Décryptage du rôle de la chirurgie métabolique
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Décryptage du rôle de la chirurgie métabolique
Avancées technologiques Décryptage du rôle de la chirurgie métabolique dans la résolution du diabète de type II Dr Lorenzo PITISCI, Dr Claude LEMY Service de Médecine Interne - CHU DE CHARLEROI INTRODUCTION L es prévalences du surpoids et de l’obésité sont en augmentation constante en Europe, notamment en Belgique (1), et favorisent l’apparition du diabète de type II. Les traitements conventionnels tels que le régime alimentaire et l’exercice physique n’ont permis que des améliorations modestes et souvent de courtes durées (2). Les thérapies médicamenteuses telles que Orlistat, Sibutramine et Rimonabant, ayant également un effet modeste, ont engendrés un ensemble d’effets secondaires et parfois majoré le risque cardio-vasculaire conduisant à leur retrait rapide du marché (3). En 1967, à une époque où les inhibiteurs de la pompe à protons n’existaient pas et les gastrectomies étaient légions, Mason et Ito, deux chirurgiens, avaient remarqué que leurs interventions s’accompagnaient d’une perte de poids notable. Plus tard, Roux s’en inspira en proposant une technique chirurgicale alliant à une restriction (réduction de la poche gastrique, satiété rapide) une malabsorption : le court circuit d’environ 150 cm d’iléon. Le Roux-en-Y-Gastric-Bypass (RYGBP) était né. Les résultats sont sans précédents(4,5): réduction significative du poids (-67,25% d’excès de poids perdu) et des comorbidités associées telles que l’hypertension artérielle, le diabète de type II (-3,99% d’HbA1c), le syndrome d’apnée du sommeil, et amélioration du profil lipidique. La technique est aujourd’hui améliorée et permet un abord laparoscopique, un temps opératoire court (environ 1h), ainsi qu’une durée d’hospitalisation relativement courte (environ 3 à 5 jours). Les indications remboursées sont l’obésité morbide (Indice de Masse Corporelle (IMC) supérieur à 40 ou à 35 en cas de comorbidité associée), à condition que l’obésité soit stable depuis au moins 5 ans, et qu’elle ne soit pas la conséquence d’une pathologie endocrinienne, et qu’un traitement/régime sérieux ait échoué. Dans cet article, nous nous intéresserons particulièrement aux différentes hypothèses de mécanismes pouvant expliquer la résolution du diabète de type II après RYGBP. RMC-2014 41 Avancées technologiques L’HYPOTHÈSE DE LA PE PERTE RTE DE POIDS L e postulat classique explique que la résolution du diabète de type II suivant l’intervention est la conséquence évidente de la perte de poids majeure observée, elle-même à l’origine du diabète. Cette dernière est justifiée par la restriction gastrique (entrainant une satiété rapide et donc des repas de moindre quantité) et par la malabsorption iléale des macro-nutriments. Cependant, l’observation des autres techniques de chirurgie bariatrique telles que l’anneau gastrique a démontré que la diminution de la poche gastrique et donc de l’importance des repas entraîne une adaptation consistant en une multiplication des repas et une sélection d’aliments plus caloriques (6). De plus, il a été démontré que le court-circuit iléal n’entraine pas de malabsorption des macro-nutriments. Or, les patients ayant subi un RYGBP ne multiplient pas leurs repas et ont tendance à choisir des aliments moins caloriques. Si la perte de poids entraîne une résolution du diabète de type II, celle-ci s’inscrit dans un laps relativement long (mois). Or, on constate une amélioration du diabète de type II dans les heures/jours qui suivent l’intervention de RYGBP. R écemment, une étude a démontré qu’un régime hypocalorique (<500kCal/j) chez des patients concordants pour le poids et la gravité du diabète était responsable d’une amélioration du profil de sensibilité à l’insuline et de la fonction des cellules ßpancréatiques d’une façon similaire au post-opératoire immédiat du RYGBP (7). Cependant, cette « anorexie périopératoire » présente dans quasi toutes les chirurgies bariatriques ne parvient pas à expliquer l’effet soutenu du RYGBP. LA « HINDGUT HYPOTHESI HYPOTHESIS S» L ’ébranlement progressif de la première hypothèse a conduit à une recherche intensive en la matière. Une nouvelle hypothèse (6) a été formulée grâce au modèle animal de transposition iléale consistant en la transposition de 20 à 30 cm d’iléons (vascularisation et innervation préservée) juste en aval de l’angle de Treitz. Le Hindgut fait référence à la «partie plutôt distale du tube digestif