la classification internationale du handicap version 2

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la classification internationale du handicap version 2
LA CLASSIFICATION
INTERNATIONALE DU
HANDICAP VERSION 2: DESCRIPTION,
ENJEUX ET IMPLICATIONS
DUFOUR Sylvain
FILLET Ana
FLON François
M1 de Psychologie. UE 16 : Handicap, situations de handicap.
Année universitaire 2004-2005. Semestre 2.
Université Charles de Gaulle- Lille 3
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INTRODUCTION
Comment expliquer et identifier les comportements humains ? Cette question
phylogénétiquement et ontogénétiquement toujours d’actualité a rencontré plusieurs tentatives
de réponses. Un des moyens en est la catégorisation. Ceci est un phénomène pratiqué
naturellement par l’homme pour mieux aborder l’environnement et ainsi mieux le comprendre
et s’y adapter. Cependant cette catégorisation est très subjective et ne concerne pas des
domaines d’études permettant de faire avancer nos connaissances ou d’améliorer
concrètement nos conditions de vie. Une application pratique a ainsi pu être développée : la
classification , c’est-à-dire l’étude des divers éléments intervenant dans un domaine
particulier et leur repertoriation afin d’en faire une distribution par classes, catégories selon
un certain ordre et une certaine méthode (Larousse, 2003). Une fois établie, cette
classification va pouvoir, d’autant plus que sa portée est grande, être utilisée par un grand
nombre d’individus qui disposeront alors d’un langage et de repères communs ainsi que d’une
appréhension la plus exhaustive possible du domaine qui les intéresse. Après avoir situé les
classifications concernant le domaine de la Santé, nous nous intéresserons plus
particulièrement à la Classification Internationale du Handicap en expliquant ses buts, son
fonctionnement, ses limites et les questions qu’elle entraîne concernant ses implications
humaines et sociétales
1. HISTORIQUE DU HANDICAP
1.1 CONTEXTE GLOBAL
Pour comprendre le pourquoi du comment des classifications en Santé, il est important
de s’interroger sur l’histoire, sur les réalités et contextes économiques, politiques, sociaux,
sanitaires des pays d’où a émané le désir de classifier « la Santé ». Ceci nous amène à
considérer les préoccupations, les intérêts, les objectifs des pays à concevoir de telles
classifications.
La « Classification internationale des décès » fut la première grande classification
internationale proposée en 1855 au Congrès international de statistique de Paris, afin de
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proposer une nomenclature uniforme des causes de décès applicable à tous les pays et dans le
but de suivre et de comparer internationalement ces causes de décès. Ce type de modèle de
classification fut adopté, par la suite, par un grand nombre de pays et le principe de révision
décennale fut retenu et appliqué. Cependant, une telle classification reposant essentiellement
sur les types de décès parut insuffisante pour décrire les besoins en santé publique, car elle ne
prenait pas véritablement en compte les maladies. En 1938, à Paris sous la responsabilité de la
toute nouvelle Organisation Mondiale de la Santé (l’O.M.S.), une Classification Internationale
des Maladies (C.I.M.) fut créée parallèlement à celle des décès, dans le but de rétablir le poids
entre la mortalité et la morbidité et de mieux cibler les actions.
Dans les années 50 s’est posé le problème de la réadaptation à travers, notamment, la question
des mutilés de guerre (Barral, 1999). S’est ajoutée à cela l’insuffisante finesse de description
des maladies au fur et à mesure des progrès des traitements thérapeutiques ; ces derniers
entraînant un vieillissement de la population. A cette période, c’est donc la notion de
réadaptation qui retient l’attention dans la lecture et l’élaboration des textes internationaux.
Cette notion, qui porte sur les modes de traitements et de gestion des populations impliquées,
a favorisé l’apparition d’une autre conception et l’évolution de sa représentation dans les
années 70 : celle de handicap. Les textes d’orientation en matière de handicap sont rares et
sont principalement le fruit du travail des organisations internationales telles que
l’Organisation des Nations Unies (l’O.N.U.), l’Organisation Internationale du Travail
(l’O.I .T.), le Conseil de l’Europe… Néanmoins, les nombreuses réflexions sur le sujet ont
permis, en 1972, la transmission de propositions de codifications complémentaires à la CIM,
dans une perspective fonctionnelle1. Ces propositions émanant d’autres acteurs de la Société
tels les associations de handicapés. A la fin des années 70, la notion de réadaptation est
progressivement associée à celle d’intégration, envisagée comme aboutissement réussi du
processus de réadaptation de la personne déficiente aux attentes de la Société.
En 1980, c’est la publication de la CIH à titre expérimental qui marque un tournant important
dans la représentation du handicap. L’avancée principale se situe dans la prise en compte de
l’influence de l’environnement. Même si cet outil a du mal à s’imposer en tant que norme
épidémiologique, il constitue l’une des principales bases de référence de toutes les
orientations formulées par les organismes internationaux. Au cours de cette nouvelle
1
Issue principalement du milieu de la rééducation fonctionnelle
3
décennie, la représentation du handicap est marquée, dans les textes, par un changement de
paradigme : on passe du corps au droit. On se décentre du « corps handicapé » marginalisé
pour appréhender la question du handicap, de la personne dans son intégralité, c’est à dire
dans les sphères physique, sociale, juridique, du travail… Ce nouveau référentiel, véhiculé
par les acteurs traditionnels des organismes internationaux, est également porté par un
mouvement mondial de personnes handicapées dont l’entrée sur la scène politique
internationale constitue une des innovations majeures de cette période. La représentation de
ces mouvements sera officialisée dans les années 90. Cependant, des concepts trop abstraits
ainsi que l’absence de directives précises quant aux actions à mener laissent aux états
membres une importante marge de manœuvre. Chacun ayant la possibilité de traduire ces
orientations en fonction de leurs dispositifs respectifs, on en arrive donc à des ambiguïtés. A
partir de 1990, les efforts vont se centrer sur ces ambiguïtés et aléas engendrés afin de
proposer des repères pratiques grâce à un modèle validé internationalement.
A ce jour, ceci constitue toujours un objectif majeur des pays membres de l’OMS.
1.2 LES CLASSIFICATIONS
Parmi les classifications internationales dans le domaine de la santé il existe divers
outils. Nous pouvons citer la CIM X qui classifie les maladies ou le DSM IV qui s’intéresse
spécialement aux troubles mentaux. Il existe d’autres classifications portant sur les domaines
touchant à la santé ; elles peuvent être spécifiques à un domaine d’étude, un domaine
d’application ou spécifiques à un pays, à une région du monde.
