Rapport Stéphanie KURC - Ordre des Avocats au Conseil d`Etat et à

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Rapport Stéphanie KURC - Ordre des Avocats au Conseil d`Etat et à
« Le placement, au cours d’une mesure de garde à vue, de deux
personnes dans des cellules contiguës préalablement sonorisées,
de manière à susciter des échanges qui seraient enregistrés à leur
insu, constitue-t-il un procédé déloyal d’enquête ? »
(Cass. Ass. Plén., 6 mars 2015, pourvoi n° 14-84.339, bull. n° 2)
- Séance n° 9 : Lundi 1er février 2016 à 18 heures -
Rapport de Mme Stéphanie KURC
Premier secrétaire de la Conférence
Que faut-il entendre par procédé déloyal d’enquête ?
1/ Déloyale au sens où l’entend traditionnellement la Cour de
cassation, la pratique en cause ne l’est assurément pas.
A l’égard d’une autorité publique, le principe de loyauté, tel qu’interprété
par la jurisprudence, ne prohibe pas la provocation à la preuve, mais
seulement la provocation à l’infraction.
Dès lors que le procédé mis en place ne tend pas à la commission des
agissements délictueux, mais simplement à la constatation d’une
infraction préexistante, le procédé n’est pas déloyal.
Or, une certitude ici : le procédé, destiné à susciter des échanges entre
deux gardés à vue, ne constitue en aucun cas une provocation à
l’infraction – infraction dont la commission est, par hypothèse,
matériellement impossible, les intéressés étant gardés à vue !
Il constitue, tout au plus – et cela est d’ailleurs même discutable – une
provocation à la preuve.
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Or, il n’est pas raisonnable que tout stratagème mis en œuvre par
l’autorité publique dans la recherche des preuves soit réprouvé en tant
que constitutif d'un procédé déloyal.
C’est, pourtant, à un tel revirement qu’aboutirait la solution préconisée
en demande.
2/ Si le procédé ne constitue pas une provocation à l’infraction,
doit-il, pour autant, être condamné sur l’autel d’un nouveau genre
de déloyauté ?
La déloyauté du procédé en ce que celui-ci procèderait du
contournement du droit de se taire et du droit de ne pas s’incriminer soimême, comme cela est suggéré par les demandeurs ?
La Cour européenne définit le droit de se taire et celui de ne pas s’autoincriminer comme le droit d’opposer le silence. Il s’agit d’un moyen de
défense. En l’absence d’attaque, ce droit n’a pas lieu d’être.
Or, ici, aucune question n’a été posée aux gardés à vue.
Condamner le procédé en tant que déloyal parce qu’il porterait atteinte
au droit au silence aboutirait donc, in fine, à proscrire toute forme de
sonorisation puisqu’elle porterait en germe une violation de ce droit.
Rappelons d’ailleurs que, si la Cour européenne a pu, en 2005,
condamner la sonorisation des parloirs, ce n’était pas parce que le
procédé portait atteinte au droit de se taire ou au droit de ne pas s’autoincriminer, mais parce qu’il n’était pas autorisé par la loi.
Mais, depuis que le procédé a été légalisé (il figure désormais à l’article
706-96 du code de procédure pénale), la Cour de cassation a pu, à
plusieurs reprises depuis 2006, déclarer régulière la sonorisation des
parloirs répondant aux conditions légales, à savoir que la mesure ait été
autorisée par un juge d’instruction dans le cadre d’une procédure portant
sur une infraction relevant de la criminalité organisée.
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Or, dans notre cas, la sonorisation répond bien à ces conditions. Et,
mutatis mutandis, l’article 706-96 suffit donc aujourd’hui à légitimer la
sonorisation des cellules de garde à vue.
3/ En réalité, en plaçant les suspects dans deux cellules contigües,
les enquêteurs ont simplement crée les conditions objectives d’un
échange, mais ils n’ont, en aucune façon, influé sur la teneur des
propos qui ont pu être échangés.
Une ruse ? Certes. Mais est-il interdit aux officiers de police judiciaire de
faire preuve d’habileté ?
Une déloyauté rendant irrecevable la preuve recueillie ? Assurément non.
Les enquêteurs ont simplement appliqué une présomption de naïveté aux
deux individus qu’ils soupçonnaient. Ils ont en effet présumé que ceux-ci
s’efforceraient de mettre en place un stratagème visant à leur servir une
version commune des faits.
Et les gardés à vue n’ont pas agi différemment : ils ont, à leur tour,
appliqué une présomption de naïveté des officiers, en présumant que
ceux-ci se contenteraient de la version des faits concertée qu’ils leur
auraient servie.
En somme, un jeu de dupe, avec la balle au centre.
Cependant, la partie a finalement été remportée par les agents de police,
les deux gardés à vue n’ayant pas su, contrairement aux policiers,
renverser la présomption : ils ont effectivement été d’une naïveté
certaine, et même, disons-le, d’une certaine bêtise, en pensant qu’en
franchissant le seuil de leur cellule, ils pénétraient dans un espace
inviolable et sacré.
Je vous invite à ne pas vous laisser duper par le stratagème des
demandeurs – qui vise à vous faire croire que le procédé porterait
atteinte aux droits de la défense – et à répondre par la négative à la
question qui vous est posée.
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