Gargantua - lycée Montesquieu
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Gargantua - lycée Montesquieu
Dossier pédagogique Les inestimables chroniques du bon géant Gargantua de François Rabelais musicalement restituées par Jean Françaix réalisé par : Armelle TURC pour les comparaisons textuelles Jean-Jacques GRIOT pour les illustrations musicales 2 Sommaire Page 4 Qui était Jean Françaix ? Page 5 Plan et résumé des chapitres de Pantagruel et Gargantua de Rabelais et présentation de la production de Jean Françaix. Page 6 Chapitre I de Pantagruel de Rabelais et texte de Page 7 Chapitre I de Pantagruel de Rabelais (suite) et texte de Jean Françaix. Page 8 Chapitre III de Pantagruel de Rabelais et texte de Jean Françaix Du dueil que mena Gargantua de la mort de sa femme Badebec de Rabelais. Deuil que mena Grandgousier de la mort de sa femme Badebec de Jean Françaix. Page 9 Chapitre XI de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix. De l’adolescence de Gargantua Page 10 Extraits du chapitre XIV de Gargantua et texte de Jean Françaix. Comment Gargantua feut institué par un sophiste en lettres latines. Chapitre XV (extraits) de Rabelais et texte de Jean Françaix. Page 11 Chapitre XXIX de Rabelais et texte de Jean Francaix. Le teneur des lettres que Grandgousier escripvoit à Gargantua. Page 12 Chapitre XXXIII (début) de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment certains gouverneurs de Picrochole, par conseil précipité, le mirent au dernier peril. Page 13 Chapitre XXXIII (suite et fin) Page 14 Chapitre XXVII de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment un moine de Seuillé saulva le cloz de l’abbaye du sac des ennemys. Page 15 Chapitre XXVII (suite) Page 16 Chapitre XLVII de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment Grangousier manda querir ses legions, et comment Toucquedillon tua Hastiveau, puisfut tué par le commandant de Picrochole. Chapitre XLVIII de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment Gargantua assaillit Picrochole dedans la Roche Clermaud et defist l’armée du dict Picrochole. Chapitre XXXIII de Pantagruel de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment Pantagruel de sa langue couvrit tote une armée, et de ce que l’auteur veit de dans sa bouche. Chapitre XXXVI Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment Gargantua demolit le chasteau du Gué de Vede, et comment ilz passèrent le gué. Chapitre XXXVII Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment Gargantua soy peignant faisoit tomber de ses cheveulx les boulletz d’artillerye. ETC ….. Page 17 Chapitre LII (extraits) de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment Gargantua feist bastir pour le moyne l’abbaye de Theleme Chapitre LIII (extraits) de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment feust bastie et dotée l’abbaye des Thelemites Retour au chapitre LII (extraits) de Rabelais et texte de Jean Françaix. Chapitre LVII (extraits) de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment estoient reiglez les Thelemites à leur maniere de vivre. Page 18 Chapitre XLIX de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix. Comment Picrochole fuiant feut surprins de males fortunes et ce que feit Gargantua après la bataille. Pages 19 à 21Quelques commentaires. Page 22 : Glossaire Page 23 : Références littéraires et musicales. Jean Françaix 3 Qui était Jean Françaix ? Jean Françaix est né au Mans en 1912. Son père, Alfred Françaix était directeur du Conservatoire du Mans, sa mère dirigeait une chorale. Il est mort à Paris en 1997. C’est en 1921 (à 9 ans) qu’il écrit sa première oeuvre musicale, pour Jacqueline. Cette année là Saint-Saëns meurt, et du haut de ses neuf ans, le petit Jean s’engage auprès de son père en disant qu’il remplacera le maître disparu. En 1922, il travaille la composition avec Nadia Boulanger et entre en 1926 au Conservatoire de Paris dans la classe de piano d’Isidore Philipp, il en sort avec un premier prix en 1930. Jean Françaix compose tous les genres musicaux. Ses compositions peuvent être graves mais aussi très joyeuses, gracieuses et pleines d’humour. Homme de culture, la littérature est pour lui une grande source d’inspiration : La princesse de Clèves (de Mme de Lafayette) Opéra créé a Rouen en 1965 qui eut un immense succès. La ville Mystérieuse (Jules Verne Docteur OX) Pièce pour Orchestre. Le diable boiteux (Lesage) Opéra comique de chambre. La main de gloire (Gérard de Nerval) Farce fantastique L’apocalypse selon St Jean Oratorio : quatuor vocal, un grand orchestre symphonique séparé en deux (orchestre céleste et orchestre infernal) et grand chœur . Gargantua (Rabelais) Orchestre à cordes et récitant. Il fera une carrière de pianiste mais sa principale activité concerne la composition. Nadia Boulanger disait qu’il était très doué. Dès ses débuts, il fut remarqué par Maurice Ravel qui l’encouragea à embrasser la carrière de compositeur. Voici, le courrier que son père recevra de Ravel : «Monsieur, depuis cinq mois, je n’ai cessé de voyager et ne suis pas resté chez moi 8 jours de suite. Ces déplacements continuels m’on forcé à négliger la correspondance. Voici longtemps que je me reproche de n’avoir pas encore répondu à votre aimable lettre et à l’envoi fort intéressant du manuscrit de votre fils. Parmi les dons de cet enfant, je remarque surtout le plus fécond que puisse posséder un artiste, celui de la curiosité. Il ne faut pas étouffer dès à présent ces dons précieux, risquer de dessécher cette jeune sensibilité…………. … et dès maintenant, vous pouvez recommander à votre fils de s’armer de courage pour poursuivre la carrière « d’agrément » dans laquelle il s’est engagé. Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mon plus distingué sentiment. Maurice RAVEL 10/1/1923 » Il écrit aussi de nombreuses pièces pour instruments solistes et orchestre, musique de chambre pouvant aller de un à douze instruments. Ses musiques de ballet sont très nombreuses et ont été interprétées par les plus grands danseurs. Il a aussi composé pour piano seul, quatre mains et deux pianos. Et n’oublions pas qu’il a composé aussi pour le cinéma avec Sacha Guitry : Si Versailles m’était conté, Napoléon …… Jean Françaix adorait et respectait son qu’il lui écrivait : public et voilà ce « A toi cher public averti, d’ouvrir tes oreilles et d’avoir le courage de penser : cette musique me plaît, ou me déplaît. Qu’il n’y ait entre ma musique et toi aucun intermédiaire plus ou moins intéressé à orienter tes conclusions. Souviens-toi que tu es composé d’êtres humains libres, et non de robots obéissants. Écrase de ton fondement puissant le snobisme, la mode et les envieux. Et laisse toi aller à ton plaisir si tu en éprouves. Jean Françaix » L’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui : Gargantua écrite par Rabelais en 1534 a été composée en 1971 par Jean Françaix et la première a été donnée à Tours le 11 mai 1971. Jean Françaix a été impressionné par l’humanisme de Rabelais. Il adapte le texte de cet écrivain de la Renaissance à notre temps. Jean Françaix homme plein d’humour, s’amuse beaucoup en composant cette pièce mais n’oubliera pas de transmettre le message de l’auteur en laissant de côté les passages les plus ambigus qui ont déclenché la censure de l’époque. Le compositeur né au Mans, à deux pas de géant de Chinon, lieu de naissance de Rabelais, baignait donc dans la culture rabelaisienne encore vivante aujourd’hui dans cette région. Il précisait également que son but consistait aussi à donner envie de lire ce grand auteur. Le compositeur a indiqué, concernant son opéra « La princesse de Clèves », les rôles respectifs et complémentaires de la musique et du texte : « Je n’écris pas un livret pour le suivre, mais au contraire pour suivre ma musique qui va plus vite et plus loin que le texte …… ». Ces propos peuvent tout à fait s’attribuer à son Gargantua. RABELAIS écrira Pantagruel en 1532 mais la Sorbonne censura ce texte. L’auteur décidera de répondre à la censure de manière beaucoup plus virulente et plus efficace en publiant en 1534 l’histoire de Gargantua père de Pantagruel. «Pantagruel» contient 43 chapitres L’enfance de Pantagruel Chapitre I à IV Pantagruel et les Universités de province Chapitre V à VII Pantagruel à Paris chapitre VII à IX Le jugement de Pantagruel chapitre X à XIII Panurge chapitre XIV à XXII Les exploits guerriers de Pantagruel chapitre XXXIII à la fin. «Gargantua» contient 57 chapitres. L’enfance de Gargantua les chapitres I à XIII l’œuvre commence par des pages plutôt grossières et puissantes qu’il s’agisse de l’enfantement de Gargantua, des festins, des propos de tablée, des descriptions réalistes concernant les occupations du bébé géant et de son habillement. Le tout est largement dominé par un aspect scatologique. Une nouvelle quinte essence de Gargantua par Jean Françaix Le compositeur Jean Françaix avait une connaissance très précise de l'œuvre de Rabelais pour en sélectionner et réorganiser les extraits les plus percutants. Imaginez-vous que Jean Françaix est né au Mans à quelques pas de géant du lieu de naissance de Rabelais, près de Chinon, à La Devinière. C’est une région où la culture rabelaisienne est très présente depuis le XVIe siècle. Jean Françaix commencera son récit en utilisant les chapitres I, II, III du livre Pantagruel (ce qui est logique puisque l'origine des Géants se trouve dans ce premier livre de Rabelais). Le compositeur utilisera de nombreux chapitres du livre Gargantua (plus de 13 sur les 57 dans ce deuxième livre). La revisitation faite par Jean Françaix n’est pas une traduction systématiquement littérale et encore moins un résumé de l’œuvre de Rabelais. Il s’agit d’une adaptation cohérente et accessible pour le spectateur d’aujourd’hui. A travers cette nouvelle quintessence qui se veut respectueuse de l’esprit de l’œuvre, le compositeur s'est amusé à faire quelques petites fantaisies bien savoureuses dont voici quelques exemples : L’éducation de Gargantua les chapitres XIV à XXIV ces chapitres s’attaquent à l’enseignement de la Sorbonne. Ils proposent l’idéal pédagogique d’un homme de la Renaissance. Les méthodes du Moyen âge Gargantua a été placé d’abord sous la direction d’un grand docteur « sorbonicquard », Maître Thubal Holoferme, qui fait apprendre par cœur à l’envers comme à l’endroit règles de grammaire et principes de morale. On peut entendre chaque jour à l’église vingt et trente messes pour croupir dans la paresse physique, aussi : en devenant fou, niais, tout rêveur et « rassoté ». L’éloquence du Moyen âge Gargantua vient à Paris, sous la direction d’un nouveau maître, Ponocratès. Durant ce voyage, il traverse la Beauce sur sa jument qui fauche, avec sa queue, les forêts sur son passage. A Paris Gargantua s’assied sur les tours de notre Dame, en vole les cloches pour les mettre au cou de sa jument. L’enseignement de Ponocratès qui est fidèle à l’idéal de la Renaissance. . Il développe chez son élève la connaissance des textes anciens et la connaissance directe de la nature. Il découvrira par exemple les propriétés des aliments qui lui sont servis en lisant Pline ou d’autres auteurs grecs et latins. Il apprend à cultiver son corps autant que son esprit et à observer une hygiène minutieuse. Sa vie religieuse se limite à une communication directe avec la divinité par la lecture matinale d’une page de l’Evangile, de courtes prières et des cantiques. La guerre picrocholine les chapitres XXV à LI Grandgousier, père de Gargantua est attaqué par le seigneur de Lerné, Picrochole, à la suite d’une querelle entre vignerons et « fouaciers » (fabricants de «fouaces» ou galettes tourangelles). Il fait tout pour éviter la guerre mais Picrochole ivre de conquête et prenant ses désirs pour des réalités, refuse toute conciliation. Il appelle son fils Gargantua pour le défendre. Le moine jean des Entommeures, se distingue dans la bagarre. Après le succès de Grandgousier, les prisonniers sont traités avec humanité. Les vainqueurs sont récompensés. Le moine pourra faire bâtir selon ses plans l’abbaye de Thélème. L’abbaye de Thélème chapitres LII à LVII L’abbaye ressemble à une petite cour de la Renaissance. Seigneurs et dames y vivent dans une atmosphère de culture et de politesse. La liberté y règne : la seule règle est : « Fay ce que vouldras ». Les chiffres situés à droite de certains mots en vieux français renvoient au glossaire page 22. 