Dossier `Le Droit au Droit` - Délégué général aux droits de l`enfant

Transcription

Dossier `Le Droit au Droit` - Délégué général aux droits de l`enfant
LE DROIT AU
DROIT
Plaidoyer pour une protection juridique
complète des mineurs
Dossier établi par le Commissariat aux droits de l’enfant du Parlement
flamand1 - juin 2008
1
Traduction : Elodie Vandenbroucke, juriste auprès du Délégué général de la Communauté française aux droits
de l’enfant
Table des matières
Chapitre 1.
4
Introduction
1.1. Les droits peuvent être réalisés
1.2. La protection juridique va au-delà de l’accès au juge
1.3. Un dossier politique
4
5
5
Chapitre 2.
7
Contexte
2.1. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant
2.2. Autres
7
7
Chapitre 3.
9
Fonctionnement actuel
3.1. L’incapacité d’exercice des droits
3.2. Qui représente le mineur ?
3.3. L’assistance d’un avocat
3.4. Les exceptions et tempéraments à l’incapacité
3.4.1. Les exceptions légales
3.4.2. Les exceptions jurisprudentielles
3.4.3. L’accord
3.4.4. Le droit d’audition
3.4.5. La demande au Ministère public
3.4.6. L’intervention en tant que mineur
3.4.7. L’émancipation
9
9
10
10
11
11
12
12
12
13
13
Chapitre 4.
14
Des points qui posent problème
4.1. L’inégalité juridique
4.2. La concordance avec la réalité ?
4.3. Une représentation par le(s) parent(s) impossible
4.4. La plus value d’un « tuteur ad hoc » ?
4.5. Un droit d’audition trop faible
4.6. La nécessité d’un soutien spécialisé
4.7. Une escalade dans les conflits
14
15
15
16
17
17
18
Chapitre 5.
19
Les trois propositions de loi
Que contiennent ces trois propositions de loi ?
19
5.1 Le droit à l’audition
5.1 Le droit d’accès autonome à la justice
19
20
2
5.1 Les avocats des jeunes
20
Chapitre 6.
21
Ce qui doit changer
6.1. L’aboutissement du travail législatif
6.2. La reconnaissance du droit à être entendu comme un droit de l’enfant
6.2.1. Une invitation à chaque mineur à s’exprimer
6.2.2. Un champ d’application clair et large
6.2.3. Une explication reprise dans la loi
6.2.4. La prudence dans la transcription de l’audition
6.2.5. L’assistance d’un avocat ou d’une personne de confiance
6.2.6. La qualité avant tout
21
21
21
22
22
22
23
23
6.3. Le droit d’accès à la justice pour les mineurs
6.3.1. Une pratique déjà actuelle dans certains cas
6.3.2. Une nécessité comme finalité
6.3.3. Pas de risque d’une surcharge des tribunaux
23
23
23
24
6.4. La reconnaissance des avocats des jeunes dans une loi
6.4.1. L’avocat « défenseur »
6.4.2. La formation multidisciplinaire
6.4.3. Le libre choix
24
25
25
25
6.5. La nécessité d’un débat fondamental sur la position juridique des mineurs
6.6. La protection juridique est plus large que le seul accès au juge
25
26
Chapitre 7.
Des recommandations tant pour le niveau fédéral
que pour le niveau communautaire
3
27
Chapitre 1.
Introduction
Mineurs et système judiciaire. A première vue, cette combinaison peut paraître étrange.
Pourquoi devrions-nous ouvrir la porte du tribunal aux mineurs ? Qu’ont à offrir aux jeunes et
aux enfants les procédures judiciaires ?
Les mineurs ne vivent pas dans un vacuum. Ce n’est pas plus le cas au niveau juridique. Une
procédure en divorce des parents, une infraction ou un accident dont ils sont victimes, une
procédure d’adoption, une procédure en tutelle, un changement de nom… dans ces situations,
ils ne sont pas initiateurs, mais les enfants et les jeunes subissent pourtant les conséquences de
ce qui se passe et ils sont concernés par la procédure juridique. Mais peuvent-ils laisser au
juge le soin de prendre en compte leurs intérêts ?
Les mineurs prennent d’ailleurs aussi eux-mêmes des initiatives dans des situations qui ont
des conséquences juridiques : ils travaillent comme étudiants, ils vont habiter seuls, ils
encourent des sanctions à l’école, ils font des achats, ils mettent des enfants au monde, ils
commettent des infractions… Si quelque chose tourne mal, peuvent-ils alors eux-mêmes
protéger leurs droits ?
La réponse à cette question n’est pas simple. Dans certains cas, le mineur peut accéder au juge
lui-même, dans d’autres non. La frontière est la majorité à 18 ans. Jusqu’à cet âge, la règle de
base est que les enfants et les jeunes sont incapables juridiquement. Cela signifie qu’ils ne
peuvent intervenir eux-mêmes dans le circuit judiciaire. Ils n’ont, par eux-mêmes, aucun
accès au juge. C’est du moins la règle en vigueur aujourd’hui. Mais la pratique ne va plus
dans ce sens.
1.1
Les droits peuvent être réalisés
Dans divers domaines juridiques, l’autonomie des enfants et des jeunes est de plus en plus
mise en avant. Une nouvelle réglementation renforce leur position juridique. On peut en
trouver un exemple frappant dans la réglementation sur la position juridique des mineurs dans
l’aide intégrale à la jeunesse2.
Mais en matière de réalisation par eux-mêmes de leurs droits, la loi n’a pas évolué. La
position des mineurs reste faible. Dans le système judiciaire, les mineurs restent dépendants
de l’initiative des adultes.
Dans son contenu, la Convention internationale relative aux droits de l’enfant offre une base
fondamentale en faveur d’une protection juridique renforcée des enfants et des mineurs. La
Convention incite les Etats membres à réaliser dans différents domaines les droits des
mineurs. Reconnaître des droits est une première étape importante, mais c’est insuffisant en
soi. Les enfants et les jeunes doivent recevoir la possibilité de pouvoir réaliser eux-mêmes
leurs droits. Pour le moment, il n’existe pas encore de droit d’introduire une plainte au niveau
de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Mais à l’instar d’autres
conventions des droits de l’homme, on est en train d’élaborer un droit de plainte individuel en
matière des droits de l’enfant. Cela pourrait améliorer grandement la protection juridique des
mineurs.
2
En Communauté flamande (NDT)
4
1.2
La protection juridique va au-delà de l’accès au juge
Une protection juridique commence par une réglementation qualitative, avec une
reconnaissance de droits aux enfants et aux jeunes eux-mêmes. Les enfants et les jeunes
devront également savoir ce que sont leurs droits et ce qu’ils signifient. Où peuvent-ils trouver
de l’information accessible, utilisable et compréhensible à ce sujet ? Et où peuvent-ils
s’adresser si des conflits surgissent ? Y a-t-il suffisamment d’attention portée aux règlements
non-judiciaires des conflits ? Y a-t-il une attention suffisante pour l’assistance juridique ?
Dans le système judiciaire, l’accès au juge n’est pas le commencement. Mais il forme par
contre bien la conclusion nécessaire. Au cours du processus, il existe des chances de régler les
conflits concernant les jeunes de manière opportune de telle sorte qu’une intervention
judiciaire soit superflue.
1.3
Un dossier politique
Travailler sur le renforcement de la position juridique des mineurs constitue un point central
depuis 10 ans dans le travail du Commissariat aux droits de l’enfant. Ce n’est pas étonnant.
Dans le décret fondateur, il est indiqué que le Commissariat aux droits de l’enfant doit porter
une attention particulière à la participation des mineurs à la société. De plus, l’institution est
régulièrement confrontée, dans son travail d’ombudsman à des difficultés concernant la
réalisation des droits.
Dans ce dossier, nous plaidons pour la construction d’une protection juridique complète des
mineurs. Ce qui est crucial ici, c’est l’élaboration d’une nouvelle loi autour du droit à être
entendu, de l’accès au droit pour les mineurs et de l’institution des avocats des jeunes. Mais il
n’y a pas que la position des mineurs dans une procédure judiciaire qui retient notre attention.
Travailler à une protection juridique a aussi des conséquences dans le domaine de l’aide
sociale générale et l’aide à la jeunesse. Nous pensons ici au besoin d’information sur les droits
des enfants et des jeunes, et à l’attention que nous demandons pour la régulation des conflits
hors tribunal. Ici une politique pour les jeunes pourrait faire la différence.
Nous avons constitué ce dossier à l’aide de diverses sources. Dans son contenu, nous
poursuivons notre avis de juin 2006 sur le droit d’audition, l’accès à la justice et les avocats
des jeunes.
De plus, nous avons confronté la théorie à la pratique. Lors de deux réunions avec des avocats
des jeunes et des magistrats de la jeunesse, nous avons pu mesurer l’état actuel des choses
dans la pratique. Comment considèrent-ils la position des mineurs ? Qu’est ce qui fonctionne
bien ? Où y a-t-il des problèmes ? Que pouvons-nous améliorer ?
Dans la note politique du Ministre de la Justice, Monsieur Vandeurzen, la position juridique
des mineurs et le droit de ceux-ci à être entendus sont explicitement à l’ordre du jour. Dans
celle du Secrétaire d’Etat aux Familles, Monsieur Wathelet, les questions de l’audition des
enfants et de l’avocat des mineurs sont aussi explicitement citées.
Avec ce dossier, nous souhaitons inciter le législateur à travailler sur une amélioration de la
législation. A l’aide de notre vision nuancée de ce qui est de l’intérêt des mineurs, nous
voulons apporter une contribution constructive au débat.
5
Après cette introduction, dans le chapitre 2, vous trouverez un éclairage à partir des
dispositions importantes de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Il y a
aussi d’autres sources qui, dans une perspective des droits de l’homme, donnent une
impulsion au renforcement du statut juridique des mineurs.
Le chapitre 3 comprend un aperçu de la législation actuelle autour de l’incapacité d’exercice
des mineurs. En marge de la règle de base, les tempéraments et exceptions sont nombreux.
Beaucoup de situations sont boiteuses. L’actuel cadre légal ne règle pas de manière opportune
bon nombre de problèmes qui se posent dans la pratique. Dans le chapitre 4, nous présentons
un état des lieux des questions et difficultés qui se posent.
Ensuite, nous en venons aux propositions de loi concrètes concernant le droit à être entendu,
l’accès à la justice et les avocats des jeunes. Au chapitre 5, nous commentons le contenu de
ces propositions.
Enfin, au chapitre 6, nous faisons clairement savoir ce que nous attendons de la politique dans
l’intérêt des enfants et des jeunes.
Au chapitre 7, nous énumérons un certain nombre de recommandations politiques.
6
Chapitre 2.
2.1
Contexte
La Convention internationale relative aux droits de l’enfant
La Convention internationale relative aux droits de l’enfant ne contient aucune disposition
spécifique qui reconnaît explicitement le droit aux mineurs d’intervenir personnellement
comme partie au procès en droit. Mais le but principal de la Convention est bien que les droits
des mineurs soient respectés et que leur application soit garantie par différentes mesures.
Ainsi, l’article 4 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant oblige les Etats
signataires à prendre des mesures juridiques, administratives ou autres pour implémenter les
droits de la Convention. L’élaboration de règles par lesquelles les mineurs peuvent
progressivement faire usage de leurs droits, peut être considérée comme étant une
concrétisation de ceci.
L’article 5 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant reconnaît que les
mineurs, de manière progressive, doivent être aptes à exercer eux-mêmes leurs droits. La
minorité n’est en effet pas un état permanent d’incapacité qui se change en statut d’adulte
capable à 18 ans. L’autorité parentale ne devrait pas être un système de tout-ou-rien. La
minorité et l’autorité parentale sont en effet indubitablement liées. La capacité et
l’autodétermination progressive des mineurs dans les faits devraient recevoir une place dans
la loi.
L’article 12, §2 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant est l’article clé
sur la participation des enfants dans les procédures juridiques et administratives. Il offre aux
mineurs le droit d’être entendus dans toutes les procédures juridiques et administratives qui
leur sont applicables.
L’article 9, §2 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant reconnaît à
l’enfant un droit procédural de prendre part aux procédures concernant le divorce des parents
et le droit aux relations avec eux.
Bien que la Convention internationale relative aux droits de l’enfant ne contienne pas
littéralement d’obligation pour les Etats signataires, elle oblige cependant ceux-ci à renforcer
la position juridique des mineurs dans un conflit juridique, surtout s’il s’agit d’affaires
familiales ou de privation de liberté. Cette obligation découle du droit de prendre part aux
procédures et du droit à être entendu dans les procédures judiciaires et administratives.
En outre, un pas important est ici effectué dans la réalisation de l’objectif principal, à savoir le
renforcement de la position juridique en soi.
2.2
Autres
Dans un arrêt du 1er mars 2006, la Cour d’Arbitrage a donné un début de concrétisation au
droit des mineurs dans une procédure judiciaire. Un enfant doit parfois pouvoir prendre part
lui-même à une affaire juridique. Cela découle en effet du droit au respect de la vie privée et
familiale, a jugé la Cour d’Arbitrage. Une affaire relative à la contestation d’une décision qui
a des conséquences concrètes sur la vie de famille de l’enfant est une procédure judiciaire à
laquelle l’enfant doit pouvoir prendre part.
7
Le Comité européen des droits sociaux traite aussi, en son article 17 de la charte sociale
européenne, de l’accès au juge pour les mineurs. Il s’agit ici d’affaires civiles qui tournent
autour de conflits au sein de la famille.
Le droit d’accès au juge fait partie de l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’Homme qui garantit le droit à un procès équitable. Les mineurs sont aussi en principe
titulaires du droit à l’accès au juge. Bien que cela soit considéré comme un principe de droit
général, cela ne signifie pas qu’il s’agit d’un droit absolu. Il est accepté que le législateur
puisse poser des limites en fonction d’un système judiciaire cohérent et/ou de la protection de
catégories de personnes déterminées. Le législateur doit néanmoins veiller, par exemple par la
mise en place d’un système de représentation, à ce que le droit d’accès au juge ne soit pas
complètement vidé de sa substance.
8
Chapitre 3.
Fonctionnement actuel
Toute personne en dessous de 18 ans est mineure. Qu’elle soit un enfant ou un adolescent, elle
est mineure et tombe sous le principe de l’autorité parentale. Le système de base est le même
pour chaque mineur. Mais en quoi consiste cette minorité ? Les mineurs peuvent-ils être
titulaires de droits ? Peuvent-ils exercer les droits eux-mêmes ? Peuvent-ils rendre leurs droits
exécutoires et aller devant le juge ?
3.1
L’incapacité d’exercice des droits
À l’instar des majeurs, les mineurs ont des droits et des devoirs. Où est la différence alors ?
Les mineurs ne peuvent exercer eux-mêmes leurs droits. Ils ne peuvent poser aucun acte
juridique, par exemple signer un contrat. Et ils sont incapables sur le plan de la procédure, ce
qui signifie qu’ils ne peuvent poser aucun acte de procédure. Dans une affaire judiciaire, ils ne
peuvent par exemple pas intervenir eux-mêmes et de manière indépendante en tant que
demandeur, défenseur ou partie intervenante.
Pourquoi cette différence avec les adultes ? Jusque 18 ans, l’enfant n’est pas considéré comme
étant en état de prendre des décisions autonomes et de poser des actes juridiques seul. Pour
chaque mineur, un adulte interviendra, un représentant légal qui prendra part au circuit
judiciaire. Dans la plupart des situations, le mineur sera représenté par les parents. Pour un
mineur sans parents, la loi a prévu un système de tutelle.
Le système de représentation a pour objectif la protection du mineur. Ceci est logique si on
pense à la situation d’un enfant de 3 ans. Mais même quand les jeunes grandissent et qu’ils
ont la capacité de discernement, une tierce personne devra toujours intervenir pour le mineur
au niveau des procédures judiciaires.
3.2
Qui représente le mineur ?
Dans le système judiciaire, le mineur sera toujours représenté par un adulte. En principe, ce
sont les parents. Ainsi, ils interviennent par exemple dans la procédure judiciaire comme
représentants de leur enfant.
Seulement dans certaines situations déterminées, d’autres adultes peuvent représenter un
mineur. Il s’agit du tuteur, du protuteur en cas de déchéance de l’autorité parentale des deux
parents, le tuteur pour le mineur étranger non-accompagné et le tutorat du CPAS.
Mais que se passe-t-il s’il existe un conflit entre les intérêts du mineur et ceux de son
représentant légal ? La solution consiste à désigner temporairement un tuteur ad hoc pour le
mineur.
Ce représentant temporaire doit être désigné par le juge. Cela signifie concrètement que la
désignation du tuteur ad hoc doit aussi se faire au cours d’une affaire judiciaire. Etant donné
son incapacité générale, le mineur ne peut introduire une procédure judiciaire pour se faire
désigner un tuteur ad hoc. Une autre personne adulte (parents, autres intéressés) doit prendre
l’initiative. Au besoin, cela peut se faire à la demande du Ministère public. Et le juge devant
9
lequel l’affaire est pendante peut également lui même prendre l’initiative de désigner un
tuteur ad hoc.
La désignation du tuteur ad hoc est dès lors assez compliquée. En outre, elle présente
également des imprécisions dans son application. Ne s’agit-il que des différends concernant
l’administration des biens du mineur qui donnent lieu à tuteur ad hoc ? Ou la réglementation
sur le tutorat ad hoc s’applique-t-elle dans tous les cas de différend ?
3.3
L’assistance d’un avocat
Lorsque l’on envisage une procédure judiciaire, on se rend souvent chez un avocat. L’avocat
intervient pour son client comme conseil, défend ses intérêts et va intenter la procédure
ensemble avec le client. Les procédures judiciaires étant complexes, la question de
l’assistance d’un avocat pour les mineurs se pose dès lors avec d’autant plus d’acuité. Les
avocats n’interviennent en principe pas gratuitement. En tant que client, on paie pour un
travail. De plus, l’introduction d’une affaire judiciaire a un coût. Il existe bien une
réglementation sur l’assistance juridique pour celui qui a des moyens financiers limités. Tout
mineur entre automatiquement en ligne de compte pour cette assistance.
Dans une procédure judiciaire qui concerne un mineur délinquant ou une situation éducative
problématique portée devant le tribunal de la jeunesse, le mineur dispose de la capacité
procédurale. Dans ces affaires, l’assistance d’un avocat pour les mineurs est obligatoire. Si le
mineur n’a pas d’avocat, un avocat est commis d’office.
Dans les autres procédures judiciaires dans lesquelles le mineur intervient lui-même,
l’assistance d’un avocat est quelque chose que l’on décide par principe. On va même prendre
l’initiative de désigner un avocat.
A l’occasion de l’exercice du droit à être entendu dans une procédure judiciaire, le juge va
décider, dans l’intérêt du mineur, si le mineur peut être assisté d’un avocat ou d’une personne
de confiance. Lors de l’exercice du droit à être entendu, le mineur ne peut jamais être assisté
de l’avocat des parents.
En principe, les avocats ne travaillent pas en fonction de spécialisations. Mais dans la
pratique, alors que certains avocats interviennent plutôt dans les affaires pénales, d’autres
s’occupent plutôt d’affaires en matière fiscale. Il existe des avocats qui travaillent
régulièrement dans les affaires qui impliquent des mineurs. Dans certains arrondissements, il
existe des permanences d’avocats en jeunesse. De cette manière, on veut s’assurer que les
jeunes entrent en contact efficacement et rapidement avec un avocat qui a de l’expérience en
jeunesse. La pratique de ces permanences jeunesse trouve son origine dans la formation en
droit de la jeunesse, une initiative des barreaux pour former les avocats au droit de la
jeunesse. Dans les études de droit, il est peu question du droit de la jeunesse. De plus, un
avocat en jeunesse aura souvent besoin d’un bagage pédagogique et psychologique.
3.4
Les exceptions et tempéraments à l’incapacité
Le système de base de l’incapacité et de la représentation vaut pour chaque mineur dans le
champ judiciaire. Mais il existe de nombreuses exceptions et tempéraments. Ci-après, nous
10
parcourrons les différentes « échappatoires » dans lesquelles les mineurs peuvent prendre part
au champ judiciaire.
3.4.1 Les exceptions légales
La loi elle-même contient quelques exceptions à l’incapacité de principe des mineurs.
Souvent, il est fait exception parce qu’il s’agit de matières strictement personnelles pour
lesquelles la représentation du mineur n’est pas une bonne solution.
Quelques exemples :
-
-
-
protection de la jeunesse : le mineur est lui-même partie au procès et a la capacité de
procédure de principe;
dans les procédures de levée d’interdiction au mariage : si les parents ne donnent pas
leur accord, le mineur peut introduire lui même une procédure judiciaire pour faire
lever l’interdiction au mariage ;
dans les procédures en reconnaissance : un mineur peut, de lui-même, à partir de 12
ans, s’opposer à la reconnaissance de paternité judiciaire ; un mineur disposant d’une
capacité de discernement suffisante peut lui aussi reconnaître lui-même son enfant ;
dans les procédures d’asile, un mineur non-accompagné peut lui-même introduire une
demande d’asile.
3.4.2 Les exceptions jurisprudentielles
A côté des exceptions légales, des exceptions à l’incapacité sont aussi admises dans la
jurisprudence, du moins concernant les mineurs qui disposent d’une capacité de discernement
suffisante.
Dans la pratique, il arrive parfois que le mineur puisse intervenir comme partie au procès dans
une procédure qui le concerne personnellement, par exemple s’il s’agit d’un droit aux
relations personnelles. Pourtant, cette possibilité pour le mineur d’intervenir, par lui-même,
comme partie, n’est pas reprise dans la loi. De plus, cette capacité procédurale est
généralement acceptée dans les affaires pour lesquelles la représentation du mineur, eu égard
au caractère très personnel, est moins appropriée.
Ainsi en est-il, par exemple, d’un recours en annulation au Conseil d’Etat contre une décision
d’exclusion scolaire. Un autre exemple dans lequel les mineurs peuvent être considérés par la
jurisprudence comme ayant la capacité procédurale, est celui où l’urgence joue un rôle.
L’exemple typique ici est une demande d’audition. Parfois, ceci est seulement accepté
moyennant certaines conditions, à savoir s’il apparaît que le représentant légal néglige de faire
quelque chose.
Il s’agit ici de quelques exceptions dans la pratique qui dépendent donc du juge. Sur le plan de
la sécurité juridique, c’est une base bien moins solide qu’une disposition légale puisque dans
un cas, l’intervention va être accepté et dans un autre non, alors que la demande en soi peut
être tout aussi fondée.
11
3.4.3 L’accord
Dans un nombre croissant de procédures devant le tribunal, on reconnaît que le mineur, à
partir d’un certain âge, souvent 12 ans, doit donner son accord. Pensons par exemple à la
procédure d’adoption et la procédure en reconnaissance de paternité d’un enfant. Le mineur
sera donc alors aussi appelé à l’affaire.
3.4.4 Le droit d’audition
Le droit à l’audition est un terme qui indique que l’enfant a le droit de parler et d’être entendu.
Par ce droit, les mineurs ont la possibilité de donner leur avis dans une procédure judiciaire
qui les concerne. Cela ne signifie absolument pas que le mineur soit aussi partie au procès.
Par exemple, l’enfant ne peut faire appel de la décision du juge. De plus, ce droit ne peut être
exercé que si une autre personne a déjà lancé une procédure judiciaire. Les mineurs, via leur
droit à l’audition, ne peuvent introduire eux-mêmes une affaire devant le juge. Un avantage
éventuel du droit à l’audition est que le juge peut avoir une discussion avec le mineur de
manière libre et ouverte. Le droit d’audition du mineur est actuellement consacré de manières
différentes par la loi.
-
-
-
De manière générale, le droit d’audition est une possibilité. Ce n’est donc pas une
obligation. Qui prend l’initiative ? Ou bien c’est le mineur lui-même, ou bien le juge.
Le mineur n’est pas obligé de répondre à une demande du juge. Il n’existe pas
d’obligation d’audition. Inversement, si le mineur demande à être entendu, le juge peut
refuser d’entendre le mineur sur base du fait qu’il estime que le mineur ne dispose pas
de la capacité de discernement nécessaire. Il n’y a aucun recours possible contre cette
décision.
Le droit d’audition du mineur par le juge de la jeunesse fait l’objet d’une
réglementation distincte. Le juge de la jeunesse est obligé d’entendre chaque mineur à
partir de 12 ans dans les affaires civiles qui concernent l’autorité parentale,
l’administration de ses biens, l’exercice du droit aux relations personnelles et la
désignation d’un subrogé tuteur. Ici, il y a une obligation d’appeler le jeune sans
aucune exception. Mais il y a un âge minimum prévu à 12 ans. Ici aussi, le mineur
peut décider de ne pas parler au juge.
Dans les procédures d’adoption et de tutelle il existe aussi une réglementation
spécifique pour le droit d’audition.
3.4.5 La demande au Ministère public
Dans certains cas, le Ministère public peut porter la demande d’un mineur devant le juge.
Ainsi, le Ministère public peut demander au tribunal de la jeunesse de prendre ou de modifier
des ordonnances concernant l’autorité parentale. Si un mineur veut donc saisir le tribunal de la
jeunesse d’un problème concernant l’autorité parentale, cela peut se faire via le Ministère
public. Concrètement, le mineur peut présenter son problème ou sa demande dans une lettre
adressée au Procureur du Roi. Mais c’est le Procureur du Roi qui prend la décision finale de
présenter ou non l’affaire au juge de la jeunesse.
En théorie, cette possibilité pourrait être une solution pour le mineur. Toutefois elle est très
peu appliquée dans la pratique.
12
3.4.6 L’intervention en tant que mineur
Dans le paragraphe précédent, nous avons commenté le fait que les mineurs sont incapables
d’exercice de manière générale. Ils ne peuvent en principe poser aucun acte juridique, comme
par exemple signer un contrat. A cette règle générale, il existe une importante nuance. Que se
passe-t-il si un mineur signe un contrat lui-même ? Ce contrat est-il non valable ? Si le mineur
dispose de la capacité de discernement suffisante et que l’acte juridique n’a pas de
conséquences graves pour le patrimoine du mineur, alors ce contrat est bien valide. Les
engagements qui découlent du contrat doivent être respectés aussi bien par le mineur que par
l’autre partie contractante.
Il est cependant vrai que du côté du mineur, le contrat peut être mis à néant par le juge s’il
apparaît qu’il nuit au mineur. Il s’agit d’une protection du mineur mais ce sont à nouveau les
parents qui doivent soumettre l’affaire au juge. Le mineur lui-même ne peut demander
l’annulation du contrat qu’une fois qu’il est majeur. Cette disposition est donc en pratique
finalement inutilisable.
Que se passe-t-il si un mineur intervient quand-même de manière autonome dans une affaire
judiciaire ? La conséquence est que le traitement de l’affaire sur le fond, à la demande de la
partie adverse ou du juge lui-même, n’est pas frappé de nullité, mais est suspendu afin de
pouvoir laisser le représentant du mineur intervenir.
Bien que la règle de base concernant l’incapacité d’exercice soit très stricte, si on la regarde
sous cet angle, elle devient un peu plus souple. Regardons par exemple les contrats de bail.
Selon la règle générale, on peut avancer qu’un mineur est incapable de conclure un contrat de
bail. Mais si un tel contrat est quand même passé, le contrat de bail n’est pas invalidé. Le
bailleur doit mettre le bien à disposition du mineur et le mineur doit payer le loyer. Seul le
juge pourrait prononcer la nullité du contrat s’il nuit au mineur. Aussi longtemps que le juge
n’intervient pas, le contrat de bail doit être exécuté.
3.4.7 L’émancipation
L’émancipation est une correction générale à l’incapacité des mineurs. Par l’émancipation, on
met une fin au statut de minorité. Un mineur émancipé devient partiellement capable
d’exercice et peut partiellement intervenir dans le circuit judiciaire.
A partir de 15 ans, une émancipation peut être prononcée par le tribunal de la jeunesse. Ici
aussi, il y a une importante limite pour le jeune : comme mineur, il ne peut demander luimême son émancipation au juge. Dans ce cas, comme dans d’autres, le mineur peut adresser
sa demande au Ministère public et c’est le Procureur du Roi qui peut alors porter la demande
du mineur devant le juge.
L’émancipation existe légalement mais est peu appliquée dans la pratique.
13
Chapitre 4.
Des points qui posent problème
Cette vue d’ensemble du fonctionnement actuel montre clairement que l’on se trouve en cette
matière dans un flou juridique. A côté des règles légales il existe de nombreuses exceptions et
à côté des exceptions légales, il existe des applications différentes dans la pratique.
Pour la plupart des enfants et des jeunes, le cadre actuel concernant l’autorité parentale et le
système de représentation pose peu de problème. Mais il ne faut pas perdre de vue que, dans
la pratique, il y a aussi des situations où le système ne fonctionne pas bien. En outre, de plus
en plus de réflexions de principe ont lieu concernant la réglementation actuelle. Que signifie
avoir des droits si on ne peut pas les faire valoir soi-même in extremis ?
Dans son travail quotidien d’ombudsman, le Kinderrechtencommissariaat rencontre
fréquemment les situations suivantes :
-
-
-
-
-
Un enfant de 10 ans demande au juge de pouvoir raconter son histoire à propos de la
séparation de ses parents. Le juge refuse. Le mineur ne peut lui-même rien
entreprendre.
Un enfant de 11 ans est maltraité à la maison et personne ne fait rien. Le mineur ne
peut même pas lui-même se porter partie civile.
Un jeune de 16 ans achète une moto qui a un vice. Il ne pourra agir contre le vendeur
que via ses parents.
Un mineur de 15 ans est exclu définitivement de l’école, bien que l’école n’ait pas
respecté la procédure d’exclusion. Une fois de plus, les parents sont nécessaires pour
intenter une procédure.
Un mineur de 16 ans souhaite, après le divorce de ses parents, maintenir des contacts
avec son demi-frère. Pour rendre obligatoire ce droit aux contacts, il ne peut introduire
lui-même aucune procédure. La mère refuse de soutenir son fils et ne veut intenter
aucune procédure
Un mineur de 12 ans souhaite une modification dans le droit à l’hébergement qui a été
décidé quand il était petit. Sans l’intervention de l’un de ses parents, ce n’est pas
possible.
Une fille de 11 ans ne veut pas que le nouveau compagnon de sa mère la reconnaisse.
Comme elle n’a pas encore 12 ans, elle ne peut rien faire pour empêcher cela.
Dans ce qui suit, nous allons exposer quelques points problématiques de manière plus
approfondie.
4.1
L’inégalité juridique
Aujourd’hui, en tenant compte des différentes exceptions (cf 3.3), une procédure judiciaire au
nom et pour le compte du mineur pourra parfois aboutir. Mais dans un autre cas, rien ne
pourra avoir lieu. Un problème fondamental se pose dès lors, à savoir l’inégalité juridique.
Pour un droit aussi fondamental que l’accès au juge il doit y avoir une égalité juridique de
principe. Il n’est pas juste que pour un mineur, cela marche et pour un autre non, alors que,
dans les deux cas, la demande est légitime.
Quotidiennement, les mineurs interviennent pour eux-mêmes dans la procédure judiciaire en
matière de protection de la jeunesse. Dans les procédures qui concernent une situation
14
éducative problématique ou un fait qualifié infraction, les mineurs sont bien parties eux-même
au procès. En outre, dans ces situations, il existe un système d’assistance par un avocat
commis d’office. Pourquoi cela ne pourrait-il pas être le cas dans les autres affaires
judiciaires ?
Pour les mineurs, il y a déjà de nombreux seuils. Le but de l’incapacité sur base de l’âge est la
protection du mineur. Cependant, dans la pratique, cela constitue souvent un obstacle.
Pourquoi poser un seuil d’âge pour accéder au juge ? Quels sont les arguments de principe en
cette matière ?
Dans le domaine de l’assistance juridique il y a également une inégalité juridique. Depuis des
années, grâce aux permanences jeunesse, certains barreaux disposent d’un bon savoir-faire en
matière de droit de la jeunesse. Dans d’autres régions toutefois, il y a beaucoup moins
d’initiatives en faveur des jeunes. N’est-il pas inadmissible que la qualité de l’assistance
juridique soit tributaire d’un facteur chance tel que le domicile ?
4.2
La concordance avec la réalité
Peu de personnes se posent encore la question de savoir si l’on s’adresse aux jeunes en tant
que personnes autonomes, par exemple, comme consommateurs, pour un job d’étudiant, dans
la circulation, dans le droit social ou comme clients dans l’aide à la jeunesse. De plus en plus
souvent, on reconnaît dans la société la capacité des mineurs à décider de manière autonome
et on leur reconnaît des droits. Mais dans le droit civil, en ce qui concerne le fondement de la
position juridique, il n’y a eu aucune évolution. Cela a parfois des conséquences dans la
pratique pour d’autres domaines juridiques. Pensons par exemple au droit social. Le jeune
peut percevoir lui-même ses allocations familiales à partir de 16 ans s’il habite seul. Mais en
même temps, signer un contrat de bail sur le plan du droit civil est tout sauf évident à cause de
l’incapacité générale des mineurs. Par exemple, au sein de l’aide à la jeunesse, le mineur peut
faire valoir un droit aux contacts avec l’un de ses parents ou les deux, tandis que sur le plan
civil ce droit n’existe pas pour le mineur. De ce fait, certains droits restent dans la pratique
lettre morte.
