Vin français et concurrence internationale
Transcription
Vin français et concurrence internationale
dossier À table ! ou l’art de la gastronomie Vin français et concurrence internationale I Par Etienne Hugel Directeur général Hugel et fils La Maison Hugel, ce sont douze générations de viticulteurs et 370 ans de tradition familiale ininterrompue, en dépit des aléas de l’histoire qui n’ont pas épargné l’Alsace. Cet héritage donne une sérénité certaine à cette Maison et lui permet de faire valoir ses nombreux atouts sur le marché mondial du vin – marché qu’elle connaît bien puisqu’elle exporte 90 % de sa production dans plus de 100 pays. 14 / juillet-août 2011 / n° 413 l suffit de se promener dans Riquewihr, petite cité médiévale distinguée par 3 étoiles au Guide Vert Michelin, pour prendre conscience de l’opulence de la viticulture alsacienne depuis le XVIe siècle. C’est en 1639 que l’ancêtre direct de la génération actuelle décide de partir de son village à la frontière suisse et de s’installer au cœur de Riquewihr, ville que la famille ne devait plus quitter jusqu’à ce jour. De l’installation d’un homme à Riquewihr à une grande Maison exportatrice mondiale, que s’est-il passé ? Pourquoi la Maison Hugel s’est-elle tournée vers le marché mondial alors que les deux-tiers des vins d’Alsace trouvent preneur sur notre marché national ? Revenons sur un épisode de l’Histoire qui reste obscur pour bon nombre de nos compatriotes. Après 47 ans de régime prussien, l’Alsace retourne à la France en 1918 en ayant perdu du jour au lendemain son marché national et disposant d’une viticulture aux abois. Après le traité de Versailles, les Hugel de l’époque se sont dit que ces changements de nationalité continuels étaient préjudiciables à long terme… Cap donc sur l’exportation ! Emile Hugel (1869-1950), en visionnaire qu’il était, fit aussi le pari du retour des cépages nobles que le phylloxera et autres maladies cryptogamiques avaient quasiment fait disparaître. Il se fia également à la réputation de ce vignoble rhénan dont l’atout avait été un accès naturel aux riches marchands flamands. Cette politique a valu à l’arrière-grand-père d’être fait chevalier, puis officier de la Légion d’Honneur. Son fils Jean (1898-1980) a alors fortement développé les ventes dans les années 1920-1930, avec pour cible les marchés anglo-saxons, avant un nouveau coup d’arrêt en 1940. Deux de ses trois fils furent enrôlés de force comme Malgré-nous mais le livre d’or de la Maison Hugel restera fièrement vierge de toute signature durant quatre ans. À la conquête des marchés. Dès les années 1950, les efforts consentis dans le vignoble commencent à porter leurs fruits : Brésil, Japon, Hong-Kong et Singapour sont déjà des marchés où l’étiquette Hugel, distinguable par ses couleurs jaune et rouge, est présente. Depuis, bien peu d’encouragements ont émané de nos autorités, mais plutôt des politiques qui semblent oublier que le vin fait aussi partie de l’image de marque de notre pays. Comment en effet expliquer à nos clients étrangers que notre précédent président avait une sérieuse préférence pour le houblon et que le locataire actuel de l’Elysée fait abstinence vineuse… Chez Hugel on a appris à ne faire confiance qu’à soi-même. En bons protestants, on ne croit pas aux miracles, seul compte le travail accompli sur ces extraordinaires terroirs des environs de Riquewihr. La Maison familiale a 28 employés et est dirigée aujourd’hui par trois membres de la famille. En ce qui me concerne, j’ai notamment la mission de prêcher la bonne parole aux quatre coins de la planète. Les deux tiers du chiffre d’affaires sont réalisés hors de la zone euro, et des pays viticoles dits « concurrents », tels que l’Australie, figurent parmi ses dix premiers pays importateurs. Fière de ses vins inimitables Les vins d’Alsace qui sont souvent mésestimés – à tort – par nos compatriotes, font le bonheur de clients du monde entier. Cette reconnaissance au niveau international a permis à la Maison Hugel de rejoindre les Premières Familles du Vin (PFV), un club qui n’accepte pas plus de douze membres représentant les grandes familles du vin en Europe, dont les Antinori en Toscane, Mouton Rothschild à Bordeaux, Pol Roger en Champagne, Perrin-Beaucastel dans le Rhône, Drouhin en Bourgogne ou Torres en Espagne. La famille Hugel exporte donc 90 % de ses bouteilles avec, dans chaque pays, un dossier importateur exclusif, qui est visité régulièrement et qui propose un large portefeuille de vins, de nombreuses régions viticoles. L’Italie et l’Espagne font désormais une concurrence sérieuse à notre production viticole hexagonale, et, à l’instar de la cuisine méditerranéenne, très en vogue, ces vins sont souvent au coude à coude avec nos productions nationales. De plus, quand on constate que la haute gastronomie française et son service « en gants blancs » n’a pas toujours les faveurs des nouveaux consommateurs, il y a péril en la demeure. En outre, l’amateur