5 4 Picrochole perd la bataille qu’il a déclenchée et doit fuir…….. Termine-t-il vraiment sa vie en «crieur de sauce verte» ? Devient-il vraiment «marchand de petits pâtés» ? Etait-il vraiment «battu par sa femme» ? Les suppositoires existaient-ils en 1534 ? Le compositeur se serait-il amusé lui aussi à rajouter quelques exagérations ou inventions de son cru? Ou ne se serait-il pas inspiré d’un autre livre de Rabelais ? Et Badebec : qui était elle ? La mère de Gargantua ou de Pantagruel ? C’est sans importance puisque cela ne nous empêche pas de rire et de pleurer ou de pleurer et de rire avec Grandgousier endeuillé par le décès de sa pantoufle, pardon ! de son épouse. Signalons que Rabelais lui-même mélangeait plaisantes inventions et vieilles légendes. En revanche, Jean Françaix, homme très distingué, a occulté toutes les parties les plus vulgaires (scatologie, obscénité ...etc) ; c’est sans doute pour agacer un peu plus les pères de la Sorbonne, « les sorbonicquards », qui avaient censuré son Pantagruel que Rabelais les avait tant exagérées. Jean Françaix qui était comme Rabelais un homme de culture, ouvert sur le monde, grand lecteur, avait une idée en tête : «par la mise en musique de Gargantua, j’espère donner envie aux autres de lire ce texte.» disait-il. La lecture de Gargantua est une lecture stéganographique * que l’on peut apprécier en fonction de sa culture personnelle. Jean Françaix, homme d’humour, a retenu le niveau anecdotique et humoristique de l’œuvre de Rabelais dans l’adaptation qu’il en a faite. Celui-ci a aussi et surtout souhaité nous transmettre les messages humanistes de la Renaissance qui restent d’actualité. Par exemple, il retiendra et mettra l’accent sur l’aspect éducatif et généreux de Gargantua et sur la «chole» (folie) de Picrochole rêvant de toute puissance en conquérant le monde, bien au-delà de l’Euphrate, en tuant et pillant tout sur son passage. Il s’agit en fait, de la rencontre de deux humanistes aussi drôles l'un que l'autre et qui croient au pouvoir de la connaissance, de l’éducation et de la culture pour un monde meilleur et surtout sans guerre. Voyons dans les pages qui suivent les deux textes face à face : d’un côté, les extraits de l’œuvre de Rabelais (en vieux français) de l’autre l’intégralité de la production du compositeur. *avec plusieurs niveaux de lecture. RABELAIS Chapitre I du livre Pantagruel « … Il vous convient doncques noter que au commencement du monde (je parle de loing, il y a plus de quarante quarantaines de muyctz, pour nombrer à la mode des antiques Druides)…. Car à tous survint au corps une enfleure tres horrible, mais non à tous en un mesme lieu. Car aulcuns enfloyent par le ventre, et le ventre leur devenoit bossu comme une grosse tonne : desquelz est escript : Ventrem omnipotentem (1) : lesquelz furent tous gens de bien et bons raillars (2). Et de ceste race nasquit sainct Pansart (3) et Mardygras. Les aultres enfloyent par les espaules, et tant estoyent bossus qu’on les appelloit montiferes, comme portemontaignes, dont vous en voyez encores par le monde en divers sexes et dignités. Et de ceste race yssit Esopet (4) : duquel vous avez les beaulx faicts et dictz par escript. Autres croyssoient par les jambes, et à les veoir eussiez dict que c’estoyent Les aultres enfloyent en longueur par le membre, qu’on nomme le laboureur de nature : en sorte qu’ilz le avoyent merveilleusement long, grand, gras, gros, vert, et acresté (5) à la mode antique, si bien qu’ilz s’en servoyent de ceinture, le redoublans à cinq ou à six foys par le corps. Et s’il advenoit qu’il feust en poinct, et eust vent en pouppe, à les veoir eussiez dict que c’estoyent gens qui eussent leurs lances en l’arrest pour jouster à la quintaine (6). Et d’yceulx est perdue la race, ainsi comme dis les femmes. Car elles lamentent continuellement, qu’il n’en est plus de ces gros etc. Vous sçavez la reste de la chanson. Aultres croissoient en matière de couilles si enormement, que les troys emplissoient bien un muy (7). D’yceulx sont descendues les couilles de Lorraine, lesquelles jamays ne habitent en braguette, elles tombent au fond des chausses. Jean FRANCAIX 5 Au commencement du monde, ou à peu près, je n’y étais pas. Au commencement était le verre, la bouteille. Car Phaëton, pour s’être un jour un peu trop rapproché de la Terre avec son char solaire, mit à sec toutes les contrées qui se trouvaient au-dessous de lui : les herbes étaient sans verdure, les avocats sans cause, toutes rivières taries. Les oiseaux tombaient du ciel faute de rosée, et les bêtes crevaient dans les champs, la gueule ouverte. Il y avait beaucoup à faire pour sauver l’eau bénite dans les églises et les hommes se réfugiaient sous le ventres des vaches pour être à l’ombre. Et voici que ces hommes se mirent à enfler. Certains par le dos, de cette race sortit Esope le Phrygien dont vous avez tous lu les beaux livres. D’autres enflaient par les doigts de la main, et les avaient en forme de cornemuse. D’autres se développaient par les jambes ; à les voir, vous eussiez dit des grues, ou des flamants roses. A d’autres, le nez devenait si gros qu’il ressemblait à la flûte d’un alambic, tout diapré, étincelant,….. Tel le nez du chanoine Pompette, ou celui de Tirepet, médecin d’eau douce dans la bonne ville d’Angers. grues, ou flammans, ou bien gens marchans sus eschasses. Es aultres tant croissoit le nez qu’il sembloit la fleute d’une alambic, tout diapré, tout estincelé de bubeletes (8) pullulant, purpuré, à pompettes, tout esmaillé, tout boutonné et brodé de gueules (9). Et tel avez veu le chanoyne Panzoult et Piedeboys medecin de Angiers, de laquelle race peu furent qui aimassent la ptissane (10), mais tous furent amateurs de purée Septembrale (vin). Nason, et Ovide en prindrent leur origine. Aultres croissoyent par les aureilles, lesquelles tant grandes avoyent, que de l’une faisoyent pourpoint, chausses, et sayon: de l’aultre se couvroyent comme d’une cape à l’espagnole. Aux autres croissaient les oreilles, dont ils couvraient leurs femmes comme d’une cape à l’espagnole. Voir commentaire page 19 6 RABELAIS Jean FRANCAIX Chapitre I du livre Pantagruel (suite) Le premier fut Chalbroth, (nom inventé – broth) Qui engendra Sarabroth, Qui engendra Faribroth, Qui engendra Hurtaly celui qui a survécu (Bible), Il fut beau mangeur de souppes et vécu au moment du déluge. Qui engendra Nembroth (réminiscence d’Hérodote), Qui engendra Athlas qui avec ses épaules garda le ciel de tumber, Qui engendra Goliath (Géant biblique & chanson de geste), Qui engendra Eryx qui fut inventeur du jeu de gobeletz, Qui engendra Tite (Tityus : géant froudroyé par Jupiter et plongé dans les enfers et son corps couvrait 9 hectares, Qui engendra Eryon Orion, chasseur géant fils de Neptune (lire Homère), Qui engendra Polypheme Cyclope de grande stature, Qui engendra Cace Monstre fils de Vulcain mis à mort par Hercule, Qui engendra Etion lequel premier eut la verolle pour n’avoir beu frays en esté, comme tesmoigne Bartachim, Qui engendra Encelade, Qui engendra Cée, Qui engendra Typhoe, Qui engendra Aloe, Qui engendra Othe, Qui engendra Aegeon, Qui engendra Briare qui avoit cent mains, Qui engendra Porphirio, Qui engendra Adamastor, Qui engendra Antée, Qui engendra Agatho, Qui engendra Pore, qui premier inventa de boire d’autant, Qui engendra Aranthas, Qui engendra Goliath de Secundille, Qui engendra Offot, lequel eut terriblement beau nez à boyre au baril, Qui engendra Artachées, Qui engendra Oromedon, Qui engendra Gemmagog, il fut l’inventeur des souliers à poulaine, Qui engendra Sisyphe, Qui engendra Titanes dont nasquit Hercules, Qui engendra Enay, qui fut tresexpert en matire de oster les cerons, (pustules de la gale) des mains, Qui engendra Fierabras, lequel fut vaincu par Olivier pair de France compaignon de Roland, Qui engendra Morguan, lequel premier de ce monde joua aux dez avecque ses bezicles, Qui engendra Fracassus duquel a escript Merlin Coccaïe, Dont nasquit Ferragus, Qui engendra Happemousche, qui premier inventa de fumer les langues de beuf à la cheminée, car au paravant le monde les saloit comme on faict les jambons, Qui engendra Bolivorax, Qui engendra Longys, Qui engendra Gayoffe, lequel avoit les couillons de peuple et le vit de cormier, Qui engendra Meschefain, Qui engendra Bruslefer, Qui engendra Engolevent, Qui engendra Galehault, lequel fut inventeur des flacons, Qui engendra Mirelangault, Qui engendra Galaffre, Qui engendra Falourdin, Qui engendra Roboaste, Qui engendra Sortibrant de comnimbres, Qui engendra Brushant de Monniere, Qui engendra Bruyer, lequel fut vaincu par Ogier le Danoys pair de France, Qui engendra Mabrun, Qui engendra Foustanon, Qui engendra Hacquelebac, Qui engendra Vitdegrain, Qui engendra Grand Gosier, Qui engendra Gargantua, Qui engendra Le noble Pantagruel mon maistre. Le premier fut Haschtarfsprok, Qui engendra Hirtspennsfroc, qui fut beau mangeur de Soupe et régna au temps du Déluge; à califourchon sur l’Arche de Noé, il la tournait du pied comme il voulait. Il engendra Atlas, qui, de ses épaules, empêcha le ciel de tomber. Qui engendra Joursanpain ; Qui engendra Héliconar, qui buvait pour la soif passée, présente et à venir ; notez qu’il fut le premier à jouer aux dés avec des bésicles. Qui engendra Hapfchepfesse, Qui engendra Gribouillis, Qui engendra Loupgarou, qui avait du poil au genoux, Qui engendra Bolivorax, Qui engendra Bricabrac ; Qui engendra Falourdin de Conimbre, qui fut vaincu par Ogier le Danois, Qui engendra Colophoniac, Qui engendra Brûlefer, lequel fredonnait des badigoinces comme un singe démembrant des écrevisses, Qui engendra Cornabon, dont la peau du ventre s’était sensiblement éloignée des rognons, Qui engendra Cloud, Qui engendra Mou, qui engendra Louft, Qui engendra Plouc, Qui engendra Grandgousier, Qui engendra le noble Gargantua, mon Maître. Voir commentaire page 19 7 RABELAIS Jean FRANCAIX Chapitre III Livre de Pantagruel Titre : Du dueil que mena Gargantua de la mort de sa femme Badebec (1). Texte incomplet : les passages utilisés par le compositeur sont restitués. Quand Pantagruel fut né, qui fut bien esbahy et perplex. Ce fut Gargantua son père, car voyant d’un cousté sa femme Badebec morte, et de l’aultre son filz Pantagruel né, tant beau et tant grand, ne sçavoit que dire ny que faire. Et le doubte que troubloit son entendement estoit, assavoir s’il devoit plorer pour le dueil de sa femme, ou rire pour la joye de son filz ? « Pleureray je, disoit il ? Ouy : car pourquoy ? Ma tant bonne femme est morte, qui estoit a plus cecy la plus cela qui feust au monde. Iamais je ne la verray, jamais je n’en recouvreray une telle : ce m’est une perte inestimable. O mon dieu que te avoys je faict pour ainsi me punir ? Que ne envoyas tu la mort à moy premier que à elle ? car vivre sans elle ne m’est que languir. « Ha Badebec, ma mignonne, mamaye, mon petit con (toutesfois elle en avoit bien troys arpens et deux sexterées (2) ma tendrette, ma braguette, ma savate, ma pantofle jamais je ne te verray. Ha pauvre Pantagruel tu as perdu ta bonne mere, ta doulce nourrisse, ta dame tresaymée ». Et ce disant pleuroit comme une vache, mais tout soubdain rioit comme un veau, quand quand Pantagruel luy venoit en memoire. « HO