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Cas clinique Cas clinique Sciatalgie neuropathique après prothèse totale de hanche Florentin Clère*, Vincent Soriot*, Frédéric Vertrez*, Bruno Veys* aucune limitation articulaire au niveau de la hanche, mais un déficit au niveau des muscles fessiers et, à un moindre a mise en place d’une prothèse totale de hanche (PTH) est une interdegré, au niveau des releveurs du pied vention chirurgicale fréquente pouvant être à l’origine de complicadroit. Il existe une hypoesthésie tactile tions. Parmi celles-ci, les lésions nerveuses, dont celles du nerf sciatique, sont et thermique dans l’ensemble du terripeu fréquentes mais facilement identifiables s’il existe un déficit moteur caractétoire sciatique. Le retentissement foncristique. La récupération motrice peut cependant laisser place à une symptotionnel est très important dans la mematologie douloureuse neuropathique séquellaire, par désafférentation sensisure où la patiente, qui touche une allocation pour adulte handicapé, se tive. Si celle-ci est encore moins fréquente, elle mérite d’être (re)connue et prise déplace en fauteuil roulant à l’extérieur en charge rapidement de manière ciblée. Nous rapportons le cas de deux de son domicile et doit avoir recours à patientes présentant une sciatalgie neuropathique typique après chirurgie. un traitement morphinique (patch de fentanyl), par ailleurs peu efficace. Le bilan neurophysiologique de contrôle confirme l’atteinte séquellaire du tronc du sciatique et la Mots-clés : Douleurs neuropathiques - Prothèse totale de désafférentation sensitive. L’IRM lombosacrée permet hanche - Sciatalgie. d’éliminer un conflit discoradiculaire aux étages L4/L5 et L5/S1 droits, l’exploration de l’étage pelvien ne retrouvant Cas clinique n° 1 aucune masse compressive sur le trajet du sciatique. Le diagnostic de sciatalgie neuropathique séquellaire d’une atteinte du tronc du sciatique est alors posé, la symptoMme D., 34 ans, est adressée à la consultation d’évaluamatologie motrice proximale étant à rapprocher d’une attion et de traitement de la douleur du fait de douleurs chroniques du membre inférieur droit. Cette patiente a été victeinte des nerfs glutéaux. L’introduction d’un traitement médicamenteux par amitriptyline et l’utilisation d’une neurotime d’un grave accident de la voie publique à l’âge de stimulation transcutanée (NSTC) à haute fréquence et basse 18 ans, avec notamment fracas craniofacial et fracture intensité permettent d’obtenir rapidement un soulagement complexe du bassin, dont fracture du cotyle droit et des chiffré à 80 % par la patiente, d’interrompre le traitement branches ilio-ischio-pubiennes droites. Cette dernière lésion a abouti à la mise en place d’une PTH droite (figures morphinique et d’augmenter le périmètre de marche. 1 et 2) 5 ans après l’accident. Dès la période postopératoire, la patiente a présenté une boiterie et une irradiation douloureuse au niveau du membre Cas clinique n° 2 inférieur homolatéral. L’imagerie avait permis d’éliminer une cause compressive, le bilan neurophysiologique ayant retrouvé des lésions en faveur d’une atteinte du tronc du Mme P., 43 ans, nous est adressée par son médecin traisciatique. C’est donc 11 ans après l’intervention, devant la tant et son chirurgien du fait de la persistance de douleurs persistance des douleurs, que cette patiente nous est adresdu membre inférieur gauche. Elle a été opérée 2 ans auparavant d’une prothèse totale de la hanche gauche avec sée. Elle présente une plainte douloureuse double. La première concerne la racine du membre inférieur droit, revêtant remplacement du cotyle. L’existence d’un déficit moteur distal dans la période postopératoire a abouti à la découune tonalité mécanique et générant une boiterie droite. La seconde concerne la face postérieure de la cuisse et du molverte d’une lésion du tronc du sciatique gauche, avec, rapilet droit et la face plantaire du pied, la douleur étant décrite dement, installation des douleurs actuelles. Le changement de prothèse et le rescellement du cotyle effectués 1 