La CIH, qui nous intéresse ici, est une classification internationale développée par l’OMS.
Elle est admise, aujourd’hui, comme étant un complément essentiel à la CIM X. Ces deux
outils se rejoignent quant au but ; la spécificité de la CIH en tant que classification réside dans
l’évaluation des conséquences de la maladie et des domaines en rapport avec la santé. Ces
dimensions ne sont pas à négliger. En effet une bonne prise en charge et l’épanouissement
d’un individu ne peuvent se développer uniquement en diagnostiquant une éventuelle
maladie. Il faut pouvoir appréhender tout ce qui, pour l’individu, peut être invalidant dans sa
vie et qui a rapport à sa santé, quelles conséquences peut avoir sur son fonctionnement et ses
capacités tel ou tel facteur lié à sa santé. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons aboutir à une
prise en charge complète et potentiellement satisfaisante. Avant la création de la CIH-1,
parfois appelée aussi CIH-80 (du fait de son année de publication) ou ICIDH-80 (son nom
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anglais), il n’existait pas d’outil international permettant d’identifier et de classer ces
dimensions. Celui-ci a donc été créé pour répondre à un manque en venant compléter la CIM.
La CIH-1 a pour objet de clarifier la notion de handicap en distinguant 3 dimensions : la
déficience (altération du corps) ; l’incapacité (altération fonctionnelles) ; le désavantage
(résultant des conditions défavorables induites par l’incapacité ou le désavantage) ( Roussel,
1999). Ces 3 notions ont permis, en déplaçant la reconnaissance du désavantage social du seul
diagnostic lésionnel vers l’évaluation fonctionnelle puis en étendant la notion de désavantage
social à l’analyse des rôles sociaux, de passer d’une vision du handicap considérée comme
irréversible à une conception plus ouverte. La CIH-1 a donc permis une avancée non
négligeable dans la façon dont notre société en général et chacun de nous en particulier
considère le handicap. Dès lors que toutes ces précisions ont été apportées il nous est possible
d’aborder brièvement le processus de création de la CIH-1 et les raisons d’un besoin de
révision. Ceci nous permettra alors de présenter plus longuement la description, les enjeux et
les implications de la classification révisée, à savoir la CIH-2, qui représente le cœur du sujet
de ce dossier.
2. PRESENTATION DE LA CIH-2
2.1 PROCESSUS DE REVISION ET D’EMERGENCE DE LA CIH-2
2.1.1. Le processus de révision : de la CIH à la CIH-2
La conception d’un outil spécifique aux « problèmes de la santé (ou) conséquences de
la maladie » (OMS, 2000) fut confiée à Ph.Wood, rhumatologue, aidé par un autre médecin et
un sociologue.
La classification élaborée fut officiellement adoptée en 1976, à titre expérimental, sous le
nom de « Classification des altérations et handicaps ».
Elle fut publiée, en 1980, sous une forme assez éloignée de la proposition initiale, sous le nom
de « Classification internationale des altérations, invalidités et handicaps. Un manuel de
classification relatif aux conséquences de maladie ». Elle fut largement appréciée, mais fit
l’objet, aussi, de vives critiques.
La classification fut adoptée en 1993 à titre définitif malgré l’existence de ces critiques.
Ceci, afin de valider le travail déjà fourni depuis environ 20 ans.
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En 1995, une nouvelle équipe de consultants est chargée de la rédaction d’une proposition
afin d’éliminer les critiques, comme les risques d’imprécision ou de confusion, soulevées par
la CIH initiale. Deux versions (Bêta-1 et Bêta-2) ont été retravaillées et testées, à partir de
1996 pour donner la nouvelle CIH-2, votée au début de l’année 2001.
2.1.2. Pourquoi la révision de la CIH ?
Plusieurs raisons semblent à l’origine de cette révision décidée par l’OMS. La
permanence des préoccupations des experts sur l’utilisation de la classification ainsi que
plusieurs critiques exprimées par les professionnels de la santé et par des associations de
personnes handicapées ne se retrouvent pas dans le modèle de l’OMS. En effet, la personne
est présentée dans la CIH comme étant porteuse de son handicap. C’est un modèle individuel
du handicap où l’expérience sociale négative, vécue par la personne handicapée, est
considérée comme étant la conséquence directe et inéluctable des caractéristiques de
l’individu (Courbois, 2005). Pour y répondre, les concepteurs de la CIH-2, vont préciser et
conserver les principales composantes du handicap, identifiées dans la CIH. Cependant la
terminologie négative sera abandonnée et une analyse plus approfondie des interrelations
entre les composantes sera faite afin d’éclairer le modèle et de permettre une analyse plus
globale du fonctionnement du handicap.
Parallèlement, à la suite de ces différentes pressions et critiques sur la modélisation et les
conceptions du handicap, des modèles collectifs-sociaux émergent en opposition à des
modèles individuels-biomédicaux. L’émergence de ces modèles sociaux et de modèles
intégratifs fait sans doute aussi partie des facteurs poussant à la révision de la CIH. Le modèle
choisi par l’OMS, suite aux différentes réflexions et voulant dépasser la traditionnelle
opposition modèle médical vs modèle social, se situe dans une approche intégrative associant
ces deux modèles. La CIH-2 a une approche « interactionniste dynamique » et se présente,
suite à la révision, comme un modèle biopsychosocial destiné à « appréhender ensemble les
aspects physiologiques personnels et sociétaux ».
De plus, les multiples modifications de la CIH pour arriver à la CIH-2, mettent en évidence
les différences majeures de conception du handicap en santé publique d’un pays à l’autre et
d’un continent à l’autre. Ceci pourrait aussi expliquer une révision visant à « homogénéiser »
la conception du handicap et fournir, ainsi, un « langage commun » aux différents pays
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membres de l’OMS souhaitant intervenir dans ce « secteur » d’enjeux et d’actions politiques,
économiques, sociales, scientifiques...
Il faut préciser que la CIH-1 n’a pas été adoptée par les Etats-Unis. L’OMS avait, donc,
intérêt à ce que la CIH-2 soit adoptée par le plus grand nombre de pays possible et notamment
par les Etats-Unis (en particulier les organismes fédéraux de santé) qui financent une grande
partie du budget du processus de révision au niveau de l’OMS.
2.2 PRESENTATION DU MODELE EXPLICATIF
Abordons maintenant le côté pratique de cette présentation de la CIH-2 : l’intérêt ici
est de comprendre d’une manière globale comment fonctionne cette classification et comment
on l’utilise. Nous allons présenter tout d’abord le modèle du fonctionnement et du handicap
présenté en introduction de la version finale complète. Ce modèle aide à mieux situer le point
de vue adopté par l’OMS dans cette classification. C’est une représentation de
la
compréhension des auteurs concernant les interactions entre les différentes dimensions
intervenant dans le processus du fonctionnement et du handicap. (voir annexe 1).
La première chose que l’on peut remarquer en observant ce schéma est qu’il comporte
plusieurs termes liés entre eux. Cela vient signifier dans ce diagramme que le fonctionnement
d’une personne dans un domaine particulier est constitué par une relation complexe entre son
état (état de santé et lié à la santé) et les facteurs contextuels (OMS, 2000). C’est le premier
point à retenir : les facteurs intervenants dans le modèle sont indépendants les uns des autres
et en interaction. C’est une approche multidimensionnelle qui permet de conserver les
dimensions dynamiques et évolutives inhérentes au fonctionnement humain et au handicap.
Cela permet de laisser une part à l’interprétation personnelle du professionnel afin qu’il puisse
adapter l’outil à la situation qui se présente à lui et à sa vision personnelle des choses. La
classification est subdivisée en deux parties, la partie 1 pour fonctionnement et handicap,
la partie 2 pour les facteurs contextuels.
Chacune de ces parties est constituée de deux composantes :
Partie 1 ] fonctions organiques et structures anatomiques
] activités et participation
Partie 2 ] facteurs environnementaux
7
] facteurs personnels
Dans chacune de ces composantes il y a des domaines dans lesquels se retrouvent des classes
et sous classes : ce sont les catégories ; ces dernières correspondent aux unités de
classification qui permettent d’identifier l’altération fonctionnelle ou le handicap (Voir fig.1).
classificationfipartiesficomposantesfidomainesficatégories. (unités de classification.).
Fig.1. Architecture interne de la CIH-2.
Une meilleure compréhension sera possible en explicitant brièvement chacun des termes
présentés dans le modèle :
. Le problème de santé recouvre la maladie, les troubles, lésions et traumatismes. Il peut
s’agir aussi d’autres situations telles qu’une grossesse ou un stress. Ce problème de santé est
codé par la CIM-10. Ces problèmes sont appelés états et domaines de la santé. La CIH, elle,
s’intéresse aux états et domaines liés à la santé c’est à dire les situations qui ne relèvent pas de
la responsabilité première du système de santé mais qui ont un lien avec le bien-être en
rapport à la santé.
. Les fonctions organiques sont les fonctions physiologiques des systèmes organiques,
fonctions psychologiques comprises et les structures anatomiques sont les parties du corps
comme les organes et les membres.
. L’activité est l’exécution d’une tâche ou d’une action par un individu. C’est le
fonctionnement de la personne d’un point de vue individuel.
. La participation est l’implication de l’individu dans une situation vécue. C’est le
fonctionnement de l’individu d’un point de vue sociétal.
Etant donné que, dans la pratique, les domaines d’activité et de participation se recoupent, ils
sont regroupés en une seule dimension dans la classification proprement dite dont la
description sera faite quelques lignes plus bas.
. Les facteurs environnementaux incluent le monde physique et ses caractéristiques, les
autres individus dans les relations, les rôles, les attitudes et valeurs, les systèmes et services
sociaux ainsi que les politiques, les règles et les lois.
. Les facteurs personnels sont les facteurs tels que sexe, la condition sociale ou les
expériences de la vie.
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Dans la classification, les facteurs personnels ne sont pas codés en raison des importantes
variations sociales et culturelles qui leurs sont associés. Ils sont néanmoins essentiels et sont à
intégrer par l’utilisateur en fonction des applications désirées.
Pour résumer le modèle, on peut dire qu’il nous présente le fonctionnement humain comme
l’interaction de 3 domaines : le domaine biologique, le domaine des actions et celui des
facteurs environnementaux. Le tout, nuancé par l’influence des facteurs personnels.
En prenant en compte ces 3+1 sphères de la vie on peut donc décrire la situation dans laquelle
se trouve l’individu et ainsi toucher au but premier de la classification : décrire les états liés à
la santé. Une question reste cependant posée. Comment cela se passe t-il concrètement ?
2.3 LA CLASSIFICATION
2.3.1. Applications et utilisateurs
La CIH-2 est décrite comme « une classification polyvalente du fonctionnement
humain et du handicap » (OMS, 2000). Dans ce cadre, elle présente depuis sa première
édition expérimentale en 1980 diverses qualités qui lui confèrent plusieurs fonctions. Elle peut
être utilisée en tant que :
ÿ Outil statistique de récolte de données dans des études épidémiologiques.
ÿ Outil de recherche, afin de mesurer les conséquences des maladies, la qualité de vie…
ÿ Outil clinique, pour l’évaluation des besoins, des aptitudes professionnelles, des
réadaptations et de leurs résultats, et pour le choix de traitements adaptés.
ÿ Outil de politique sociale, pour planifier la sécurité sociale, les systèmes d’indemnisation et
définir des politiques globales.
ÿ Outil pédagogique, pour la conception de programmes d’intervention et de sensibilisation
et pour la mise en œuvre d’actions sociales.
Ces divers domaines d’applications ont donc entraîné l’utilisation actuelle de la CIH-2 dans
des secteurs aussi variés que « les assurances, le travail, l’éducation, l’économie, la politique,
le développement législatif, les modifications de l’environnement et la sécurité sociale », et
ceci dans des perspectives aussi bien locales que nationales et/ou internationales. La CIH-2 se
révèle également utile pour « étudier les systèmes de santé, (…) les évaluer ou formuler des
politiques » et « permet de lever ou d’atténuer les obstacles posés par la société ».
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Précisons qu’en France, la CIH-2 est utilisée par les organes administratifs d’indemnisation et
d’orientation tels la COTOREP, la CDES… Cependant, donner une liste exhaustive de ses
utilisateurs potentiels paraît difficile. On peut tout de même affirmer que l’utilisation de cet
outil peut se faire à travers deux grands domaines : la clinique d’une part et la recherche
d’autre part. Ainsi tout psychologue peut être amené à manier la CIH-2 quelque soit sa
pratique. Ce dernier point justifie à lui seul l’intérêt à porter par la profession à l’élaboration
et à l’utilisation de la classification en cause.
