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1 « L`utilisation de messages laissés sur le répondeur d`un
« L’utilisation de messages laissés sur le répondeur d’un téléphone mobile par leur destinataire constitue-t-elle un procédé déloyal de preuve ? » (Soc. 6 février 2013, pourvoi n°11-23.738, à paraître au bulletin) Rapport séance n° 8 – 10 février 2014 Elodie Le Prado – Quatrième secrétaire Paul Eluard : Il y a des mots qui font vivre. Et ce sont des mots innocents. [Le mot camarade], le mot confiance. L’obligation de loyauté irrigue l’ensemble du droit. C’est un principe général qui résulte de l’article 6 de la convention de sauvegarde. Le plaideur ne peut et ne doit avoir un comportement déloyal. Le droit processuel ne saurait y échapper. La jurisprudence des chambres civiles de la Cour de cassation est constante : le juge ne peut fonder sa décision que sur des éléments de preuve obtenus loyalement. Haro sur le mensonge et les subterfuges ! Blâme sur les procédés probatoires frauduleux et artificiels ! Cap sur la probité et la confiance ! Sur ce fondement, l’assemblée plénière a banni des juridictions civiles les éléments de preuve tirés d’enregistrements opérés à l’insu de l’auteur des propos En revanche - précision de la chambre sociale - la production de SMS dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur n’est pas déloyale. Le critère retenu ? La connaissance de l’enregistrement qui est fait. Qu’en est-t-il des messages oraux laissés sur un répondeur de téléphone mobile ? Leur destinataire peut il les produire en justice ? La réponse parait aisée ; le débat déjà clos : L’auteur d’un tel message ne peut pas nier qu’il sait qu’il est enregistré. Il choisit même de laisser un enregistrement vocal plutôt qu’un simple appel en absence 1 Et si le destinataire, après avoir écouté le message, ne donne pas spécifiquement d’instruction à sa messagerie, le message sera sauvegardé. Il ne s’agit pas de rejouer un épisode de Mission impossible ; la bande ne s’autodétruira pas dans les 5 secondes. Le destinataire pourra écouter, ré écouter le message et même en faire bénéficier un tiers. Céline l’avait prédit, avec les mots, on ne se méfie jamais suffisamment, ils ont l’air de rien les mots, pas l’air de dangers bien sûr. On ne se méfie pas d’eux, et le malheur arrive. L’enregistrement n’étant pas fait à l’insu de l’émetteur. La déloyauté semble devoir être écartée. S’il peut être bon de parler, il est encore meilleur de se taire1. Mais, à bien y réfléchir, je ne suis pas sure que cette solution emporte ma conviction. - D’abord, un message téléphonique laissé sur un téléphone portable est la trace d’une volonté d’échange de l’auteur. Échange qui aurait pu l’amener à modifier sa position, à renouveler sa perception ou encore à corriger son opinion. Produire un message ne pourrait donc que trahir les intentions de l’auteur qui envisageait une discussion et ouvrait un débat. Et Le message vocal est l’empreinte du souhait d’un entretien oral qui ne fasse pas l’objet d’un enregistrement. François Hardy nous l’a chanté, les mots s’envolent, sans laisser d’autre trace ; ils disparaissent dans un souffle, un soupir. La production en justice est le signe d’une rupture de la confiance, d’un manquement à la loyauté. - Ensuite et surtout, à la différence du SMS / télécopie / vidéo ou autre photo, le support n’est ici pas aussi durable qu’il parait être. « Votre message sera conservé pendant quatorze jours » L’auteur du message, s’il a connaissance de l’enregistrement, n’envisage pas qu’il soit conservé durablement et puisse être produit en justice. Il n’imagine pas laisser une trace définitive. Il ne soupçonne pas que son message puisse être recueilli en vue d’une utilisation future. D’ailleurs, seul un stratagème permet une telle production : le recours à un huissier pour retranscrire le message. 1 La Fontaine 2 - Et si l’on considère ce procédé de preuve loyal, alors, une nouvelle interrogation surgit : Quel est le délai minimum de conservation qu’un propos doit avoir pour pouvoir être produit loyalement en justice ? Snap chat, facebook poke, wickr ou autres applications permettant d’envoyer des photos, vidéos, messages et sms qui disparaissent quelques secondes après leur consultation peuvent elles, elles aussi, servir à la production de preuves dans un débat judiciaire ? Car après tout, le destinataire peut procéder à une capture d’écran devant un huissier de justice. Finalement, une troisième voie médiane devrait peut être, être empruntée afin de permettre une solution mesurée La voie du contrôle de proportionnalité. Il s’agirait de mettre en balance le procédé de preuve proposé avec le comportement qu’il vise à établir. La question ne serait plus de déterminer si la production d’un message téléphonique est loyale, mais de savoir si l’utilisation d’un tel moyen de preuve est proportionnée par rapport à la faute qu’il tend à démontrer. Déloyauté contre déloyauté - personne ne serait alors lésé. Gravité de la faute et importance du méfait seraient opposés au poids des mots et au choc des propos. Je répondrai donc par l’affirmative à la question posée, désapprouvant ainsi le projet d’arrêt qui suit : Si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages téléphoniques vocaux dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur. 3