LA n°2 - lit-et
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LA n°2 : La guerre Picrocholine Tout en s’inspirant de contes populaires mettant en scène des géants, Rabelais va développer un art du récit et chercher à faire passer sa vision du monde dans ce passage où un moine prend les armes pour mener un combat épique et néanmoins comique. Cet extrait du chapitre 25 de Gargantua illustre la guerre Picrocholine. Protagonistes : les bergers (paysans) : Les bergers appartiennent au domaine de Grandgousier (père de Gargantua) ; les fouaciers (les gens qui habitent une petite ville) appartiennent au domaine de Picrochole ; Frère Jean des Entommeures. Les fouaciers et les bergers se détestent... La guerre, déclarée contre Grandgousier par Picrochole est due à un malentendu entre les bergers et les fouaciers : d’un prétexte dérisoire vont naître des conséquences désastreuses. Rien n’arrête l’armée de P. qui s’attaque aux vignes d’une abbaye. Tandis que les moines se réfugient dans la prière, l’un d’entre eux prend les armes pour combattre… Probl. : en quoi le récit est-il à la fois épique et parodique ? I. Un combat épique Reprise des procédés caractéristiques du registre épique : référence explicite à la chanson de geste de Maugis avec intervention du narrateur pour parler aux spectateurs : " croyez que c'était le plus horrible spectacle qu'on vit onques ». Portrait du héros qui est grandit Combat singulier vs tous : verbes d'action au passé simple : " mis bas, se saisit, sortit, donne, choque" homme d'action : le passé simple souligne la chronologie des actes du héros et Rabelais a décidé de nous le faire vivre. Sujet des verbes au singulier (« il ») vs objets de ces actions (« aux uns… » : 13 occurrences). Transformation pour adopter l'habit du héros " mit bas son grand habit et sortit en beau sayon (blouse de travail, vêtement court), mis son froc (habit de dessus pour le moine) en écharpe ". Qualités du héros lors du combat - force physique : " là montrait-il la force d ses muscles " (allusion à Hercule -> exagération)+ adverbes et intensifs : hyperboles. - Il est implacable : il ne pardonne rien : quel que soit le cas de figure, il fait preuve d'une détermination absolue : " si quelqu'un se voulait cacher (…), si aucun sauver se voulait (…), si quelqu'un gravait un arbre (…), si quelqu'un de sa vieille connaissance ". Inaccessible à la pitié différent moine défenseur du pardon : " il t'es (disait-il) bien force ; mais ensemble tu rendras l'âme à tous les diables. ". Amplification épique : procédés stylistiques de l’épopée Portée symbolique du récit : - le guerrier représente le bien (moine) ; Fabrication d'une arme avec le " bâton de la croix " : " long comme une lance " (assimilation à une arme). Qualités de cette arme : dureté et maniabilité : " cœur de cormier », " rond à plein poing " Objet particulièrement redoutable dans les mains du héros. - Assimilation de l'objet à une arme royale : " fleurs de lys ". royauté en danger : « … presque toutes effacées » que le moine va défendre. Hyperboles: " donna si brusquement, choqua si raidement " + efficacité destructrice montrée par le préfixe " de " : " délochait, démoulait, décroulait, dégondait, débezillait " Renforcement de la force de Frère Jean + fascination de Rabelais par rapport à la destruction du corps humain : " voler la tête en pièces par la commissure lambdoïde ". Accumulations : actes du héros + Mise en relief de l'anatomie : " cervelle, bras, jambes, spondyles du cou, reins, nez, yeux, mandibules, dents, … " (Mélange de termes courants de l'anatomie et de termes spécifiques employés par les médecins). Enumération des pluriels et des indéfinis : " aux uns, aux autres ". Puis passage à une personne précise : " quelqu'un ". Gradation par rapport aux relations qui peuvent exister entre Frère Jean et ses ennemis : " si quelqu'un de sa vieille connaissance ". Parallélisme, antithèse, anaphore et allitération… II. UN EPISODE PARODIQUE ET CRITIQUE La parodie (cad le renversement des valeurs) Nom de frère Jean : paronomase. Les forces en présence : le héros de ce combat est un moine (destiné en principe à la vie contemplative). Emporté par sa fureur, il est l’auteur d’un véritable carnage (voir ci-dessus). Face à lui, les ennemis font piètre figure : Insistance sur la mauvaise organisation des ennemis : " sans ordre, ni trompette, ni enseigne, ni tambourin " (accumulation de tambourins) : les soldats sont devenus des pillards et ce qui leur servait à rester en ordre leur sert maintenant au pillage : " les porte-guidons et porte-enseignes avaient leurs guidons et enseignes à l'orée des murs, les tambourineurs avaient défoncé leurs tambourins d'un côté pour les emplir de raisins ". Détournement de la noblesse épique : les bannières deviennent des jarretières ; présence de termes vulgaires et patois ; glissement de l’épique au comique, voire au grotesque, par l’exagération des procédés (accumulations) et les jeux de mots; détournement de l’intervention des forces surnaturelles : appels vains au saints et suaire qui brûle… Satire de la religion Hommes d’église dénués de compassion : frère Jean envoie ses victimes « à tous les diables » + insensible aux suppliques ; son arme est la croix ; action stérile du prieur qui confesse les blessés au lieu de les soigner (voir vie de Rabelais) ; intervention des « moinillons » (voir diminutif) pour la curée. Critique des pratiques superstitieuses : Mise en scène d'une foi naïve qu'ont les gens pour une divinité tutélaire. L’invocation des saints est ridiculisée par l’accumulation, la redondance, la dimension locale, les jeux de mots : " Sainte Barbe, Saint Georges " réalisme et " Sainte Nitouche" (hypocrite) personne n'a le besoin d'y croire." Notre-Dame " (allusion à Marie) : Ironie par l'utilisation des lieux où s'est développé le culte de la Vierge : " de Cunault ! de Laurette ! de Bonnes Nouvelles ! de la Lenou ! de Rivière ! ". Attaque d'un des plus importants cultes qu'est Saint Jacques: " les uns se vouaient à Saint Jacques " scepticisme de Rabelais. Enfin il s'attaque à ce qui constitue un mystère dans l'église : " au saint suaire de Chambéry ". Le saint suaire est le linge qui aurait entouré le corps du christ à sa mort Pour lui, la religion, ce n'est pas garder une image du Christ. Pour Rabelais, toutes ces histoires-là ne sont pas sérieuses -> hyperbole : " et mille autres bons petits saints ". Conclusion : Toutes ces pratiques ne servent strictement à rien : " les uns mouraient en parlant, les autres parlaient en mourant ". Rabelais, comme les évangélistes, attaque ici les pratiques superstitieuses, archaïques puisque plus proches du paganisme que de la foi chrétienne. Satire de la guerre : dénonciation de ses horreurs Les corps violentés : préfixe « dé » + déshumanisation des blessés traités « comme une bande de porcs » ; Une violence injustifiée : dérision du mobile qui déclenche une guerre fratricide (allusion aux guerres de religion) + disproportion de la violence de frère Jean qui passe à l’action uniquement car on s’en prend aux vignes de l’abbaye. CONCLUSION L’apparition du moine frère jean met fin aux ambitions guerrières de P. Rabelais lui donne une dimension héroïco-comique qui rappelle Panurge. Mais l’épisode a d’autres objectifs : la parodie épique critique l’étroitesse d’un certain esprit religieux et procure au lecteur une vision horrifique de la guerre en général, de la guerre civile en particulier.
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Christiane Deloince-Louette - Société et Revue d`Histoire littéraire
REVUE D’HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE