle à qui
elle faisait cette révélation, la “future ministre“ a dit qu’elle a eu la promesse ferme d’un candidat
aux élections présidentielles de passage en Belgique avec qui elle a parlé longuement.
Convaincue, son amie lui a demandé ce qu’elle comptait faire une fois devenue ministre. Sa
réponse a été cinglante et claire. « Je vais prendre de l’argent pour venir construire mon avenir ici,
comme tout le monde. » Dans le langage congolais, ‘prendre de l’argent’ cela veut dire faire main
basse sur la caisse de l’État. Dans ce cas ci, cela voudrait dire que la “future ministre“ envisage
tout bonnement de détourner les deniers publics de son ministère à son profit pour venir construire
son avenir, c’est-à-dire s’acheter des maisons, placer des grosses sommes d’argent en banque,
s’acheter des belles voitures et dépenser sans compter dans des boîtes de nuit de Bruxelles, Paris,
Londres ou Amsterdam. C’est la grande motivation chez nombre des candidats aux élections.
Pratiques héritées du régime mobutiste, qui était passé, lui, maître dans le vol et les détournements
des biens publics ; pratiques répandues au sein de la population, surtout parmi les cadres,
particulièrement les hommes et femmes politiques. Au Congo, depuis Mobutu, la politique est le
moyen le plus sûr de gagner de l’argent rapidement, sans effort. En juin 2005, l’assemblée
nationale de l’époque avait révélé à l’opinion ce que tout le monde savait, la gabegie gigantesque
du régime de Mobutu, le tombeur du régime démocratique de Lumumba.
Ce régime, appuyé par ses parrains cupides comme lui, a tout simplement conduit
impunément le pays à la faillite. Au sortir du régime Mobutu, le Congo est caractérisé, sur le
registre institutionnel et politique, essentiellement par : la vacuité de l'État à tous les niveaux à
cause de l'effritement de son autorité et de son incapacité de remplir ses fonctions primaires ; la
privatisation des espaces des compétences étatiques par des élites politico-militaires et
commerciales structurées en cercles concentriques autour du Chef de l'État et en filières de
solidarité tribales, ethniques et régionales ; la prédation et le clientélisme comme mode de gestion
147
du politique, et la criminalisation de l'État par des élites affairistes qui instrumentalisent les
services publics pour s'accaparer, au détriment de la population, du gâteau national de plus en plus
rétréci par une longue crise économique dont les origines remontent aux années 1970…333
A l'intérieur, la politique de nationalisation des grandes entreprises et de “zaïrianisation“
menée par le Président Mobutu - qui a consisté à redistribuer à une élite politico-commerciale
parasitaire une large partie des actifs congolais – s’est traduite par une succession des mesures de
politique économique improvisées et contradictoires : celles-ci se sont soldés par un fiasco et par
la première vague des pillages des unités de
production, en particulier des petites et moyennes
entreprises. Les éléphants blancs − à commencer par
le barrage d’Inga − construits à grands frais, sont à la
base du cycle d’endettement extérieur qui a conduit
le pays à la banqueroute dans les années 1980 et ont
engagé le pays dans un endettement excessif qui
hypothèque lourdement et pour longtemps son
avenir. 334
Tous ces éléphants blancs - Cité de la RadioTélévision
congolaise,
immeuble
du
Centre
International du Commerce du Congo (CCIC),
immeuble
de
la
Commercialisation
Société
des
Congolaise
Minerais
de
la
(Sococom),
Échangeur de Limete (genre Tour Eiffel de Kinshasa)335, et ville de Gbadolite.336 - sont dans un
état d’abandon avancé et certains constituent même des dangers réels pour l’environnement et la
333
334
335
Christophe Lutundula Apala P et Ignace Mupira Mambo, députés, Assemblée nationale commission spéciale
chargée de l'examen de la validité des conventions à caractère économique et financier conclues pendant les
guerres de 1996-1997 et de 1998, appelée aussi Commission Lutundula. P.2-4, in http://www.kongokinshasa.de/dokumente/regierung/rapport_lutundula.pdf
Idem
La tour inachevée de l’Echangeur de Limete, a été créée en 1973 par l’Association momentanée des
entreprises du bâtiment du Zaïre (SEAZA) et son plan architectural a été conçu par l’architecte francotunisien Clément Cacoub. Elle est classée parmi les « éléphants blancs » de la Deuxième République de
Mobutu et amis, construit par des Nord-Coréens pour une bagatelle de 10 millions USD.
http://www.acpcongo.com/:la-phase-i-de-modernisation-de-la-place-de-lechangeur-de-limete-en-voie-definalisation http:/alexengwete.afrikblog.com/archives/2010/03/13/17218644.hmt (Photo Pierre-Henry Heyde,
octobre 2010). Il en est de même de la tour de la Cité de la Radio-Télévision congolaise, 13 étages,
construit avec de l'argent prêté par la France et dont tout l’équipement, fabriqué par la firme Thomsson, est
venu de France jusqu'aux tabourets. Ce bâtiment a été remis clé à la main aux Congolais sous le régime de
Mobutu. Et c'est aussi clé à la main qu'a été rendu l'immeuble de la fameuse bourse de Kinshasa, une
tour de 16 étages, construit le long du fleuve Congo, tout en verre, utilisant un système de climatisation parmi
les plus onéreux. Cette bourse est aujourd’hui désaffectée et est un danger public. La tour de la Sococom,
bien qu'utilisé encore, n'est pas en meilleur état. « Quelles sont les entreprises qui ont bénéficié à l'époque de
148
santé publique. Le cas de Gbadolite, abandonnée à elle-même, où la nature a repris tous ses droits,
est sidérant. « Quelque 14 ans après le départ du président zaïrois, rien ne subsiste de ses grandes
réalisations. Rongés par le climat, dévastés par les pillages, envahis par la brousse, les
infrastructures et les palais pharaoniques du Guide suprême ne présentent plus qu'un squelette
dépouillé de tout son faste au visiteur…Aujourd'hui, des militaires et leurs familles ont installé…
des réchauds au charbon de bois et des campements au milieu des anciennes salles de bal. L’État
congolais ne s'est pas encore relevé des dettes accumulées au cours de cette période de gabegie
financière.337 » D'après les chiffres de l'Office de gestion de la dette publique (OGEDEP) à
Kinshasa, les États-Unis sont le premier créancier, avec 1 295 millions de dollars, soit 23 % du
total. Viennent ensuite la France (1 092 millions de dollars, soit 20 %), la RFA (709 millions de
dollars, soit 13 %), la Belgique (634 millions de dollars, soit 12 %), l'Italie (605 millions, soit 11
%). Ces montants ne comprennent pas les intérêts. Au début des années 2000, la dette extérieure
congolaise, qui équivalait une décennie plus tôt au montant des biens mal acquis par Mobutu et
son « clan » (8 milliards de dollars), atteignait plus de 13 milliards de dollars.338 Cette dette reste
collée à la République et continue de maintenir la population dans le sous-développement et la
misère.339
Entre 1976 et 1978 le taux de croissance devient négatif, au niveau de 6% l'an. L'inflation
prend de l'envol. La corruption se généralise tandis que l'économie souterraine gagne du terrain.
La capacité d'une économie moderne de créer des revenus et de la valeur ajoutée n'existe plus.
L'État congolais tombe en faillite, incapable d'honorer la moindre de ses obligations aussi bien à
l'égard de ses fonctionnaires et agents que de ses créanciers, et n'inspirant plus confiance aux
opérateurs économiques, toutes nationalités confondues, qui désinvestissent en masse.
336
337
338
339
ces contrats ? Avec qui ont été conclus les juteux accords de constructions des bâtiments, infrastructures ou
de l'aéroport ?... Ces derniers ferment les yeux devant les pratiques despotiques de Mobutu et ne reculent
devant aucun sacrifice pour maintenir le Zaïre sous influence. L’aide “ au développement“ et les prêts au
tyran vont bon train, peu importe l’usage qui en est fait. La dette du Zaïre et la fortune de Mobutu explosent
simultanément. Le stock de la dette passe de 32 à 300 millions de dollars entre 1965 et 1970, près de 5
milliards en 1980 et environ 13 milliards en 1998.» Caroline Six, op.cit.
Petit village de Mobutu transformé par lui et sur sa seule initiative en grande ville du pays avec une énorme
infrastructure dont le barrage de Mobayimbonge, un aéroport international et deux palais présidentiels. Dans
l’esprit de son initiateur, Mobutu, cette ville, située à l'extrême nord du pays, à plus de deux mille kilomètres
de Kinshasa, devait devenir la capitale du Congo, alors Zaïre. C’est là qu’il tenait ses multiples réunions et
c’est aussi là qu’ils recevaient ses hôtes de marque. Il y avait tous les jours un incessant ballet d’avions,
transportant toutes sortes de personnages depuis Kinshasa, aux frais de l’État. On dit même que son épouse
immobilisait un avion long courrier pour faire le transport de sa vaisselle de Kinshasa à Gbadolite.
Caroline Six, op.cit.
Arnaud Zacharie, op.cit.
« Le plus odieux dans cette histoire, ce n'est même pas tant qu'un mégalomane ait pillé les congolais la
main dans la main avec ses amis complices, il y a plus de dix ans, mais encore que pendant plus de dix
années qui ont suivies on a continué à demander aux Congolais de payer pour le pillage organisé dont ils ont
été les premières victimes. » Idem
149
« Économiquement donc l'État “mobutien“ est essoufflé et asphyxié. Dès lors, la masse salariale
diminue drastiquement et les salaires ne sont quasiment plus réajustés ni payés régulièrement.
L'offre globale d'emploi, déjà insuffisante, se réduit comme peau de chagrin. En effet, l'emploi
formel passe de 2,7% de la population totale en 1967 à 1,7% en 1999 ; le niveau des salaires dans
le secteur formel passe de 1.500 US $ à 50 US $ au cours de la même période. Les infrastructures
sociales se dégradent chaque jour davantage pour ne rester que des ruines le plus souvent envahies
par la brousse à l’arrière-pays. L'élite politique et commerciale, quant à elle, adopte une réaction
perverse et violente de criminalisation de l’économie.340
Le Congo que Mobutu quitte en 1997, après y avoir été chassé par M’zée Laurent-Désiré
Kabila, lui-même soumis à une guerre impitoyable de l’alliance rwando-ougando-burundaise
portée par les Anglo-saxons, est un pays où l’État n’exerce pas d’autorité réelle sur le territoire, un
« Far West où des sociétés, constituées avec des capitaux étrangers logés dans des paradis fiscaux,
se sont accaparé,… d’immenses concessions minières, plus particulièrement ceux de la Générale
des carrières et des mines (Gécamines) dans la province du Katanga.341 » Voici la description que
font Marie-France Cross et François Misser de cette hécatombe congolaise. « Naufrage social en
chiffres. 80% des ménages congolais vivent avec moins d’un dollar par jour et par personne, 64%
des Congolais souffrent de malnutrition, 2% de la population mangent un jour sur deux, 55% des
Congolais n’ont pas accès à l’eau potable, 60% de la population n’ont pas accès aux soins de santé
primaires, 80% du sang transfusé dans le pays n’est pas sécurisé, le choléra et la trypanosomiase
sont à nouveau endémiques, 30% de la population ont une prévalence du goitre, 52% des femmes
congolaises sont analphabètes, à Kinshasa 30% des enfants vivent dans la rue, 90% des Congolais
n’ont pas d’emploi, 85% de l’économie est informelle, etc.342 » Ce n’est pas tout. « Certaines
régions du pays, sont aujourd’hui si isolées, faute de transports praticables, que plus aucun
marchand n’y passe et, les Congolais ayant oublié comment leurs ancêtres fabriquaient des
vêtements en fibre d’écorce, leurs habitants n’ont plus de quoi se vêtir. Lorsque, par
extraordinaire, un étranger arrive, tous les villageois se cachent, le temps de trouver, entre les
maigres possessions de tous, de quoi rendre décent un représentant : on assemble sur lui ce qui
reste d’une chemise, on superpose plusieurs shorts afin que les trous ne correspondent pas… Les
Nations unies ont créé, pour leurs rapports, une catégorie particulière où classer ces pauvres gens :
les ‘nudistes’.343 »
340
341
342
343
Ibidem
Serge Bailly, op.cit. 97
Marie-France Cros et François Misser, op.cit. p. 43
Ibidem, p. 61
150
Ce naufrage social
344
n’est pas nouveau évidemment. C’est le bilan désastreux de la
mission civilisatrice au Congo. Déjà en 1940, M. Ryckmans, gouverneur général du Congo belge
tirait la sonnette d’alarme. « Nos indigènes des villages n’ont rien de superflu. Leur niveau de vie
est si bas qu’il doit être considéré comme inférieur au minimum vital. La masse est mal logée, mal
vêtue, mal nourrie, illettrée. Nous sommes dans une impasse ; à côté d’entreprises européennes
prospères, l’économie indigène végète. 345»
Vingt ans plus tard, Lumumba faisait le même
constat. « …Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous
permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever
nos enfants comme des êtres chers… Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour
opinions politiques ou croyances religieuses : exilés dans leur propre patrie, leur sort était
vraiment pire que la mort elle-même.346 » Il n’y a donc rien de nouveau sous ce soleil là. Le
Congo nouveau égale le Congo ancien, il est toujours belge, c’est-à-dire toujours colonisé. Il a
simplement changé de main.
Au Congo, la colonisation se succède à elle-même d’année en année. L’Élite dite
congolaise a repris la main. Marie-France Cros et François Misser qualifient ainsi les intellos : «
des ‘branchés’, familiers de la téléphonie mobile depuis bien plus longtemps que les Européens,
coma des lignes fixes oblige, et virtuoses de l’ordinateur grâce aux cybercafés qui pullulent.347 »
En plus de leurs multiples téléphones portables, à Kinshasa, on les reconnaît aussi par leurs
véhicules pimpants neufs tout terrain 4X4
348
et par leurs immenses villas dans les nouveaux
quartiers qu’ils ont bâti pour eux, “ Ma Campagne, Mbinza-Delvaux, Mbinza-Upn ou MontNgafula. “ Comme leurs maîtres, ils vivent séparés, eux aussi, du peuple congolais. Jusqu’à ce
jour, et depuis que la colonisation belge a partagé la ville en deux, le fleuve Congo a été confisqué
au peuple de Kinshasa. Le fleuve reste toujours invisible des Kinois. « Contrairement à d’autres
villes du monde où les habitants aiment à flâner le long des canaux et des fleuves, les Kinois ne
peuvent s’étendre sur les berges recouvertes d’herbe ou goûter au coucher du soleil sur le Congo
Brazzaville… La ville, qui s’étend sur des kilomètres à l’intérieur, connaît cet apartheid sournois
344
345
346
347
348
A propos de naufrage social, un article du Journal Le Monde, du 11 mai 1999, relate que « dans des
pays de l’OCDE, dont la Grande-Bretagne, l’écart entre les 10% des salariés les mieux payés et les
10% les moins bien payés est passé de 7,5 contre 1 en 1969 à 11 contre 1 en 1992. » Des chiffres qui
laissent songeur. Cfr Jean-Claude Guillebaud, LRFLM, p.188
Cité par François Ryckmans, MN, p.119
Discours de Patrice Emery LUMUMBA le 30 juin 1960, http://www.nzolani.net
Idem, p. 59
Abadengo Nduka, Élus du peuple : quid des rapports des vacances parlementaires, L’Observateur,
« très peu de sénateurs et députés rentrent dans leurs bases respectives. Ils profitent de leurs vacances
parlementaires pour se reposer en Europe… D'autres, par contre, on les voit à travers les artères de la
ville de Kinshasa pendant toutes les vacances parlementaires, roulant à bord de leurs Jeeps. Allegrement.»
Kinshasa, 8/02/2011 http://www.mediacongo.net/show.asp
151
qui consiste à interdire l’accès du fleuve à sa population riveraine. »349 Aujourd’hui ce sont les
ambassades, les missions diplomatiques et les résidences des ambassadeurs qui jonchent le fleuve.
Comme on peut le voir, rien n’a vraiment changé pour les peuples du Kongo depuis près de cinq
siècles de domination européenne. La dictature coloniale est toujours implacable. Les peuples du
Kongo sont donc étrangers sur le sol de leurs ancêtres, ils vivent toujours résignés ; ils crèvent de
misère, vivent dans toutes les difficultés.350 C’est le quotidien de la population. Elle n’ignore rien.
Mobutu et ses hommes ont régné sur le pas des colonisateurs qui les avaient installés au
pouvoir. Ce pouvoir là continue, car les Mobutistes sont revenus en masse au pouvoir par le
truchement des guerres. Le peuple ne croit pas en ces dirigeants là, il n’espère donc rien des
dirigeants actuels ou à venir. Il sait qu’il n’y aura pas de changement pour lui. Ce sont les mêmes
qui vont revenir au pouvoir toujours et toujours. Car ils sont tous les mêmes. Le peuple avait
espéré être débarrassé définitivement des Mobutistes et de leur régime à l’arrivée de M’zéé
Laurent-Désiré Kabila. En effet, la plupart d’entre eux, à commencer par Mobutu lui-même,
avaient fui le pays et s’étaient réfugiés en Europe, rejoignant pour beaucoup leurs familles qui y
vivaient depuis longtemps. Ils pouvaient aller parler le français en Europe avec leurs enfants qui
sont élevés pour aller vivre là-bas. Les enfants des Mobutistes fréquentent les écoles réservées aux
enfants européens, écoles belge ou française quant ils sont au Congo.
Beaucoup continuent à faire leurs écoles primaires et secondaires en Europe. Ils se sentent
beaucoup mieux là qu’au Congo. Pour peu qu’ils vivent à Kinshasa, ils n’arrivent pas dans des
quartiers populaires. Ils ne connaissent pas Kinshasa, sinon leurs fameux quartiers huppés. C’est
donc sans regret que les Mobutistes sont partis de Kinshasa. Le peuple, quant à lui, était content
de les voir partir. Il respirait un vent nouveau, le vent de liberté et de fierté. Il espérait pouvoir
vivre enfin dignement dans son pays sans tracasserie, sans discrimination, sans injustice,
débarrassé de la corruption tout azimut. Mais ce rêve s’est vite brisé, car les Mobutistes sont
revenus, ils ont repris le pouvoir, ils ont de nouveau beaucoup d’argent et l’utilisent pour se garder
au pouvoir à travers des élections qu’ils organisent et dont ils sont certains de gagner. Le peuple
dit qu’ils sont revenus parce qu’ils n’avaient plus d’argent en Europe. Ils commençaient à vivre
comme des clochards.
Mais eux narguent la population. « Vos oppositions, vos jérémiades, et vos cris n’ont rien
changé, nous sommes là, nous sommes de retour. » Ils ont repris tous leurs anciens avoirs, tous
leurs biens mal acquis et s’en servent impunément au su et au vu de tout le monde, sans la
moindre inquiétude. Le peuple est dépité, impuissant. C’est pour cela que pour lui, les élections,
349
350
Serge Bailly, op.cit. p. 19
Cfr Mwisa Camus, in Mémoires noires, op.cit ; p.113
152
quel que soit leur rythme, sont un passe-temps, un vrai gouffre financier inutile. Leur coût
exorbitant est tout simplement ahurissant dans un pays aussi pauvre et ruiné. « En 2006, le budget
global dégagé par l’Union européenne au profit du processus électoral en RDC a été de 397
millions d’euros, soit environ 500 millions de dollars.351 » Les élections de 2011 sont évaluées à
plus de 750 millions de dollars352. Entre temps le revenu moyen de l’électeur villageois est de
0,23$. Pourquoi utiliser tant d’argent pour remettre au pouvoir ceux qui le sont déjà, qui s’y sont
installés armes à la main, et qui n’ont rien à craindre ! Comment espérer ou penser, dans ces
conditions, que la population applaudisse cette gabegie ? Aujourd’hui le peuple est tellement déçu,
désespéré, qu’il ne cherche qu’une seule chose : partir de Kinshasa, partir du Congo, à tout prix
vers n’importe quelle direction, Angola, Gabon, Cameroun, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud,
Europe, Amérique, Canada. Au point que n’importe quel avion, n’importe quel bateau ou train
serait rempli à la minute des candidats à l’exil volontaire si l’occasion leur était donnée. L’élite a
donc beau s’époumoner dans des meetings pour mobiliser la population, elle ne la convainc pas.
Elle a ruiné le pays, elle a enlevé au peuple tout espoir.
Il est vrai que la population se déplace, souvent en grand nombre, pour aller applaudir l’un
ou l’autre politicien venu tenir un meeting dit politique où il n’est souvent question que des
promesses fallacieuses353, sans programme et sans vision réelle. Dans les jours à venir, la
population se déplacera aussi. Elle ira écouter ces hommes et femmes, cette élite aux appétits
gloutons. C’est qu’elle n’a pas le choix. Elle vient se distraire, danser, s’amuser, car
habituellement elle n’a pas de distraction surtout dans ces villes-prisons où elle vit entassée et
pauvre. Elle y vient aussi dans l’espoir de recevoir un petit rien de la part de ces grands
détourneurs des deniers publics. « ...de nombreux habitants de Kikwit, dans la province de
Bandundu, adhèrent actuellement à plusieurs partis politiques... Devenue très courantes ces
dernières années, ces pratiques d’adhérer à plusieurs partis à la fois, s’accentuent à l’approche des
élections. A Kikwit, comme un peu partout en Rd Congo, les gens savent, en effet, que c’est le
seul moment où ils peuvent obtenir quelques cadeaux de politiciens, qui viennent solliciter leurs
voix.354 » Car c’est avec l’argent de l’État que les politiciens font leurs campagnes électorales.
C’est pour cela que les nominations aux postes de commandement des services générateurs des
351
352
353
354
Le Potentiel, in http://afrique.kongotimes.info/rdc/election/combien-couteront-les-elections-de2011.html
Le Potentiel, du 7 avril 2011 http://radiookapi.net/revue-de-presse/2011/04/07/le-potentiel-elections2011-30-avril-date-butoir
Le monde Kongo a intégré le mot français « politique » dans son langage ; en langue kikongo politique veut
tout simplement dire mensonge. « Katuka yina kele politique, laisse tomber c’est de la politique, tu ments. »
Badylon Kawanda Bakiman, Kikwit : adhérer à plusieurs partis pour amasser des cadeaux, Syfa Grands
Lacs du 07/10/2011 http://syfia-grands-lacs.info/index.php
153
recettes sont politisées. Les présidents-directeurs-généraux et autres mandataires appartiennent
aux partis politiques au pouvoir et alliés. Ils y sont placés pour faire des prélèvements des fonds en
faveur de leurs chefs de partis, s’ils ne le sont pas eux-mêmes. Moyennant ce pactole important,
ils s’engagent dans des campagnes tapageuses à l’américaine où l’argent coule à flou. Le petit
peuple va aux “meetings politiques“ dans l’espoir de trouver son compte à travers une bouteille de
bière, un billet de banque, une casquette ou un T-short. Bien souvent l’attente du peuple s’arrête
là. Il sait qu’il n’aura plus rien après. Car une fois élu, le candidat même du village l’oublie355 et
va mener sa vie à Kinshasa, tout tourné vers l’Europe. J’ai rencontré à Bandundu-ville des
ministres provinciaux dont les familles résident en Europe. La situation est encore flagrante au
niveau de Kinshasa où parlementaires et ministres gardent leurs familles en Europe dans l’attente
d’y retourner quand ils auront amassé suffisamment d’argent. De cette élite là il n’y a pas grandchose à attendre. Le peuple le sait. Car elle s’accroche au pouvoir pour l’argent et les honneurs.
Elle veut le pouvoir à son service et rien qu’à son service.
A l’époque de Mobutu, les ministres ne se gênaient pas de construire, en quelques jours,
des routes bitumées pour relier leurs maisons personnelles à leurs bureaux au centre-ville. Car au
Congo, une fois qu’ils sont nommés ministres, présidents-directeurs généraux ou parlementaires,
les cadres changent de style de vie. Ils cessent d’être des Congolais comme les autres et
deviennent des dieux comme l’étaient les colons. C’est l’allure de vie imposée par le régime mobutiste
à l’élite congolaise qui s’y plaît. Cette classe politique mobutiste est celle qui est arrivée au pouvoir à
partir de l’indépendance, celle des “évolués, “qui s’est contentée de prendre la place des colons
sans modifier le système. « Qui a voulu vivre comme lui : vivre nettement au-dessus de la masse
et distanciée de celle-ci. Qui a transféré ses fonds dans les banques occidentales, comme le
faisaient les colons.356» Ils ont réussi la prouesse de faire pire que Léopold II et ses hommes. Ils
ont, quant à eux, réduit le Congo-prison de Léopold II en enfer pour leurs propres compatriotes,
frères, parents et amis. La classe politique congolaise excelle dans les signatures des contrats avec
des gouvernements et des entreprises étrangers, n’importe quel contrat, y compris des contrats
léonins ou des fonds vautours, à n’importe quel prix, pour vu qu’elle en tire des commissions à ses
avantages personnels. La publication de la liste de tous ceux qui ont signé des contrats de toute
sorte au nom du peuple congolais sera révélatrice. Elle risque d'être très longue. En 1998, la
reprise de la guerre, a été comme en 1997 et bien avant en 1965 à l’avènement de Mobutu, ou en
1961 avec Tshombe au Katanga, « l’époque des contrats léonins accordés…à des sociétés… qui
355
356
"Je cherche un peu de fonds pour faire mon petit commerce. C'est le moment d’en profiter car, après les
élections, les élus vont nous tourner le dos comme d'habitude." Propos recueillis par Badylon Kawanda
Bakima, op.cit.
Marie-France Cros et François Misser, op.cit. p. 40
154
ont abondamment profité de la faiblesse dans laquelle se trouvaient leurs interlocuteurs congolais
pour leur extorquer des avantages exorbitants.357» Ainsi des territoires entiers, des sociétés de
droit étatique, etc. sont à la merci des étrangers. L’élite congolaise, souvent formée par les
missionnaires, très encline au « talent oratoire du chef à l’agilité de la pensée occidentale 358»,
perpétue le système colonial. Elle ne se soucie ni du pays, ni du sort de ses propres parents et
amis. L’état lui sert de caisse ou de manne pour amasser des richesses. Notre “future ministre“ qui
veut se présenter aux prochaines élections est dans cette tendance mobutiste ou coloniale comme
bien d’autres malheureusement. Les contrats chinois présentés comme exemplaires puisque à très
faible taux d'intérêt359 entrent eux aussi dans la même tendance mobutiste ou coloniale des
infrastructures sans développement, sans le bien être de la population. A Kinshasa, par exemple,
où divers travaux ont été entrepris, ils n'ont pas généré des emplois. D'autre part, le gouvernement
justifie son option de troc, infrastructures contre minerais, pour contourner la corruption360 qui
gangrène toutes les sphères de l'État et qui aurait donc hypothéquer des prêts éventuels. Dans ce
cas ne fallait-il pas commencer d'abord pour endiguer ce fléau de la corruption ? Faut-il rappeler
que la Chine que tout le monde cite aujourd'hui en exemple a elle-même commencé par lutter
contre la corruption361 ! Ce qui lui a permis de maîtriser son économie et de penser ainsi à sa
reconstruction. Celle-ci est avant tout l’œuvre des Chinois et non des pays amis, même pas de
ceux qui lui ont apporté l'argent nécessaire. Le développement de la Chine, tout comme celui de
beaucoup d'autres pays par le monde est un travail de longue haleine. C'est après avoir vaincu la
corruption, que le gouvernement aurait engagé la construction des divers travaux en se servant du
génie propre de notre peuple et
357
358
359
360
361
des compétences multiformes qui s'y trouvent et qui sont
Marie-France Cros et François Misser, op.cit. p. 106
Serge Bailly, op.cit. p.63
« Le préfinancement chinois est un prêt sur 30 ans au taux de 0,25% assuré par la banque d’Etat China Exim
Bank... les échéances de remboursement et le taux d’intérêt offerts par la Chine sont exceptionnels et
extrêmement concessionnels... Le taux d’intérêt liés aux contrats miniers signés par la Gécamines avec les
firmes occidentales varie entre 15 et 20% l’an. » Frédéric Kabasele, op.cit. p.2
D'après Frédéric Kabasele " On ne peut pas reprocher à ces contrats d’annihiler les efforts de bonne
gouvernance encouragés par nos autres partenaires car étant en réalité des accords de troc, minerais
contre travaux d’infrastructure, ils présentent l’avantage de laisser très peu de place à la corruption et au
détournement des fonds. Cet aspect constitue un atout et non un inconvénient car plus adapté à nos
réalités de gestion. » op.cit. p. 2
Le maoïsme qui est la base de la Chine actuelle ... met l'accent sur l'indépendance nationale, compter sur
ses propres forces et sur le développement équilibré de la paysannerie et de l'industrie légère, marcher sur ses
deux jambes. Historiquement, la redistribution des terres aux paysans a commencé par la réforme agraire, (la
protection de la terre ou la terre pour tous, et d'abord pour les paysans, le petit peuple des villages. « Cette
parenthèse c'est nous qui l'ajoutons). Cette réforme sociale a été dans un premier temps saluée par la plupart
des Chinois car la période précédente était une période de grande corruption.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Maoisme
155
justement mis en mal par ce fléau. D'ailleurs la population reproche au pouvoir actuel d'être
corrompu lui aussi. Et quand c'est le peuple qui le dit, il sait de quoi il parle. Notre peuple serait
tout heureux de voir son élite endiguer la corruption et réaliser elle-même les travaux de
construction des infrastructures, non sans y avoir trouvé son compte, celui du développement de
son vrai milieu de vie, à savoir les villages et les périphéries des villes, où il vit présentement
entassé et affamé, sans espoir.
156
2. Le pays, conduit à l’agonie.
« En 1980, la R.D.C. comptait plus de 1800 entreprises manufacturières, à ce jour, nous en
dénombrons 110. Ce qui
engendre
un
chômage
exorbitant, et une situation
non
propice
au
développement durable de
la
Nation.
A
côté
l’économie informelle, qui
représente plus de 60 %
du PIB, il y a 11% pour le
secteur
industriel
formel. 362» « A Kinshasa, les 3/4 des activités économiques sont informelles. Ce secteur de petits
métiers et services est composé principalement des coiffeurs, cordonniers, quados363, laveurs de
véhicules, chargeurs d’automobiles (dockers), marchands ambulants, tailleurs, ajusteurs, vendeurs
des produits pétrolier, cireurs, boutiquiers, vendeurs de produits médicaux traditionnels, poussepousseurs, etc. 364» On peut dire sans risque de se tromper qu’il n’y a pas plus de 100.000 emplois
stables à Kinshasa pour une population active de plus de 3 millions des personnes. Déjà en 2004
« le taux de chômage en République démocratique du Congo venait de dépasser la barre de 90 %
par rapport à la population active. Selon les dernières estimations de l’Institut national des
statistiques, ce taux s’est situé à 95,6 % en 2004, après avoir atteint le summum de 97,1% deux
ans auparavant.365» Cette situation ne s’est pas améliorée d’un iota. Aujourd’hui il n’y a presque
pas d’industries à Kinshasa, où se sont réfugiés pourtant des millions des personnes fuyant des
difficultés de toute sorte dans l’arrière pays. C’est donc une situation d’hyper-chômage qui
362
363
364
365
Danny Masson, une industrie forte en Rdc, in http://danymasson.skynetblogs.be/tag/industrie+congolaise,
14/05/2011
Petits réparateurs des pneus.
Lomami Shomba, La promotion de l’économie informelle en droit congolais: quelle option lever entre sa
reforme et sa formalisation ? Mémoire présenté et défendu en vue de l’obtention du grade de Licencié en
Droit Option : Droit économique et social, Université de Kinshasa Faculté de droit Département de droit
économique et social, Année académique : 2002 – 2003, p. 3 et 5, in
http://www.infotheque.info/memoires/Lomami_Shomba.pdf
Crispin Malingumu Syosyo, Pauvreté et emploi au Congo-Kinshasa: Vers quelle équation sociale?, Congo
Interim Agency, http://www.ciardc.com/articles/pauvrete-et-emploi-au-congo-kinshasa-vers-quelle-equationsociale/04-12-2010
157
englobe tout en son sein ; à savoir « des individus ayant mis plusieurs années sans emploi stable et
formel, rémunérateur et qui se sont convertis dans le secteur informel… les travailleurs pauvres
constitués dans la plupart de cas de fonctionnaires et travailleurs du secteur public 366» sans
oublier la grande masse des femmes qui ne bénéficie ni de formation, ni de travail, encore moins
de rémunération. Et les jeunes qui vont à l’école pour venir grossir les rangs des sans emplois et
des chômeurs déguisés.
On imagine à peine dans quelle misère vivent ces gens. Et surtout quelle angoisse les
habite en permanence, car l’emploi est source de reconnaissance sociale et facteur d’intégration
des individus dans la société. Le taux de chômage est tel que « la majorité de la population
congolaise s’est lancé dans des activités informelles de toutes sortes, considérées comme réponse
à une crise structurelle et multiforme et pour laquelle la devise demeure celle de vivre, vivre à tout
prix ». 367 Dans la ville de Kinshasa tout le monde vend à tout le monde. La chaîne des
intermédiaires est interminable. La conséquence est l’explosion constante des prix, surtout ceux
des biens de première nécessité, la nourriture notamment. Le baromètre des prix à Kinshasa est
fixé par le prix du sac des cossettes de manioc, nourriture de base de la population. Il est en
constante augmentation. Il n’y a pas de réelle politique gouvernementale pour augmenter la
production de manioc et améliorer les moyens de transport afin de faire baisser les prix. La
population doit se débrouiller elle-même. Elle assiste ainsi impuissante à son exécution, à sa mort
inéluctable. C’est pour cela qu’elle accuse l’élite et sa classe politique d’être responsables de ce
désastre qu’elle vit au quotidien à cause de manque total d’initiatives propres. Le peuple ne voit
rien venir depuis des années et des années. Plutôt que de créer des emplois, d’apprendre à la
population des techniques nouvelles pour augmenter et améliorer la production des biens et des
services, mettre le peuple au travail, l’élite s’adonne au vol et à la corruption et propose la danse
révolutionnaire comme solution de sortie de crise ; à moins que ce ne soit des travaux
éléphantesques ou de prestige inutiles.
366
367
Idem
Ibidem
158
Le vaste programme de reconstruction du pays, conçu par le gouvernement issu des
élections de 2006, est axé entre autre sur la reconstruction des routes. A Kinshasa la priorité a été
donnée aux anciennes routes coloniales, ces longs boulevards qui traversent les quartiers sans
s’arrêter, conduisant au final à la fameuse ville européenne aux larges avenues et aux belles
maisons368. Quelques routes sont déjà reconstruites par les Chinois que l’on voit partout. Le
boulevard du 30 juin au « centre-ville », la route du fleuve à Ngaliema, le boulevard triomphal en
face du palais du peuple, siège du parlement et l’avenue Mulele qui part du centre-ville vers la
prison de Makala en passant par Bandalungwa, le boulevard Lumumba à Limete, l’ancien quartier
chic des colons belges. Ces routes coloniales modernisées de Kinshasa sont déjà qualifiées des
mouroirs par la population. « Ces artères ‘modernisées’, très élargies, offrent le visage des vastes
cours d’eau douce dont on ne peut apercevoir les rivages, surtout pendant la nuit. C’est que la
modernisation des infrastructures routières qui ressemble à une “valeur importée“ de la culture du
vieux continent, appelle une discipline rigide pour limiter les dégâts. Le danger est bien réel et
permanent. Très peu de chauffeurs respectent les bandes piétonnes. A l’inverse, la plupart des
piétons ignorent tout de la traversée de chaussées. Et vite, la désolation est arrivée. 369»
368
369
Idem, p.17
« Boulevards-mouroirs », Le Potentiel du 19-04-20011 cfr http://www.congoforum.be/fr
159
La raison d’être de toutes les autres réalisations, qu’il s’agisse de l’utilisation des « contrats
chinois » ou des « cinq chantiers », c’est qu’elles sont orientées, soit vers les routes qui servent à
l’évacuation des minerais, soit vers des réalisations de prestige à Kinshasa, au lieu de s’occuper
des voies qui peuvent servir à ravitailler le pays et à dynamiser son agriculture.370 La
reconstruction et modernisation de ces routes apparaît aux yeux de l’opinion comme la
résurrection de la colonisation371. C’est pour cela que la population les regarde avec indifférence,
sinon avec mépris. Elles seront sans nul doute et sans tarder, comme durant la colonisation belge,
des hauts lieux des disputes, des conflits et des violences de la part de la population révoltée, car
désabusée une fois de plus. A propos de ces “routes chinoises“, le journal kinois « le Potentiel »
rapporte une anecdote qui en dit long. « Un enfant de la 5ème année primaire pose deux drôles de
questions à son père. La première
: - “Papa, pourquoi parlez-vous
ces derniers temps des Chinois
pour la construction de nos routes
alors que vous êtes ingénieur ? “Réponse : “ Je suis ingénieur,
mais il me manque de moyens “.
Et l’enfant d’enchaîner : - “ Papa,
dites-moi si tous les Chinois
mouraient aujourd’hui, qui va
construire notre pays “. Sourire
jaune du père : “ Hein ! D’abord
tous les Chinois ne peuvent pas
mourir d’un seul coup, et même
s’ils mouraient, nous allons nous débrouiller ailleurs “. Drôle de réponse n’est-ce pas pour un
parent doublement ingénieur full ? Ce qui nous intéresse ici, c’est la finale de sa réponse : “…
nous allons nous débrouiller ailleurs“. Voilà la manie de l’élite congolaise.372»
370
371
372
CongoForum, le mercredi 4 mai 2011 http://sn104w.snt104.mail.live.com/default.aspx?wa=wsignin1.0
C'est ce que dit Frédéric Kabasele dans son article déjà cité : «A l’Est du pays, la coopération sinocongolaise ambitionne de relier Mahagi (situé à l’extrémité nord de la Province Orientale) à Sakania (à
l’extrémité sud du Katanga), permettant ainsi la réalisation du vieux rêve nourri par Cécile Rhodes et les
pères de nos indépendances à savoir, relier un jour par route le Caire au Cap. Imaginez alors les retombées en
termes de recettes touristiques et transitaires. De l’autre côté de la frontière, le chemin de fer menant au Port
de Lobito (en Angola), en cours de réhabilitation par les Chinois en ce moment, reliera l’Océan Atlantique au
Katanga et le Katanga au Port de Dar-es-Salam via Dilolo et Sakania et la Zambie. »
Rich Ngapi, Apostrophe : Intellectuels perroquets, in 27.05.11 Le Potentiel du 27.05.11,
http://www.congoforum.be/fr
160
Les routes reliant Kinshasa à Kikwit et Kinshasa à Matadi sont aussi reconstruites par des
étrangers, Belges, Français, Américains, Chinois. Ce sont les deux seules voies de sortie de cette
grande mégapole de plus de huit millions d’habitants. La route de Kikwit, elle, est autrement
étonnante. A partir de Kikwit, elle se termine sur un terrain vague. C’est la première route au
monde qui ne mène nulle part. Elle s’est ainsi arrêtée en pleine brousse, au milieu de nulle part.
Cette route a une caractéristique particulière. Elle évite toutes les grandes agglomérations et même
les simples villages. Les ingénieurs italiens qui l’ont conçue, l’ont voulue en ligne droite. Les
villages et villes devaient se situer sur cette trajectoire si elles voulaient être servies par la route.
Sinon ils n’avaient qu’à s’en prendre à eux-mêmes. Les ingénieurs, eux, n’avaient rien à y faire.
Le sort de la population ne les intéressait guère. Ils l’ignoraient, vivant quant à eux dans des
camps à eux sans contact avec la population sinon avec les ouvriers sur les chantiers.
Je me souviens du début de la construction de cette route. C’était en 1975. J’étais en
sixième secondaire au petit séminaire de Kalonda, à 350 km en venant de Kinshasa, au sud-est.
Avant cette nouvelle route rectiligne, la route de Kinshasa passait à 500 m de notre école. C’était
une route en terre. Cette route traversait alors de nombreux villages dont le village Kalonda à trois
kilomètres du séminaire et celui de Beach à un kilomètre et demi, ainsi de suite jusqu’à Kenge.
Tous les jours les gros véhicules passaient. Beaucoup d’entre eux, entraient au séminaire, où il y
avait un garage, pour faire des réparations ou acheter du carburant. La petite cité du Beach était
florissante et vivait du commerce car il y avait là un bac que les véhicules devaient emprunter
pour traverser la rivière Inzia. Mais du jour au lendemain, toute cette activité s’est arrêtée, car le
tracé de la nouvelle route la faisait passer à dix kilomètres plus au sud, à Misele, un lieu dit,
inhabité. C’est là qu’un pont a été construit. Ainsi notre séminaire et tous les villages tout autour
se sont retrouvés isolés et abandonnés. Car à cause de cette nouvelle donne, beaucoup de gens ont
quitté leurs villages pour aller habiter à Misele. Ce lieu s’est ainsi transformé en un centre
nouveau, recevant les gens de partout. Mais ici les habitants n’avaient pas de repère, car ce centre
ne dépendait d’aucune tradition. Il se présentait surtout comme un lieu de permissivité négative du
point de vue des mœurs. Il est reconnu jusqu’à ce jour comme un foyer de la prostitution. J’ai un
ami qui vivait à Misele et qui pratiquait l’agriculture et le petit élevage. Il a dû quitter ce centre car
toute sa production était volée ou méchamment détruite. Il en est très désolé. Les ingénieurs
italiens ou autres européens justifient ces tracés pour diminuer les coûts des routes. A Misele par
exemple, la rivière Inzia est moins large par rapport à Kalonda-Beach. Et pourtant un partout dans
le monde on construit des ponts sur tous types de terrains, même sur des terrains tout à fait plats
161
sans rivière ni falaise. Il y a même de ponts de plus de dix kilomètres juste pour relier deux entités
séparées par une falaise.
Comme Misele, d’autres centres semblables sont nés le long de la longue route jusqu’à
Kikwit, mais aussi depuis Kenge jusqu’à Kinshasa au détriment des centres et villages existants.
Un vrai paradoxe. La route qui aurait pu amener des changements substantiels des villages vers
leur
mieux
être,
comme c’est le cas
sous d’autres cieux,
les a tout simplement
enterrés, les réduisant
à leur plus simple
expression. Elle est
aussi étrangère aux
quelques
villages
qu’elle traverse car
elle ne fait qu’y passer
son
chemin.
Manimba
sur
Masicette
route est l’unique agglomération que la route traverse, parce qu’elle se trouve sur son tracé. Ici
aussi la route ignore le centre de Masi-Manimba qui n’est pas sur sa ligne. Les autres villes, y
compris Kikwit, ont dû déménager. Le pont sur le Kwilu a été construit en dehors de
l’agglomération comme tous les autres ponts qu’enjambe cette route. Ainsi la ville de Kikwit s’est
déplacée de la cité appelée Kikwit II vers la nouvelle route où des nouvelles cités sont nées,
Kikwit III et Kikwit IV, Kilokoko, Mwanga-Dibaya etc. La ville de Kenge a aussi déménagé vers
« la Barrière », le lieu où la route touche la ville, tout au nord. Ainsi donc cette longue, très longue
route, 600 km depuis Kinshasa jusqu’au lieu où elle s’est arrêtée au milieu de nulle part après
Kikwit, a évité villages et agglomérations sur son passage. Bien plus, entre Kinshasa et Kenge,
elle traverse un relief presque désertique. Il n’y a ni forêts, ni rivières, ni villages ni populations.
La route parcourt ainsi des kilomètres et des kilomètres sans relier rien à rien, avec un seul
objectif, atteindre Kikwit par Kenge en ligne droite. Quand on emprunte cette route depuis
Kinshasa, si on ne connaît pas le pays, on a l’impression qu’il est complètement inhabité tant
l’espace traversé est si inhabité à perte de vue du fait que la route a évité les forêts et les rivières,
endroits propices où vivent les populations. Cette route traverse les rivières sur tout son parcours
sans les longer, sinon le fleuve Kwilu sur quelques kilomètres après Kikwit. Mais ici la route qui a
162
aussi traversé le fleuve Kwilu à Kikwit, longe une côte inhabitée. La population yansi, nombreuse,
se trouvant un peu plus au nord a été évitée tout comme la population pende au sud. Ce sont ces
deux populations qui nourrissent la ville de Kikwit, principalement la population yansi. D’ailleurs
la route aurait eu une vraie valeur ajoutée si elle avait continué sur Gungu par la rive gauche et
traverser le Kwilu après cette ville ou alors traverser le Kwilu à Kikwit en direction du nord pour
aller rejoindre ensuite Idiofa. Elle a plutôt délibérément évité aussi bien les populations au sud
qu’au nord de Kikwit. Elle a suivi un tracé incompréhensible, sinon suivant la logique coloniale
qui ignorait le bien de la population dans la réalisation de ses infrastructures. Par conséquent cette
route n’amène aucune plus-value au pays. Elle est pourtant la seule route bitumée existante dans
toute la grande province de Bandundu373. Elle aurait due suivre une meilleure trajectoire
susceptible d’atteindre plus d’agglomérations et de population.
Au
contraire le terrain
qu’elle traverse est
souvent
montagneux
cause
érosions
et
d’énormes
qui
la
coupent
régulièrement et la
rendent
inutilisable. Ce qui
nécessite toujours et toujours des réparations multiples. Elle vient d’être entièrement refaite par
plusieurs de consortiums chinois et occidentaux, suscitant ainsi des nouvelles dettes. D’ici à dix
ans la même opération devra être répétée sans rien engendrer pour le bien être de la population.
Car les conditions de vie du petit peuple qui a la « chance » d’habiter le long de cette route n’ont
pas changé du tout. Il est toujours aussi pauvre qu’avant sinon plus. Car cette route n’a pas été
construite pour lui. Il n’y a pas une moindre ligne de bus entre les villages. Les gens continuent
toujours de marcher à pied dangereusement au bord de la route car il n’y a pas de trottoir non plus.
Ainsi les accidents sont nombreux.
373
La province de Bandundu couvre 295.658 km² de superficie soit 12,6% du territoire national du Congo. Elle est la
quatrième province par ordre de grandeur. Cfr Monographie de la province du Bandundu, étude réalisée par l’unite de
pilotage du processus DSRP du Ministère du Plan en 2005 http://www.atol.be/docs/ebib/DRSP_Bandundu.PDF
163
Cette route est construite selon l’ancien plan colonial de relier le Katanga, province
minière, à Kinshasa en passant par Tshikapa, ville diamantifère du Kasaï. La voie ferrée en projet
devrait suivre le même tracé d’après les experts du Gouvernement conseillés par ceux de la
Banque Mondiale et du Fond Monétaire International. Ici le chemin de fer doit relier Ilebo sur le
Kasaï à Kinshasa, en prolongement de la voie ferrée Katanga-Ilebo. Comme la longue route, le
très long chemin de fer évitera aussi les grandes agglomérations situées le long des grandes
rivières plus au nord, entre les vallées du Kasaï et du Kwilu. Il prendra la direction du sud peu
peuplé pour pouvoir apporter rapidement les minerais du Katanga et du Kasaï à Kinshasa vers
Matadi pour Anvers en Belgique.
Et pourtant Kinshasa a grandement besoin d’une voie ferrée la reliant à Bolobo et
Bandundu-ville pour ouvrir les bassins des fleuves Congo et Kasaï, ainsi que ceux des lacs Mayindombe et Tumba. Ces rivières et lacs, assez proches de Kinshasa, et dont l’accès est toujours
difficile, seraient la solution la moins onéreuse pour apporter à manger à la nombreuse population
de Kinshasa et même de Brazzaville en face. Car une autre voie ferrée peut être construite en face
de Bolobo, sur la rive droite du fleuve Congo pour le relier à Brazzaville. Ainsi les villes de
Kinshasa et de Brazzaville seraient reliées aux bassins de toutes ces rivières et lacs poissonneux.
Les deux villes pourraient aussi être reliées par deux ou trois ponts, ce qui rendra la circulation des
biens et des personnes encore plus facile comme le demandent leurs deux populations qui ne sont
en fait qu’une et même population374. Elles formeraient d’ailleurs une seule ville, la nouvelle
Mbanza-Kongo, prélude de la résurrection du Kongo-dyna-Nza. La ville de Kikwit à 500 km de
Kinshasa ne vit pas des produits de première nécessité provenant de Kinshasa pour chercher à être
reliée à elle à tout prix et en tout premier lieu. Cette ville vit des échanges avec les territoires et
villes proches, à savoir Bulungu, Idiofa, Gungu, Feshi ou Mateko. Le plus urgent à faire serait de
relier Kikwit à ces territoires et villes par voie ferrée. Ce qui ferait de Kikwit un véritable
carrefour pouvant bénéficier enfin des richesses de la vallée du Kasaï et de la grande forêt
équatoriale tout au nord. Kikwit pourra être reliée à Kinshasa par cette partie nord depuis Mateko
en passant par Bulungu, Bagata, Bandundu-ville, Kwamouth et Maluku-Nsele.
Malheureusement, la préoccupation des autorités nouvelles sur le pas des anciennes, est de
construire des routes et des voies ferrées rectilignes. Elles préfèrent des longues routes375 et des
374
375
Tous les musiciens de deux rives, depuis Joseph Kabasele, Kallé Jeff, jusqu’à la génération actuelle,
exprimant la voix du peuple, demandent dans leurs chansons, sans relache depuis les années 1950, aux
dirigeants de deux Congos que soit construit rapidement un pont entre Kinshasa et Brazzzaville.
Les anciennes routes coloniales actuellement reconstruites par les Chinois à Kinshasa, sous le label de
«Contrats chinois ou Cinq chantiers », sont « des réalisations de prestige » qui ne tiennent aucun compte des
besoins réels de la population. Cfr CongoForum, le mercredi 4 mai 2011 http://sn104w.snt104.mail.live.com
164
longues voies ferrées onéreuses et sans grande utilité. Ainsi aux dettes actuelles s’ajouteront
d’autres dettes. Et à la misère encore plus de misère. Cercle vicieux dans lequel la population est
toujours perdante car c’est elle qui, au final, paie le poids de cette dette si injuste en étant toujours
privée des infrastructures les plus élémentaires dans son milieu de vie, comme les écoles, les
hôpitaux, les commerces, etc. Ainsi donc, aujourd’hui comme hier elle ne voit aucune
amélioration de ses conditions de vie, aucune infrastructure moderne dans son milieu de vie ; au
contraire elle agonise. Le développement supposé et engendré par les infrastructures de ce genre,
signifie pour la population, misère et encore plus de misère, partout, aussi bien en villes que dans
des villages. Et ceci depuis des siècles.
165
3. Des intellectuels pervertis, intellectuels perroquets376.
Dans les années 1970, le régime Mobutu a imposé une étonnante méthodologie politique.
Après un voyage effectué en Chine, Mobutu, fasciné par la discipline et la propagande politique
chinoises, a voulu copier la même chose non pas en incitant la population à plus de travail ou de
dévouement patriotique comme en Chine, mais en imposant le culte de sa personnalité. Il s’est
identifié aux besoins et attentes de la population dont il s’est dit le guide et le timonier. Tout le
monde lui devait dévotion et soumission, car tout Congolais, devenu Zaïrois, était par sa naissance
même membre du MPR, Mouvement Populaire de la Révolution, le parti devenu l’État lui-même.
Cette dévotion se concrétisait par la danse et les chants à sa gloire. Ainsi les groupes d’animation
politique se sont multipliés à l’infini. Tous les secteurs de l’État devaient en avoir. « Dans les
écoles primaires et secondaires, dans les universités, dans les entreprises publiques et privées, aux
marchés, des ‘groupes d’avant-garde’ et ‘d’animation révolutionnaire’ ont vu le jour. Les Zaïrois
sont ‘heureux’. Ils ont moins l’illusion d’être au travail. Hommes, femmes, papas, jeunes et vieux,
tous vêtus de pagnes ou chemises frappées de l’effigie du Guide, exécutaient en dansant
allègrement des chansons, des cris et des slogans révolutionnaires… Telle est la façon d’être
Zaïrois du régime mobutiste. 377» Ces groupes d’animation étaient toujours présents partout où
Mobutu se présentait de jour comme de nuit, pour chanter et danser. Dans les entreprises et les
services du pays ils étaient prépondérants. C’est parmi les meilleurs danseurs et les meilleurs
chanteurs que se recrutaient les responsables des cabinets politiques. Il y avait des compétitions
entre les écoles, entre les villes, entre les régions ou provinces, pour désigner le meilleur groupe
d’animation révolutionnaire, lequel recevait divers prix dont les promotions aux postes
ministériels ou dans la direction des entreprises de l’État. Une véritable gabegie. Les ministres
eux-mêmes, devenus simples commissaires, se faisaient des grands danseurs publiques et devaient
chanter tous les matins. Cette méthodologie a discrédité les Congolais et en a fait l’objet de la
risée du monde. Elle a favorisé et amplifié le phénomène de la prostitution et de la corruption,
devenues des véritables institutions du régime Mobutu. Tout le monde s’est mis à détourner les
deniers publics en suivant l’exemple de Mobutu lui-même.378 L’animation politique a réduit la
376
377
378
Rich Ngapi, Apostrophe : Intellectuels perroquets, in Le Potentiel du 27/11/2011
http://www.congoforum.be/fr/nieuwsdetail.asp?