mon petit filz (disoit il) mon coillon, mon peton que tu es joly, et tant je suis tenu à dieu de ce qu’il m’a donné un si beau filz tant joyeux, tant riant, tant joly. Ho, ho, ho, ho, que suis ayse, beuvons ho, laissons toute mélancholie, apporte du meilleur, rince les verres, boute la nappe, chasse ces chiens, souffle ce feu, allume la chandelle, ferme ceste porte, taille ces souppes (3) , envoye ces pauvres, baille leur ce qu’ilz demandent, tiens ma robbe, que je mette en pourpoint pour mieux festoyer les commeres. » Ce disant ouyt la letanie et les mementos des prebstres qui portoyent sa femme en terre, dont laissa son bon propos et tout soubdain fut ravy ailleurs, disant, « Seigneur dieu, fault il que je me contriste encores ? Cela me fasche, je ne suis plus jeune, je deviens vieulx, le temps est dangereux, je pourray prendre quelque fiebvre, me voylà affolé. Foy de gentil homme, il vault mieulx pleurer moins et boire dadvantaige. Ma femme est morte: et bien, par dieu (da iurandi) (4) je ne la resusciteray pas par mes pleurs, elle est bien, elle est en paradis pour le moins si mieulx ne est : elle prie dieu pour nous, elle est bien heureuse, elle ne se soucie plus de nos miseres et calamitez, autant nous en pend à l’œil (5), dieu gard le demourant, il me fault penser d’en trouver une aultre. Qui fut bien ébahi et perplexe quand Gargantua fut né ? Ce fut Grandgousier, son père car Badebec, son épouse, en était morte. Le doute qui troublait l’esprit de Grandgousier était de savoir s’il devait pleurer sur le deuil de sa femme, ou rire pour la naissance de son fils. « Pleurerai-je ? » disait-il « Oui, car ma tant bonne femme est morte, qui était ceci, qui était cela ; ce m’est une perte inestimable. O Dieu ! Que t’avais-je fait pour me punir ainsi ? Que ne m’envoyas-tu pas la mort à moi d’abord ? Vivre sans elle n’est pour moi que languir. Ah ! Badebec, ma mignonne, ma mie, ma tendresse, ma caille, ma petite pantoufle, jamais plus je ne te reverrai. Ah ! Pauvre Gargantua, tu as perdu ta bonne mère, ta douce nourrice, ta dame très aimée : …. » Disant cela, il pleurait comme un veau. Mais tout aussitôt riait comme une vache quand Gargantua lui revenait à la mémoire. « Hé! Petit couillon !» disait-il, «mon gros fils, si joyeux, si rieur, si joli ! Oh que je suis aise : Buvons donc : Laissons toute mélancolie : apporte du meilleur, rince les verres, mets la nappe, chasse ces chiens, souffle ce feu, allume cette chandelle, ferme la porte, taille ces soupes, renvoie ces pauvres, donne leur ce qu’ils demandent : apporte ma robe, que je me mette en pourpoint pour mieux fêter les commères.» Disant cela il entendait les litanies des prêtres qui portaient sa femme en terre. Il en abandonna son propos et s’écria : « Seigneur, faut-il que je me contriste encore ? Je ne suis plus jeune, le temps est mauvais, je pourrais prendre quelque fièvre. Foi de gentilhomme, il vaut mieux pleurer moins et boire davantage; Ma femme est morte : par Dieu, je ne la ressusciterai pas par mes pleurs. Elle est en Paradis pour le moins, si mieux n’est ; elle prie pour nous, elle est bien heureuse, elle ne se soucie plus de nos misères. Il me faudra songer d’en trouver une autre. Voir commentaire page 20 RABELAIS Jean FRANCAIX 8 Chapitre XI -Livre de Gargantua De l’adolescence de Gargantua Gargantua depuis troys jusques à cinq ans feut nourry (1) et institué (2) en toute discipline convenente par le commandement de son pere et celluy temps passa comme les petitz enfans du pays, c’est assavoir à boyre, manger, et dormir : à manger, dormir, et boyre : à dormir, boyre, et manger. Tousjours se vaultroit par les fanges (3), se mascoroyt (4) le nez, se chauffouroit (5) le visaige. Aculoyt (6) ses souliers, baisloit (7) au mousches, et couroit voulentiers après les parpailons (8) desquelz son pere tenoit l’empire. Il pissoit sus ses souliers, il chyoit en sa chemise, il se mouschoyt à ses manches, il mourvoit (9) dedans sa soupe. Et patroilloit (10) par tout lieux et beuvait en sa pantoufle, et se frottait ordinairement le ventre d’un panier. Ses dens aguysoit (11) d’un sabot, ses mains lavoit de potaige, se pignoit (12) d’un goubelet, se asseoyt entre deux selles le cul à terre (13), de couvroyt d’un sac mouillé, beuvoyt en mangeant sa souppe, mangeoyt sa fouace (14) sans pain, mordoyt en riant, rioyt en mordent, souvent crachoyt on bassin, pettoyt de gresse, pissoyt contre le soleil, se cachoyt en l’eau pour la pluye , battoyt à froid, songeoyt creux, faisoyt le succré, escorchoyt le renard (15), disoit la patenostre du cinge (16), retournoyt à ses moutons, tournoyt les truies au foin (17), battoyt le chien devant le lion (18), mettoyt la charrette devant les beufz, se grattoyt où ne luy demangeoyt poinct, tiroit les vers du nez, trop embrassoyt et peu estraignoyt, mangeoyt son pain blanc le premier, ferroyt les cigalles (19), se chatouilloyt pour se faire rire, ruoyt très bien en cuisine, faisoyt gerbe de feurre au dieux (20), faisoyt chanter Magnificat à matines et le trouvoyt bien à propous, mangeoyt chous et chioyt pourrée, congnoissoyt mousches en laict, faisoyt perdre les pieds au mousches, ratissoyt le papier, chaffourroyt (21) le parchemin, guaignoyt au pied (22), tiroyt au chevrotin (23), comptoyt sans son houste, battoyt les buissons sans prandre les ozillons, croioyt que nues feussent paillles d’arain et que vessis feussent lanternes, tiroyt d’un sac deux moustures, faisoyt de l’asne pour avoir du bren, de son poing faisoyt un maillet, prenoit les grues du premier sault, vouloyt que maille à maille on feist les haubergeons, de cheval donné tousjours reguardoyt en la gueulle, saultoyt du coq à l’asne, mettoyt entre deux verdes une meure, faisoyt de la terre le foussé, gardoyt la lune des loups, si les nues tomboient, esperoyt prandre les alouettes, faisoyt de necessité vertus, faisoyt de tel pain souppe, se soucioyt aussi peu des raitz (24) comme des tonduz, tous les matins escorchoys le renard. Les petits chiens de son pere mangeoient en son escuelle : luy de mesmes mangeoit avecques eux. Il leurs mordoit les aureilles, ilz luy graphinoient le nez. il leurs souffloit au cul, ilz luy leschoient les badigoinces (25). Et sabez quey, hillotz ? Que mau de pipe vous byre (26). Ce petit paillard tousjours tastonoit ses gouvernantes, cen dessus dessoubz, cen devant derriere - harry bouriquet ! - et desjà commençoyt exercer braguette, laquelle un chascun jour ses gouvernantes ornoyent de beaulx boucquets, de beaulx rubans, de belles fleurs, de beaulx flocquars, et passoient leur temps à la faire revenir entre leurs mains comme un magdaleon d’entraict (27), puis s’esclaffoient de rire quand elle levoit les aureilles, comme si le jeu leurs eust pleu. L’une la nommoit «ma petite dille», l’aultre «ma pine», l’aultre «ma branche de coural», l’aultre «mon bondon »(28), mon bouchon, mon vibrequin, mon possouer, ma teriere, ma pendilloche, mon rude esbat roidde et bas, mon dressouoir, ma petite andoille vermeille, ma petite couille bredouille. - Elle est à moy, disoit l’une. - C’est la mienne, disoit l’aultre. - Moy (disoit l’aultre), n’y auray je rien ? Par ma foy, je la couperay doncques. - Ha couper : (disoit l’aultre); vous luy feriez mal, ma dame, coupez vous la chose aux enfans ? Il seroyt monsieur sans queue. - Et pour s’esbattre comme les petits enfans du pays, luy feirent un beau virollet (29) des aesles d’un moulin à vent de Myrebalays. Comme tout petit chrétien, Gargantua fut porté sur les fonts et baptisé (1). Il passait son temps en trois parts : à manger dormir et boire; à dormir boire et manger ; à boire, manger et dormir. Aussi portait-il bonne trogne, avec presque dix-huit mentons et quatorze cents pipes neuf potées de lait par jour. Une de ses gouvernantes m’a souvent assuré qu’au seul bruit des flacons il entrait en extase comme s’il goûtait les joies du Paradis, dodelinant de la tête et souriant à la bouteille. Et pendant qu’elle faisait sonner les verres avec un couteau, les pintes avec leurs bouchons, lui-même se berçait, monocordisant des doigts et barytonnant du cul…….. que c’était merveille à l’entendre. Mais quand il s’éveillait, bonnes gens ! Il se vautrait dans sa fange se farfouillait le nez, pêchait la grenouille, courait les papillons. Il se mouchait à sa manche, se morvait dans sa soupe, pissait sur ses souliers, buvait dans sa pantoufle, lavait ses mains dans son potage et se chatouillait pour se faire rire. Les petits chiens de son Père mangeaient dans son écuelle, et lui, mangeait avec eux. Il leur mordait les oreilles : ils lui égratignaient le nez. Il jouait au poirier, au ronflard, à la pirouette, au furet, au crapaud, au piston, à la bascule, à colin-maillard, aux pétarades ; arrachait les pattes aux mouches et dénichait les oisillons. Il avait un beau cheval de bois, qu’il faisait piaffer, sauter, voltiger danser et ruer tout ensemble (2). Entre temps, Monsieur l’Appétit venait. Voir commentaire page 20 9 RABELAIS Jean FRANCAIX Chapitre XIV GARGANTUA (extraits) Comment Gargantua feut institué par un sophiste latines. * en lettres A quoy congnent son pere le divin entendement qui en luy estoit, et le feist très bien endoctriner (1) par Aristoteles, qui pour lors estoit estimé sus tous philosophes de Grece. « Mais je vous diz qu’en ce seul propos que j’ay presentement davant vous tenu à mon filz Gargantua, je congnois que son entendement participe de quelque divinité, tant je le voy agu (2), subtil, profund et serain et parviendra à degré souverain de sapience, s’il est bien institué. Pour tant, je veulx le bailler à quelque homme sçavant pour l’endoctiner selon sa capacité, et et n’y veulx rien espargner. » De faict, l’on luy enseigna un grand docteur sophiste nommé Maistre Thubal Holoferne (3) qui luy aprint sa charte (4) si bien qu’il la disoit par cueur au rebours ; et y fut cinq ans et troys mois. Puis luy leut Donat, le Facet, Théodolet et Alanus in Parabolis (5). Et il y feut treze ans six moys et deux sepmaines. Mais notez que ce pendant il luy aprenoit à escripre gotticquement et escripvoit tous ses livres car l’art d’impression n’estoit encores en usaige. Et portoit ordinairement un gros escriptoire pesant plus de sept mille quintaulx …… Après en eut un aultre vieux tousseux, nommé Maistre Jobelin Bridé…. Chapitre XV (extraits) Lors, en bousculant les commères, il courait aux cuisines, savoir quel rôti était à la broche. Puis chopinait théologalement, de onze ou douze potées de vin. Avant peu, il criait comme tous les diables : Stentor à la bataille de Troie, n’eut jamais une telle voix. Cependant, Gargantua croissait et profitait à vue d’œil. Son intelligence était aiguë et subtile, comme si elle lui fut venue de quelque divinité. Pour l’élever à un haut degré de science, il fut envoyé à Paris à la Sorbonne. Portant une écritoire de 7000 quintaux et sous la férule de Thubal Holoferne, Jobelin Bridé, Janotus de Bragmardo et autres vieux tousseux édentés, beaux bailleurs de balivernes et abstracteurs de quintessence. Il étudia le « Donat », le « Facet », l’ »Alanus in Parabolis » avec les commentaires d’Heurebis, Trouillogand, Brelindelin et d’un tas d’autres, de semblable farine. Il y fut occupé 18 ans, 11 mois et 14 jours. Puis lui furent enfournées les vies de Saint-Foutin le Presbyte de Sainte Godegrand la Roupieuse, et de SaintCanard, qui fut martyrisé de pommes cuites au Capitole de Toulouse. Il les savait si bien qu’il les pouvait réciter à l’endroit ou à l’envers au désir de ces Messieurs. Il y passa 24 ans, 4 mois et 3 jours. On le fit enfin sorbonniculer dans « les Patrenôtres du Singe Vert », dans « Les Lunettes de Romipète », « La Cornemuse des Prélats » « La Marmite des Promoteurs », « La Ratatouère des Présidents », « La muselière des Dames »…. extraite de la Somme angélique. A tant, son pere