2.3.2. Utilisation de la CIH-2
La classification en elle-même présente une structure similaire à celle du modèle (voir
2.2). Pratiquement, chacune des 5 composantes comprend de 5 à 9 chapitres (les fonctions
organiques et structures anatomiques forment deux composantes distinctes « conçues pour
être parallèles » (OMS, 2000)).
A un niveau hiérarchique inférieur, se situent des catégories distinctes à 2, 3 et 4 niveaux qui
sont les unités de classification de la CIH-2. Pour chaque catégorie ou sous-catégorie, une
courte définition opérationnelle précisant les attributs de chacune est donnée ainsi que des
critères d’inclusion et d’exclusion facilitant le codage. Des aspects non présents dans la
classification peuvent être codés dans les sous-catégories « autres catégories précisées » et
« catégories non précisées » selon que l’on puisse respectivement les placer dans la catégorie
de niveau supérieur ou non.
La CIH-2 fait appel à un système de codage alphanumérique dans lequel les différents
éléments correspondent aux subdivisions précitées de la classification. Ainsi, les 4
composantes sont rappelées dans le code par les lettres suivantes :
_ b fonctions organiques
_ s structures anatomiques
_ d activités et participation (ici a pour activités et p pour participations peuvent remplacer le
d si activités et participation ne se chevauchent pas)
_ e facteurs environnementaux.
Une fois chaque composante déterminée, les lettres b, s, d et e sont suivies :
_ d’un code numérique à 1 chiffre indiquant le numéro du chapitre
_ d’un code numérique à 2 chiffres pour les catégories
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_ de codes à 1 chiffre pour les niveaux 3 et 4 de sous-catégories.
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Prenons un exemple dans la composante des fonctions organiques :
b
fonctions organiques (composante)
b2
fonctions sensorielles et douleur (chapitre)
b210
fonctions visuelles (catégorie=niveau 2)
b2100 fonctions d’acuité visuelle (niveau 3)
b21002 acuité binoculaire de la vision de près (niveau 4)
Les codes principaux de la CIH-2 ne prennent leur sens que si l’utilisateur leur ajoute au
moins un code qualificatif (on peut en ajouter jusqu’à 3), ils sont séparés des codes présentés
ci dessus par un point et sont constitués de chiffres.
a) Aux fonctions organiques, on ajoutera un seul code qualificatif marquant l’étendue de la
déficience (0=aucune, 1=légère, 2=modérée, 3=grave, 4=absolue).
b) Concernant les structures anatomiques on peut ajouter 3 codes qualificatifs, le 1er marquant
l’étendue de la déficience (idem à a)), le 2ème la nature de la déficience (de 0=pas de
changement à 7=changements qualificatifs), le 3ème la localisation de la déficience (0=pas de
siège, 1=droite,…, 4=avant,…, 7=distale).
c) Deux codes qualificatifs peuvent être inscrits pour activités et participation. Le 1er, de
performance, décrit l’importance du problème de l’individu dans son cadre de vie habituel,
c'est-à-dire avec une assistance éventuelle (de 0 à 4, idem à a)). Le 2ème, de capacité, marque
l’aptitude de l’individu sans assistance (de 0 à 4, idem à a)).
d) Les facteurs environnementaux ont des codes qualificatifs spécifiques, car étant les seuls à
pouvoir prendre une valeur positive, dans ce cas, le point de séparation est remplacé par un +
et le facteur est appelé facilitateur (de 0 à 4, idem à a), hormis 3=substantiel). Un facteur
négatif est un obstacle et son qualificatif séparé d’un point (de 0 à 4, idem à a)).
Les valeurs 8 et 9 sont employables pour les codes qualificatifs des 4 composantes, ils
indiquent pour toutes une déficience, un problème ou un facteur pour lequel on manque de
précisions (=8) ou pour lequel il est inopportun d’attribuer un code particulier (=9). Des codes
qualificatifs facultatifs et supplémentaires peuvent être ajoutés par les utilisateurs jugeant
approprié de préciser la situation.
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L’OMS précise, dans la classification, quelques règles indispensables à suivre pour le
codage. Ainsi, les 4 composantes de la classification doivent être prises en compte
systématiquement
et les informations les concernant être récoltées séparément et
spécifiquement pour chacune. Le codage ne doit prendre en compte que la situation actuelle
du sujet et en aucun cas ses précédents. De plus, aucune donnée relevant d’un choix, d’une
acceptation ou d’une satisfaction de l’individu quant à sa situation ne doit être relevée (OMS,
2000).
Donnons 4 exemples de codage :
1) b1441.3 indique une déficience grave de la mémoire à long terme.
2) d4301.0_ indique aucune difficulté à porter en main un objet d’un endroit à un autre avec
l’aide d’une prothèse de bras.
3) d4301._4 indique une difficulté absolue à porter un objet d’un endroit à un autre sans
l’aide d’appareillage.
4) e1151+3 indique des aides techniques à usage personnel dans la vie quotidienne qui
constituent des facilitateurs substantiels.
Légende : La distinction par couleurs indique ce à quoi renvoient les codes.
Les codes qualificatifs tout comme la valeur à laquelle ils correspondent dans le texte sont
indiqués en caractère gras.
3. LES CRITIQUES
3.1 CRITIQUES DE L’OUTIL
La classification en elle-même, sans distinguer la CIH de la CIH-2, apporte une grande
nouveauté dans le domaine du handicap : il affirme que ce dernier n’est pas un « monolithe ».
En dehors de cette ouverture, elle présente de multiples critiques tant sur le fond que sur la
forme. Cela entraîne des discussions, des interrogations, des recherches, des contre-versions.
Le style n’est pas celui d’un texte scientifique qui expose, démontre et s’attache à formuler les
problèmes non résolus. Le style est plutôt de l’ordre d’une « rhétorique politique » destinée à
masquer les imprécisions et les contradictions du texte (Rossignol, 1999).