Kambayi Bwatshia L., L’illusion tragique du pouvoir au Congo-Zaïre, Paris, L’Harmattan, 2007, p.103
« Chaque dimanche, Mobutu priait à la chapelle Sainte-Marie-de-Miséricorde, où étaient enterrés sa
première femme et ses trois enfants. Ensuite, il invitait tous les fidèles à manger au palais, environ 200
166
femme congolaise à sa plus simple expression, simple objet de danse et de plaisir des dirigeants.
Le gros de la troupe des danseurs et chanteurs de ces groupes d’animation s’est réfugié en Europe
depuis la chute de leur fameux guide.
La liste des intellectuels pervertis est longue. Tout le monde y passe. Les ministres et les
présidents-directeurs-généraux ne sont pas les seuls incriminés. La magistrature n’y échappe pas.
Sous le régime de Mobutu et jusqu’à ce jour, ce corps est l’un des plus corrompus, sinon le plus
corrompu de l’ensemble de l’élite congolaise. Les magistrats et les juges, et même les avocats379,
utilisent leur pouvoir pour exploiter la pauvre population villageoise. Les gens des villages le
savent bien. Dès qu’une affaire atterrit au parquet ou au tribunal, chaque camp devient une vache à
lait des hommes de la loi. C’est le plus offrant en argent ou autres biens et uniquement lui qui peut
s’attendre à gagner le procès. La justice se dit non pas au tribunal, mais au domicile du juge ou du
magistrat, pendant la nuit. Chaque partie apporte ce qu’elle croit être le plus gros montant. Alors
le juge promet de trancher l’affaire en leur faveur le lendemain.
Ce sont des dossiers concernant les conflits fonciers qui constituent la plupart des litiges
jugés, étant donné que le système colonial en vigueur fait spolier la terre qui est la grande richesse
à laquelle toute la population tient par dessus tout. Ainsi les clans s’opposent entre eux, dès
l’instant qu’il y en a un qui ose s’octroyer une terre commune. Les villages aussi s’opposent, des
groupements également et ainsi de suite. En ville, les revendications parcellaires viennent
également en tête des choses jugées. Car le cadastre vend et revend les terrains à tout le monde.
Un même terrain peut être vendu à plusieurs personnes à la fois. Ce qui engendre un désordre sans
nom et des conflits à ne pas terminer. Sans compter le fait que les agents de l’État, ceux-là même
qui sont à la base de ce désordre généralisé, s’octroient encore le luxe de raser régulièrement les
maisons construites au prix d’énormes sacrifices au motif de l’incommodité des lieux. Tout cela
atterrit au bureau des juges et des magistrats qui se frottent les mains, car ils savent qu’ils vont en
tirer profit. Les justiciables le savent aussi. Ils s’organisent en conséquence. Quand c’est le clan
qui est engagé dans un procès, tous les membres cotisent pour apporter un gros paquet de billets
au juge et au magistrat. Mais comme les villageois n’ont pas beaucoup d’argent et que les sommes
379
personnes. Après le repas, il donnait de l'argent à chacun. Il faisait sortir des cartons de billets tout neufs, et
chacun se servait… Le Maréchal Mobutu ne mangeait jamais seul : il était toujours accompagné d'au moins
100 personnes, parfois jusqu'à 1 000 ! On préparait 100 bouteilles de champagne, 50 bouteille de whisky, du
vin et de la bière ; beaucoup de bouteilles ! Le Maréchal aimait le champagne Laurent-Perrier.» Caroline Six,
Dictateurs déchus : bienvenue dans les palais de Mobutu, Rue 89 28/02/2011 cfr
http://www.rue89.com/2011/02/27/dictateurs-dechus-bienvenue-dans-les-palais-de-mobutu-191100
Dans le langage populaire, “avocat“ veut dire corruption.
167
exigées sont toujours trop élevées, ils apportent alors des chèvres, des boucs ou des vaches380.
Ainsi les domiciles des juges se transforment en étables des chèvres, des boucs ou des vaches au
point que la population appelle ces chèvres, boucs ou vaches donnés aux juges, des
« intellectuels.» Ce sont eux des véritables juges plutôt que ceux-là qui ont fait des études de droit
pour rendre la justice à tous. Les chèvres, boucs ou vaches jugent vite et plus vite que les textes
des lois. C’est la justice expéditive.
Les juges et les magistrats ne sont pas les seuls à recevoir des boucs, chèvres ou vaches.
Les agents de l’enseignement à tous les niveaux s’adonnent eux aussi à la même opération. Les
inspecteurs de l’enseignement primaire et secondaire sont les champions dans le domaine,
notamment durant les examens dits d’État381. C’est la période grasse que les inspecteurs attendent
avec impatience. Car tous les élèves voulant avoir leurs diplômes, sont prêts à n’importe quel
sacrifice pour atteindre cet objectif. Et comme ce sont les inspecteurs, par ailleurs présidents des
centres des examens, qui ont le pouvoir de les leur donner ou pas, alors ils leur donnent tout ce
qu’ils leur demandent. Toujours des grosses sommes d’argent. Les élèves se cotisent par école
pour atteindre le montant exigé. Et qui dit élèves dit parents. Ce sont eux qui s’arrachent les
cheveux pour étancher la soif d’argent des inspecteurs, présidents des centres. Ils reçoivent aussi
des chèvres, boucs ou vaches des directeurs d’écoles qui ont l’obligation de s’assurer de la réussite
de tous les élèves. Ici aussi, les chèvres, boucs ou vaches sont considérés par la population comme
des vrais intellectuels, car ils délivrent beaucoup plus facilement les diplômes que n’importe qui et
sans effort. Car avec « ces intellectuels » les élèves n'ont nul besoin d'étudier. La situation est
pareille dans des universités ou instituts supérieurs d’enseignement. Les chèvres, les boucs ou les
vaches sont des vrais intellectuels qui corrigent plus vite les copies d’examens que les professeurs
eux-mêmes et surtout qui accordent une moyenne des points bien supérieure à celle des
professeurs eux-mêmes, et très vite.
Le clergé et les religieux, eux aussi sont dans la trappe de la perversion. Ils s’empressent
d’occuper les couvents construits et laissés par les missionnaires et vivent aussi séparés de la
population. Les prêtres congolais continuent les mêmes célébrations, suivent les mêmes horaires,
se font servir par des « boys » et sont invités à table par des clochettes. Ils préfèrent porter des
longues soutanes blanches. Les évêques congolais, eux, excellent encore davantage dans l’art de
l’aliénation. Ils ne se gênent pas d’arborer, à longueur des journées et par des chaleurs parfois
excessives, les accoutrements moyenâgeux que le Vatican leur impose. Comme leurs collègues
380
381
La population désigne ces chèvres, boucs et bœufs du nom d’intellectuels, car les intellectuels les mettent en
avant pour rendre à la population les services qu’ils auraient pu rendre. Ils se discréditent eux-mêmes.
Ce sont les examens qui sanctionnent la fin du cycle du secondaire.
168
occidentaux, ils ne quittent jamais leurs bagues dorées, portent toujours des calottes et des
ceintures rouges, ils ont toujours des chauffeurs et se font appeler « Monseigneur ».
Jusqu'aujourd'hui toutes les paroisses catholiques de la ville de Kinshasa et d’autres villes du
Congo, organisent des messes pour les intellectuels. Messes célébrées en français et chantées en
latin, auxquelles le petit peuple n’est pas admis. Ainsi il n’est pas rare qu’il n’y ait que cinquante
personnes lors de ces messes contre des milliers pour des messes en langues locales. Ici aussi
l’Église d’aujourd’hui équivaut à celle d’hier, elle est aussi coloniale que la première. « Il est vrai
que les missions ont gardé, … l’esprit des pionniers des origines… On sait combien les destins de
la Belgique économique et de la Belgique religieuse se sont croisés au tournant du vingtième
siècle…382 » Le clergé congolais est le champion des projets soumis aux organismes catholiques
d'aide basés en Allemagne, en Italie ou ailleurs, qui, eux fonctionnent grâce à l'argent public de
leurs pays respectifs. L'université catholique de Kinshasa est l'illustration de cette drôle de
situation.
Le cas le plus flagrant dans la perversion est celui des agents de l’État qui se rendent dans
des villages. Ils ont gardé intactes les habitudes coloniales d’exaction et d’exploitation de la
population à leur profit évidemment. Quand ils arrivent dans un village pour faire le recensement,
faire payer l’impôt ou pour n’importe quelle opération d’état-civil, ils se font accueillir comme des
véritables coloniaux et exigent soumission et obéissance. Les villageois sont obligés de
s’organiser pour les accueillir, les loger, les nourrir, leur livrer de l’eau pour leur bain, etc. Tout le
village se met au service de l’agent ou des agents depuis leur arrivée jusqu’à leur départ. Et rien ne
doit leur manquer, sinon ce sont des amendes et des arrestations qui pleuvent. Ainsi le chef du
village en concertation avec la notabilité apprête chèvres, poules, bassines d’eau, cuisinières etc.
au service de l’agent d’état.
« En dépit de l’accession du pays à l’indépendance… l’Administration publique ne se
départit pas de sa réputation de ‘bien sans maître’ ou de ‘bien étranger’. Les héritiers indigènes de
la Fonction publique n’ont fait qu’endosser le costume laissé au vestiaire par les colons
belges. 383» Le petit peuple les qualifie des « mindele-ndombe, méchants envahisseurs noirs » ou
des « Je le connais, beaux parleurs du français, mais sans plus. » Leurs agissements et surtout leur
engouement vers la richesse, les biens faciles, ne différent pas de ceux des colons belges. Ils sont
des colons comme eux. Ce sont des colons à la peau noire. Mais ceci ne change rien à la nature du
mal évidemment. Le petit peuple l’a bien compris.
382
383
Serge Bailly, op.cit. p.86
René Ngambele Nsasay, « Excellence », « Honorable »… : La « titrelâtrie » au péril de la démocratie, in
Quel avenir pour la R.D. Congo ? Déclarations et réflexions du Frac, Médiaspaul, Kinshasa, 2010,
p.79-80
169
A Kikwit, la population qualifie les « Je les connais» des incompétents. « Bantu ya
kulonguka kele na mayele ve, dit-elle. Ceux-là qui ont fait des études ne sont pas intelligents. Ils
ne savent rien de rien. »
Quand ils ne peuvent pas accéder aux fonctions politiques, ils
passent leur temps à parler le français, gage des grandes connaissances. La population les observe
et tire la conclusion de leur incompétence notoire qui disqualifie leurs études, et donc leurs
connaissances. Ils sont aliénés et ne résolvent rien. La ville de Kikwit, par exemple, croule sous
les ravins. On en dénombre une septantaine. Personne ne sait trouver la moindre solution à ce
problème capital de la population. Au contraire, tout le monde se rejette la responsabilité. La
population de plus en plus nombreuse dans cette ville ne trouve pas de l’eau courante et n’a pas de
courant domestique. Ici aussi pas de solution. Tout le monde se renvoie la balle. Alors les gens se
demandent à quoi servent-ils tous ces dirigeants ? Pourquoi ont-ils étudié ? A quoi sert-il d’aller
voter ? Qu’est-ce que cela changera ?
La population de Kikwit n’est pas la seule à faire ce constat et à qualifier les intellectuels
d’incompétents notoires. A Kinshasa, la population s’étonne des agissements des intellectuels. Un
jeune ingénieur, professeur-assistant à l’Université de Kinshasa, m’a fait part de son désarroi face
au jugement implacable de la population qui accuse les intellectuels d’avoir ruiné le pays. Il a
confirmé que le fossé est béant entre la population et eux. Quelqu'un m'a rapporté une scène qu'il a
vécue dans les rues de Kinshasa. C'était à bord d'un taxi-bus, ces cercueils ambulants qui assurent
le transport des personnes à Kinshasa. Le receveur, préposé à la vente des billets et au contrôle des
passagers, avait remarqué des « faux têtes ». C'est en général des « je les connais », des beaux
parleurs du français384, mais sans argent. Il les tenait à l’œil. Arrivés à destination, quand ils ont
voulu sortir du taxis-bus, il leur a demandé de montrer leurs billets. Évidemment ils n'en avaient
pas. Alors il leur dit en lingala : « Allez-vous en, les Je les Connais, vous pensez que c'est avec
votre français que ce pays va se développer. »
Les grandes œuvres ou réalisations des intellectuels au Congo se résument souvent à
l’utilisation de la langue française. Les intellectuels apprennent la langue française uniquement
pour l’apprendre, sans plus. Le peuple ne voit pas de maîtrise manifeste de la technique ou de la
technologie de la part de l’élite, à part son zèle dans la corruption et les détournements. Au
contraire, elle fait appel aux étrangers pour tout, y compris pour réparer les chasses d’eau des
toilettes dans leurs bureaux. Sinon ils utilisent des seaux pour chasser les dépôts dans des toilettes,
lesquelles sont souvent hors d’usage. A Kinshasa, le recours systématique à l’aide étrangère est
384
« Au Congo, ceux qui parlent le français croient que le français est la langue des dieux…, ils sont assimilés aux
détenteurs du pouvoir et donc suspects ; on les surnomme ironiquement les “Je-les-connais, “autrement dit des gens
vaniteux qui croient tout connaître et donc tout régenter parce qu’ils connaissent le français. » Lye M. Yoka,
Francophonie : l’alibi et le doute, in L’Afrique répond à Sarkozy contre le discours de Dakar, op.cit. p. 534
170
flagrant. J’ai vu, en 2007, à Barumbu, un groupe des personnes arborant des salopettes de l’Union
européenne avec quelques pelles à la main et une brouette pour curer les caniveaux. Même un
petit travail comme celui-là ne peut se faire qu’avec l’aide de l’Union Européenne. Le moindre
petit bureau construit dans des communes ne peut être que le fruit de cette aide. C’est la
coopération. L’aide est partout, l’initiative congolaise et le bien être de la population nulle part.
Sinon auprès du petit peuple qui doit pouvoir se débrouiller pour survivre. Le peuple se sent
abandonné. L’eau potable la plus propre vendue à Kinshasa vient du Canada et de Suisse. Elle est
hors de prix pour le petit peuple. Il doit se contenter de n’importe quelle eau pour boire s’exposant
ainsi à des nombreuses maladies dont les diarrhées dysentériques endémiques et les affections
amibiennes. La société nationale de distribution d’eau, tout comme sa consœur de distribution du
courant électrique, ne le sont que de nom. Elles couvrent très peu de territoire national, sinon
quelques quartiers de Kinshasa et des quelques villes, en tout cas aucun village. « A Kinshasa, les
poches d’obscurité n’étonnent plus. Pire, elles ont augmenté de manière exponentielle. Et pourtant
les compétences, la Snel, société nationale d’électricité en compte en nombre suffisant. Des
Congolais formés dans des écoles de grande renommée se trouvent dans l’incapacité de réaliser
des exploits, car la Snel est transformée depuis des lustres en une caisse noire où les politiques
puisent à pleines mains.385 » Le gouvernement, lui, se dit soucieux des coupures intempestives et
répétées d’électricité et d’eau dans la ville de Kinshasa sans apporter de solution.386 L’élite ne sait
pas résoudre les problèmes auxquels la population fait face. Elle recherche les gains faciles.
Quand j’étais à Kikwit, j’avais remarqué que les jeunes jeunes médecins avaient hâte de se
faire embaucher par des organismes internationaux, Oms, Unicef, Onu-sida, Médecins sans
frontières, etc., qui les utilisaient dans leurs bureaux. Ils délaissaient ainsi sans état d’âme les
soins des malades dans une ville de 600.000 habitants où il y a à peine un hôpital. Ils rejoignaient
ces organismes pour une question d’argent, car là ils étaient mieux payés. D’une façon générale, à
Kikwit, les cadres - médecins, enseignants, avocats, magistrats, commerçants, etc. n’investissaient leur argent que dans les études de leurs enfants. Ce qui était en fait une bonne
chose. Mais les enfants n’étudiaient que dans des écoles où le français était l’unique langue
autorisée. Écoles généralement tenues par les religieux et les religieuses et quelques privés. Dans
ces écoles, dites de l’élite, le kikongo, langue maternelle de tous les enfants, était complètement
interdite, présentée comme l’élément dangereux de rabaissement du niveau scolaire des élèves qui
n’étaient et ne sont toujours autorisés à ne le parler qu’en dehors de l’école ou alors en cachette,
385
386
http://fsddc.wordpress.com/2011/05/23/snel-delestage-zero-est-transforme-en-delestage-integral-a-kinshasa/
Kimp, Eau et électricité à Kinshasa, Muzito exige des services de qualité, Le Phare du Jeudi, 26 Mai 2011,
http://www.lephareonline.net/lephare/index.php:eau-et-electricite-a-kinshasa-muzito-exige-des-services-dequalite
171
entre la maison et l’école387. A la maison, les pauvres élèves de la maternelle et du primaire
attendent avec angoisse le retour de leurs papas, les caïds qui les obligent à ne parler que le
français à la maison, le front fermé. Apprendre à parler le français est la raison principale pour
laquelle les parents envoient leurs enfants dans ces écoles et qu’ils consentent de payer tant
d’argent. Moyennant l’usage facile de la langue française, les enfants pourront voyager plus tard
en Europe sans difficulté, croient-ils. Ce qui n’est pas vrai évidemment. Le français n’étant ni la
langue de l’Europe ni celle de l’Occident. C’est une langue comme une autre. De nombreuses
Européens vivent tranquillement dans leurs pays en ignorant totalement et parfaitement le
français. L’ignorance de la langue française ou de toute autre langue ne peut pas ôter la vie à
quelqu’un. En outre, l'Occident ne se veut pas être une terre d'accueil des enfants congolais,
fussent-ils ceux des intellectuels parlant le français.
L’école congolaise est très chère pour une population entièrement démunie. Pour faire
étudier leurs enfants du primaire et du secondaire, les parents de tout horizon, dont la grande
majorité est sans emplois, prennent en charge la scolarisation de leurs enfants à l'école primaire et
à l’école secondaire et doivent débourser de 100 à 500 dollars américains par enfant par an. Les
études supérieures coûtent encore plus chères et sont aussi toujours à charge des parents. C’est
pour cela que de nombreux enfants arpentent les rues et n’étudient pas. La minorité qui y va et
dont les parents ont les moyens financiers nécessaires de payer ces études n’y va que pour
apprendre le français. Mais au final, ces élèves, s’ils parlent peut-être bien le français parfois,
n’ont pas plus de connaissance pour s’insérer dans la vie et contribuer ainsi au développement du
pays. Ils viennent grossir le nombre de ceux qui les avaient précédés dans la rue. A Kikwit, après
avoir peiné souvent pour terminer le cycle de graduat à l’Institut Supérieur Pédagogique, les
élèves doivent s’astreindre à se faire vendeurs des petits articles au Marché central par manque de
débouchés. Métier qu’ils n’ont pas étudié à l’école. Car dans cette grande école, le plus grand
département est celui de Français-Linguistique qui déverse ainsi des dizaines des diplômés sur le
marché inexistant d’emplois, sans autre connaissance que la langue française. Leur unique
débouché étant l’enseignement, ils se retrouvent pris au piège car là-bas le marché est saturé. Et
les enseignants n’y sont pas payés, sinon un tout petit salaire de misère, irrégulier. C’est un cercle
vicieux, un vrai gâchis. Le français pour le français ruine littéralement le pays, encore que les
387
J'ai rencontré la même situation au Brukina-Faso. A Tikaré, tout le monde parle « Mossi », langue parlée par
ailleurs dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, une vraie courroie de transmission, outil sans pareil du
développement. Mais à l'école et à l'église, les enseignants et les prêtres qui parlent aussi Mossi, se
l'interdisent. Là tout le monde parle français. Évidemment les pauvres élèves sont les plus punis. Ils ne
comprennent pas pourquoi ils n'ont pas le droit de parler leur langue dans leurs écoles.
172
élèves ne le comprennent pas et en plus, le parlent de plus en plus mal. « Au Congo, 5% seulement
de la population parle plus ou moins correctement le français. 388»
« Dans les années 80, dit le père Ekwa, un diplômé du secondaire s'exprimait correctement
en français, langue de l'enseignement. Aujourd'hui, seuls les élèves de “bonnes écoles“ ou des
familles aisées le peuvent encore. 389» L’apprentissage des connaissances par l’intermédiaire de la
langue française jette de nombreux enfants à la rue. A Kinshasa 80% des 30 000 à 50 000 mineurs
mendient, travaillent, enfantent et dorment dans les rues accusés de sorcellerie par des Églises
indépendantes… Chaque mois, environ 650 enfants débarquent ainsi dans les rues de Kinshasa, 65
bébés y naissent, un tiers des enfants seulement est en contact avec une structure associative. Ils
constituent une société parallèle, autonome, qui vit de la débrouille et de la prostitution.390
La pratique des Églises de Réveil qui consiste à culpabiliser les enfants accusés de
sorcellerie, est nouvelle et étonnante, contraire aux traditions congolaises ancestrales qui, elles, ont
toujours considéré l'enfant comme une richesse. Ce phénomène qu’elles amplifient est dû à la
désorganisation de la société dû au manque total d’emplois et donc de rémunération des
parents. Les familles sont souvent désemparées face à la multiplicité des problèmes qu'elles
affrontent : accident, maladie, mort, perte d'un emploi, bref dénuement total, et qui sont souvent à
l'origine des accusations.
391
La langue française prive la population congolaise de parole en
général, étouffe ou annihile l’initiative propre. Bien plus, elle maintient l'élite dans l'anonymat.
En 1986, deux personnages importants sont décédés le même jour. L'un était professeur
d'université, Norbert Mikanza Mobyem Mangangi Kida, et l'autre un musicien populaire, Franco
Lwambo Makiadi. Le musicien a eu un hommage national et international. Toutes les radios du
monde ont annoncé son décès. Le professeur a été enterré dans l'anonymat, ignoré de tous. Même
la radio nationale n'a pas annoncé son décès. Et pourtant ce grand intellectuel a enseigné
longtemps et a écrit beaucoup d'œuvres importantes, mais ignorées de la population. Car ces
œuvres, dont sa célèbre pièce de théâtre, « Procès à Makala392 »,
étaient toutes en langue
française. C’est pour cela que le peuple trouve et dit en langue Kikongo que « Bantu ya kulonguka
kele na mayele ve. »
388
389
390
391
392
Lye M. Yoka, Francophonie : l’alibi et le doute, in L’Afrique répond à Sarkozy contre le discours de
Dakar, op.cit. p. 534
M. Ekwa bis Isai, École en R.D.C., Afrique Espoir, http://www.afriquespoir.com/.html
Caroline Six, RDC : mieux vaut tuer l'enfant sorcier que lui vous tue, Rue 89 du 27/03/201,
http://www.rue89.com/2011/03/27/rdc-mieux-vaut-tuer-lenfant-sorcier-que-lui-vous-tue-196502
Idem
Jean-Pierre Mukoko Kizubanata, Mikanza Mobyem, 15 ans déjà sous terre, in
http://www.afriquechos.ch/spip.php?article4274
173
Seuls les artistes musiciens ou ceux du théâtre populaire ont compris les attentes de la
population et y répondent. Déjà durant la colonisation, les musiciens congolais chantaient dans les
langues du pays. Les hommes du théâtre populaire ont fait de même. Depuis lors les musiciens se
montrent ouverts et très proches de la population. Tous les groupes de musique nés au Congo se
sont ouverts à tout le pays. Les chefs d’orchestres recrutent leurs musiciens d’après leurs talents,
et non pas en suivant leurs origines ethniques ou régionales comme le fait l’élite. Car dès que les
intellectuels arrivent au pouvoir, ils recrutent dans leurs pré-carrés claniques ou tribaux pour
constituer leurs cabinets politiques ou ministériels. Mais les musiciens de tous les groupes
viennent de tous les coins du pays et de tout horizon. Seuls les talents comptent. Ils chantent aussi
indistinctement dans toutes les langues quelle que soit leur origine. Ainsi Joseph Kabasele, dit
Grand Kallé, et Kabasele Yampanya, dit Pépé Kallé, ont chanté en kikongo et en lingala. Ils
étaient Baluba tous les deux. Rochereau Tabu Ley et Ngiama Werasson chantent tous les deux en
Tshiluba, en Swahili et en Lingala. Ils sont tous les deux Ba-kongo. Koffi Olomide et Mbila Bel
chantent eux aussi en Kikongo, en Kimbala, en Kiyansi ou en Swahili. Ils sont tous les deux
Bangala. Leur travail à tous est toujours apprécié de tous, au Congo comme à travers toute
l’Afrique. Ils sont connus et reconnus. Quand un musicien de renommée meurt, le peuple lui rend
toujours un hommage national. Joseph Kabasele Tshamala (Grand Kallé), Kabasele Yampanya
(Pépé Kallé), Lwambo Makiadi (Grand Maître), Jean Bialu (Madilu Système), ont tous été
enterrés avec des honneurs que seul Laurent-Désiré Kabila a pu avoir parmi la classe politique
congolaise.
Aujourd’hui ce travail tant apprécié des artistes musiciens est en train d’être ruiné par les
dépositaires de la langue française au Congo et à l’étranger. C’est le dernier verrou de la résistance
qu’ils veulent faire sauter. Beaucoup de musiciens renommés se laissent prendre. Ils dénigrent nos
langues en intitulant désormais leurs opus en français. Ils utilisent aussi de plus en plus le français
dans leurs chansons pour prouver leur haut degré d’instruction. Ils orientent de plus en plus leur
musique vers une certaine diaspora congolaise de Paris, Bruxelles ou Londres négligeant le
peuple, véritable détenteur de la culture. On remarque qu'ils ont de moins en moins d'inspiration,
eux comme les comédiens populaires. C’est pour cela que nos musiciens doivent se réveiller et
retrouver l’excellent niveau des chansons comme Indépendance Tcha-Tcha, Keylia, Africa Mokili
Mobimba, Kimpiatu, Maze, Mansanga, Kaful Mayay, Mazil-Mazil, Mario, Dati, Mbeya-Mbeya,
Kala ebwingi, Kibwisa mpimpa etc. qui ont fait danser toute l’Afrique et le monde. Ils doivent
aussi veiller à sauvegarder la dignité et l’honneur de la femme congolaise. Car en se mettant
uniquement à la solde de la diaspora congolaise, et à l'école de la langue française, les musiciens
174
et les artistes populaires se laissent piéger prenant le risque de rejoindre cette élite tant décriée au
Congo, à cause de son insouciance et de son manque de sérieux.
Voici encore une illustration de la perversion des intellectuels aux yeux du petit peuple. Un
célèbre musicien, Joseph Kabasele dit « Grand Kallé », est aujourd’hui mondialement connu grâce
à sa chanson planétaire, « Indépendance Tcha-tcha », en langues nationales, devenue l’hymne des
indépendances africaines.393 Mais au Congo, l’élite congolaise lui a préféré un autre hymne. « La
Congolaise », entièrement en français, ressemble à l’entendre à la Marseillaise française. Autant
« Indépendance Tcha-tcha » est connu de tous, autant « La Congolaise » est ignorée de tous. C’est
souvent amusant d’entendre les universitaires eux-mêmes exécuter la Congolaise. Ils la chantent
rarement jusqu’au bout, car ils ne la connaissent pas. Mais tous se lèvent comme un seul homme,
chantent et dansent avec joie et entrain, quand la chanson « Indépendance Tcha-tcha » résonne
n’importe où. La Congolaise est difficile à chanter et à comprendre. Il ne reflète ni l’âme, ni
l’esprit des peuples du Congo. En 1999, j’ai chanté, au stade de Kikwit, une version kikongo de
cette ‘La Congolaise’ que j’avais traduite moi-même à l’occasion d’un Festival des musiques
traditionnelles que nous avions organisé à l’époque à Radio Tomisa. J’ai eu un tonnerre
d’applaudissements car les gens comprenaient enfin ce que voulait dire cet hymne.
Lors de la rédaction de la nouvelle constitution en 2006, c’est encore cet hymne qui a été
retenu comme hymne national avec un drapeau aux couleurs ternes, sans émotions. La
constitution, elle, est toujours en français, entièrement et uniquement, 50 ans après
l’indépendance. Joseph Kabila, alors jeune président du Congo en 2001394, n’ayant pas une bonne
maîtrise du français, a dû l’apprendre en accéléré pour avoir le niveau de l’élite, locuteurs du
français. Il le parle parfaitement maintenant d’après les journalistes qui l’interviewent. Mais
depuis autant d’années il n’a jamais appris ni le Kikongo ni le Lingala parlées à Kinshasa et dans
tout l’Ouest du Congo. Au point qu’il ne s’adresse presque jamais directement à la population de
cette partie sinon en français et à la télévision. C’est plutôt à l’Est du pays qu’il se lâche, en
Swahili, langue qu’il connaît très bien. Évidemment il est aimé et apprécié à l’Est, mais contesté à
l’Ouest. Au lieu de faire tant d’efforts pour apprendre le français, ignoré par la majorité des
Congolais, il aurait beaucoup gagné en apprenant ces langues de l’Ouest. Ce qui l’aurait rapproché
des populations qui, elles, ne demandent pas mieux.
393
394
Manda Tchebwa, in MN, p. 205
« Joseph Kabila Kabange est devenu président de la République Démocratique du Congo en 2001, à 29
ans, le 26 janvier 2001, dix jours après l’assassinat de son père M’zee Laurent-Désiré Kabila, à titre
intérimaire après un vide du pourvoir de quelques jours. » Marie-France Cros et François Misser, op.cit.
P.66
175
A cause de l'utilisation systématique du français par les médias et les intellectuels, à
Kinshasa « la rumeur a valeur d’évangile. Sortie on ne sait jamais trop d’où, elle circule dans la
ville, fait des allers et retours, est reprise par les ‘parlementaires debout’ avant d’être considérée
comme une information par les médias. 395» Ainsi ce ne sont pas les médias qui informent la
population, c’est plutôt celle-ci qui les informe. Ce qui est paradoxal. A vrai dire, la population
kinoise n’est pas informée, bien qu’il y ait d’innombrables radios, télévisions, journaux et
périodiques. « A ce jour, le paysage audiovisuel de la RDC compte plus d’une cinquantaine de
chaînes de télévision émettant à Kinshasa et quatre-vingt-deux sur l’ensemble du territoire
national, selon une étude publiée en 2008 par les ambassades de France et du Royaume-Uni sur le
paysage médiatique congolais ; étude menée par un professeur belge. Donc, malgré cette
multitude des chaînes, la qualité des émissions et l’excellence professionnelle souffrent des
modèles. Les grilles des programmes sont marquées par une monotonie qui fait qu’un même titre
d’émission peut se retrouver dans plusieurs chaînes à la fois…396»
Les fréquences radio ont été presque toutes confisquées par les églises de tout genre
diffusant des prédications à longueur des journées sur leurs puissants émetteurs. La population
recherche en vain la moindre émission éducative. La radio nationale est une « machine à
propagande… qui retransmet soir après soir les déplacements des ministres, les visites
protocolaires des ambassadeurs ou des missions des experts étrangers… C’est la télévision miroir
des élites. 397 »
Elle continue à émettre dans cinq langues à Kinshasa comme durant la
colonisation belge où il n’y avait aucune autre radio ni à Kinshasa, ni ailleurs dans le pays, prenant
ainsi le risque de ne toucher personne tout comme les autres radios. Pour couronner le tout, les
radios étrangères, émettant de l’étranger, en français, parachèvent le travail de privation de parole
à la population kinoise et de perversion de l’élite. L’Onu y a même sa propre radio, Radio Okapi.
Ces radios étrangères dites internationales, en réalité des radios nationales de leurs pays respectifs,
sont politisées à outrance et aliènent l’élite à qui elles ne présentent que le mauvais côté de leur
pays. Aucun journal ou périodique n’est écrit en langues locales, kikongo ou lingala. Aucun
journal n’a un tirage important. La plupart tire à 500 exemplaires pour une ville qui compte près
de huit millions d’habitants. Les journaux prétendent que la population congolaise ne s’intéresse
pas à la lecture. Ce qui est faux évidemment. Car il suffit seulement d’écrire dans les langues
congolaises et traiter des sujets qui l’intéressent et la population s’arrachera les journaux qui
s’écouleront comme des petits pains.
395
396
397
Serge Bailly, op.cit. 29
Jilla Majik, Kinshasa, Télévision congolaise : une garantie ou un facteur de déviation de la jeunesse
congolaise. 13/01/2011, Acp, in http://www.mediacongo.net/show.asp
Serge Bailly, op.cit. p.74
176
Comme on peut le voir, l’exigence coloniale de la soumission totale, soit disant pour
assurer le développement du pays, n’a rien changé du quotidien de la population et ne pourra
jamais rien changer non plus. Les infrastructures construites dans cette optique et sous leur
houlette, même avec l’assistance de l’élite pervertie et amorphe, n’ont fait qu’empirer les
conditions de vie déjà difficiles de la population. Cela n’a amené que plus de misère et réduit la
population à assister impuissante à sa propre mise à mort inéluctable.
177
IVème partie : La résistance et la lutte pour le Congo libre et digne.
178
Chapitre 1 : La résistance dans le Congo ancien
1. La résistance par les armes
Dès le début des contacts avec les Portugais, les Congolais de Kongo-dyna-Nza, se sont
vite rendu compte que les nouveaux venus ne leur apporteraient pas les avantages qu’ils pouvaient
attendre. Car le prestige et l’autorité du Roi, la cohésion des tribus, la paix, tout fut très vite ruiné
par le trafic négrier.398 Mbanza-Kongo qui comptait plus de 40.000 habitants à l’arrivée des
Portugais au 15ème siècle n’en comptait plus que 700 en 1885, quatre siècles après le régime
salutaire de la civilisation chrétienne.399 La traite a certes désorganisé le pays, mais elle n’a pas
réussi à tuer le peuple. Alors celui-ci s’organise. Il organise la résistance. Les Congolais
s’aperçoivent que les missionnaires sont les vrais tenants du pouvoir étranger, et non les
commerçants. Ils investissent la cour royale, influencent le roi et solidifient ainsi leur pouvoir sur
la capitale et sur le pays. C’est par leur influence que passe la domination des étrangers. C’est
donc eux qu’il faut combattre pour libérer le pays. Alors les Congolais organisent des confréries
ou des congrégations ou encore des associations qui leur sont propres, où les missionnaires ne sont
pas admis. « Pour les prières qu’importent les circonstances, ils aiment se réunir à un moment et
en un lieu à l’abri de toute personne équivoque.400 » Mais la résistance est aussi militaire. « Le
père Augouard parle de ces 300 Congolais qui, à Mpînda, excités par leurs féticheurs, arrivèrent
un jour, armés de fusils, tuèrent les Portugais et brûlèrent leurs maisons.401» L’une des premières
oppositions à laquelle les envahisseurs Portugais ont dû faire face a eu lieu peu après leur arrivée.
Quand ils arrivent sur le littoral congolais, Diègo Câo et ses compagnons commencent à
accomplir « la plus importante partie de leur mission : la capture des esclaves.402 » Ils ne lésinent
pas sur les moyens militaires pour cette mission. La population s’étant rendu compte du désastre,
s’oppose en attaquant les envahisseurs. Elle en informe aussitôt le roi qui manifeste son
indignation auprès de ses hôtes, c’est-à-dire auprès de la délégation que Diego-Caô lui a
398
399
400
401
402
LARC, p.105
Ibidem, p.39
Ndona Beatrice, in LARC, p.10.
Cité par Raphaël Batsîkama ba Mampuya, LARC, p.105
Raphaël Batsikama ba Mampuya, Le dossier Yaga, LARC, p.84
179
envoyée.403 Dès lors les révoltes s’enchaînent et les répressions aussi. La résistance congolaise se
fait contre l’envahisseur étranger, mais aussi contre ses complices congolais. Elle est donc aussi
bien externe qu’interne. Ce qui ne facilite pas les choses évidemment. Car les traîtres sont toujours
difficiles à démasquer. Ils accomplissent toujours leurs forfaits bien avant d’être identifiés,
contrairement aux ennemis externes facilement identifiables. Aussi par l’entremise de la foi
chrétienne, à travers l’action des missionnaires et de leurs auxiliaires, le roi Ndo Mfûnsu 1er,
« wasông’e mbizi kwa bambwa, celui qui avait mis la viande à la disposition des chiens, » en
inaugure en 1507, l’ère de la prise de pouvoir par des armées étrangères, celle des fameux muhendela, mindele. 404» L’envahisseur utilise le pouvoir du roi pour asseoir le sien. Il use du
fameux adage des Romains « divide et impera » pour briser au mieux la résistance et saigner le
royaume en intensifiant la traite. A tel point que le roi Ndo Mfûnsu 1er dans une lettre à son ‘frère’
du Portugal, ne put s’empêcher de le regretter en des termes fort émouvants : « Il y a de nombreux
trafiquants dans tous les coins du pays. Ils y apportent la ruine. Il ne se passe pas de jour que des
gens ne soient enlevés pour être mis en esclavage ; ni les nobles ni les membres de la famille
royale ne sont épargnés.405 » Ce sont les regrets ou les larmes de crocodile que les traîtres versent
souvent après coup. Et c’est toujours trop tard. Car l’irréparable est déjà arrivé. « Ce revirement
inattendu de Ndo Mfûnsu lui vaudra de la part de ses anciens admirateurs et protecteurs, le jour de
Pâques de l’année 1540, dans l’enceinte même de l’église du Saint-Sauveur (San Savador) et en
pleine sainte messe, un attentat en bonne et due forme. 406» Quelques siècles plus tard, Mobutu,
ayant aussi pris le pouvoir par les armes sous l'instigation des Occidentaux, mindele, connaîtra le
même sort. Il ira mourir en terre étrangère, abandonné de tous.
Mais c’est le 13 juillet 1665 qu’une grande bataille oppose les Congolais aux Portugais. En
effet en cette année là, « un vague bruit ayant couru comme quoi Ndo Antoni 1er, roi nationaliste,
veut jeter tous les Européens hors de son royaume, suffit à donner aux spéculateurs l’occasion de
fourbir leurs armes. Vidal de Negreiros, Gouverneur portugais à Lwanda… en profite… Il veut
aller faire exploiter à Wandu un gisement de cuivre qu’un certain roi du Congo aurait concédé au
roi du Portugal… Le roi Ndo Antoni s’y oppose. Mais Vidal de Negreiros ne veut rien entendre. Il
menace de déclarer la guerre à Ndo Antoni au cas où il persisterait dans son refus. Celui-ci répond
qu’il résisterait par les armes à toute avance d’une armée portugaise. Et le 13 juillet 1665, il invite
le peuple à se mobiliser pour sauver la terre des Ancêtres contre ces visées étrangères. Le peuple
répond massivement. Leurs armes : le caillou, le bois, l’arc et la flèche. Les Portugais, eux, outre
403
404
405
406
LARC, p. 86
Raphael Batsikama ba Mampuya, Le dossier Yaga, LARC, p. 145
Isidore Ndaywel’e Nziem, HGC, p. 88
Raphael Batsikama ba Mampuya, LARC, p.94
180
leurs mousquets, sont appuyés par deux couleuvrines, sorte de canon de l’époque. Devant cette
énorme inégalité des forces, les Portugais l’emportent évidemment. La tête du roi est tranchée au
combat et emmenée à Lwanda où la victoire est fêtée par un Te Deum. 407» Dès ce moment le
Congo devient la proie des Portugais. Mais la résistance ne baisse pas les bras. Elle est désormais
non-violente et surtout religieuse. Sur le terrain de la foi les Congolais ont vite le dessus sur les
Portugais.
2. Ndona Nsimba Béatrice ou la Saint Antoine du Kongo, la redoutable prophétesse.
Les exactions et injustices des Portugais se multiplient et s’amplifient partout sur le
territoire de l’ancien royaume du Kongo déjà morcelé en divers petits royaumes. Le peuple est
excédé. Il s’exclame « Nsi yifwidi, le pays se meurt. » Il en appelle à Dieu comme ultime secours
et se dit « jusque à quand, ô Yahweh’, jusque à quand…408 » Les jeunes s’organisent. Ils sont en
quête d’un intercesseur céleste. Ils savent que même au bord du désespoir, l’espoir est toujours
permis. Ils savent que « toute notre vie d’homme consiste à espérer et à croire que l’essentiel est
encore à venir ; qu’il ne peut advenir que pour ceux qui restent en quête, pour ceux qui ne sont pas
achevés.409 » Ils organisent des séances de prière sécrètes, en l’absence des missionnaires et des
traîtres. Car il n’y a pas de plus grand danger pour une communauté humaine que le fatalisme.
« C’est sans doute au cours d’une de ces réunions de prières ‘secrètes que Ndona Nsimba Béatrice
commence à tomber en extase… Chaque fois elle se voit envoûtée par Saint Antoine. 410» Ce saint
anachorète, le plus vénéré du pays à l’époque, s’empare de tout son être et parle par elle. Il invite
les princes du pays à se réunir à Mbanza-Kongo pour restaurer le royaume. Il réprouve les néfastes
compétitions pour le pouvoir royal. Compétitions qui provoquent la colère de Dieu lequel veut
l’élection d’un nouveau roi à l’exclusion de tous ceux qui règnent.411 « Elle est dans la lignée des
prophètes de d’Israël ancien qui gardaient la conviction que seul le retour au temps du désert, au
temps divin, offrait une chance aux contemporains d’entendre Dieu de nouveau. Comme JeanBaptiste, elle demande à tous les prétendants au règne qui s’entre déchiraient combien leur vie,
leur pays, était devenue une étendue désolée.412 » « Recherchez la charité ; aspirez aussi aux dons
407
408
409
410
411
412
Raphael Batsikama ba Mampuya, Ndona Béatrice, in LARC, p. 1et2
Idem, p. 9
Eugen Drewermann, La parole et l’angoisse, commentaire de l’Évangile de Marc, Desclée de Brouwer,
Paris, 1995, p.1
LARC, p. 10
LARC, p.11
Eugène Drewermann, op.cit. p. 2
181
spirituels, surtout à celui de prophétie. Je désire que vous parliez tous en langues, mais plus encore
que vous prophétisiez car celui qui prophétise l’emporte sur celui qui parle en langue. Celui qui
prophétise parle aux hommes ; il édifie, exhorte, encourage.413 » Les disciples bénévoles se
mettent à la besogne. Mbanza-Kongo est déjà acquis à 90% aux antoniens. Ce sont les disciples de
Ndona Béatrice, Saint-Antoine. Les foules viennent de partout comme le dit le père de Gallo : « Il
arriva ainsi que Mbanza-Kongo fut rapidement peuplée, parce que les uns y allaient pour vénérer
la prétendue sainte, d’autres pour voir la patrie renouvelée, certains pour saluer des amis, d’autres
amenés par le désir de récupérer miraculeusement la santé, d’autres enfin à cause du désir de
régner et d’être les premiers à occuper l’endroit. De toute façon, la fausse sainte fut faite la
restauratrice, dominatrice et seigneur du Congo.414 » Le Père Laurent de Lucques, un autre prêtre
contemporain de Ndona Nsimba Béatrice et son farouche opposant, nous fait toucher du doigt les
trois popularités de l’époque : 1° popularité sur l’existence du danger ; 2° popularité du sentiment
pour la restauration ; 3° popularité incontestable de Ndona Nsimba Béatrice Marguerite. 415
Ndona Nsimba Béatrice Marguerite est née à Mbanza-Kongo, près de Mont Kibangu dans
le royaume du Kongo en 1684. Selon son propre témoignage, rapporté par le capucin missionnaire
Bernardo da Gallo, elle a eu des visions416. « Dieu lui a demandé d’apporter à son peuple les
changements tant attendus. Saint Antoine est entré dans sa tête et parle par sa voix. Il dit : ‘Un
nouveau royaume va naître. Vous devez reconstruire la ville, relever les maisons, redonner à la
terre sa fertilité et ses récoltes’. Les adeptes sont nombreux autour de la jeune fille : ‘Salve, ô Sao
Antonio ! Ave Maria ! Kimpa Vita, notre Ndona Béatrice va nous sauver’ scande la population.
Un grand mouvement de foules envahit la ville, on crie, on chante, on danse, on pleure. L’émotion
est forte parmi tous les malheureux qui sont venus entendre la prophétesse. Et elle, jeune, pure,
belle, livre ses inspirations : ‘Le roi Pedro doit quitter son refuge du mont Kibangu. Qu’il vienne.
Nous l’attendons’. 417»
Que s’est-il passé ? La vieille cité, nommée Mbanza Kongo par les habitants du pays et
San Salvador par les Portugais, est le cœur du royaume, l’endroit où se confrontent la tradition et
la modernité. Sa réputation a franchi les frontières : c’est dans la citadelle, située sur un éperon
rocheux, que se déroulent les rites royaux et les cérémonies imposées par la coutume, tandis qu’à
ses pieds des maisons, des églises et même une cathédrale rappellent la présence de ces hommes
413
414
415
416
417
Raphael Batsikama ba Mampuya, Ndona Béatrice, in LARC, p. 11
Idem, p. 20
Ibidem
http://en.wikipedia.org/wiki/Kimpa_Vita
Kaké, Ibrahima Baba : Dona Béatrice, la Jeanne d’Arc congolaise, Ed ABC/NEA 1976 in
http://eglise.animiste.pagesperso-orange.fr/kimpa.htm
182
au teint pâle venus de pays lointains. Mais l’arrivée des Européens n’a pas apporté la modernité
espérée. La Hollande et le Portugal se disputent l’occupation du territoire congolais pour leur
commerce d’esclaves. La Hollande, à la tête d’un vaste empire colonial à la côte de l’Afrique
occidentale, cherche une main d’œuvre servile au Congo. Il bute devant le refus du Portugal qui se
réclame de droit propriétaire du pays. Cette situation engendre une guerre froide entre les deux
pays européens, ce qui finit par provoquer la décadence du Kongo418. Le pays est divisé plus que
jamais. Les sécessions se multiplient. La capitale Mbanza-Kongo est en ruine. Pedro IV, l’actuel
roi du Kongo, pourtant légitimé et reconnu en 1694 par l’ensemble des dignitaires, s’est retiré sur
le mont Kibangu, au nord de San Salvador, laissant la ville à l’abandon. La population souffre et
les esprits s’échauffent. Ils ont besoin d’espoir, un espoir que semble leur apporter Ndona Nsimba
Béatrice Marguerite, jeune fille de 20 ans. Baptisée, elle se dit désignée par Dieu pour apporter à
son peuple les changements tant attendus. Saint Antoine est entré dans sa tête et parle par sa voix.
La jeune prophétesse débute à reconstruire la Capitale de ses propres mains avec l’aide de ses
partisans. Elle entreprend des campagnes d’enseignement afin que Nzambi-a-Mpungu redonne vie
au Royaume et fasse renaître son unité. Sa devise : Un seul Nzambi-a-Mpungu, un seul Kongo, un
seul royaume, un seul roi et une seule capitale, Mbanza Kongo. Alors, forte de ses convictions, de
sa foi en Nzambi-a-Mpungu, elle parcourt toutes les provinces du royaume, harangue les foules de
villages en villages. Elle promet au peuple de se rendre à Bula, auprès de Jean et à Kibangu,
auprès de Pedro IV en vue de se faire remettre les insignes royaux avant l’élection du nouveau roi
à Mbanza Kongo. Elle convoque tous les prétendants à se rendre dans l’unique capitale de Kongodya-Ntotila pour présenter chacun sa candidature. Elle s’attaque violemment aux symboles de la
croyance ancestrale et surtout à la nouvelle religion de Mputu, pays des Portugais, qui a remplacé
les nkisi par les icônes, les chapelets, les crucifix et les effigies des saints, objets de nouvelles
idolâtries des Besi Kongo. Elle ordonne de les brûler tous sans distinction. Elle reprend les
complaintes et les espoirs de mama Mafuta, qui avait déjà lutté pour l’unité du royaume, pour le
retour des Besi Kongo vers Nzambi-a-Mpungu.419 Grâce à un discours adapté à la mentalité et aux
attentes de ses compatriotes, elle réussit à les mobiliser pour la restauration nationale…
Sa prédication est dirigée aussi bien contre les missionnaires portugais et italiens – qui
représentaient à ses yeux un déséquilibre pour l’œuvre de restauration – que contre la sorcellerie et
les pratiques fétichistes traditionnelles.420 Elle fait apparaître pour la première fois l’idée d’un
418
419
420
Aurélien Mokoko Gampiot, Kimbanguisme et identité noire, L’Harmattan, Paris, 2004, p.46
Simon Enée Nsiangani, L´irréductible KIMPA MVITA 1706 - 2006 – 300 ANS In Ephémérides
kimbanguistes – Simon Enée Nsiangani, Editions EKI.
http://realisance.afrikblog.com/archives/2006/01/22/1258323.html
Aurélien Mokoko Gampiot, KIN, p.46-47
183
Christ noir qui allait venir délivrer les peuples opprimés de la servitude. Elle annonce l’imminence
de la restauration du royaume.421 Pour libérer son peuple du complexe d’infériorité par rapport
aux missionnaires, dépositaires soi-disant de la divinité de Jésus, elle affirme que « Jésus est né à
Mbanza-Kongo, qui était Bethléem. Il avait été baptisé à Nsundi qui était Nazareth, et que Jésus
avec la Madona et saint François étaient originaires du Congo, de la race des Congolais. 422»
Chaque matin, chaque soir, chaque jour et chaque instant de la nuit, dans un coin de sa demeure à
Mbanza-Kongo, Ndona Nsimba Béatrice chante, se lamente, évoque et invoque les ancêtres et
Nzambi-a-Mpungu Tulendo. Elle prie, elle pleure, adressant ses complaintes vers le ciel, à
Nzambi-a-Mpungu pour l’unité du Royaume, pour le roi et pour le Kongo. En mai 1706, Dom
Pedro IV descend du mont Kibangu et s’établit sur le plateau de Divululu. Alors mama Ndona
Nsimba monte encore une fois sur le mont de sa naissance. Elle contemple son pays, elle regarde
sa ville en ruine. Elle sait qu’elle va mourir. Elle sait que ses ennemis ne la laisseront pas faire.
Elle regarde encore une fois Mbanza-Kongo, jadis la fierté de son peuple et elle se dit en
elle-même qu’ « à force de regarder les arbres je suis devenue un arbre et mes longs pieds d’arbre
ont creusé dans le sol de larges sacs à venin de hautes villes d’ossements ; à force de penser au
Congo, je suis devenu un Congo bruissant de forêts et de fleuves où le fouet claque comme un
grand étendard ; l’étendard du prophète, où l’eau fait likwala-likwuala, où l’éclair de la colère
lance sa hache verdâtre et force les sangliers de la putréfaction dans la belle orée violente des
narines.423 » Et ce 02 juillet 1706, un dimanche, accusée de xénophobie, d’hérésiarque et d’être
possédée par les démons, les missionnaires capucins portugais, dont le père Laurent de Lucques la
font pourchasser. Arrêtée par leurs sbires portugais bien armés dans la forêt de Pendele où elle est
en retraite spirituelle, les pères Lorenzo et de Bernado la jugent et la brûlent vive publiquement
aux bûchers avec son enfant à Divululu, en présence du roi Pedro IV, descendu de mont Kibangu.