L’incapacité et la protection comme fondements dans la position juridique des mineurs en
droit civil se heurtent à la réalité de la société. Entre les différents domaines du droit,
l’harmonisation est insuffisante.
4.3
Une représentation par le(s) parent(s) impossible
Qu’en est-il si les parents, en tant que représentant légaux, ne peuvent, ou ne veulent, exercer
leur mission ? Le système de représentation du mineur semble seulement marcher s’il existe
une relation de confiance entre le mineur et le (s) parent(s) et si le(s) parent(s) veut (veulent)
intervenir dans l’intérêt de l’enfant. La réalité démontre qu’il en est parfois autrement. S’il
semble aller de soi que les parents interviennent toujours dans l’intérêt de leur enfant, il arrive
aussi qu’il n’y a plus de contact depuis des années entre l’enfant et ses parents ou que les
parents ne se préoccupent pas de l’intérêt de leur enfant.
Par exemple, si un mineur de 16 ans vit chez ses grands-parents parce que sa mère est allée
s’installer en Suède avec son nouveau compagnon, qui va alors représenter l’enfant s’il veut,
15
via une procédure judiciaire, obliger sa mère à subvenir à ses besoins, alors qu’il n’a plus de
contact avec son père depuis des années ?
Dans le domaine de l’aide à la jeunesse, ces questions et considérations viennent aussi
régulièrement. Qu’en est-il lorsque des décisions relatives à l’éducation sont nécessaires mais
qu’elles ne peuvent être prises en raison d’un conflit de longue date entre les parents ? Que se
passe-t-il quand les enfants et les parents n’ont plus de liens depuis longtemps ? Des
problèmes peuvent donc surgir aussi bien au niveau juridique ou administratif.
Le principe de protection dans la réglementation actuelle offre-t-il dès lors suffisamment de
garanties pour la protection des mineurs eux-mêmes ? Nous savons que cela ne concerne pas
un nombre important de situations problématiques mais cela ne veut pas dire que cela n’a pas
d’intérêt. Le droit a d’autant plus un rôle à jouer dans les situations les plus précaires et pour
les mineurs les plus vulnérables.
4.4
La plus value d’un « tuteur ad hoc » ?
En cas de conflit d’intérêt entre le mineur et son représentant légal, un tuteur ad hoc peut
représenter le mineur. Toutefois, le problème est qu’il n’y a pas pour le moment de solution
pour les situations où les parents négligent de représenter leur enfant (voir ci-dessus). C’est
pourquoi l’on veut étendre le système de tuteur ad hoc aux situations d’inactivité des parents.
Mais ne devrions-nous pas ici aussi oser chercher d’autres solutions ? Si un tuteur ad hoc doit
être désigné par le juge cela se fait ou bien d’office par le juge ou bien à la demande d’une
personne intéressée. Cependant, le problème est que, finalement, le mineur, qui est le premier
intéressé, ne peut pas aller lui-même devant le juge pour demander un tuteur ad hoc. Le
mineur peut tout au plus expliquer le problème au Ministère public et demander que le
Procureur du Roi demande au juge de désigner un tuteur ad hoc. L’ensemble du système est
donc compliqué et le mineur reste dans une position de dépendance par rapport à l’initiative
d’autres adultes.
Il reste aussi la question de fond de savoir si la désignation d’un tuteur ad hoc offre
effectivement une plus value au mineur. Dans la pratique, il semble que la désignation d’un
tuteur ad hoc est la plupart du temps vue comme une pure obligation formelle. Ce tuteur est
rarement une personne de confiance du mineur. La plupart du temps, il s’agit d’un avocat
inconnu qui est désigné alors que le mineur dispose déjà souvent lui-même, depuis le début de
la procédure judiciaire, d’un avocat en qui il a confiance.
Où est dès lors l’intérêt de désigner un tuteur ad hoc si la pratique montre que ce tuteur n’a
aucun rôle en tant que personne de confiance du mineur avec des responsabilités
pédagogiques ? Pourquoi maintenir un système compliqué dont la nécessité n’est pas
prouvée ?
Aux Pays Bas, la question de la plus value de la désignation d’un curateur particulier, qui est
comparable à la position du tuteur ad hoc, est également posée. Une recherche montre que,
dans la pratique, un curateur est rarement désigné car le mineur est quand même déjà assisté
d’un avocat. Pourquoi devons-nous consacrer de l’énergie et du temps à une réglementation
qui finalement n’offre aucune plus-value ?
16
4.5
Un droit d’audition trop faible
Aujourd’hui, il existe différentes réglementations relatives au droit d’audition alors que les
situations sont souvent identiques. Dans certains cas, le mineur dispose du droit d’audition,
alors que dans d’autres, il est dépendant de l’initiative du juge. Et cela, non pas en raison de la
nature même de procédure judiciaire, mais seulement parce que la réglementation légale
diffère ou dépend de l’état de la procédure. Ainsi, un jeune de 13 ans, dont les parents non
mariés mais vivant ensemble, comparaissent devant le tribunal de la jeunesse pour leur
séparation. Le juge de la jeunesse sera obligé d’inviter ce jeune pour son droit d’audition. Un
autre jeune de 13 ans dont les parents séparés portent une affaire devant la Cour d’Appel
devra attendre que le juge en appel prenne l’initiative de parler avec lui. S’il demande luimême à ce juge d’être entendu, le juge peut refuser de faire droit à cette demande.
Dès lors, des situations semblables sont traitées différemment. De plus, un tel éparpillement
de la législation entraîne dans la pratique beaucoup d’imprécisions et d’insécurité juridique.
Le caractère facultatif du droit à l’audition entache aussi la sécurité juridique. Dans nombre de
situations, c’est le juge qui décide d’inviter ou non le mineur. Le droit à l’audition n’est-il ici
pas considéré comme un procédé pour le juge pour régler un différend plutôt qu’un véritable
droit pour l’enfant tel que prévu par la Convention internationale relative aux droits de
l’enfant ? Pourquoi ne laisse-t-on pas les mineurs prendre l’initiative eux-mêmes d’exprimer
ou non leur avis ?
Par l’exercice de ce droit d’audition, il s’agit souvent de rechercher un équilibre difficile et
subtil. Parler avec des enfants qui se trouvent dans une situation conflictuelle comme par
exemple, la séparation des parents, comporte le risque que les enfants soient encore plus
impliqués dans le conflit. Comment pouvons-nous éviter ce risque de pression et manipulation
de l’enfant ?
La manière dont le droit à l’audition est appliqué dans la pratique est donc cruciale et doit être
encadrée avec soins. Cette exigence de précaution dans la pratique d’aujourd’hui est-elle
réalisée ? Où en est-on avec l’élaboration de critères de qualité pour l’audition ?
Le droit d’audition existe depuis presque 15 ans, mais les mineurs ne savent pas vraiment ce
qu’ils doivent pouvoir attendre de ce droit. La communication avec le tribunal se passe de
manière beaucoup trop rude. Un juge procède d’une manière, un autre agit différemment. La
concertation et l’échange sont souvent inexistants. Même en ce qui concerne la question
cruciale de la transcription de l’audition, les mineurs sont complètement tributaires de
l’évaluation qui sera faite par le juge. Il n’est nullement ici question d’un droit au contrôle,
mais le mineur n’a pas le droit d’examiner s’il retrouve ce qu’il a dit dans la transcription.
4.6
La nécessité d’un soutien spécialisé
Seule une minorité d’avocats se concentrent sur les affaires de jeunesse et acquièrent une
expérience et une expertise spécifique en ce domaine. Durant les études de droit, le droit de la
jeunesse est souvent une matière à option. Pourtant la qualité de l’assistance pour les jeunes
qui se trouvent dans une procédure judiciaire est nécessaire. La mission spécifique des
avocats qui assistent les jeunes consiste à apporter un éclairage sur le contexte dans lequel
17
apparaît le problème. Cette qualité demande à l’avocat une expertise particulière, qui n’est pas
limitée au domaine juridique.
Bien que le terme « avocat des jeunes » s’utilise de plus en plus aujourd’hui, il n’y a toujours
pas de réglementation légale générale qui fixe la portée de ce terme ainsi que des exigences de
formation. De plus, la mise en place des permanences jeunesse dans les barreaux ne se fait pas
partout de la même manière. L’atout de ce concept « avocat des jeunes » devrait cependant
être sa clarté de telle sorte qu’il corresponde à la réalité.