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Quant à la terminologie, les termes présentés, comme des concepts, ainsi que les étiquettes
des principales catégories, ne font pas l’objet de définitions opératoires et ne sont pas liés à
des contextes théoriques, scientifiques ou techniques identifiables. Les termes utilisés sont
déconnectés de leurs contextes théoriques ou techniques. Ils sont non pertinents. Le texte ne
présente donc pas les caractéristiques requises d’un texte destiné à être traduit en plusieurs
langues. (Rossignol, 1999). Les traducteurs ne pourront que donner une interprétation
subjective et une traduction peu claire d’un texte qui ne l’est déjà pas au départ.
De plus, la traduction est un exercice difficile qui demande du temps et de l’argent aux pays
désireux d’utiliser cette classification. Pour cela, nous devons nous pencher sur le cas de la
traduction de la CIH en français qui a demandé environ 8 ans, avec en plus des omissions, des
transformations intentionnelles de termes, des erreurs (Rossignol, 2000). D’ailleurs le texte
produit est davantage une adaptation de la CIH-2 pour la société française que sa traduction.
« On a estimé cependant que le terme « disability », profondément ancré dans les
formulations des politiques sociales, dans les lois et autres dispositifs importants de par le
monde, devait continuer à être utilisé » (OMS, 2000). Par conséquent, ce mot est désormais
utilisé comme terme parapluie pour toutes les dimensions-altérations corporelles, limitations
d’activité et restrictions de participation (en remplacement de « disablement » dans une
version antérieure, qui fut critiqué pour être intraduisible) (OMS, 1999). Il faut préciser que
« disability »2 dans la version bêta 1 avait des connotations négatives, ce qui a justifié son
retrait pour être remplacer par « disablement ». Cependant dans la version bêta 2,
« disability » a été réhabilité comme terme générique. « Une telle démarche est hautement
contestable dans un texte à prétention scientifique, car elle vise de façon quasi explicite à
entretenir une confusion entre les usages d’un terme dans différents contextes législatifs et
réglementaires et sa définition nécessaire et nécessairement univoque dans son contexte
scientifique déterminé » (Rossignol, 2000).
La terminologie choisie pour la CIH-2 est issue d’une vision ethnocentrique des pays
industrialisés, alors que cet outil est officiellement destiné à être international. Le choix des
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disability comme « la limitation de performance de l’activité qui résulte entièrement de la
personne. Elle diffère de la participation en ce que la participation est interaction entre une
personne et le contexte »
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items atteste des modes d’analyse et des valeurs en action dans ces pays même si certaines
précisions ont été apportées quant aux précautions à prendre dans l’évaluation (Vignat, 2001).
Se pose alors le problème de la validité des concepts hors contexte culturel dominant. Le
handicap, voire la santé sont-ils définis en ces termes dans des pays culturellement différents
des pays industrialisés ? Ce modèle a t-il véritablement une portée universelle ?
Une analyse minutieuse des termes présentés comme des « concepts » dans la CIH-2,
notamment ceux qui sont utilisés pour désigner les niveaux les plus élevés comme
fonctionnement, activité, participation, permettent de démontrer qu’ils ne renvoient à aucun
contexte théorique connu, autonome par rapport à une norme donnée. (Rossignol, 1999)
« L’activité est la nature et l’étendue du fonctionnement au niveau de la personne » (OMS,
2000). Le concept activité n’est pas défini. On ne peut donc pas évaluer la pertinence de
concepts qui restent à l’état de projets (Rossignol, 1999). Il existe même des chevauchements
dans la conceptualisation de certains concepts. Activité et performance renvoient d’après la
CIH-2 à deux dimensions différentes (faisant partis des facteurs contextuels), seulement
lorsqu’ils sont tous deux définis (de manière très floue), nous n’arrivons pas à percevoir la
subtile différence opératoire.
Le nombre de pages concernant les facteurs environnementaux et les facteurs personnels sont
deux à trois fois moins importants que les autres facteurs intervenants dans le problème de
santé. En lisant le contenu de ces quelques pages, ces dimensions innovantes dans la
compréhension du phénomène du handicap semblent être plaquées au reste du texte.
Quelle définition les auteurs donnent-ils à la notion de modèle ? Elle reste assez vague dans le
texte de la CIH-2. Ils définissent ce que le modèle n’est pas selon les chapitres, mais ne
précisent jamais véritablement ce à quoi ils font référence : modèles scientifiques, des
sciences humaines ou du langage courant ? Sinon, s’ils donnent une définition, elle peut
changer selon les parties comme le montre cette remarque dans la CIH-2 : « Le terme modèle
signifie ici construction mentale ou paradigme, ce qui diffère de l’usage du terme dans la
précédente partie » (OMS, 2000). Aucune définition précise et stable n’est proposée, laissant
le lecteur dans une imprécision constante. Ceci est valable pour le terme de modèle mais pour
bien d’autres encore comme « l’interaction entre fonctionnement/invalidité (qui) pourra selon
le choix des utilisateurs être envisagée comme un processus ou comme un résultat ».
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La CIH-2 est-elle pour autant une classification ? Pour Rossignol (2000), la catégorie
générique et les « unités de classification » étant définies de manière circulaire, l’usage du
terme « classification » est inapproprié.
Le codage étant très complexe, la légitimité de toute personne à coder n’est plus fondée sur
une position professionnelle ou non, mais sur une formation spécifique à coder. A noter que
l’OMS propose une formation spécifique sur l’utilisation de la classification. Se pose alors la
question de l’accessibilité à la formation étant donné qu’il n’existe qu’un centre de formation
par pays collaborateur. L’outil en lui-même est lourd, peu malléable, la classification étant
volumineuse et trop complexe dans son organisation.
De plus, la complication représentée par l’introduction de qualificateurs additionnels semble
traduire une confusion entre ce qui est du domaine de la classification et de ce qui est du
domaine d’un instrument d’évaluation (Vignat, 2001).
Dans la classification l’individu est réduit à des codes qui lui enlèvent toute authenticité et ce
d’autant plus que lors de l’évaluation, « le codeur » ne doit pas prendre en compte
l’évaluation subjective de la situation de handicap (Ravaud, 1999). L’absence des facteurs
personnels s’explique non pas par leur manque d’influence sur le processus de production du
handicap mais en raison de leur difficulté à produire une liste internationalement valable.
(Roussel, 1999)
Comme nous avons pu le voir à la section 2.3.1., les domaines d’application prévus par la
CIH-2 sont pratiquement illimités, ils prétendent à une visée trop large de champs
d’application. Ne serait-il pas plus pertinent que la CIH se limite dans ses champs
d’application pour être non pas un outil omnipotent mais véritablement utile, précis et
utilisable?