aperceut que vrayement il estudioit très bien et y mettoit tout son temps, toutefoys qu’en rien ne prouffitoit et, que pis est, en devenoit fou, niays, tout resveux et rassoté (6). Mais toute la contenence de Gargantua fut qu’il se print à plorer comme une vache et se cachoit le visaige de son bonnet, et ne fut possible de tirer de luy une parole non plus qu’un pet d’un asne mort. » * un 1542 sens, rante théologien disent les premières éditions ; la correction en en sophiste (avec un sens péjoratif) ne change pas le l’assimilation entre scolastique et sophistique étant coudepuis Erasme. De tout cela Gargantua sortit tout rêveur, niais, mou, éteint, inerte, lent, gâteux, léthargique, hébété ; de sorte qu’on n’en pouvait pas plus tirer quelque chose… qu’un pet d’un âne mort. 10 RABELAIS Jean FRANCAIX Chapitre XXIX Gargantua Le teneur des lettres que Grandgousier escripvoit à Gargantua. La ferveur de tes estudes requeroit que de long temps ne te revocasse de cestuy philosophicque repous (1), sy la confiance de noz amys et anciens confederez n’eust de present frustré la seureté de ma vieillesse. Mais, puis que telle est ceste fatale destinée, que par iceulx soye inquiété : es quelz plus je me repousoye, force me est te rappeler au subside (2) des gens et biens qui te sont par droict naturel affiez (3). Car, ainsi comme debiles sont les armes au dehors, si le conseil n’est en la maison : aussi vaine est l’estude et le conseil inutile qui en temps oportun par vertus n’est executé et à son effect reduict. Ma délibération n’est de provocquer, ains de apaiser : d’assaillir, mais defendre : de conquester, mais de guarder mes feaulx subjectz et terres héréditaires. Es quelles est hostillement entré Picrochole, sans cause ny occasion, et de jour en jour poursuit sa furieuse entreprinse, avecques excés non tolérables à personnes liberes (4). Je me suis en devoir mis pour moderer sa cholere tyrannicque, luy offrent tout ce que je pensois luy povoir estre en contentement, et par plusieurs foys ay envoyé amiablement devers luy pour entendre en quoy, par qui et comment il se sentoit oultragé ; mais de luy n’ay eu responce que de voluntaire deffiance (5), et que en mes terres pretendoit seulement droict de bien seance (6). Dont j’ay congneu que Dieu eternel l’a laissé au gouvernail de son franc arbitre et propre sens, qui ne peult estre que meschant sy par grace divine n’est continuellement guidé (7) : et pour le contenir en office et reduire à congnoissance, me l’a icy envoyé à molestes (8) enseignes. Pourtant (9) mon fils bien aymé, le plus tost que faire pouras, ces lettres veues, retourne à diligence secourir, non tant moy (ce que toutesfoys par pitié naturellement du doibs) que les tiens, lesquelz par raison tu peux saulver et guarder. L’exploict sera faict à moindre effusion de sang que sera possible. Et, si possible est, par engins plus expediens, cautels (10), et ruzes de guerre nous saulverons toutes les ames et les envoyerons joyeux à leurs domiciles. Trèschier filz, la paix de Christ, nostre redempteur soyt avecques toy. Salue Ponocrates, Gymnaste et Eudemon de par moy. Un matin, Gargantua reçut de son père Grandgousier la lettre suivante : «La ferveur avec laquelle tu t’adonnes à tes études m’eut ordonné que de longtemps je ne te dérangeasse de cette philosophique occupation, si un ami et ancien allié, en qui j’avais toute confiance, pour une obscure affaire entre nos gens, ne m’eût déclaré la guerre. Notre intention n’était pas de l’assaillir, mais de l’apaiser et de garder nos fidèles sujets et terres héréditaires dans lesquelles Picrochole vient d’entrer en ennemi, et où, jour après jour, il poursuit sa furieuse entreprise, avec des excès que des personnes libres ne peuvent tolérer. J’ai envoyé amicalement vers lui pour savoir en quoi et par qui il se sentait outragé ; mais je n’ai obtenu comme réponse que cette déclaration de guerre. Donc, mon fils bien aimé, dès que tu auras reçu cette lettre, viens vite nous secourir. Très cher Enfant, la paix du Christ soit avec toi ! …. Du vingtième jour de Septembre. Ton père, Grandgousier.» Du vingtiesme de Septembre (11) Ton pere, Grandgousier. Voir commentaire page 20 11 RABELAIS Jean FRANCAIX Chapitre XXXIII Gargantua (complet sur deux pages) Comment certains gouverneurs de Picrochole, par conseil précipité, le mirent au dernier peril. Les fouaces destroussées, comparurent davant Picrochole les duc de Menuail, comte Spadassin et capitaine Merdaille (1) et luy dirent : - « Cyre, aujourd’huy nous vous rendons le plus heureux, le plus chevaleureux prince qui oncques feust depuis la mort de Alexandre Macedo (2). - Couvrez, couvrez-vous, dist Picrochole. - Grand mercy (dirent ilz), Cyre, nous sommes à nostre debvoir. Le moyen est tel : « Vous laisserez icy quelque capitaine en garnison avec petite bande de gens pour garder la place, laquelle nous semble assez forte, tant par nature que par les rampars faictz à vostre invention. Vostre armée partirez en deux, comme trop mieulx l’entendez. L’une partie ira ruer (3) sur ce Grandgousier et ses gens. Par icelle sera de prime abordée (4) facilement desconfit. Là recouvrerez argent à tas (5), car le vilain en a du content (6) ; vilain disons nous, parce que un noble prince n’a jamais un sou. Thesaurizer est faict de vilain. - L’aultre partie, cependent, tirera vers Onys, Sanctonge, Angomoys et Gascoigne, ensemble Perigot, Medoc et Elanes (7). Sans résistence prendront villes, chasteaux et forteresses. A Bayonne, à Sainct jean de Luc (8) et Fontarabie sayzirez toutes les naufz (9), et, coustoyant vers Galice et Portugal, pillerez tous les lieux maritimes jusques à Ulisbonne, où aurez renfort de tout equipage requis à un conquérent. Par le corbieu, (10) Hespaigne se rendra, car ce ne sont que madourrez (11) ! Vous passerez par par l’estroict de Sibyle (12) et là erigerez deux colonnes, plus magnificques que celles de Hercules (13), à perpétuelle memoire de vostre nom, et sera nommé cestuy destroict la mer Picrocholine. Dans le même temps, renfermés dans la place forte de la Roche Clermaud, le Duc de Menuail, le Général Comte Spadassin, le Capitaine Merdaille et autres méchantes ferrailles se présentèrent devant Picrochole et lui dirent : « Sire, nous vous proclamons aujourd’hui… le Roi… le Roi des …. L’Em… l’Empereur des…… le plus grand Conquérant qui fut jamais depuis la mort d’Alexandre le grand. - Couvrez-vous, couvrez-vous ! dit Picrochole. Voici ce que nous proposons : vous laisserez ici quelques capitaines en garnison pour garder la place. Votre armée se divisera en deux parts. L’une s’ira ruer sur l’Aunis et la Saintonge, la Gascogne et les Landes, qu’elle prendra sans résistance. A Fontarabie, vous saisirez tous les navires, et, côtoyant le Portugal, pillerez tous les ports jusqu’à Lisbonne, où vous trouverez les renforts nécessaires pour continuer les conquêtes. Corbleu ! L’Espagne se rend à merci, car ce ne sont que fainéants. Vous passerez Gibraltar, où vous érigerez deux Colonnes plus belles que celles d’Hercule, afin de perpétuer la mémoire de votre nom. Le détroit sera nommé : « La Mer Picrocholine ». Passée la Mer Picrocholine, à nous les Barbaresques, les Baléares, toutes les Iles du golfe de Gênes, la Gaule Narbonnaise, la Provence, Lucques et Florence prises à revers et vous entrez à Rome. Ce pauvre Monsieur Le Pape tremble déjà de peur. Passée la mer Picrocholine, voicy Barberousse (14), qui se rend vostre esclave…... - Je (dist Picrochole) le prendray à mercy. - Voyre (dirent ilz), pourveu qu’il se face baptiser. Et appugnerez (15) les royaulmes de Tunic, de Hippes, Argiere, Bone, Corone, hardiment toute Barbarie. Passant oultre, retiendrez en vostre main Majorque, Minorque, Sardaine, Corsicque et aultres isles de la mer Ligusticque et Baleare (16). Coustoyant à gausche, dominerez toute la Gaule Narbonicque, Provence et Allobroges, Genes, Florence, Lucques, et à Dieu seas (17) Rome. Le pauvre Monsieur du Pape (18) meurt desjà de peur. - Par ma foy (dist Picrochole), je ne lui baiseray jà sa pantofle (19). - Prinze Italie, voylà Naples, Calabre, Appoulle et Scicile toutes à sac, et Malthe avec. Je vouldrois bien que les plaisans chevaliers, jadis Rhodiens (20), vous resistassent, pour veoir de leur urine (21). - Je iroys (dict Picrochole) voluntiers à Laurette (22). - Rien, rien (dirent ilz) ; ce sera au retour. De là prendrons Candie, Cypre, Rhodes et les isles Cyclades, et donnerons sus la Morée. Nous la tenons. Sainct Treignan (23), Dieu gard Hierusalem ! Car le soubdan (24) n’est pas comparable à vostre puissance ! - Je (dist il) feray doncques bastir le Temple de Salomon. - Non (dirent ilz) encores, attendez un peu. Ne soyez jamais tant soubdain à voz entreprinses. Sçavez vous que disoit Octovian Auguste ? Festina lente (25). Il vous convient premièrement avoir l’Asie Minor, Carie, Lycie, Pamphile, Celicie, Lydie, Phrygie, Mysie, Betune, Charazie, Satalie, Samagarie, Castamena, Luga, Savasta jusques à Euphrates. L’Italie prise, Chypre, Rhodes et les Cyclades se donnent à nous. Nous allons sur le Péloponnèse nous le tenons. Dieu garde Jérusalem. Je veux qu’il ne lui soit fait aucun mal (assura Picrochole) au contraire, j’y ferai reconstruire le temple, il sera 100 fois plus magnifique que Chambord ou Chantilly et dans le chandelier à sept branches je ferai enfermer un vrai poil du Roi Salomon. -Mais non ! Mais non ! Dit Merdaille, ne soyez pas si prompt dans votre entreprise, ce sera pour le retour, il nous faut d’abord l’Asie Mineure et tous les pays jusqu’à L’Euphrate. Voir commentaire page 21 RABELAIS Chapitre XXXIII Jean FRANCAIX 12 (suite et fin) - Voyrons nous, dist Picrochole, Babylone et le Mont Sinay ? - Il n’est dirent ilz, jà besoing pour ceste heure. N’est ce pas assez tracassé dea (1) avoir transfreté la mer Hircane (2), chevaudé les deux Armenies et les troys Arabies (3) ? - Par ma foy, dist il, nous sommes affolez (épuisés). Ha pauvres gens. - Quoy ? Dirent ilz. - Que boyrons nous par ces desers. Car Julian Auguste et tout son oust (armée) y moururent de soif comme l’on dict. - Nous (dirent ilz) avons jà donné ordre à tout. Par la mer Siriace vous avez neuf mille quatorze grands naufz chargées des meilleurs vins du monde, elles arriverent à Japhes. Là se sont trouvez vingt et deux cens mille chameaulx, et seize cens Elephans, lesqelez aurez prins à une chasse environ Sigeilmes (4), lors que entrastes en Lybie : et d’abondant eustes toute la Garavane de Lamecha (5). Ne vous fournirent ilz de vin à suffisance ? - Voyre mais, dist il, nous ne beumes poinct frais. - Par la vertus, dirent ilz, non pas d’un petit poisson, un preux, un conquérent, un pretendent et aspirant à l’empire univers, ne peut tousjours avoir ses aizes. Dieu soit loué que estes venu vous et voz gens saufz et entiers jsques au fleuve du Tigre. - Mais dist il, que faict ce pendent la part de nostre armée qui desconfit ce villain humeux (6) de Grandgousier ? - Ilz ne chomment pas (dirent ilz) nous les rencontrerons tantost. Ilz vous on pris Bretaigne, Normandie, Flandres, Haynault, Brabant, Artoys, Hollande, Selande, ilz ont passé le Rhein par sus le ventre des Suices et Lansquenetz, et part d’entre eulx ont dompté Luxembourg : Lorraine, la Champaigne, Savoye jusques à Lyon auquel lieu ont trouvé voz garnisons retournans des conquestes navales de la mer Mediterranée, et se sont reassemblez en Boheme, après avoir mis à sac Soueve, Vuiemberg, Bavieres, Austriche, Moravie et Stirie ; puis ont donné fierement ensemble sus Lubek, Norwerge, Swedenrich, Dace (7) , Gotthie (8), Engroneland, les Estrelins, jusques à la mer Glaciale. Ce faict, conquesterent les isles Orchades et subjuguerent Escosse, Angleterre et Irlande. De là, navigans par la mer sabuleuse, et par les Sarmates, ont vaincu et dominé Prussie, Polonie, Litwanie, Russie, Valache, la