CHAPITRE 1 La création des quatre romans d`André Malraux Parmi

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CHAPITRE 1 La création des quatre romans d`André Malraux Parmi
3
CHAPITRE 1
La création des quatre romans d’André Malraux
Parmi les grandes fresques historiques de la littérature occidentale des lettres
modernes, celle d’André Malraux est considérée parmi le principal, à côté de
Montherlant et de Saint-Exupéry, en tant qu’écrivain mettant l’accent sur un point de
vue humain qui est représenté par «le roman de la grandeur humaine»1 au milieu des
crises historiques, politiques, religieuses, et sociales qui nous a léguées. Alors,
plusieurs jeunes romanciers de cette période, « fixent leur attention sur les
événements immédiatement contemporains et cherchent à être les historiographes du
présent plutôt que les historiographes du passé »2 pour que leurs œuvres puissent
« agir sur le monde pour le transformer »3 par exemple, la grève générale de 1925 à
Canton et Hong Kong, la révolution de 1927 à Shanghaï, la montée du nazisme en
Allemagne et la guerre d’Espagne pour Malraux ; l’expérience du combat sur le front
de la Première Guerre mondiale pour Montherlant ; ou l’aventure de du transport
aérien entre les continents pour Saint-Exupéry.
Écrivain sans cesse en quête de la perfection humaine, au style brillant et
aéré, André Malraux est le créateur d’œuvres littéraires qui font écho à la puissance
de l’homme en s’opposant à la croyance chrétienne et à l’ancienne tradition. Dès les
débuts de l’écrivain, il nous offre des romans variés qui reflètent d’une manière
approfondie et d’une vision humaine des expériences directes dans quelques
événements historiques du monde : le monde oriental et occidental. Ces souvenirs
sont proposés à travers ses romans en insistant sur le destin humain au milieu du
combat, sur la revendication de la justice et la recherche du sens de la vie humaine
1
Cette classification, sous cet intitulé, est celle du «Lagarde et Michard »,
LAGARDE (André) et Laurent MICHARD, XXe siècle. Les grands auteurs français.
Paris, Les éditions Bordas, 1962, p.479.
2
BRUNEL (Pierre), Histoire de la littérature française. Paris, Bordas, 1972,
p.628.
3
Ibid.
4
dans la société athée ce qui pose une question sur la voie de l’existence humaine sans
dieu. Alors, pour lui, sa mission est de « rendre accessibles les œuvres capitales de
l’humanité »4.
Nous pouvons regrouper ses œuvres romanesques en deux périodes.
D’une part, les trois premiers romans, dans le premier période, sont
consacrés à l’Orient (Les Conquérants, La Voie royale et La Condition humaine).
Ces ouvrages sont connus sous le nom à la fois « le roman exotique »5 et « le roman
colonial »6. Catherine Tasca, dans la préface de André Malraux et le rayonnement
culturel de la France, explique ainsi :
« Les trois premières œuvres romanesques de Malraux sont inspirées par
le choc qu’il reçut des civilisations de l’Extrême-Orient. Ce voyage était
la quête passionnée d’un sens à donner à la mort et, par là même, à la
vie. »7
De plus, Malraux souhaite que les civilisations différentes puissent apprendre
l’un de l’autre. Il a écrit, dans La Tentation de l’Occident publié en 1926 : « C’est
4
Cité par WATTREMEZ (Michel), Malraux en Thaïlande : du musée
imaginaire à la mise en œuvre d’une politique culturelle, cet article est publié dans le
dossier du séminaire et de l’exposition sur la vie et l’œuvre à l’occasion du centenaire
de la naissance d’André Malraux du 27 au 28 novembre 2001 à la Faculté
d’Archéologie de l’Université Silpakorn en Thaïlande.
5
ABRY (Emile), Paul CROUZET et Charles AUDIC, Histoire illustrée de la
littérature française. Précis méthodique. Paris, Didier, 1942, p.822.
6
Gallica.bnf.fr, « Le Roman exotique et d’aventures », http://gallica.bnf.fr
/themes/LitXVIIIIz.htm. Consulté le 17/08/2007.
7
TASCA (Catherine), Préface. André Malraux et le rayonnement culturel de
la France. Bruxelles, Editions Complexe, 2004, p.13.
5
l’obsession d’autres civilisations qui donne à la mienne, et peut-être à ma vie, leur
accent particulier »8.
D’ailleurs, Lucien Goldmann veut souligner dans les premiers romans que la
problématique est la ligne globale du sujet et du sens de l’action :
« (…) les premiers romans de Malraux se situent dans la ligne globale du
roman de transition dont la problématique est celle du sujet et du sens de
l’action et, autant que possible, de l’action individuelle dans un monde où
l’individu ne représente plus une valeur par le simple fait d’être individu.