an comme permanente, à type d’engourdissement, avec une après (figure 3) n’ont pas modifié la plainte. Celle-ci composante paroxystique à type de coup de poignard surveconcerne la face latérale de la cuisse et du mollet gauche nant environ 15 fois par jour. L’examen clinique ne retrouve ainsi que la face dorsale du pied. La douleur est décrite * Unité d’évaluation et de traitement de la douleur, établissement héliomarin, comme permanente, à type de fourmillement intense, avec groupe Hopale, Berck-sur-Mer. L 20 Le Courrier de l’algologie (3), no 1, janvier/février/mars 2004 Cas clinique Cas clinique Figure 1. Matériel prothétique, observation n° 1 (radiographie de hanche droite de face). Figure 2. Matériel prothétique, observation n° 1 (radiographie de hanche droite de profil). de fréquents paroxysmes à type de décharges électriques, sans tonalité mécanique. L’examen clinique ne retrouve plus aucun déficit moteur en dehors du moyen fessier gauche. Il existe une hypoesthésie à tous les modes dans le territoire du sciatique ainsi qu’une allodynie mécanique statique et dynamique. L’imagerie complémentaire a, là encore, permis d’éliminer toute pathologie compressive aux niveaux radiculaire et tronculaire. La patiente ayant pu intégrer la notion de sciatalgie neuropathique séquellaire, le traitement par clomipramine et la NSTC permettent un soulagement très significatif de 70 % et une augmentation du périmètre de marche. Discussion L’atteinte du nerf sciatique après mise en place d’une PTH est une complication classique mais rare : les données de la littérature estiment que 0,8 et 1,7 % des patients opérés présentent des signes cliniques, principalement un déficit moteur (1-6). Il n’existe que peu de données en termes de symptomatologie douloureuse. L’étude d’Oldenburg (3) retrouve une sciatalgie chez la moitié des 46 patients symptomatiques d’une série de 2 713 PTH. Si son incidence semble inférieure à 1 % des cas, il faut savoir repérer l’existence d’une sciatalgie dès la période postopératoire, afin d’affiner la prise en charge. En effet, les mécanismes lésionnels (7-19) sont principalement de deux types (tableau I). Il peut s’agir : – d’une part, d’une cause compressive, la plus fréquemment décrite étant la fuite postérieure de matériel acrylique lors de la cimentoplastie du cotyle, qui peut également produire une lésion nerveuse chimique (15). Les masses compressives (hématome, granulome, ostéome) sont accessibles Figure 3. Matériel prothétique, observation n° 2 (radiographie du bassin de face). chirurgicalement. La compression nerveuse par une hypertrophie musculaire du piriforme est également décrite (16) ; – d’autre part, un étirement tronculaire est possible ; il peut être perchirurgical, favorisé par une flexion excessive de la hanche et/ou une extension exagérée du genou (20, 21). En cas de taille inadaptée de la prothèse, une réduction secondaire permettra de lever un étirement postchirurgical persistant (10) ; – enfin, il faut se méfier d’une lésion préexistante (18), surtout en cas de traumatisme antérieur au geste chirurgical, comme dans notre premier cas clinique. Plusieurs facteurs de risque (22, 23) ont été isolés : le sexe féminin, l’existence d’une dysplasie congénitale, la chirurgie du cotyle, la fracture posttraumatique du cotyle et la chirurgie de révision. Il est à noter que nos deux patientes présentaient chacune trois de ces cinq facteurs. La présentation clinique est marquée par la précocité des troubles moteurs, qui sont le signe d’alarme et l’objet de la plupart des observations de la littérature (7-19). Si la parésie des releveurs du pied, induisant un steppage, est la plus spectaculaire, il ne faut pas oublier l’atteinte motrice proximale comme facteur de boiterie. L’atteinte des nerfs glutéaux (23), avec déficit des muscles fessiers, était présente chez nos deux patientes. En termes de pronostic, la récupération dépend du degré de l’atteinte initiale (23), quantifiée en neuroTableau I. Mécanismes lésionnels. Mécanisme Origine Étirement Perchirurgical Postchirurgical Compression Hématome Ostéome Granulome Matériel acrylique (ciment au niveau du cotyle) Syndrome du piriforme Le Courrier de l’algologie (3), no 1, janvier/février/mars 2004 21 Cas clinique Cas clinique physiologie. Au vu des données de la littérature, il reste difficile d’évaluer la fréquence de la désafférentation sensitive et de son retentissement en termes de douleurs neuropathiques. Quelle conduite à tenir faut-il proposer en cas de sciatalgie après mise en place d’une PTH ? 