Ndona Nsimba Béatrice Marguerite, en flammes, avertit dans ses dernières volontés qu’un enfant
naîtrait, le fils de Dieu, pour mettre fin à la barbarie de l’homme étranger. « Que m’importe de
mourir maintenant ? Ce pas, maintenant ou jamais, j’ai à le franchir dans ma vie. Ma personne
physique n’est autre chose qu’un peu de motte de terre. Je n’en accorde aucune importance. Un
jour ou l’autre ce corps se réduira en poussière, en cendre. Cependant, mon esprit, mon âme
421
422
423
Idem, p.47
KIN , p.48
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence africaine, Paris, 1983, p. 28
184
exalteront la gloire du Très Haut Nzambi-a-Mpungu Tulendo. Nul ici bas ne peut en disposer. Et
Dieu pourvoira un autre plus puissant qui arrivera à bout de l'envahisseur. 424 »
Elle est morte la redoutable prophétesse laissant derrière elle un peuple désespéré, un État
laminé par la main des étrangers. Il va sans dire que cette mort par le bucher est l’œuvre des
missionnaires capucins. « La fille a été bel et bien accusée aux Pères par les Pères, jugée puis
condamnée par les Pères. D’ailleurs, la peine elle-même dévoile son origine. Jamais mais jamais
au grand jamais la justice congolaise n’avait fait brûler les condamnés, alors que le bûcher est une
sanction du droit canon au XIIIème siècle… Selon ce qui se pratiquait aux XIIIème siècle, les peines
canoniques avaient des conséquences civiles que le pouvoir laïque appliquait, spécialement en ce
qui concerne la peine de l’excommunication alors que l’Église ne prononçant pas de peine
sanglante pouvait en cas grave, s’en remettre au bras séculier en lui livrant le coupable… 425» Mais
dans le cas de mama Ndona Nsimba Béatrice, le jugement était illégal, car il n’existait aucune
alliance ni aucun concordat entre le Saint-Siège et l’État congolais. Par conséquent l’exécution
était arbitraire et injuste. Pour réparer cette injustice et sauver l’honneur, dans son livre
« Relatione », écrit en 1710, le Père Bernardo de Gallo qui parlait la langue Kikongo, représenta
la jeune fille coiffée d’une couronne dorée et drapée dans des vêtements verts, celle-là même qui
fut livrée auparavant aux flammes de feu426. Cette couronne dorée, la couronne de la lutte pour le
salut et la liberté de son peuple se transmet de génération en génération jusqu’à la réalisation de
cette prophétie si humaine pourtant. Après elle, et comme elle, d’autres reprennent l’étendard de la
lutte, sans armes, mais avec détermination et amour de la patrie. Et comme elle, ils subissent le
même martyr, exécutés par les mêmes bourreaux en suivant quant à eux les mêmes procédés et
méthodes de terrorisme. Simon Kimbangu arrivé près d’un siècle après mama Ndona Nsimba
Béatrice Marguerite reprend ce combat spirituel et pacifique de reconstruction politique et
mystique de Kongo-dyna-Nza.427
424
425
426
427
Simon Enée Nsiangani, L´irréductible KIMPA MVITA 1706 - 2006 – 300 ANS In Ephémérides
kimbanguistes – Simon Enée Nsiangani, Editions EKI.
http://realisance.afrikblog.com/archives/2006/01/22/.html
C.G. Lepointe, L’Église et l’État en France, cité par Raphael Batsikama ba Mampuya, op.cit. p. 25
Raphaël Batsikama ba Mampuya, LARC, p.33
Aurélien Mokoko Gambiot, KIN, p. 49
185
Chapitre 2 : la résistance pacifique face à l’occupant nouveau
1. Simon Kimbangu, l’étonnante histoire d’un envoyé de Dieu
Simon Kimbangu est connu, presque naturellement, des jeunes Congolais dès leur
naissance. C’est tout jeune enfant que j’ai entendu parler de Simon Kimbangu. Un de mes oncles,
un frère à ma mère, oncle Bernard Kénkur, était revenu de Kinshasa avec une mission précise.
Convertir tout le village à la religion kimbanguiste. Il est venu trouver notre papa pour lui
demander de ne pas nous envoyer à l’école catholique, mon frère et moi. Il disait que nous aurions
un avenir prometteur en suivant la voie tracée par Simon Kimbangu. Notre papa n’a jamais voulu
en entendre parler et nous sommes allés naturellement à l’école catholique. D’autant que l’école
kimbanguiste dont parlait oncle Bernard n’existait pas dans notre village ni même dans notre
contrée. Et au village les kimbanguistes n’étaient pas nombreux. Mais très vite une importante
communauté s’est constituée autour de lui. L’Église kimbanguiste prend ainsi ses racines chez
nous comme dans nombre des villages de la contrée. Bientôt plus un village n’est épargné par
cette vague. Il y a des églises kimbanguistes partout.
C’est à Nkwaya, à 1 km de la mission catholique Mbanza-lute, que s’installe le pasteur
kimbanguiste. C’est aussi à Nkwaya que les kimbanguistes de toute la contrée se rassemblent. Ils
sont des milliers. Surtout des adultes et des enfants, mais peu des jeunes. Ils sont quant à eux à
l’école catholique. L’église kimbanguiste n’ayant pas d’école n’a pas beaucoup d’influence sur les
jeunes de notre contrée. En plus à Nkwaya où elle a installé son siège, elle s’est marginalisée ellemême en choisissant de s’installer à l’écart. Car le village kimbanguiste, village des purs, est
juxtaposé à l’ancien, désigné village des sorciers, des mauvais. Les kimbanguistes installés dans
ce village se considèrent comme des élus, des purs, par rapport aux autres, les impurs. Mais le
village kimbanguiste est plus propre et mieux organisé. Malheureusement cette marginalisation
volontaire ternit leur image et relativise leur influence. Mais déjà nous entendons parler de
Nkamba, le village de Simon Kimbangu où les kimbanguistes se rendent par milliers en
pèlerinage. Nous n’en savons pas plus. Entre temps je suis parti à Kalonda, au petit séminaire, à
300 km de mon village. Pendant six ans, nous y vivons cacher dans cette forêt où le séminaire a
été construit loin de tout. Là, dans ce milieu très catholique, parler de Kimbanguisme est
impensable, car c’est le diable en personne. A Mayidi, ce grand séminaire construit par les Jésuites
en pleine forêt, à 13 km de Kisantu (Inkisi) au Bas-Congo, à 150 km de Kinshasa, également bien
186
loin de tout, nous n’entendons pas parler de l’église Kimbanguiste non plus. Pourtant Mayidi est
situé non loin de Nkamba, le fameux lieu saint des Kimbanguistes. En tout cas durant les trois
années que durent mes études à Mayidi, je n’ai pas entendu parler de Nkamba ou bien de Simon
Kimbangu, sinon lors d’un entretien privé avec le professeur Phoba Mvika. Il m’a dit que dans sa
thèse de doctorat défendue à Paris il avait parlé de Simon Kimbangu et de Kimpa Vita. Mais je
n’ai pas lu son livre.
C’est dans la ville de Bandundu et plus tard à Kinshasa et à Kikwit que je me suis rendu
compte de l’influence grandissante de l’Église kimbanguiste au sein de notre population, sans
compter la fulgurante place qu’occupe Nkamba, dite nouvelle Jérusalem, sur la scène nationale
aujourd’hui. A Bandundu-ville, l’influence de l’Église Kimbanguiste se remarque lors des grands
rassemblements notamment politiques grâce à sa célèbre fanfare et son fier uniforme vert-blanc.
Là je suis aussi passé à la grande paroisse kimbanguiste de la commune de Disasi. C’est un vaste
terrain où il y a une église et des écoles dont une école secondaire. A Kinshasa j’ai été saisi et
surpris non seulement par l’impact de l’Église Kimbanguiste, mais surtout par ses réalisations
multiples comme le célèbre temple kimbanguiste de Matete qui attire des foules immenses tous les
jours. Mais aussi l’hôpital kimbanguiste de Kimbanseke qui est l’un de tous premiers hôpitaux en
milieu périphérique. J’ai ainsi réalisé que cette Église s’identifiait à la périphérie et qu’elle était
bien installée dans cette périphérie-est de Kinshasa que je connaissais bien. Non loin de la maison
de ma sœur aînée il y a un très grand centre kimbanguiste avec une grande école secondaire, des
écoles primaires et un centre hospitalier. Ces centres sont éparpillés dans toute cette périphérie
aussi bien à Kimbanseke, à Ndjli qu’à Masina. Ici l’Église Kimbanguiste est populaire. Il en est de
même dans les autres parties de la ville. Dans chaque commune la présence de l’Église
Kimbanguiste est remarquable. A Kalamu où se situe le fameux quartier « Matonge428» il y a un
grand quartier du nom de Kimbangu.
Les communes de Kalamu, Ngiri-Ngiri, Bumbu, Bandalungwa, sont des bastions de
l’Église Kimbanguistes. C’est dans ces communes qu’elle s'est installée d’abord après sa
reconnaissance officielle par le pouvoir colonial à travers « l’arrêté n°2211/846 du jeudi 24
décembre 1959 signé par J.B. Bomans, gouverneur de la province de Léopoldville. 429» Cet arrêté
interdisait l’arrestation et la déportation des Kimbanguistes. A partir de cette date, les
Kimbanguistes ont enfin pu se réunir librement et ont immédiatement élu un chef, Diangienda
Kuntima, celui-là même qui avait demandé et obtenu le retour des déportés kimbanguistes dans
428
429
A Bruxelles, il y a un quartier Matonge, appelé aussi quartier africain, qui a vu le jour sous l’instigation des
Congolais en référence au quartier Matonge de la Commune de Kalamu à Kinshasa.
Fwakasumbu Luwaw anu, Kimbangu le plus vieux et le plus jeune des ancêtres de l’humanité, (KVJAH),
Bibliorma§Eki, Grigny, p.129
187
leurs villages d’origine, dans la région de Nkamba, en septembre 1959.430 Dès ce moment, Tata
Diangienda Kuntima, fils cadet de Tata Simon Kimbangu, s’attèle à organiser la nouvelle Église.
Elle prend d’abord le nom de l’Église de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu
avant de devenir en 1987 « L’Église de Jésus-Christ sur la terre par son Envoyé spécial Simon
Kimbangu431.»
Diangienda est né le 22 mars 1918. Après l’arrestation de leur père, il est relégué à Boma
avec son frère Kisolokele âgé de sept ans. Il est baptisé là-bas, devient enfant de chœur. En 1937 il
travaille au bureau de M. Peigneux, gouverneur de la province du Kasaï. En 1957, il démissionne
de son poste de fonctionnaire pour aider sa mère Muilu dans le travail de continuer l’œuvre de son
père. Il succède à sa maman le 27 avril 1959 quand elle meurt.432 C’est lui qui structure l’Église à
travers tout le pays, mais aussi au Congo-Brazza et en Angola. Il organise des écoles, ouvre une
université kimbanguiste et donne à l’Église kimbanguiste une envergure internationale433.
Excellent orateur, ses prédications attirent des foules nombreuses. Il accomplit aussi des guérisons
et des miracles. Il a le génie de capter l’attention de son auditoire.434 Sous sa direction l’Église
Kimbanguiste se positionne comme une troisième force religieuse à côté de l’Église Catholique et
des Églises protestantes avec cette particularité que l’Église Kimbanguiste ne connaît pas de
défection contrairement aux deux autres forces religieuses du Congo. Enfin-et c’est l’un de ses
grands mérites – c’est Tata Diangienda qui réussit le coup de maître de ramener la dépouille
mortelle de Tata Simon Kimbangu. Le cortège funéraire est salué par une foule immense, en
liesse, massée le long des voies qu’il emprunte. Le corps de Tata Simon Kimbangu arrive à
Nkamba depuis Lubumbashi en passant par Kinshasa, le dimanche 03 avril 1960. Le cortège reçoit
un accueil sans précédent à Nkamba.435 Le corps de Tata Simon Kimbangu repose dans le
mausolée appelé Kilongo (sanctuaire) au pied du plus grand Temple du Congo construit à Nkamba
en 1981, à l’occasion du 60ème anniversaire du Kimbanguisme.436
Ce superbe bâtiment domine Nkamba de partout. On le voit de très loin quand on
s’approche de Nkamba, appelée aussi Nouvelle Jérusalem. C’est la ville sainte des Kimbanguistes,
« centre de pèlerinage qui accueille les gens venant de toutes les provinces, de toutes les régions et
de visiteurs de plusieurs pays étrangers limitrophes ou lointains.437 » Les entrées et les sorties sont
430
431
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433
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435
436
437
Idem
KVJAM, p. 130
Aurélien Mokoko Gampiot, KIN, p. 108
Fwakasumbu Luwawanu, KVJAM, p. 132
KVJAH, p.113
KVJAH, p.133
Paul Kina-Kuntala, Nkamba ville sainte du Kimbanguisme, (NVSK), Bibliorma§Eki, Grigny, 2009,
p.43
NVSK, p.36
188
bien réglementées à Nkamba. On ne peut pas y pénétrer sans l’autorisation des surveillants qui
règlent de jour comme de nuit l’accès au village.438 Et c’est moyennant un laissez-passer du type
colonial remis au Centre Kimbanguiste de Kasa-Vubu à Kinshasa, si on part de là, qu’on peut y
accéder. Ce laissez-passer doit comporter la signature du chef de protocole et le cachet bien visible
de son service. Le protocole conseille toujours de se faire accompagner d’un guide de l’Église
pour être vite et bien reçu à Nkamba. Là-bas l’organisation hiérarchique est telle que sans guide, il
y a un risque certain de ne pas atteindre Nkamba ou tout au moins de ne pas avoir la moindre
possibilité d’entrer au Temple ou de visiter le mausolée. A l’entrée de Nkamba il y a plusieurs
barrages où il faut exhiber le laissez-passer. Alors on est immédiatement pris en charge et dirigé
vers un des camps de séjour, Nkendolo, Ardeur, un ensemble des studios construits en vue
d’accueillir les Africains-Américains qui arrivent nombreux à Nkamba439.
Le village de Nkamba est sacré. Les pèlerins qui y séjournent sont invités à un état de
recueillement permanent et de pureté. Ils se déchaussent pour se promener et doivent avoir un
habillement décent. A Nkamba on baigne dans une ambiance de sanctification. Vivre ou séjourner
dans la Cité Sainte est un appel permanent à l’introspection pour une sincère repentance.440 A
Nkamba il est interdit de porter des chaussures, de cracher par terre, de couper des arbres. Le
village est très propre. On ne se rend même pas compte que l’on marche pieds nus441. Les
confessions individuelles sont permanentes. Dès le matin, ce sont des cloches qui invitent à la
prière matinale. Elle commence à 6h et dure deux heures. Le déroulement de la prière est très
protocolaire. On lit la parole de Dieu, on l’explique, on chante. Tous les jours l’énorme Temple est
rempli. Ce Temple est impressionnant, solidement construit et très beau à l’intérieur. Il est
gigantesque. Cent mètres de long sur cinquante mètres de large.442 Il est bien meublé, très bien
décoré. C’est la fierté des Kimbanguistes qui l’ont construit rien qu’avec des mains, sans la
moindre grue. Les plans du Temple ont été élaborés par Tata Diangienda lui-même et exécutés par
un simple maçon. La construction du Temple a duré 5 ans, soit de 1976 à 1981.443 Ce monument
est entièrement construit en pierres. C’est une œuvre des fidèles bénévoles.
Le bénévolat, ou la gratuité des services pour le bien de tous, est une caractéristique
essentielle des Kimbanguistes. A Nkamba les bénévoles sont partout. Sur les différents chantiers,
dans toutes les résidences, dans des champs, les étangs, aux postes frontières. Partout où il faut
rendre service, les Kimbanguistes sont présents. Leur accueil n’a pas d’égal. A Nkamba comme au
438
439
440
441
442
443
Paul Kina-Kuntala, NVSK, p.42
Aurélien Mokoko, KIN, p. 341
Paul Kina-Kunata, NVSK, p.42
Aurélien Mokoko Gampiot, KIN, p. 215
NVSK, p.44
NVSK, p.43
189
Centre de Kinshasa ou ailleurs, les visiteurs sont bien accueillis. Aujourd’hui Nkamba a les
infrastructures d’un village moderne. Il y a de l’électricité, de l’eau courante, une imprimerie, des
boutiques, des entreprises de construction et de transport, un héliport, un dispensaire, des écoles et
un centre d’apprentissage.444 Rien pourtant ne présageait un tel développement rapide. Car à
l’époque de Simon Kimbangu, le village ne comptait qu’une vingtaine des maisons en chaume. Il
n’y avait pas plus de cent habitants.445 C’était un village comme un autre. Et pourtant aujourd’hui
il est tout autre grâce à l’action d’un homme qui est à l’origine de tous ces bouleversements.
Simon Kimbangu. Personnage devenu mythique, Simon Kimbangu incarne la sainteté et
l’obéissance à Dieu pour la cause de ses frères de race, le peuple Congolais. C’est pour lui qu’il a
donné sa vie.
Simon Kimbangu est né à Nkamba dans la région du Manianga, non loin de Luozi à 78 km
de la ville de Mbanza-Ngungu, le 12 septembre 1887. C’est dans ce village qu’il a passé la
majeure partie de son enfance et de sa jeunesse.446 Il est le troisième enfant de papa Kuyela et de
mama Luezi. Ses sœurs ainées sont Mbonga et Bikuta. Kimbangu est devenu orphelin assez tôt.
Car sa mère meurt quatre mois seulement après sa naissance. Papa Kuyela confie alors la garde de
ses enfants à sa belle sœur Kinzembo qui habite Nkamba et qui dans la tradition Kongo est pour
les enfants Luezi une mère au même titre que celle qui les a mis au monde. Mama Kinzembo
élève bien ses enfants et joue un rôle important dans la genèse de la vocation du fils Kimbangu447.
C’est donc elle qui assure son éducation, car ses sœurs plus grandes se sont certainement mariées
assez vite. Kimbangu est resté à la maison chez Mama Kinzembo qui l’envoie ensuite à Ngombe
Lutete, mission protestante, alors Baptist Missionnary Society, à 12 km de Nkamba, pour étudier.
Kimbangu apprend à lire et à écrire le Kikongo, sa langue maternelle. Il y a fait quatre ans
d’études primaires comme c’était la coutume en ce temps là au Congo des belges. On dit qu’il a eu
un comportement et une vie morale très réglée, que les autres suivaient.448 L’arrivée de Kimbangu
à Ngombe Lutete correspond à la période que l’on a appelée celle de « la guerre des religions ».
La rivalité, l’hostilité sinon la haine entre l’Église catholique et l’Église protestante au Congo,
particulièrement dans le Bas-Kongo. Pour les catholiques, la foi protestante était l’ennemi numéro
un au Congo449. Pour les Baptistes, « les catholiques étaient des buveurs invétérés d’alcool, des
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NVSK, p.40
NVSK, p. 28
Paul Kina-Kuntala, NVSK, p.12
« Considérée comme la véritable mère de Kimbangu par les autorités belges, elle subira la hargne
répressive, sera arrêtée, jugée et déportée à Boma. C’est là qu’elle meurt le 2/7/1929 après huit ans
d’internement dans un asile psychiatrique. » Paul Kina-Kuntala, op.cit. p.79
Fwakasumbu Luwawanu, KVJAH, p.30
Paul Kina-Kuntala, NVSK, p.74
190
danseurs, des hypocrites, des menteurs. 450» Les Congolais découvrent ainsi un Dieu à double
face : le « Nzambi-a-Mpelo) et le « Nzambi a Misioni » ce qui veut dire (Dieu des catholiques et
Dieu des protestants)451.
Cette rivalité est à l’image de la flagrante contradiction entre l’évangile qu’enseignent les
missionnaires et leur comportement sur le terrain.452 Cette même contradiction s’était déjà révélée
quelques siècles auparavant dans la même région avec la pratique de la traite négrière que les
Congolais n’avaient pas oubliée. Ainsi donc et comme à l’époque, les Congolais s’en remettent au
vrai Dieu, Nzambi-a-Mpungu (Dieu Tout Puissant) et l’exhortent de leur envoyer un sauveur qui
les sorte de cette difficile situation de domination et aussi de tous les maux qui rongent leur
société. Car à cette profonde difficulté de la foi, s’ajoutent les difficultés de l’occupation étrangère
et des travaux forcés. La première colonisation belge (1875-1908) est rude et pénible pour les
populations indigènes. Le pays est dirigé par les grandes compagnies commerciales, industrielle et
agroalimentaires qui reçoivent d’énormes concessions dans lesquelles elles exercent une autorité
implacable aussi bien sur les personnes que sur les biens. Les personnes sont réduites à un semiesclavage et soumises à une exploitation éhontée. Les populations subissent les pires exactions. Le
cas le plus célèbre est celui de la fameuse Union Minière du Haut Katanga (UMHK), grand trust
spécialisé dans l’exploitation d’énormes gisements miniers du Katanga tels le cuivre, le cobalt, le
zinc, l’or, le fer, le radium, le diamant. Véritable État dans un État sans État, l’UMHK possède
d’exorbitants privilèges sur le territoire où elle exploite les mines. Il a reçu un bail de plus de
quatre vingt dix neuf ans. Les atrocités commises par ces compagnies concessionnaires sont
mondialement connues.453
Outre ce défi politique, la population est confrontée à un autre défi local, mais séculaire, et
qui n’a toujours pas trouvé de solution, à savoir l’insoluble pouvoir occulte, la sorcellerie, cause
de tous les maux, dont la mort, mais aussi la stérilité, la pauvreté voire l’occupation étrangère. Les
croyances, la foi, de la population au Nzambi-a-Mpungu et à ses bienfaits par l’entremise des
ancêtres, les intercesseurs, ne la libère pas de la peur de l’envoûtement. Au contraire elle tient une
place de premier plan dans sa mentalité.454 A vrai dire la population est confrontée entre son
aspiration à la foi divine, la croyance au Nzambi-a-Mpungu, et le manque de vraie révélation de ce
même Dieu. Autrement dit, la population sent une urgence à se libérer de la foi ancestrale qui
l’emprisonne. Elle est incapable d’apporter des réponses satisfaisantes face aux nouveaux défis
450
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NVSK, p.72
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191
auxquels la population est confrontée. Les réponses des anciens s’avèrent insuffisantes,
inappropriées, dépassées. Il faut du nouveau. La piste des mindele est mauvaise car ils ne sont là
que pour eux-mêmes. Nombreux parmi eux sont méchants et cruels. Les missionnaires n’y
échappent pas. Ce travail de libération et de transformation de la société ne peut être entrepris que
par un autochtone, un fils du pays.
C’est dans ce contexte que se présente le Ntumwa, Mvuluzi, Kimbangu.455 Comment se
réalise la transformation à l’intérieur d’une personne pour prendre conscience du profond malaise
que vit un peuple et sentir le désir de le libérer comme un appel et comment se fait le passage à
l’acte de libération de soi et des autres ? Ceci reste un mystère de la nature humaine ? Ce qui se
voit, c’est la révélation divine qui transforme la personne. Du jour au lendemain, une personne
ordinaire devient extraordinaire. Une personne connue devient énigmatique. Un simple homme du
peuple devient prophète. « Rien, en effet, dans le passé de ce modeste travailleur, rien, dans le
passé de cet humble catéchiste, ne le désignait pour une si haute mission. Seule la manifestation de
la toute-puissance divine peut expliquer le surgissement miraculeux, au milieu de ses frères de
race, d’un leader charismatique envoyé pour sauver le peuple africain de l’obscurantisme aussi
bien traditionnel que colonial.456 » Il franchit la frontière entre le visible et l’invisible, entre
l’humain et le divin, entre l’ici et l’au-delà. C’est ce que vit Simon Kimbangu, le Tata Longi de
Nkamba. Naturellement, rien ne pouvait présager que ce paysan catéchiste deviendrait un « élu de
Dieu » parachevant l’œuvre de Jésus, et qui va connaître une ascension fulgurante et atteindre
assez vite une renommée mondiale.457
Le ministère de Ntumwa Kimbangu
commence le 06 avril 1921 par une guérison
miraculeuse. En 1918 Ntumwa Kimbangu entend le premier appel divin. Une voix l’appelle et
l’invite à enseigner et à diriger le peuple de Dieu. Ntumwa Kimbangu se refuse à la suivre. Il
s’estime incapable d’accomplir une telle mission. Mais la voix revient. Il l’entend chaque nuit.
Elle l’appelle et lui ordonne de devenir le leader de la communauté chrétienne. Les appels se font
de plus en plus pressants. Ntumwa Kimbangu s’enfuit à Kinshasa, alors Léopoldville, pour s’y
soustraire. Il trouve du travail aux huileries du Congo belge (HCB). Il est engagé comme pointeur.
Mais pendant trois mois il ne reçoit pas son salaire. Quand il le réclame, il est menacé
d’arrestation parce que l’agent, étant sûr de l’avoir payé, le prend pour un menteur. Lui sait
pourtant très bien qu’il n’a jamais été payé. Devant ce fait, Ntumwa Kimbangu démissionne. Il
monte un petit commerce de vente de kwanga (le pain de manioc). Mais la voix revient à la charge
455
456
457
NVSK, p.74
Mme Nuyabu Nkulu, Allocution prononcée à Nkamba le 12/09/1991 citée par Aurélien Mokoko,
KIN, p.230
Paul Kina-Kuntala, NVSK, p.88
192
et l’appelle de nouveau. Et cette fois encore plus explicitement. « Kimbangu ! Kimbangu !
Kimbangu ! Ikusolele wa tuadisa nkangu ame. Kimbangu, Kimbangu, Je t’ai choisi pour conduire
mon troupeau458 » Ntumwa Kimbangu cède finalement. Il retourne à Nkamba. C’est à ce moment
qu’intervient son premier miracle.
Le mercredi 06 avril 1921 Ntumwa Kimbangu est en route vers le marché de Nsona
Kiyenzi, accompagné de son fils Kisolokele. C’est son premier fils. Il en a eu deux autres
Dialungana et Diangienda. Pendant le trajet vers le marché de Nsona Kiyenzi, Jésus lui apparaît et
lui ordonne d’entrer dans une maison du village de Ngombe Kinsuka, village situé sur la colline
en face de Nkamba. Il y entre et guérit par la prière et au nom de Jésus – comme ce dernier le lui
avait demandé - une jeune femme nommée Nkiantondo. Elle était dans le coma depuis plusieurs
jours et on attendait de la voir rendre son âme à tout moment. La première résurrection réussie et
très connue en milieu kimbanguiste est celle de Dinayaku, dit Dina, une jeune fille de 15 ans, dont
le corps commençait déjà à se décomposer, du fait qu’elle était décédée depuis trois jours.459 En
effet elle était morte trois jours plus tôt au village de Ntumba à 150 km de Nkamba. Le cortège
transférant la dépouille mortelle avait dû marcher 50 km par jour pour atteindre Nkamba.460
Évidemment cette nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Des foules des personnes
accourent vers Nkamba pour voir cet homme extraordinaire.461 Dès ce mois d’avril 1921,
« d’interminables caravanes sillonnent les routes qui conduisent au village de Nkamba. De toutes
les directions, les foules accourent vers le guérisseur. On lui apporte les malades, les mourants, les
morts même parfois ; les gens bien portants viennent aussi pour le voir ou pour intercéder en
faveur de leurs parents malades et intransportables.462 » Bientôt des foules énormes composées des
milliers et des milliers des personnes affluent vers Nkamba. La réputation de Ntumwa Kimbangu
se répand sur tout le territoire de l’ère Kongo. Les pèlerins viennent des environs de Nkamba, des
régions lointaines, de l’autre côté au Congo des français et de l’Angola des portugais. Il faut
mettre à la disposition des pèlerins des moyens de transports énormes (trains spéciaux) pour les
amener à Thysville (Mbanza-Ngungu) d’où ils poursuivent leur route jusqu’à Nkamba soit en
véhicule soit à pieds.463
A Nkamba, Ntumwa Kimbangu accomplit plusieurs miracles. Il ressuscite les morts. Il fait
marcher les paralytiques. Il rend la vue aux aveugles et soigne toutes sortes de maladies au nom de
458
459
460
461
462
463
NVSK, p. 89
Aurelien Mokoko Gampiot, KIN, p. 77
Fwakasumbu Luwawanu, KVJAH, p.43
Fwakasumbu Luwawanu, op.cit. p.41-42
Jules Chomé, cité par Paul Kina-Kuntala, op.cit. p.92
Paul Kina-Kuntala, NVSK, p. 92
193
Christ sans réclamer de l’argent.464 Nkamba est plein à craquer. L’enthousiasme populaire est sans
précédent. Le journal colonial belge, l’Avenir, du 30 juillet 1921 fait part des désertions des
ouvriers dans les ateliers de chemin de fer, dans les établissements industriels situés le long de la
voie ferrée Léopoldville-Matadi, et les ateliers de la Compagnie. Puis les établissements de
Léopoldville sont touchés comme les Huileries, les fours à chaux Van Win, ceux de Verhaege et
les commerçants, ainsi que la cimenterie de Lukala. Il écrit : « des désertions se produisent
journalièrement aux Huileries du Congo belge, on en compte à l’heure actuelle plus de deux
cents ; à la Citas cent environ ; à la Sonatra à Léopoldville, le chiffre est important. »465
Ntumwa Kimbangu prêche le respect des commandements de Dieu, la pratique de l’amour
mais aussi le Christ comme source de sa force de guérison. Il met l’accent sur le fait que Jésus ne
devrait plus être considéré comme un dieu importé, mais bien aussi comme celui des Africains. Il
affirme avec force qu’il n’y a de salut qu’en Jésus-Christ, rédempteur universel de l’humanité…
Le Christ que les missionnaires nous ont révélé, dit-il, est celui duquel je reçois ma mission et ma
force. Il faut croire en lui et mettre en application ses enseignements. Vous ne devez plus
continuer à le considérer comme le Dieu des Européens, mais bien comme le fils de l’Éternel.466 Il
dit aussi que « le Christ va venir bientôt, les morts ressusciteront, les Africains deviendront très
heureux, plus même que les Européens ; un âge d’or s’instaurera sur la terre dont bénéficieront les
Africains. Et il ajoutait : l’européen deviendra africain et l’africain deviendra européen.467
Ntumwa Kimbangu porte aussi sa prédication sur l’identité africaine détériorée : il prêche
la libération des Africains du joug colonial, en doublant cette promesse d’une autre prophétie,
concernant la construction d’un temple à Nkamba. Temple qui sera comme le signe de la
libération spirituelle des Africains.468 Pour mener à bien son œuvre de libération, Ntumwa
Kimbangu se choisit des collaborateurs, cinq hommes et une femme. Comme lui, ils guérissent les
malades et les infirmes au nom de Jésus. Cela élargit le champ des guérisons miraculeuses et finit
par attirer la réaction des autorités religieuses et coloniales.469 Les missionnaires catholiques dont
les églises se vident, ne peuvent concevoir que Ntumwa Kimbangu ait eu une réelle inspiration
divine et qu’il ait pu accomplir des guérisons miraculeuses. Ils accusent les pasteurs protestants
d’être responsables de ce scandale.470 Ils multiplient les accusations contre les protestants et les
poussent à dénoncer Kimbangu.
464
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469
470
NVSK, p.91
NVSK, p. 96
Aurélien Mokoko Gampiot, KIN, p.79
KIN, p.206-207
Aurélien Mokoko Gampiot, KIN, p. 82
KIN, p.79
Paul Kina-Kuntala, NVSK, p.94
194
C’est alors que l’Administrateur belge de Thysville, Léon Morel, se rend à Nkamba le 26
avril 1921 avec quelques soldats, sans armes, pour enquêter sur le mouvement de Ntumwa
Kimbangu. Au retour il déclare que « depuis une quinzaine de jours, un indigène se donne des
allures de prophète. Il a acquis une popularité vraiment extraordinaire. Des centaines d’indigènes
accourent de toutes parts, se rendant en pèlerinage à Nkamba et amenant des malades. 471» Dans
ce climat, les autorités coloniales, font vite de traiter le mouvement de Ntumwa Kimbangu de
xénophobe, anti-européen et anticolonialiste ; très nuisible et très dangereux pour leurs intérêts
respectifs. Ils mènent toute une série d’actions pour éliminer l’Envoyé de Dieu et briser son
mouvement. Deux tentatives de l’arrêter en juin et en juillet 1921 échouent. La répression
commence alors à s’abattre sur les compagnons du prophète et les fidèles. Toute la région est
soumise au contrôle des troupes de la Force Publique sous le commandement du dur Rossi.472 De
nouveaux renforts arrivent de Thysville. Désormais tout partisan de Kimbangu arrêté sera jugé
comme un criminel par les conseils de guerre. Devant ce déploiement de force militaire et des
mesures répressives, pensant alléger les souffrances des fidèles, Ntumwa Kimbangu se livre. Il est
arrêté le 12 septembre 1921 par l’armée avec sa femme, ses trois enfants et ses disciples, six mois
seulement après avoir commencé son ministère, dans son pays. Il est enchaîné au cou, aux
poignets et aux chevilles.473
Ils sont acheminés à Thysville et sont jugés le 03 octobre 1921 par un conseil de guerre. Ils
sont accusés d’incitation au désordre, d’incitation à ne pas payer l’impôt, d’incitation à chasser les
Belges du Congo. Kimbangu n’a ni défenseur, ni témoins à sa charge. Il est maltraité durant le
procès et battu à chacune de ses réponses. Il est condamné à mort par le conseil de guerre474. Mais
grâce au recours en grâce des missionnaires protestants auprès du roi Albert 1er, cette peine est
commuée en détention perpétuelle. Il reçoit 120 coups de fouet tous les jours.475 Il est déporté à
Élisabethville (Lubumbashi) à plus de deux mille kilomètres de Nkamba, après avoir été à
Stanleyville (Kisangani). Il est resté 30 ans en prison jusqu’à sa mort en 1951.
Avec cette arrestation commence les temps des persécutions car 37.000 familles, soit
150.000 personnes, sont reléguées et déportés dans l’extrême nord du pays où la plupart sont
morts suite aux tortures infligées ou bien simplement jetés dans la forêt équatoriale afin d’y être
dévorés par les animaux sauvages.476 Qu’à cela ne tienne ! Cette action d’une rare méchanceté,
inédite au Congo, n’arrête pas le mouvement de libération des Africains initié par Ntumwa
471
472
473
474
475
476
NVSK, p.95
NVSK, p.97
Fwakasumbu Luwawanu, KVJAH, p.155
NVSK, p.98
NVSK, p.99
Aurélien Mokoko, KIN, p.83
195
Kimbangu. Que du contraire. Partout où ils arrivent, les déportés et exilés répandent le message de
libération, eux-mêmes étant le signe vivant de celle-ci. De nouvelles communautés des
Kimbanguistes naissent partout au Congo. Ainsi l’action répressive des colons, quoique nocive,
est perçue comme une action de la main divine pour répandre davantage le message de libération
divine, libération du peuple congolais du joug colonial. A Nkamba, Mama Mwilu continue
d’animer la communauté jusqu’à sa mort quand son fils Diangienda, déjà destiné par Ntumwa
Kimbangu à ce poste, la remplace le 27 avril 1959477.
Joseph Diangienda Kuntima, le fils cadet de Ntumwa Kimbangu, apporte une contribution
considérable dans la transformation du mouvement initial de Ntumwa Kimbangu en Église
indépendante. Il définit le kimbanguisme comme « l’ensemble des actions et des enseignements de
Ntumwa Simon Kimbangu. 478» Dans cette optique, Ntumwa Kimbangu est la réalisation de la
promesse de Jésus annoncée dans Jean 16, 15-17. Il est l’incarnation de Dieu le Saint-Esprit.479
Dans la profession de foi kimbanguiste, la Trinité divine est représentée par les trois fils de
Ntumwa Kimbangu. Ils sont les trois personnes en Dieu et forment un Dieu unique, Simon
Kimbangu.480 La théologie kimbanguiste élaborée par Tata Diangienda Kuntima considère la
sorcellerie, cet élément culturel incontournable de l’Afrique, comme étant le Péché originel, la
cause même du problème africain.481 Elle est le malheur numéro un chez les Africains. Elle est
présente partout où vivent les Africains, en ville comme dans la campagne. Aujourd’hui à
Kinshasa, il y a un phénomène ahurissant, appelé « enfants sorciers ». Ce sont des enfants qui
errent dans la rue abandonnés par leurs familles, que celles-ci ou d’autres accusent de sorciers.
C’est donc par la sorcellerie que tout s’explique et que les pires responsabilités sont gommées. Je
me souviens d’un cas d’absolution qu’a connue un ami, prêtre allemand à Bandundu. Il avait
écrasé un enfant avec son véhicule, une lourde 4X4 anglaise, Land Rover. La famille de la victime
a simplement blanchie le prêtre de toute responsabilité, car c’était un cas de sorcellerie dans la
famille qui a conduit l’enfant à la mort. Et non une quelconque maladresse, ivresse ou mauvaise
conduite du chauffeur. Les cas des coupables graciés sont récurrents. A l’inverse, des innocents
sont souvent molestés, voire lapidés, puisque reconnus coupables de sorcellerie, comme les
enfants accusés de sorcellerie à Kinshasa.
L’Église kimbanguiste adopte ici le comportement de la société traditionnelle vis-à-vis de
la sorcellerie en recourant à la suspicion permanente qui la caractérise. Le sorcier est satanique et
477
478
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480
481
Aurélien Mokoko Gampiot, KIN, p.108
Diangienda Kuntima, cité par Aurélien Mokoko, KIN, p.273
Aurélien Mokoko, KIN, p. 230-231
KIN, p.237
KIN, p.268
196
le Satan du récit biblique n’est autre que le sorcier. C’est pour cela que l’Église Kimbanguiste fait
de la lutte contre la sorcellerie sa priorité numéro un. Lutter contre la sorcellerie qui est le péché
originel, c’est œuvrer à la libération des Africains. Étant donné que la situation d’oppression dont
les Africains ont été victimes est le résultat d’une malédiction divine causée par le péché originel,
c’est-à-dire par la sorcellerie. Adam et Ève étaient des Africains aux yeux des Kimbanguistes.
Cette malédiction se vérifierait, selon eux, notamment par l’absence de participation des Africains
aux découvertes et aux inventions de tout temps, par l’oppression et la réduction à l’esclavage, la
colonisation, l’insignifiance dont les Africains sont victimes de la part des Européens
dominants.482 Dans cette logique et dans le but d’exorciser les Africains pour les libérer du
mauvais sort qui pèse sur eux à travers le Péché originel ou la sorcellerie, à l’appel de leur chef
spirituel Diangienda, les Kimbanguistes ont procédé, à la demande de pardon à Dieu pour le péché
originel – en lieu et place d’Adam et Ève – le 24 décembre 1992. Les évêques européens avaient
eux aussi fait la même démarche au sujet de la malédiction de Cham au concile de Vatican I en
1870. Soixante-huit évêques avaient demandé la levée de l’anathème pesant sur les descendants de
Cham, sans succès, car ce vœu n’a pas eu de suite.483 Reste à savoir si la condition des Africains a
tellement changé suite à cette démarche des Kimbanguistes. Pas sûr !
La question qu’il faut bien se poser est celle de savoir si ce diagnostic est bien posé ou s’il
est suffisant à lui seul. La condition des Africains considérés comme des sous hommes sur une
certaine échelle établie par les Européens à la suite de l’Église Catholique serait-elle tributaire de
l’être même des Africains comme le suggèrent les Kimbanguistes à travers la problématique de la
sorcellerie ? Dans ce cas la sorcellerie devrait être uniquement africaine et rien qu’africaine. Ce
qui n’est pas le cas. Depuis la nuit des temps et partout, les hommes sont soumis aux puissances
maléfiques de toute sorte qui les empêchent d’être libres. On remarque une résurgence de ce
phénomène en Europe et dans tout le monde occidental. Les Évangiles de Jésus font régulièrement
référence aux possédés et aux démons. Délivrer la personne de l’emprise du démon fut la
préoccupation première et l’une de ses premières actions.484 En plus la population africaine ne
demande pas mieux que de s’en libérer. C’est ce qui justifie le succès de ceux qui prétendent
apporter cette libération tant attendue. On sait que les nganga ou anti-sorciers sont respectés du
fait qu’ils ont le pouvoir de délivrer contre les mauvais sorts, contre les agissements des sorciers,
et donc contre la sorcellerie. Ntumwa Simon Kimbangu n’était pas le premier à avoir initié
l’action de libération de la population contre la sorcellerie. D’autres l’ont précédé et l’ont suivi.
482
483
484
KIN, p. 272
J.P.Chrétien, Les deux visages de Cham, point de vue français du XIXe siècle sur les races africaines
d’après l’exemple de l’Afrique orientale, cité par Aurélien Mokoko, op.cit. p.309
Eugene Drewermann, op.cit., p. 23, la guérison du possédé de Capharnaüm., Évangile de Marc, 1, 21-28.
197
Jusqu’à ce jour il y a toujours des nganga. Ce qui veut dire que le problème demeure. La société
congolaise actuelle est secouée plus que jamais par ce fléau de la sorcellerie. Tous les niveaux de
la population sont pris dans la tourmente, y compris les prêtres catholiques, les pasteurs
protestants, les ministres et députés, les professeurs d’université, les habitants des villes et
campagnes. La libération que demande le peuple ne viendra donc pas du côté de l’exorcisme, donc
du religieux en tant que tel. Ce n’est pas un problème de simple pratique religieuse. Car celle-ci
semble le renforcer. Aujourd’hui les Églises de toute sorte qui sont prises d’assaut sont des
véritables foyers de propagation de la peur liée à la sorcellerie. Elles l’amplifient plus qu’elles
n’aident les populations traumatisées en s’en libérer. « On ne touche apparemment toute la
profondeur du démoniaque en l’homme que si l’on saisit à quel point l’aspiration à la pureté et à la
perfection peut se retourner en reniement de soi, en haine de soi, en destruction de soi, dès lors
qu’on devient prisonnier du système de contrainte des autres… Le pouvoir de Dieu se décide dans
le cœur de l’homme, et son impuissance tient souvent à une religion qui n’est faite que de
peur. 485»
La sorcellerie est un problème existentiel, lié à la problématique de l’énigme de la mort, du
désarroi qu’entraîne la mort. Car il n’y a aucune lueur d’espoir, aucune solution en vue. Il y a donc
un problème d’ignorance à laquelle la population est soumise. Si elle s’en prend aux anciens, c’est
parce qu’elle leur reproche de ne pas y apporter des réponses adéquates. En plus les anciens sont
les seuls à qui la population peut s’adresser directement. Tous les autres lui sont éloignés, souvent
inatteignables. Cette problématique de la mort s’ajoute à toutes les difficultés que présente la vie,
dont la maladie, la méchanceté humaine, les calamités naturelles, la misère, la pauvreté, etc. La
situation de paupérisation généralisée et de la mort permanente auxquelles est soumise la
population congolaise à l’époque de Ntumwa Kimbangu comme maintenant, amplifie encore le
phénomène. Elle cherche en vain des solutions à tous ces problèmes. Il ne se trouve personne pour
les lui en donner. Ni les nganga, ni les prêtres, ni les intellos, personne. Tous se préoccupent plus
d’eux mêmes que du peuple.
C’est d’ailleurs le cas des chefs spirituels de l’Église Kimbanguistes eux-mêmes. Les
autorités kimbanguistes considèrent le fait d’avoir hissé leur mouvement au niveau d’Église
comme une grande victoire, en tout cas une grande œuvre. L’Église Kimbanguiste est aujourd’hui
la troisième religion du Congo, souvent placée en deuxième position486. D’après les
Kimbanguistes rencontrés à Nkamba, elle serait la première car, disent-ils, chez eux il n’y jamais
défection contrairement aux Églises Catholique et protestante dont les chrétiens ne cessent de
485
486
Eugène Drevwermann, op.cit. p.27
KIN, p. 94
198
grossir les rangs des Kimbanguistes. C’est justement cela qui pose problème. Car refusant
l’assimilation ou l’aliénation, l’Église de Jésus-Christ sur terre par son Envoyé Simon Kimbangu
(EJCSK) a adopté la hiérarchisation de l’Église Catholique. Son chef spirituel s’appelle Éminence.
Appelé aussi « Papa » il est tenu pour infaillible. Critiquer ou mettre en doute ses paroles revient à
courir le risque d’être considéré comme un sorcier anti-kimbanguiste.487 L’Église Kimbanguiste,
hiérarchisée, a adoptée les méthodes décriées de l’Église catholique d’excommunication, de
rétrogradation et de licenciement des récalcitrants ou plutôt de ceux qui osent défier l’autorité
divine du chef. Ainsi Simon Kimbangu Kiangani, chef spirituel actuel, limoge tout membre du
clergé qui tente de remettre en question les résolutions de Nkamba qui lui ont donné le plein
pouvoir sur ses cousins et cousines, prétendant eux aussi aux mêmes droits que lui. D’après cette
résolution en son point n°8 « L’Église n’a qu’un seul chef spirituel, représentant légal : Son
Éminence Simon Kimbangu Kiangani et ne lui reconnaît aucun adjoint. 488» Il a ainsi limogé
purement et simplement Lucien Luntadila, élément capital, mondialement connu, indissociable de
l’histoire kimbanguiste.489 La direction de l’Église est donc devenue une affaire de pouvoir et des
privilèges, laquelle divise les descendants de Ntumwa Kimbangu. Déjà ses propres enfants
s’étaient attribués la direction de l’Église qu’ils ont occupée successivement jusqu’à leur extension
totale. Aujourd’hui leurs vingt enfants briguent cette même succession et se sont divisés en
plusieurs branches et s’accusent mutuellement de sorcellerie et de magie490.
On voit donc que l’Église Kimbanguiste suit la voie de l’Église chrétienne d’Europe dont
les divisions et les idéologies inhumaines ont tant scandalisé les Congolais et ont décidé Ntumwa
Simon Kimbangu à remettre de l’ordre à travers son message de libération. Si donc à cause de la
terrible répression subie par les adeptes du mouvement, celui-ci s’est tourné vers les Africains, sa
finalité est universelle. Ce message aurait pu redynamiser les Églises catholique et protestante du
Congo et d’ailleurs, leur redonner des visages nouveaux, des visages transformés, plus humains et
véritablement spirituels qu’ils ont perdus depuis des siècles. Elle les aurait aidées à revenir au
Dieu révélé par Jésus. Dieu sauveur qui ne vient pas pour nous tuer, mais pour nous sauver. Dieu
qui n’est ni juge ni bourreau, en qui on peut et on doit faire confiance. Dieu qui veut notre liberté,
notre vie.491 Aujourd’hui en se posant comme troisième force à leurs côtés, l’Église Kimbanguiste
ne les a pas aidées à se remettre en question, alors qu’elles en ont bien besoin. Pire, par sa
conception de la divinisation des hommes ou de l’incarnation, elle s’écarte dangereusement du
487
488
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491
Aurélien Mokoko, KIN, p.109
KIN, p. 188
KIN, p. 194-195
KIN, p. 193
Eugène Drewermann, op.cit. p. 7
199
message de libération de Ntumwa Simon Kimbangu. Car l’incarnation divine et la théorie de
l’évolution qui la porte divise plus les hommes qu’elle ne les unit. Dans beaucoup d’endroits les
révélations divines, devenues exclusives et vidées de leur substance se sont transformées en
désastre. Elles sont devenues des portes ouvertes aux exclusivités de toute sorte, aux intolérances
mortelles ; domaines réservés de la domination, comme le disait un prêtre à un groupe d’étudiants
africains à Paris : “nous avons fait de Jésus un dieu pour dominer le monde. “
L’Église Kimbanguiste, si elle veut demeurer telle, devrait se garder de devenir une Église
des exclusions : mono-langue, mono-race, mono-sexe, uni-familiale, mono-accoutrement,
infaillible, etc. Elle doit revenir aux fondamentaux de Ntumwa Simon Kimbangu et donc de Jésus
le Nazaréen. Comme Jésus, il s’est choisi, lui aussi, des disciples parmi le petit peuple, hommes et
femmes. Il n’a mis aucune barrière entre les gens. Il a guéri tout le monde, il a sillonné tous les
villages de la région. Il a donné sa vie et toute sa jeunesse pour tous. Il ne mérite pas d’être
enfermé dans des considérations familiales, économiques ou autres. Tout un chacun, membre de
l’Église peut bien la diriger ou diriger toute autre institution qui en dépend. L’Église ne peut pas se
contenter d’avoir construit le magnifique Temple de Nkamba de 37.000 places. C’est une grande
œuvre il est vrai. Mais elle ne libère pas pour autant le peuple Congolais. Il est plus facile de bâtir
des Temples, Cathédrales ou Mosquées que d’œuvrer à la construction des cœurs des hommes
pour y semer l’amour de l’humain, de tout homme, et barrer ainsi la route aux discriminations, aux
cruautés, aux racismes, aux meurtres, aux vols, aux viols, etc. ; travail combien exigeant auquel se
sont attelés sans désemparer tous les prophètes et envoyés de Dieu. La construction des
monuments dits chrétiens en s’accommodant avec le maître argent ont foulé au pied « le vœu de
pauvreté des premières communautés chrétiennes 492» et donc de Jésus lui-même. « La nourriture
des pauvres était dévorée par la pierre, par les marbres multicolores et les mosaïques d’or des
nouvelles basiliques.493» Aujourd’hui ces édifices sont devenus de hauts lieux de tourisme et de
commerce.
L’Église de Nkamba est à un pas de l’Église catholique « trop glorieuse, trop complaisante
et trop riche… ce qui a conduit au schisme de la Réforme du XVIe siècle et à la naissance du
protestantisme. 494» Jésus lui-même avait déjà mis en garde contre l’argent.495 Celui-ci provoque
la cécité face aux pauvres. Les autres “religions dites monothéistes“ ne sont pas loin de cette
cécité non plus. Elles s’adonnent mêmement à bâtir des édifices qu’à construire patiemment les
cœurs des hommes et à rendre ces hommes nouveaux à Dieu, leur Père à tous. Pire, elles
492
493
494
495
Jean-Claude Guillebaud, LRFM, p.170
Peter Brown, Pouvoir et Persuasion dans l’Antiquité tardive, cité par J-C. Guillebaud, LRFM, p.170
LRFM, op.cit.
Évangile selon Saint Mathieu, 6, 24
200
établissent des hiérarchies entre les hommes, érigent des murs, barrières et autres fortifications
entre les hommes et entraînent les hommes appelés à fraterniser dans un cycle interminable des
guerres et des divisions qui durent et durent toujours.
L’appel de Jésus, son exigence, que ntumwa Kimbangu avait reconnu et suivi, est toujours
d’actualité pour tous, y compris pour les dirigeants actuels de l’Église Kimbanguiste. Car « celui
qui veut vraiment transformer le monde doit commencer par lui-même et chercher la justice en
son propre cœur… celui qui aura appris à mettre un peu d’ordre en soi trouvera les mots justes
pour faire naître le bien…496 » A Nkamba même, le petit peuple loge dans des huttes à côté de la
grande cathédrale. Mais le chef spirituel et les autres dignitaires ont des beaux palais avec
électricité et eau courante ; ils mangent à leur faim. Le peuple aimerait aussi avoir cette aisance. Et
pourquoi pas ? Les progrès techniques ne doivent pas être le privilège de quelques uns comme le
veut la pieuvre anglo-saxonne contre la population africaine. Tout un chacun devrait dans la
mesure de ses possibilités, mais aussi avec le concours de la communauté, pouvoir accéder au bien
être et au bonheur. Bien manger, bien s’habiller, bien vivre, soigner et éduquer ses enfants ; vivre
heureux au milieu de siens et contribuer à l’émancipation de tous. L’Église devra se préoccuper
davantage de la défense du petit peuple et de son instruction. Celle-ci ne peut se passer que dans la
langue du peuple comme le faisait Ntumwa Simon Kimbangu et non dans des langues étrangères,
fussent-elles internationales.
C’est pour cela que l’appellation « Église de Jésus-Christ sur la terre par son Envoyé
Simon Kimbangu », en français, n’est pas conforme à l’esprit de celui que l’on appelle son
Fondateur. Lui n’aurait pas donné un nom en français à son Église s’il avait envie d’en constituer
une. C’est choquant de voir ce grand écriteau à l’entrée de Nkamba portant cette inscription. On
voit que cette appellation est là pour satisfaire les intellectuels Congolais, les étrangers, et les
touristes, qui arrivent à Nkamba. Elle ne tient pas compte du petit peuple. Il a, lui, non seulement
du mal à prononcer ce nom kilométrique, mais plus encore à le comprendre. Pourquoi ne pas
donner un nom typiquement congolais, africain, symbolique, proche du petit peuple, à cette Église
pour autant qu’elle doive être baptisée ? Le petit peuple l’appelle tout simplement « Kintwadi »,
“ce qui conduit, c’est-à-dire le chemin.“
La vulgarisation, l’appropriation des connaissances par la population, devrait être au centre
des préoccupations des dirigeants de l’Église Kimbanguiste. Peut-être que la sorcellerie dont elle
parle, qu’elle considère comme la malédiction des Africains, est due principalement au manque de
vulgarisation scientifique dont ils souffrent. Personne ne veut aider la population à avoir des
496
Eugène Drewermann, op.cit., p.9
201
connaissances modernes, des acquis technologiques modernes, pour améliorer ses conditions de
vie. Au contraire on la soumet aux humiliations de toute sorte et à l’esclavagisme intellectuel en
voulant faire passer à tout prix les moindres connaissances qu’elle veut apprendre par des langues
étrangères comme étant les dépositaires naturels des connaissances, du savoir. Ntumwa Simon
Kimbangu était du côté du peuple. Son combat était aussi pour lui. C’est pour cela qu’il guérissait
les malades et ressuscitait les morts. Car chacun a droit à la vie, à la bonne vie, à la vraie vie.