Transsilvane et Hongrie, Bulgarie, Turquie, et sont à Constantinoble. -Allons nous, dist Picrochole, rendre à eulx le plus toust, car je veulx estre aussi empereur de Thebizonde. Ne tuerons nous pas tous ces chiens turcs et Mahumetistes ? - Que diable, dirent ilz, ferons nous doncques ? Et donnerez leurs biens et erres à ceulx qui vous auront servy honnestement. - La raison (dist il) le veult ; c’est equité. Je vous donne la Carmaigne, Surie et toute la Palestine. - Ha ! (dirent ilz) Cyre, c’est du bien de vous. Grand mercy ! Dieu vous face bien tousjours prosperer ! Là present estoit un vieux gentil homme, esprouvé en divers hazars et vray routier de guerre, nommé Echephron (9) lequel, ouyant ces propous, dist « J’ay grand peur que toute ceste entreprinse sera semblable à la farce du pot au laict, duquel un cordouannier se faisoit riche par resverie ; puis, le pot cassé, n’eut de quoy disner. Que pretendez vous par ces belles conquestes ? Quelle sera la fin de tant de travaulx et traverses ? - Ce sera : dist Picrochole que, nous retournez, repouserons à noz aises. - Dont, dist Echephron : Et, si par cas jamais n’en retournez, car le voyage est long et pereilleux. N’est ce mieulx que dés maintenant nous repousons, sans nous mettre en ces hazars ? - O dist Spadassin par Dieu, voicy un bon resveux ! Mais allons nous cacher au coing de la cheminée, et là passons avec les dames nostre vie et nostre temps, à enfiler des perles, ou à filler comme Sardanapalus. Qui ne se adventure, n’a cheval ny mule, ce dist Salomon. - Qui trop dist Echephron, se adventure, perd cheval et mulle. Respondit Malcon (10). - Baste ! (11), dist Picrochole, passons oultre. Je ne crains que ces diables de legions de Grandgousier, ce pendent que nous sommes en Mesopotamie, s’ilz nous donnoient sus la queue, quel remede ? - Très bon, dist Merdaille, une belle petite commission, laquelle vous envoirez es Moscovites, vous mettra en camp (12), pour un moment quatre cens cinquante mille combatans d’eslite. O, si vous me y faictes vostre lientenant, je tueroys un pigne (peigne)pour un mercier (13)! - Je mors, je rue,je frappe, je attrape, je tue, je renye ! - Sus, sus, dict Picrochole, qu’on despesche tout, et me ayme, si me suyve (14). - Mais que boirons nous dans ces déserts ? - Nous avons donné ordre à tout : neuf mille et quatorze grands navires chargés des meilleurs vins du monde arrivent à Jaffa, où se trouvent 20 000 chameaux et 1615 éléphants. A travers les deux Arménies et les trois Arabies, ils arrivent à nous. N’aurons-nous pas de vin en suffisance ? -Ouais, mais nous ne bûmes point frais ! -Un preux, un conquérant, un prétendant à l’empire de l’univers ne peut toujours avoir ses aises ! Rendez plutôt grâce à Dieu que vous et vos gens soyez venus sains et sauf jusqu’au Tigre. - Mais, dit Picrochole, que fait pendant ce temps l’autre partie de notre armée ? - Elle ne chôme pas : ayant écrasé les gens de ce pauvre buveur de Grandgousier, …. Elle vous a conquis Bretagne, Normandie, Flandres, Bourgogne, Lyon, où elle a trouvé vos garnisons revenant des conquêtes navales de la Méditerranée. Passé le Rhin, elle met à sac l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la Russie, la Valachie, la Turquie ; elle entre à Constantinople. Elle met le Sultan au fond de ses chausses comme un suppositoire. - Me voilà empereur de Trébizonde. - Voyez, voyez, Sire, se rejoindre vos deux Armées ! - Duc de Menuail, nous vous donnons la Carménie, la Syrie et toute la Palestine. - Ah ! Sire ! Grand merci ! - Général Comte Spadassin, nous vous donnons la Hongrie et la Transylvanie. - Ah ! Sire ! Dieu vous donne toujours prospérité ! - Capitaine Merdaille, nous vous donnons la Bavière. - Ah ! Sire ! Sous votre conduite nous voulons vivre et mourir ! » Etait présent à cet entretien un vieux Général expérimenté, qui s’écria : «J’ai grand peur de voir tout ceci finir comme la farce du pot au lait, par lequel une fille devenait riche par l’imagination, et qui, le pot cassé, n’eut pas de quoi dîner.» Mais on l’appela cafard vermoulu, et Picrochole s’écria : « Je mords , je rue, je frappe, j’attrape, je tue, je renie, sus à l’ennemi ! Et qui m’aime me suive ! » RABELAIS 13 Jean FRANCAIX Chapitre XXVII Gargantua Comment un moine de Seuillé saulva le cloz de l’abbaye du sac des ennemys. Tant feirent et tracasserent, pillant et larronnant, qu’ilz arriverent à Seuillé (1), et detrousserent hommes et femmes, et prindrent ce qu’ilz peurent : rien de leurs feut ne trop chault ne trop pesant. Combien que la peste y feust par la plus grande part des maisons, ilz entroient par tout, ravissoient tout ce qu’estoit dedans, et jamais nul n’en print dangier, qui est cas assez merveilleux : car les curez, vicaires, prescheurs, medicins, chirurgiens et apothecaires qui alloient viviser, penser, guerir, prescher et admonester les malades, estoient tous mors de l’infection, et ces diables pilleurs et meurtriers oncques n’y prindrent mal. Dont vient cela, messiers ? Pensez y, je vous pry. Le bourg ainsi pillé, st transporterent en l’abbaye avecques horrible tumulte, mais la trouverent bien reserrée et fermée, dont l’armée principale marcha oultre vers le gué de Vede (2), exceptez sept enseignes (3) de gens de pied et deux cens lances qui là resterent et rompirent les murailles du cloz affin de guaster toute la vendange. Les pauvres diables (4) de moines ne sçavoient auquel de leurs saincts se vouer. A toutes adventures feirent sonner ad capitulum capitulantes (5). Là feut decreté qu’ilz feroient une belle procession, renforcée de beaulx preschans, et letanies contra hostium insidias (6), et beaulx responds (7) Pro pace. En l’abbaye estoit pour lors un moine claustrier (8) nommé Frere Jean des Entommeures (9), jeune, guallant, frisque (10), de hayt (11), bien de dextre (12) hardy, adventureux, deliberé, hault, maigre, bien fendu de gueule (13), bien advantaigé en nez, beau despescheur d’heures (14), beau desbrideur de messes, beau descroteur de vigiles , pour tout dire sommairement vray moyne si oncques en feut depuys que le monde moynant moyna de moynerie (15), au reste clerc jusques es dents en matiere de breviaire. Icelluy, entendent le bruict que faisoyent les ennemys par le cloz de leur vine, sortit hors pour veoir ce qu’ilz faisoient, et, advisant qu’ilz vendangeoient leur cloz auquel estoyt leur boyte (16) de tout l’an fondée, retourne au cueur de l’eglise, où estoient les aultres moynes, tous estonnez comme fondeurs de cloches (17) lesquelz voyant chanter Ini nim, pe, ne, ne, ne, ne, tum, ne, num, num, ini, i, mi, mi, co, o, ,e, ,o, o, ne, no, ne, rum, ne, num, num (18) : « C’est, dist il, bien chien chanté ! Vertus Dieu, que ne chantez vous : Adieu, paniers, vendanges sont faictes ? « Je me donne au diable s’ilz ne sont en nostre cloz et tant bien couppent et seps et raisins qu’il n’y aura, par le corps Dieu ! De quatre années que halleboter (19) dedans. Ventre sainct Jacques ! (20) Que boyrons nous ce pendent, nous aultres pauvres diables ? Seigneur Dieu, da mibi potum (21) ! Lors dist le prieur claustral : « Que fera c’est hyvrogne icy ? Qu’on me le mene en prison. Troubler ainsi le service divin ! -Mais (dist le moyne) le service du vin (22), faisons tant qu’il ne soit troublé ; car vous mesmes, Monsieur le Prieur, aymez boyre du meilleur. Sy faict tout homme de bien ; jamais homme noble ne hayst le bon vin : c’est un apophthegme (23) monachal. Mais ces responds que chantez ycy ne sont, par Dieu ! poinct de saison. « Pourquoy sont noz heures en temps de moissons et vendenges courtes ; en l’advent et tout hyver longues ? Feu de bonne memoire Frere Macé Pelosse, vray relateur (ou je me donne au diable) de nostre religion, me dist, il m’en soubvient, que la raison estoit affin qu’en ceste saison nous facions bien serrer et faire le vin, et qu’en hyver nous le humons. « Escoutez, Messieurs, vous aultres qui aymez le vin : le corps Dieu, sy me suibvez ! Car, hardiment, que sainct Antoine me arde (24) , sy ceulx tastent (25) du pyot qui n’auront secouru la vigne ! Ventre Dieu, les biens de l’Eglise ! Ha, non, non ! Diable ! Sainct Thomas l’Angloys voulut bien pour yceult mourir : si je y mouroys, ne seroys je sainct de mesmes ? Je n’y mourray jà pourtant, car c’est moy qui le foys es aultres. » Bientôt, l’avant-garde de Picrochole arriva devant le clos de l’Abbaye de Seuillé, et y entra. On était, en ce temps là, au commencement de l’automne, la jolie saison des vendanges. Le soleil brillait haut et pur, l’air était tiède, la nature éjouissait les yeux. Alors, les porte-drapeaux picrocholiens mirent leurs insignes le long du mur, les trompettes se chargèrent de branches de raisins, et les Tambourineurs défoncèrent leurs tambours d’un côté pour les emplir de grappes. Chacun allait de côté et d’autre fort tranquillement…. Les pauvres diables de moines, encore dans l’ignorance de leur malheur, étaient dans leur chapelle, où ils chantaient de la manière qui suit : Ouas per…...ges me douo … mi.. ne, hy. so. po, et mun. dab’rrr…..ssssu……..per ni.vem de.al.ba……...bor. C’est alors qu’un vrai moine, s’il en fut jamais depuis que le monde moinant moina de moinerie, Frère Jean des Entommeures, jeune, éveillé, galant et hardi, aperçut à travers un vitrail troué les soldats de Picrochole en train de se livrer à leurs horrifiques vendanges « Hé ! Bons Pères ! » cria t-il, « Chantez plutôt : adieu, paniers : Vendanges sont faites : nous n’aurons que de la piquette à boire l’an prochain ! » RABELAIS Jean FRANCAIX 14 Chapitre XXVII (suite) Ce disant, mist bas son grand habit et se saisit du baston de la croix, qui estoit de cueur de cormier, long comme une lance, rond. Ainsi sortit un beau sayon (26), mist son froc en escharpe et de son baston de la croix donna sy brusquement sus les ennemys, qui, sans ordre, ne enseigne, ne trompette, ne tabourin, parmy le cloz vendangeoient, car les porte-guydons et port’enseignes avoient mis leurs guidons (27) et enseignes l’orée des murs, les tabourineurs avoient defoncé leurs tabourins d’un cousté pour les emplir de raisins, les trompettes estoient chargez de moussines (28), chascun estoit desrayé (29) , il chocqua doncques si roydement sus eulx, sans dyre guare, qu’il les renversoyt comme porcs, frapant à tors et à travers, à vieille escrime. Es uns escarbouilloyt la cervelle, es aultres rompoyt bras et jambes, es aultres deslochoyt les spondyles (30) du coul, es aultres demoulloyt les reins, avalloyt le nez, poschoyt les yeulx, fendoyt les mandibules, enfonçoyt les dens en la gueule, descroulloyt les omoplaes, sphaceloyt les greves (31), desgondoit les ischies (32) debezilloit les fauciles (33). Si quelqu’un se vouloyt cascher entre les sepes plus espès, à icelluy freussoit toute l’areste du douz (34) et l’esrenoit comme un chien. Si aulcun saulver se vouloyt en fuyant, à icelluy faisoyt voler la teste en pieces par la commissure lambdoïde. Si quelqu’un gravoyt en une arbre, pensant y estre en seureté, icelluy de son baston empaloyt par le fondement. Si quelqu’un de sa vieille congnoissance luy crioyt : Ha, Frère Jean, mon amy, Frère Jean, je me rend ! -il t’est (disoit il) bien force ; mais ensemble tu rendras l’ame à tous les diables. » Et soubdain luy donnoit dronos (35). Et, si personne tant feust esprins de temerité qu’il luy voulust resister en face, là monstroyt il la force de ses muscles, car il leurs transperçoyt la poictrine par le mediastine (36) et par le cueur. A d’aultres donnant suz la faulte des coustes (37), leurs subvertissoyt (38) l’estomach, et mouroient soubdainement. Es aultres tant fierement frappoyt par le nombril qu’il leurs faisoyt sortir les tripes. Es aultres parmy les couillons persoyt le boiau cullier. Croiez que c’estoyt le plus horrible spectacle qu’on veit oncques (39). Les uns cryoient : Saincte Barbe ! (40). Les aultres : Saincte Nytouche ! Les aultres : Nostre Dame de Cunault : de Laurette : de Bonnes Nouvelles ! De la Lenou ! De Riviere ! Les ungs se vouoyent à sainct Jacques les aultres au sainct suaire de Chambery, mais il brusla troys moys après, si bien qu’on n’en peut saulver un seul brin (41). Les autres à Cadouyn, les aultres à Sainct Jean d’Angery ; les aultres à sainct Eutrope de Xainctes, à Sainct Mesmes de Chinon, à sainct martin de Candes, à sainct Clouaud de Sinays, es reliques de Javrezay et mille aultres bons peitz sainctz. Les ungs mouroient sans parler, les aultres parloient sans mourir. Les ungs mouroient en parlant, les aultres parloient en mourant. Les aultres crioient à haulte voix : « Confession ! Confession ! Confiteor ! Miserere : In manus ! » Tant fut grand les cris des navrez (42) que le prieur de l’abbaye avec tous ses moines sortirent, lesquelz, quand apperceurent ces pauvres gens ainsi ruez (43) parmy la vigne et blessez à mort, en confesserent quelques ungs. Mais, ce pendent que les prebstres se amusoient à confesser, les petits moinetons coururent au lieu où estoit Frere Jean et luy demanderent en quoy il vouloit qu’ilz luy aydassent. A quoy respondit qu’ilz esguorgetassent ceulx qui estoient portez par terre. Adoncques, laissans leurs grandes cappes sus une treille au plus près, commencerent esgourgeter et achever ceulx qu’il avoit desjà meurtriz. Sçavez vous de quelz ferrements ? A beaulx gouvetz (44) qui sont petitz demy cousteaux dont les petitz enfans de nostre pays cernent les noix. Puis à tout son baston de croix guaingna la breche qu’avoient faict les ennemys. Aulcuns des moinetons emporterent les enseignes et guydons en leurs chambres pour en faire des jartiers (45). Mais, quand ceulx qui s’estoient confessez vouleurent sortir par icelle bresche, le moyne les assommoit de coups, disant : « Ceulx cy sont confès et repentans, et ont guaigné les pardons ; ilz s’en vont en paradis, aussy droict comme une faucille et comme est le chemin de Faye. » Ainsi, par sa prouesse, feurent desconfiz tous ceulx de l’armée qui estoient entrez dedans le clous, jusques au nombre de treze mille six cens vingt et deux, sans les femmes et petitz enfans, cela s’entend tousjours. Jamais Maugis (46), hermite, ne se porta si vaillamment à tout son bourdon contre les Sarrasins, desquelz est escript es gestes des quatre filz Haymon, comme feist le moine à l’encontre des ennemys avec le baston de la croix. Lors, il quitta son froc, se saisit du bâton de la Croix, (qui était de cœur de cormier) et, sans crier gare, tomba sur les ennemis à la vieille escrime, à tour de bras. Ceux-ci crurent avoir affaire avec tous les diables de l’enfer. Aux uns, il écrabouillait la cervelle : aux autres, rompait bras et jambes ; il applatissait les nez, pochait les yeux, fendait les mandibules. Il frappait si rudement les nombrils qu’il en faisait sortir les tripes : c’était le plus beau spectacle qu’on pût voir ! Les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir, criant : « Miserere ! » « Confiteor ! » Par cette prouesse furent défaits presque tous ceux qui étaient entrés dans le Clos, au nombre de 13 622, sans compter les femmes et les enfants. Par malheur, quelques ennemis se retournèrent, et, voyant que ce n’était qu’un moine qui provoquait cet esclandre, ils le chargèrent et le firent prisonnier. Voir commentaire page 21 RABELAIS Jean FRANCAIX Chapitre XLVII de Gargantua Comment Grangousier manda querir ses legions, et comment Toucquedillon tua Hastiveau, puisfut tué par le commandant de Picrochole. Chapitre XLVIII de Gargantua Comment Gargantua assaillit Picrochole dedans la Roche clermaud et defist l’armée dudict Picrochole. Chapitre XXXIII de Pantagruel Comment Pantagruel de sa langue couvrit tote une armée, et de ce que l’auteur veit dedans sa bouche. Chapitre XXXVI Gargantua Comment Gargantua demolit le chasteau du Gué de Vede, et comment ilz passèrent le gué. Chapitre XXXVII Gargantua Comment Gargantua soy peignant faisoit tomber de ses cheveulx les boulletz d’artillerye ETC ….. 15 Pendant ce temps, Gargantua volait au secours de son Père de toute la vitesse de son cheval. L’armée du vieux Grandgousier acclama le retour de Gargantua. Par la science militaire de ses chefs et l’argent du bon roi, elle était un véritable mouvement d’horlogerie. L’avantgarde était conduite par le Comte de Tiravant ; l’infanterie, par le lientenant Tailleboudin ; le général Brisefer commandait la cavalerie ; et l’arrière-garde était placée par le fameux colonel Tappecul. Gargantua, dont les exploits allaient passer ceux de Thémistocle, Scipion et César réunis, eut la charge totale de l’Armée. Il résolut qu’à la nuit tombante on marcherait sur la forteresse de la Roche-Clermaud pour y surprendre Picrochole. Quand le soir fut venu, Gargantua se dressa haut et fier, et commanda : « En avant …… Marche ! » Ils marchaient tous en si bon ordre que vous eussiez dit les Enfants d’Israël quand ils quittèrent l’Egypte pour passer la mer rouge. Comme on approchait de la Roche-Clermaud, l’Armée fut surprise par une grosse pluie. Aussitôt, Gargantua s’écria : « A mon commandement …..halte ! » Alors rassemblant tout ses gens devant lui, …. Il se mit à genoux, et s’avisa de tirer la langue peu à peu, les en couvrant comme une mère-poule fait pour ses poussins : de sorte qu’on pouvait aller et venir là-dessous comme on fait dans Notre Dame de Paris, ou dans Sainte Sophie de Constantinople. Et maintenant, cataractes du ciel, déversez-vous à loisir : les soldats de Gargantua se moquent bien de vous. Bien au chaud, ils rêvent de nobles prouesses. La pluie avait cessé lorsqu’au petit jour les guetteurs de la Roche-Clermaud signalèrent l’apparition des Gargantuistes. Considérant l’horrifique stature de Gargantua, qui lui permettait de voir bien au -dessus des nuages, le Duc de Menuail et le Général Comte Spadassin pensèrent que la conquête du monde ne leur serait peut-être pas aussi facile qu’ils l’avaient imaginé. C’est pourquoi, ils crurent utile de se replier discrètement sur des positions préparées à l’avance, laissant à la troupe l’honneur de défendre la forteresse. Seul, le Capitaine Merdaille resta aux côtés de Picrochole. On le disait d’intelligence médiocre, mais néanmoins excellent militaire. Il fait sonner l’alarme, pointer son artillerie sur Gargantua, et ordonna une salve d’enfer. Le tonnerre de l’artillerie apaisé, Gargantua crut ressentir dans ses cheveux comme un grouillement de vermine. Il pensa d’abord que c’était quelques poux qu’il avait ramené de la Sorbonne. Mais ayant secoué la tête, il en fit tomber 44 783 boulets de canon, …...dont il faillit écraser une petite puce ecclésiastique qui accourrait vers lui. C’était Frère Jean, qui avait réussi à s’évader. On le réconforta, car il avait tellement jeûné en prison que les araignées avaient tissé leur toile sur ses dents. Cependant que le Capitaine Merdaille, ses pièces rechargées, s’apprêtait à tirer derechef sur Gargantua. Avec un entêtement inutilement militaire, dont n’eussent profité que les seuls marchands d’arquebuses Merdaille eut sûrement commandé une 3ème décharge si Gargantua, importuné par une mitraille qui n’était pour lui que grains de raisin n’avait décidé d’en finir. D’un énorme chêne qu’il arracha, il se fit une massue, et s’approchant irrésistiblement de la Roche-Clermaud, il commença d’en abattre les tours, descendant ses échauguettes, écrabouillant ses chemins de ronde, disloquant ses remparts, fracassant ses mâchicoulis, défonçant ses barbacanes et démembrant le pont-levis. Pour achever son ouvrage, d’un puissant déluge urinal, il inonda si universellement les ennemis qu’ils furent tous noyés ……….. ...sauf Picrochole qui, dégoulinant et furieux, s’enfuit soudain sur une vieille bourrique qui traînait par là. Voir commentaire page 21 RABELAIS Jean FRANCAIX Trois chapitres sont concernés Chapitre LII Gargantua (extrait) Comment Gargantua feist bastir pour le moyne l’abbaye de Theleme « Restoit seulement le moyne à pourvoir, lequel Gargantua vouloit faire abbé de Seuillé, mais il le refusa. Il luy voulut donner l’abbaye de Bourgueil ou de Sainct Florent, laquelle mieulx luy duiroit, ou toutes deux s’il les prenoit à gré : mais le moyne luy fist responce peremptoire que de moyne il ne vouloit charge ny gouvernement : - car comment (disoit il) pourroy je gouverner aultruy, qui moy mesmes gouverner ne sçaurois ? Si vous semble que je vous aye faict et que puisse l’advenir faire service agreable, oultroyez moy de fonder une abbaye à mon devis (1). La demande pleut à Gargantua, et offrit tout son pays de Theleme, jouste la rivière de Loyre… » Chapitre LIII (extraits) Comment feust bastie et dotée l’abbaye des Thelemites « Pour le bastiment et assortiment (2) de l’abbaye, Gargantua feist livrer de content vingt et sept cent mille huyt cent trente et un moutons à la grande laine, et par chascun an jusques à ce que le tout feust parfaict, assigna sus la recepte de la Dive (3) ), seze cent soixante et neuf mille escuz au soleil (4)……… » « Le bastiment feut en figure exagone, en telle façon que à chascun angle estoit bastie une grosse tour ronde à la capacité de soixante pas en diametre, et estoient toutes pareilles en grosseur et protraict. » « Entre chascune tour, au mylieu dudict corps de logis, estoit une viz brizée (5) dedans icelluy mesmes corps de laquelle des marches estoient par de porphyre, part de pierre Numidicque, part de marbre serpentin (6). En souvenir de cette victoire, le noble Grandgousier ordonna qu’une abbaye fut construite sur l’emplacement même de la Roche-Clermaud. Et pour honorer Frère Jean qui, le premier résista à Picrochole. ….il l‘en voulut faire abbé mais Frère Jean répondit péremptoirement qu’il ne voulait ni charge ni gouvernement de moines. Comment pourrait-il gouverner les autres, alors qu’il ne savait pas se gouverner soi-même ? Néanmoins, Grandgousier obtint du moine qu’il la dirigea à sa guise. C’est ainsi qu’au bord de l’harmonieuse Loire, fut fondée, près d’une grande forêt, cette fameuse Abbaye de Thélême, dont il fut tant parlé par la suite. Pour sa construction et son ameublement, Gargantua avait fait livrer 669 mille écus. Le bâtiment, magnifique, était en forme d’hexagone, avec, à chaque angle, une grande tour ronde. La lumière y pénétrait à flot, faisant ruisseler le porphyre, la pierre numidique et le marbre serpentin. Depuis la tour Artice jusques à Cryere estoient les belles grande librairies (7) en Grec, Latin, Hebrieu, Françoys, Tuscan et Hespaignol, disparties par les divers estaiges selon iceulx langaiges. Retour au chapitre LII (Extraits) « Feut ordonné que là ne seroient repceues sinon les belles, bien formées et bien naturées, et les beaulx bien formez et bien naturez. Item, parce que tant hommes que femmes, une foys repceuz en religion, après l’an de probation (8) estoient forcez et astrinctz y demeurer perpetuellement leur vie durante, feust estably que tant hommes que femmes là repceuz sortiroient quand bon leurs sembleroit, franchement et entierement. Item, parce que ordinairement les religieux faisoient troyz veuz, sçavoir est de chasteté, pauvreté et obedience, fut constitué que là honorablemet on peult estre marié, que chascun feut riche et vesquist en liberté. « Et parce que es religions de ce monde tout est compassé, limité et reiglé par heures, feut decreté que là ne seroit horrologe (9 ) ny quadrant aulcun, mais selon les occasions et oportunitez seroient toutes les œuvres dispensées ; car (disoit Gargantua) la plus vraye perte de temps qu’il sceust estoit de compter les heures Ŕquel bien en vient-il ? - et la plus grande resverie (10) du monde estoit soy gouverner au son d’une cloche et non au dicté (11) de bon sens et entendement. » Chapitre LVII (extraits) Comment estoient reiglez les Thelemites à leur maniere de