1. Effectuer une imagerie lombaire et pelvienne. Il est en effet indispensable d’éliminer rapidement une cause curable, telle une masse compressive, qui doit être opérée. Même une chirurgie tardive, plusieurs années après la pose de la prothèse, peut permettre un soulagement complet (17). Un conflit discoradiculaire au niveau lombosacré doit également être écarté, mais la normalité de l’imagerie ne doit pas conduire à une laminectomie exploratrice, comme dans le cas décrit par Fischer (19). 2. Savoir poser le diagnostic de sciatalgie neuropathique séquellaire, ce qui nécessite des examens d’imagerie normaux. Le tableau clinique sera alors typique des douleurs neuropathiques. 3. Adapter la prise en charge thérapeutique. Le traitement médicamenteux sera fondé sur les antidépresseurs tricycliques et les antiépileptiques, les morphiniques restant peu ou non efficaces dans cette indication, comme dans notre première observation. La neurostimulation transcutanée à visée antalgique, utilisée à haute fréquence et à basse intensité, est une indication de choix dans ce modèle de douleur neuropathique périphérique ; le recours à une stimulation médullaire peut s’imposer mais nécessite une bonne sélection des patients. Dans tous les cas, la prise en charge se doit d’être globale, prenant en compte l’intensité de la douleur, son retentissement fonctionnel et le handicap produit, sur un modèle biopsychosocial. 3. Oldenburg M, Muller RT. The frequency, prognosis and significance of nerve injuries in total hip arthroplasty. Int Orthop 1997 ; 21 : 1-3. 4. Schmalzried TP, Amstutz HC, Dorey FJ. Nerve palsy associated with total hip replacement. Risk factors and prognosis. J Bone Joint Surg (Am) 1991 ; 73 : 1074-80. 5. 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DeHart MM, Riley LH Jr. Nerve injuries in total hip arthroplasty. J Am Acad Orthop Surg 1999 ; 7 : 101-11. Conclusion Résumé/Summary Après chirurgie prothétique de la hanche, la sciatalgie neuropathique est une complication rare et mal connue, comme en témoigne le délai de prise en charge spécifique chez nos deux patientes (respectivement 11 ans et 2 ans). Un diagnostic précoce, fondé sur une analyse sémiologique fine et l’absence de cause curable, permet cependant une prise en charge antalgique et réadaptative plus rapide ■ et, donc, la réduction du handicap ultérieur. Références bibliographiques 1. Williams O, Fitzpatrick R, Hajat S et al. Mortality, morbidity, and 1-year outcomes of primary elective total hip arthroplasty. J Arthroplasty 2002 :17 : 165-71. 2. Eggli S, Hankemayer S, Muller ME. Nerve palsy after leg lengthening in total replacement arthroplasty for developmental dysplasia of the hip. J Bone Joint Surg (Br) 1999 ; 81 : 843-5. 22 Le Courrier de l’algologie (3), no 1, janvier/février/mars 2004 Sciatalgie neuropathique après prothèse totale de hanche Nous rapportons deux observations de sciatalgie neuropathique secondaire à une lésion du tronc du sciatique après mise en place d’une prothèse totale de hanche. Si l’atteinte de troncs nerveux reste rare dans ce type d’intervention, elle peut laisser place à une symptomatologie douloureuse séquellaire qu’il faut savoir repérer rapidement, afin de proposer une prise en charge spécifique. Painful sciatic neuropathy following total hip replacement We report two cases of painful sciatic neuropathy due to sciatic nerve injury after total hip replacement. Although nerve injury due to surgery is rare, persistent neuropathic pain should prompt this diagnosis in order to propose specific management. Keywords: Neuropathic pain - Total hip replacement - Sciatalgia.