de vins consommés sans cérémonie est souvent attiré par des vins d’emblée plus faciles et plus expressifs. La France doit s’adapter et vite, tout en restant à l’écoute de ses clients qui ne visitent que rarement les vignobles. Et que dire de l’Australie, du Chili et de l’Argentine qui produisent avec des méthodes quasi industrielles des vins qui remportent les suffrages de millions de consommateurs néophytes ? Des pays comme la Chine (déjà 6e producteur mondial de vin) ne rivaliseront certainement jamais avec les vins de nos terroirs historiques, mais les Néo-Zélandais, par exemple, concurrencent déjà nos fleurons nationaux : Sancerre, avec leurs sauvignons blancs, ou bien Bourgogne, avec des pinots noirs en constante progression. Une France trop peu ambitieuse sur les marchés étrangers Bien sûr les grandes appellations françaises, crus classés de Bordeaux, grandes marques de Champagne, grands crus de Bourgogne ou encore grandissimes vins du Rhône, sont le saint graal de tout amateur éclairé et auront toujours plus d’amateurs qu’il n’existe de bouteilles. Mais qu’en est-il de ces petits châteaux, vins génériques sans réel pedigree ? Il est temps que nos campagnes se réveillent et aillent se rendre compte sur le terrain de la nouvelle réalité des marchés. Car ils ne sont pas légion, les frileux pèlerins français face aux géants australiens, américains ou chiliens. Une image qui reste inégalée Le vin français fait toujours rêver, pour preuve le pavillon français à l’Exposition universelle de Shanghai de 2010, dont le thème semblait avoir été fait sur mesure pour vanter l’art de vivre à la française : Better city, better life. Après le pavillon chinois, le plus visité fut notre superbe pavillon français : il y avait trois heures de queue et presque chaque Chinois savait que la France avait bâti la tour Eiffel pour son Exposition universelle de 1889. L’Asie, est une zone du monde que peu de producteurs peuvent encore ignorer, la Chine s’éveillant à une vitesse redoutable pour nombre de professionnels. Le vocable « vin » y est quasiment synonyme de vin rouge, (celui-ci représente 90 % de leur consommation) et pourtant les ventes de vins blancs Hugel y décollent très notablement. Les cépages alsaciens sont en effet, de l’avis de nombreux experts, mieux adaptés que bien des rouges aux cuisines asiatiques. Des succès indéniables Après avoir été sélectionnés par tous les hôtels Shangri-La de Chine, et servi au verre pour 2 ans depuis novembre dernier, le Gentil Hugel (un assemblage qualitatif des meilleurs cépages) continue de faire parler de lui grâce à son référencement sur le programme des vins de China Eastern, la première compagnie aérienne chinoise. J’ai avec mon dynamique agent chinois Summergate depuis de longues années mis l'accent sur l'accord des vins de la Maison familiale alsacienne avec les cuisines asiatiques. À l’occasion de Vinexpo, le grand rassemblement des professionnels du vin qui a lieu tous les deux ans à Bordeaux, un buffet asiatique est servi quotidiennement aux visiteurs du stand de la Maison. Présents cette année, les trois jeunes cousins de la 13e génération, tous trois nés en 1989, l’année du 350e anniversaire de la Maison. Rien n’arrive par hasard ou presque chez les Hugel... La famille y a reçu leurs partenaires et amis venus des quatre coins du monde avec parmi eux les propriétaires ou dirigeants des importateurs des pays suivants : Chine, Taiwan, Hong-Kong, Corée, Japon, Vietnam, Philippines et Indonésie. En leur honneur, des spécialités culinaires de leur pays respectif ont été servies aux visiteurs pour démontrer, si c’était encore nécessaire, l’accord parfait avec les vins blancs Hugel. Déjà bien ancrés dans le XXIe siècle. Et que dire de la révolution Internet et des réseaux sociaux ? Les vins français devront apprendre à parler la langue de leurs clients et en premier lieu le chinois. La famille Hugel fait aussi preuve de dynamisme sur le web avec depuis des années un site complet en japonais, chinois et coréen. Certainement une première dans le monde du vin : le site déjà existant en chinois simplifié www.hugel.com/cn vient d’être complété d’un site en chinois traditionnel lancé à l'occasion de Vinexpo. Avec la création de www.hugel.com/tw, la famille veut ainsi montrer l’attachement des vins à l’étiquette jaune et rouge pour la culture chinoise traditionnelle : en effet, l’écriture de HongKong et de Taiwan est différente de celle simplifiée de Chine continentale et symbolise la culture chinoise millénaire de l’Empire du Milieu qui n’arrête décidément pas de s’éveiller au vin. En France, la Maison Hugel n’est pas en reste sur le web : elle a été parmi les premières à comprendre l’intérêt de la vente en ligne, en créant il y a déjà dix ans le site www.boutiquehugel.com. Il existe aussi depuis 1996 un site institutionnel www.hugel.fr que la famille vous invite à visiter… Avant une visite à Riquewihr cet été ? n / juillet-août 2011 / n° 413 15