Il existe aussi des différences fondamentales concernant le droit à l’assistance. Si les mineurs
reçoivent le droit d’accéder au juge eux-mêmes, un système général d’assistance d’office par
un avocat ne serait-t-il pas d’autant plus nécessaire ? Les mineurs n’ont par principe pas de
revenus propres. De plus, il est utile de protéger l’avocat du mineur contre le paiement par
une autre intéressé (parent, famille).
4.7
Une escalade dans les conflits
Les mineurs n’ont pas la possibilité légale de porter devant le juge, de la jeunesse ou autre, un
conflit qu’ils ont avec leurs parents concernant une décision qui tombe sous le coup de
l’autorité parentale. Cependant, dans certains cas, pouvoir présenter au juge différentes
perspectives et points de vue afin de parvenir, via une décision judiciaire, à un arrangement,
pourrait constituer une réelle solution.
Si les situations conflictuelles restent latentes, le risque d’escalade est grand. Dès lors, le
conflit risque de dégénérer et d’aboutir finalement devant le juge comme situation éducative
problématique. Imaginons que des parents et leur fils sont en conflit concernant le choix d’une
école. S’ils n’arrivent pas à une entente et que le conflit perdure, cela peut dégénérer
(décrochage scolaire, fugues,…).
La question est de savoir si une telle escalade n’aurait pu être évitée et si l’on ne pourrait
consacrer, à un stade antérieur, de l’attention à un règlement formel des conflits en matière
d’autorité parentale et de décisions éducatives.
Nous constatons qu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucune offre spécifique de médiation
formelle de traitement des conflits pour les mineurs, à l’exception des commissions de
médiation au sein de l’aide à la jeunesse, mais celles-ci travaillent pour le moment
exclusivement sur les conflits internes à l’aide à la jeunesse3.
Devons-nous concevoir l’accès au système juridique pour les mineurs de la manière la moins
large possible et réfléchir à rendre plus accessibles les services d’aide sociale générale ainsi
qu’une offre spécifique en matière de médiation de conflits ?
3
Ceci existe en Communauté flamande mais il n’y a pas de pendant dans le secteur de l’aide à la jeunesse en
Communauté française (NDT)
18
Chapitre 5.
Les trois propositions de loi
Sur le plan parlementaire, des initiatives ont été prises depuis plusieurs années en matière
d’accès à la justice, de droit d’audition et d’avocats des jeunes.
A l’origine, trois propositions de loi avaient été déposées au Sénat sur ces questions. Des
auditions et discussions s’en sont suivies et les trois propositions ont été votées au Sénat le 18
juillet 2002. Elles ne le furent toutefois pas à la Chambre.
Les trois propositions de loi ont été reprises durant la précédente législature et, le 19 avril
2006, la Commission Justice de la Chambre a tenu une séance d’auditions sur ces questions. Il
y est apparu que nous n’étions pas les seuls à vouloir que ces propositions aboutissent.
Différentes propositions d’amendements du texte original ont été déposées mais, in fine, le
texte n’a pas été adopté à la Chambre et le travail parlementaire n’a donc pas été à son terme.
Cependant, la déclaration de politique de l’actuel Ministre de la Justice Vandeurzen a posé
comme choix politiques la position juridique des mineurs et l’adaptation du droit d’audition4.
Que contiennent ces trois propositions de loi ?
Ce qui suit est une courte explication des changements que nous proposons dans les
propositions originales qui ont été approuvées à l’époque par le Sénat mais qui n’ont pas
encore été votées à la Chambre. Pour un examen plus détaillé de ces différents projets, nous
renvoyons vers l’avis du Kinderrechtencommissariaat « Droit d’audition – accès à la justice
autonome - Avocat des jeunes », rédigé en juin 2006 et qui peut être consulté sur le site
Internet (www.kinderrechten.be).
5.1
Le droit à l’audition
Un point central concernant le droit d’audition est la volonté de rassembler les principes des
deux réglementations actuelles dans une procédure nouvelle et plus cohérente.
Une 2ème nouveauté consiste en une obligation d’inviter le jeune à partir de 12 ans à
s’exprimer dans n’importe quelle procédure qui le concerne. Les jeunes de moins de 12 ans
qui sont en état d’exprimer leur opinion peuvent exercer leur droit à être entendu après
décision du juge. Si le mineur de moins de 12 ans demande lui-même à être entendu, le juge
ne peut le refuser.
L’obligation d’appeler le jeune ne signifie pas une obligation de comparution. Le mineur peut
refuser de donner suite à l’invitation du juge.
Le mineur peut se faire représenter par un avocat. Si le mineur ne souhaite pas d’avocat, il
peut se faire accompagner par une personne de confiance.
4
La déclaration de politique générale du Secrétaire d’Etat aux familles Wathelet évoque quant à elle la question
de l’audition des enfants et de l’avocat des mineurs.
19
Il est aussi stipulé qu’il faut accorder un intérêt adapté à l’opinion de l’enfant, en lien avec son
âge et sa maturité, et que le juge qui a cet entretien avec le mineur doit suivre une formation
sur la manière de s’adresser aux enfants.
5.2
Le droit d’accès autonome à la justice
Dans certains cas particuliers, on veut accorder un droit d’accès à la justice autonome au
mineur, ce qui signifie que le mineur pourrait aller devant le juge sans représentant.
Il existe deux situations dans lesquelles un mineur devrait pouvoir avoir cet accès : pour
intervenir comme partie civile et pour introduire une procédure judiciaire en rapport avec sa
personne. Intervenir comme partie civile consiste pour la personne victime d’une infraction à
introduire une demande en justice en réparation des dommages subis. Une procédure
judiciaire qui concerne sa personne est une formulation large qui peut comprendre beaucoup
d’affaires concernant la vie personnelle du mineur.
Pour se constituer partie civile, un mineur doit être capable d’intervenir au cas où son
représentant légal ne fait rien ou lorsqu’il y a un conflit d’intérêt entre le mineur et son
représentant.
A partir de 12 ans (ou plus jeune si le mineur est en état d’exprimer son opinion) un mineur
doit aussi être capable d’introduire une demande en justice dans les procédures judiciaires,
administratives ou judiciaires conservatoires ou dans les procédures qui concernent sa
personne. Ici aussi, cela ne vaut que si le représentant légal n’entreprend rien ou en cas de
conflit d’intérêt.
5.3
Les avocats des jeunes
Dans une procédure judiciaire ou administrative dans laquelle le mineur est lui-même partie
ou dans laquelle le mineur est entendu, la règle doit être l’assistance d’un avocat. Un « avocat
des jeunes » est d’office et automatiquement désigné, à moins que le mineur ait choisi luimême un avocat. Bien qu’il soit prévu légalement la commission d’office d’un avocat, il n’y a
pas pour autant d’obligation : le mineur peut renoncer à son droit à l’assistance et refuser la
désignation d’office d’un avocat pour mineurs.
Dans une procédure judiciaire ou administrative qui concerne le mineur, le mineur peut être
assisté d’un avocat. Si le mineur ne choisit pas lui-même un avocat, un avocat pour mineurs
est désigné à la demande du mineur, ses parents ou le juge.
Un avocat qui est désigné pour un mineur doit être formé de manière spécifique. « Les
avocats des mineurs » recevront une formation. Le titre « Avocat des mineurs » est constaté
légalement et protégé. De plus, une permanence d’avocats des mineurs sera organisée dans
chaque arrondissement judiciaire par le barreau. L’Etat viendra en aide financièrement, aussi
bien pour la réalisation des formations que pour la mise en place des permanences jeunesse.
L’objectif est que, via ce cadre légal, une offre identique soit disponible partout.
20
Chapitre 6.
Ce qui doit changer
Dans l’intérêt des enfants et des jeunes, nous demandons aux responsables politiques
d’adapter la législation. Le cadre légal actuel n’est pas adapté. A côté de la règle générale, il y
a de nombreuses exceptions. La cohérence est absente et il y a un manque de concordance
avec les autres matières juridiques. Voici donc les principales recommandations de
changement.
6.1
L’aboutissement du travail législatif
Nous demandons en premier lieu de terminer le travail parlementaire déjà entamé et
d’approuver les trois propositions de loi. Du fait de leur contenu proche, nous demandons
d’approuver les trois propositions ensemble.
-
-
-
Le droit d’audition est en grande partie réglé comme étant une possibilité d’audition.