vivre. Aux étages étaient répartis selon leurs langues des ouvrage latins, grecs, hébreux, toscans, français. Frère Jean n’y laissait entrer que de belles femmes bien conformées, que de beaux hommes bien musclés. Au lieu de demeurer là toute sa vie, chacun pouvait en sortir quand bon lui semblait. Au lieu d’y vivre chaste et obéissant, on pouvait y être marié, riche et libre. En ce calme séjour d’Utopie ne se voyait nulle horloge, nul cadran. On ne s’y réglait pas au son d’un cloche mais à la voix du bon sens, du cœur, de la raison. « En leur reigle n’estoit que ceste clause : Fay ce que vouldras, Parce que gens liberes, lien nez, bien instruictz, conversans en compaignies honnestes, ont par nature un instinct et aiguillon, qui tousjours les poulse à faictz vertueux et retire de vice, lequel ilz nommoient honneur. Et parce que les gens bien nés, bien instruits, conversant en honnête compagnie ont par nature, un instinct qui les pousse à la vertu et les éloigne du vice, il n’y avait dans la règle de cette Abbaye qu’une seule clause : « Fais ce que tu voudras. » 16 17 RABELAIS Jean FRANCAIX Chapitre XLIX de Gargantua Comment Picrochole fuiant feut surprins de males fortunes et ce que feit Gargantua après la bataille. Picrochole ainsi desesperé s’en fuyt vers l’Isle Bouchart , et au chemin de Rivière son cheval bruncha par terre, à quoy tant feut indigné que son espée le tua en sa chole puis ne trouvant personne qui le remontast voulut prendre un asne du moulin qui là auprés estoit, mais les meusniers le meurtrirent tout de coups, et le destrousserent de ses habillemens, et luy baillerent pour soy couvrir une meschante sequenye. Ainsi s’en alla le pauvre cholericque (1); puis passant l’eau au Port Huaux, et racontant ses males fortunes, feut advisé par une vieille lourpidon (2), que son royaulme luy seroit rendu, à la venue des Cocquecigrues (3). Depuis ne sçait on qu’il est devenu. Toutesfoys l’on m’a dict qu’il est de present pauvre gaignedenier (4) à Lyon, cholere comme davant. Et touSjours se guemente à tous estrangiers de la venue des Cocquecigrues, esperant certainement scelon la prophetie de la vieille, estre à leur venue reintegré à son royaulme. Aprés leur retraicte Gargantua premierement recensa les gens, et trouva que peu d’iceulx estoient peryz en la bataille, sçavoir est qUelques gens de pied de la bande (5) du capitaine Tolmere, et Ponocrates qui avoit un coup de harquebouze en son pourpoinct. Puis les feist refraischer chascun par sa bande et commanda es thesauriers que ce repas leur feust defrayé et payé, et que l’on ne feist oultrage quelconques en la ville, veu qu’elle estoit sienne, et après leur repas ilz comparussent en la place devant le chasteau, et là seroient payez pour six moys. Ce que feut faict, puis feist convenir davant soy en ladicte place tous ceulx qui là restoient de la part de Picrochole, esquelz presens tous ses Princes et capitaines parla comme s’ensuyt. « Et Picrochole ? » me direz-vous « Qu’était-il devenu ? » Il était crieur de sauce verte * et marchand de petits pâtés. Le soir, au coin de sa cheminée et tout en reprisant ses chaussettes, il rêvait à la récupération de son Empire, qu’une vieille prophétesse lui avait promis pour le prochain retour des coquecigrues et il aurait vécu assez heureux, grâce à une petite rente que lui versait en cachette le bon Gargantua, si ce n’est que de temps en temps, sa femme le battait, ce dont il fut chansonné dans tout le pays. Et c’est depuis ce temps que l’on prétend qu’en France tout finit par des chansons. Voir commentaire page 21 18 19 Quelques commentaires : Ce travail de mise en parallèle des deux œuvres est loin d’être exhaustif. Cela peut permettre pourtant d’avoir quelques pistes pour découvrir comment une oeuvre littéraire peut se transformer en œuvre musicale. Les propos qui suivent mettront l’accent sur quelques détails repérables de la métamorphose. Jean Françaix a été inspiré par la littérature française. Il rédige luimême ses livrets et parfois avec des collaborateurs. Son Gargantua que l’on peut classer dans « les fantaisies musicales » n’est pas chanté mais déclamé. Le texte de Rabelais a été réécrit par le compositeur pour l’adapter à sa musique. Il aura donc édulcoré, trié, sélectionné, choisi, réaménagé, extrait les passages les plus parlants du texte de Rabelais en occultant les chapitres qu’il ne voulait ou ne pouvait pas mettre en musique. De toute manière, il était impératif de réduire le texte d’origine afin d’en restituer l’essence tout en respectant l’esprit. Faisons une petite estimation : vingt chapitres de Gargantua se déclament en 2 h 20 (vous pouvez le vérifier en écoutant le CD Gargantua par Jacques Bonnaffé) ; si le texte avait été conservé dans son intégralité (57 chapitres) il aurait fallu plus de 7 heures. N’est-ce pas une prouesse de faire découvrir Gargantua en 40 minutes et d’un seul tenant ? Quant à la partie musicale, elle commente avec allégresse ou gravité les différentes situations ? Constatons également que cette réécriture peut rendre plus accessible l’œuvre de Rabelais et donner envie d’aller plus loin dans la lecture d’origine. La comparaison proposée entre les deux textes, l’un du XVIe l’autre du XXe, vous aura permis de vous rendre compte que Rabelais n’est pas aussi inaccessible qu’on le croit. Le compositeur a su restituer l’essentiel du texte de Rabelais avec une lucidité et une remarquable efficacité : - l’opposition entre l’éducation sophiste qui appauvrit, et l’éducation moderne et humaniste qui enrichit, Page 7 : - la tyrannie et la toute puissance maladive de Picrochole, Concernant l’ascendance de Gar- le moine sauveur, défenseur du droit, gantua la liste est très importan- la création de l’abbaye de Thélème, idéal humaniste et te chez Rabelais : 61 personnason apparente promesse de liberté. ges sont nommés. Le tout premier Chalbroth serait identifié tout en se laissant volontiers entraîner dans son ambiance aneccomme un contemporain des fils dotique et humoristique. d’Adam : Caïn et Abel. Jean Françaix a énuméré 20 personnages seulement ; ce qui semble suffisant pour une production musicale cohérente et pour éviter, sans doute, que les auditeurs ne se lassent. Essayez donc de savoir à qui l’on pourrait identifier Haschtarfsprok, le premier de la liste chez Page 6 : Le chapitre I de Pantagruel n’a pas été restitué en entier, seu- Françaix ? lement les passages utilisés par le compositeur qui a également Il est évident qu’il n’y a pratiquecorrespondance transformé de nombreux détails. Sur fond blanc vous découvri- ment aucune entre les personnages. rez un exemple de texte que l’on peut qualifier d’obscène et que Jean Françaix a inévitablement parcouru mais laissé de côté. Rabelais avait créé ses histoires Rabelais y parle de chanson mais cela semble beaucoup plus à partir du mythe de Gargantua difficile à mettre en musique ! Il est aisé de remarquer que l’or- qui existait bien avant lui ; il l’a arrangé, transformé. Jean Frandre du récit d’origine n’est pas respecté. çaix ne s’est pas gêné pour en faire autant en inventant d’autres ancêtres à Gargantua avec des noms qui sonnent bien et qui font sourire. 19 Page 8 : Dans ce passage le compositeur inverse les rôles. Il présente la naissance de Gargantua en utilisant la naissance de Pantagruel. Une chose paraît claire : Jean Françaix tenait sûrement à utiliser la qualité humoristique de ce texte qui devait le faire rire ou pleurer. Cela peut choquer mais sa production reste logique et nous donne une idée de tout ce qu’on peut découvrir en lisant Rabelais. Il faut ajouter que l’accouchement de Gargamelle, mère de Gargantua chez Rabelais, se situe dans un contexte plus scatologique. Il est aussi question de la castration du père et Gargantua naît par l’oreille de sa mère. La veille, Gargamelle avait mangé tellement de tripes pourries que ……….. Bon, allez voir vous-même. Ainsi vous comprendrez aisément pourquoi Jean Françaix n’a pas eu envie de mettre en musique ces situations. Badebec chez Rabelais (morte du mal d’enfant) est la mère de Pantagruel, mais c’est la mère de Gargantua chez Jean Françaix. A sa naissance l’enfant était si merveilleusement grand et lourd qu’il ne peut venir à la lumière sans suffoquer sa mère. Il faut préciser que Rabelais avait aussi réalisé de nombreuses inversions de personnages de manière très fantaisiste par rapport aux récits d’origine. Il aurait délocalisé le mythe en l’installant dans sa région natale, aux environs de la Devinière près de Chinon. Remarquons aussi que le compositeur n’utilise pas tous les qualificatifs énumérés par Rabelais concernant l’épouse morte. Il laisse de côté les termes vulgaires et à connotation sexuelle. RABELAIS (7 qualificatifs) -ma mignonne -mamye -mon petit con (toutesfois elle en avoit bien troys arpens et deux sexterées) -ma tendrette -ma braguette -ma savate -ma pantofle -ma -ma -ma -ma -ma Jean FRANCAIX (5 qualificatifs) mignonne mie tendresse caille petite pantoufle Pointons l’inversion de jeux de mots que fait Jean Françaix : chez Rabelais Gargantua pleure comme une vache et rit comme un veau chez Jean Françaix Gargantua rit comme une vache et pleure comme un veau. Page 9 : Dans ce passage, Jean Françaix utilise des extraits de nombreux chapitres : les parties colorées ou surlignées de chaque texte montrent combien Jean Françaix s’empare du texte de Rabelais et en fait une traduction littérale. tout le reste (en noir) se situe dans le paragraphe VII qui a pour titre Comment le nom fut imposé à Gargantua et comment il humoit le piot. La fin de ce paragraphe de nature grossière ne sera pas reprise par le compositeur. (1) Cette phrase ici est en début de paragraphe alors qu’elle se situe en fin du premier paragraphe du chapitre VII dans le texte de RABELAIS. (2). Cette phrase est extraite du Chapitre XII dont le titre est « Des chevaux factices de Gargantua » ; le compositeur rassemble en une phrase tout le paragraphe qui concerne le premier cheval de bois de Gargantua mais aussi tous les autres chevaux. Il fallait bien que Gargantua devienne un très bon cavalier pour son honorable mission. Page 10 Ici jean Françaix trie et rassemble des éléments des chapitres XIV et XV pour construire son texte. Là aussi, on peut se demander où il a pu trouver : «La Marmite des Promoteurs» «La ratatouère des Présidents». Remarquons aussi que, les vieux tousseux de Rabelais deviennent des vieux tousseux édentés chez Jean Françaix. Page 11 Dans cette lettre de Grandgousier à son fils, Jean Françaix est resté très fidèle au texte. Tout en le réduisant, il respecte son contenu. 