L’Église Kimbanguiste ne peut pas se contenter de ses réalisations architecturales à Nkamba, à
Brazzaville, à Kinshasa ou ailleurs. Le peuple congolais longtemps soumis à l’esclavage, à la
colonisation, à l’exploitation, veut vivre dignement. Il est dans l’attente des dirigeants capables de
le conduire à cette libération. Les dirigeants actuels, descendants des évolués, sont pour la plupart
des néocoloniaux qui ne pensent qu’à eux-mêmes et vendent le pays aux étrangers, leurs maîtres.
L’Église Kimbanguiste en qui le peuple met son espoir a le devoir d’investir tous les aspects de la
vie congolaise, aussi bien scientifique, économique, politique que culturelle pour qu’advienne
enfin cette classe d’hommes nouveaux qui libéreront véritablement le pays, comme avait essayé
de le faire Mbuta Patrice-Emery Lumumba.
202
2. Patrice-Emery Lumumba, l’homme des années 1960-1961, celui qui a mis la colonisation belge chaos
debout.
« Quand on ressent de l’inquiétude au sujet de certains grands personnages de l'histoire, on
incline à commencer le livre de leur vie par la fin. Rassuré, on peut alors revenir à ce qui précède,
car on sait comment tout se termine.497 »
Lumumba est l’un des Congolais les plus connus mondialement, sinon le plus connu. C’est
avec Ntumwa Simon Kimbangu qu’il se dispute cette palme de la reconnaissance universelle. Ce
qui l’a rendu si célèbre, est une suite de quelques phrases sans grande importance en soi, mais qui
ont résonné comme la grande musique de cathédrale aux oreilles du monde entier. « Car cette
indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays
ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier
cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte
ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations,
ni nos souffrances, ni notre sang. C’est une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en
sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte
indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force. Ce que
fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop
douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. Nous avons connu le
travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre
faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers.
Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir,
parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un noir on disait « Tu », non certes comme à
un ami, mais parce que le « Vous » honorable était réservé aux seuls blancs ! Nous avons connu
nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit
du plus fort. Nous avons connu que la loi n’était jamais la même, selon qu’il s’agissait d’un blanc
ou d’un noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu
les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou, croyances religieuses : exilés
dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même. Nous avons connu
qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes
pour les noirs ; qu’un Noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les
497
Eugène Drewermann, op.cit. p.1
203
magasins dits « européens » ; qu’un Noir voyageait à même la coque des péniches au pied du
blanc dans sa cabine de luxe. Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou
les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une
justice d’oppression et d’exploitation !… 498»
Ce discours est prononcé à Kinshasa le jeudi 30 juin 1960 devant un parterre d’invités dont
le Roi des Belges, Baudouin 1er, venus prendre part aux festivités qui marquent l’ascension du
Congo à l’indépendance. Ce jour mémorable est l’aboutissement d’une très longue lutte
commencée à l’aube même de l’occupation européenne du Congo. Plusieurs personnes ont donné
de leur vie, souvent très jeunes comme Ndona Nsimba Béatrice et Ntumwa Simon Kimbangu.
Lumumba sait tout cela, il leur rend hommage. Ce jour du 30 juin 1960 marque un tournant
décisif. Le peuple Congolais a vaincu la colonisation. Lumumba se fait le porte-parole de cette
victoire à travers le monde. L’effet est immédiat. Lumumba est adopté par des nombreux peuples
comme leur leader incontesté dans la lutte pour l’indépendance de leurs pays encore colonisés ou
qui venaient de se libérer. Ce 30 juin 1960 fait de Lumumba l’homme de l’année. Le monde le
découvre. Ce discours fâche le colonisateur. C’est de la provocation. Les médias s’enflamment,
l’opinion publique s’emballe. Lumumba est considéré comme un usurpateur, un paria. Il est
condamné à mort, non par un tribunal quelconque, mais par l’opinion belge et européenne
savamment manipulée par la presse sous l’instigation du politique et du lobby économique.
« Cette exécution devait avoir lieu, et sans procès, aucune des infamies perpétrées par Lumumba
ne pouvant, faute de preuve, et surtout faute de base juridique, fournir de prétexte à une
condamnation régulière, Lumumba devait disparaître (...) Lumumba vivant, même prisonnier,
représentait un danger trop grave. Il gardait l'oreille des masses congolaises, sauf celles du HautKatanga, et aurait continué à s'appuyer, au Parlement, sur une majorité réelle.499 » Car ce qui est
en jeu ce sont les matières premières du Congo. « Les États-Unis ont des visées sur le Congo. Ils
se disent que si le Congo bascule, notre accès aux richesses, aux matières premières va être
bousculé… C’est pour cela qu’ils ont programmé l’assassinat de Lumumba. Lequel a lieu le 17
janvier 1961 à 21h43 dans la brousse non loin de Lubumbashi d’après l’agenda de Frans
Verscheure où il est écrit : L. dood, en flamand.500» Toute l'opération a pris à peine quinze
minutes. Quatre jours plus tard, deux Belges sont envoyés sur les lieux pour déterrer les corps, les
découper à la scie à métaux, broyer les crânes et jeter le tout dans un grand fût d'acide sulfurique.
Lumumba est le dernier des trois condamnés que la bande à Verscheure et Gat, exécute
498
499
500
Discours de Patrice Emery LUMUMBA le 30 juin 1960 cfr http://www.nzolani.net/spip.php?article22
Déclaration de Frans Verscheure, commissaire belge de la police katangaise cité par Ludo De Witte,
L’Assassinat de Lumumba, Paris, Karthala, p.252. cfr http://www.pressafrique.com.html
Jacques Brassine, op.cit.
204
froidement, chacun à son tour, d’une rafale des mitraillettes, attachés à un arbre, et jetés
immédiatement dans une fosse commune. Les autres condamnés d’infortune sont Joseph Okito,
2ème vice-président du Sénat et Maurice Mpolo, ministre de la jeunesse et chef d’état-major du
Gouvernement Lumumba.501
Lumumba est mort la tête haute. Il a poussé la colonisation à son dernier retranchement. Il
a montré à la face du monde que le régime colonial n’était qu’une minable opération de dictature,
d’inhumanité et d’égoïsme avéré, un odieux système de domination et de négation d’humanité
d’autrui. Ce n’est nullement une quelconque mission civilisatrice, mais bien une mission
d’esclavage, de vol et de viol. C’est pour cela qu’elle n’a pas lésiné sur les moyens pour tuer
Lumumba. Pour parvenir à commettre ce crime, tous les moyens sont bons. « En 1960, la
Belgique avait voté un budget spécial qui était de sept millions d’euros – ce qui était énorme à
l’époque – pour se concilier les faveurs des leaders congolais… Lumumba n’entrait pas dans ce
jeu. On avait l’impression qu’on ne pouvait pas lui faire entendre raison, qu’on ne pouvait pas
l’acheter, le corrompre, parce qu’il était idéaliste, radical, lucide. 502» Alors on l’accuse de tout. Il
est communiste, il est sanguinaire, il est raciste. « Il y a un véritable déferlement de haine, de
détestation, une rancœur étonnante à l’égard de Lumumba. Pour l’opinion belge, il est le dernier
des derniers. Il est le diable. 503» Lumumba s’est défendu lui-même de toutes ses accusations
gratuites et méchantes. « On dit que je suis communiste, anti-blanc, anti-belge, l’homme qui veut
tout détruire. Absolument pas, je suis nationaliste, un leader nationaliste qui lutte pour un
idéal.504 » Aimé Césaire a aussi dû se défendre contre les mêmes accusations mensongères. « Il
paraît que dans certains milieux, l’on a feint de découvrir en moi un ‘ennemi de l’Europe’ et un
prophète du retour au passé anti-européen… La vérité est que j’ai dit tout autre chose : savoir que
le grand drame historique de l’Afrique a moins été sa mise en contact trop tardive avec le reste du
monde, que la manière dont ce contact a été opéré ; que c’est au moment où l’Europe est tombée
entre les mains des financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules que
l’Europe s’est ‘propagée’ ; que notre malchance a voulu que ce soit cette Europe-là que nous
ayons rencontrée sur notre route, que l’Europe est comptable devant la communauté humaine du
plus haut tas des cadavres de l’histoire. 505»
501
502
503
504
505
Marcel Péjun, Jeune Afrique, http://afriquepluriel.ruwenzori.net/rdc-lumumba.htm
Colette Braeckman, op.cit.
Colette Braeckman et Jacques Brassine dans le reportage de la RTBF du 11/01/2011 « Ce jour- là, le
janvier 1961, l'assassinat de Patrice Lumumba » http://www.rtbf.be/video/v_ce-jour-la-le-17-janvier1961-l-asassinat-de-patrice-lumumba
Ce jour là, le 17 janvier 1961, l’assassinat de Patrice Lumumba, in reportage RTBF op.cit.
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence Africaine, 2004, p.26
17
205
Lumumba fait partie de ce tas de cadavres de l’histoire européenne en Afrique. A vrai dire
c’est la personne de Lumumba qui fait problème. Il est l’homme qui porte la revendication de
l’indépendance, qui incarne cette revendication. Il est populaire.506 C’est pour cela qu’il fait peur.
D’autant qu’il refuse le diktat de la Belgique et des autres pays européens507 qui veulent une
indépendance de façade du Congo. Ce qui leur permettrait d’exploiter les matières premières du
pays à leur guise et à leur unique profit. Le sort des Congolais leur important peu. C’est le fameux
plan « B ». Après l’indépendance égale avant l’indépendance. Donc un statuquo, car
« l’importance des richesses du Congo a justifié à plusieurs époques l’intérêt pour ce pays des
États européens. 508» Ce plan « B » voit le jour au Katanga, sous le gouvernement Tshombe piloté
en réalité par une batterie de conseillers belges. Ce sont eux qui mènent le fameux gouvernement
katangais où ils veulent. Et on sait ce qu’ils veulent. Il en sera de même avec les gouvernements
Adoula à Kinshasa, Tshombe et plus particulièrement sous le long et abominable règne de
Mobutu, nommé « roi du Zaïre » par des Belges. Le règne de Mobutu, c’est le règne de la Troïka
occidentale, États-Unis, France, Belgique. Le pays sera simplement vendu aux étrangers. Ce que
Lumumba ne pouvait pas accepter une seule seconde.
Ainsi aux lendemains de l’indépendance, soit six mois après, le 17 janvier 1961, selon la
décision des gouvernements belge et américain, Lumumba est sauvagement massacré. Son corps,
coupé en morceaux, est trempé dans de l’acide comme assurance indubitable de sa mort. Car
« l’objectif principal qu’il fallait poursuivre dans l’intérêt du Congo, du Katanga et de la Belgique
était évidemment l’élimination définitive de Lumumba.509 » La méchanceté qui a orchestré la mort
de Lumumba par les Belges en appelle dans une certaine mesure, à celle des Scribes envers Jésus.
Ils ont bien obtenu la mort de Jésus par crucifixion, les Scribes. Mais ils ne s’en contentent
pas. C’est avec une lance plantée dans sa poitrine qu’ils veulent s’assurer de sa mort effective
alors qu’un simple toucher du pouls aurait suffit comme cela se fait dans la plupart des cas. Ce
constat pourtant évident ne les convainc pas. Ils s’assurent que la lourde pierre déposée sur la
tombe soit scellée pour empêcher toute sortie. Malgré toutes ces précautions, ils font monter une
garde sur la tombe, prêts à faire mouche si jamais il se présentait d’une façon ou d’une autre.510
Haine, haine, rien que haine. Donc Jésus devait mourir, et surtout rester bien mort et rien d’autre.
Lumumba aussi. Mais il subira un sort bien pire que le simple fait d’être tué. Une méchanceté des
Scribes qui croient parler de Dieu alors qu’ils l’ont transformé en un objet sans vie.
506
507
508
509
510
Colette Braeckman et Jacques Brassine, op.cit.
Serge Bailly, op.cit. p. 15
Marie-France Cross et François Misser, op.cit. p.109
Aspremont Lynden (ministre) telex envoyé à Lubumbashi le 5/10/1960 cfr Reportage op.cit.
Évangile de Saint Matthieu 27, 66
206
Comme eux, les colonisateurs qui croient servir la mission civilisatrice sont des « morts
vivants… Leur néant, leur ignorance de la vraie vie, les obligeaient à juger en fonction de ce qu’ils
croyaient être la vie, en fonction de règles du jeu restrictives… Ils prétendaient se mêler de tout,
réglementer tout, même ce à quoi ils ne comprenaient rien… Leur fanatisme et leur formalisme
finissaient par les rendre cruels.511 »
Ainsi donc grâce à la mort de Lumumba, mais aussi grâce à toutes les autres morts qui
l’ont précédée et suivie, aussi bien au Congo qu’ailleurs, contre des hommes et des peuples libres
et épris de liberté, mais muselés et soumis, grâce à l’aliénation des peuples, mais aussi grâce à la
surexploitation sans lois des océans et des forêts immenses, la Belgique, les États-Unis et
l’ensemble des pays occidentaux, ont pu réaliser des véritables tours de magie. Ils sont arrivés à
“faire pousser“ dans tous les coins et recoins de leurs villes et villages de quantités des « forêts
vierges » – mais sans rivières ni arbres ou lianes – que sont ces super marchés, foisonnant de
nourritures et de réserves de toute sorte, au point que l’Europe, sans vraies ressources, est devenu
en quelques décennies, le centre mondial de consommation par excellence, où les centenaires se
fabriquent à tour de bras. Aux caddies bondés de nourriture sur lesquels les agents humanitaires se
jettent à leur retour des missions à travers le monde pauvre, il faut ajouter des compagnies
d’aviation low coast où ils s’engouffrent pour des vacances au soleil ou des parties de ski de fond.
Tant pis s’il faille pour cela, sacrifier des dizaines de milliers d’enfants des pays appauvris et
surexploités.
Mon père m’a raconté que durant sa jeunesse, le village, Zum’nzo512, où il est né foisonnait
de nourritures. Il y avait beaucoup d’éléphants dans la forêt et d’autres animaux. La mangrove
était aussi très poissonneuse. On ne manquait jamais de nourriture au village car la nature était très
généreuse. Il arrivait souvent qu’on avait tellement de viande que l’on ne savait quoi en faire. Ceci
arrivait quand un ou deux éléphants étaient abattus à la fois. Cela donnait beaucoup de viande. Car
un chasseur qui abattait un éléphant ne pouvait jamais le découper tout seul. Il faisait appel à tout
le village. Et tous s’y rendaient pour couper chacun la quantité de viande qui lui convenait.
Souvent il y en avait tellement qu’on faisait appel à d’autres villages. Car un éléphant cela fait au
moins cinq tonnes de viande. Moi même j’ai aussi été témoin de cette grande générosité de la
nature durant mon enfance au village. Souvent nous allions en forêt avec d’autres amis de mon
âge, filles et garçons, à la recherche de champignons ou des chenilles. Il ne fallait pas aller loin.
On trouvait des quantités des chenilles ou des champignons à la lisière du village. Parfois des gros
511
512
Eugène Drewermann, op.cit., p.31
Zum’nzo veut dire le ventre de l’éléphant. C’est en fait un adage pour dire que dans le ventre d’un
éléphant on rencontre beaucoup de surprises. De nombreux villages en territoire yansi portent ce nom de
Zum’nzo.
207
arbres entiers étaient pris d’assaut par des chenilles, il y en avait partout. Et on remplissait ainsi
des paniers que l’on ramenait au village. Nous devions souvent faire appel à d’autres pour aller
cueillir, eux aussi, des champignons ou des chenilles que nous avions abandonnés faute de place
dans nos paniers. Pour nous, la pêche était aussi un amusement. On prenait beaucoup de poissons.
Comme nos parents, nous aussi, enfants, nous étions initiés au partage, car la nature était très
généreuse. Il ne servait à rien de s’approprier de la forêt ou de faire d’énormes réserves, car il y
avait toujours à manger et suffisamment pour tous. Le partage, la solidarité, allaient de soi. Nous
avons grandi là dedans. L’accaparement actuel des richesses et des biens à titre uniquement
personnel vient de l’occupation européenne et ne se fait que par la force des armes à feu. Dans
divers coins du monde, mais aussi chez nous, elle a été et reste un désastre, car elle s’attaque et
anéantit la vie, aussi bien humaine, animale qu’aquatique. Rien ni personne ne doit résister, sinon
c’est la sanction, c’est l’exécution sans pitié. Ainsi en a-t-il été de Lumumba.
Lumumba mort, vive la vie. Lumumba est mort sur l’autel du dieu « Ventre » et du dieu
« Sexe », ces dieux-valeurs du monde moderne anglo-saxon. Dieux sanguinaires et
anthropophages auxquels sont régulièrement offerts le sang des Africains, les richesses de leurs
sols et sous-sols, ou le pétrole arabe. Lumumba est mort pour assouplir une soif, celle de la
surconsommation ; ce que la pieuvre anglo-saxonne appelle « les intérêts de l’Europe dans le
monde. ». Et comme on le sait « la diabolisation-immolation médiatique d’un supposé coupable
permet d’apporter à l’ensemble du groupe un surcroît d’unanimité et de bonne conscience. 513»
Ainsi on boit, on mange, car l’ennemi n’existe plus. Lumumba a été massacré, il
passera
« comme un météore514 », croit-on en Belgique et ailleurs en Europe ou aux États-Unis. Il sera
classé dans les oubliettes de l’histoire. Mais c’était mal connaître l’homme. Car au Congo,
Lumumba était un géant depuis longtemps. Déjà à Kisangani, Stanleyville, le Roi Baudouin a été
surpris par la popularité de cet homme.
Le Roi est arrivé à Stanleyville le 17 décembre 1959 pour se rendre compte de l’évolution
du pays en plein bouleversement politique. En ce moment là Lumumba est en prison, arrêté par
l’Administration coloniale. « L’objet de la réquisition d’informations est de faire vérifier, par la
Poste, les comptes chèques tenus par le commis Patrice Lumumba, ceux de ses amis, et ceux des
associations qu’il préside, pour mettre au jour d’éventuels détournements.515» La foule qui a
appris l’arrivée du Roi accourt à l’aérodrome, elle escalade les barrières et s’avance vers le Roi
non pour l’acclamer, mais pour demander la libération immédiate de Lumumba qui est en prison à
513
514
515
Jean-Claude Guillebaud, LRFM, p. 338
LRFM, p.47
Jean Omasombo et Benoît Verhaegen, Patrice Lumumba, Acteur politique, (PL-AC), De la prison aux
portes du pouvoir, Juillet 1956-Février 1960, L’Harmattan, Paris, 2005, p.20
208
500m de là.516 Lumumba est populaire à Stanleyville. Il sera aussi bientôt populaire à
Léopoldville. Après sa libération, il est engagé à la Brasserie du Bas-Congo comme directeur
chargé de la promotion sociale de la bière Polar à Léo. Il fait tellement bien ce travail que la bière
Polar s’identifie à lui. Par le jeu des slogans, les clients arrivent à commander au barman non plus
la bière Polar, mais carrément « Lumumba ». Ils disent « donne-moi Lumumba » ou bien « je bois
Lumumba ». « La marque devient un slogan : Peuple Okanisaka Lumumba Akobongisa
République. Peuple, sois persuadé, Lumumba développera le pays. 517» La bière Polar, devenue
Skol, a reçue un autre slogan lié à la mort de Lumumba : Solo Kasa-vubu Obomi Lumumba,
Vraiment Kasa-vubu tu as tué Lumumba. La réputation de Lumumba reste intacte, sinon ancrée,
au sein de la population congolaise. Tout enfant congolais qui naît apprend le nom de Lumumba
en même temps qu’il apprend à parler et à marcher.
Personnellement j’ai entendu parler de Lumumba chez moi au village bien avant d’aller à
l’école. Il y avait un homme du village qui avait pris ce nom de Lumumba et qui était célèbre à
cause de cela. Il en était fier. Et tout le village l’appelait ainsi aussi bien les vieux que les plus
jeunes, et même nous les enfants. Mais je ne savais pas plus de ce personnage, même si notre
village était reconnu avant-gardiste par rapport à la politique du pays. Cela c’était l’affaire de nos
aînés. C’est à l’école primaire que j’ai commencé à entendre le nom de Lumumba lié aux
dirigeants du pays. Nos enseignants faisaient souvent allusion à Lumumba, non pas pendant les
heures des cours, mais en dehors, quand ils nous parlaient librement. A l’époque Mobutu avait
déjà pris son pouvoir et il nous faisait peur parce qu’on avait appris qu’il avait pendu des gens en
plein jour. Nos enseignants nous disaient que ces gens qu’il avait pendus étaient des dirigeants qui
avaient travaillé avec Lumumba. Depuis lors je n’appréciais pas Mobutu parce qu’il avait tué mon
homonyme Évariste Kimba. C’est bien plus tard, quand je serai au secondaire que j’apprendrai
comment Lumumba a été tué. Car c’est plus la façon sauvage dont il a été tué qui nous était conté
plus tôt que ce qu’il avait fait et dit. D’ailleurs il n’était pas resté longtemps au pouvoir. Seulement
deux mois. Juillet, août 1960. L’extraordinaire ascension de Lumumba étonne plus d’un, car son
origine est très modeste.
Lumumba est né à Onalua dans le territoire de Katako-Kombe en pays Tetela au Kasaï. Il
est le deuxième fils d’une famille de quatre enfants. Son père s’appelait François Tolenga et sa
mère Julienne Amatu. A sa naissance il s’appelle Tasumbu Tawosa. « Le nom de Lumumba, qui
en otetela signifie “foule, masse ou équipe qui bouge“, lui vient de Omasase, cousin de sa mère
516
517
Jean Omasombo in « Ce jour-là, le 17 janvier 1961, l'assassinat de Patrice Lumumba » émission de la
RTBF du 17 janvier 2011 cfr http://www.rtbf.be/video/v_ce-jour-la-le-17-janvier-1961-l-asassinat-depatrice-lumumba
Patrice Lumumba, Acteur politique op.cit. p.116
209
Julienne Amatu… A l’époque ce nom passe inaperçu ; il est sans intérêt pour la famille. 518» Au
village on l’appelle Tasumbu Tawosa Isaïe. Mais lui préfère se faire appeler Patrice Lumumba.
Ceci est courant dans les villages. Les enfants devenus adolescents prennent d’autres noms, filles
ou garçons. Ce sont souvent des surnoms, mais qui finissent par être adoptés par tous. Ma grandmère par exemple avait deux noms, celui que lui avaient donné ses parents, Bena-Bena et celui
qu’elle avait pris elle-même, Lokuwu’. Nous l’appelions toujours par ce deuxième nom :
« Ma’Lokuwu ». Bena-Bena nous était inconnu. Pendant l’adolescence, période de changement
profond à tous les points de vue, physique, psychologique, ou philosophique, période charnière
entre l’enfance et l’âge adulte, les jeunes gens s’affirment en changeant de nom. C’est donc le cas
avec Patrice Lumumba. Il a choisi ce nom que son oncle lui avait donné. Son deuxième prénom,
celui d’Emery apparaît à Stanleyville. On croit savoir qu’il vient du « docteur Emery », F.
Hemerijckx, un homme populaire qui fréquentait les villages de la région pour le dépistage de la
lèpre519. De nombreux jeunes, dont Lumumba, admiraient cet homme. Lumumba est un jeune du
village comme un autre. « Il est souvent la vedette lors des fêtes entre jeunes gens d’après de
nombreux témoignages de ses anciens amis.520
Lumumba a commencé son école à Onalua auprès du catéchiste Ahuka avant d’aller chez
les missionnaires méthodistes à Wemba-Nyama. Il a été ensuite à Tshumbe-Sainte-Marie où il est
admis en cinquième année primaire en 1943. Tshumbe est à 38 km d’Onalua. Il n’a pas fini
l’année. Il a ensuite été quelque temps à l’école infirmière de Tunda à 15 km d’Onalua. Il n’est
pas resté plus longtemps à Tunda non plus521. Et c’est l’exode vers le Maniema. A l’époque il n’y
avait pas beaucoup d’avenir pour les jeunes au Sankuru en général. Il n’y avait ni infrastructures
modernes, ni travail. Le district de Sankuru était supprimé, le territoire de Katako-Kombe rattaché
au district de Maniema en Province Orientale. Beaucoup d’Atetela allaient vers la Province
Orientale pour y trouver du travail. D’autres étaient recrutés pour la Force Publique.
522
Avant
1945, de nombreux Atetela du territoire de Katako-Kombe sont recrutés par la Cobelmin, par le
Syndicat Minier Africain (Symaf) ou par l’Union Minière du Haut-Katanga. Il y a une importante
communauté des Atetela dans la Province Orientale. Lumumba et quelques amis partent d’Onalua
sur les traces de leurs aînés. Ils parcourent 190 km à pied entre Onalua et Kindu faisant attention
de ne pas se laisser prendre, car à l’époque les déplacements étaient très contrôlés523. Et ils
518
519
520
521
522
523
J. Omasombo Tshonda et B. Verhaegen, Patrice Lumumba, Jeunesse et Apprentissage politique, (PLJAP), 1925-1956, Cahiers Africains, n°33-34, L’Harmattan, Paris, 1998, p.79
PL-AP, p.90
PL-JAP, p.88
PL-JAP, p. 98
PL-JAP, note 4, p.102
PL-JAP, p. 104
210
voyagent « sans papiers. » Il finit par arriver à Stanleyville au cours du second semestre de l’année
1944.524
Les autorisations de séjour à Stanleyville comme dans les autres villes, appelées centres
extra-coutumiers pour les indigènes, sont très difficiles. Les procédures d’installation ressemblent
fort à celles des demandes de séjour actuellement en Europe pour les étrangers, notamment
Africains. Seules les personnes d’origine européenne ont droit de se mouvoir librement sur le
territoire du Congo. Pour s’installer à Stanleyville, tout colonisé doit avoir un permis de mutation
délivrée par les autorités du point de départ, appelées autorités de tutelle. « Ce permis est définitif
ou provisoire. Son absence est le motif le plus courant pour refouler un candidat vers son milieu
d’origine. Mais si un candidat demandeur de séjour présente un contrat de travail ou un espoir
sérieux, les autorités peuvent lui accorder un séjour à durée déterminée, durant lequel il est admis
parmi la population flottante, mais il est entendu qu’il devra regagner son milieu d’origine à
l’échéance de son contrat. A Stanleyville, c’est le conseil extra coutumier qui prend les décisions.
Il est sévère. En 9 mois (1942-1943), il a admis 110 candidats, plus 30 en population flottante, sur
275 demandes… Au C.E.C., le critère pour un habitant ‘désirable’ est son utilité économique. Le
travail est la préoccupation majeure de l’administration coloniale, pour qui il faut écarter les
chômeurs professionnels, les parasites, les irréguliers, … l’admission temporaire est accordée à
condition que l’intéressé ait signé un contrat d’une durée minimum d’un an chez son employeur…
S’il est licencié, le travailleur perd son droit de séjour… Certains candidats à l’admission
interrogés par le Conseil du C.E.C. reconnaissent naïvement être venus à Stanleyville soit pour
fuir l’effort de guerre qui leur est demandé dans leur territoire d’origine, soit pour finir leurs jours
en ville. Ils sont refoulés sans discussion. 525» « Certaines semaines, plus de trente individus sont
renvoyés dans leur territoire d’origine. Celui qui héberge un résident irrégulier est passible d’une
amende de 100 francs…Malgré ces contraintes, l’afflux ne diminue pas. 526» Le 20 novembre
1944, Lumumba est engagé comme clerc à l’administration du territoire. Il touche un salaire
mensuel de 150+75 frs. Lumumba a un niveau d’instruction rudimentaire. Mais il suit des cours
du soir chez les Frères Maristes. Il obtient un certificat d’école primaire. Ce qui lui permet d’entrer
à l’École de la Poste. Et c’est à l’école de la Poste de Léopoldville qu’il parfait ses connaissances
et comble son retard en français. La formation dure une année de 1947-1948. Le 30 mars 1948,
Lumumba est proclamé avec 91,4%. Il est 3è sur 34 élèves.527 Après sa formation, il est d’abord
engagé au grade de commis de 3ème classe au service des Postes et Télécommunication. Le 2
524
525
526
527
PL-JAP, p.105
PL-JAP, p.111
PL-JAP, p.113
PL-JAP, p.122
211
novembre 1948, il est affecté à Yangambi sous l’autorité de l’administrateur du territoire
d’Isangi.528 Il revient à Stanleyville le 14 avril 1950. Il est « affecté au Bureau Central de
Stanleyville-I, chargé de la comptabilité du service des chèques postaux.529 » Il dit lui-même que
« j’assumais ce service avec compétence et, comme l’ont reconnu mes supérieurs hiérarchiques,
mon rendement était égal à celui d’un agent européen, voire même supérieur, dans certains
cas.530»
En effet le travail de Lumumba est apprécié par tout le monde. Le directeur provincial de
la Poste Arthur Bastin fait de lui cet hommage : « Lumumba était extrêmement correct et exagérait
même les marques de respect. Il recevait de nombreuses communications téléphoniques
d’Européens et participait activement aux Œuvres Sociales du Service des Postes… Sur ses
collègues congolais, Lumumba jouissait d’un très grand ascendant ; ils le choisissaient d’ailleurs
volontiers pour les défendre. 531» Le percepteur Charles Collin a dit de Lumumba qu’« il donnait
l’impression d’un individu intelligent, d’un niveau supérieur si on reste à l’échelle “ indigène“. Il
était également travailleur… Lumumba devait une certaine fierté, car il était toujours vêtu
correctement et proprement. 532»
Jean Lambert, percepteur adjoint principal a aussi dit de
Lumumba qu’il « était un individu sortant de l’ordinaire, intelligent, et que professionnellement
parlant, il connaissait son métier.533 » Georges Van Halle, percepteur adjoint, confirme le même
témoignage. Il « estime que Lumumba est très intelligent, connaît parfaitement son métier de
postier, a d’ailleurs de grandes capacités d’adaptation. Il recherche également la conversation si on
veut bien lui adresser la parole le premier. 534» A propos du rendement de Lumumba, dans le
numéro 30 du 26 juillet 1956 du journal L’Afrique et le Monde, Paul Fabo a écrit que « Lumumba
donnait un rendement égal sinon supérieur, à un agent européen. Ceci était tellement vrai que
certains directeurs du secteur privé lui ont même fait des offres, mais Lumumba avait toujours
préféré rester à son poste.535
Lumumba est en pleine possession de ses moyens intellectuels. Il publie et commence à
être connu à Stanleyville. Il s’impose comme un des leaders parmi les plus écoutés du groupe des
évolués. Ceux-ci lui confient de plus en plus de responsabilités dans leurs associations.536
Lumumba ainsi apprécié, cumule les fonctions aussi bien au sein de la communauté congolaise
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212
qu’européenne. Dès son arrivée à Stanleyville en 1944, il occupe la fonction de bibliothécaire
bénévole à la bibliothèque publique du Centre Exra-Coutumier de Stanleyville. En 1946, il est
chargé de la bibliothèque des fonctionnaires à l’A.E.S.537 En 1956, il est successivement président
de l’Association des Évolués de Stanleyville (AES), président de l’Association du Personnel
Indigène de la Colonie (APIC), président de l’Amicale des Postiers de la Province Orientale,
association multiraciale groupant les agents européens et congolais du service des postes, membre
du Comité de l’ « Union Belgo-Congolaise ».538 Parti presque de nulle part sur tous les plans,
Lumumba atteint rapidement les sommets que même les Européens, pourtant maîtres du Congo,
n’atteignent pas. Mais ce n’est pas tout. Lumumba s’est aussi mis à l’écriture. En 1950 et 1951, il
écrit plusieurs articles dans le journal La Croix du Congo. L’un d’eux resté célèbre parle de la
discrimination raciale et de l’inégalité des statuts. Lumumba se demande « pourquoi les prêtres ne
se marient-ils pas ?, pourquoi laissent-ils pousser la barbe ?, quelle différence y-a-t-il entre la
dénomination de Révérende Mère et Révérende Sœur ?, pourquoi les cimetières des Blancs,
Mulâtres et Noirs sont-ils toujours séparés ?, pourquoi dans toutes les églises est-il réservé aux
Blancs des chaises et non pour les noirs ? Parce que vis-à-vis de Dieu, tout le monde est égal,
quelle que soit la race. Nous croyons souvent que cela est une injustice. Il fallait avoir des chaises
ou des bancs du même genre pour les Blancs et les Noirs.539 »
De 1953 à 1954, il est le correspondant attitré du journal La Croix du Congo540. Il y occupe
officiellement et en première page la rubrique « Nouvelles de Stanleyville. 541»
Lumumba
collabore treize fois au mensuel du Service de l’Information du Congo Belge, dirigé par AntoineRoger Bolamba.542 Lumumba crée et dirige l’Écho postal, « organe trimestriel de l’Amicale des
Postiers de la Province Orientale. Quatre numéros paraissent en 1955 sous forme polycopiée. Ils
comportent 95 pages au total. Le premier numéro (de 25 pages) comprend six contributions de
Lumumba sur 10 articles, sans compter l’éditorial d’une page et trois pages de rubriques diverses
rédigées également par lui.543 » Lumumba collabore également au journal L’Afrique et le Monde
de Paul Fabo. Sa première contribution importante date du 9 décembre 1954. « Il s’agit de la
publication de deux lettres adressées au ministre Buisseret544 par l’AES545. Il a aussi écrit un livre
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PL-JAP, p.48
PL-JAP, p.152
1945, Création de l'« Union des Intérêts sociaux congolais » (UNISCO) ; « La Croix du Congo » prend
comme sous-titre « Journal des Évolués congolais » ; http://historyindian.tripod.com/congo/id1.html
PL-JAP, p. 154
PL-JAP, p.171
PL-JAP, p. 178
Brillant avocat, militant wallon et francophile, Auguste Buisseret, 1888-1965, homme politique belge,
personnalité d'opinion libérale, architecte de la décolonisation du Congo. Ministre des Colonies (1954-
213
Le Congo, terre d'avenir est-il menacé ?', publié en 1961, après sa mort, aux éditions Office de
Publicité S.A. à Bruxelles. Il a écrit ce livre d’août à décembre 1956, durant son séjour carcéral.
« Ce texte, écrit après plusieurs mois de prison et un certain harcèlement de l’Administration
coloniale contre Lumumba, se termine sur l’espoir que se réalise entre Congolais et Belges une
entente fraternelle afin d’aboutir, par voie de conséquence à une union définitive.546» Dans ses
nombreux écrits avant sa première arrestation, Lumumba aborde différents thèmes. Il parle de la
civilisation et de la colonisation, de l’éducation et de l’école, de la discrimination raciale et des
relations humaines, de l’émancipation de la femme.
Lumumba a écrit certes, mais il a aussi parlé. Il a fait de nombreux discours et meetings. Il
a également voyagé au Congo et à travers le monde. Le 18 août 1955, Lumumba donne une
conférence sur les relations humaines entre Blancs et Noirs : “A propos de l’accès des Congolais
dans les établissements publics pour Européens“. Un texte de six pages que L’Afrique et le Monde
avait déjà publié le contenu le 31 mars sous le titre « Le libre accès des Congolais dans les
établissements publics », signé par Lumumba lui-même. Cette conférence est suivie par près de
400 personnes. Elle est vivement applaudie.547 Le 5 juin 1956, sous le titre de « Union », L’Écho
de Stan, un journal de Stanleyville, fait un compte rendu d’une conférence donnée par Lumumba
dans la salle de l’Athénée. Conférence organisée par le Cercle Belgo-Congolais de Stanleyville.
Certaines personnalités belges de l’Administration, de la Magistrature, du Barreau sont présentes.
Lumumba est présenté par l’avocat J. Marrès. Le correspondant de L’Écho de Stan conclut ainsi
son reportage. « Lumumba nous a donné là un exposé des plus intéressants et nous ne pouvons
que souhaiter que tous les Congolais qui visitent la Belgique tirent de leur voyage des conclusions
aussi sensées et aussi saines.548 » Déjà en janvier 1955, Michel Colin, rédacteur à La Voix du
Congolais, consacrait à Lumumba une page entière d’éloges à l’occasion de son
immatriculation.549
Lumumba est immatriculé au « Registre de la population indigène civilisée » sous le
n°7.742 vol. IX, le 5 février 1951.550 Il se rend en Belgique pour la première fois le 24 avril 1956
pour un mois, envoyé par le gouverneur général du Congo Belge, Léo Pétillon comme membre de
la délégation congolaise. Ce voyage se déroule très bien. Lumumba fait de nombreuses
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550
1958), où ses tentatives de réforme se heurteront au conservatisme. Il a entretenu des bonnes relations
avec Lumumba. http://fr.wikipedia.org/wiki/Auguste_Buisseret
PL-JAP, p.184
PL -AP, p.65
PL-JAP, p. 226
PL-AP, p.28
PL-JAP, p.175
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214
conférences à son retour. Le 5 juin 1956, le Stanleyvillois, un journal de Stanleyville, consacre un
commentaire élogieux à l’une de ces conférences et reconnaît la qualité de l’exposé des plus
intéressants.551 Un texte intitulé « Impressions de voyage » sert à Lumumba pour faire des
conférences à Stanleyville et en province. Sous le titre « Tournée de conférences de M. Patrice
Lumumba sur ses impressions de voyage en Belgique », Boniface-Stanislas Lupaka fait un éloge
appuyé du texte et de la personne de Lumumba dans le numéro du 12 juillet 1956 de L’Afrique et
le Monde. Il écrit que « Tous les milieux européens et autochtones de Stanleyville sont
extrêmement contents des saines impressions qu’a dégagées M. Lumumba de son séjour à la
Mère-Patrie, impressions qui prouvent sa maturité d’esprit, son esprit de synthèse et surtout son
objectivité devant les problèmes épineux qui se posent actuellement avec acuité au Congo. Le
succès de ces conférences est tel que, selon la rumeur qui nous parvient de Banalia, les
autochtones de cette localité expliquent que ‘M. Lumumba est envoyé par Sa Majesté Baudouin,
leur roi bien-aimé, pour arranger certaines affaires qui ne vont pas bien dans les relations entre
Blancs et Noirs’ ; d’aucuns le prennent pour un’ Américain’.552
Fort de ce succès et surtout en tant président des diverses associations, Lumumba rencontre
le Gouverneur de Province, le Ministre des Colonies et le Roi Baudouin. Lors du passage du
Ministre Buisseret à Stanleyville début 1954, Lumumba, qui le reçoit chez lui en compagnie
d’autres évolués, lui remet une lettre dans laquelle il exprime au nom des évolués ses doléances au
sujet de la discrimination raciale pratiquée par les « exécutants mineurs » de l’Administration et
par les échelons inférieurs des colons et commerçants. »553 Lors de la visite du Roi Baudouin à
Stanleyville en juin 1955, Lumumba s’entretient avec lui à deux reprises. Durant la réception chez
le gouverneur, Lumumba en profite pour engager une conversation de plusieurs minutes avec le
Roi lorsque le Ministre le présente. « Le gouverneur dut intervenir pour faire cesser l’entretien que
Lumumba ne semblait pas vouloir interrompre. 554»
Lumumba a aussi eu une vie amoureuse mouvementée. Il se marie d’abord
coutumièrement avec Henriette Maletawa, une femme Lokele de la région de Stanleyville, un an
après son arrivée dans cette ville, le 21 octobre 1945. Ce mariage ne dure pas longtemps. Il a une
autre femme Hortense Sombosia avec qui il commence une vie de couple durable. Il se marie avec
elle coutumièrement le 25 juin 1947. Elle est aussi de la région. Ce mariage ne dure pas non plus.
Le divorce intervient le 8 février 1951, à la demande de Lumumba.555 En 1947, Lumumba
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215
rencontre une autre femme, Pauline Nkie, à Léopoldville lors de sa formation à l’école postale. Ils
deviennent amants. Nkie, née à Banningville (Bandundu-ville), est une Sakata, originaire de Tolo
dans la région du Lac Mayindombe. Elle est arrivée à Léopoldville à l’âge de cinq après la
mutation de son père comme batelier à l’Office des Transports Congolais (Otraco). Leur amour ne
dure pas longtemps car Nkie suit ses parents mutés à Port-Francqui, Ilebo. Ils se retrouvent plus
tard à Stanleyville, en 1948, alors que Lumumba est déjà marié. Dans cette ville, Nkie donne à
Lumumba son tout premier fils, François, le 20 septembre 1951. Mais ils ne se marient pas. De
Lumumba Pauline Nkie témoigne qu’il était un homme « soigneux dans son habillement, qui
sortait peu le week-end, et qui était toujours absorbé par ses interminables lectures et sa
correspondance. Lumumba reçoit volontiers les visiteurs et veille à ce qu’ils soient bien
accueillis. » Mais la cohabitation de Lumumba et Nkie ne dure pas longtemps. Elle regagne
Léopoldville avec son fils et continue à recevoir de Lumumba de l’argent pour le soin de
l’enfant.556
Pauline Opango Onosamba est la troisième épouse de Lumumba. Elle est venue de
Wembo-Nyama-Mibango. Lumumba et Opanga ne se connaissent pas avant leur mariage qui est
un mariage arrangé comme cela se présente dans la société congolaise. Étant donné que le mariage
lie non seulement les deux individus, mais également leurs clans respectifs, ceux-ci ont aussi leurs
mots à dire et peuvent même décider certains mariages en considérant les atouts personnels des
jeunes gens en présence et les défis à venir pour le bien d‘un plus grand nombre. Ce qui semble
être le cas du mariage de Lumumba et Opanga. Elle est la petite sœur de la femme d’un ami de
Lumumba, Lutula du village Wembo-Nyama, qui vivait à Stanleyville. Ceci explique peut-être
cela. Lumumba et Opango ont quatre enfants. Patrice, né le 18 septembre 1952, Julienne, née le 23
août 1955, Roland-Gilbert, né en 1958 et Marie-Christine qui est décédée quelques mois après sa
naissance en 1960.557 Le mariage de Lumumba et Opango est mouvementé. Ils connaissent
plusieurs séparations, mais ne se séparent pas jusqu’à la mort de Lumumba. Après une grave
querelle de ménage, Opango finit par quitter le toit conjugal. « Elle se rend à Wembo-Nyama chez
ses parents. 558»
Dans des nombreuses sociétés africaines matrimoniales traditionnelles, les divorces sont
exceptionnels, mais les disputes fréquentes au sein des couples. Si la mésentente est très profonde
à cause d’un motif grave – comme l’infidélité du mari par exemple – la femme peut quitter le toit
conjugal et rentrer chez ses parents. Dans ce cas là, le mari devra aller se justifier de son
556
557
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comportement reprochable chez ses beaux parents, reconnaître son tort et payer les dommages au
clan de sa femme pour que celle-ci regagne la maison. Au cas où le motif serait extrêmement
grave, si la femme estime qu’ils peuvent encore vivre ensemble, alors les responsables de son clan
convoquent leurs collègues du clan du mari en sa présence. Les deux clans entendent les deux
protagonistes. Ils statuent sur les torts et exigent des dommages conséquents au mari ; également
des libations rituelles pour rétablir l’ordre ancestral perturbé. Après cela la femme regagne le foyer
conjugal. Le mari peut aussi renvoyer son épouse chez ses parents s’il s’estime lésé et exiger
également des dommages avant toute réconciliation. Le divorce n’intervient que si toutes les
possibilités de réconciliation sont épuisées et qu’aucune partie ne veut plus vivre ensemble. Dans
ce cas, c’est l’assemblée des sages du village qui se réunit, statue sur le cas, détermine les torts et
exige les dommages avant de prononcer le divorce en suivant la procédure prévue à cet effet.
Opango est donc revenue à Stanleyville où elle vit avec son mari, Lumumba. Celui-ci continue
son ascension fulgurante.
« Onze ans après son arrivée à Stanleyville en tant que migrant sans papier et sous un nom
d’emprunt, Lumumba est devenu président des associations les plus importantes de la ville. Il est
immatriculé et commis de première classe. Il rencontre le gouverneur de province qui l’estime. Il a
été reçu par le Roi qui l’a écouté au vu de toute l’assistance. Le ministre des Colonies noue avec
lui des relations privilégiées.559 Lumumba a voyagé à travers le Congo. Il a voyagé en Belgique. Il
est apprécié des populations autochtones, il est écouté des Européens. Pierre Clément, ami de
Lumumba, est plein d’admiration pour lui. Lumumba, dit-il, « me fait l’effet d’avoir une
personnalité qui associe et intègre harmonieusement l’intelligence, la volonté, le courage, l’esprit
d’entreprise, la ténacité, la curiosité, le sens social… Il a une puissance de travail, une vitalité et
une résistance surprenantes. Il est apparemment infatigable. Au bureau, il n’est pas à une heure
supplémentaire près… Patrice ne se laisse rebuter par rien, se donne à fond à la tâche, se dépense
sans compter même dans les besognes les plus ingrates, n’a de cesse qu’il n’ait insufflé sa foi aux
autres et assuré à son entreprise les meilleures chances de succès.560 »
Comment justifier un tel succès de la part de quelqu’un qui vient de nulle part et que rien
ne présageait à un tel avenir ? Mbuta muntu Patrice Lumumba répond lui-même à cette question
dans une lettre adressée à un de ses amis. « Je vous affirme, mon cher Émile, qu’on peut devenir
un vrai universitaire, c’est-à-dire acquérir une instruction quasi-universitaire – si pas universitaire
– tout en restant chez soi, tout en apprenant avec persévérance, avec méthode ; - Je vous dis cela
559
560
PL-JAP, p. 235
Pierre Clément, « Patrice Lumumba (Stanleyville 1952-1953), Présence Africaine, cité par PL-JAP,
p.193
217
par expérience que j’ai acquise depuis une longue date – Pour vous faire toucher la chose du doigt,
je dois prendre mon propre exemple : quels sont mes antécédents scolaires ? Vous les connaissez
certes. Mais comment ai-je pu atteindre mon degré d’instruction actuel ? C’est surtout grâce à mon
effort personnel, à mon perfectionnement personnel, à ma persévérance. Aujourd’hui même les
Européens me qualifient d’un redoutable. Un ami européen m’a dit un jour ceci : ‘Tous les
milieux européens disent que Lumumba veut imposer sa supériorité intellectuelle tant auprès des
Congolais que des Blancs’. 561»
Et comme il fallait s’y attendre cette ascension fulgurante ne réjouit pas tout le monde. Les
Européens l’observent d’un œil critique. « Certains jugent les qualités de mbuta Lumumba
dangereuses parce qu’elles sont accompagnées des défauts graves comme tenir tête quand on a ou
que l’on croit avoir raison, ne pas faire preuve de docilité et de conformisme en toutes
circonstances, plaider et revendiquer l’égalité des ‘évoluants’ avec les Européens, collectionner les
postes dans les associations et épiloguer dans la presse. Un individu doté de telles caractéristiques
doit être tenu à l’œil. 562» L’administration coloniale territoriale s’inquiète à son tour de
l’ascendant que prend Lumumba à Stanleyville et parmi les autorités de la colonie. Elle fait
surveiller Lumumba par des indicateurs.563 Les milieux catholiques et missionnaires, engagés dans
la guerre scolaire contre le ministre Buisseret, voient d’un mauvais œil, eux aussi, les contacts
entre Lumumba et le ministre défenseur de l’école laïque et le cercle libéral. « Le conflit devient
ouvert lorsque Lumumba refuse, dès 1954, de signer des lettres de protestation émanant des
missionnaires et ayant pour objet d’attaquer la politique scolaire du ministre. 564» Dès lors les
missionnaires influencent les membres du comité de l’AES contre Lumumba. « Ils prennent, en
effet, très mal les initiatives de mbuta Lumumba à l’égard du ministre Buisseret et le rôle
prééminent qu’il commence à jouer. Ils lui reprochent d’avoir envoyé, sans consulter les membres
du comité, un télégramme au ministre pour le remercier au nom des évolués de Stanleyville de la
création des écoles laïques et considèrent qu’il s’agit là d’un abus de pouvoir. Ils lui reprochent
aussi sa loquacité devant S.M. le Roi ainsi que les gestes qui accompagnaient ses flots de paroles.
Ils lui reprochent également d’avoir demandé une place à bord de la voiture ministérielle pour
pouvoir l’accompagner après la réception du ministre à son domicile.565 »
Pour enfoncer le clou, un conflit financier qui oppose mbuta Lumumba au trésorier de
l’AES fait l’objet de lettres ouvertes et d’articles dans la presse. Ainsi le 23 décembre 1955, le
561
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Lettre manuscrite de Lumumba adressée le 28 avril 1954 à son ami Émile Luhahi vivant à WemboNyama, in PL-JAP, p.123
Pierre Clément, op.cit. p.197
PL-JAP, p.236
Ibidem, p. 227
PL-JAP, p.229
218
comité révoque Lumumba de la présidence de l’AES. Fort de tous ces antécédents, le Parquet de
Stanleyville ouvre une enquête à charge de mbuta Lumumba dès le mois de mai 1956. Lumumba
est arrêté le 6 juillet 1956. Cette arrestation intervient quelques jours seulement avant un second
voyage que Lumumba devait effectuer en Belgique à partir du 20 juillet566. Lumumba se bat bec et
ongles pour obtenir sa libération. En vain. Avant son arrestation, mbuta Lumumba se décide de
vendre sa maison achetée avec un prêt du Fonds d’Avance pour apurer la somme de 25.387frs,
objet de la plainte du service de la Postes qui l’a accusé de détournements et de faux. De la vente
de sa maison, Lumumba retire 120.000 frs à la banque. Mais il n’en dispose pas pour assurer le
remboursement, car cette somme est saisie le 6 juillet chez lui, lors de la perquisition qui aboutit à
son arrestation.567 Malgré cela, « dès sa première comparution le 6 juillet 1956, Lumumba avoue
ses erreurs… Il reconnaît les irrégularités et dit les regretter. Lumumba justifie son geste, entre
autre, par la faible rémunération à la Poste qui ne lui permet pas d’assurer le train de vie normal
d’un évolué immatriculé. Dans un rapport adressé au Tribunal de Grande Instance de Stanleyville,
Lumumba s’explique. « Je suis marié et père de trois enfants dont deux fréquentent leurs études à
l’Athénée Royal, ensemble avec les enfants européens. J’ai une habitation raccordée à l’électricité
et à l’eau courante. J’ai, en outre, un domestique à mon service… Sans aucune exagération, je me
permets de vous dire que le traitement de 4.957 f.(y compris les indemnités) que je touchais par
mois était bien insuffisant et ne me permettait aucunement de faire face aux besoins de ma famille,
notamment l’entretien de mon ménage et de mes enfants qui, selon même les instructions qui me
furent données, devaient être entretenus d’une façon, bien entendu modeste, mais aussi décente
que leurs condisciples européens, afin qu’une différence trop marquée ne puisse créer chez eux un
certain choc d’ordre psychologique. De multiples difficultés financières devant lesquelles je me
trouvai, et l’absence d’un secours quelconque me permettant d’assurer l’entretien et l’éducation de
ma famille sont les causes fatales des irrégularités qu’on me reproche aujourd’hui.568 » Aussi
Lumumba demande-t-il sa libération provisoire afin de se rendre à Bruxelles et participer à une
réunion traitant du problème de « la rémunération des agents autochtones de l’État » en tant que
président de l’APIC. En décembre 1954, Lumumba touche un salaire de 5.231 frs. En juin 1956,
4.900 frs. A l’époque cela semble beaucoup pour un Congolais, mais un Européen touche au
moins cinq fois plus pour le même travail. Et pourtant Lumumba était coté « Élite »569. « Le 10
juillet les évolués adressent une lettre au Gouverneur Général, demandant que Lumumba soit
566
567
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219
libéré et que l’invitation pour se rendre en Belgique soit maintenue, ceci dans l’intérêt général de
la population. 570»
Lumumba lui-même, conscient de ses qualités professionnelles et de l’injustice qu’il subit,
fait montre d’une grande maîtrise des textes juridiques et multiplie les lettres. Il écrit
régulièrement à son avocat. Il écrit aussi au Tribunal, au Gouverneur de la Province, au ministre
des colonies, au Juge Président et au Roi. Il reprend la même argumentation partout et fait montre
de sa bonne foi ainsi que des services rendus et de sa loyauté envers l’autorité coloniale.