Et l’importance des Conquérants et La Voie royale réside en ce qu’ayant
intégré à un niveau très avancé la conscience du problème, de la crise des
valeurs exprimée déjà de manière radicale dans ses trois premiers écrits,
Malraux présente néanmoins une solution sur le plan de la biographie
individuelle alors qu’un certain nombre d’autres écrivains, et lui-même à
partir de La Condition humaine, s’orientent vers le remplacement du
héros individuel par un personnage collectif. »9
D’autre part, les romans suivants sont consacrés à l’Occident (Le Temps du
mépris, L’Espoir et Les Noyers de l’Altenburg). Après le séjour en Asie, il revient en
Europe. En ce moment-là, l’Europe sombre de plus en plus vers la dictature,
notamment l’avènement des nazis en Allemagne et des fascistes en Espagne. En tant
que compagnon de route du Parti communiste français, en mars 1933 dans la première
manifestation publique devant l’Association des écrivains et des artistes
révolutionnaires10, ou l’AEAR, il a déclaré :
8
9
Ibid.
Cité par CARDUNER (Jean), La création romanesque chez Malraux. Paris,
Librairie A.-G. Nizet, 1968, p.15.
10
Cette association est fondée en France en 1932. Elle joue un rôle essentiel
au moment du Front populaire, dans le mouvement pour les maisons de la culture, de
même que dans la mobilisation des intellectuels contre le fascisme en Espagne.
6
« Le fascisme allemand étend sur l’Europe ses grandes ailes noires. Le
fascisme allemand nous montre que nous sommes face à la guerre. Nous
devons faire notre possible pour qu’elle n’ait pas lieu : mais nous avons
affaire à des sourds, nous savons qu’ils n’entendent pas. A la menace,
répondons par la menace, et sachons nous tourner vers Moscou, vers
l’Armée rouge. »11
Les derniers romans d’André Malraux sont inspirés par l’antifascisme et
l’écrivain joue de plus en plus un rôle politique. Tout cela reflète l’homme d’action.
Après ses grands voyages et ses participations courageuses à la lutte, en
qualité de chef, d’assistant et d’observateur dans des pays étrangers, il nous indique
que n’importe où l’homme peut agir pour l’homme réprimé et soumis et libérer
l’humanité. Ainsi, l’arrière-plan et l’histoire des romans cités mêlent ses créations
romanesques imaginées et ses expériences de lutte politique.
Nous suivrons l’ordre chronologique de la publication en étudiant la notion
de point de vue dans chacun des romans ; d’abord son premier roman, Les
Conquérants, puis le second La Voie royale, ensuite le troisième La Condition
humaine et enfin le quatrième L’Espoir afin de mieux saisir l’évolution de l’auteur.
1.1 Les Conquérants
Dès le début de mars à juillet 1928, nous connaissons, son premier roman,
publié par Jean Paulhan12 dans La Nouvelle Revue Française, la première des cinq
livraisons d’un récit intitulé Les Conquérants après la parution des deux premiers
essais : La Tentation de l’Occident et D’une Jeunesse européenne en 1926 et 1927.
11
Cité par LE SOURD (Hervé), « L’Espoir/Sierra de Teruel. Un film
d’André Malraux (1939) 1945 », http://www.crdp-lyon.cndp.fr/c/c4/articles/espoir
final.pdf. Consulté le 02/08/2007.
12
De 1925 à 1940, il était directeur de la Nouvelle Revue Française (NRF)
qui était un magazine littéraire fondé en 1908 sous le patronage d’André Gide. Plus
tard, il a repris la direction de la NRF de 1953 à 1968.
7
En même temps, à Berlin, ce roman a été présenté au public en allemand, dans une
revue de Berlin, Die Europaische Revue, avec le sous-titre suivant : Ein Tagebuch
Der Kâmpfe um Kanton 1925 (Journal des batailles autour de Canton 1925). Ensuite,
durant la même année, Les Conquérants ont paru en volume aux éditions Bernard
Grasset.
D’abord, il faut donner une brève biographie de Malraux en citant une
histoire politique intéressante de la Chine à l’époque coloniale pour comprendre les
sources de ce livre révolutionnaire et violent13.
En 1925, Malraux est retourné en Indochine avec Clara Malraux après le
premier voyage où il a été inculpé en 1923 de vol d’œuvres d’art khmer pour les
vendre aux Etats-Unis. Alors, l’écrivain s’est voué à la lutte contre la colonisation et
toute sa corruption. Ses idées anticolonialistes ont débuté après son séjour à Djibouti
où il remarque que les indigènes vivent misérablement :
« (…) La ville indigène, image repoussante de la misère humaine,
entourait un riche petit quartier européen. Les “blancs” retiraient non
seulement d’énormes profits de l’exploitation commerciale de ce pays,
mais ils soutiraient aussi des sommes importantes au trésor public.