20 Page 12 et 13 : Il est intéressant de constater combien Jean Françaix a utilisé ce chapitre. Cela certainement pour pointer la mégalomanie de Picrochole qui rêve de dominer le monde, ainsi que ses chefs militaires devenus aussi délirants que lui. Picrochole n’est pas le premier à vivre ce désordre mental, ni le dernier ! Le compositeur s’amuse à rajouter quelques termes de son cru comme méchantes ferrailles, cafard vermoulu. Et le suppositoire ? En fait, contrairement à ce que l’on peut croire, le docteur Rabelais était bien placé pour employer, dans son œuvre, ce terme de médecine mais pas dans ce chapitre : en effet, cette substance médicamenteuse solide existait déjà au XIIIe siècle et s’écrivait subpositoire. Remarquons aussi que les châteaux de Chambord et de Chantilly ne figurent pas dans ce chapitre chez Rabelais. En réalité, c’est le chapitre LII au sein duquel est décrite l’abbaye de Thélème qui pourrait être 100 fois plus grande que Chambord. On peut donc imaginer que Jean Françaix, à sa manière, a pu ainsi illustrer le dysfonctionnement mental de Picrochole. La construction de Chambord a commencée vers 1519 et a été achevée en 1537. C’est un château immensément grand avec ses somptueuses décorations (lanternes, pignons, lucarnes, flèches, clochetons, 800 chapiteaux et 365 cheminées) habité par les rois de France et surtout par Louis XIV. Nous sommes bien dans la démesure car un bâtiment 100 fois plus grand que Chambord, disposerait de 3650 cheminées ! Page 15 : Jean Françaix met en valeur les actes du moine sauveur avec davantage de discrétion que Rabelais bien qu’il agrémente la terrifiante tuerie de quelques cervelles écrabouillées, mandibules fendues, ennemis étripés. Page 16 : Dans cette partie du texte de Jean Françaix, il est impossible de repérer toutes les correspondances tant les détails sont extraits de plusieurs chapitres, sans tenir compte de la chronologie. Il utilise les éléments de deux batailles pour n’en faire qu’une. Page 18 Lorsque Gargantua croit recevoir des grains de raisins alors qu’il s’agit de boulets de canon c’est au cours de l’attaque du château du Gué de Vede, dans le texte de Rabelais. Dans ce dernier paragraphe de Jean Françaix on découvre que Picrochole : Dans l’attaque du château du Gué de Vede, c’est la jument du géant et non Gargantua qui, voulant lâcher son ventre, provoqua un déluge urinal noyant ainsi les ennemis. Si Jean Françaix attribue ce déluge à Gargantua c’est parce qu’il sait que Gargantua s’est souvent soulagé la vessie et sans le faire exprès aurait non seulement fait quelques dégâts mais aussi quelques jolies créations. En effet, la légende attribue à ce géant la création de nombreuses rivières en France. D’ailleurs sans vouloir trop entrer dans la scatologie, sachez que notre bonne région rouennaise est concernée par ce genre d’exercice : le Mont Gargan du côté de la côte Sainte Catherine ne serait qu’un étron de Gargantua et notre si jolie petite rivière du Robec un déluge urinal du géant. Dans le chapitre XXXVIII de Gargantua, le géant en peignant sa chevelure, voit tomber des boulets de canon. Son père lui demande alors s’il ne s’agit pas de poux qu’il aurait pu attraper au collège de Montaigu connu pour sa saleté, son austérité et son éducation moyenâgeuse. Allez savoir pourquoi Jean Françaix s’est amusé à proposer l’institution du père Sorbon (la Sorbonne) le lieu d’origine des fameux poux ! : se fait battre par sa femme devient «marchand de petits pâtés » et «crieur de sauce verte» reprise ses chaussettes devant la cheminée. ce qui n’apparaît pas dans le texte de Rabelais. En revanche, on trouve dans le chapitre XXXI du Pantagruel le roi Anarche, vaincu par Pantagruel qui est fait «cryeur de saulce vert » (sauce composée de verjus et de gingembre) il faut préciser que le roi Arnaque était réduit à l’image d’un fol. Petits conseils : 1) lire impérativement le chapitre II du tiers livre, où vous pourrez y découvrir un éloge dithyrambique de la sauce verte. 2) au cours de votre lecture, cherchez donc : les «petits pâtés» les «chaussettes reprisées devant la cheminée» «Picrochole battu par sa femme» ! Glossaire 21 Page 6 1 parodie du Credo « Patrem omnipotentem » et allusion à Paul, Épître aux Philippiens qui condamne ceux qui ont leur ventre pour dieu -2 bons vivants -3 nom facétieux de saint invoqué au moment du carnaval -4 diminutif d’Ésope qui était petit et bossu -5 dressé comme une crête de coq -6 jeu d’exercice militaire -7 ancienne mesure de capacité variable selon les régions : 268 litres à Paris, 730 litres à Montpellier -8 petits boutons -9 couleur rouge dans le langage héraldique -10 décoction d’orge. Page 8 1 Parodie de déploration funèbre -2 Mesure agraire correspondant à l’étendue de terre qui se sème avec un setier de blé (environ cent cinquante-six litres) -3 morceaux de pain à tremper dans le bouillon -4 Permets-moi de jurer : ueniam est sousentendu -5 Locution utilisée aux XVe et XVIe pour indiquer l’imminence d’un événement désagréable. Pendre à l’œil correspondrait à pendre au nez. Page 9 1 élevé -2 instruit -3 Dans cette peinture, Gargantua est assimilé par ses actions au fou des farces. Voir R.Antoniolli, Rabelais et la Médecine -4 noircissait -5 barbouillait -6 éculait -7 baillait -8 papillons -9 faisait tomber sa morve -10 pataugeait -11 aiguisait -12 peignait -13 proverbe ancien -14 Galette dont la pâte n’est guère différente du pain -15 vomissait -16 grommelait -17 faisait tout à l’envers -18 réprimander un inférieur devant son supérieur, pour que celui-ci s’applique la leçon -19 comme ferrer les oies : faire quelque chose d’impossible -20 les trompait en leur offrant de la paille (feurre) au lieu de grain 21 barbouillait -22 s’enfuyait -23 buvait copieusement (d’une outre en peau de chevreau) -24 des rasés -25 les lèvres -26 Et savez-vous quoi, mes enfants. Que le mal de pipe (sorte de tonneau) vous tourmente !; emprunt au dialecte gascon -27 Comme un magdaléon d’emplâtre (petit cylindre utilisé par les apothicaires) -28 bonde -29 moulinet à ailes : Mirebalais : Mirebeau, dans la Vienne. Il s’agit des moulins à vent de Mirebalais. Page 10 1 instruire -2 aigu -3 ce nom associe deux noms bibliques, Tubal, descendant de Caïn, inventeur de la métallurgie (signifiant en hébreux : confusion), et Holoferne, général de Nabuchodonosor, tué par Judith -4 alphabet collé sur un morceau de carton -5 ouvrages scolaires du temps : Donat, grammaire latine rédigée par Donatus (IVe siècle) ; Facet, traité de civilité : Theodolet, traité attribué à Théodolus, évêque de Syrie (Ve siècle) opposant la vérité de l’Écriture Sainte aux fictions de la mythologie : les Paraboles d’Alanus (Alain de Lille, XIIIe siècle) étaient des conseils moraux composés en quatrains. Les Fables d’Esope complétaient généralement ces ouvrages -6 complètement sot. Page 11 1 repos -2 secours -3 confiés -4 libres -5 défi -6 convenance. Picrochole prétend n’en faire qu’à sa guise -7 Grandgousier estime que Picrochole est abandonné par la grâce divine, et laissé à sa volonté humaine, qui, entachée par le péché originel, ne peut être que mauvaise -8 hostiles -9 c’est pourquoi -10 précautions -11 date indiquant que la scène se passe pendant les vendanges. Page 12 1 terme concernant les jeunes recrus -2 Alexandre de Macédoine -3 se jeter -4 au premier choc -5 en quantité -6 du comptant -7 itinéraire logique vers le Sud-Ouest : Aunis, Saintonge, Angoumois, Gascogne, Périgord, Médoc, Landes -8 Luz -9 navires 10 Imprécation : par le corps de Dieu -11 rustres -12 de Gibraltar ou de Séville -13 détroit de Gibraltar dans l’Antiquité -14 surnom de Khaïr Eddyn, corsaire turc (1476/1546) qui commandait Alger -15 attaquerez -16 golfe de Gênes, mer des Ligures -17 «Adieu Rome», formule gasconne -18 formule ironique comme Monsieur du Corbeau -19 allusion à l’usage de baiser la pantoufle par les visiteurs : journal de voyage de Montaigne -20 Les chevaliers de St Jean de Jérusalem, chassés de Rhodes (1522) par Soliman II et établis à Malte en 1530 par Charles Quint -21 pour voir ce qu’ils ont dans le ventre -22 N/dame de Lorette : lieu de pèlerinage -23 patron des Ecossais -24 sultan -25 Hâte toi lentement, maxime attribuée à Auguste par Suétone et repris par Erasme. Page 13 1 vraiment -2 mer Caspienne -3 Arabie déserte, l’Arabie heureuse, l’Arabie pierreuse -4 Ségelmesse ville proche du Sahara -5 La Mecque -6 buveur -7 le Danemark -8 Pays des Goths au sud de la Suède -9 le prudent -10 ces deux maximes sont tirées des Dialogues de Salomon et Marcoul, très lus au Moyen Age. Le bon sens de Marcoul ou Malchus s’y oppose à la sagesse philosophique du roi Salomon -11 assez ! Italien Basta -12 en campagne -13 Le proverbe : «tuer un mercier pour un peigne» est retourné. Ce genre de lapsus comique est encore employé -14 cette satyre de la vantardise est l’un des passages les plus célèbres de Gargantua. La folie sanguinaire de Picrochole n’a pas de borne, il veut massacrer tout le monde (dépêcher : mettre à mort). Page 14 et 15 1 bourg dont dépendait La Devinière -2 Hameau à l’est de La Devinière -3 Troupe de fantassins groupée autour d’un drapeau, la lance est un terme de cavalerie : il désigne le chevalier et sa suite d’hommes d’armes, valets, etc -4 Rabelais use souvent du rapprochement burlesque entre diables et moines -5 Au chapitre, ceux qui ont voix au chapitre ! C’est le rassemblement général du chapitre assistant le prieur -6 Contre les pièges des ennemis -7 Répons, paroles tirées de l’Écriture Sainte -8 du cloître -9 Entommeure ou Entamures signifie hachis. Frère Jean n’a pas été identifié avec certitude. Il s’agit vraisemblablement d’un moine de Seuilly que Rabelais a pu connaître -10 pimpant -11 joyeux -12 adroit -13 fort en gueule -14 Frère Jean expédie son bréviaire en vitesse -15 Notez l’effet comique produit par les allitérations, procédé cher à Rabelais et à Marot -16 boisson –17 comparaison fréquente au XVIe s. : frappés de stupeur comme les fondeurs qui voient leur cloche manquée, lorsqu’ils l’ont démoulée -18 Répons des dimanches d’octobre : Impesum inimicorum ne timueritis : Ne craignez pas l’assaut des ennemis -19 grappiller 20 la colère fait jurer Frère Jean comme un laïc ! -21 donne moi à boire ! -22 rapprochement burlesque -23 précepte -24 me brûle -25 goûtent -26 casaque -27 fanion utilisé dans les unités de cavalerie, alors que l’enseigne est un drapeau d’infanterie 28 Moissines, branches de vigne avec des grappes et les feuilles -29 débandé -30 déboîtait les vertèbres -31 Noircissait de coups les jambes, comme si elles avaient eu la gangrène (spacèle) -32 Luxait les jambes -33 mettait en pièces les os des bras et des jambes. Dans tout ce passage, Rabelais mêle plaisamment les termes médicaux et les locutions dialectales -34 brisait l’arête du dos -35 coups, en parler d’Anjou -36 terme d’anatomie : médiastin antérieur -37 l’endroit où les côtes se terminent -38 retournait -39 Rabelais se plaît à parodier les massacres des épopées dans le style des Macaronées de Merlin Coccaïe -40 Encore aujourd’hui la patronne des artilleurs -41 Le reliquaire de Chambéry brûla le 4 décembre 1552, ce qui permet de dater la guerre pricrocholine -42 blessés -43 tombés -44 blessés à mort -45 jarretières -46 Personnage légendaire, cousin des quatre fils Aymon et grand pourfendeur de Sarrazins. Dans la Chanson de Roland, l’évêque Turpin est aussi un rude combattant. Page 17 1 selon mon plan -2 ravitaillement -3 ruisseau voisin de la Devinière, impropre à la navigation -4 l’écu au soleil, frappé sous Louis XI portant un petit soleil au-dessus de la couronne -5 escalier à vis -6 le marbre de Numidie est rouge, le marbre de serpentin est tacheté de rouge et de blanc sur fond vert -7 bibliothèques -8 noviciat -9 le développement des horloges est lié aux règles monastiques d’où l’aversion de Gargantua pour cette mécanique à mesurer le temps -10 folie -11 ordre Page 18 1 chole : bile, colère -2 sorcière -3 employé tantôt au sens de coquillage et tantôt au sens d’oiseau. Le sens de la locution équivaut à peu près à «quand les poules auront des dents» -4 gagne petit -5 compagnie d’infanterie 22 Références bibliographiques et musicales utilisées. François RABELAIS Rabelais Gargantua, Editions Folio classique, 1973 Œuvres complètes Editions Gallimard « la pléiade » 1994 Livre Gargantua Livre Pantagruel Tiers livre CD Rabelais «Gargantua» Enregistrement de textes par Jacques Bonnaffé. Ed.Thélème Histoire de la littérature française. Editions Hachette 1974 Site Internet : http://mythofrançaise.asso.fr Jean FRANCAIX Partition du récitant «Les inestimables chroniques du bon géant Gargantua » Jean Françaix CD Gargantua de Jean Françaix. Direction Andrée Colson - Récitant Jean Piat. Disques Vernou, Domaine de Vernou, B.P. 22, 37130 Langeais. Actes du colloque international Jean Françaix « Connaître ou reconnaître l’œuvre ? Edité par le cercle des amis de Jean Françaix. Site Internet : www.jeanfrançaix.org Remerciements à Jacques Françaix le fils du compositeur, pour son aide.
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