Toutefois, il ne sera d’aucune utilité si aucune procédure n’est intentée. C’est pourquoi
il faut prévoir un droit d’accès propre à la justice.
L’accès à la justice concerne aussi bien l’introduction d’une procédure en justice que
la défense du point de vue et des intérêts du mineur. Dès lors, on doit prévoir
l’assistance juridique et la compréhension de la position du mineur. Les garanties pour
cela reposent sur l’exigence de spécialisation de l’avocat des mineurs.
L’assistance judiciaire spécialisée met le mineur en meilleure situation pour donner
son avis au juge. Ainsi on donne une meilleure interprétation à l’article 12 de la
Convention internationale relative aux droits de l’enfant.
Rappelons que le Comité des droits de l’enfant des nations Unies a, suite à l’examen du 2ème
rapport belge en 2002, sommé la Belgique de travailler à la réalisation de ces initiatives.
6.2
La reconnaissance du droit à être entendu comme un droit de l’enfant
6.2.1 Une invitation à chaque mineur à s’exprimer
Nous plaidons pour une obligation d’inviter le mineur à s’exprimer afin de renforcer le droit à
l’audition comme étant un droit de l’enfant. Une telle obligation peut de plus avoir un effet
neutralisant ou déculpabilisant car elle laisse moins de place à la pression ou à la
manipulation.
Douze ans comme limite d’âge inférieure ne forme pas un point de rupture. Toutefois, on peut
quand même se demander pourquoi, par exemple, un enfant de 10 ans n’aurait pas le même
droit de parole qu’un enfant de 12 ans (qui peut être son frère ou sa sœur). Les enfants en
dessous de 12 ans devraient aussi disposer d’un accès plus aisé au juge. A cet égard, nous
plaidons pour une attention particulière pour la communication, la sensibilisation et
l’information sur la possibilité des jeunes en dessous de 12 ans d’être aussi entendus, même
s’ils ne sont pas automatiquement invités.
Précisons aussi que d’un droit, on ne peut faire une obligation. Nous ne sommes donc pas
partisans d’une obligation de comparution. Il nous semble important de mentionner
21
clairement au jeune, dans la lettre qui l’invite à être entendu, qu’il a le droit de ne pas faire
suite à l’invitation du juge.
6.2.2 Un champ d’application clair et large
Si l’invitation des mineurs pour le droit d’audition devient obligatoire dans chaque procédure
qui concerne le mineur, il est nécessaire de prévoir clairement la portée de cette formulation.
L’obligation d’inviter le jeune repose en effet sur le juge.
Une limitation du champ d’application du droit d’audition aux seules procédures judiciaires
qui concernent l’autorité parentale (la personne de l’enfant et ses biens) ne nous paraît pas être
conforme à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. En effet, dans la
Convention, il n’est nullement question d’une limitation à des matières déterminées.
Même si un accord entre parties intervient, par exemple dans le cadre d’une séparation à
l’amiable, nous sommes d’avis que l’enfant devrait pouvoir exercer son droit à être entendu à
sa demande.
6.2.3 Une explication reprise dans la loi
Nous demandons de reprendre dans la loi une disposition explicative du droit à l’audition, par
exemple en précisant qu’à l’opinion de l’enfant, il sera accordé un intérêt adapté. Par ailleurs,
les mineurs eux-mêmes doivent être informés sur la portée du droit à l’audition. Pouvoir
exprimer un point de vue ne signifie pas que le juge va automatiquement suivre l’opinion de
l’enfant. Ceci doit être clair pour les mineurs. Dans la pratique, nous remarquons que les
enfants et les jeunes attendent trop de leur droit à l’audition. Une information claire du jeune
sur le droit à l’audition et sur ce que le juge fait de son histoire est extrêmement importante.
Nous demandons que ceci soit concrètement expliqué au mineur dans sa convocation.
6.2.4 La prudence dans la transcription de l’audition
Il nous parait crucial que le mineur sache dès le début comment se passe la transcription de
ses dires par le juge et qui peut prendre connaissance de cette transcription. Nous demandons
que cette information soit déjà reprise dans la convocation adressée au jeune et que le juge
soit obligé d’en informer le jeune. Selon nous, il doit aussi être possible que, si le mineur le
demande, seul un résumé de l’audition soit transcrit ou même qu’il soit seulement mentionné
que le mineur a été entendu.
Nous soutenons également la proposition que le rapport soit lu au mineur et qu’il puisse
demander à y apporter des modifications. Par ailleurs, il nous semblerait préférable de ne pas
utiliser le vocable de procès-verbal : le droit à l’audition n’est pas une audition comme dans
les affaires pénales.
Enfin, il faut prévoir que seul l’avocat des parties puisse recevoir copie de l’audition. Celui-ci
ne peut ni se dessaisir de la copie, ni la remettre à un tiers, ni en faire mention dans une autre
affaire. Même si le contrôle de ces obligations risque d’être difficile dans la pratique, il nous
parait quand même important de le poser comme norme.
22
6.2.5 L’assistance d’un avocat ou d’une personne de confiance ?
Nous nous interrogeons sur l’obligation de l’assistance d’un avocat durant l’audition. Nous
sommes d’avis qu’une protection spécifique n’est pas nécessaire ici et restons donc partisans
d’un droit en lieu en place d’une obligation d’assistance.
L’essence même du droit à être entendu consiste en une rencontre entre l’enfant et le juge.
Une représentation du mineur est donc exclue. Idéalement, c’est le juge lui-même qui doit
avoir des contacts avec l’enfant. Afin de diminuer l’effet de stress, nous plaidons plutôt pour
le droit du mineur d’être assisté par une personne de confiance.
6.2.6 La qualité avant tout
Il est nécessaire d’investir dans la formation et l’intervision quant aux méthodes d’écoute des
enfants. De quelle manière les juges peuvent-ils communiquer avec les enfants de telle sorte
qu’ils se sentent vraiment entendus ?
A l’heure actuelle, il manque une recherche fondamentale sur l’application pratique et le vécu
des enfants. Comment les juges appliquent-ils le droit d’audition ? Qu’y trouvent-ils de
positif ? Qu’est ce qui fonctionne moins bien ? Que disent les enfants et les jeunes de leur
droit d’audition ? Quels sont leurs expériences, leurs souhaits ? Il est essentiel que la
recherche prenne en compte les vécus et expériences des enfants et des jeunes quant à leur
droit d’audition. A côté d’une nouvelle réglementation, nous insistons donc aussi sur la
qualité et une pratique adaptée.
Ne devons-nous pas également penser à une structure d’échange au niveau du tribunal ? Une
plateforme où différents acteurs judiciaires pourraient échanger sur les procédures en matière
de droit à l’audition. Une telle concertation parait nécessaire si l’on veut faire dans la pratique
que ce droit à l’audition soit un droit complet et de qualité pour les mineurs.
6.3
Le droit d’accès à la justice pour les mineurs
6.3.1 Une pratique déjà actuelle dans certains cas
Si, dans une procédure judiciaire concernant une situation éducative problématique ou un fait
qualifié infraction, le mineur est lui-même partie au procès, pourquoi ne peut-il l’être dans les
affaires civiles ? L’actuelle règlementation de l’incapacité d’exercice et de procédure prétend
vouloir offrir une protection aux mineurs, mais elle a pour conséquence, dans la pratique, que
des mineurs ne peuvent exercer leurs droits. Ceci ne concerne pas la grande majorité des
mineurs pour lesquels leurs parents remplissent leur tache comme représentants légaux. Mais
le droit ne doit-il pas accorder une attention particulière aux situations où cela ne
fonctionnerait pas ?
6.3.2 Une nécessité comme finalité
La reconnaissance d’une intervention autonome du mineur est nécessaire comme point final
de la protection juridique. La capacité d’exercice et de procédure a pour but de laisser les
23
mineurs jouir des droits qui leur sont reconnus. Le droit de participation des mineurs dans une
procédure judiciaire est, en premier lieu, centré sur leur protection juridique.
Ce point de vue sur l’accès propre à la justice coïncide avec une recherche menée aux Pays
Bas sur le souhait d’un accès autonome des mineurs à la justice. Sur base d’arguments à la
fois d’experts et de mineurs eux-mêmes, on en est venu à la conclusion que les mineurs
doivent pouvoir disposer d’un droit d’accès à la justice propre :
1. Dans la réglementation actuelle, il y a trop de morcellements, ce qui crée l’insécurité. Dans
certains cas, la loi reconnait aux mineurs un droit propre d’accès à la justice. De nombreuses
exceptions vident le système de base. On est face à un vrai labyrinthe et la cohérence manque.