haut». RMC-2014 42 Avancées technologiques L e postulat propose que l’admission rapide de nutriments peu digérés dans le jéjunum stimuleraient les cellules endocrines «L» à produire des hormones anorexigènes et gluco-incrétines : GLP-1 (Glucagon Like Peptide-1) et PYY (Peptide YY), contribuant à la modification du comportement alimentaire et à l’amélioration du profil glycémique, ainsi qu’à la disparition d’anomalies morphologiques des îlots de Langherans. Les auteurs (6,8) proposent deux phases suite au RYGBP : une précoce (30-45 jours) où les effets observés découleraient des effets extra-pancréatiques du GLP-1 (meilleure captation et utilisation du glucose par les tissus, diminution sécrétion glucagon et retard de vidange gastrique), puis une seconde (5-6 mois) avec une action pancréatique du GLP-1 (cf. ci-avant). LA «FOREGUT HYPOTHESIS » C ette autre hypothèse (6) a utilisé un modèle de prothèse plastique excluant le tube digestif proximal (Foregut) chez un modèle de rat diabétique non obèse. Si aucune modification du comportement alimentaire ni de perte de poids n’a été observée, l’homéostasie du glucose a été améliorée de façon réversible au retrait de la prothèse, suggérant un rôle indépendant de la perte de poids et la sécrétion éventuelle par le «foregut» d’une molécule « pro-diabétique » qui n’a, à ce jour, pas été mise en évidence. Cette hypothèse souffre cependant de lourdes critiques. Tout d’abord, ce modèle fait parvenir rapidement des aliments non digérés dans le Hindgutt, et il se pourrait que les résultats observés ne soient qu’une conséquence de la seconde hypothèse présentée. De plus, cette hypothèse minimise le rôle du pylore. En effet, en situation physiologique, l’arrivée de nutriments dans le duodénum entraine via l’activation d’osmo-récepteurs la contraction du pylore, permettant d’étaler le pic glycémique postprandial. Enfin, les bénéfices obtenus en excluant le Foregut sont annulés par l’inhibition de GLP1, renforçant la conviction du rôle capital de cette hormone. LES AXES ENTERO ENTERO-- ET ADIPO ADIPO--INSULINIQUES L ’axe entéro-insulinique est un concept de connexions directes entre le tube digestif et les cellules ß-pancréatiques, avec pour acteurs les nutriments, les hormones incrétines et le système nerveux autonome parasympathique (vagal) (6,8). RMC-2014 43 L Avancées technologiques es hormones gluco-incrétines sont sécrétées en réponse aux nutriments (en particulier les hydrates de carbone) et favorisent la sécrétion d’insuline et l’inhibition de synthèse du glucagon, réduisant la néoglucogénèse hépatique à l’origine des hyperglycémies chez les patients diabétiques. D’autres hypothèses restent à investiguer telles que le rôle de la flore intestinale ainsi que celui des sels biliaires (6,9). Parmi ces hormones, le GIP (Glucose-dependent Insulinotropic Polypeptide) est synthétisé par les cellules endocrines «K» et inhibe la motilité gastrique, renforçant par conséquent le rôle pylorique. Son action est diminuée chez les diabétiques via une diminution de ses récepteurs, mais son rôle dans l’amélioration du diabète post-RYGBP est controversé. Le GLP-1 a un effet anorexique et est majorée après RYGBP comparé aux patients contrôles non-opérés avec perte de poids identique. On citera également le PYY dont l’action est relativement similaire au GLP-1. Enfin la Ghréline, «l’hormone de la faim», produite par l’estomac et partiellement par le grêle en postprandial, participe à la régulation du poids. Elle a également des effets pro-diabétiques notamment en stimulant les hormones contra-insuliniques, en inhibant les voies de signalisations intra-cellulaires induites par l’insuline et en supprimant la sécrétion d’adiponectine dont nous parlerons plus tard. Cette hormone est réduite après RYGBP, probablement du fait que la majeure partie de l’estomac reste vide en permanence, alors qu’elle est majorée chez des patients contrôles (non opérés) avec perte de poids identique. Elle participe probablement aux effets favorables de la Sleeve dont les effets sur le diabète sont comparables au RYGBP. De plus en plus d’auteurs proposent l’axe adipo-insulinique comme responsable d’une partie des effets bénéfiques du RYGBP. Plusieurs hormones ont donc été investiguées. La leptine reflète les réserves en graisse du corps, joue un rôle dans la régulation du poids et possède des récepteurs sur les cellules ß des ilots de Langherans. Cette hormone diminue en parallèle avec l’insulino-résistance avant la perte de poids, mais il pourrait s’agir d’un