A .Triomphe (1999), lors de rencontres autour du handicap, soulève que ni la CIH, ni la CIH2 ne sont très applicables aux pays en voie de développement. Le Directeur du CTNERHI
confirme, en effet que l’Afrique, l’Amérique Latine et l’Asie ne sont pas concernées
directement par cette dernière classification dans les termes actuels. Le groupe des centres
collaborateurs devraient s’ouvrir au fur et à mesure des révisions aux pays en voie de
développement et non plus seulement aux pays industrialisés. A cela s’ajoute, dans les
groupes de travail, la présence des personnes atteintes d’une déficience qui fait toujours
l’objet de débats : Ces dernières sont-elles des experts ou non ?
16
Il faut souligner que, dès son élaboration, la CIH de manière générale, même lorsqu’elle
n’était qu’à titre expérimental, a été tout de suite intégrée et utilisée dans les textes de lois de
certains pays (France), dans les organismes administratifs et financeurs (COTOREP). Elle a
répondu à une demande, mais il existe des dangers de cette intégration dans les champs
politique, social et économique, même si elle a permis une certaine avancée d’un autre côté.
La révision est-elle véritablement indépendante de ces secteurs ? S’il y a une profonde
modification du modèle, n’y aura-t-il pas des résistances aux changements, car cela
impliquerait une modification massive des textes de références, des droits des personnes
handicapées ainsi que des devoirs de la Société ?
C.Rossignol (2000) conclue que l’analyse des versions successives de ce projet montre que
son point faible est l’incapacité ou le refus de préciser son objet et de définir précisément ce
qu’il s’agit de classer. Il en résulte également que la CIH ne constitue ni une classification
hiérarchique, ni une terminologie internationale dans la mesure où ses catégories principales
ne sont pas définies ou sont définies avec des synonymes (ce qui aboutit à des tautologies) et
ne délimitent aucun concept de manière précise. La CIH-2 se présente comme outil de
classification et d’évaluation des types de handicap, seulement il ne constitue pas un outil de
connaissances adapté à l’analyse et à l’explication des processus d’exclusion. Elle est
difficilement utilisable hors classification des personnes. Elle se contente de répartir les
personnes dans des groupes qui sont eux-mêmes répartis par la suite dans différents secteurs
d’actions (sanitaire, sociale, juridique, économique, politique).
Ces nombreuses critiques nous interrogent sur une autre dimension ; celle de l’éthique.
3.2. CONSIDERATIONS GENERALES ET ETHIQUES
On constate donc, que, en dépit d’une volonté affichée de fournir une base scientifique
pour la compréhension des états de santé et de pouvoir mettre en place une meilleure prise en
charge du handicap, la CIH-2 ne répond pas aux attentes que l’on est en droit de placer en
elle. Son but est clairement de faire avancer la démocratie (Stiker, 1999) mais lors de sa mise
en
œuvre une autre dimension de politique économique et sociale vient gommer la
préoccupation première. Ceci n’est d’ailleurs pas une critique réservée à la CIH, c’est la
société entière qui fonctionne comme cela et la CIH-2 ne déroge pas à la règle. Cette règle
17
nous met donc en face d’un outil mal conçu, difficile à comprendre et à utiliser, plein d’a
priori idéologiques et politiques, élaboré et transformé en fonction des directions données par
les divers groupes de pression et nations les plus puissantes. Le résultat est donc le suivant :
son utilité ne se trouve plus dans la meilleure compréhension du handicap dans un but
adaptatif et humain. On constate une dérive vers un but administratif pour classer les
personnes, orienter les décisions de politique sociale (Rossignol, 1999) et décider quelle
personne à droit à quelle aide en fonction des codes qui lui seront attribués ou même encore
de mieux mesurer les soins distribués et leur efficacité. Tout cela est loin d’être anodin, il est
nécessaire de se rendre compte de l’implication de telles dérives : quel avenir pour les soins et
structures déclarés inefficaces ? Plus grave encore : si une personne se voit attribuer 20 jours
de prise en charge pour une incapacité, à partir du 21è jour comment cela se passera t-il pour
elle ? Comme aux Etats Unis : elle paye de sa poche ou on lui dit « au revoir » ? Cela pose de
gros problèmes déontologiques même avec un système de répartition des compensations et de
structures d’accueil performant et adapté. Imaginons alors la même situation basée sur un
outil si peu clair et qui laisse une part énorme à l’interprétation de chacun. Nous assistons
avec la CIH-2 à une technocratisation des politiques de santé et de services (Stiker, 1999) ;
elle ne se contente pas d’être mal élaborée, elle est potentiellement dangereuse pour bon
nombre de personnes.
Si l’on cherche une raison à cette technocratisation sociale on peut sans doute en trouver une
dans l’anthropologie comportementaliste sous jacente au texte. L’homme présenté dans la
CIH-2 est sans psyché ; sans autres soucis que pragmatiques. Prenons un exemple : Si on juge
un autiste en fonction de ses capacités à émettre et recevoir un message il est probablement au
degré zéro de l’activité. En revanche, si on considère les réactions qu’il exprime auprès de son
entourage il est humainement très actif. Pour prendre un autre exemple dans une annexe
traitant de la participation on peut relever la phrase suivante : « une non-participation
volontaire ne relève pas de la classification. » Ceci nous indique que les dimensions de
vouloir faire, pouvoir faire, savoir faire n’entrent pas en ligne de compte dans l’identification
du fonctionnement de la personne. Il ne reste plus que la dimension de faire. Or, fait-on les
choses simplement pour les faire ou les fait-on parce qu’on peut, veut ou désire les faire ?
L’homme peut-il être résumé par une vision comportementaliste aussi stricte. Dire que le
fonctionnement de l’homme est une combinaison d’éléments biologiques, d’activité et de
facteurs contextuels qui sont indépendants et interagissent entre eux est il une description
suffisante ? A chacun d’en juger.