Lumumba plaide lui-même sa cause auprès du Roi. « Étant donné l’absence de tout antécédent
judiciaire, eu égard aussi à la situation de mes jeunes enfants, aux bons et loyaux services rendus à
l’Administration durant plus de 11 ans et au cours desquels je fus toujours coté ‘Élite’, n’ayant
même pas obtenu de congé durant cette longue carrière, je m’adresse en toute confiance à Votre
Majesté pour implorer d’Elle la faveur d’être gracié, ou du moins d’ordonner que cette affaire soit
éventuellement jugée au civil, ce qui me permettra de recouvrer ma liberté en vue surtout de
m’occuper de l’éducation de mes enfants.571 » Ses amis, dont Paul Fabo s’indignent de cette
arrestation. « Nous sommes très étonnés qu’il s’est trouvé un homme si peu sensé pour délivrer un
mandat d’écrou, contre un honnête homme, alors que les vrais coupables sont en liberté. 572»
Rien à faire, « les adversaires de Lumumba à Stanleyville tiennent leur revanche. La
détention préventive est confirmée à plusieurs reprises… Sa demande de bénéficier des
circonstances atténuantes est rejetée, malgré la détention de la carte du mérite civique, le statut
d’immatriculé, son travail à la Poste dont il s’acquittait à la satisfaction de tous ceux qui le
côtoyait. Seul son franc-parler, l’animosité que suscitaient son caractère indépendant et la jalousie
de certains fonctionnaires peuvent expliquer la discrimination dont il a été victime.573 Le 8 janvier,
la détention préventive, qui a atteint six mois, est une nouvelle fois confirmée. Le 25 février 1957,
Lumumba est condamné à une peine unique de deux ans de servitude pénale principale. Le 16
mars 1957, le procureur général près la cour d’appel de Léopoldville interjette appel contre le
jugement du tribunal de première instance de Stanleyville. Alors que la condamnation de
Lumumba à deux ans de Servitudes Pénales Principales paraît déjà si lourde, et que la libération
conditionnelle à laquelle il peut prétendre se fait attendre, on constate que c’est l’État colonial luimême qui n’est pas satisfait et veut alourdir la sentence !574 Le 4 juillet, l’appel du ministère
public est déclaré non fondé. Maître Émile J.Jabon, avocat de Lumumba à Léopoldville introduit
570
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L’Afrique et le Monde du 26 juillet 1956, pL-AP. p.30
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un recours en grâce en faveur de Lumumba auprès du Roi. Un arrêté royal du 27 août 1957
ramène la peine de servitude pénale à 1 an et 2 mois, soit la durée de la détention préventive déjà
encourue par Lumumba. Il est libéré le 7 septembre 1957 sous condition d’obtenir un emploi. Dès
le lendemain, le 8 septembre, il est engagé à la comptabilité de la Brasserie du Bas-Congo.
L’affaire Lumumba révèle de nombreuses contradictions dans les lois édictées par la
colonisation elle-même. Ces lois relèvent de l’arbitraire pur et simple. « Prenant l’autorité
coloniale au mot, Lumumba qui connaît bien ses droits, dit au cours de son procès que,
fréquentant beaucoup les Européens, il connaît les salaires et autres avantages que ceux-ci
perçoivent… Dans sa lettre de septembre 1956 au Roi, Lumumba affirme qu’il n’est pas seul à
souffrir : les autres familles d’évolués éprouvent les mêmes difficultés. Le problème que pose
l’affaire Lumumba est donc aussi celui de la promotion professionnelle des Congolais et l’accès
aux avantages liés à la fonction occupée. Il y a un vrai malaise chez les évolués et chez les
Congolais d’une façon générale. Ils veulent vivre décemment. L’affaire Lumumba n’a pas eu
auprès des Congolais l’impact que l’administration locale espérait. Beaucoup des Congolais ont
dit que ce détournement n’a été après tout qu’un peu de l’argent du Congo repris des mains des
Belges.575 En sortant ainsi toutes ses griffes, en voulant écraser Lumumba, le pouvoir colonial a
montré un fois de plus ses limites comme cela avait déjà été le cas avec Mama Ndona Nsimba
Béatrice ou avec Ntumwa Kimbangu. Ce pouvoir est un pouvoir qui déshumanise. Pour lui,
l’homme ne serait que le produit de son milieu social ; la somme de son héritage génétique. Mais
mbuta Lumumba, par sa détermination, a démontré que les conditions de vie écrasantes ne sont
pas toutes-puissantes, et ce n’est pas l’extérieur qui détermine ce que nous sommes. Tout se joue à
un tout autre niveau, au niveau où nous sommes tous les mêmes, c’est-à-dire dans la relation à un
autre, face auquel nous sommes rendus à notre origine commune.576 Cet autre fût-il Dieu, Liberté,
Justice, Espoir, Salut, etc.
Mbuta Lumumba s’installe à Léopoldville, sans l’avoir voulu, mais par le concours des
circonstances. L’autorité coloniale de Stanleyville avait cru qu’en l’enfermant en prison et surtout
en le transférant à Léopoldville, il serait réduit à sa plus simple expression. Erreur. A peine
installé, Lumumba intègre les divers milieux de Léo, et plusieurs personnalités aussi bien
européennes qu’africaines parlent de lui et cherchent à le rencontrer.577 Il est d’abord accueilli par
les Atetela, son groupe ethnique du Kasaï. Les Atetela ont une fédération, la Fédébate/Léo, dont il
prend vite la direction le 26 octobre 1958. Et comme il fallait s’y attendre, Lumumba se sert de
575
576
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Eugene Drewermann, op.cit., p.19
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221
cette nouvelle fonction pour son combat politique. Le 5 novembre 1958, ensemble avec plusieurs
autres présidents des différentes Fédérations, il signe une motion qui est remise au Groupe de
travail des parlementaires belges qui sont arrivés au Congo pour s’enquérir des désirs de la
population congolaise. Dans cette motion figure la revendication de l’indépendance.578 Aussitôt
Lumumba « préconise le lancement immédiat d’un parti politique d’inspiration libérale dénommé
Mouvement Populaire Démocratique, qui n’a jamais vu le jour. 579» Le 31 mars 1958, Lumumba
rédige une lettre au Roi Baudouin. Il lui demande qu’après les élections belges, Auguste Buisseret
puisse rester ministre des Colonies, étant donné tout le bien qu’il a fait pour les Congolais. Cette
lettre circule dans les milieux des évolués de Léopoldville. Elle recueille une centaine de
signatures.580 Au début du mois d’octobre 1956, le Gouverneur Général Henri Cornélis accorde à
Lumumba le bénéfice du décret sur le contrat d’emploi pour Européens. Il est assimilé aux
employés non indigènes pour l’application de la législation sur les pensions. Lumumba est l’un
des tout premiers Congolais à être affilié à la Caisse coloniale des Pensions jadis réservée aux
Européens. Ceci fait encore grandir son prestige.
« Il commence à être écouté par beaucoup d’Africains à Léopoldville, surtout chez les
‘gens du Haut’, c’est-à-dire les Congolais autres que les ressortissants Bakongo.581 Le 10 octobre
1958, les signataires de la motion remise au ministre des Colonies lancent un mouvement
politique dénommé « Mouvement National Congolais, en abrégé M.N.C., mouvement supra
ethnique.» Mbuta Lumumba est parmi les membres du bureau provisoire du mouvement. Il est élu
président du MNC peu après sa création. Il est déjà président de la Fédebat/Léo et président du
Cercle Libéral Africain.582 Le MNC a pour but : « de collaborer à l’éducation politique de la
masse congolaise et de préparer les élites à la gestion des affaires publiques du pays ; obtenir la
démocratisation rapide des institutions consultatives existantes ; lutter en faveur du peuple
congolais pour l’acquisition immédiate des libertés fondamentales garanties par la charte des
Nations Unies : liberté de pensée, d’expression de presse, de réunion, d’association, de religion, de
circulation, de droit de grève pour ce qui concerne les travailleurs ; combattre avec force toute
forme de séparatisme régional, incompatible avec les intérêts supérieurs du Congo ; mettre enfin
tout en œuvre pour libérer celui-ci de l’emprise du colonialisme impérialiste, en vue d’obtenir
dans un délai raisonnable et par voie de négociations pacifiques, l’indépendance du pays. 583» Le
président du MNC est déjà remarqué par la presse qui ne tarit pas d’éloges. « M. Lumumba est
578
579
580
581
582
583
PL-AP, p. 130
PL-AP, p. 141
Idem
PL-AP, p.142
PL-AP, p.159
PL-AP p. 150-151
222
intelligent et adroit, il est impossible de lui dénier des qualités que généralement on s’accorde à
dire peu répandues dans le groupe bantu. S’il est mystique, il n’en apparaît pas moins connu, très
près des réalités, capable de concevoir un plan et de le mener à bonne fin. Ce qu’il dit est clair : il
sait ce qu’il veut et connaît le chemin pour y aboutir. 584»
Et voilà Lumumba qui réapparaît sur la scène politique. Réapparition qui se fait avec éclat,
auréolé par le MNC qui se présente comme le premier parti politique nationaliste à se créer au
Congo ; parti multiéthnique, donc rassembleur.585Lumumba ne perd pas de temps. Il s’affirme
comme chef du MNC. « Il démissionne le 1er janvier 1959 de ses fonctions à la Brasserie du BasCongo pour se consacrer entièrement à la tâche politique.586 » Lumumba réussit là un coup de
maître dans ce territoire où les Congolais sont tenus d’une main de fer par les colonisateurs. Il sait
que c’est maintenant, c’est le moment où tout se décidait ; il fallait retrouver sa propre humanité,
sous peine de laisser définitivement passer sa dernière chance.587 Il opère là une rupture définitive
et radicale. « Il y a des objectifs et des réalités humaines pour lesquelles il vaut la peine de tout
laisser tomber.588 » Il se montre très habile. Il veut avoir une vraie base avec qui il veut entretenir
des contacts permanents. Pour ce faire, le parti se dote d’un Secrétariat permanent, d’un
mouvement de jeunesse et d’un mouvement féminin. Le Secrétariat permanent est inauguré le 28
mars 1959 dans la commune de Kinshasa, au 112 rue Kalembelembe. Le jour de l’inauguration du
Secrétariat, Lumumba énonce sa mission et sa ligne de conduite. « Il insiste sur le fait que le
secrétariat permanent est non seulement le siège administratif du MNC, mais qu’il doit être aussi
une sorte de centre d’accueil ouvert à tout Congolais, membre ou non du parti, espérant une aide
quelconque : rédaction d’une lettre, coup de téléphone, intervention auprès de l’administration,
conseil de quelque ordre que ce soit. » La permanence du secrétariat est assurée par deux
personnes dont une femme.589 Pour être encore plus proche des gens, le parti décide d’étendre le
mouvement dans toute la ville. Chaque commune devient une section pour le MNC. Matete,
Kalamu, Kintambo, Kinshasa, Barumbu, deviennent des sections. Au mois d’avril 1959, toutes les
sections de Léo sont en place. Pour chacune, l’installation et la désignation du comité revêtent une
certaine solennité. Tribun, Lumumba a un contact privilégié avec les masses. Il parle Lingala qu’il
a vite appris de par ses fonctions à la Brasserie du Bas-Congo. Le contact avec l’auditoire prend le
plus souvent la forme d’un dialogue : l’orateur pose des questions simples et la foule répond par
584
585
586
587
588
589
Présence Africaine de mai 1959, in PL-AP, p.162
PL-AP, p.165
PL-AP, p. 175
Eugene Drewermann, op.cit. p.18
Idem, p.20
PL-AP, p.193
223
oui ou par non. « Ce dialogue est extrêmement positif pour Lumumba590, dans la mesure où il
conduit la masse à adopter des conduites politiques conformes aux orientations que lui-même
cherche à faire prévaloir. Ce processus conduit aussi à l’élimination par la base des dirigeants
jugés inefficaces, impopulaires ou inactifs.591 » Le MNC va à l’assaut du Congo profond. Le 29
novembre 1958, un agent de l’université d’Élisabethville se propose pour créer une section locale
du mouvement592.
Fort de cette assise populaire, Lumumba parcourt l’Afrique libre. En décembre 1958,
Lumumba et d’autres membres du Mouvement National Congolais participent à la sixième
Conférence panafricaine d’Accra au Ghana. Il y prononce un discours qui fait date. La conclusion
de ce discours est éloquente. Il dit : « Le souffle libérateur qui traverse actuellement toute
l’Afrique ne laisse pas le peuple congolais indifférent. Cette conférence historique nous révèle une
chose : malgré les frontières qui nous séparent, malgré nos différences ethniques, nous avons la
même conscience de faire de ce continent africain un continent libre, heureux, dégagé de
l’inquiétude, de la peur et de toute domination colonialiste.593 » La délégation du MNC est reçue
par le président Nkwame N’krumah. Elle retourne au Congo le 19 décembre 1958. Aussitôt, le
comité directeur du M.N.C. décide d’exploiter leur participation à la Conférence d’Accra et
organise à Léo, le premier meeting public d’un parti politique congolais, le dimanche 28 décembre
1958. Immense succès. Dans son numéro du 3 janvier 1959, Présence Congolaise écrit : « Le
Mouvement National Congolais qui a vu dernièrement le jour à Léopoldville, et qui est une œuvre
spécifiquement congolaise, a organisé ce dimanche 28 décembre 1958, à la place communale de
Kalamu, un meeting politique parfaitement réussi. 594» Entre 5 et 7.000 personnes sont venues
écouter ce meeting. Ce jour là, Lumumba termine ainsi son discours. « Il faut que le peuple
congolais cesse de s’endormir et d’attendre l’indépendance et notre liberté. Le Congo est notre
patrie. C’est notre devoir de rendre cette patrie plus grande et plus belle. 595» Lumumba fait aussi
un voyage à Ibadan au Nigéria et à Conakry en Guinée, au mois d’avril 1959. Il séjourne encore
une fois en Belgique en avril-mai 1959. Il s’affirme donc comme un grand homme d’État.
Mais comme à Stanleyville, les mêmes difficultés apparaissent à Léopoldville pour
Lumumba. Comme l’A.E.S. autrefois, le M.N.C. est lui aussi divisé en deux ailes qui se
combattent. Lumumba est combattu. A Léo, le clivage entre les gens du Bas-Congo et ceux du
590
591
592
593
594
595
Mobutu, le tombeur de Lumumba, l’imitera pourtant en tout, habillement, démarche, discours, meetings,
gestuelles.
PL-AP, p193.
PL-AP, p. 168
PL-AP, p. 171
PL-AP, p.174
Idem
224
Haut-Congo exacerbe le conflit. En effet, les évolués Ba-kongo ne voient pas d’un bon œil cette
montée en puissance de Lumumba dans leur fief. Et au sein même du M.N.C., la personnalité de
Lumumba n’a pas de concurrent. Il est à quelques années-lumière des autres, d’une autre planète.
Lumumba a une grande maîtrise du jeu politique. D’après Martin Ngwete « Aucune structure ne
pouvait convenir à Patrice qui, à tout moment, avait autre chose à ajouter ou de différent à
annoncer. Continuellement, il déroutait les autres membres, les embarrassait avec des sujets non
préparés et qui pourtant finissaient par être acceptés.596 » Lumumba n’avait qu’une seule visée,
une seule obsession, libérer le peuple congolais et le Congo du joug colonial. Rendre la liberté à
son peuple. Et pour cela il a travaillé sans répit au péril de sa vie. Il est mort assassiné par ses
frères du Haut qui l’ont trahi en s’alliant aux Anglo-saxons, aux Occidentaux, cruels, et cupides.
L’attitude politique de certains responsables du Haut-Congo pose problème pour la bonne
marche du pays. La colonisation les a souvent utilisés, en faisant d’eux leurs favoris, leurs
collaborateurs, pour isoler les autres, les Bakongo en particulier, en dénigrant la langue de ceux-ci
et en les rejetant très loin à la lointaine périphérie de Kinshasa. Se faisant ainsi piéger les
« évolués » du Haut, communément appelés « Bangala et Baswahili », toutes tendances
confondues, militaires et civils, s’enferment dans une dangereuse nomenklatura du mal pour la
prise du pouvoir et s’illustrent dans le goût du lucre, la corruption, les meurtres, les viols, les
complots de toute sorte contre notre peuple. Ils ont joué le jeu de la colonisation et continuent à
jouer le jeu occidental de l’asphyxie de la population congolaise. A Kinshasa, cette nomenklatura
ne se mélange pas avec la population. Elle choisit de vivre séparée, à Gombe, à Ma Campagne ou
à Mbinza. Le reste de la ville ne l’intéresse guère. Elle ne parle pas les langues de la population
kinoise. Ni le Kikongo, ni le Lingala.
Mbuta Lumumba, qui a bien perçu cette tendance, s’est très vite démarqué de cette
nomenklatura et a fini par être assassiné. Lumumba est l’expression vivante de la liberté et du don
de soi pour le salut d’un plus grand nombre. Son apparition inattendue, son intelligence
remarquable, sa détermination éclairée et sa volonté féroce, démontrent à suffisance que ladite
mission civilisatrice est une aberration qui ridiculise ses concepteurs. A lui seul Lumumba a
vaincu la colonisation en la réduisant à sa plus simple expression, à savoir un régime prétentieux,
injuste, autoritaire et inhumain. Une honte pour l’humanité comme il le disait lui-même. Personne,
ni en Belgique ni au Congo, n’a atteint, ni sa réputation ni son envergure, pour toute la période
qu’a duré la colonisation belge et même après. Alors que Lumumba et beaucoup d’autres
Congolais avant lui, ont voulu et ont recherché une vie harmonieuse et fraternelle avec les
596
PL-AP, p.174
225
Européens pourtant arrivés chez nous sans la moindre invitation, eux s’en sont toujours moqués,
se prenant pour des dieux qui devaient mener une vie divine, pour laquelle ils voulaient à tout prix
sacrifier la vie des Congolais. Ainsi comme Mama Ndona Nsimba Béatrice, comme Tata Simon
Kimbangu, Mbuta Lumumba, lui aussi, a refusé la soumission. La sanction “divine des dieux
Anglo-saxons“ a été immédiate. Comme les deux premiers et beaucoup d’autres encore, il est mort
sur l’autel de la liberté simplement humaine. La noble lutte de toutes ces personnes ne doit pas
être monnayée avec des dommages qu’une partie quelconque paierait à sa famille biologique par
exemple. Un tel acte le déshonorerait complètement. Si sa famille a un problème d’argent – et qui
n’en a pas au Congo – elle devra se démener comme tous les Congolais, mais œuvrer comme tout
le monde – et surtout comme notre cher mbuta - à l’avènement d’un avenir meilleur pour tous.
Mais si un procès doit avoir lieu pour réparer les dommages subis par Mbuta Lumumba et le
peuple Congolais, c’est au Congo qu’il devrait se tenir, par un tribunal populaire congolais. Car ce
qu’il faudra juger et condamner c’est la colonisation et son colonialisme comme il l’a dit luimême. Ce jugement là ne peut pas viser les dommages financiers, mais moraux qui ont été à la
base de toutes les misères que notre peuple subit depuis des siècles. Nous avons des bras et des
têtes bien faites pour travailler et nous nourrir avec le fruit de notre travail. Le procès contre le
colonialisme ne peut pas avoir des buts financiers. Ceci n’honorerait pas du tout la mémoire de
nos vaillants ancêtres et aînés morts la tête haute pour défendre notre liberté. Ce procès devra
englober tous les autres crimes ignobles et massifs commis par les Européens sur les Congolais. Il
devra inclure les victimes de la traite, les victimes de la colonisation portugaise et celles des
colonisations belges. Ce n’est pas aux pays agresseurs à constituer le tribunal. Ce n’est pas non
plus à la Cour Internationale de la Haye à le faire. La terre hollandaise comme le Portugal et la
Belgique sont trop liés au malheur multiforme que connaît le Congo, plus particulièrement
l’assassinat ignoble de Lumumba. La justice doit être juste, équitable et honorable.
Pour parler de justice, il y a une attitude très troublante dans les drames vécus aussi bien
par Mama Ndona Nsimba Béatrice que par Tata Simon Kimbangu ou Mbuta Lumumba, à savoir
l’implication systématique des missionnaires européens dans ces tragédies, lesquelles n’ont fait
que retarder l’émancipation du peuple Congolais. Cette attitude de ces serviteurs de Dieu, se
disant de surcroît disciples Jésus de Nazareth, fait poser beaucoup des questions. A vrai dire les
missionnaires d’hier comme ceux d’avant hier et ceux d’aujourd’hui sont des colonisateurs
comme les autres, administrateurs, commerçants, médecins, ou soldats. Ils sont dans la logique du
révérend Père Tempels, « spécialiste de la philosophie bantoue », la logique de la « mission divine
ou civilisatrice » que s’est octroyée l’Europe colonisatrice, à savoir celle d’éduquer l’homme noir.
Par contre « que l’on pille, que l’on torture au Congo, que le colonisateur belge fasse main basse
226
sur toute richesse, qu’il tue toute liberté, qu’il opprime toue fierté… le révérend Père Tempels y
consent… Vous allez au Congo ? Respectez, je ne dis pas la propriété indigène (les grandes
compagnies belges pourraient prendre ça pour une pierre dans leur jardin), je ne dis pas la liberté
des indigènes (les colons belges pourraient y voir propos subversifs), je ne dis pas la patrie
congolaise (le gouvernement belge risquant de prendre fort mal la chose), je dis : Vous allez au
Congo, respectez la philosophie bantoue, considérez l’esprit humain propre de l’homme noir, cette
seule réalité qui nous empêche de le considérer comme un être inférieur !
597
» C’est ainsi que
comme les autres colons, plus soucieux d’eux-mêmes que de ceux dont ils ont pourtant eu
« mission divine », de nombreux missionnaires se sauvent à la moindre alerte et regagnent
l’Europe en attendant que ça se calme, abandonnant ainsi leurs « protégés africains » à leur propre
sort.
Cette attitude de compromission des missionnaires vis-à-vis d’un régime inhumain tranche
avec le courage prophétique dont ont témoigné des jeunes prêtres kinois ordonnés dans les années
1980 contre le régime sanguinaire et impopulaire de Mobutu, de leur race pourtant. Avec des
simples croix et des rameaux ils ont marché devant une foule estimée à un million des personnes
et face à des canons pointés devant eux, pour dénoncer ce régime. C’était le 16 février 1992. Ce
jour là, comme au 04 janvier 1959 ou à d’autres moments semblables, ce que demandait le peuple
congolais, ce n’était pas la nourriture, ou les logements confortables ou les salaires décents, mais
simplement le respect, la dignité, la liberté. 598
597
598
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence africaine, Paris, 2004, p.44
Ibidem, p.45
227
3. 1+4 = 0, la énième révolte du peuple congolais contre l’occupation étrangère.
Ce jour du 16 février 1992, marque le début de la fin du sanguinaire régime de Mobutu.
C’est l’annonce d’une ère nouvelle au Congo alors Zaïre de Mobutu. Les Zaïrois franchissent en
ce jour le Rubican, eux qui étaient, sous ce régime odieux, les soumis de tous les soumis comme
les Congolais de l’État Indépendant sous le Roi Léopold II. La marche commencée le 16 février
1992 a abouti aux élections de 2006599. Mais elle a été longue, très longue, parsemée d’embûches
et d’obstacles de toute sorte, malheureusement sans récompenses véritables des efforts immenses
et des sacrifices de toute sorte de la population. Au contraire, plutôt que d’apporter une ère de
paix, les guerres ont succédé à d’autres venues toutes de l’Est. Ces guerres, venues toutes du
Rwanda et arrivées au Congo en passant par le Kivu, sont au nombre de cinq.
La guerre exterminatrice de 1994 entre le Front Patriotique Rwandais de tendance Tutsi et
le pouvoir en place de tendance Hutu.600 La guerre de 1996-1997, appelée aussi guerre du Zaïre,
dans laquelle le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi soutiennent une rébellion tutsi pour renverser
Mobutu Sese Seko, régnant sur le pays depuis 1960, et le remplacer par Laurent-Désiré Kabila.601
Il y a aussi en 1998-2003 un troisième conflit, dit conflit des Grands Lacs, dans lequel ces mêmes
pays soutiennent une nouvelle rébellion tutsie pour écarter, cette fois, L.D. Kabila du pouvoir. Le
conflit qui commence simultanément au Kivu et au Bas-Congo, c’est-à-dire à l’est et à l’ouest,
prend alors une dimension régionale d'une grande complexité en raison de l'implication de sept
pays africains et de nombreux groupes rebelles dans les combats, pillant les ressources naturelles
de la République démocratique du Congo et commettant les pires atrocités sur la population.602 Il
y a ensuite la guerre de Bukavu, guerre menée par deux officiers Tutsi du Rwanda, Jules Mutebusi
et Laurent Nkunda du 26 mai au 9 juin 2004.603 Cette guerre a soulevé une vague des protestations
sans précédent à travers tout le pays. Il y a enfin la guerre du Kivu ou la guerre de Nkunda et de
son CNDP qui a commencé le 28 août 2008 et qui continue encore sous différentes facettes malgré
599
600
601
602
603
Les élections générales, présidentielles et législatives ont eu lieu le dimanche 30 juillet 2006. « 33 candidats
ont brigué la magistrature suprême, dont l’actuel Président Joseph Kabila - qui a été élu au second tour le 29
octobre - et 9 500 se sont présentés aux législatives (500 postes de députés étaient à pourvoir). En tout,
quelque 267 partis politiques étaient en course… C’est la communauté internationale qui avait financé
l’essentiel des 430 millions d’euros prévus pour l’occasion. » (Afrik.com)http://www.afrik.com/rdcelections-2006
http://fr.wikipedia.org/wiki/Genocide_au_Rwanda
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/conflit-grands-lacs/introduction.shtml
Idem
http://www.societecivile.cd/node/1765 Rapport sur les evenements survenus à Bukavu du 26 mai au 9
juin 2004.
228
‘l’arrestation’ de Nkunda comme le préconisait M. A. Bischoff, dans son livre « La guerre du
Kivu ». En effet les raisons de cette guerre étaient tellement indiscernables et les revendications
tellement surréalistes, que seules des mesures contraignantes - nécessitant le concours, volontaire
ou forcé du gouvernement rwandais, seul à avoir prise sur Nkunda – paraissaient en mesure de le
stopper dans son aventure.604 A l’instar de toutes ces guerres, les conférences se sont succédées et
ont traîné des centaines des Congolais, des différentes autres personnes et des organisations des
nationalités diverses, d’un coin à l’autre du Continent pour le partage du pouvoir.
L’Accord de Lusaka pour un cessez-le-feu en République démocratique du Congo est
conclu, le 10 juillet 1999, grâce à la médiation de la Zambie, présidée par Frédéric Chiluba, que la
SADC avait chargé de mener des pourparlers de paix pour la RDC. L'OUA y a apporté sa
collaboration ;
l'Accord de Pretoria du 31 juillet 2002 dit Protocole d'accord entre les
gouvernements de la République démocratique du Congo et de la République du Rwanda sur le
retrait des troupes rwandaises du territoire de la République Démocratique du Congo et le
démantèlement des forces des ex - FAR et des Interahamwe en République démocratique du
Congo (Rdc). Accord conclu sous l'égide de la RSA dont le président, Tahbo Mbeki, président en
exercice de l'UA en ce moment ; l'Accord de Luanda du 6 septembre 2002 conclu entre l'Ouganda
et la RDC sous la houlette de l'Angola en collaboration avec l'UA ; Accord de Lusaka pour un
cessez-le-feu en République démocratique du Congo et modalités de sa mise en œuvre, accord qui
a eu le mérite de jeter les bases de négociations politiques inter congolaises organisées à plusieurs
étapes605 avec l'aide d'un facilitateur neutre, sir Ketumile Masire606, choisi par les parties
congolaises avec l'aide de l'UA : le pré-dialogue de Gaberone (Botswana) du 20 au 24 août 2000,
les travaux d'Addis-Abeba (Éthiopie) ouverts le 15 août 2001, le dialogue inter congolais de Sun
City du 25 février au 11 avril 2002 et les négociations politiques inter congolaises de Pretoria en
décembre 2002.
La dernière étape de ces négociations, qui se tint à Pretoria en RSA, aboutit, le 17
décembre 2002, à la conclusion de l'Accord global et inclusif sur la transition en Rdc (dit Accord
de Pretoria II). Cet accord a servi de base à la Constitution de la transition en RDC adoptée, le 31
604
605
606
A. Bischoff, historien, consultant pour l’Afrique centrale, auteur de « Congo-Kinshasa, la décennie
1997-2007 », Éditions du Cygne, avril 2008, 239 p.) cfr http://www.rwasta.net/view/article/rd-congochronologie-de-la-guerre-du-kivu-fin-2008/in
http://www.memoireonline.com/07/08/1202/reglment-pacifique-conflit-rdc-etude-juridique-paixdurable-region-grands-lacs.html
J'étais présent à l'Hotel du Kwilu à Kikwit, en tant que directeur de Radio Tomisa, quand M. Ketumil
Masire est venu expliquer les règles de jeu pour la tenue de ces pourparlers de Lusaka et rechercher
l'implication de la société civile.
229
mars 2002, par la plénière du dialogue inter-congolais à Pretoria607 ; Accord pour le rapatriement
au Rwanda des rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda
(FDLR), qui opèrent dans l'est de la RDC, signé à Nairobi en novembre 2007 ; le 23 janvier 2008,
signature à Goma de l’Acte d'Engagement pour un cessez-le-feu immédiat et un désengagement
progressif sur le terrain entre le Gouvernement de la République et plusieurs groupes armés
opérant au Kivu dont le fameux CNDP de Laurent Nkunda, arrêté ou retiré par son parrain depuis
le 24 janvier 2009
608
. Il y a une constance dans tous ces accords, personne n’est arrêté, personne
n’est jugé. Tout le monde s’en tire à bon compte. Tous les crimes sont graciés. Tous sont
récompensés. Par contre le sort du peuple est ignoré, ses attentes déconsidérées.
Tous ces accords ont été portés par toute une batterie de résolutions des Nations Unies. En
neuf ans, soit de 1999 jusqu’en 2007, cinquante résolutions onusiennes ont été adopté sur et pour
la République démocratique du Congo609. A cet immense travail du Conseil de Sécurité à NewYork, il faut aussi ajouter le travail des fonctionnaires onusiens sur le terrain des opérations au
Congo. Il a des effectifs énormes. “19.815 soldats, 760 observateurs militaires, 391 fonctionnaires
de police et 1.050 membres d'unités de police610 ; un budget annuel d’un milliard de dollars611 ;
une radio, Radio Okapi, en collaboration avec une Ong suisse, La Fondation Hirondelle - Media
for Peace and Human Dignity - fondée en 1995 par Jean-Marie Etter, Philippe Dahinden et
François Gross, une organisation de journalistes créant des médias indépendants en zones de crises
dont le siège est à Lausanne, en Suisse612. Le budget annuel de la Fondation Hirondelle pour
Radio Okapi est en 2010 de 3,4 millions de Francs Suisses. Énorme. Il est financé par les
gouvernements britannique, suédois, belge, allemand et suisse, ainsi que par OSISA (Open
Society Institute for Southern Africa). La Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la
Stabilisation du Congo (MONUSCO) apporte une contribution importante au fonctionnement du
projet, notamment la mise à disposition de locaux sécurisés, des apports en matériel technique, les
moyens de télécommunications nécessaires et des ressources humaines. Radio Okapi emploie près
607
608
609
610
611
612
Balingene Kahombo, Le règlement pacifique du conflit en RDC: étude juridique pour une paix durable
dans la Régions des Grands Lacs Université de GOMA (RDC) - Licence en Droit public, in
http://www.memoireonline.com/07/08/2002/reglement-pacifique-conflit-rdc-etude-juridique-paixdurable-region-grands-lacs.html
Laurent Nkunda, le chef des rebelles du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP), a été arrêté par
les soldats rwandais. Il se trouverait actuellement en résidence surveillée, au Rwanda. C'est un revirement
de position inédit de Kigali. Quels sont les bénéfices que tire le président rwandais de cette affaire ?
http://www.tutsi.org/archives1208.htm (N. N. René, République démocratique du Congo : justice pour un
génocide)
http://www.un.org/french/ga/search/view_doc.
Idem
René Ngambele, République démocratique du Congo : justice pour un génocide in Quel avenir pour la
R.D. Congo ? Op.cit. p.95
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fondation_Hirondelle
230
de 250 personnes sur l’ensemble du pays, journalistes, animateurs, techniciens, cadres et
collaborateurs (employés des Nations Unies et de la Fondation Hirondelle). Elle a 59 émetteurs
FM, dont 31 propres et 28 radios partenaires équipées par la Fondation Hirondelle.613
Tout ceci hisse cette radio au sommet du paysage radiophonique congolais qui compte 220
radios de toutes les tailles, de toutes les obédiences, de toutes les provinces, internationales ou
nationales, locales ou publiques, commerciales ou communautaires, humanitaires ou non,
religieuses ou politiques.614 C'est un empire dans le paysage médiatique congolais. La mission de
l’Onu, pourtant au service des Congolais, aurait pu soutenir aussi de la même façon les radios
congolaises locales, particulièrement celles de l’Est du pays, la partie la plus touchée par les
conflits. L’important montant d’argent mis à la disposition de radio Okapi, aurait pu être rétribué
fut-ce en partie à d’autres radios ou journaux du pays sans grands moyens de fonctionnement,
mais réalisant, eux aussi,
comme cela se fait au Congo, ce même travail de formation et
d’information de la population.
La Monuc a diverses autres structures. Il y a le Ciat, le Comité International
d’Accompagnement de la Transition, comité consultatif chargé d'apporter son appui au processus
de la transition. Il agit essentiellement comme médiateur dans les crises institutionnelles. Il est
composée de : Chef de la Monuc, des Ambassadeurs des États-Unis, de France, de Chine, du
Canada, de Russie, de Zambie, de Belgique, du Royaume-Uni, du Gabon, d'Angola, d'Afrique du
Sud.615 C’est à croire que le Congo dit Démocratique est le pays le mieux aimé des Nations Unies
qui s’en occupent aux petits oignons. Car les Nations Unies, par leur Conseil de Sécurité, veillent
à tout dans cette période cruciale pour le Congo, période de Transition. En effet les accords de
Pretoria II, mettent en place un Gouvernement de large union nationale et diverses institutions
d’appui à la démocratie. C’est le fameux Gouvernement de 4+1. Un président et quatre viceprésidents, tous indépendants les uns des autres. Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie
(RCD), l’autre bras armé du FPR, occupe une vice-présidence ; il en est de même du Mouvement
de Libération du Congo, armé par l’Ouganda. La troisième vice-présidence est occupée par
l’Opposition dite non armée, celle de l’intérieur, et la quatrième vice-présidence est revenue à
l’entité de l’ancien Gouvernement de la République. L’ancien président, Joseph Kabila, reste en
place. Le Gouvernement est composé de 37 ministres et de 25 vice-ministres. «Le gouvernement
d'union nationale, formé le 30 juin 2003, est chargé de mettre en œuvre le processus électoral dont
le référendum constitutionnel, organisé les 18 et 19 décembre 2005, constitue la première étape,
613
614
615
http://www.hirondelle.org/nos-medias/radio-okapi
Selon une étude réalisée par Ben Kabamba et publiée par Le GRET, Groupe de recherche et d’échanges
technologiques en février 2006 http://www.afrik.com/article 9525.html
http://www.congorama.com/rdc/monuciat.ht m
231
suivie par les élections présidentielle et législatives en juillet et octobre 2006. Le gouvernement a
aussi pour mission de rétablir l'autorité de l'État dans toutes les provinces, autorité bafouée par les
belligérants qui se sont répartis leur contrôle administratif et militaire, au gré de leurs alliances et
de leurs intérêts économiques.616 »
A ce Gouvernement, le CIAT a adjoint diverses institutions d’appui à la démocratie. Il y en
a cinq : la commission électorale indépendante (CEI) avec mission de garantir la neutralité et
l'impartialité dans l'organisation des élections libres, démocratiques et transparentes ;
l'Observatoire national des droits de l'Homme (ONDH) pour promouvoir les droits de l'homme et
protéger la population ; la Haute autorité des médias (HAM) pour assurer, quant à lui, la neutralité
des médias ; la Commission vérité et réconciliation (CVR) pour pourvoir la consolidation de
l'unité nationale grâce à une véritable réconciliation entre congolais ; la Commission de l'éthique
et de la lutte contre la corruption (CELC) pour favoriser la pratique des valeurs morales et
républicaines.617 Une organisation parfaite pour ramener la paix au plus vite au Congo dit
démocratique. Délai imparti pour y arriver, deux ans. 2002-2004, vingt quatre mois.
Ainsi le peuple congolais peut-il attendre des retombées palpables susceptibles d’améliorer
rapidement ses conditions de vie. Parmi ces retombées figure en bonne place le fait de pouvoir
vivre désormais dans un État moderne, État de droit, régis selon les lois universellement
reconnues, avec un gouvernement élu au suffrage universel. Ce dont s’est attelé de faire la
Commission électorale indépendante avec l’appui de la Monuc, du CIAT et de radio Okapi en
2006. En cette année 2003, celle du démarrage du plan de l’Onu pour le Congo, le peuple s’attend
également à bénéficier des atouts universels de la vie moderne. Du travail pour tous avec des
bonnes rémunérations. De l’eau courante et de l’électricité pour tous. Un panier de la ménagère
bien fourni, capable de garantir trois repas par jour pour tous. Une scolarité gratuite pour tous les
enfants. Un accès pour tous aux soins médicaux grâce à une bonne couverture médicale et
l’assurance-maladie. Une mobilité assurée pour tous à travers un système de transport fonctionnel
et varié. Le droit de tous à une retraite juste. Le droit de tous à l’information, à la formation et au
divertissement par des médias vraiment nationaux et objectifs. Comme de nombreux peuples dès
par le monde, le peuple congolais rêve enfin des vacances et de l’amusement, il veut respirer la
paix chèrement acquise grâce à l’aide de la Communauté Internationale venue à son chevet.
Mais hélas, malgré cette impressionnante organisation, sur le terrain de la vie quotidienne
de la population rien n’a changé. Au contraire, plus les mois passent, plus la situation s’empire.
616
617
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/conflit-grands-lacs/transition-democratiquecongo.html
http://www.congorama.com/rdc/appui.htm
232
Au sommet de l’État l’imbroglio est complet. On a du mal à savoir qui fait quoi et qui est qui.
Quel est le rôle du Ciat, quel est celui du gouvernement ? Qui est le président du pays ? Est-ce le
chef du gouvernement 1+4 ou celui du Ciat ? Ou bien les Vice-présidents indépendants ? Quelle
est l’armée de la République ? Est-ce celle des soldats de la Monuc ou les Forces Armées du
Congo ou les diverses armées étrangères dites rebelles ? A qui la population doit-elle s’adresser au
quotidien ? Car sur le terrain, les soldats de la Monuc et ses fonctionnaires sont partout. Ils sont
bien équipés. On les reconnaît par leurs véhicules tout terrain flambant neufs venus du Japon, les
4X4 armés de grosses antennes de télécommunication. Ils ont pris possession de tout le Congo, de
l’Est à l’Ouest. Mais ils n’empêchent rien, ni les exactions contre la population, ni les attaques
des-dits rebelles venant régulièrement du Rwanda ou des forêts du Kivu et de l’Ituri. Sur les
chaînes des télévisions occidentales, les images des tueries et celles des populations congolaises
déplacées, tournent en boucle et défraient la chronique de l’actualité mondiale. Les jours passent,
les mois s’écoulent, les années se succèdent, rien ne change. Déjà les estimations tombent, elles
sont accablantes. Cinq millions de morts, deux millions de déplacés intérieurs, un million de
réfugiés, des dizaines de milliers de femmes déshonorées et des milliers d’enfants arrachés à leurs
familles pour être enrôlés de force dans divers groupes armés. Entre 31.000 et 74.000 personnes
meurent chaque mois des suites directes ou indirectes des guerres.618 La situation est grave et
l’impuissance
de la Monuc tellement déconcertante que l’Union Européenne, initiatrice et
marraine de la Monuc, interpellée, vient à son secours en organisant l’opération appelée Artémis
en Ituri au Kivu en 2003.619
Le Gouvernement appelé 1+4, est tout sauf un gouvernement. C’est un agglomérat des
ramassis de toute sorte. Essentiellement une bande de truands et d'opportunistes.620 Un
gouvernement éléphantesque. Il est « inclusif, c’est-à-dire composé de l’ensemble des forces
armées et politiques dont celles qui avaient pillé le pays armes à la main durant les années de
guerre, mêlant la corruption et les détournements ainsi que les conclusions de contrats léonins et
de cadeaux fiscaux et douaniers.621» Ici tout le monde veut être ministre, sinon député. 71
ministres au total, et 500 députés. Composé le 30 juin 2003, le gouvernement de transition a vu 6
remaniements ministériels en trois ans : le 11 juillet 2004, le 3 janvier 2005, le 17 février 2005, le
18 novembre 2005, le 24 mars 2006, le 10 octobre 2006. Car il ne s’agit pas de diriger le pays,
618
619
620
621
René Ngambele, op.cit. p.93
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mission_de_l’Organisation_des_Nations_unies_en_République_démocrat
ique_du_Congo
William Wallis, op.cit.
Arnaud Zacharie, La dette extérieure et le financement du développement de la RD Congo, Défis et
perspectives pour le nouveau gouvernement démocratiquement élu, CNDP, 11.11.11., un combat des
pleins droits, http://www.congoforum.be/upldocs/étudedetteRDC2007.pdf
233
mais de se partager le gâteau. Les partis rebelles qui ont le plus tué, obtiennent les ministères les
plus importants. Ainsi le Mouvement de Libération du Congo, le MLC, d’obédience ougandaise,
qui a la vice-présidence chargée de l’Économie et des Finances, dirige sept ministères : Affaires
étrangères, Agriculture, Budget, Enseignement primaire et secondaire, Travaux Publics et
Infrastructures , Tourisme, Budget, Enseignement primaire et secondaire, Jeunesse et Sports,
Plan. Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie, RCD, le bras armé du FPR au Congo, a
aussi sept portefeuilles : Travail et Prévoyance sociale, Commerce extérieur, Condition féminine
et Famille,
Défense Nationale, Anciens Combattants et Démobilisation,
Économie,
Enseignement supérieur et universitaire, Portefeuille. A eux deux, ces deux mouvements armés
obtiennent quatorze ministères et non des moindres sur les trente-sept qui composent l’exécutif de
la transition. Mais ils gardent leurs armées et refusent d’intégrer l’armée nationale. Le Rcd,
cantonne son armée au Kivu et prend la direction de la Province du Nord-Kivu, à la frontière avec
le Rwanda.622
La première préoccupation de ce beau monde c’est l’argent. Ils veulent se faire payer à tout
prix. Le gouvernement dit de transition cherche avant tout à boucler ses fins de mois. Il sollicite
encore et encore les « partenaires » et met aux enchères le contrôle des ressources naturelles. De
politique de développement il n’en est pas question.623 Le gouvernement appelé 1+4 est un
gouvernement de la “Communauté internationale“ qui lui a donné une mission précise. A savoir,
gérer la restructuration de la dette extérieure et reprendre les remboursements dus.
En 2001,
« le pays doit régler de manière urgente le problème de ses arriérés, afin de régulariser sa situation
financière, de profiter de nouveaux prêts et de participer à l’initiative d’allègement de la dette des
pays pauvres très endettés (PPTE). La réaction de Joseph Kabila et de son ministre des Finances
ne se fait pas attendre : les remboursements reprennent vigoureusement à partir de 2002. Cette
régularisation permet au gouvernement congolais d’accéder à une gigantesque opération de
restructuration de sa dette (en deux phases) et d’entrer dans le cadre de l’initiative PPTE. 624»
« En définitive, cette gigantesque opération de restructuration consiste à refinancer de
vieilles dettes impayables et impayées par de nouveaux emprunts à taux avantageux, et d’en
annuler et en rééchelonner une partie. Ainsi le processus vise à garantir le remboursement des
vieilles dettes impayées par une opération de "consolidation", c'est-à-dire en remplaçant les
arriérés par de nouvelles dettes à un taux d'intérêt "concessionnel". Concrètement, quatre pays
(Belgique, France, Suède, Afrique du Sud) prêtent la somme nécessaire au gouvernement
622
623
624
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mission_de_l’Organisation_des_Nations_unies_en_République_démocratique_du_Congo
Arnaud Zacharie, op.cit.
Idem,
234
congolais pour qu’il rembourse ses arriérés au FMI. Ensuite, le FMI prête la somme nécessaire
(522 millions de dollars) au gouvernement congolais pour qu’il rembourse ces prêts d’États. Dans
le même temps, la Banque mondiale prête 330 millions de dollars au Congo pour que le pays
liquide ses arriérés à son égard. 625» Aussi, « Les dépenses sociales (éducation et santé) prévues
par la stratégie DSRP-PPTE s’en retrouvent des plus réduites, surtout que l’instabilité régionale a
impliqué des dépenses militaires accrues, alors que les dernières estimations (2001) indiquent que
80% de la population vit dans l’extrême pauvreté avec en moyenne 0,23 dollar par jour. Le stock
de la dette extérieure dépasse encore les dix milliards de dollars en 2006, du fait du report à 2007
du point d’achèvement de l’initiative PPTE. » Ainsi donc « comme la croissance économique ne
contribue, du moins à court terme, ni à l’amélioration du bien-être économique, ni à celle du bienêtre humain, la problématique de l’existence même du pays, en tant que nation moderne, devient
préoccupante. »626
On voit finalement que toutes les guerres et les souffrances infligées aux paisibles
populations congolaises n’ont eu comme finalité que le remboursement des dettes injustes à ceux
là mêmes qui les avaient délibérément et gracieusement octroyées à leur plus grand allié et ami
Mobutu sans le moindre avis du peuple congolais qu’ils condamnent aujourd’hui à la mort.
Comme qui dirait, “ tout ça pour ça“. Comment comprendre cet agissement des gouvernants et
argentiers des pays dits civilisés, pétris par les droits de l’homme, qui n’hésitent pas un instant à
jeter dans les ténèbres des populations entières sans le moindre état d’âme ? Car on ne peut pas
dire que c’est l’argent qui leur manque pour vivre. Tous les pays occidentaux qui prennent une
part active dans la mise à mort du peuple congolais ont suffisamment d’argent pour vivre
tranquillement pendant des siècles. Leur réserve monétaire se chiffre en milliards des dollars.
Pourquoi vouloir à tout prix achever un peuple innocent qui n’a jamais rien fait de mal et qui veut
simplement vivre.
On se rend donc compte que le Congo dit démocratique, Rdc627, de la Monusco de 2010,
égale celui de la Monuc de 1999 ou le Congo de la Banque Mondiale et du FMI, égale celui de la
Troïka occidentale (États-Unis, France, Belgique) ou le Zaïre de Mobutu de 1965, égale le Congo
dit démocratique de l’Onuc de 1960, égale le Congo belge de 1908, égale le l’État Indépendant du
Congo du Roi Léopold II de 1885, égale le Congo portugais de 1482. C’est un territoire confisqué
par des étrangers pour lesquels les habitants indigènes n’ont aucun droit, sinon la soumission
totale. Car le Congo de la Monusco d’aujourd’hui comme celui des Portugais du 15ème siècle, est
625
626
627
Arnaud Zacharie, op.cit.
Kalonji Ntalaja, Trois lectures de la performance de l’économie congolaise en 2002 , cité par Arnaud,
op.cit.
Certains disent que le Congo Rdc, égale le Congo Rez-de-chaussée ; en lingala, ‘Congo, pasi na pasi. ‘
235
un territoire sous tutelle étrangère. Une colonie. Interdit au développement vrai, interdit à
l'épanouissement, à la joie, mais promu à un développement de façade aujourd’hui cinq chantiers,
dénommé hier éléphants blancs ou infrastructures coloniales ; tout développement que la
population résignée regarde de loin et qui ne change rien au quotidien de sa vie, une vie de
privation forcée et de servitude permanente au profit des étrangers. Le Congo d’aujourd’hui
comme celui d’hier est une terre à esclaves, une terre à ivoires, or, diamant, cuivre, ou zinc, terre
du coltan ; réserve des matières premières au profit de la société de consommation située à des
milliers de kilomètres de chez lui. On serait tenté de crier avec Alan Paton « Pleure ô pays bien
aimé », pleure tes enfants, pleure tes rivières, pleure tes forêts, pleure tes montagnes ; pleure ta
culture, pleure tes ancêtres, pleure tes langues. Pleure ta joie de vivre. Pleure…pleure et pleure
encore !
Mais c’est mal connaître le peuple congolais, le brave peuple congolais. Car il ne se laisse
pas faire, même pas par les hyper-puissances occidentales. Pour défendre son pays, sa liberté, il ne
recule pas, même pas devant les balles. En ce 2 juin 2004, à Kinshasa, les étudiants prennent la
tête de la contestation, ils descendent dans les rues avec un nouveau slogan exprimant leur dégoût
de voir la République démocratique du Congo (RDC) sombrer une fois de plus dans la crise
:"1+4=0". Les étudiants ne sont pas les seuls à avoir perçu le caractère artificiel de ce prétendu
nouveau départ. Dans tout Kinshasa, on évoque une fois de plus des scénarios catastrophes.
Généralement, on envisage de violents bouleversements qui aboutiraient à la partition de facto du
pays entre les factions qui s'affrontent, sous la houlette expansionniste des États voisins. A
quelque 2.000 kilomètres à l'Est de Kinshasa, des insurgés…viennent de porter un nouveau coup à
l'orgueil national. Ils se sont emparé de la ville frontalière de Bukavu et l’ont terrorisé pendant
plusieurs jours.628 Les soldats du Colonel rwandais Jules Mutebusi de l’Armée Nationale
Congolaise du RCD ou plutôt du FPR entrent à Bukavu qu’ils occupent contre l’armée régulière et
surtout contre la population qu’ils maltraitent, rançonnent, violent et tuent. « A la chute de
Bukavu, les forces de la Monuc, accusées de passivité, sont prises pour cible à Kinshasa. 629»
Des manifestations et pillages, ont lieu à Kinshasa, Kisangani et d’autres villes de la RDC
contre les bâtiments de la Monuc pour dénoncer la prise de Bukavu par les soldats Rwandais et
sous le regard passif de la Monuc. On compte douze morts.630 Cette colère du peuple s’étend à
628
629
630
William Wallis, La RDC, ce pays où "1 + 4 = 0" !, Courrier international, n° 714, du 08/07/2004, cfr
http://www.courrierinternational.com/article/2004/07/08/la-rdc-ce-pays-ou-1-4-0
Philippe Quillerier-Lesieur, avec le concours de la sonothèque de RFI
http://www.rfi.fr/fichiers/mfi/Politique Diplomatie/1394.asp
Rapport d’observation des élections à Bukavu en RD CONGO, (Août 2006
http://www.cosome.bi/spip.php
236
l’ensemble des animateurs des institutions de la transition. Le gouvernement 1+4 est disqualifié. Il
est nul. Il devient 1+4=0, nouvelle formule algébrique des étudiants manifestants, raillerie de la
population.631 Cette nouvelle formule algébrique exprime la réalité d’un gouvernement et des
institutions à la solde des étrangers, sans le moindre souci de la population. Le gouvernement doit
partir. La Monuc aussi. Car « ce sont l'incapacité du gouvernement à défendre Bukavu et l'échec
de la mission des Nations unies à prévenir ou contenir la crise qui ont déclenché les
manifestations. 632» On n’en veut plus. Cette énième révolte se réfère à d’autres qui ont émaillé la
longue et douloureuse histoire du Congo dans ses relations tumultueuses avec les pays
occidentaux. L’histoire de l’envahissement européen du Congo est l’histoire des révoltes et des
répressions, des relégations et des condamnations à mort. Depuis le début jusqu’à cette date du 4
juin 2004 en passant par cette autre journée, celle du 16 février 1992. Autre journée de la
résistance congolaise, restée historique.
Le jour du 16 février 1992 est le jour de la protestation. Ce jour du 16 février 1992, est
l’histoire d’un groupe des jeunes prêtres kinois que le pays honorera peut-être un jour en leur
érigeant un monument. « Les prêtres, contrairement aux prélats, ont développé la fronde vis-à-vis
du pouvoir. Ce sont en général des jeunes prêtres, curés ou vicaires, plus proches des paroissiens.