reflet plutôt que d’un rôle à part entière. L’adiponectine a également été étudiée mais sa diminution serait parallèle à la perte de poids. Quant au rôle de la résistine, il apparait encore moins clair. RMC-2014 44 Avancées technologiques EN PRATIQUE CLINIQUE ET SUIVI DU PATIENT S i les résultats à court terme semblent être encourageant, nous ne disposons pas encore de larges données sur le long terme. Parmi les quelques études de follow-up à 10 ans(10), les facteurs influençant la persistance de la rémission du diabète sont la durée antérieure de la maladie ainsi que l’amplitude de la perte de poids. D ans une étude (10), les récidives avaient lieu dans 19% des cas et étaient le plus souvent dues à une incompliance diététique et une reprise de poids, et/ou dans les cas où la fonction résiduelle pancréatique (évaluée par dosage du C-peptide (11)) pré-interventionnelle était trop faible. Une rare complication du RYGBP est la neisidioblastose (12) et consiste en une hypertrophie réactionnelle des îlots de Langherans provoquant des hypoglycémies hyperinsuliniques post-prandiales avec neuroglycopénie (à la différence du Dumping syndrom n’entrainant pas de symptômes neurologiques) en absence de surdosage en sulfamidés hypoglycémiants. Un bilan par imagerie à la recherche d’insulinome sera effectué; et, un cathétérisme sélectif des artères pancréatiques avec relargage de calcium et dosage d’insuline en aval permettra d’identifier les zones à réséquer afin de préserver le maximum fonction pancréatique. L e diagnostic final est anatomopathologique. DOIT DOIT--ON ÉTENDRE LES INDICATIONS OPÉRATOIRES ? E tant donné les bons résultats du RYGBP, une méta-analyse(13) a passé en revue l’intérêt de l’intervention pour des patients obèses non morbides (30<IMC<35) et met en avant des résultats convaincants. Gardons, cependant, à l’esprit que cela entrainerait inexorablement une majoration exponentielle des candidats au RYGBP, un coût plus élevé pour la société, des contraintes pour le patient et des conséquences tels que l’impossibilité de réaliser des endoscopies hautes. Des études coût-bénéfices doivent être réalisées avant de tirer des conclusions. ertains auteurs (14,15) se sont également intéressés à l’utilité du RYGBP dans le diabète de type 1. Très peu de cas ont été rapportés mais l’efficacité de la perte de poids pour ces patients obèses morbides semble bien fonctionner. De plus, même si le diabète subsiste, on peut espérer à moyen terme une amélioration de la sensibilité à l’insuline et donc une diminution des doses nécessaires. C RMC-2014 45 Avancées technologiques AVANCEES PHARMACOLOG PHARMACOLOGIQUES IQUES ET TECHNIQUES L es recherches sur les mécanismes «physiopathologiques» des différentes chirurgies bariatriques ont rendu possible l’apparition de nouvelles classes d’anti-diabétiques oraux : les gliptines (analogues du GLP-1) et les inhibiteurs de la DPPIV (Dipeptidyl peptidase IV qui clive rapidement le GLP-1 le rendant inefficace). Ces derniers sont utilisés en combinaison avec les autres anti-diabétiques oraux, en particulier la metformine. De nouvelles prothèses en plastique reproduisant l’exclusion du tube digestif proximal (duodénum et une partie du grêle) sont à l’étude ; leurs avantages résidant évidemment dans la réversibilité et la facilité de mise en place. CONCLUSIONS L e RYGBP est une technique de chirurgie bariatrique permettant une amélioration extrêmement rapide et soutenue dans le temps du profil glycémique, et donc du diabète de type II. S’il est largement admis que l’explication ne se limite pas au phénomène restrictif et malabsorptif, il est aussi évident qu’une intrication de plusieurs phénomènes complexes est impliquée. Le modèle actuel plaide à court terme le rôle de l’axe entero-insulinique (notamment via GLP-1, PYY) et à long terme pour une association de la diminution de l’IMC, des apports caloriques et de l’axe adipo-insulinique. Toutefois, il subsiste des inconnues renforcées par la non application du modèle animal à l’Homme et il faudra probablement encore une dizaine d’années avant d’en comprendre tous les tenants et aboutissants. RMC-2014 46 Avancées technologiques RÉFÉRENCES 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. Sabine Drieskens. Etat nutritionnel, Enquête de santé par interview, Belgique 2008. ISP; Norris SL, Zhang X, Avenell A, Gregg E, Brown TJ, Schmid CH, et al. Long-term non -pharmacologic weight loss interventions for adults with type 2 diabetes. 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