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Toutefois, une fois toutes ces critiques posées et ces question soulevées, on est en droit aussi
de se demander si l’on n’exagère pas la portée de l’outil CIH-2 (Schmitt, 1999) : a-t-il
réellement le pouvoir que l’on semble lui octroyer. On doit reconnaître aussi la difficulté
(impossibilité ?) de l’entreprise. Il y a eu bon nombre de praticiens et d’associations de
personnes handicapées qui ont participé à l’élaboration de cette classification avec encore en
tête l’objectif premier de notre outil. Il leur a été tout à fait possible de se perdre dans les
exigences et compromis nécessaires pour satisfaire tout un chacun, peut-on vraiment les
blâmer ? Certains de ces praticiens, a posteriori, exercent même un regard très critique sur la
classification à la naissance de laquelle ils ont pourtant contribué. Il figure même dans le texte
de la CIH et à plusieurs reprises la reconnaissance des propres limites de celle ci. On peut
prendre cette initiative comme une marque de bon sens et d’honnêteté mais n’est ce pas pire
de présenter un outil que l’on sait composé d’imperfections et de vices cachés que de
présenter un outil limité que l’on croit bon ou de ne pas le présenter du tout ?
Pour conclure nous pouvons dire que la CIH-2 ne constitue pas un outil adapté à l’analyse et
l’explication des processus incombant au fonctionnement humain et au handicap, elle est donc
difficilement exploitable dans une perspective pratique et de soins. Elle est au mieux,
utilisable pour classer des personnes et les classer dans des groupes (Stiker, 1999) avec toutes
les dérives potentielles que cela comporte. Si l’on cherche une utilité réelle et un intérêt
principal dans la CIH-2 c’est du point du vue administratif qu’il faut se positionner : elle
pourrait permettre une meilleure gestion des aides, des flux entre institutions et des décisions
en matière de politique sociale. Il est tout à fait envisageable de s’en tenir à une question de
performances et de réalisation de comportements adaptés pour gérer le problème du handicap
et plus généralement du fonctionnement humain mais on se heurte très vite dans cette
perspective à des questions humaines et déontologiques auxquelles il faudrait pouvoir
répondre.
Un constat est donc évident arrivé à ce point : nous ne sommes pas parvenus à une meilleure
compréhension et une meilleure identification des problèmes liés à la santé. Que peut-on faire
dès lors ? Nous pourrions ouvrir un débat public et organiser un vrai travail de recherche ;
historiquement, les grandes avancées sont souvent venues de là où on ne les attendait pas et
non des décideurs soumis à d’importants enjeux idéologiques, politiques et financiers.
19
Malheureusement ceci paraît difficilement réalisable, en tous cas dans un avenir proche. On
pourrait donc chercher d’autres modèles de référence, d’autres techniques de travail, se fixer
d’autres objectifs pour toucher au but que l’on veut atteindre.
3.3 MODELES ET ALTERNATIVES EN QUESTIONS : EXEMPLE DU
PPH
Comme nous avons pu le décrire auparavant, les classifications dans le domaine de la
santé ont baigné jusqu’à encore récemment dans le modèle biomédical, purement étiologique
et curatif. La mise en exergue des insuffisances de ce modèle ainsi que la diminution
progressive des maladies infectieuses au profit des maladies chroniques ont alors rendu
nécessaires et effectifs des changements de conception. L’introduction de la notion de
désavantage social par Wood et la CIH-80 en est un exemple majeur en pointant les
conséquences sociales des déficiences et incapacités (Ravaud, 1999). Cependant, ce modèle
explicatif demeure insuffisant car individuel et donnant une causalité linéaire entre
déficiences et désavantage, des modèles sociaux ont vu le jour sous l’influence des
associations de handicapés. Mais aussi louable que soit la prise en considération des obstacles
physiques et socioculturels, ces modèles, tout aussi extrêmes que les premiers cités, ne
donnent qu’une explication partielle des phénomènes en gommant l’évaluation subjective de
la situation de handicap telle que vécue par l’individu lui-même (Ravaud, 1999).
C’est dans ce cadre que des modèles interactionnistes ont été élaborés. Jusque là nous avons
décrit et discuté la CIH-2, abordons ici le modèle canadien proposé par le CQCIDIH et la
SCCIDIH (Comité Québécois et Société Canadienne pour la CIDIH) : le Processus de
Production du Handicap (PPH), élaboré par Fougeyrollas et al. en 1998.
Ce modèle qui , comme son nom l’indique, tente d’appréhender la création de la situation de
handicap, adopte « une position de compromis en définissant la situation de handicap comme
une limitation des habitudes de vie d’un individu découlant d’une interaction entre des
facteurs environnementaux agissant comme facilitateurs et obstacles… » (Ravaud, 1999).
Le PPH se distingue ainsi de la CIH-2 en visant le développement humain au sein de ses
environnements et des risques que ceux-ci produisent. C’est une situation sociale de
désavantage avec éventuellement ses causes qui est décrite ici et non le fonctionnement d’une
personne comme dans le modèle de l’OMS (Barreyre, 2001).
20
D’un point de vue opérationnel, le modèle québécois rompt avec les problèmes de santé,
sujets centraux de la CIH-2, en plaçant les facteurs de risques en tant qu’étiologie. Ces causes
sont reliées à une interaction entre trois grandes composantes : les facteurs personnels
(intégrité ou déficience des systèmes organiques, aptitudes en termes de capacités et
incapacités), les facteurs environnementaux (facilitateurs ou obstacles) et les habitudes de vie
(participation sociale et situations de handicap) (Courbois, 2005). Ceci a pour conséquences :
-la mise en relation des causes avec l’ensemble des facteurs personnels de l’individu,
permettant d’éviter le passage obligé par une déficience d’un système organique
-la différenciation entre la déficience organique (atteinte anatomophysiologique) et l’aptitude
fonctionnelle (ce que la personne peut faire) (Barreyre, 2001).
Les habitudes de vie constituent pour Henri Jacques Stiker la « vraie nouveauté du PPH, (…),
où se nouent l’individuel et le social » (2000). Elles sont, en effet, construites à partir de leurs
éléments individuels et culturels et sont clairement différenciées des aptitudes (« possibilités
pour une personne d’accomplir une activité physique ou mentale » (RIPPH/SCCIDIH, 1998))
en tant qu’elles sont définies comme « des activités courantes ou des rôles sociaux valorisés
par la personne ou son contexte culturel selon ses caractéristiques ». En ce qui concerne les
facteurs environnementaux, ils comprennent également des données culturelles et ils sont
placés dans une perspective historique où la notion de temporalité de la situation décrite est
présente, chose qui fait défaut dans la CIH-2, où cette même situation est étudiée à un
moment donné. De plus, ils peuvent intervenir au point de départ de la situation, au même
niveau que les facteurs de risques présentés dans les conduites de la personne, c'est-à-dire en
tant qu’étiologies (Stiker, 2000). De ce fait, leur place est mieux définie que dans la CIH-2 se
qui implique de meilleures perspectives de changements personnels mais aussi
sociopolitiques.