Ces prêtres vivent presque les mêmes angoisses que leurs fidèles soit physiquement soit plus
encore moralement… Dans une longue lettre publiée début février, ils demandent aux chrétiens de
‘choisir entre la vie et le bonheur, la mort et le malheur’. Leur message est largement diffusé et
entendu… Quelques jours seulement après la publication de la lettre des abbés, les chrétiens
prennent l’initiative de marcher pour réclamer la reprise des travaux de la Conférence nationale
souveraine chargée de conduire le pays à des institutions d’adéquation. L’initiative saluée par les
opposants est l’œuvre des jeunes prêtres de Kinshasa. 633»
Cette marche de la liberté est
largement suivie à travers le pays. A Kikwit, mbuta Mununu Kasiala, évêque de Kikwit, est l’un
des rares évêques à marcher devant les autres chrétiens. A Aten, une paroisse du diocèse de
Kikwit à 80 km de cette ville, où je me trouve comme curé, nous marchons le long de la route qui
mène à Idiofa. Les automobilistes qui passent par là nous encouragent en faisant le V de la
victoire. Ce jour du 16 février 1992 est jour « de la non violence choisie par le peuple pour vaincre
le terrorisme d’État et dépasser sa peur du pouvoir dictatorial… un peuple inébranlable dans sa
631
632
633
Jean N'saka Wa N'saka Journaliste Indépendant http://www.f-ce.com/cgi-bin/news/pg-newspro.cd_news
Idem
Philippe de Dorlodot, Marche d’espoir » (MDE) Kinshasa 16 février 1992, Non-violence pour la
démocratie au Zaïre, L’Harmattan, Paris, 1994, p. 207
237
volonté vitale de changement, un peuple qui marche vers sa libération et qui écrit l’Histoire avec
son sang.634 »
En ce dimanche 16 février 1992 Kinshasa est une ville quadrillée. Les organisateurs ont
planifié une organisation intelligente et structurée. Les chrétiens partent de toutes les paroisses de
Kinshasa à 9h précise et se dirigent vers les points de ralliement prévus. Pour Kinshasa centre, le
point de ralliement est le Pont Kasa-Vubu ; ceux de l’Est ont deux points de ralliement, Place
BKTF à Masina et Terrain Sainte-Thérése à Ndjli ; Kinshasa-Ouest a quant à lui, trois points de
ralliement, Paroisse Saint Sacrement, Pont Kasa-Vubu et Rond Point Ngaba. Tous convergent vers
le centre de la ville, le vrai centre, à la paroisse Saint-Joseph de Kalamu où un message doit être
lu. « Il est demandé à tous les chrétiens d’amener dans la mesure du possible une bougie qui sera
allumée à la fin des manifestations pour symboliser l’Espoir et la Paix.635» Toutes les grandes
artères de la capitale sont prises d’assaut par des marées humaines qui chantent banderoles à la
main. Tous réclament la reprise des travaux de la Conférence Nationale Souveraine, CNS,
suspendus le 19 janvier 1992 par Nguz a Karl-i-Bond,636 énième premier ministre nommé par la
Président Mobutu depuis son discours du 24 avril 1990 dans lequel il avait annoncé l’ouverture
politique au Zaïre. Dans un discours radiotélévisé adressé au peuple zaïrois, le premier ministre
accuse la C.N.S. « d’avoir en sa séance du 18 janvier, violé ‘la lettre et l’esprit de la Constitution
de la République.’ Il suspend donc les travaux de la C.N.S. jusqu’à nouvel ordre.637» C’est
l’espoir de tout un peuple qui vole en éclat. Mobutu que sert si bien son fameux premier ministre,
est inflexible, inatteignable, car soutenu par les puissances extérieures. Heureusement pour la
population, un vent nouveau souffle sur le monde.
Le 9 novembre 1989, le mur de la honte s’écroule. C’est la chute du mur de Berlin. 3,60
mètres de haut, 160 kilomètres de long et 300 miradors. La chute du mur met fin à cinquante ans
634
635
636
637
Philippe de Dorlodot, MDE, p.22
MDE, p.26-27
Il est à noter que sous l’instigation de ce monsieur et d’autres complices, un drame sans pareil s’est passé au
Katanga. « En août 1992, Etienne Tshisekedi est élu Premier ministre par la Conférence nationale souveraine.
La nouvelle fut mal accueillie au Katanga par les partisans du chef du gouvernement sortant Jean Nguz Karli-Bond. Gouverneur de cette province, Gabriel Kyungu wa Kumwanza, allié de Nguz, organisa des
opérations punitives à l’encontre des Kasaïens résidant depuis des générations dans l’ex-Shaba. Il leur est
reproché d’avoir célébré trop bruyamment l’élection de « leur frère » Tshisekedi à la Primature. C’est le 15
août de cette année 1992 que cette campagne de tueries et d’expulsion massive des non originaires de la
province du Katanga a commencé dans la ville de Lubumbashi par la milice de la Jeunesse du parti UFERI
(Union des fédéralistes et des Républicains Indépendants) au cri de « Bilulu dehors » (rappelant un certain
“Walen Buiten“ en Belgique). Des centaines de milliers de Kasaïens ont été refoulés vers Mbuji-Mayi et
Kananga, dans des conditions infrahumaines. Ces personnes, contraintes à se déplacer, laissant derrière elles
travail et biens accumulés au prix de mille efforts. Un nombre indéterminé de victimes s’élevant à plus de 7
ou 8 mille Kasaïens ont péri à la suite de cette incitation à la haine tribale. » N.L., Le Potentiel du 06 juin
2011. http://www.lepotentiel.cd/2011/06/intolerance-et-haine-tribale-kyungu-veut-reediter-son-AB-exploitde-BB-1992.html. Lire aussi Pie Tshibanda, Les refoulés du Katanga » éd. Impala, Lubumbashi, 1995
MDE, p.161
238
de séparation et d'antagonismes entre les deux parties de l'Allemagne, la République Fédérale
Allemande (RFA) et la République Démocratique Allemande (RDA) et inaugure une aire nouvelle
en Europe. En effet, sans perdre de temps, le chancelier fédéral Helmut Kohl impose une
unification monétaire puis politique des deux parties de l'Allemagne. L'unité est officielle le 3
octobre 1990, un jour qui devient la fête nationale allemande. Le président français François
Mitterrand, prenant acte du caractère inéluctable de la réunification, va négocier en contrepartie le
sacrifice du deutsche Mark sur l'autel de l'union monétaire européenne. Ce projet débouchera sur
la signature du traité de Maastricht le 7 février 1992.638
Ainsi donc, en cette année historique pour l’Europe, au Zaïre de Mobutu, l’espoir renaît au
sein de la population qui croit en son renversement prochain, la contestation prend de l’envol.
Mobutu se sent lâché par ses protecteurs. Il se tourne vers le peuple et veut se réconcilier avec lui
pour sauver son régime et sa peau. Il entreprend les fameuses consultations populaires à travers
tout le pays. Mais le divorce est déjà consommé depuis longtemps. Le peuple a été on ne peut plus
explicite. Le 24 avril 1990, devant tous ses fidèles danseurs et chanteurs, médusés, Mobutu fait le
constat de son échec. Il énumère les revendications du peuple, à savoir « une profonde
restructuration en vue de garantir en toutes circonstances les droits fondamentaux des citoyens et
les libertés individuelles 639» Dans la foulée il annonce la réhabilitation des trois pouvoirs
traditionnels, à savoir : le Législatif, l'Exécutif et le Judiciaire ; le renforcement des pouvoirs de
contrôle du Conseil Législatif et de tous les organes délibérants ; la responsabilisation de
l'Exécutif tant au niveau central que régional devant les organes délibérants ; la dépolitisation de la
Fonction publique, de la territoriale, des Forces armées, de la Gendarmerie, de la Garde civile et
des services de sécurité.640 Mais c’est trop tard. Mobutu a déjà perdu le pouvoir. Car la population
s’en est déjà emparée.
Désormais c’est la rue qui dirige le cours des événements. En effet, les grèves se
succèdent, les villes mortes s’enchaînent. Mobutu fuit Kinshasa. Il s’installe dans son village de
Gbadolite, à plus de 2000 km de la capitale. Gbadolite devient par sa seule volonté capitale du
Congo. C’est de là qu’il essaie de diriger encore ce qui lui reste de pouvoir. Il multiplie les
nominations des gouvernements. Celui de Mungul Diaka bat le record de la plus courte durée, 33
jours. Entre temps, sous la pression de la rue, il convoque la tenue d’une conférence nationale
souveraine chargée d’élaborer une nouvelle constitution, la loi électorale et le calendrier des
élections censées doter le pays des nouvelles institutions et de nouveaux animateurs. Mais aussitôt
638
639
640
9 novembre 1989, Le Mur de la honte s'écroule, http://www.herodote.net/histoire/evenement.php
Tshilombo Munyengayi, 24 avril 1990 : Mobutu démocratise et verse des larmes, Le Potentiel, 24.04.06,
http://www.congoforum.be/fr/congodetail.asp
Tshilombo Munyengayi, op.cit.
239
convoqués, les travaux de la CNS sont suspendus sine dine. C’est alors qu’intervient la marche du
16 février. Mais auparavant, le président Mobutu a déjà ruiné le pays, car il a pratiqué la politique
de la terre brûlée. « A partir de 1989-1990, la surproduction monétaire ininterrompue et l’inflation
rapide qui s’ensuit entraînent une dévaluation de plus en plus rapide de la monnaie… Règne alors
un climat où se développent le jeu, le hasard et la spéculation, et où se multiplient des pratiques
d’extorsion de l’argent. Les brasseurs de bière et les fabricants de boissons gazeuses organisent à
grande échelle des jeux de hasard inscrits dans le creux des capsules de bouteilles. En 1989 le pari
sur les courses de chevaux est créé à Kinshasa et figure aussitôt, sous le nom de PMU (Pari
Mutuel Urbain), à tous les coins des cités. Les courses de chevaux qui ont lieu en Europe sont
désormais offertes en spectacle dans les émissions de télévision de France-Inter à destination de
l’Afrique équatoriale. » 641
Ces jeux du hasard déstabilisent profondément l’économie de la ville. Dans toutes les
couches de la population kinoise – et aussi dans d’autres grandes villes du Zaïre - nombreux sont
ceux qui transforment leurs maigres économies en souscriptions, et confient la recette de la vente
de leur réfrigérateur, de leurs bijoux, voire de leur voiture ou d’autres formes de propriété, aux
‘placements’ tels que Bindo promotion, Madova, Nguma, Panier de la ménagères, Tantine, Trésor,
etc… Ces bureaux s’organisent au sein des camps militaires, des campus universitaires, ou des
bureaux de l’administration publique… Une grande partie de la population kinoise a investi son
argent dans ces jeux de hasard. Les effets, en particulier sur le secteur informel de l’économie,
sont désastreux…
Les souscripteurs dupés et ruinés invitent «’à la casse ou au pillage et la violence éclate
dans des instituts d’enseignement supérieur de la ville. »642 « Les 23 et 24 septembre 1991, une
sorte de mutinerie militaire ‘activée et manipulée en sous-main’, suivie de badauds avant que le
peuple ne s’en mêle, déclenche de gigantesques jacqueries : les pilleurs déferlent sur les quartiers
résidentiels, dans les centres commerciaux et les entreprises de la petite et moyenne industrie à
Kinshasa et les dégâts s’étendent ensuite à quelques autres villes du pays. Des centaines des
milliers d’hommes et de femmes de tous âges se ruent vers les usines, les entreprises, dépôts de
marchandises, magasins, boutiques… Les mutins s’en prennent aux biens, aux voitures, aux
machines et autres installations…Au cours de ces soulèvements, des centaines d’entreprises ont
été mises à sac et sont, depuis lors, abandonnées : l’Association des entrepreneurs fait état d’une
perte de 100.000 emplois… Beaucoup de Kinois en éprouvent de la honte et sont troublés par
641
642
René Devisch, La violence à Kinshasa, ou l’institution en négatif, Cahiers d’études africaines, Année
1998, Vol. 38, P.446
René Devisch, op.cit. p.445
240
cette vague destructrice portée à son paroxysme qui a envahi la population ainsi que les forces de
l’ordre.643 »
En fin de règne, Mobutu a voulu s’en aller avec l’État. Le peuple a donc perdu toute
confiance au système Mobutu. Les hauts cadres et dignitaires du MPR, Parti-État, vivent dans un
luxe exubérant, coupés de l’océan de misère du grand nombre. Ils sont décriés. La multiplication
des scandales à charge des dirigeants, accompagnés de l’absence des sanctions, conduit à une
rupture durable du contrat de confiance entre les gouvernants et les gouvernés. 644 Ainsi donc aux
pillages se succèdent les grèves et les journées villes mortes. Dans cette ambiance, seul le
changement peut apporter un brin d’espoir. C’est ainsi que le peuple se rallie « derrière l’initiative
de la CNS en ce qu’elle ouvre un horizon de changement radical.645 » Pour la réouverture de cette
Conférence, espoir de tout un peuple, que le pouvoir de Mobutu a suspendu injustement, le peuple
donne son sang à travers la marche mémorable et historique du 16 février 1992.
Les travaux de la CNS reprennent, en effet, les 6 avril 1992.646 Mais très vite les
Conférenciers montrent leurs limites, celles d’une classe politique pervertie. D’abord leur grand
nombre étonne pour un travail d’une telle importance et si urgent. Ils sont deux mille cinq cent.
Ensuite leur grande préoccupation est leurs perdiems. Pire, plutôt que de baliser le chemin vers un
pouvoir nouveau, démocratique et populaire, ils s’empressent d’élire, un premier ministre, sans
avoir reçu le moindre mandat du peuple. Ce premier ministre, présenté comme un radical, est un
ancien compagnon de Mobutu avec qui il a fait le premier coup d’état contre Lumumba en
septembre 1960, et avec qui il avait créé le MPR, devenu parti-état. Le président de la CNS, luimême, prélat, avait reçu des largesses de Mobutu notamment lors de son installation comme
évêque métropolitain de Kisangani. Une fête grandiose a été célébrée à cette occasion sur le
luxueux yacht présidentiel.
Le président de la CNS, devenu par après président du HCT (Haut Conseil de la
Transition) a passé beaucoup de temps à l’étranger. L’unique réalisation de cette Conférence, qui a
traîné en longueur, a été l’élévation d’un monument en face du Palais du Peuple, baptisé
monument de la Paix. Monument dont le peuple ignore jusqu’à l’existence. La CNS a fini par
plonger le peuple dans un désespoir sans nom jusqu’à l’arrivée providentielle de M’zee LaurentDésiré Kabila, l’homme du 17 mai 1997. Il a renvoyé dos à dos Mobutu et le prélat-président de
la CNS/HCT. Le peuple a retrouvé espoir, l’honneur du pays est revenu et la fierté nationale aussi.
643
644
645
646
Ibidem, p. 447
Tshilombo Munyengayi, op.cit.
René Devisch, op.cit. p.445
MDS, p. 263
241
Malheureusement cet homme tant aimé a été assassiné, abandonnant le peuple à son triste
sort entre les mains des prédateurs de toute sorte, étrangers et nationaux. Le peuple, qui l’a pleuré
comme jamais personne ne l’a été à Kinshasa, continue à le pleurer encore aujourd’hui comme s’il
était mort hier. Certainement que les files seraient permanentes et interminables devant son
mausolée si celui-ci avait été construit devant le palais du peuple à l’endroit où a été érigé le
fameux monument de la paix. Mais le héros du peuple a été inhumé au « Palais de la Nation », lieu
interdit à la population647. Dommage ! Le peuple lui reste reconnaissant, car il a pu mettre les
Mobutistes hors d’état de nuire fût-ce pour un moment. Ils se sont enfuis comme des lapins à son
approche et sont allés en masse vivre hors des frontières nationales dans le déshonneur et
l’anonymat.
647
Quand on lui permet d’accéder au lieu interdit, le peuple s’amasse nombreux devant la crypte pour voir le
héros. « Le deuxième temps fort a été le moment de recueillement au Mausolée Mzee Laurent-Désiré Kabila
dont l’esplanade fut envahie par une plus importante foule de Kinois de diverses couches sociales défilant sur
de longues colonnes pour contempler le monument du Héros assassiné et s’incliner devant sa dépouille
conservée dans la crypte de l’édifice funéraire. » Daniel Nzuzi, MMC, Commémoration haute en couleurs à
Kinshasa du 8ème anninversaire de M’zee Laurent-Désiré Kabila, Kinshasa, 17/01/2009 / Politique,
http://www.digitalcongo.net/article/55955
242
Conclusion : Renouveau du Congo, espace de vie et de liberté.
La première rencontre entre le monde occidental et le monde congolais a eu lieu au 15ème
siècle lors de la première visite des Portugais sur le sol congolais, alors Kongo-dyna-Nza ou Nzadi-Kongo. Cette rencontre que les Congolais ont accueillie avec beaucoup d’espoir et d’allégresse
a vite tourné au vinaigre à cause du comportement étonnant des visiteurs Portugais, qui se sont
adonnés avec d’autres européens au légendaire et méprisable commerce triangulaire ou traite des
noirs. Cette situation inédite, qui a surpris les Congolais, a ruiné le puissant pouvoir et a anéanti le
pays. Le Kongo qui avait espéré apprendre des connaissances et des techniques nouvelles en vue
d’améliorer ses conditions de vie, a vite désenchanté. La méfiance s’est installée. Le peuple
congolais a tourné le dos aux nouveaux venus qu’il a appréhendés avec horreur et crainte. Il a
renoué avec la tradition ancestrale pour se défendre et essayer de sauvegarder l’indépendance du
pays. Mais ce moyen de défense s’est avéré insuffisant pour faire face à la puissance de feu des
envahisseurs. Les Portugais en ont profité, ils ont conquis le pays et l’ont divisé.
Depuis lors entre les deux peuples le divorce est complet. Mais la victoire des Portugais
qui se sont partagé par la suite le territoire Kongo, et d’autres territoires de la région, avec les
Belges et les Français, n’était qu’apparente. Les Portugais ne seront plus aimés au Kongo, les
Belges non plus. Ils seront tolérés, sans plus, par des Congolais résignés. Ceux-ci seront soumis et
colonisés, réduits en esclavage. Le territoire congolais n’appartiendra plus à son peuple. Le Congo
cessera dès lors d’être un espace de vie et de liberté pour devenir une prison et un véritable enfer
pour sa population qui connaît une décroissance inouïe. Il y a une véritable explosion
démographique depuis l’accession du pays à l’indépendance. De 18 millions en 1960, la
population triple 50 ans après et atteint le chiffre record de 60 millions.
Pour asseoir davantage son autorité, le colonisateur invente la notion du racisme qui
assimile les Congolais et tous les Africains en général au rang des personnes de moindre valeur,
sans culture, sans histoire, sans intelligence, sans langue, sans pays. Le racisme dénigre la couleur
de la peau des Congolais (Africains) qu’il qualifie de non conforme à la race humaine. Le
colonisateur invente, en outre, la notion de la mission civilisatrice pour maquiller cette occupation
illégale et très compromettante du territoire d’autrui.
Le racisme finit par établir ainsi un mur infranchissable entre les Européens, dénommés
blancs et les Congolais (Africains), appelés noirs. Au Congo, comme sur l’ensemble du Continent,
tout le système colonial se base sur cette idéologie raciale. Les colonisés congolais sont considérés
comme ne faisant pas encore partie de l’humanité véritable, mais devant y accéder par petits pas.
243
C’est le processus de l’évolution des noirs vers l’humanité, c’est-à-dire vers le mode de vie
occidental, ou la mission civilisatrice. Les Européens se hissent au statut d’une humanité toute
autre avec le devoir et le droit de réglementer, et de refaire l’autre humanité, l’africaine, jugée plus
basse, moins humaine. La colonisation bâtit une politique de séparation des races. Les Européens
vivent partout séparés des Africains. Ils jettent un véritable discrédit sur les villages africains
qu’ils présentent comme contraire au progrès et donc à la civilisation, la leur. Ceci entraine un
exode rural sans précédent et ouvre la voie au sous-développement effrayant que connaît le pays
depuis lors.
La colonisation belge est de ce fait féroce. Elle ne laisse aucune place à la liberté, à la vie.
Elle ne tolère aucune contestation. Elle considère son œuvre de civilisation, sa mission
civilisatrice, comme un cadeau qu’elle fait. Elle attend donc en contrepartie la soumission totale,
le renoncement à être soi-même, l’abandon pur et simple de toutes les pratiques ancestrales, mais
exige le travail de production des richesses pour elle. Elle exploite d’immenses richesses qu’elle
transporte en Europe. Toute l’infrastructure construite est orientée vers cet objectif.
Les Congolais vivent un vrai cauchemar sous ce régime et n’ont de cesse d’en appeler à sa
disparition. Ils s’y opposent farouchement et par tous les moyens, y compris celui de la
contestation religieuse ou politique. Des leaders charismatiques congolais, sortis on ne sait trop
comment, mènent le peuple vers sa libération au prix de leurs propres vies. Ils bénéficient souvent
des appuis de certains coloniaux et autres européens, opposés, eux aussi, au système colonial en
vigueur, parfois en prenant des risques considérables. L’indépendance intervient après des longues
années de lutte. Mais la colonisation ne désarme pas. Elle se remplace à elle-même à travers une
classe politique congolaise qu’elle achète et qui lui est soumise. C’est le règne des mindelendombe, incarné par Mobutu, qui dure jusque maintenant et contre lequel le peuple se bat encore.
Le peuple du Congo ne demande qu’une seule chose par dessus tout, à savoir que la
colonisation cesse sous toutes ses formes. Cette demande est fondamentale : elle est légitime et
humaine et devrait être entendue. Il y a un préalable à cela. C’est la fin de tout racisme et le
rétablissement des relations d’amitié et de fraternité, des relations simplement humaines, entre les
Européens et les Africains en général. Car la situation que vivent les Congolais est vécue de la
même façon par des nombreux autres peuples du continent africain. Cette tâche importante du
rétablissement de la confiance, revient d’abord aux dirigeants européens actuels, ceux-là même
qui sont en train de construire l’Europe de demain, appelée Union Européenne et qui n’hésitent
pas à acheter bien souvent des dirigeants africains et à les intimider.
La politique de la construction de l’Union Européenne semble se faire au détriment de
l’Afrique et opposée à elle, à ses peuples. Cette politique, dictée par la loi des armes à feu ou la loi
244
du plus fort, construit des murs qui exacerbent l’apartheid sur le territoire européen et hypothèque
la vie commune, harmonieuse entre les peuples de deux continents si proches. La politique
européenne de l’immigration et de l’intégration mécanique est trop agressive, trop humiliante, trop
injuste. Elle renforce le racisme anti-noir. Elle vise la soumission elle aussi et doit être supprimée
comme doit l’être également le racisme.
Plusieurs conditions à cette élimination du racisme peuvent être identifiées. Ainsi, l’une
des choses à faire pour enrayer le racisme définitivement de notre terre, surtout de l’Europe, est
d’admettre que les Égyptiens anciens étaient des Africains ; qu’ils n’avaient aucun lien avec les
Français, Anglais, Allemands ou Scandinaves actuels. Au contraire, ils avaient des liens établis et
facilement démontrables avec des nombreux peuples africains de l’Égypte et d’ailleurs. Ce qui ne
signifie en rien une interdiction quelconque faite aux Occidentaux de s’approprier et de se servir
des multiples réalisations égyptiennes. Les Occidentaux n’ont d’ailleurs attendus la permission de
quiconque pour le faire.
Il est du reste de notoriété publique qu’il ne faut pas être un descendant direct d’un
personnage illustre ou d’une culture de renommée pour s’y référer, pour en tirer profit. Les
relations entre la Grèce et l’Égypte antiques prouvent à suffisance l’interdépendance qui peut
exister entre deux peuples voisins. Les anciens Germains, appelés barbares par les Romains, ont
vite appris de ceux-ci l’art de la guerre au point d’anéantir complètement les anciens maîtres et de
les soumettre. Les Chinois sont en train se supplanter les Japonais et d’autres sous nos yeux ahuris
et dominent aujourd’hui le monde entier, etc. C’est à travers des contacts que les personnes, les
sociétés et les cultures progressent. C’est pour cela que l’identification des progrès scientifiques
ou toutes autres réalisations à la couleur de la peau, en plus du fait qu’elle est fausse et stupide,
est également dangereuse pour la science elle-même, car elle se contredit en s’arrêtant sur des
simples détails, occultant le formidable travail des chercheurs et autres savants, véritables
bienfaiteurs de l’humanité entière indistinctement. La couleur de la peau, la forme du nez, celle
des yeux ou de la bouche, sont des détails propres à chaque personne, à chaque individu, savant ou
non. La nature le veut ainsi pour des raisons qui lui sont propres. Et il vaut mieux l’accepter. Ces
détails n’exercent aucune influence sur le travail et les découvertes scientifiques en tant que telles.
L’argument du retard des Africains pour expliquer tous les actes ignobles commis contre
eux au nom de la civilisation est une injure à l’humanité. Car le retard aussi grand soit-il sur un
concurrent potentiel, ne veut nullement dire incapacité totale de réaliser la même prouesse que lui.
Lors des compétitions sportives, même de haut niveau, on remarque souvent des retardataires de la
veille gagner haut la main le lendemain. Il en est de même de nombreux peuples et pays. Plusieurs
situations peuvent expliquer une défaite ou une victoire. Il n’y a pas de fatalité à cela. Et l’Afrique
245
du 15ème siècle, celle qui a reçu les premiers Européens avec joie et enthousiasme, n’accusait pas
de retard grotesque par rapport à eux, hormis la maitrise des armes à feu.
Dans ce même registre, les Africains devraient, eux aussi, s’approprier et se servir de toute
réalisation occidentale qu’ils jugent importante et bénéfique sans attendre une quelconque
permission, linguistique ou autre, sans attendre des clés particulières que détiendraient des
personnes de race européenne. Ce sont des prétentions qu’il faut ignorer. Les découvertes
scientifiques sont universelles et à la portée de tous dès qu’elles sont connues.
Aussi, autant Toutankhamon ou les grands érudits égyptiens anciens sont considérés, à
juste titre, comme les ancêtres de l’humanité entière y compris des Occidentaux, autant Socrate,
Galilée, Newton ou Einstein et tous les autres doivent l’être des Africains également. Il n’y a pas
de honte à cela. Autant Albert Einstein, personnage devenu illustre sinon mythique grâce à son
intelligence remarquable et à ses grandes découvertes, né juif allemand, puis apatride, devenu
suisse, puis helvético-américain, est considéré aujourd’hui par de nombreux Occidentaux,
allemands, français, anglais, polonais, espagnols, russes, etc., comme leur ancêtre, autant les
Africains, eux aussi, doivent se l’approprier sans attendre. La couleur de sa peau différente de la
leur n’a rien à voir avec l’utilisation par eux de ses découvertes.
Ceci concerne également les liens avec les États-Unis d’Amérique. Autant ceux-ci
entretiennent d’excellentes relations avec toute l’Europe, autant cela devrait être aussi le cas avec
l’Afrique. La couleur de la peau des colons européens établis là-bas n’a rien à voir. Même pas le
fait qu’ils ont dominé les Africains réduits à l’esclavage et aux souffrances de toute sorte. D’autant
que ces Africains ont contribué grandement à la prospérité des Etats-Unis. Bien plus, c’est une
personne d’origine africaine qui dirige les destinés des Etats-Unis à l’heure actuelle. Il est donc
grand temps que les États-Unis s’ouvrent à l’Afrique autant qu’ils s’ouvrent à l’Europe, qu’il n’y
ait plus de discrimination dans le traitement des deux continents de leur part. Ils sont notre
héritage commun comme l’est l’Égypte ancienne. Ce territoire est la nouvelle Égypte et la
nouvelle Grèce réunies, celles des temps modernes.
La suppression des frontières de fer, entre l’Europe et l’Afrique, que les Européens
établissent au mépris total des Africains, est une autre condition préalable à l’élimination du
racisme assassin. Les dirigeants européens devraient plutôt construire un tunnel sous l’atlantique,
sous le détroit de Gibraltar, libéraliser la circulation des personnes entre les deux continents, et ne
plus présenter les Africains comme des pestiférés, des parias, qu’il faut parquer à tout prix dans
des prisons ou des camps. Cette situation humiliante exaspère le racisme et la rancœur, elle
déshumanise notre monde. Sa suppression le pacifiera. On devrait aussi construire un tunnel sous
le canal de Suez pour rétablir des équilibres injustement brisés. L’Europe a besoin des dirigeants
246
nouveaux qui rejoignent les grandes figures de la non-violence comme Jésus, Gandhi, Simon
Kimbangu, Mandela ou Martin Luther King.
Il est aussi temps de mettre fin aux expressions teintées de racisme comme « l’Europe,
vieux continent » et « l’Afrique, jeune continent à la population jeune ». Ces expressions là sont
un scandale. En quoi la croûte géologique européenne serait-elle plus vieille que la croûte
africaine, et la population africaine plus jeune que la population européenne ? A quoi se réfère
cette jeunesse ou cette vieillesse ? Ces assertions fallacieuses exacerbent le racisme et le mépris.
Bien plus un village où on rencontre un nombre élevé des vieux n’est pas nécessairement un vieux
village. Le contraire peut aussi s’avérer faux. En réalité on trouve des jeunes et des vieux partout.
Le monde a toujours été ainsi depuis toujours, partout. Mais les injustices qui ont décimé de
nombreux peuples doivent être réparées.
Les scientifiques européens et le monde des médias qui les vulgarisent devraient, eux
aussi, libérer la science de la connotation raciste qu’ils lui ont donnée en l’assimilant au monde
occidental, et en excluant le monde africain de ce giron. Cet agissement attise le racisme antiafricain et contribue à creuser plus profondément le fossé qui sépare les deux races d’hommes ?
L’idéologie de l’assimilation de la science et de ses progrès à la civilisation occidentale, en
exclusion absolue de toutes les autres et particulièrement le monde africain, sinon moyennant
soumission et obéissance, avec l’imposition des langues européennes comme outils et voies
obligées d’apprentissage scientifique, est profondément injuste. Car l’intelligence et la science
qu’elle porte n’ont ni père, ni mère, ni territoire, ni race. C’est pour cela que l’expression “mode
de vie occidental“ pour parler des multiples applications scientifiques au service des populations
occidentales doivent être bannies. Elles exacerbent le racisme et les discriminations. Toute
application scientifique part d’un point donné et s’étend à d’autres ensuite. Cela a toujours été
ainsi depuis que le monde est monde. Une population quelconque ne peut pas s’autoproclamer
scientifique parce qu’elle applique un principe scientifique dans sa vie et dénigrer les autres. Les
scientifiques eux-mêmes sont invités à la modestie.
Personne ne sait jamais quand ni comment l’intelligence s’empare de quelqu’un et
s’illustre à travers lui. Même les scientifiques les plus intelligents ne peuvent l’inoculer à
quiconque, même pas à leurs propres enfants, s’ils en ont. Bien d’enfants des personnes brillantes
se sont avéré des minables personnes intellectuellement souvent à la désolation totale des parents.
D’ailleurs très peu des personnes savent qui était la femme d’Archimède par exemple, ni combien
d’enfants cet homme illustre a eu, encore moins ce qu’ils seraient devenus ; ni même ce qu’étaient
ses frères et sœurs. On peut dire la même chose de Galilée, Marx ou Newton. Les performances ou
non de leurs progénitures probables ou fratries n’interviennent en rien dans le fait qu’ils soient
247
devenus célèbres, n’enlèvent rien et n’ajoutent rien non plus. On ne saurait pas expliquer
pourquoi, encore moins comment, il n’y a eu qu’eux et seulement eux à avoir réalisé les prouesses
que l’on connaît d’eux. L’histoire nous renseigne que beaucoup des personnes, d’origine modeste,
ou des parents médiocres, sont devenues des références du monde scientifique qui les respecte. Ce
qui est vrai pour les personnes l’est également pour les peuples, les races ou les civilisations.
Celles-ci naissent, grandissent ou pas, décroissent et meurent.
La transformation de la consommation, notamment en matière alimentaire et énergétique,
est un autre préalable nécessaire. Il n’est pas sage de vouloir perpétuer à jamais ce qui n’est que
mortel. Ou bien vouloir se perpétuer soi-même à jamais à coup de nourriture par exemple. C’est
de l’enfantillage. Les enfants, on le sait, ont besoin des balises et des interdits pour éviter des
intoxications alimentaires dues aux consommations excessives de nourriture. Sinon ils passeraient
toute leur vie à manger. Les personnes adultes, elles, savent y mettre des limites et même s’en
priver.
Aujourd’hui l’Occident ressemble à un grand rassemblement d’enfants qui s’adonnent à
manger, dans l’insouciance totale, au point d’encombrer carrément les organismes de nourritures
inutilisables, engendrant ainsi d’innombrables problèmes de santé. Sans parler des conséquences
catastrophiques pour le reste du monde ni pour son avenir que cause ce comportement
irresponsable. Pour que le monde retrouve ses équilibres et pour libérer l’Afrique particulièrement,
les Européens devraient revoir leur mode de vie et ne plus accuser l’homme à la place de s’accuser
eux-mêmes. Leur mode de vie est excessif quant à la consommation de nourriture
particulièrement. Mais pas seulement. Leurs amusements, leurs jeux, bref leurs divertissements et
loisirs sont aussi excessifs. Cela ne sert à rien de faire la course à la consommation. Ceci n’ajoute
rien à la culture humaine, au contraire elle la rabaisse dangereusement et la compromet.
Toutes les consommations qui terrassent littéralement la terre peuvent être revues à la
baisse sans pour autant porter atteinte à la qualité de vie. Quelqu’un me disait que si chacun, en
Belgique par exemple, faisait un tout petit effort dans la consommation de l’électricité, il y aurait
moyen de faire de grandes économies dans ce domaine si capital. Par exemple, une seule lampe ou
deux suffisent pour éclairer amplement les couloirs des maisons. Mais généralement il y en a six,
voire douze. Ceci sans parler de tous ces immeubles et autres lieux publics qui sont éclairés jour et
nuit. J’ai essayé de compter le nombre total des néons et autres lampes qui sont aux quais de la
gare de Luxembourg à Bruxelles et qui éclairent jour et nuit. Je ne suis pas arrivé, tant il y en a.
Combien y aurait-il de néons ou de lampes qui éclairent jour et nuit dans toutes les gares
de Bruxelles ou d’autres villes aussi bien en Belgique qu’ailleurs en Europe ? Une utilisation
raisonnable du courant électrique dans ces endroits et tant d’autres permettra de faire de grandes
248
économies d’électricité. Les économies raisonnables peuvent être faites dans bien de domaines
sans perdre du tout la qualité de vie à laquelle les Occidentaux tiennent plus que tout. Alors les
États Occidentaux se garderont de maintenir les États Africains sous leur coupe, à travers des
dirigeants incapables et soumis, pour faire main basse sur les richesses africaines au mépris du
bien être de leurs peuples. L’Europe peut aussi vivre d’abord et avant tout de ce qu’elle produit
elle-même sur son propre sol comme les anciens, et payer des prix justes de ce qu’elle importe
d’Afrique ou d’ailleurs sans y faire des guerres ou les provoquer pour en tirer profit.
Les Congolais ont toujours interpellé les peuples européens dans ce sens. Ils savent que la
transformation de la politique européenne ou occidentale est une condition essentielle pour que
leur pays aille mieux. Car ils ne s’estiment pas incompétents ou irresponsables. Au contraire, ils
attribuent l’incompétence de ceux qui les dirigent à la main mise permanente de l’Europe dans la
gestion de leur pays. Main mise qu’ils désignent par le terme bien connu « des intérêts
occidentaux au Congo» pour lesquels les Occidentaux s’attellent à installer à la tête du pays des
dirigeants corrompus à l’instar des Mobutistes qui continuent à tirer le pays vers le bas depuis leur
retour en masse sous la houlette des guerres multiples venues du Rwanda. Il faudra que
s’établissent des relations nouvelles entre l’Europe et le Congo, basées sur le respect mutuel,
l’entente cordiale, la justice et la liberté pour tous.
D’autres gestes symboliques seraient importants. Par exemple, un signe susceptible de
rassurer la population congolaise longtemps meurtrie, serait l’organisation d’un hommage
international à Patrice Lumumba. Hommage que ce grand homme mérite et qui serait organisé par
la Belgique, les États-Unis et le Congo. Mais aussi l’organisation d’un procès populaire commun
pour rendre justice à cet homme lâchement assassiné et au peuple méprisé. La Belgique pourrait
aussi bâtir un monument à l’honneur de Lumumba à Bruxelles et lui dédier une grande artère dans
la capitale de l’Europe nouvelle.
Grâce à tous ces gestes et d’autres, la plus grande injustice de tout temps que constituent la
traite triangulaire et la colonisation européennes au Congo et en Afrique, et tout leur chapelet de
métastases, sera enfin réparée. La race européenne et la race africaine pourront envisager une
nouvelle ère dans leurs relations réciproques, les autres peuples du monde aussi. Car désormais
l’ère de la domination de l’autre par les armes aura sonné. Une ère nouvelle enchantera notre terre,
ère de paix, de respect et d’entente.
Mais bien sûr, les responsabilités de l’avenir sont aussi celles des Congolais eux-mêmes.
Le peuple du Congo souffre beaucoup trop, a déjà souffert énormément pendant si longtemps. Il
est donc temps d’arrêter l’hécatombe. Le peuple s’adresse aussi aux dirigeants actuels du Congo,
champions de la corruption, des détournements et de l’irresponsabilité, particulièrement les
249
Mobutistes massivement revenus aux affaires et les ‘anciens rebelles’ convertis en dirigeants. Il
leur dit : « regardez nous, nous ne vivons plus, nous mourrons.»
Il n’y a qu’à faire un petit tour du côté des cimetières pour s’en rendre compte. La tradition
de nos ancêtres nous renseigne que le dirigeant du peuple s’est toujours senti interpellé par la mort
du plus petit du groupe. Avec les autres sages du village ou du groupe, il recherche la cause du
décès. L’inhumation n’intervient alors qu’après avoir épinglé la cause ou le mobile du décès. Ceci
afin que le drame qui a conduit à la mort ne se répète plus. Ce souci de notre tradition est noble et
c’est tout à l’honneur de nos ancêtres. Aujourd’hui, les dirigeants du Congo doivent s’astreindre à
ce diagnostic. Notre peuple meurt. Il faut trouver des solutions pour le sauver. Une des solutions
serait d’interroger la tradition, justement. Que nous apprend-elle dans le domaine de la gestion
d’une nation, d’un peuple, d’une entité ?
Notre tradition n’est pas suffisamment exploitée. Elle a été supplantée sinon étouffée par la
tradition occidentale, sans qu’elle ait vraiment démérité. Il faudra donc revenir à elle, l’interroger,
y prendre ce qu’il y a de positif et rejeter le moins bon. Faire le contraire de ce qu’avait fait le
recours à l’authenticité du régime Mobutu, qui avait pris ce qu’il y avait de moins bon, de léger et
de discutable, dans la tradition, pour le hisser au niveau des valeurs indiscutables. Les
conséquences ont été catastrophiques. Car nos ancêtres ont aussi eu des défauts et des faiblesses,
mais pas seulement comme l’ont prétendu les colonisateurs. Ils ont également développé des
qualités qu’ils nous ont léguées. C’est sur ces qualités qu’il faut se pencher. Ce travail demande
beaucoup de compétences et nous en avons.
A titre d’exemple, l’organisation territoriale du pays peut être revue selon le modèle
ancestral qui a fait ses preuves et qui a surtout résisté à l’occupation européenne et l’a même
vaincue et qui est moins coûteux. Le groupement actuel, Kimfumu en langue Kikongo, qui est un
niveau de pouvoir ancestral reconnu, peut être la base du nouveau pouvoir dans notre pays, ou le
pouvoir premier. Il deviendrait l’entité “commune ou territoire“ actuel. L’avantage est que cette
entité sera plus proche de la population et intégrée à elle. Elle remettra le village au centre du
développement là où la colonisation l’avait exclu. Ici le chef du territoire ou de la commune
habitera dans un village de la commune et non plus dans les cellules coloniales de développement
(secteur, territoire, district, province ou la Gombe), séparé de la population. Le chef du territoire
qui pourra aussi être le chef du groupement ou une autre personne aura un conseil composé des
représentants de tous les villages comme c’est déjà le cas présentement au niveau des
groupements. Ce conseil pourra changer tous les six ans.
Dans cette dynamique, le deuxième degré du pouvoir sera la province. Elle aura les
dimensions du secteur colonial actuel voire différentes d’après les cas. Le chef-lieu pourra être un
250
autre que celui laissé par la colonisation, l’actuel. On ne devrait plus hésiter à abandonner les
structures trop centralisées de la colonisation qui ne favorisent ni le développement de la
population ni sa vie harmonieuse. Le conseil de province et le gouvernement provincial seront
constitués des représentants des territoires désignés par ceux-ci. Le conseil provincial ou
assemblée ne se réunira que deux fois par an en session ordinaire. Par conséquent les conseillers
ou députés, “mbaku“, n’auront pas besoin de venir habiter au chef-lieu de la province. Ils
habiteront chacun chez soi, chacun dans son village. Le chef de province sera élu par consensus
entre les différents groupements ou territoires. Cette fonction sera remplie de façon tournante entre
les groupements selon les critères qui seront fixés par le conseil de région. Le conseil provincial
élira un membre et un suppléant pour siéger au conseil de région. Il y aura quatre régions suivant
nos quatre grandes langues. Est (Swahili), Ouest (Kikongo), Nord (Lingala) et Centre (Tshiluba),
avec des dénominations locales. Par exemple, « Nsi-Kongo » pour l’Ouest, « Mboka Mongala »
pour le Nord, etc.
La région aura un conseil de région constitué des représentants des provinces. Elle sera
dirigée par un chef de région pour un mandat de six ans par exemple. Cette fonction sera assumée
de façon tournante entre les provinces ou les alliances des provinces, avec un calendrier de
succession bien connu et à respecter par tous. Le conseil de région élira deux ou trois
représentants qui siégeront au niveau national auprès du président de la République, Mfum’a Nsi,
Ntotila. Celui-ci aura son propre cabinet, restreint, mais compétent et efficace. La présidence de la
République sera aussi tournante entre les régions suivant un calendrier bien établi et respecté par
tous. Le président et son conseil traiteront avec les régions à travers des liens étroits et sincères de
collaboration. Les membres du conseil national seront les relais des régions qui les auront
désignés. Le mandat du président sera de quatre ans renouvelables une fois comme aux ÉtatsUnis.
Cette organisation aura cet avantage certain qu’il sera accueilli avec joie et réel
soulagement par la population, particulièrement celle des villages, elle qui n’a pas de voix jusqu’à
ce jour dans la structure étatique. Le village deviendra la première cellule de développement. Nos
villages se développeront en se modernisant, nos traditions aussi. Ceci va arrêter l’exode rural
aujourd’hui amplifié à cause de la marginalisation des villages et du sous-développement qui s’y
est installé. Deuxièmement, cette organisation va consacrer la réconciliation entre les intellectuels
et la population, les intellectuels retournant vivre au village modernisé. Lequel ne sera plus
synonyme d’archaïsme et d’anti-progrès, mais vrai lieu de vie et de liberté. Le pouvoir de la
province assurera la formation et l’encadrement du territoire. La région fera de même avec la
province et le gouvernement ou le pouvoir central avec les régions. L’accent sera mis sur
251
l’initiative locale avec l’encadrement du niveau supérieur. L’administration et l’enseignement
seront en langues nationales d’après les régions. Il n’y aura plus de langue officielle complètement
étrangère au pays.
Ainsi la pyramide du pouvoir sera renversée. Le système colonial encore en vigueur sera
déconstruit. La centralisation excessive actuelle, tributaire de la colonisation, cédera le pas à une
administration de proximité réelle, de progrès et de modernisation. Le dirigeant sera près des
préoccupations de ses administrés et vis-versa. La paix sociale sera garantie car chacun y trouvera
son compte à tous les niveaux, y compris au niveau de la plus haute autorité du pays. Car chaque
région participera activement au projet national. Au niveau de la ville de Kinshasa, un effort sera
fait pour arriver à une organisation de proximité également. Déjà Maluku, Nsele, Kinkole ne
seront plus rattachées administrativement et artificiellement à la ville de Kinshasa, mais seront des
villes autonomes. Toutes les autres communes seront atomisées vers des entités plus petites
obéissant à la même préoccupation qu’à l’intérieur. Le cœur ou le centre de la ville devra être
déplacé à Matonge, entre Kalamu, Kasa-vubu, Ngiri-Ngiri, et non plus à la Gombe. Les
institutions nationales, présidence, siège du gouvernement, parlement ou palais du conseil, palais
de la paix (justice), etc., devront y être implantées. Le terrain du stade Tata Raphaël, par exemple,
pourra abriter le siège de la présidence de la République. Toute la mobilité devra être repensée et
réorganisée en suivant cette nouvelle carte. Ceci pourra mettre fin au phénomène inquiétant de
l’érection des murs sur toute l’étendue de la ville.
Le problème numéro un de la ville aujourd’hui étant celui du chômage, suivi de
l’isolement chronique, il faudra rapidement leur trouver des solutions appropriées. A Kinshasa,
comme partout ailleurs, mais surtout à Kinshasa, l’accent devra être mis sur la création des
emplois pour résorber le taux trop élevé de chômage et de misère au sein de la population, non
sans avoir profondément sensibilisé la population à se dresser désormais contre les pillages et la
corruption. Le gouvernement s’attellera à résoudre ce double problème par la construction des
chemins de fer vers Kwamouth-Bolobo et vers Pointe-Noire au Congo-Brazzaville en accélérant
les démarches pour la construction rapide des ponts-rails entre Brazzaville et Kinshasa ; mais aussi
la construction d’un chemin de fer vers Kimvula et Popo-kabaka, en se servant de la maind’œuvre abondante présente dans la ville de Kinshasa. La population, mise au travail, gagnera de
l’argent sous forme des salaires qui reviendront sur le marché. Ce qui relancera l’économie. Ces
travaux raisonnables et attendus résoudront le problème de la mobilité dans la capitale. Et la
population sera enfin libérée de cet enfer dans lequel il étouffe. L’argument de la construction du
port de Banana comme préalable à la construction des ponts-rails entre Kinshasa et Brazzaville est
une façon de continuer à maintenir la population de Kinshasa en prison. C’est un argument
252
colonial, égoïste. Au contraire, la politique nouvelle doit ouvrir Kinshasa aussi bien à Brazzaville,
à Matadi, à Kimvula, à Luanda, à Pointe-Noire qu’à Franceville. Pareillement Matadi et Boma
devront être reliées à Pointe-noire, à Brazzaville et à Luanda. La circulation des personnes et des
biens engendrera une ère nouvelle de progrès et de prospérité pour toute la région. Les différents
ports de la région, s’ils sont bien entretenus et interconnectés, sont en nombre suffisant pour
amener cette ère.
La nouvelle loi fondamentale qui sanctionnera cette nouvelle organisation administrative et
politique, devra être brève et claire, compréhensible par tous, surtout par le petit peuple, celui de
nos villages. Elle sera écrite par un groupe des sages mandatés par les régions respectives. Cette
loi sera écrite en langues nationales uniquement. Dans cette loi l’accent sera mis sur l’ouverture
des régions vers les régions voisines des pays limitrophes respectifs, afin de rapprocher les mêmes
peuples longtemps demeurés séparés par le fait de l’administration européenne coloniale. L’accent
sera mis sur plus d’intégration régionale à travers les moyens de communication régionaux
comme les chemins de fer, les routes et les bateaux. Outre les ponts-rails entre Kinshasa et
Brazzaville, d’autres routes et chemins de fer devront relier le Congo d’en face à tout le territoire
Ba-kongo de chez nous. Les mêmes efforts devront être fournis entre les régions de l’ouest et du
centre avec l’Angola ; pareillement entre la région de l’est et les régions limitrophes de Zambie,
Tanzanie, Burundi, Rwanda et Ouganda. La région nord établira quant à elle des bonnes relations
avec les régions limitrophes du Sud-Soudan, Tchad, Centrafrique et Congo.
La deconstruction systématique du modèle colonial totalitaire, toujours en vigueur, est un
préalable essentiel pour conduire notre pays vers la liberté véritable, longtemps bafouée et
ardement attendue. Ce sera une façon éloquente de rendre justice au Kongo-dyna-Nza et à toute
l’Afrique, méchamment déconstruits par les Européens au profit de leurs pays devenus si
prospères. Ainsi donc l’étau autour des peuples africains pourra être desserré et le chemin du
développement balisé. Comme les villages libérés, les régions le seront également ainsi que
l’ensemble du pays et aussi des autres pays de la sous-région qui partagent les mêmes cultures que
de nombreux peuples du Congo. Les populations de tous ces pays se rassembleront et bâtiront un
tout autre espace de vie et de liberté. Dans cette construction future du pays au travers des régions,
provinces et territoires, en adéquation avec les régions des pays frères voisins, l’élément moteur
sera la personne humaine et non plus les richesses à exporter à tout prix. La construction des
infrastructures ne sera plus centralisée, ni même au centre de l’action des administrations
décentralisées ; ce sera le bien-être de la personne, particulièrement le bien-être de la population
villageoise, longtemps marginalisée qui devra primer. Ce qui nécessitera une politique nouvelle de
construction des infrastructures. Une véritable politique du développement et de bien être, capable
253
d'offrir un travail décent et suffisamment rémunérateur à tous afin que chacun, au village comme
en ville, ainsi que l’aurait voulu
le Premier Ministre mbuta-muntu Patrice Lumumba, soit
« capable de manger à sa faim, de se vêtir décemment et d'élever ses enfants comme des êtres
chers ; et qu'à jamais soient abolies sur le sol de nos ancêtres des peines injustes, des ironies et
des insultes discriminatoires et dégradants. »
254
Annexe
Cette annexe reprend la chronologie des événements relatés, un lexique des mots propres,
quelques lettres et autres écrits que j’ai adressés à certaines personnes et personnalités du Congo et
d’ailleurs de 2004 à 2009 concernant la situation du Congo et de l’Afrique, deux essais de
traduction en kikongo du discours de Lumumba et de Martin Luther King, ainsi que quelques mots
d’un dictionnaire de la langue Kikongo que je suis en train d’écrire et un texte d’une nouvelle
hymne en Kikongo.
255
Chronologie des principaux événements repris dans ce livre
A. Histoire circulaire, simplement humaine :
Construction patiente du pouvoir puissant Kongo-dyna-Nza à partir du sud-ouest de l’Afrique,
depuis le désert du Kalahari, Mpangala, au sud de l’Angola actuel, appelé à l’époque Tadi-dyaKola : pouvoir matrilinéaire et tricéphale se référant à l’Égypte ancienne ;
Progression de ce pouvoir : trois branches se rapportant aux trois enfants de l’aïeule originelle
dont Kongo-dya-Mpangala, Kongo-dya-Mulaza, Kongo-dya-Mpanzu et Zita-dya-Kongo, centre.
Toute la population actuelle de l’ère Kongo se réfère toujours à ce pouvoir qui influe sur leur
organisation politique, culturelle et économique et leur permet de tenir.
B. Histoire linéaire occidentale :
1400 : début de la Renaissance italienne et européenne, grand essor de la navigation et du
commerce ; début du capitalisme ;
1482-1485 : arrivée des Portugais au Kongo, réception sereine et amicale des Kongolais,
particulièrement à Mbanza-Kongo ; arrivée des Portugais en Amérique ;
Les Congolais accueillent les nouveaux venus dans la joie et espèrent l’établissement des
véritables relations amicales. Les Congolais, dont le roi, embrassent la foi catholique des
Portugais ; les missionnaires arrivent en nombre au Kongo. Construction des premières églises à
Mbanza-Kongo dont une cathédrale.
Janvier-Février 1484 : première cargaison des Kongolais emmenés de force au Portugal, premier
malentendu ; début du commerce triangulaire appelé aussi traite des noirs.
1500 : intensification de la traite.
1507 : immixtion des missionnaires dans la gestion du pays, dont l’élection du roi. Coup d’état de
Mvêmba’a Nzinga, Afonso 1er, début de la déstabilisation du Kongo-dyna-Nza et début effectif
de la colonisation portugaise du Kongo ; sécessions et division du pays en plusieurs petits
royaumes.