2. L’élargissement de la capacité d’exercice de fait des mineurs doit aller de pair avec un
accès propre au juge
3. Cela correspond à la position de plus en plus autonome des jeunes dans la société actuelle.
6.3.3 Pas de risque d’une surcharge des tribunaux
Donner un droit d’accès à la justice aux mineurs risque-t-il de conduire à la judiciarisation des
relations familiales ? Cela va-t-il provoquer des conflits ou les empirer ? Nous ne sommes pas
de cet avis, car si quelqu’un introduit une procédure judiciaire, c’est que la situation est déjà
assez conflictuelle.
Les mineurs ne surchargeront pas non plus les tribunaux avec leur droit d’accès propre et
leurs procédures. Les situations problèmes pour lesquelles l’accès au droit est nécessaire ne
sont pas si nombreuses. Mais le droit a davantage un rôle à jouer dans les situations les plus
précaires. Pour la majorité des enfants et des jeunes, ce n’est pas un problème, mais le droit
doit en premier lieu s’intéresser aux situations où les choses ne se passent pas bien.
Les juristes plaident aussi pour une amélioration générale de la position procédurale des
mineurs. Que les mineurs ne puissent présenter eux-mêmes au juge de la jeunesse des
décisions prises dans le cadre de l’autorité parentale pour contrôle (contrôle marginal) est vu
comme étant une lacune. Prenons le cas où un conflit surgit concernant le choix que font les
parents d’une école. In extremis, le mineur devrait avoir la possibilité de demander au juge de
trancher.
Par ailleurs, l’assistance obligatoire d’un avocat fera en sorte que les demandes non
recevables ou non fondées juridiquement n’aboutiront pas devant le juge. Le contre-argument
selon lequel il existe un risque d’encombrement judiciaire ne fait pas le poids face au droit
fondamental de l’accès au juge.
6.4
La reconnaissance des avocats des jeunes dans une loi
Tant la faible position juridique des mineurs actuelle que le manque d’attention pour le droit
de la jeunesse dans la formation en droit sont pour nous des arguments importants pour
justifier l’inscription des avocats des jeunes dans la loi.
24
6.4.1 L’avocat « défenseur »
Le rôle central de l’avocat consiste à intervenir comme porte-parole du mineur et non pas de
déterminer ce qui est le mieux pour le mineur. A l’instar de ce qui prévaut pour un client
adulte, c’est la volonté du jeune qui doit former le fil conducteur des actions de l’avocat. Nous
voyons le rôle de l’avocat comme « défenseur » de son client mineur. L’avocat fournit
l’assistance au mineur pour formuler qui il est, ce qu’il veut devenir, comment il vit la
situation, comment il voit l’intervention juridique…
6.4.2 La formation multidisciplinaire
Dans la formation à la spécialisation de l’avocat des jeunes, la protection de la jeunesse et
l’aide à la jeunesse sont bien sûr des matières centrales, tout comme les importants
instruments légaux internationaux concernant les enfants et les jeunes. Le module de
formation doit cependant être multidisciplinaire et comprendre aussi bien du droit que de la
psychologie.
6.4.3 Le libre choix
Nous sommes d’avis que, lors d’une désignation d’office, la spécialisation doit prévaloir, mais
en dehors du système de désignation d’office, un mineur doit pouvoir choisir lui-même un
avocat. Le juge doit bien juger l’indépendance de l’avocat à l’égard des autres parties et à
l’égard des tiers. Il est ainsi exclu que le mineur soit représenté par le même avocat que celui
qui défend ses parents.
Le projet détermine que l’intervention de l’avocat dans le cadre du droit à l’assistance pour un
mineur est à charge de l’Etat. Les mineurs étant par principe insolvables, le financement
étatique parait être la seule solution. Nous ne voulons donc pas que les coûts de l’assistance
judiciaire des mineurs tombent sous le devoir d’entretien des parents. Sinon la pression que
pourraient exercer les parents pourrait porter atteinte au droit à l’assistance.
6.5
La nécessité d’un débat fondamental sur la position juridique des mineurs
La capacité procédurale pour les mineurs ne doit pas devenir une « boite vide ». Imaginons
qu’un mineur, par exemple, pourrait lancer une procédure judiciaire pour remettre en question
un accord de garde que les parents ont convenu entre eux. Cela ne parait pas, dans ce cas, être
un droit opposable pour le mineur. Légalement, il est en effet stipulé que seuls les parents
prennent la décision concernant l’hébergement des enfants. Le mineur n’a, juridiquement, pas
de droit de participation à la décision concernant l’hébergement et les relations personnelles si
les parents se séparent.
Si nous plaidons pour une capacité procédurale pour les mineurs en fonction d’une protection
juridique complète, alors nous ne pouvons plus éviter le débat sur l’incapacité de principe.
L’actuel cadre juridique colle-t-il encore à la réalité sociale ? Ne devons-nous pas penser à un
cadre juridique civil avec des possibilités de construction graduelle des capacités ?
25
Dans la pratique, nous constatons en effet que les jeunes ne deviennent pas des adultes en un
jour. Il se peut donc que des mineurs, déjà à un plus jeune âge, à l’instar d’un adulte, doivent
être responsable d’eux-mêmes ou prendre eux-mêmes toutes sortes de décisions.
Nous demandons donc d’ouvrir le débat sur l’incompétence des mineurs en général. L’actuel
système de base devrait pouvoir être adapté avec des âges charnières comme cela se passe par
exemple déjà en matière de droit médical.
6.6
La protection juridique est plus large que le seul accès au juge
Une protection juridique effective des mineurs signifie bien plus que l’accès au droit. A côté
de l’accès au juge comme finalité, il est nécessaire de renforcer un service d’aide où les
mineurs pourraient recevoir une aide juridique de première ligne. De plus, il convient
d’accorder davantage d’attention aux initiatives extra judiciaires pour la résolution des
conflits en matière familiale. Les parents et les enfants doivent en effet continuer à vivre
ensemble, même après le traitement du conflit.
Une protection juridique effective des mineurs commence par un accès et une offre
compétente d’informations et de conseils. A partir de notre propre expérience pratique dans
notre travail d’ombudsman, nous demandons particulièrement de promouvoir l’activation de
l’expertise dans différents domaines juridiques qui sont souvent d’une grande importance
dans la vie de tous les jours : droit scolaire, bourses d’études, salaire, service social, droit
d’asile, allocations familiales, travail des étudiants, secret professionnel, droit médical…
Nous plaidons pour un échange d’informations et création d’un réseau entre les acteurs
judiciaires et les acteurs sociaux comme les CPAS, l’aide sociale générale, l’aide à la
jeunesse…
Enfin, nous insistons aussi sur la nécessité de développer un système de règlement extra
judiciaire des conflits pour les jeunes dans l’aide sociale. Ce qui a été développé actuellement
en matière de médiation réparatrice devrait aussi exister au niveau des conflits en matière de
violation des droits.
26
Chapitre 7.
Des recommandations tant pour le niveau fédéral que
pour le niveau communautaire
1. Travaillez sur les propositions de loi en matière de droit à l’audition, d’accès au droit
et d’avocats des jeunes. Les textes sont prêts, le débat parlementaire est achevé.
Rassemblez les textes et votez-les.
2. Renforcez le droit à l’audition. Invitez les enfants pour qu’ils racontent leur histoire au
juge. Expliquez d’une manière claire en quoi consiste ce droit. Travaillez à un plan
concret d’amélioration de la qualité du droit d’audition dans la pratique. Stimulez la
concertation et la cohérence au niveau du tribunal.
3. Créez un droit d’accès propre au droit pour les mineurs. C’est nécessaire comme
finalité dans la protection juridique.
4. Ne perdez pas de vue le débat fondamental sur la minorité. Centrez-vous dans ce débat
sur les capacités évolutives des enfants et des jeunes. Mettez-vous en concordance
avec la réalité et évitez l’incohérence entre les différentes branches du droit.
5. Donnez aux avocats des jeunes une reconnaissance légale. Fixez légalement les
conditions de formation multidisciplinaire et mettez en place un système de
permanences jeunesse dans tous les arrondissements.
6. Centrez-vous sur le trajet du jeune au sein de la protection de la jeunesse. Renforcez
l’offre d’information et de conseils en matière de droit de la jeunesse dans le travail
social global. Renforcez l’offre de médiation en matière de conflits familiaux à l’égard
des enfants et des jeunes. La protection juridique des mineurs demande une politique
forte.
27