Globalement, on peut souligner l’adoption, pour le PPH, de concepts positifs pour les
différentes dimensions décrites.
De plus, les habitudes de vie tout comme les facteurs environnementaux disposent d’échelles
indépendantes de mesure de sévérité.
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On entrevoit immédiatement le plus grand souci anthropologique dont ont fait preuve les
organismes canadiens et québécois, leur modèle gagnant de la sorte sur le fond en
appréhendant les situations dans une plus grande globalité, mais perdant d’un point de vue
pragmatique. Certains praticiens lui reprochent, en effet, son manque de pragmatisme et
d’opérationnalité. Ajoutons que la dimension psychique (entendons désirs, fantasmes,
imaginaire, rêves,…) est toute aussi absente du PPH que de la CIH-2, ceci pouvant s’entendre
par la nécessité de travailler sur des dimensions mesurables pour l’élaboration d’outils
classificatoires.
Toutefois, l’abord en terme de processus dynamique « où l’interaction entre les
environnements, les habitudes de vie et les données personnelles est fortement affirmée,
semble indiquer que la part du social est plus importante que lorsque l’on parle simplement en
terme d’implication et de cadre où l’individu se déploie », comme dans la CIH-2. Ainsi, le
modèle PPH induit de part ces caractères holistiques, développementaux et interactifs, une
solidarité sociale importante et « une perspective de sécurité sociale plus proche de celle bâtie
dans les pays européens, que de celle issue du registre politique nord-américain » de laquelle
se rapprochent davantage les conceptions de la CIH-2.
Nous n’avons fait ici que survoler un modèle alternatif à la classification de l’OMS. Ceci dit,
on peut avancer sans trop de risques qu’un modèle comme le PPH, même moins opérationnel
que la CIH-2, est en tout cas plus heuristique que cette dernière en sous-tendant une approche
en terme de situations de performance multideterminées. Dans une telle perspective, il
apparaît clair que l’élaboration d’outils de classification en matière de handicap utilisables sur
le plan international passe par une approche multidisciplinaire qui ait à saisir d’abord une
situation de handicap et ses contextes plutôt qu’un individu ou une société à problèmes. Alors
seulement en adoptant une démarche proche des différentes dimensions de la réalité il sera
envisageable de fournir des modèles de compromis, à la fois pratiques et basés sur des
fondements scientifiques solides.
22
CONCLUSION
Notre but était d’aider à comprendre et de faire mieux connaître la Classification
Internationale du Handicap. Nous espérons l’avoir atteint. C’est aussi l’occasion de mener une
réflexion sur la manière que l’on a, sait, peut ou devrait aborder le domaine de la Santé et du
Handicap. Nous ne reviendrons pas sur les nombreuses critiques et questions que l’étude de
cet outil nous a posées mais nous pouvons constater une fois de plus le décalage entre
l’intention et la mise en application, la théorie et la pratique. Dans cet outil, nous espérions
trouver une dimension humaniste, c’est à dire la volonté d’aider à une meilleure
compréhension du fonctionnement humain et à l’amélioration des conditions de vie des
individus confrontés à un problème lié à la santé dans le domaine de la Santé. Nous ne
pouvons que regretter qu’il n’en ait pas été ainsi. Au vu du stade d’évolution auquel nous
sommes parvenus, nous souhaitons vivement que toutes les critiques, recommandations ou
suggestions déjà formulées soient prises en compte et que de nouvelles réflexions émergent.
De nouveaux projets et plans d’action, adaptés et concrètement utilisables, pourront alors
éclore et venir aider à faire avancer la vie des personnes en situation de handicap ou de
trouble lié à la santé et par-là même notre société toute entière. Nous en arriverons donc peut
être un jour à ne plus autant avoir besoin de ces outils car le monde sera ainsi qu’il n’existera
plus aucune barrière politique, matérielle, sociale, politique ou psychologique à l’intégration
pleine et entière de ces individus.
23
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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représentations du handicap. Handicap-Revue de Sciences Humaines et Sociales. 81, 20-25.
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24
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Schmitt, M. J. (1999). Réactions reçues après la journée d’études. Handicap-Revue de
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Vignat, J. P. (2001). Révision de la classification internationale des handicaps, conférence
d’experts 5-6 juin 2000. In Classification des handicaps et santé mentale. p.14-19.
25
ANNEXE 1
Modèle explicatif de la classification CIH-2.
26
ANNEXE 2
NOTE
Pour la réalisation de ce dossier nous nous sommes en premier lieu demandés, sans
connaître le sujet dont il est question ici, à quoi nous renvoyaient les questions posées et
concepts présentés à notre stade de connaissances.
Plusieurs réflexions et pistes nous sont venues. Dans un souci de clarté et de concordance
avec notre démarche initiale nous avons tenté de conserver un développement fidèle à nos
premières idées. Nous espérons ainsi avoir pu offrir au lecteur la présentation et la discussion
de la CIH la plus intelligible, intéressante, agréable et objective possible au vu de l’objectif
posé.
Les auteurs.
27
ANNEXE 3
Table des matières
INTRODUCTION
1. HISTORIQUE DU HANDICAP
1.1. CONTEXTE GLOBAL
1.2. LES CLASSIFICATIONS
2. PRESENTATION DE LA CIH-2
2.1. PROCESSUS DE REVISION ET EMERGENCE DE LA CIH-2
2.1.1. LE PROCESSUS DE REVISION DE LA CIH A LA CIH-2
2.1.2. POURQUOI LA REVISION DE LA CIH ?
2.2. PRESENTATION DU MODELE EXPLICATIF
2.3. LA CLASSIFICATION
2.3.1. APPLICATIONS ET UTILISATEURS
2.3.2. UTILISATION DE LA CIH-2
3. LES CRITIQUES
3.1. CRITIQUES DE L’OUTIL
3.2. CONSIDERATIONS GENERALES ET ETHIQUES
3.3. MODELES ET ALTERNATIVES EN QUESTION : EXEMPLE
DU PPH.
CONCLUSION
28
29