1521 : ordination du premier évêque congolais à Rome, Kinu a Mubemba, Ndo Kiki (Henrique) ;
256
1604 : nomination du premier ambassadeur congolais auprès du Saint-Siège, Ndo Manwele neVunda ;
1665 : bataille et défaite de Ndo Antoni contre les Portugais : évanouissement lent et ruine totale
du Kongo ;
1684 : naissance de Ndona Nsimba Béatrice Margueritte, Kimba Vita ;
1695 : le roi Pedro IV, abandonne la capitale et se retire au mont Kibangu ;
1704 : début de la prédication de Ndona Nsimba Béatrice Margueritte pour le rétablissement du
Royaume et de son pouvoir ancestral ;
Mai 1706 : condamnation à mort de Ndona Nsimba Béatrice, brûlée vive ;
17/12/1865 : intronisation de Léopold II, roi des belges ;
1876 : création du Comité d’études du Haut-Congo ;
1881 : fondation de Leopoldstad (Léopoldville) ;
1883 : création de l’Association Internationale du Congo ;
1884 : création de l’État Indépendant du Congo du Roi Léopold II ou le Congo-Prison, régne des
Trusts internationaux ;
12/09/1887 : naissance de Simon Kimbangu ;
1908 : annexion de l’État Indépendant du Congo par la Belgique, érection du Congo belge et
colonisation belge ;
06/04/1921-12/09/1921 : ministère de Simon Kimbangu ;
12/09/1921 : arrestation, condamnation à mort, relégation de Simon Kimbangu et de 37.000
familles ;
06/07/1956 : première arrestation et condamnation de Lumumba à Kisangani (Stanleyville) ;
10/10/1958 : création du Mouvement National Congolais, MNC, premier parti politique congolais
supra ethnique, dirigé par Patrice Lumumba ;
24/12/1959 : reconnaissance officielle de l’Église Kimbanguiste par le pouvoir colonial ;
30/06/1960 : discours historique de Patrice Lumumba, premier ministre du premier gouvernement
du Congo Indépendant, État Africain hérité de la délimitation territoriale et coloniale de Léopold
II ;
257
17/01/1961 : condamnation à mort sans jugement et massacre de Patrice Lumumba à
Élisabethville ;
1965-1997 : impitoyable règne de Mobutu ou le Congo-Enfer des “intellos“ (mindele-ndombe),
exécution du plan « B » planifié par les Occidentaux ;
09/11/1989 : chute du mur de Berlin, vent nouveau sur le monde et retour de l’espoir au Congo ;
24/04/1990 : abolition du monopartisme par Mobutu ;
16/02/1992 : Marche pour la paix en vue de la réouverture de la Conférence Nationale
Souveraine ; massacre de la population par les troupes de Mobutu ; début de la fin du régime
Mobutu ;
1994 : guerre éthnique et massacre de la population au Rwanda ; opération Turquoise qui jette des
millions des Rwandais dans la forêt vierge, déstabilisation du Kivu et de la sous-région ;
1996-1997 : guerre du Zaïre soutenue par l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi contre Mobutu ;
17/05/1997 : Fuite de Mobutu et de ses Mobutistes, chassés du pouvoir par M’zee Laurent Désiré
Kabila, baptisé soldat du peuple ;
1998-2003 : guerre des Grands Lacs, guerre du Rassemblement congolais pour la Démocratie,
soutenu par l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, contre L-D.Kabila et la population congolaise ;
conflit régional et généralisé ; octroi inconsidéré des contrats léonins aux multinationales anglosaxonnes ;
1999 : Mise en place de la Monuc ;
16/01/2001 : assassinat de L-D. Kabila ;
2001 : dialogue inter-congolais ;
2003 : mise en place du CIAT et du Gouvernement 1+4 ;
26/05/2004-09/06/2004 : Guerre de Bukavu, menée par Jules Mutebusi et Laurent Nkunda du
RCD ;
04/06/2004 : colère de la population congolaise contre la Monuc et contre le Gouvernement 1+4,
raillé sous l’appellation 1+4=0 ;
2006 : “élections démocratiques“, victoire de Joseph Kabila ; mise en place du programme dit
“des cinq chantiers“ ;
2008 : guerre du Kivu, menée par Laurent Nkunda et son CNDP.
258
Lexique de quelques mots propres et index
Anglo-saxons : peuples d’origine germanique, tombeurs des anciens Romains, actuels maîtres de
l’Europe et du reste du monde, connus au Congo comme ceux qui convoitent les richesses du pays
et qui représentent la méchanceté occidentale. 16, 22, 57, 58, 104, 112, 114, 116, 117, 120, 121,
130, 136, 149, 200, 207, 224, 225, 267, 289.
Apartheid : régime occidental des séparations des races et des classes. 73, 89, 110, 115, 150, 244.
Avocat (Corruption) : pratique des administratifs congolais, amplifiée depuis Mobutu, qui
consiste à détourner systématiquement tout denier public qui entre dans la caisse de l’État, à faire
subir des exactions à la population et à l’exploiter. 5, 10, 16, 49, 72, 73, 108, 123, 145, 149, 152,
155, 158, 166, 170, 224, 231, 232, 247, 250, 265 266.
Ba-Kongo : habitants de l’ère Kongo. 34, 50, 54, 62, 73, 74, 133, 174, 224, 251.
Belgique : petit pays européen, fondé en 1831, devenu riche et puissant grâce aux richesses du
Congo colonisé et exploité. 5, 9, 10, 27, 52, 57, 66, 72, 77, 78, 80, 81, 82, 84, 85, 86, 87, 90, 109,
111, 112, 116, 131, 140, 142, 144, 146, 147, 149, 164, 169, 202, 204, 205, 206, 207, 213, 214,
216, 218, 219, 223, 225, 230, 234, 246, 247, 254, 257, 268, 270, 278, 279, 282.
Beno : la première mission catholique sur le fleuve Kwilu. 19, 91, 92.
Bukabi Christophe : mon oncle, frère cadet de ma mère. 17
Caverne : mode de vie européen avant la pénétration romaine. 58, 96, 105, 106, 107, 111, 115.
Cinq chantiers : programme du gouvernement issu des élections de 2006 qui consiste à
moderniser les infrastructures coloniales. 114, 159, 163, 235, 257.
CNS : conférence nationale souveraine. 237, 239, 240, 241
Colonisation : occupation par la force des armes à feu du territoire congolais et la réduction de sa
population en esclavage par les Européens pour l’enrichissement facile et rapide.3, 5, 8, 9, 10, 11,
12, 16, 34, 42, 58, 61, 63, 71, 76, 81, 82, 88, 90, 92, 93, 96, 97, 99, 102, 116, 119, 127, 128, 131,
133, 136, 142, 146, 151, 160, 173, 176, 190, 196, 201, 202, 203, 204, 213, 220, 224, 225, 243,
248, 250, 253.
Colons : auxiliares européens de la colonisation, heureux bénéficiaires de celle-ci. 7, 10, 63, 64,
71, 72, 79, 87, 88, 89, ç0, 93, 95, 98, 127, 132, 153, 158, 168, 195, 214, 226, 245, 282.
259
Congo : ensemble des territoires africains confisqués par la force par le Roi Léopold II et diverses
sociétés occidentales, Congo-prison, devenu Congo-belge et actuellement République
Démocratique du Congo, Congo-enfer. 2, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 16, 17, 20, 22, 26, 30, 32, 34, 36,
38, 42, 43, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 57, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 71, 72, 73, 76, 78, 79, 80, 81, 82,
83, 86, 88, 89, 90, 91, 94, 96, 97, 99, 100, 102, 105, 108, 109, 110, 112, 113, 116, 119, 120, 122,
126, 127, 129, 134, 135, 136, 140, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 150, 151, 152, 153, 154,
157, 164, 169, 170, 172, 173, 174, 175, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 185, 187, 189, 191,
192, 193, 194, 195, 197, 198, 202, 203, 205, 206, 207, 208, 210, 212, 213, 214, 216, 220, 221,
222, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 238, 242, 243, 247,
248, 250, 251, 252.
Congo-enfer : le Congo des mindele-ndombe, dirigeants congolais, héritiers des la colonisation.
1, 12, 49, 75, 77, 79, 81, 116, 128, 145, 153, 156, 220, 242, 251, 256.
Congolais : habitants africains des territoires congolais confisqués. 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 16, 17,
20, 22, 30, 38, 45, 46, 50, 51, 56, 57, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 74, 75, 76, 77, 78, 82, 88, 89, 90, 91,
92, 94, 95, 98, 99, 100, 102, 104, 112, 113, 119, 121, 122, 124, 126, 127, 128, 131, 132, 133, 134,
135, 136, 139, 140, 141, 142, 143, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 154, 158, 160, 166, 167,
168, 169, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 178, 179, 180, 182, 183, 184, 185, 189, 190, 195, 196,
197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205, 208, 211, 212, 213, 214, 217, 218, 220, 221, 222,
223, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 242, 243, 247.
Congo-prison : le Congo de Léopold II. 1, 12, 49, 50, 66, 68, 70, 74, 77, 89, 91, 121, 152, 153,
207, 213, 220, 242, 251, 255.
Diego-Caô : explorateur portugais arrivé au Kongo au 15ème siècle. 19, 42, 60, 178.
Église Catholique : hiérarchie chrétienne à la base de l’Occident et du racisme anti-noir,
instigatrice de la colonisation portugaise du Kongo. 121, 187, 189, 196, 198, 199, 258.
Elite : population congolaise locutrice de la langue française héritée de la colonisation belge. 75,
121, 126, 146, 147, 149, 150, 152, 153, 154, 155, 157, 159, 166, 169, 170, 172, 173, 174, 175,
176, 221, 277, 278.
Flamand : population du nord de la Belgique, désignation Kongo du colonisateur belge. 10, 101,
110, 111, 112, 123, 203.
260
Français : langue de la France et de la Belgique, imposée aux Congolais, voie obligée
d’apprentissage des connaissances modernes pour la jeunesse congolaise. 56, 74, 111, 121, 125,
151, 168 ; 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 200, 210.
Gbadolite : village de Mobutu, transformé par lui en grande ville pour son intérêt personnel ;
actuellement dans un état d’abandon avancé. 147, 148, 238.
Haut-Congo : partie nord/est du Congo par où la colonisataion belge avait débuté. 78, 224, 255.
Immigration : politique occidentale d’accueil des étrangers. 54, 110, 122, 244, 288.
Indépendance Tcha-Tcha : chanson mythique de Kallé Jeef, devenue l’hymne africaine des
indépendances. 173, 174, 293.
Infrastructures : constructions diverses réalisées par les Colonisateurs belges et les
gouvernements congolais au Congo. 9, 10, 61, 74, 115, 149, 155, 159, 163, 165, 176, 189, 209,
233, 235, 251, 275.
Intellectuels : chèvres, boucs et bœufs que la population donne aux dirigeants de l’administration
pour obtenir l’une ou l’autre faveur facilement. 166, 167.
Je le connais (les) : intellectuels congolais, locutaires de la langue françaises, champions de la
corruption. 145, 169, 257.
Kabila (M’zee) Laurent-Désiré : tombeur de Mobutu, soldat du peuple, président aimé de la
population. 16, 48, 97, 149, 151, 173, 227, 241, 256.
Kibala-luli/We : village appartenant au Groupement Nzum’nzo, situé à 60 km de la mission
Beno. 91
Kikongo : la langue de l’ère Kongo. 22, 23, 31, 34, 37, 53, 56, 57, 73, 102, 171, 173, 174, 175,
176, 184, 189, 224, 248, 252.
Kikwit : ville du Congo, située au sud-est de Kinshasa, important carrefour des cultures et des
peuples du Kongo ancien, particulièrement ceux du Kongo-dya-Mulaza. 27, 31, 37, 94, 97, 98,
104, 19, 141, 145, 153, 161, 162, 163, 164, 169, 170, 171, 172, 175, 186, 228, 236, 273.
Kini-a-Mubemba, Ndo Kiki (Henrique) : 1er évêque catholique Kongo du 16ème siècle. 61, 255.
Kisangani (Elisabethville) : ville martyre du Congo, victime des multiples agressions étrangères.
11, 133, 134, 138, 139, 194, 207, 235, 240, 255, 278.
261
Kivu : partie-est du Congo pleine des richesses de toute sorte, terre de convoitise et de souffrance.
135, 136, 137, 139, 143, 227, 228, 229, 232, 233, 256, 257.
Kobwaka-ngulu : se livrer esclave, en langue lingala, expression des jeunes Kongo pour désigner
l’asile ou l’esclavage des temps modernes. 51, 52, 53, 56.
Kongo, appelé aussi Kongo-dyna-Nza ou Nza-di-Kongo : pouvoir puissant, ancien royaume
africain, bâti au sud-ouest du continent, s’étendant sur la côte atlantique, du désert de Kalahari
jusqu’au-delà du fleuve Mwanza (Congo). 4, 13, 14, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28,
29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 40, 42, 43, 44, 45, 48, 54, 57, 58, 60, 61, 62, 63, 66, 78, 80, 98,
99, 100, 102, 112, 132, 133, 151, 152, 164, 174, 178, 180, 181, 182, 183, 184, 189, 192, 221, 224,
242, 245, 249, 251, 262, 288, 290, 294, 296.
La Congolaise : hymne nationale congolaise ignorée de la population. 174
La traite des noirs : esclavage des noirs, commerce des Africains, entreprise européenne du 15ème
au 19ème siècle. 3, 11, 12, 23, 24, 25, 31, 42, 46, 47, 48, 52, 54, 56, 59, 61, 64, 65, 81, 99, 100,
101, 102, 113, 114, 118, 126, 132, 135, 142, 178, 179, 190, 225, 242, 248, 254, 264, 265, 267,
277, 286, 287.
Léopoldville (Kinshasa) : capitale du Congo-belge, devenue capitale du Congo-Kinshasa, ville-prison. 9,
72, 73, 79, 81, 186, 191, 193, 208, 210, 215, 219, 220, 221, 23, 224, 254.
Liberté : expression de reconnaissance humaine demandée avec insistance par les Congolais
colonisés aux Belges colonisateurs. 10, 11, 80, 98, 152, 184, 198, 206, 219, 220, 221, 223, 224, 225,
226, 235, 236, 238, 242, 243, 249, 251.
Mbanza-Kongo : capitale du royaume Kongo. 23, 29, 61, 62, 164, 178, 180, 181, 182, 183, 253.
Mbula-Matari : casseur des pierres, autre désignation du colonisateur belge. 78.
Mission catholique : espace de vie des missionnaires catholiques au Congo, séparé des villages
africains. 91, 95, 185.
Mission civilisatrice : prétention européenne de refaire le Congo et ses peuples à son image et à
sa ressemblance par des exclusions et des discriminations massives. 2, 6, 8, 9, 11, 64, 89, 100,
102, 150, 204, 206, 224.
Missionnaires : membres des instituts religieux catholiques ou protestants venus avec les autres
colons occidentaux évangéliser les Congolais. 5, 6, 62, 63, 66, 77, 88, 92, 93, 94, 95, 96, 119,
262
120, 131, 132, 155, 168, 178, 179, 180, 182, 183, 184, 190, 191, 193, 194, 209, 217, 225, 226,
253.
Mitingwiy-Ezana : oncle de ma mère, ami et guide de mon père. 18
Mobutistes : corrompus, intellectuels congolais ayant adhéré au régime de Mobutu. 19, 97, 151,
Mobutu : tombeur de Lumumba, président du Congo par coup d’État, instigateur du régime de la
corruption et du clientélisme ; il a changé le nom du Congo en Zaïre. 12, 15, 16, 19, 48, 72, 97,
135, 137, 146, 147, 148, 149, 151, 153, 165, 166, 179, 205, 208, 226, 227, 234, 237, 238, 239,
240, 241, 243, 249.
Mpangala (Kimbanda) : premier âge du Kongo-dyna-Nza. 22, 23, 24, 26, 27, 28, 30, 31, 254.
Mpanzu : troisième âge du Kongo-dyna-Nza. 22, 31, 32, 62.
Mulaza : deuxième âge du Kongo-dyna-Nza. 22, 27, 30, 32, 254.
Mundele (mindele) - ndombe : terme kikongo désignant les méchants envahisseurs noirs
(africains), les dirigeants africains ayant succédé aux colons et colonisateurs. 10, 12, 97, 127, 128,
129, 131, 169, 243, 255.
Mundele (mindele) -ngulu : terme kikongo désignant les esclavagistes européens. 24, 47, 53, 54,
57, 58, 127.
Mundele (mindele) : méchant envahisseur, terme kikongo désignant l’envahisseur portugais
d’abord, et européen ensuite. 10, 12, 19, 24, 42, 44, 53, 77, 93, 97, 98, 102, 131, 179, 191.
Muntu (bantu) : appellation Kongo de la personne humaine, toute personne, sans aucune
distinction d’âge, de sexe ou de race. 21, 169, 173, 216, 222.
Mvêmb’a Nzinga (Afonso 1er) : roi chrétien du Kongo, tombeur de l’héritier légitime au trône,
Mpanzu’a Nzinga. 62, 65, 130, 131, 254, 260.
Mwanza : appellation Kongo du fleuve Congo actuel. 16, 30, 31, 35.
Ndona Nsimba Béatrice, Kimpa Vita : fille du peuple Kongo, libératrice et restauratrice du
royaume Kongo, condamnée par les Portugais et brulée vive. 63, 180, 181, 183, 184, 186, 203,
220, 225, 254.
Ngola (Kola) : saison, époque, région des grandes chaleurs, Angola. 19, 26, 27, 28, 30, 33, 36, 65,
70, 77, 131, 132, 152, 192, 228, 230, 254.
263
Ngulu : phacochère, cochon, sanglier, désignation kongo de l’africain devenu esclave des
Européens durant la traite ; désignation actuelle des demandeurs d’asile congolais en Occident. 24,
47, 50, 52, 53, 54, 55, 57, 58, 115, 127.
Nkenge Lukemi : l’aïeule originelle des peuples Kongo, origine matrilinéaire et légitime des
peuples du Kongo. 27, 30, 35, 259.
Nzing-a-Nkuwu : mfumu, chef, roi du Kongo. 23, 28, 31, 32, 34, 62.
Occident : territoire européen et associé émancipé par l’Église catholique et qui s’y réfère,
envahisseur des terres du Congo. 8, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 22, 33, 34, 47, 49, 53, 54, 56, 58, 75,
76, 81, 94, 96, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 110, 111, 112, 113, 115, 118, 119,
120, 121, 122, 124, 125, 130, 133, 135, 136, 141, 142, 143, 144, 153, 154, 162, 168, 171, 179,
182, 196, 205, 206, 224, 232, 234, 235, 236, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 248, 249, 254, 256,
286, 287.
Office des étrangers/Préfecture : institutions belge et française de demande d’asile. 51
Patrice-Emery Lumumba : leader charismatique congolais, autodidacte, élu premier ministre en
1960, assassiné en 1961 et resté mémorable. 8, 9, 11, 69, 70, 73, 115, 147, 151, 159, 201, 202,
203, 204, 205, 206, 207, 208, 2à9, 210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 220, 221,
212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225, 240, 247, 251, 252.
Phoba Mvika : mon professeur de Mayidi. 185
Pini-Pini Henri (Long’adi) : mon père. 27, 90
Politique : politicien, mensonge, menteur, désignation Kongo du langage fallacieux des
politiciens. 76, 126, 144, 146, 147, 149, 152, 153, 157, 165, 169, 170, 173, 190, 201, 224, 233,
239, 240, 243 ?
Portugal : puissance maritime européenne de la renaissance, fait propriétaire du territoire du
Kongo par le Pape à l’insu et au mépris total du peuple du Kongo. 20, 42, 43, 44, 59, 61, 62, 63,
64, 66, 123, 131, 132, 179, 182, 225, 253.
Racisme anti-noir : mépris par les Européens des Africains à cause de la couleur de leur peau
jugée non conforme à l’humanité. 6, 88, 94, 98, 100, 123, 124, 143, 199, 242, 243, 244, 245, 258.
Radio Tomisa : radio diocésaine de Kikwit, première radio privée de cette ville. 26, 36, 174, 228.
264
Rwanda : petit pays de l’Afrique de l’est, envahisseur du Congo comme le fut la Belgique. 96,
114, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 142, 143, 227, 228, 229, 232, 233, 235, 248, 252, 256, 279,
281, 285.
Sainte-Ode : commune de la province belge du Luxembourg, non loin de Bastogne. 83, 109, 258.
Sans papier : appellation occidentale des étrangers non reconnus, souvent parqués dans des
centres. 50, 51, 114, 210, 216, 290.
Sar : Tasar, Pharaon, titre de chef, roi, chez divers peuples d’Afrique. 24, 37, 136, 143.
Simon Kimbangu : prophète, envoyé de Dieu, mort en prison, leader congolais opposé à toute
forme de domination, politique, économique ou religieuse ; inspirateur de l’Église de Jésus-Christ
sur la terre par son Envoyé Spécial Simon Kimbangu, EJCSK. 18, 184, 185, 186, 187, 189, 191,
195, 196, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 225, 254.
Soumission : servitude imposés par l’administration coloniale aux Congolais colonisés. 73, 85,
93, 101, 120, 144, 165, 168, 176, 225, 234, 244, 246.
Stanley (Henry Morton) : journaliste, explorateur anglais au service de Léopold II. 16, 71, 77,
80.
Swahili (baswahili) : peuples et langue de l’Est du Congo. 72, 73, 173, 174, 224, 250.
Tillet : petit village de la commune de Sainte-Ode dans les Ardennes belges, province de
Luxembourg. 83, 84, 85, 108, 258, 271, 272, 273, 275, 277, 278, 280, 281, 282, 283, 284, 285,
286, 288, 289, 290.
Village : espace traditionnel de vie, dénigré, combattu et marginalisé par la colonisation. 8, 11, 12,
18, 20, 21, 22, 24, 26, 30, 31, 32, 36, 37, 43, 60, 62, 72, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 90, 91, 93, 94, 95,
109, 110, 113, 114, 124, 126, 140, 149, 150, 152, 153, 160, 161, 162, 164, 166, 168, 170, 182,
185, 187, 188, 189, 192, 199, 206, 207, 208, 209, 216, 238, 243, 248, 249, 250, 251, 252.
Viol : humiliante et dégradante attitude des troupes étrangères et de la force publique, armée
congolaise, envers les femmes du Congo. 8, 48, 97, 107, 134, 136, 138, 139, 140, 142, 143, 144,
199, 204, 224, 235, 285.
Yansi : peuple du Kongo-dya-Mpangala, lignage Kinzinga, habitant actuellement l’entre KwangoKasaï, ou le Kwilu septentrional dans la Province du Kwilu/Bandundu. 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
35, 37, 38, 45, 133, 163, 174.
265
Zaïre : le Congo de Mobutu. 15, 16, 38, 113, 144, 147, 148, 205, 227, 234, 236, 237, 238, 239,
256.
Zita-dia-Kongo : noyau, 4ème âge du Kongo-dyna-Nza. 22, 23, 27, 32, 254.
1+4=0 : gouvernement congolais issu des Accords de Pretoria (2003-2006), éléphantesque et sans
programme social, soutenu par la communauté internationale et qualifié de nul par l’ensemble de
la population. 164, 170, 185, 187.
266
1. A Dimanche Paroissial
Chaussée de Bruxelles, 67/2
B-1300 Wavre
« L’Afrique demande pardon à l’Afrique »
Attention à l’amalgame !
La conclusion de l’article de M. Louis MATHOUX, « L’Afrique demande pardon à
l’Afrique » paru dans votre journal le 11 janvier dernier, est élogieuse. Elle appelle l’Église
catholique à se mettre au premier rang du combat contre la déportation des jeunes africaines à des
fins de prostitution, le « tourisme sexuel », le commerce d’enfants, l’enrôlement d’enfants et
d’adolescents dans des guerres fratricides, etc., illustration de la « situation chaotique » que vit
l’Afrique. C’est rare de lire de tels propos sur les colonnes d’un organe catholique. Et c’est à
l’honneur de M. Louis MATHOUX et de votre journal.
Cependant il convient de mieux situer ces propos pour qu’ils ne perdent pas leur teneur
« incendiaire » pour ne pas dire révolutionnaire. Car il est inexact d’assimiler ces
« comportements», aussi odieux et répréhensibles qu’ils soient, à l’esclavage ou pire à la traite
qu’a connus l’Afrique du 15ème au 19ème siècle, voire même jusqu’au 20ème siècle. Ces deux
situations ne sont en rien comparables et encore moins assimilables. Faire une telle assimilation
est extrêmement dangereux du fait qu’on choisit délibérément de falsifier l’histoire. Donc
d’induire des lecteurs en erreur.
La situation actuelle en Afrique, présentée comme apocalyptique et unique, ne résulte
pas du goût des Africains à la bagarre. Elle est tributaire, entre autre, d’une part du morcellement
de l’Afrique, lequel a ignoré à dessein les grands ensembles ancestraux et l’importance des nations
comme espaces de vie. Le morcellement de l’Afrique, conçu et réalisé par des Européens, n’a obéi
qu’à un seul but, celui de faire des « nouvelles nations africaines » des réserves animalières et des
minerais pour l’enrichissement des Européens. La situation chaotique actuelle de l’Afrique est, en
outre, tributaire du manque de vision des dirigeants actuels qui se sont érigés en « grands leaders »
sans regard sur le passé africain, sans suivre la tradition africaine dans le domaine. Ils se sont
laissé prendre au piège en s’installant sur les fauteuils des États fictifs, à l’instar des maîtres
étrangers dont ils garantissent les intérêts à travers leur pseudo-pouvoir.
Donc la situation actuelle de l’Afrique est une chose, l’esclavage africain une autre, et la
traite des noirs une toute autre. La traite des noirs, pour parler d’elle, ne résulte pas, mais alors
pas du tout, « de la lutte entre les différentes tribus africaines…dont les victorieux se faisaient un
267
plaisir de vendre leurs ennemis vaincus aux esclavagistes. » Non, M. MATHOUX ! La traite des
noirs ou le commerce triangulaire Europe-Afrique-Amérique des êtres humains, a été organisée à
partir du 15ème siècle pour les besoins de la production agricole aux Amériques, la population
noire africaine étant nombreuse, et jugée plus vigoureuse, plus travailleuse que celle trouvée aux
Amériques, massacrée et anéantie ensuite. C’est pour s’enrichir, par le truchement des nouvelles
terres d’Amérique, que les Européens ont pratiqué la traite des noirs. Le travail et le sang des noirs
ont grandement contribué au développement actuel de l’Europe et de sa fille les Amériques des
Anglo-saxons.
« Le nombre énorme d’hommes, de femmes et d’enfants embarqués comme des bestiaux
dans des caravelles où la plupart mouraient en cours de voyage » (sic) n’est pas dû aux luttes à
répétition des tribus africaines les unes contre les autres. C’est faux. Sinon comment expliquer le
grand nombre des noirs africains à l’époque ? Comment expliquer l’établissement des grands
empires et royaumes bien connus du Nord au sud, de l’Est à l’Ouest en ce temps là (Empire du
Mali, Royaume Ashanti, Empire du Niger, Royaume Kongo, Empire Lunda, Empire du
Zimbabwe, Empire Zoulu, etc.) ?
L’Afrique d’avant le 15ème siècle est une Afrique prospère, riche et heureuse. Les grands
empires bâtis depuis des siècles sont à l’apogée de leur gloire. L’Afrique n’est pas en lutte, elle est
heureuse. Les luttes mortelles sont venues après, sous l’effet de l’occupation étrangère,
européenne en l’occurrence. Celle-ci mal intentionnée, et se servant très habilement des armes à
feu très meurtrières, va acculer le reste des populations africaines dans leurs derniers
retranchements, à savoir la lutte pour la survie. Les Africains sont obligés de recourir à la vie de la
forêt, abandonnée depuis des millénaires. Des civilisations bien établies sont réduites à néant. Les
terres sont abandonnées. La pauvreté élit domicile, la mort devient un voisin permanent. C’est le
sauve-qui-peut. Et il n’y a pas de choix. La situation des noirs restés sur le continent est aussi
pitoyable que celle de leurs frères déportés aux Amériques. Ils doivent survivre pour ne pas
disparaître. Et quant il s’agit de la survie, tout est permis. Tout le monde le sait.
Sous l’occupation nazie, l’Europe a été en proie aux abominations les plus horribles de la
part de ses propres fils qui ont collaboré avec les occupants de la même race. Si cette situation
avait duré plus qu’elle ne l’a été, 10, 20, 50 ou 100 ans, que ne se serait-il pas passé ? La situation
de l’Afrique occupée, agressée, dépeuplée, a duré plus de 4 siècles, 400 ans, soit 80 fois plus que
l’occupation nazie. Comment imaginer que des pires abominations n'aient pu arriver ? Les mères
elles-mêmes ont certainement été obligées d’abandonner leurs enfants à la mort ! Même peut-être,
obliger hélas, de s’en servir pour se nourrir ! Cela n’est pas dû à une quelconque sauvagerie, mais
268
c’est le résultat de la situation inhumaine dans laquelle les noirs d’Afrique ont été soumis. Les
mères noires africaines aiment leurs enfants comme toutes les mères du monde.
Si donc les Évêques disent que le peuple noir doit demander pardon à lui-même pour avoir
contribué à l’essor de l’esclavage, c’est probablement dans ce sens qu’il faudra comprendre ce
qu’ils veulent dire. Il ne s’agit certainement pas d’innocenter les véritables criminels qui ont conçu
et réalisé cette ignoble opération qui fait la honte de l’humanité entière. A moins que nos Évêques
ignorent carrément l’histoire, ce qui est difficile à croire ! Si l’Afrique demande pardon à ellemême, l’Europe devra faire beaucoup plus.
A propos de la traite des noirs, je pense personnellement que les Européens d’aujourd’hui,
bien informés, doivent s’unir aux noirs d’Afrique et d’Amérique pour condamner sans réserve
l’action des Européens de l’époque. Ceux-ci ne méritent pas d’être défendus sous aucun prétexte,
même pas celui de l’appartenance raciale qu’ils brandissent pour justifier leur ignoble besogne. Ce
qu’ils ont fait est tout simplement affreux et honteux. Leur mémoire doit être bannie pour que
notre monde se purifie et retrouve ses équilibres…
Il est important que les médias s’informent davantage pour donner une information
objective et ne pas semer la confusion dans l’esprit des personnes très peu averties. Il n’est pas
juste de se servir de l’ignorance des gens pour asseoir des mensonges.
Il n’y a pas longtemps, j’ai échangé avec un groupe des jeunes belges blancs, la trentaine
dépassée, qui soutenaient que la race noire est une race des esclaves. D’après eux, les noirs sont
réduits en esclaves partout où ils se trouvent. Ils ont cité l’Océanie, l’Inde, l’Europe, l’Afrique et
les Amériques. Une dame belge avec qui j’ai échangé, il y a peu, avait les mêmes propos sur la
même situation. Cette opinion bien répandue vient des amalgames comme celui décelé à travers
l’article de M.MATHOUX.
Il faudra absolument combattre cette opinion en restituant la vraie information notamment en
ce qui concerne le rôle de l’Église catholique dans l’élaboration de l’infériorisation du noir.
L’Église n’a pas seulement confirmé la filiation de « CHAM » de la race noire – même si
l’histoire nous apprend autre chose à ce propos -, mais elle a aussi affirmé que les noirs étaient
frustes et qu’ils étaient sans âme. En bref, les noirs ne sont pas des hommes. On sait comment les
barons de la traite se sont servis de cette théorie. Laquelle est absolument inadmissible ! Et c’est
satanique de nier à une personne donnée son humanité et plus encore à un peuple aussi nombreux
que les noirs.
Le combat de l’Église ne doit pas seulement concerner ce qui se passe aujourd’hui en Afrique,
mais aussi ce qui engendre cette situation, c'est à dire la racine du mal. Ce combat doit viser tous
les domaines de la vie des humains : culture, religion, technologie, médecine, politique, économie,
269
sport, littérature, histoire, divertissement, etc. Tout. Le noir ne doit plus être vu comme un être
inférieur, mais comme un frère humain à l’exemple de Jésus de Nazareth.
Je termine en disant que les noirs, même s’ils sont payés en monnaie de singe aujourd’hui, ne
sont pas moins fiers d’avoir contribué au progrès du monde actuel par leur travail (civilisations
égyptienne, nubienne, et abyssinienne) et leur sang (traite, colonisation).
Tontelange, ce 12/02/04
270
2. Programme « C’est pas Sorcier »
c/° France 3
F-86982 Futuroscope Cedex
France
Chers Messieurs/Dames du programme « C'est Pas Sorcier »
Je vous présente tous mes vœux de bonne santé, bonheur et prospérité pour cette année
nouvelle 2005. Je souhaite que votre belle émission continue de former la population sur sa vie en
vue d'une meilleure prise en charge de celle-ci.
Je vous écris à propos d'une émission que j'ai suivi sur la Deux belge ce jeudi 06/01/05.
Émission que vous avez produite et qui a parlé de l'alimentation humaine notamment les protéines,
vitamines, glucides etc. Je ne sais pas vous donner le nom de cette émission puisque je ne l'ai pas
suivie au début. C'est une émission qui a été réalisée en Sierra Leone. J'ai été désolé de voir que
vous avez débordé le cadre de programme de vulgarisation scientifique en posant divers
problèmes qui, non seulement mériteraient une analyse plus approfondie, mais qui plus est, n'ont
rien à voir avec la vulgarisation des protéines et vitamines.
Je tiens à vous dire, chers messieurs/dames, que je suis un fervent téléspectateur de votre
émission. Car vous rejoignez une de mes préoccupations majeures, la vulgarisation scientifique.
Elle est essentielle pour l'amélioration des conditions de vie de tous. Le choc que j'ai ressenti en
suivant l'émission précitée est à la mesure de l'admiration que j'éprouve envers votre programme si
bien élaboré et présenté.
Je crains fort que cette émission produite en Afrique, sur les Africains, enfants et adultes,
ne produise l'effet contraire de ce que vous avez recherché, à savoir la sensibilisation de l'opinion
française et européenne sur la malnutrition. Les images que vous avez montrées et les
commentaires que vous en avez faits, renforcent l'opinion répandue en Europe, que la
malnutrition, les maladies, bref la pauvreté et la mort qui s'en suit en Afrique, sont l'effet des
guerres tribales interminables et de la corruption. Au contraire la prospérité et le bien-être qu'on
connaît en France et en Europe proviennent de l'effet contraire de ce qui se passe en Afrique,
absence des guerres tribales, absence de corruption. Ce qui est faux dans un sens comme dans
l'autre.
Je pense que vous pouviez très bien parler des protéines, des vitamines et des glucides à
votre public français sans leur montrer des enfants africains mal nourris, squelettiques et
271
moribonds. Je trouve cela tout à fait indécent. La déontologie audio-visuelle défend une telle
exposition des personnes quelles qu'elles soient. Je ne suis pas sûr que ces enfants que vous avez
filmés et exposés ainsi sur la voie publique soient heureux de voir la façon dont vous les avez
présentés. Ce sont des personnes humaines comme vous et moi, elles méritent un minimum de
respect.
Si vous voulez sensibiliser l'opinion française sur le problème des guerres, de la
malnutrition ou de la corruption en Afrique, vous êtes libres de le faire bien entendu, mais ailleurs
que dans le cadre de votre programme. Et il faudra une plus large documentation, car ces
problèmes sont complexes. Le cas de la Sierra Leone et du Libéria proche, est encore plus
complexe. Votre programme a une autre orientation, à mon avis. Je crains fort que des
présentations semblables n’entament l’intérêt certain qu’il suscite auprès du public.
Tillet, 2005
272
3. « L’Avenir du Luxembourg » n°165 p.16
A Monsieur Pascal Belpaire
Rédacteur en chef et Editeur Responsable
Route de Hannut, 38
5004 Namur-Bouge
Objet : Votre article “Harry Roselmack débarque” du lundi 17/07/06
Cher Monsieur,
Je vous salue de tout cœur. Je suis abonné à votre journal et je le lis quotidiennement.
Depuis un certain temps je réagis sur les articles de presse et les émissions audiovisuelles
discriminatoires et qui alimentent au quotidien le mépris dont les noirs sont l’objet et la tragédie
qu’ils vivent souvent.
J’estime que l’article dont il est question ici en fait partie. Car comment comprendre que
jusqu’à ce jour, être noir soit perçu comme une anomalie au point qu’un noir qui présente un
simple journal parlé soit une exception et soit présenté ainsi ? Je suis content pour Harry
Roselmack qui a trouvé du travail sur TF1 et qui le fait bien. Mais pourquoi le présenter comme
« premier journaliste de couleur à assurer cette fonction. » Que représente la fonction d’être
journaliste à TF1 pour les millions d’humains qui peuplent la terre ? Que se serait-il passé si vous
aviez présenté Harry Roselmack en vous référant à ses qualités professionnelles sans vous référer
à la couleur de sa peau ?
Je sais que celui qui a écrit cet article est un blanc et qu’il n’a jamais senti dans son plus
fort intérieur ce qu’est-ce que d’être méprisé et humilié à cause de la couleur de sa peau et qu’on
n’a pas choisie. Ceci beaucoup des noirs le vivent au quotidien.
Et cette situation tragique et honteuse est alimentée malheureusement par des articles de
presse anodins comme celui-ci. Je vous demande, s’il vous plaît, de vous référer à l’avenir aux
qualités professionnelles ou humaines des personnes et non à la couleur de leur peau. Car à cause
de cette idéologie, des millions des personnes sont mortes et des millions d’autres continuent à en
souffrir. Il est temps de mettre fin à ce qui a longtemps, trop longtemps, constitué le malheur des
noirs. Être noir c’est être homme, humain, comme le sont tous les autres qui peuplent la terre. Il
est tout à fait injuste d’exiger aux noirs de l’héroïsme là où un simple effort humain est requis.
273
Tillet, le 18/07/06
274
4.
A M. Didier Reynders
En Jonruelle, 27
4000 Liege
Objet : Mon malaise
Monsieur le Ministre,
Vous êtes certainement surpris de recevoir une lettre d'une personne que vous ne
connaissez pas. C’est bien sûr pour un dérangement. Excusez-moi.
Je suis prêtre, curé à Amberloup, Houmont, Rechrival et Tillet dans la commune de SainteOde et résidant à Tillet. Je suis d’origine congolaise (Kinshasa), africain. Je vis en Belgique depuis
2003. Je suis comme bien des personnes vos activités et surtout vos actes en faveur de la
population dont l’octroi de la prime mazout aux familles. Et je vous en remercie.
Vous êtes sans nul doute l’une des plus importantes personnalités du Royaume de
Belgique. Je suis impressionné par l’extraordinaire réseau des contacts que votre site web
personnel rend compte. J’y ai passé plusieurs heures et j’ai beaucoup appris. Vous êtes très connu
et vous faites encore bien connaître les autres. C’est tout à votre honneur.
Je me permets de vous écrire à propos d’une phrase que le Journal « L’Avenir du
Luxembourg » vous attribue. Il s’agit de cette phrase bien mise en exergue qui dit : « On a parfois
l’impression lors de certaines compétitions d’assister à un match de championnat d’un pays
africain. » Cette phrase est contenue dans l’article : « Le fisc veut favoriser les (jeunes) belges »
de J.M. paru dans le numéro 22 du jeudi 26 janvier 2006, p.12.
Elle a créé un froid en moi parce qu’elle m’a rappelé quelques phrases semblables qui ont
été émises à propos des situations se passant en Europe ou aux États-Unis mais que l’on a voulu
délibérément attribuer au continent africain. Comme la situation désastreuse vécue par certaines
populations américaines à la suite de l’ouragan Katerina ou la situation de certaines personnes qui
squattaient dans des rues parisiennes durant l’été dernier ! Dans l’un comme dans l’autre cas, les
commentaires ont été les mêmes, à savoir « on se croirait dans des pays africains. »
Ce qui vous est attribué rejoint, à mon avis, cette opinion qui veut que certaines situations
vécues ici soient classées comme n’étant pas d’ici mais plutôt de l’Afrique. Comme quoi les pays
275
africains ou les populations africaines ont une particularité bien spécifique, refusée en Europe et
en Amérique, à savoir, la pauvreté, le dénuement, la médiocrité. Je crains fort que cette opinion,
surtout si elle est relayée, par des personnalités de première importance comme vous, fasse du
dégât envers les Africains au continent et ailleurs.
Je vous prie de bien vouloir user de votre influence et de votre notoriété pour améliorer
tant soit peu les conditions de vie en Afrique, y compris dans le domaine du sport. Vous ne pensez
certainement pas que les Africains soient faits pour mener une vie médiocre, et qui plus est, doit
être étalée sur la voie publique.
Je vous prie d’agréer, Excellence Monsieur le Ministre, mes sentiments distingués et ma
très haute estime. Je vous prie de m’excuser pour ce dérangement.
Tillet, le 01/02/06
276
5. A Mme Martine SIMONIS
Secrétaire nationale AJP
Résidence Palace
Rue de la Loi, 155
B-1040 Bruxelles
Objet : « A propos de la technique du ‘ poisson d’avril’ de la RTBF »
Chère Madame,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre pertinent communiqué sur la technique du « poisson
d’avril » utilisée par la RTBF le mercredi 13 décembre dernier. Votre réaction vigoureuse se
justifie par la gravité de l’événement. Je suis heureux d’apprendre qu’il existe en Belgique une
instance journalistique qui peut veiller sur la déontologie du métier des journalistes.
Je suis ancien journaliste, originaire du Congo, prêtre, curé dans la commune de SainteOde. De nombreux articles de presse, reportages et informations diffusés dans les médias à propos
de l’Afrique et du Congo en particulier me font toujours poser la question de la déontologie du
métier des journalistes en Belgique et ailleurs en Europe, tant ils relèvent plus de la fiction que de
la réalité ; bien plus ils servent une idéologie caricaturale de l’Afrique et des noirs en général, qui
vise le mépris de toute une race d’hommes. D’ailleurs dans le « poisson d’avril » de la RTBF il a
été question de Kinshasa où le roi Albert se serait enfoui d’après ce que j’ai appris. Ceci tendait à
jeter de l’opprobre sur le Roi et surtout sur Kinshasa, lieu sauvage où les Belges peuvent jeter leur
roi quand ils n’en veulent plus ou qu’il ne leur sert plus, d’autant que depuis son accession au
trône, le Roi Albert n’a jamais été au Congo. Sa fuite à Kinshasa rejoint le cliché ou la
présentation légère de Kinshasa, dans divers médias belges dont la RTBF, comme ville sale,
désorganisée, abandonnée, lieu de non vie ou lieu de vie à la « nègre ».
Je trouve que l’indignation générale qu’a suscitée ce « poisson d’avril » ou plutôt ce «
singulier poisson de décembre » en Belgique à propos de la fuite du roi, devrait s’étendre sur le
choix de son lieu d’exil, car ce choix n’est pas fortuit. Il existe d’innombrables endroits autrement
appropriés d’exil pour le roi en Europe. C’est pour cela qu’il serait décent que la RTBF présente
ses excuses au peuple congolais qu’elle a ainsi traîné dans l’opprobre en jetant un discrédit gratuit
sur la capitale de leur pays.
Je vous remercie de votre attention.
277
Tillet, le 18 décembre 2006
C.I.
- M. Jean-François BASKIN, Président du Conseil d’Administration de la RTBF
- M. Jean-Paul PHILIPPOT, Administrateur Général de la RTBF
278
6. Godé MAYOBO
Ministre près le Premier Ministre
Kinshasa/Gombe
Très cher Godé MAYOBO,
0. Mbor’ako en espérant vraiment que tu te portes bien, très bien. Tout d’abord toutes mes
félicitations pour tes performances politiques remarquables et dignes d’éloges. C’est peut-être tard
de le dire maintenant, mais j’ai déjà essayé de t’atteindre à deux reprises sans succès.
1. Je suis avec beaucoup d’intérêts votre action gouvernementale, d’abord parce que tu es là
et ensuite parce que vous êtes à mon sens le dernier espoir de notre peuple, je veux dire votre
régime actuel, pour beaucoup des raisons que je ne voudrais pas évoquer ici, mais que tu connais
bien.
2. Mais je déplore une chose, c’est votre manque de communication, non pas à travers les
médias – du reste ignorés de notre population – mais directement à celle-ci. Pourquoi le vieux
attend-il d’être dans son cercueil pour parler à son peuple qui ne veut que l’entendre. Il faut, à mon
avis, renouer avec les meetings pour expliquer à la population votre ligne d’action et aussi pour
l’encourager. Ce que fait le Président de parler à la population à travers les médias est une erreur,
car tous les médias confondus ne sont pas écoutés par la population. Il faut qu’il parle à la
population, qu’il l’informe, pas en français bien entendu mais en swahili. Les gens lui seront
indulgents. Et qu’il y ait un bon interprète pour le Kikongo et le lingala (s’il faut utiliser cette
langue à Kinsahsa). Et ailleurs faire la même chose dans les différentes langues parlées et
comprises par la population. Je t’assure que ces contacts du Président et de notre vieux vont
décrisper l’atmosphère. Je pense par exemple que « la fameuse grève » des enseignants n’aurait
pas eu lieu s’il y avait eu des contacts explicatifs envers la population.
3. Cher Godé, excuse-moi de sembler te donner des leçons, mais ce n’est pas mon but, tu le
sais. J’essaie seulement de te donner quelques avis à partir de mon analyse de la situation et de
mes convictions personnelles. J’ai été à Kinshasa, Bandundu et Kikwit en juin dernier et j’ai fait
beaucoup d’observations. Je pense que votre projet de construction d’une autoroute pour relier
l’aéroport au centre-ville est une erreur, car cette route ne contribuera pas à désengorger la ville,
que du contraire. Elle ne servira pas non à la population, concentrée à la périphérie. Elle va
contribuer à accentuer le ressentiment de la population envers l’élite profiteuse, car c’est pour
279
l’élite et leurs complices étrangers (diplomates et hommes d’affaires etc) que sera construite cette
route. Il ne faut pas oublier que le centre-ville qui s’accapare de toute l’administration centrale du
pays, est complètement excentrique et est bâti sur le modèle d’appartheid sud-africain de
séparation de la population, appliqué par les Belges chez nous et qu’ils ont laissé, que les
« évolués » ont perpétué et que vous accentuez encore malheureusement. Il faudra, à mon avis et
pour honorer la mémoire des nombreux martyrs depuis la traite jusqu’aujourd’hui, que le centreville soit au cœur de la ville, c’est-à-dire entre Kasa-vubu, Kalamu et Lingwala. C’est là le cœur
de la ville et non au lieu actuel qui est comme une prison sans perspective de développement.
4. C’est pourquoi je te prie d’essayer de jouer de ton influence pour que ce projet ne réalise
pas. A la place, que l’on construise une voie ferrée qui relierait l’aéroport à la périphérie ouest en
passant par la périphérie est avec prolongement jusqu’à Maluku d’une part et d’autre part avec
prolongement jusqu’à Brazzaville avec la construction sine quo non d’un pont entre les deux rives.
Ceci nécessitera des négociations avec les autorités d’en face, ce qui est bien faisable. Je rêve que
ce chemin de fer puisse se prolonger jusqu’à Bolobo pour pouvoir réduire la distance entre
Mbandaka et Kinshasa et ouvrir ainsi le bassin de notre fleuve à l’exploitation nationale et plus
seulement en faveur des étrangers qui nous tuent. Si vous réalisez cet ouvrage, la population vous
en sera reconnaissante à jamais, car elle sera libérer véritablement. Elle pourra enfin se mouvoir
librement de Matadi à Pointe-Noire, de Pointe-Noire à Bolobo et Kinshasa jouera son rôle de lieu
de passage et de commerce privilégié. Je t’en supplie, Godé aide notre population à vivre, ne
contribue pas à la maintenir dans la prison de Kinshasa qui ne fait que nous reculer.
A bientôt.
Tillet ce 07/10/07
280
Tillet ce 07/10/07
7. A M. Pierre LUMBI
Ministre d’Etat aux Infrastructures et à la reconstruction
Kinshasa-Gombe
Objet : Ma contribution au décollage économique de notre pays
Monsieur le Ministre d’Etat,
Vous êtes certainement surpris de recevoir une lettre d’une personne que vous ne connaissez pas.
Et c’est bien sûr pour une demande. Excusez-moi. Par la présente je me permets de vous apporter
ma petite pierre ou ce que je crois l’être à la lourde tâche qui vous a été dévolue, car c’est sur vous
que reposent les immenses espoirs de la population congolaise pour la relance rapide de notre
économie nationale.
C’est une proposition en quelques points que je viens vous faire pour ce que j’appelle une relance
rapide de l’outil économique en minimisant le coût étant donné les innombrables défis auxquels
notre gouvernement doit faire face. J’ai publié cette proposition sur Internet et plusieurs amis
m’ont suggéré de vous la soumettre directement. En voici le libellé :
1. Engager rapidement des pourparlers avec le gouvernement du Congo Brazza afin
d’ériger ensemble un pont-rail sur le fleuve Congo entre les deux villes : Kinshasa et Brazzaville.
Ceci permettra à la population kinoise de bénéficier des infrastructures existant de l’autre côté de
la frontière notamment le port de Pointe-Noire ; d’autre part les populations congolaises (Rdc) qui
se trouvent à Bolobo et plus loin et qui arrivent à Kinshasa par Brazza, où il existe une route
bitumée en face, pourront atteindre plus facilement la capitale. Il en sera de même des populations
de Mbandaka, Bumba, voire Kisangani.
2. Prévoir une liaison ferroviaire rapide entre l’Ouest et l’Est de Kinshasa par le
contournement allant de Brazzaville à Maluku d’une part et une autre liaison reliant Maluku au
centre-ville actuel en passant par Kinkole, Ndjili-Airoport, Masina, Kingabwa, Ndolo, Gombe,
Kintambo, Ngaliema.
281
3. Relier ce contournement à la ligne actuelle qui va à Matadi et plus tard prolonger la voie
ferrée vers Bolobo à partir de Maluku-Kwamouth-Masha-Kwa-Lediba-Bolobo avec une bretelle
sur Bandundu-Ville.
4. Demander une étude de faisabilité pour une voie ferrée reliant Bolobo à Dekese-Kole,
ceci afin d’ouvrir les richesses de notre forêt à la population. Bolobo deviendrait ainsi un centre
important, une véritable plaque tournante pour la relance de l’économie en ouvrant plus
sérieusement le bassin du fleuve Congo au commerce en faveur des congolais.
5. La voie de Bandundu-ville pourra aussi être prolongée jusqu’à Ilebo avec des bretelles
sur Bulungu, Kikwit, Gungu, Idiofa, Thsikapa, ce qui permettra aussi une meilleure exploitation
du bassin du Kasaï.
6. En ce concerne l’Est du pays nous nous réjouissons de la bonne nouvelle de la
réouverture du pont de Nyma ; il faudra faire la même chose avec les autres parties en ouvrant
rapidement les frontières burundaises et rwandaises. La guerre et ses divisions doivent être
désormais derrière nous.
Je vous suggère donc une politique de concertation et de collaboration régionale pour un décollage
économique à moindre frais et une exploitation économique visant le marché intérieur et
intercommunautaire. Dans ce cadre d’idée, vous pourrez aussi négocier avec les autorités
congolaises de Brazza pour construire un autre pont sur le fleuve au niveau de Luozi afin de relier
Brazzaville à Luanda en passant par
Matadi. Ceci nécessitera la suppression des barrières
douanières entre nous et nos voisins dont la Zambie et la Tanzanie pour ce qui concerne le SudEst de notre pays.
En ce qui concerne les travaux à entreprendre dans la ville de Kinshasa vous pourrez compter sur
les trois ou quatre millions des personnes qui déambulent tous les jours à travers les rues à la
recherche du travail. Ils en seront enchantés et ceci amènera une véritable paix sociale. On pourra
dire adieu aux sempiternelles et improductives journées villes mortes.
Une telle politique va favoriser le décollage rapide de notre économie à moindre coût et profitera à
notre population. Les emprunts négociés dans cette optique seront bénéfiques et pourront
facilement être remboursés.
Voilà, cher M. le Ministre d’Etat, les quelques considérations que j’aie voulu vous soumettre
comme ma modeste participation dans ce travail que vous voulez entreprendre pour notre bien à
tous.
282
Je vous bénis, je bénis l’ensemble de votre personnel ainsi que votre famille.
Tout en vous assurant de ma très haute considération, je vous prie de croire, M. le Ministre d’Etat,
je vous réitère mon soutien et je reste à votre disposition pour la poursuite de la discussion.
Tillet, le 15 mars 2007
C.I.
- M. Olivier KAMITATU ETSOU, Ministre du Plan
- M. Godéfroid MAYOBO NGATIEN, Ministre près le Premier Ministre
283
8. A M. Nicolas SARKOZY
Président de la République de France
Président de l’Union Européenne
Palais de l’Élysée
Rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
Objet : Sauvez les populations du Kivu
M. le Président,
Vous êtes certainement surpris de recevoir une lettre de quelqu’un que vous ne connaissez
pas. C’est bien sûr pour une demande. Excusez-moi.
Je suis prêtre originaire du Congo (RDC) et je vis à Tillet, un petit village des Ardennes belges, où
je suis curé. Et je suis comme tout le monde avec une profonde tristesse la tragédie qui se passe
sous nos yeux au Kivu.
Il y a quelques années, nous avions suivi les larmes aux yeux, la tristesse aux cœurs, la
même scène, la même tragédie, d’abord au Rwanda et ensuite au Congo, dans cette même région.
A l’époque le monde s’était dit plus jamais ça.
Quand vous avez été élu, vous avez reçu un accueil populaire, parce que comme Barack Obama
aujourd’hui, vous vouliez être un Président du changement, un Président d’un style nouveau.
Vous avez si bien dit que votre exercice du pouvoir sera nouveau aussi bien pour la France, votre
pays, que pour le reste du monde. Vous voulez une politique de la civilisation, plus de barbarie,
plus d’intérêt sournois ou machiavélique. Et vous l’avez prouvé depuis, particulièrement avec la
crise en Géorgie.
M. le Président, je vous en supplie, ayez pitié des enfants, des femmes, des vieillards, de
toutes ces personnes qui errent à travers forêts, brousses, rivières et savanes pour fuir la mort que
leur apportent les armes meurtrières des bandits qui se disent sauveurs. Aujourd’hui ces
populations épuisées, anéanties, ressuscitent en moi les images de celles qui errèrent pareillement
durant des siècles sur les côtes ouest africaines pour fuir les esclavagistes et colons armés des
canons qui les arrêtaient pour les acheminer dans les lointaines Amériques. Que doivent ressentir
ces populations au plus profond d’elles-mêmes ?
Aujourd’hui, elles ne demandent pas qu’on leur donne à manger, même s’elles souffrent
effectivement de la faim, elles veulent retourner chez elles, reprendre leurs métiers, vivre
284
normalement et dignement, produire elles-mêmes leur nourriture. Le Kivu est le grenier du Congo.
Elles demandent d’être sécurisées, elles demandent d’être délivrées de ces bandits rebelles.
M. Le Président, vous pouvez le faire et je vous en prie, faites-le. Il ne s’agit pas d’attendre
un jour, ou deux jours, d’attendre l’issue d’une réunion ou d’une rencontre, il s’agit de sauver des
millions des personnes en proie à la mort. Et celle-ci n’attend pas la fin d’une réunion pour
frapper. Elle frappe.
Tillet, le 05/11/08
C .I. - José Manuel Barroso, Président de la Commission Européenne
-
Yves Leterme, Premier ministre du Royaume de Belgique
285
9. A M. Barack Obama
Président élu des USA
c/o 5046 S. Greenwood Ave, Chicago, Il 60615 2806
USA
Objet : Toutes mes félicitations
Monsieur le President,
Vous êtes certainement débordé par les innombrables messages et lettres qui vous
parviennent de partout. Vous n’êtes donc pas surpris de recevoir une lettre de plus dans la pille de
celles qui vous arrivent d’heure en heure. Ce n’est donc pas le travail qui vous manque en ce
moment si important pour vous, pour votre pays et pour le monde, qui tous en commun vous
regardent et attendent. Ce n’est donc pas le moment de vous déranger. Excusez-moi. Je ne serai
pas long.
Je voudrais juste vous féliciter pour votre brillante élection aux présidentielles de votre
pays. Vous nous avez prouvé que quand on le veut et qu’on a les qualités requises, on le peut. Yes,
we can. Vous êtes maintenant la fierté du monde entier, mais vous êtes d’abord et avant tout la
fierté de votre extraordinaire grand-mère qui vous a initié au monde et à ses dures réalités. Merci à
elle et que Dieu ait son âme.
Je suis prêtre du Kongo, travaillant dans le Diocèse de Namur en Belgique. J’habite un tout
petit village du nom de Tillet. C’est depuis quatre que je suis ici. C’est donc de mon petit village
que je vous ai suivi pas à pas depuis des mois dans votre combat pour la reconnaissance des plus
faibles. Vous avez commencé par les porter et ils vous ont rendu l’hommage et l’honneur que
vous méritez. Merci aussi à tous ceux qui vous ont cru et qui continueront certainement à vous
soutenir.
Ces derniers jours, en même temps que je suivais votre passionnante campagne, je suivais
également une tragédie dans l’Est du Kongo, dans la ville de Goma, une tragédie que je ressentais
en moi comme le désespoir des dizaines des milliers d’Africains qui ont erré telles des bêtes
sauvages à travers forêts, savanes et brousses, pour fuir les esclavagistes armés des canons, qui les
chassaient pour les amener aux lointaines Amériques, là où vous êtes. Je suis attristé que cette
situation puisse encore perdurer jusqu’à ce jour.
M. le Président, je sais que vous avez énormément de travail en ce moment, mais je vous
en prie, faites de votre mieux pour délivrer ces populations de l’Est du Kongo de cette tragédie.
286
Sauvez ces populations, s’il vous plait. Pensez à tous ces enfants qui doivent vivre dans des camps
comme des vaches. Ils ne méritent pas cela. Ils sont des pauvres innocents et veulent vivre et
s’amuser comme vos filles Melissa et Sasha.
Sauvez ceux-là par amour pour celles-ci et que Dieu vous bénisse, qu’il bénisse l’Afrique,
et qu’il bénisse notre monde.
Tillet, le 06/11/2008
287
10. A la rédaction de la RTBF/Radio
Objet : Violences sexuelles à l’Est du Congo
M. et Mmes de la Rédaction,
Je vous écris à propos de votre journal d'hier 8h00 ainsi que celui d'aujourd'hui,
18/01/2008, de la même heure.
Hier vous aviez ouvert le journal par l'appel de l'Ong suisse au Senat belge à propos des
violences sexuelles que les miliciens font subir aux femmes, y compris les bébés de six mois, dans
le Kivu. Cette information est tellement cruelle que vous avez demandé aux enfants qui seraient à
l'écoute de faire attention.
La véracité de l'information ne peut pas être mise en doute car cette situation est connue
dès par le monde et on sait aussi situer son commencement.
Mais ce qui m'a fait tiquer c'est votre silence radio sur la conférence pour la paix, la
sécurité et le développement du Kivu qui se tient en ce moment même à Goma. Vous auriez pu
dire fût-ce un seul mot sur cette conférence, initiative du Gouvernement congolais, qui peut être
présenté comme une lueur d'espoir pour toute cette population meurtrie. Vous auriez pu parler de
cette initiative et l'encourager même à côté d'autres initiatives comme celle du ministre Charles
Michel et des parlementaires belges dont vous avez fait allusion. A mon avis parler de cette
conférence serait une façon de montrer que la population du Congo et celle du Kivu n'adhère pas à
cette horrible culture.
Vous pouvez aussi mieux éclairer vos auditeurs sur l'origine de cette situation, que vous
connaissez très bien. A la conférence de Goma justement, toutes les populations demandent
instamment aux Américains, aux Français, aux Belges, aux Rwandais, Burundais et Ougandais, de
tout mettre en oeuvre pour le retour immédiat des millions des Rwandais qui ont été déversés au
Kivu depuis le génocide rwandais de 1994.
Car le problème est là, ces Rwandais qui errent dans les montagnes et plaines du Kivu, se
sachant non désirés au Kivu et au Rwanda chez eux se comportent comme des condamnés à mort
à qui on accorde quelques heures de vie. Tout le monde devrait s'employer à trouver solution à ce
problème et toutes les initiatives doivent être encouragées même si elles viennent des Congolais
comme c'est le cas avec la conférence de Goma.
Je vous remercie.
Tillet, le 18/01/2008
288
11. Objet : Justice pour les victimes de la traite négro-africaine
A M. Jozef WITTE
Directeur du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme « Le Centre »
138, Rue Royale
1000 Bruxelles
Cher Monsieur le Directeur,
Vous êtes certainement surpris de recevoir une lettre de quelqu’un que vous ne connaissez
pas. C’est bien sûr pour une demande. Excusez-moi.
Je suis prêtre, originaire du Congo (Rdc), curé à Tillet dans la province du Luxembourg.
Depuis mon arrivée en Belgique il y a six ans, je suis presqu’au quotidien et très
attentivement des nouvelles sur la traite des êtres humains. Il s’avère qu’il s’agit essentiellement
des réseaux de prostitution touchant des femmes et des enfants ou bien des réseaux d’introduction
clandestine des immigrants. J’apprécie énormément le travail que vous réalisez en faveur des
victimes qui s’adressent à vous et je vous en remercie en leur nom.
J’ai été très touché notamment par le témoignage d’une ancienne employée de
l’Ambassade belge à Sofia en Bulgarie qui s’est adressée à vous pour la défendre dans la
discrimination dont elle a été victime de la part de sa hiérarchie. C’est du reste à la suite du
reportage réalisé par la télévision à ce sujet que j’ai appris l’existence de votre réputé centre.
C’est ainsi que je m’empresse de m’adresser à vous pour la traite des négro-africains des
15ème – 19ème siècles, que j’estime être la plus grande injustice de l’histoire humaine, jamais
réparée, à l’origine des dérives récurrentes et d’innombrables injustices qui endeuillent notre
monde au quotidien. Je sais qu’à l’heure actuelle et sur la lancée du discours du président français
à Dakar, le 26 juillet 2007, accusant les Africains de ressasser continuellement sur ce sujet (même
s’il est incompréhensible de demander aux Africains de renoncer à la faculté humaine qu’est la
mémoire), la tendance est de banaliser cette grave injustice.
C’est pourquoi je m’adresse à vous, à vos compétences reconnues et dont la réputation
dépasse les frontières de la Belgique, pour vous exhorter de parler au nom des millions des
victimes de cette très sanglante, tragique et injuste page de l’histoire et des relations afrooccidentales. – Car nous, les Africains, nous sommes si faibles et affaiblis que notre voix se fait à
peine entendre. Il faudra d’autres amis pour nous défendre –
Je voudrais vous demander donc que le terme « Traite des êtres humains » soit réservé
uniquement à cette tragédie, ceci afin de faire prendre conscience de l’énormité de ce crime qui
289
n’a jamais connu ni jugement ni réparation. Car les différentes traites dont il est question à notre
époque et auxquelles votre organisation et d’autres font souvent référence n’ont aucune commune
mesure avec ce qui s’est passé en ce temps là, quant bien même ce qui se passe maintenant n’est
pas tolérable non plus et que vous avez tout à fait raison de le combattre conformément aux termes
de l’arrêté royal du 16 juillet 1995.
En effet la « traite négro-africaine des 15ème -19ème siècles dépasse tout entendement quant
à la durée (près de 400 ans soit 146.000 jours), l’étendue (un énorme continent dévasté), le
nombre des victimes connues (on parle de 100 millions). En plus des souffrances innombrables
encourues sur les terres africaines (la conscience populaire ne l’a jamais oubliée jusqu’à ce jour
et c’est encore enfant que je l’ai appris de mon grand-père), le traitement sur le territoire
américain était inouï, d’une rare brutalité.
Des individus, transformés en simples produits commerciaux, passaient de main en main
en une seule journée comme des simples tomates, oignons, ou comme des voitures d’occasion
d’aujourd’hui. Ces négro-africains là ont constitué la première énergie du capitalisme naissant. Ils
constituaient le premier « pétrole humain », l’énergie que le capitalisme avait besoin pour se
développer.
L’Occident s’est d’abord enrichi grâce à cette première énergie avant le pétrole
actuellement. Il ne s’agit donc pas de n’importe quelle traite. C’est pourquoi il est très dangereux
de la banaliser.
Aussi je sollicite que vous puissiez non pas la revaloriser, ceci n’a pas de sens, mais aider
notre monde, particulièrement le monde anglo-saxon, maître du monde, à honorer la mémoire de
ces millions d’anonymes, de ces oubliés, eux dont le sang a bâti la richesse de l’Occident anglosaxon. Vous pourrez trouver d’autres termes pour les faits répréhensibles qui se passent
maintenant et que vous combattez à juste titre.
En ce concerne la traite négro-africaine, ne serait-il pas possible de penser à ériger un
monument en la mémoire des innombrables victimes, à Bruxelles, la capitale de l’Europe
moderne ?
Et pour mettre fin à l’immigration clandestine en provenance de l’Afrique, ne serait-il pas
possible d’envisager la construction d’un tunnel sous l’atlantique qui relierait l’Europe à l’Afrique
à partir du détroit de Gibraltar, à l’instar du tunnel sous la Manche ? Ceci mettrait fin à cette
réédition silencieuse de la traite négro-africaine où la Méditerranée est en train de remplacer
l’Océan atlantique, comme tombe sans tombes des millions des personnes, et où l’Europe
remplace l’Amérique en devenant elle aussi la terre de l’esclavage des noirs. Je sais que ceci
outrepasse certainement vos compétences, mais qui sait… ?
290
Tout en vous félicitant, encore une fois, pour votre excellent travail, je vous prie de croire,
cher Monsieur le Directeur, à l’assurance de mes sentiments distingués.
Fait à Tillet, le 11 mars 2009
291
12. A M. Herman Van Rompuy
Président de l’Union Européenne
c/° Rue de la Loi, 200
B-1049 Bruxelles
Concerne: Relations Europe-Afrique
Monsieur le Président,
En ce moment, si important pour vous, où vous vous préparez à entrer en fonction en tant
que Président de l’Union Européenne, permettez moi de me joindre aux nombreuses personnes à
travers l’Europe et dès par le monde pour vous présenter mes sincères félicitations. Votre
nomination est l’une des meilleures nouvelles de cette année 2009 pour notre monde.
Aussi ai-je suivi avec beaucoup d’intérêt la cérémonie grandiose d’entrée en vigueur de
notre traité fondateur de la nouvelle union européenne le 01 décembre dernier à Lisbonne. Les
discours, la musique ainsi que les feux d’artifice, produits à cette occasion, l’ont été à la mesure de
l’événement. Mais une chose m’a attristé, c’était le manque criant de nos amis Africains à cette
grande fête. Et c’est l’objet de ma lettre. Excusez-moi.
Je suis citoyen belge d’origine congolaise, prêtre, curé de Tillet dans la commune de
Sainte-ode. Je crois que l’heure est venue pour nous Européens d’établir des bonnes relations
amicales et respectueuses avec l’Afrique. Et votre nomination à la tête de l’Union Européenne est
une chance, car vous connaissez bien l’Afrique. Vous y avez vécu, vous avez étudié à Kinshasa,
vous avez certainement des amis africains. De plus, notre continent est à 14 km de l’Afrique. C’est
vraiment la porte d’à côté.
C’est pour cela que cette absence remarquée de l’Afrique à Lisbonne le 1er décembre m’a
profondément déçu. Je vous prie de veiller à remédier à cette situation en invitant, si possible
personnellement, le Président de l’Union Africaine, M. Jean Ping, lors de votre prestation de
serment ou de votre installation comme Président de l’Union Européenne en janvier prochain, et
de mettre l’Afrique à l’honneur. Mieux vaut tard que jamais dit-on.
J’aimerais aussi vous demander de vous investir personnellement pour un véritable
rapprochement, une véritable réconciliation de l’Europe avec l’Afrique à travers la construction
292
d’un tunnel sous l’Atlantique entre l’Espagne et le Maroc pour relier nos deux continents, et non
plus par l’intermédiaire des organisations non gouvernementales et des projets multiples.
L’Afrique le mérité, elle qui a tant donner à l’Europe, depuis le commerce triangulaire du 15ème au
19ème siècle, en passant par le découpage de Berlin de 1885, la colonisation qui s’en est suivi ainsi
que la coopération actuelle, sans oublier non plus le canal de Suez, construit par les Européens à
l’avantage exclusif de notre continent sans aucune compensation pour l’Afrique et qui, en plus, a
complètement isolé l’Afrique du reste du monde ; on pourrait aussi ajouter les acquis scientifiques
et techniques de l’Égypte ancienne, les apports considérables des Anachorètes et des Pères de
l’Église originaires de la même Égypte pour notre continent.
Un tel ouvrage permettra aux jeunes africains de s’ouvrir à l’Europe et d’adapter euxmêmes chez eux les prouesses technologiques qu’ils y auront vues comme ce fut le cas jadis des
jeunes grecs et romains venus séjourner en Égypte. Car c’est injuste, à l’heure de la
mondialisation, que les jeunes africains soient interdits de séjour ailleurs que dans leur village,
sinon en tant que « sans papiers ». Ceci ne pourra jamais permettre un développement adéquat des
Africains ni les rétablir dans leur dignité.
Il est temps à mon avis, que nous réparions toutes ces injustices par la construction de ce
tunnel sous l’Atlantique et pourquoi pas d’un autre sous le canal de Suez pour sceller une véritable
mondialisation des relations entre notre continent, le continent africain, et le continent asiatique, si
proches tous les trois et ayant un destin commun depuis des millénaires.
Je demeure convaincu qu’une telle entreprise, certes coûteuse, mais qui est une grande
ouverture vers les autres dans le respect, amènera la paix chez nous autant que l’est l’ouverture
vers l’est européen actuellement. Elle permettra en outre de mettre fin aux naufrages quotidiens
des jeunes africains en route vers l’Europe. Nous ne pouvons pas nous réjouir de cela. C’est une
plaie à notre continent dont les destinées vous sont confiées dès à présent. Veillez à le marquer de
votre empreinte personnelle, s’il vous plait.
Voici donc, cher Monsieur le Président, ma modeste contribution dans l’exercice difficile
sinon périlleux de votre nouveau mandat à la tête de notre continent.
Veillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.
Fait à Tillet, le 14 décembre 2009
293
Bangogo ya Kikongo
A : Kisono yantete ya ndinga na beto. Na kimvuka bisono
ngolo na bitini yai. Na zulu ti na nsi na ntoto ya
kele kumi na nana A ti kuna Z.
kuyuma kele nzadi mwungwa. Ntoto ya Afrika kele
Aa : Ndinga ya ntima sambu na kusonga kulemba go
na bamasa mingi yanene bonso nzadi Kongo, nzadi
kubwisa maboko, kuvidisa kivuvu. Na mene-mene, bantu
Nilo, nzadi Gambia, nzadi Zambezia, nzadi Nigera,
mingi ke basisa mupepe na ndinga ya ngolo nde « aa .»
nzadi orangia. Bantu ya mayele mingi bonso mbuta
Kiteso mosi, kana bo me lemba mingi na nkokila, bo ke
muntu Cheik Anta Diop ke tuba nde kimvuka ya
tuba mpi aa na ntwala ya kwenda kulala. Mbala yankaka
bantu ya ntoto me butuka na ntoto Afrika. Bo me
kana mpangi ke zabisa nsangu ya ntantu, kimbefo go lufwa,
bilama kuna, na nima bo me yantika na kukwenda
yina ya ke wa yo mbala yantete ke tuba « aa » sambu na
ndambu na ndambu na Asia, na Mputu, na Amerika.
kusonga nde yandi ke yituka.
Ntoto Afrika me basisa bimfumu mingi na ngolo
Afrika
: Ntoto yanene na kati-kati ya banzadi
bonso Kimfumu ya Zipiti ya bafari na zulu kibeni,
mungwa iya. Nzadi mungwa ya nsi Zipiti na zulu,
Kimfumu ya Etiopia, Kimfumu ya Nubia, Kimfumu
nzadi mungwa na beto na nsi ti na ndambu ya ntangu
ya Mali, Kimfumu ya Zulu na nsi kibeni, Kimfumu
ke dindaka, nzadi mungwa ya india na ndambu ya
ya Kongo, Kimfumu ya Zimbabwe, Kimfumu ya
ntangu ke basikaka. Ntoto Afrika me yantika na nsi
Awusa, Kimfumu
Muroko na zulu ti na nzi Azania na nsi. Yo me
Asanti, Kimfumu Yerubia. Bimfumu yai yonso me
yantika na nsi Kenia na diboko ya kimama ti na nsi
sadisa na kutomisa ntoto yamvimba, na kutunga yo.
na beto Kongo na diboko ya kitata. Ntoto ya Afrika
Kimfumu ya kuluta nene kele yina ya Bafari na nsi
kele na nene kiteso ya 30.224.000 km². Ntoto ya
Zipiti. Bo me sala mambu mingi ya mayele. Na
Afrika me kabwana na kati-kati na nzila ya nene na
ntangu ya ntama bantu vandaka mingi na ntoto
zulu na zina « ndambu na ndambu kiteso mosi » go
Afrika. Kinkita vandaka ngolo na kati ya Afrika ti
ekwater. Lweka na lweka na nzila yai ya nene, kele
Asia, ye mpi ndambu ya Mputu. Kansi Afrika me
mfinda yanene ya Afrika, mfinda ya nda kibeni ke
vutuka nina sambu na kimpika ya mindele. Bo me
baka nsi na beto Kongo, nsi Kabo, nsi Ubangi, nsi
katuka na bansi na bo na Mputu, ye me kwisa
Kamero. Kitini yai ya ntoto Afrika kele na
kukanga bana ya Afrika na kingolo-ngolo sambu na
bimvwama mingi : banti yanene-nene, bambisi ya
kunata bo bonso bampika na ntoto ya Amerika na
mutindu na mutindu, baniama mingi, matadi ya ntalu.
kwenda kusala na bilanga ya nkuku, ti na kutimuna
Na zulu ti na nsi ya kitini yai ya kati-kati ya Afrika,
makala. Mindele vandaka kukanga bana yina ya
ke yantika ntoto ya bangumba, kuna kele matadi
Afrika bansinga na maboko ti na makulu, bo
mingi ya ntalu. Na ndambu ya diboko ya kimama
vandaka kutula bo na nsinga bonso bambisi ti na
kele bizanga yanene-nene bonso Tanganika, Kivu,
maswa sambu na kunata bo na Amerika. Na kati ya
Bunganda. Na zulu ti na nsi ya kitini yai ya
maswa bantu yina, bankento, bana, ti babakala, ya
bangumba, kele banseke yanene-nene ya kuyuma,
bo vandaka kusumba na mbongo na zandu bonso
masa ve, banti ve : nsi makanga. Ntangu kele ya
manioko, bo vandaka kutula bo na bankwebe. Kuna
ya Mandeng, Kimfumu ya
294
mingi vandaka kufwa. Bayina vandaka kubika bo
Kato”, “Ambiance”, “Bolingo lokola like”, “Tika
vandaka kuteka bo diaka kuna na ntoto na Amerika.
makelele na ndako”.Bonbon sucré”. Na mvula 1960,
Mbala mingi, muntu mosi bo vandaka kuteka yandi
bana ya African Jazz kwendaka na mbanza Bruzel,
ata mbala kumi go makumi zole bonso kima ya
kifulu ya bambuta ya nsi vandaka kunwanina
mpamba. Bo ke tuka nde na mambu yai ya kimpika,
kimpwanza ya nsi na beto na maboko ya besi Belsi.
bana ya Afrika kiteso ma milio nkama mosi me
Bo basisaka nkunga “Independance Tcha-Tcha.”
kufwa na maswa. Disonga nde mindele mene
Nkunga yai ya mbuta muntu Josef Kabasele
kumanisa bana ya Afrika na kimpika ya konda
Tshamala basisaka na mpenza kimpwanza ya nsi na
dikambu. Na nima ya kimpika yai, na ntangu ya bo
beto na meso ya mukidi mubimba.
mosi me mona nde bo me lutisa, bo kwisaka diaka na
Ala : Zina ya Nzambi ya ba musulmani bonso
ntoto ya Afrika na kwisa kuyala bayina ya bikalaka.
Nzambi-Mpungu na beto. Yandi kele kaka yandi
Yo yina bo me kabisa ntoto Afrika na tubitini-bitini,
mosi Nzambi, yankaka kele ve. Ba musulmani ke
bo me pesa tubitini yina zina ya bansi. Bo me yidika
tubaka ntangu yonso nde Ala kele yanene, muntu
makambu yai na Mputu na bwala Berlin na mvula
kele ya ndwelo.
1885. Kuna ata mwana mosi ya Afrika me vanda ve,
Aleluya : Nkembo na nzambi. Mutindu bakristu ke
kaka bo na bo, bamfumu ya mindele. Bansi yai ya bo
vutula na nzo-nzambi keti na bisambu sambu na
me ganga kele kaka yai ya kele ti bubu yai. Yo ke
kusonga nde bo ke kumina nzambi.
landa ve ata ndilu mosi ya bambuta bikaka. Yo ke
Alo : inga, mono kele. Mutindu ya kundima na nzila
landa kaka bandilu ya kimpika.
ya nsinga. Kana mpangi me binga nge, sambu na
Afrika-Jazz : Kimvuka yantete ya miziki ya nsi na
kundima na ntangu ya nge ke nangula nsinga, nge ke
beto na ntangu ya luyalu ya kingolo-ngolo ya ba
vutula alo.
belisi. Kimvuka yai me basika na luzolo ya mbuta
Alumani : nsi ya nene na kati-kati ya ntoto ya
muntu Joseph Kabasele Tshamala. Kimvuka yai me
Mputu. Nzadi yanene na zina ya Rina ke luta na
yantika na mvula 1953 na mbanza Léo. Kimvuka yai
kati-kati ya nsi Alumani. Nsi yai kele ya ntama. Yo
me yantika ti bantu kumi na mso. Kallé Jeef, Charles
kele ndilu ti bantu ya ndambu ya nsi ya Mputu, na
Mwamba Dechaud, Masta Zamba, Antoine Kaya
zina ya ba Latino. Nsi Alumani kele luswaswanu ti
Depuissant,
Isaac
bansi ya ndambu ya nsi ya Mputu na ndinga ya
Musekiwa, Dominique-Willy Nkutima, trompettiste,
kutuba, na mutindu ya kusala bisalu, na mutindu ya
Menga André, Albert Dinga, Dialuvila Baskis,
kutunga bwala. Nkabwana yai vandaka kunata
Tumba ti Roger Izeidi Mukoy. Kimvuka yai me pesa
bimbeni ti bitumba. Besi Alumani kusukisaka
kiese na besi Kongo mvimba ti na besi Afrika. Bo me
kimfumu ya bantotila ya kimfumu ya Roma. Na
yimba bankunga mingi ya kitoko, bankunga ya me
nima bo kuyalaka na ntoto Mputu yamvimba. Na
kinisa bimvuka ya bantu mingi bonso “Parafifi”,
bamvula 1939-1945, mfumu yanene ya Alumani na
“Afrika mukili mobimba”, “Independance Tsa-Tsa”,
zina ya Itiler Adolifi kotisaka luyalu ya ntitisa na
“Khelya”, “Jamais Kolonga”,
“Chauffez Afrika
Mputu ya mvimba. Makesa na yandi kotaka na bansi
Jazz”, “Ba Nzambe”, “Mira”, “Keba Mama”,
yonso ya Mputu yantika na zulu ti na nsi, bo kitulaka
“Bandumba ya Léo”, Basi ya African Jazz, “Kallé
besi Mputu yonso bampika. Ye bo kufwaka Besi-
Tumba,
Albert
Taumani,
295
Yuka mafunda ti mafunda bonso bambisi. Bo
Amerika me kabwana na bantoto zole ya nene, na
vandaka kukanga bo na basuku ye kulosila bo nkinsi
kati-kati, ntoto bonso mukila me kangisa bantoto yai
sambu na kufwa bo na mbala mosi, na nima bo
zole. Ntoto ya zulu yeke Amerika ya zulu, ntoto ya
vandaka kuyoka bamvumbi na tiya ya nene na kati ya
nsi kele Amerika ya nsi ye na kati-kati, kele
banzo. Yo vandaka mawa kibeni. Yandi kanaka
Amerika ya kati-kati. Amerika ya nsi ti ya kati-kati
kumanisa Besi Yuda yonso, nde ata mosi bikala
kele tiya-tiya bonso Asia ya sudi, bonso ntoto na
diaka ve na luzingu. Kansi yandi lungisaka ve lusilu
beto ya Afrika. Yina ya zulu kele madidi mingi
na yandi yina, mpamba ve Alumani belaka
bonso Mputu. Amerika ya sudi kele na banzadi
bitumba.Na nima ya bitumba yai yanene, Alumani
yanene
kabwanaka na bitini zole, mosi na zulu mosi na nsi.
bamfinda yanene, bangumba yanene bonso kimvuka
Bansi yai zole kumaka bambeni. Bo vandaka kutana
ya bangumba ya Anda. Amerika ya zulu kele na
diaka ve ye bo tungisaka kibaka yanene na kati-kati
banzadi yanene zole, Misisipi ti Misuri. Yo kele mpi
ya bansi yai zole sambu na bantu kukutana diaka ve.
ti bamfinda yanene na zulu kibeni. Amerika ya zulu
Bo me bwisa kibaka yai na mvula 1990. Bubu yai nsi
kele na bansi tatu : Kanada, Kimvuka ya bansi ya
Alumani me vukanaka diaka. Ye yo kele nsi yanene,
Amerika, ti Meksika. Amerika ya nsi kele na bansi
nsi ya mbongo. Nsi Alumani ke basisa mbongo
mingi. Ya kuluta nene kele Brasila, Argentina,
sambu na lutungu yampa ya Mputu ya bo kubebisaka
Paragwa. Na kati-kati, bansi kele kaka ya fioti-fioti.
na bitumba.
Ntoto ya Amerika me baka luse na yo ya bubu yai
Ambun : m.Bambunda, kikanda yanene ya bantu na
ntama mingi ve, na bamvula 1482, ntangu mindele
ntoto Kwilu. Bambunda me kangama ti Bampende na
ya nsi Mputu me kuma mbala yantete na ntoto yai.
nsi, Bayansi na zulu ye Basielele na lweka. Bambuta ke
Ntete bo vilaka, bo vandaka kusosa na kukwenda na
tuba nde Bambunda vandaka kuzinga ntete na lweka ya
ndambu ya India, ibuna bo kwendaka kumonika na
Angola, na ntoto ya Mani Kongo. Kuna bo vandaka
ntoto yai. Bo bingaka yo ntoto yampa, sambu
kikanda yanene. Na bamvula 1962 ti kuna 1964, ntoto
bambuta na bo kuzabaka yo ve, bo yindulaka mpi ve
ya Bambunda monaka mpasi mingi na bitumba ya
nde ntoto yina ke vandaka. Na ntangu ya mindele
Mulele sambu na kunwanina kimfumu ya nsi na beto na
me kuma kuna mbala yantete, bo me zola ntoto yina
maboko ya bambeni ya Lumumba. Bantu mingi
ye bo me kana na kutunga bwala na bo kuna. Yo
kufwaka ye mabwala mingi kuzikaka tiya. Ti bubu yai
yina bo me nwana ti bankwa nsi yina, bayina
Bambunda me vilaka ve bitumba yina.
vandaka kuzinga kuna tuka ntama. Bo me manisa bo
Amen : Inga, mono me ndima. Mutindu ya kundima na
na kufwa, bikanda na bikanda ya bankwa nsi yina
nzo-nzambi sambu na kusonga nde mono me ndima yina
mene mana na bitumba ti mindele ye mindele mene
ya nge ke tuba. Amen kele na ndinga ya Besi Yuda na
botola nsi yina. Bo mene pesa yo zina ya Amerika.
zina ya Kiebrayi.
Na ntangu ya besi nsi mene mana na kufwa, sambu
bonso
Amazonia,
Paragwa,
Parana,
Amerika : Ntoto yanene na kati-kati ya
nzadi
na kutunga bwala, mindele mene kwenda kukanga
mungwa
beto,
bantu ya ntoto ya Afrika bonso bampika ye bo mene
Atalantika. Ntoto yai kele ya kuluta bunda na bantoto
nata bo na Amerika sambu na kusadila bo na bilanga
yonso. Yo me bendama nda na zulu ti na nsi.
ya nkunku ti ya kafe. Bambuta na beto mingi mpi
pasifika,
nzadi
mungwa
ya
296
mene mana na kufwa na bimbefo, nzala, kuniokola.
nene ya me songa bantu yonso ya ntoto nzila ya
Bayina mene bikala kele ndambu ya bandombe yina
Nzambi Ngangi ya bantu me butuka ye me zinga na
kele na nsi Amerika, na nsi ti na zulu, bambuta na bo
ntoto Asia bonso Moamedi, Yezu, Moyize, Abram,
mene vanda bampika ya mindele. Ti bubu yai
Buda. Ntoto Azia kele ntoto ya bimvwama ya
mindele ya Amerika ke monaka bandombe ya
mutindu na mutindu. Kimvwama ya kuluta nene ya
Amerika bonso bampika, bantu ya mpamba. Yo yina
ntoto Azia kele pitrol ya ke zingisa mukidi ya
sambu na bantu ya Afrika, ntoto ya Amerika kele
mvimba. Mabulu ya kuluta nene ya pitrol kele na nsi
ntoto ya kimpika, ntoto ya me katulaka luzitu na
Arabia, nsi Irakia, nsi Koweti, nsi Irania. Ntoto Asia
bantu ndombe ya ntoto Afrika.
kele na banzadi mungwa mingi : nzadi ya mbwaki,
Angola : nsi ya nene ya ntoto na beto Afrika. Yo kele
nzadi ya ndombe, nzadi ya India, nzadi ya Pasifika.
na ndambu ya nsi ya nsi na beto Kongo. Ntu—
Bantu mingi na Azia ke dia loso. Ntoto ya Azia kele
mbansa ya Angola kele Lwanda, ntama mingi ve ti
ntoto ya kuluta bantu. Kuna bantu kele bonso
Boma na nsi ya Mbanza-Kongo. Na ntangu ya
bansalafwa, mingi kibeni. Nsi ya kuluta bantu kele
bambuta na beto, Angola vandaka ntoto ya Mani
nsi Sina. Mindele ya Mputu kumanisaka ve bantu na
Kongo.
ntoto yina, yo yina bo kele mingi kuluta Afrika,
Armstrong Louis (1901-1971) : muntu ya Amerika,
Amerika ti Oseania. Tuka ntama ntoto Azia kele
mwisi nsi-Afrika, bambuta na yandi vandaka bampika
ntoto ya kinkita. Besi Afrika ya Uesti ke sala kinkita
ya mindele. Yandi me vanda mubudi miziki yanene,
ti besi Azia tuka bambuta ya ntama kibeni. Na
trompeti. Yandi me pesa lukumu na miziki ya bana ya
ndambu yina besi Afrika ti besi Azia ke vukana
Afrika na ntoto Amerika. Yandi kwisaka kubula miziki
mingi, mpamba ve na ntangu yina ntoto Afrika ti
na Kinsasa.
ntoto Azia vandaka ya kuvukana kumosi, na lweka
Azia : Ntoto yanene na kati ya Mukidi. Yo me
ya mongo Sinai. Bantu ya Azia vandaka kukwisa na
simbana ndambu na ntoto na beto Afrika na lweka ya
makulu na Afrika ye bantu ya Afrika vandaka
ntoto Egipiti, na kifilu ya bo me timuna nzila ya nene
kukwenda na makulu na Azia. Nsi Egipiti vandaka
ya masa na zina ya Swezi, ibuna ntoto Asia me
ndambu na ntoto Afrika, ndambu na ntoto Azia.
kwenda ti kuna na lweka ya ntoto Alasika na zulu ya
Bana ya Afrika ti bana ya Azia vandaka kuzinga na
Siberia na ntoto ya Rusia. Asia kele nene kibeni
kimpangi kibeni. Kansi kimpangi yai ti kinkita ya
kiteso ya ba km² midilio 44. Yo kele ntoto ya kuluta
Afrika ti Azia, mene fiotunaka mingi tuka ya
nene na kati ya bantoto yonso ya Mukidi. Bantu ya
mindele ya Mputu me tobolaka nzila ya masa sambu
ke zinga na ntoto Asia kele kiteso ya midiyar tatu na
na kuvukisa nzadi mungwa ya Afrika ti nzadi
ndambu, mingi na nsi Sina ti nsi India. Ngumba ya
mungwa ya Mputu na nsi Egipiti na kifulu ya bo ke
kuluta nda na ntoto mvimba kele na ntoto Asia, zina
binga Kanali ya Suezi. Mambu yai mene kusalama
na yo Imalaya. Asia kele mpi ntoto ya bimfumu ya
ntama mingi ve na mvula 1879. Tuka ntangu yina
ngolo-ngolo, bimfumu ya me tungama tuka ntama
besi Afrika ti besi Azia mene kabwanaka, kinkita ya
bonso kimfumu ya ba Mongolo, kimfumu ya
kieleka me kumaka ya besi Mputu ti besi Azia. Besi
Sangayi, kimfumu ya ba Indu, kimfumu ya Yaponi,
Mputu ti bampangi na bo ya Amerika mene tulaka
kimfumu ya Siria, kimfumu ya Persia. Ba profeta ya
minduki ya ntitisa na kati ya baswa ya nene-nene
297
sambu na kutanina kinkita na bo, nde bantu yankaka
Ata : ngogo ke yita kisono kidiambu sambu na
kutula ve mbombo kuna.
kutuba mambu ke kwisa. « Mono ata kwisa, mono
Avio : ndeke-zulu. Masini ke tambula na zulu bonso
ata dia, mono ata yindula », bubu, mbasi go mbasi-
ndeke. Yo ke tambula nswalu ye ke nata bantu go
mbasi. Ata, ke songa mpi ngogo ya ke yita muntu ya
bima. Avio kele ya mutindu na mutindu, yanene ti ya
ke tuba go yina ya bo ke tubila. « Ata nge nani, ata
fioti. . Tuka ntama, bantu mingi vandaka kusosa
mono yai ».
mayele ya kutambula na zulu bonso ndeke. Muntu
Atalaku : aa beno tala, si beno tala, zina ya miyibi
yantete mene zaba mayele yina kele Clément ADER,
na bimvuka ya makinu. Kisalu na bo kele kunatisa
mwisi Fransa. Yandi mene sala avio yantete na zina
bantu na makinu, disongidila kupesa ntomo na
ya Eole. Na mvula 1890, yandi mosi mene kota na
makinu. Zina yai me basika na ngogo kutala.
masini na yandi ye mene tomboka na zulu bonso
Atandele : Ti kuna… Kilumbu ikele…Ata
ndeke. Bo ke tuba nde yandi kele tata mene yantika
mpasi ke pela bubu yai, atandele yo ata mana,
mambu ya ba avio. Na nima na yandi bantu yankaka
kiese ata kwisa mpi. Miyimbi mingi ke yimbaka
mingi mene landa mbandu. Bavio mene kuma ya
atandele sambu na kupesa bantu kikesa.
mutindu na mutindu. Na mvula 1903, mbuta ti leke
WRIGHT, besi America, mene tunga avio yantete ya
mapapu. Bubu yai avio ke tambula ntinu kuluta
makelele ya ndinga, kiteso ya ba km 1000 na ntangu
mosi. Yo yina avio ke sala kiteso ya ntangu
nsambwadi yantika nsi na beto Kongo ti na Mputu, ba
km 8000. Kansi bubu yai avio me kuma kima ya
kigonsa kibeni. Bantu mingi ya ntima mbi ti ya nku
ke sadila avio sambu na kumanisa bantu. Bo ke fulusa
minduki na kati sambu na kwenda kumanisa bantu.
Na mvula 1945, makesa ya nsi Amerika mene tula
minduki ya ngolo na zina ya bomb na avio, bo me
kwenda kulosa yo na zulu ya ba mbanza zole na nsi
Yaponi. Bantu mene kufwa kiteso ya mafunda 50.000
na kilumbu mosi. Na mvula 2001, bimpumbulu mene
botola ba avio iya na nsi Amerika, bo mene kwenda
kubwisa yo na bibaka ya banzo ya nene, na zina ya
bulding, na banza New-York. Bwala ya mvimba
mene kubaka tiya ye bantu kiteso ya mafunda tatu
mene kufwa kuna kaka na kilumbu mosi. Bubu yai na
konso vita, bantu ya nku ti na ntima mbi ke sadila
bavio sambu na kumanisa bantu.
Atandele, mukidi ata baluka, nkunga ya Wendo
yimbaka sambu na kupesa bampangi na yandi
kikesa, nde kimpika ya mindele ata masa.
Avoka
: muntu ya ke zaba kunwanina muntu
yankaka na makambu na ntwala ya bambaku. Yandi
fwete vanda muntu ya mayele, ye fwete zaba mbotembote bansiku ya bwala go ya nsi. Kana makambu
kele na bwala, konso bantu ya kele na makambu ke
vandaka ti avoka na bo. Na Tribunal ya Leta mpi
kiteso mosi, bayina me bwa na makambu ti bayina
ke funda, bo yonso kele ti bavoka na bo. Avoka ke
songidila mpi mbongo ya bo ke pesa na ba zuzi
sambu na bo kuzenga makambu na masonga ve, nde
bo kulanda luzolo ya yina me pesa mbongo, nde
kana yandi me bela, bo nungisa yandi sambu na
mbongo na yandi, ye bo bedisa yina me nunga,
mpamba ve yandi me pesa ve mbongo. Kifu yai ya
ki-avoka me bebisa kimfumu ti luyalu yonso ya nsi
na beto. Balongi mpi ke baka avoka ya bana ti ya
bibuti sambu na kupesa bana matonsi, ata bo me
bela. Bayina ke baka matonsi mingi kele bayina ke
pesa mbongo mingi. Kifu yai ya kupesa avoka
298
sambu na kununga makambu, go kuluta nswalu, keti
Nsi Azania kele kimfumu ya ntama ya ntoto Afrika.
ve kubaka matonsi ya mbote, yo me bebisa kimfumu
Ntotila ya nene ya kimfumu yina kele ntotila Siaka.
yonso ti luyalu ya nsi na beto.
Azania mene baka kimpwanza na maboko ya
Awa : ngogo sambu na kusonga kifulu ya muntu go
mindele ntama mingi ve, na mvula 1990. Ntete
kima kele. “Mwana na nge kele awa. Kwisa, mono
mindele botolaka nsi yai, bo kulaka bankwa ntoto ye
kele awa. Kilanga na nge me yantika awa, yo ke
bo kitulaka bo bampika. Bo basisaka nsiku nde
kwenda ti kuna.”
kifulu ya mundele kele muntu ndombe lenda pusana
Azania : Nsi yanene ya ntoto Afrika, na ndambu ya
ve, sambu yandi kele muntu kibeni ve. Bo ke binga
nsi. Yo me kabisa nsadi mungwa ya beto ti nsadi
yo nsiku ya kukabisa bikanda ya bantu na nzila ya
mungwa India na nsongi kibeni ya ntoto ya Afrika.
mpusu
ya
nitu.
299
Ndinga ya Mbuta-muntu Patrice-Emery Lumumba na kilumbu ya Kimpwanza ya nsi
na beto (30/06/1960).
“Mbote na beno yonso bana ya Kongo, na zina ya luyalu ya nsi na beto. Beno
nwaninaka kimpwanza ya nsi na beto, bubu yai beno me nunga. Na beno yonso, banduku na
beto, beno ya me nwana nkatu kulemba kumosi ti beto, mono ke zodila nde beno simba mbote,
maboko zole, kilumbu ya bubu yai, yo bikala ya kusonika kimakulu na kati ya ba ntima na
beno ; mono ke zodila nde kilumbu yai ya bubu, beno ata longaka kisongidila na yo na bana
na beno.
Kimpwanza ya bubu yai ya nsi na beto Kongo, mwana mosi ve yakieleka ya Kongo ata
lenda kuvila nde yo me basika na bitumba, bitumba ya konso kilumbu, bitumba ya tiya,
bitumba ya mayele, beto me kukipesa mvimba sambu na yo, beto mene sweka ve ata kilumbu
mosi ngolo na beto ya nitu, beto me ndima nzala, beto me ndima bampasi ya mutindu na
mutindu, beto me ndima na kutiamuna menga na beto sambu na yo. Vita yai ya me nokisa
mansanga mingi-mingi, mansanga ya tiya ti ya menga, beto ke monina yo kiese kibeni bubu
yai, kiese ya ngolo, kiese ya ke katuka na kati ya ntima, mpamba ve yo me vanda ya lukumu
ye yakieleka, vita ya mfunu, sambu na kubwisa kimpika ya nku ya bo kwisaka kukotisa beto na
kingolo-ngolo.
Yo me vanda luzingu na beto bamvula makumi nana ya mvimba ya luyalu ya ntitisa ya
mindele ya Mputu ; bamputa na beto kele ntete ya mubisu, mpasi na yo me mana ntete ve
sambu na beto kuvila yo, mpamba ve beto me sala bisalu ya mpasi ya bo vandaka kuyika
ntangu yonso sambu na kufuta beto mbongo ya vandaka kusadisa beto ata na kima mosi ve,
kukonda kudia mbote, kukonga kulwata mbote, kukonda banzo yakieleka, kukonda kusansa
bana na beto bonso bantu yina ya beto ke zolaka mingi. Beto zabaka maseka, mafinga,
bafimbu ya beto vandaka kubaka na kulakana, na mene-mene, na midi ti na nkokila, na
kikuma nde beto vandaka “ba nègre”, bandombe. Beto me vila ve mampasi ya ntitisa ya
bampangi na beto ya bo vandaka kulosa na boloko sambu na bangindu na bo ya kunwanina
kimpwanza go sambu na malongi na bo ya nzambi ; na baboloko yina, bo vandaka bonso
bantu ya kukonda nsi na kati ya nsi na bo kibeni, luzingu ya bo vandaka ya mpasi kuluta
lufwa yo mosi.
Beto zabaka nde na kati ya ba mbanza, banzo ya kitoko vandaka ya mindele ye
bivwaka ya ba Ndombe. Nani muntu ata vila masasi yina me fwa bampangi na beto mingimingi, ba katsio kuna ya bo vandaka kulosa bayina yonso vandaka kubuya na kundima luyalu
300
ya luvunu, ya ntitisa ti ya muyibi ya mindele. Beto ya me zingila na bantima na beto ti na ba
nitu na beto mampasi ya mindele nkatu kukonda kusala kima mosi ya mbi, beto ke tubila beno
bubu yai na mpenza ye na ndinga ya ngolo nde : bubu yai yina yonso me mana. Kongo belesi
me bwa, bubu yai Kongo ya bankwa nsi me telama ye nsi na beto ya ntima, bubu yai yo ikele
na maboko ya bana na yo mosi. Diboko na diboko, bampangi, beto ke yantika bitumba
yankaka, bitumba ya lukumu yina fwete kotisa ngemba, kiese ti lukumu na nsi na beto. Diboko
na diboko beto ke tunga kimvuka ya bantu ya ke zinga na masonga, ye beto ata sala nionso
sambu nde konso muntu kuzwa lufutu yakieleka na kisalu na yandi. Beto ke songa na ntoto
mvimba yina ya muntu ndombe lenda kubasisa kana yandi ke sala bonso muntu ya kieleka,
muntu ke zinga na kati ya kimpwanza, ye beto ke tunga Kongo sambu na yo kuvanda ntumbanza ya kutoma na Afrika mvimba.
Beto ata kangula meso sambu nde bimvwama ya nsi na beto kuvanda sambu na bana
na beto. Beto ke tangulula bansiku ya ntama mosi mosi sambu na kubasisa bansiku ya mpa,
bansiku ya masonga ye ya luzitu. Sambu na yonso yina, bampangi, beno lenda ndima, nde
beto ke tula ntima ntete-ntete na ngolo na beto mosi ye na bimvwama na beto mingi-mingi,
kansi beto ke kinga mpi lusadisu ya bansi ya banzenza ya beto ata ndima ntangu konso ya
lusadisu yina ata vanda yakieleka, ya masonga, lusadisu yina ya ata sosa diaka ve na kuyala
beto. Yo yina Kongo yampa ya luyalu na mono ata tunga ata vanda nsi ya kimvwama mingi,
nsi na kimpwanza ye luzingu ya kiese. Mono ke lomba na beno yonso na kuvila mavwanga ya
bandinga, mpamba ve yo ke lembisa beto ye yo ata lunga na kubebisa lukumu na beto na
ntwala ya banzenza. Mono ke lomba na beno yonso na kuvutuka ve nima sambu na kukipesa
na mpila nde beto kununga kisalu yai yanene. Kimpwanza ya Kongo ke songa nzila sambu na
lugulusu ya ntoto na beto Afrika. Luyalu na beto, luyalu ya ngolo, luyalu ya bana nsi, luyalu
ya bantu yonso, ata vanda lugulusu ya nsi na beto. Mono ke lomba na bana yonso, bana
yonso ya nsi, bambuta ti baleke, babakala ti bankento, na kusimba kisalu ngolo sambu na
kutunga kimvwama ya mingi, kimvwama ata tunga kimpwanza yakieleka, kimpwanza ya
divumu, nde beto dia, beto nwa.
Lukumu na bayina yonso mene nwanina kimpwanza ya nsi. Lukumu na kimpwanza,
lukumu na bumosi ya Afrika.”
301
« Ndosi mosi ke kwisila mono na ntu », Dilongi ya mbuta-muntu Martin Luther Kingi.
Na kilumbu yina, kilumbu ya ngonda makumi zole na nana, ngonda ya nana, mvula funda mosi
nkama uvwa makumi sambanu na tatu (28/08/1963), mbuta muntu Martin Luther Kingi, mwisi
Afrika na ntoto Amerika, yandi basisaka ndinga ya ngolo. Ndinga yai me bikalaka ya kusonika
na ntima ya bana yonso ya Afrika bayina ya ke zinga na ntoto ya kimpika na Amerika. Ndinga
yina, yandi tubaka yo na Kapitoli, na bwala Washington, na kifulu yina ya mbuta muntu Obama
kudiaka ndefi ya luyalu na yandi na 20/01/2008. Beto landa dilongi yai ya ngolo ya mbuta na
beto Martin Luther Kingi, Ntotila. Kivuvu ye lukwikilu ya mbuta Kingi me lunga awa ya
mpangi Obama kele natisa nsi Amerika. Mpamba ve bana ya Afrik, bayai ya mindele vandaka
kutala bonso bambisi ya mfinda, bo ke natisa bubu luzingu ya bantu yonso ya nsi Amerika. Yo
yina beto ke zaba mpi nde kilumbu kele bana ya nsi Kongo-DYNA-NZA, Kongo ya bambuta,
bo ata natisa nsi na bo na nzila ya dikulu ya bambuta. Bo ata telama ye bo ata telemisa nsi na
bo. Kimpika, nsoni, bidilu, mbangika, mambi yai yonso ata mana. Ndosi ya tata Martin Luther
Kingi kele mpi ndosi na beto yonso.
« Mu kele na ndosi mosi,
Kilumbu kele, na kati ya ntoto ya bwaki ya bangumba ya Georgia, bana ya bampika ya ntama ti
bana ya bamfumu ya bampika ya ntama, bo ata vanda kumosi na mesa ya kimpangi…
» Mu me lala ndosi,
Kilumbu kele, ntoto ya Mississippi, ntoto yai ya ke toka na ndiuka ya tiya ya bansoki ya
mutindu na mutindu, tiya ya mampasi, yo ata baluka kizanga ya luzingu ya nkatu mbangika ti
ya masonga…
» Mu me lala ndosi,
Kilumbu kele konso dibulu ata telama, konso ngumba ata bwa, bilumbu yonso ya mpasi ata
bwa ye bifulu yonso ya muyibi ata kuma ya ngemba ye nkembo ya Nzambi ata zabana ye muntu
yonso ata vukana na mabanza yai…
» Mu me lala ndosi… »
…………………………………………………………………………………………………
« Nde kimpwanza kuwakana ndambu yonso. »
«Imene, beto me baka kimpwanza, beto me baka kimpwanza, bampangi.
Na nsadisa ya Nzambi-Mpungu, beto me baka kimpwanza bampangi. Beto me baka kimpwanza.
Imene. »
Martin Luther King
302
303
304
Postface
Dr Jean-Pierre LAHAYE
Coordinateur de la Cellule d'Appui pour la Solidarité Internationale Wallonne (CASIW)
Honoré par la confiance d’Evariste Pini-Pini qui m’avait demandé un avis sur son
manuscrit, je m’y suis plongé avec un grand intérêt en comprenant mieux ainsi le sens de son
combat qui est celui d’un progressiste soucieux de voir se concrétiser à chaque moment et en
chaque lieu l’enseignement de celui qui guide son combat depuis de longues années, partisan
des transformations dans le domaine politique et social partout, au Congo comme dans
n’importe quel endroit du monde.
Nous partageons le même souci de rapprochement entre nos peuples et ce livre doit être
perçu non pas comme le règlement de comptes d’un homme frustré mais comme un outil pour
approfondir le dialogue nécessaire et permanent sur les nombreux sujets abordés.
305
Bibliographie
Abréviations des principaux ouvrages cités.
• HGC : Histoire générale du Congo.
• KIN : Kimbanguisme et identité noire.
•
KVJAH : Kimbangu, le plus vieux et le plus jeune des ancêtres de l'humanité.
• LARC : L’Ancien royaume du Congo et les Bakongo.
• LRFM : La refondation du monde.
•
MDE : « Marche d’espoir » Kinshasa 16 février 1992, Non-violence pour la
démocratie
au
Zaïre.
• MN : Mémoires noires.
• NVSK : Nkamba, ville sainte du Kimbanguisme.
•
PL-AC : Patrice Lumumba, Acteur politique, De la prison aux portes du pouvoir, Juillet 1956Février 1960.
•
PL-JAP : Patrice Lumumba, Jeunesse et Apprentissage politique, 1925- 1956.
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