(…) »14
Il devient de plus en plus hostile au colonialisme. Pour ce nouveau départ
pour l’Indochine, il organise le mouvement « Jeune Annam » avec Nguyen Pho.
Malraux a annoncé « j’ai été amené à la Révolution, telle qu’on la concevait en 1925,
13
LACOUTURE (Jean), Malraux, une vie dans le siècle 1901-1976. Paris,
Editions du Seuil, 1976. p.134.
14
Cité par CHARUCHART (Chintana), La quête des valeurs dans l’œuvre
d’André Malraux, thèse pour le doctorat de troisième cycle. Toulouse, Université de
Toulouse-Le Mirail, 1974, p.109.
8
par le dégoût de la colonisation que j’ai connue en Indochine »15. Ensuite, à Saïgon, il
a rencontré Paul Monin16 pour préparer la sortie d’un nouveau journal. « Pour lui, le
problème colonial n’était pas affaire de classes, de structures ou d’idéologie, mais de
respect de la personne humaine »17. Quand tous les deux ont disposé d’une vision
commune, ils se sont décidés à faire « un journal de combat »18 sous le titre
L’Indochine, « le journal du Jeune-Annam »19, qui était un instrument destiné à
propager des critiques virulentes à l’encontre de la politique coloniale et dénonçait
l’injustice du système colonial dont les populations annamites étaient victimes pour
favoriser
un
rapprochement
entre
colonisateurs
et
colonisés.
Le
capital
d’investissement de création d’un quotidien a été amené par le Kuomintang qui jouait
un rôle très important dans la Chine de cette époque.
A cause de l’opposition de L’Indochine à l’administration coloniale en
Indochine, Eugène Dejean de la Batie20 allait assumer les dangereuses fonctions de
gérant pour protéger ce nouveau journal. Il était l’un des principaux collaborateurs du
meilleur journal vietnamien, L’Echo Annamite, rédigé en français, pour « défendre la
race à laquelle je dois ma mère »21.
15
Cité
par
Assemblée
nationale,
« André
Malraux
et
le
mandat
parlementaire », http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/Andre-Malraux/malrauxcombats.asp. Consulté le 10/07/2007.
16
C’était un célèbre avocat de justice de Saigon.
17
LACOUTURE (Jean), op.cit., p.83.
18
Ibid., p.92.
19
MALRAUX (André), Antimémoires. Paris, Gallimard, 1972, p.435.
20
De père français, haut fonctionnaire de surcroît, et de mère vietnamienne, il
jouait un rôle très actif pendant les années 1920 au sein des nationalistes pour
s’opposer à l’administration coloniale en Indochine et pour réclamer des réformes
radicales dans la colonie.
21
Cité par DAO (Vinh), « Quelques notes sur Eugène Dejean de la Batie »,
http://chimviet.free.fr/25/vids051.htm. Consulté le 10/07/07.
9
Malraux et Monin rencontrent Dejean de la Batie qui est « le collaborateur le
plus sûr, compétent et fidèle »22. Après cette rencontre, celui-ci s’est décidé de quitter
L’Echo Annamite pour s’associer à deux Français. Il a expliqué ainsi :
« Si j’ai quitté une feuille exclusivement annamite, c’est pour mieux servir
la cause ; puisqu’à présent on met à ma disposition des moyens puissants
de la faire aboutir au succès. J’aurais peut-être manqué à mes devoirs si
j’avais refusé mon concours à des Français qui vont au devant des
Annamites, les bras tendus, le cœur ouvert, et décidés à se faire les
champions des revendications légitimes des indigènes. »23
Jean Lacouture pensait qu’il était un « excellent professionnel, militant et
déterminé, ami fidèle, sachant résister aux pressions comme aux menaces qui furent
adressées à sa famille, Dejean de la Batie fut un élément de base de L’Indochine aux
côtés de Monin, de Clara et d’André Malraux »24.
En plus, il faut noter que selon Jean Lacouture, Kyo, le héros de La
Condition humaine, a été probablement inspiré par Dejean de la Batie : « On pourra
observer que l’idée bizarre de faire de Kyo, le chef de l’insurrection de Shanghaï, un
Eurasien, est peut-être venue du personnage généreux du métis, cofondateur de
L’Indochine »25.
Outre Dejean de la Batie, Hin était aussi l’un des collaborateurs de
L’Indochine. C’était un fils de mandarin qui « n’était que violence contenue et prête à
exploser. Rageur, fiévreux, il fut sous l’œil d’André Malraux »26. Hin pourrait bien
être « le modèle mal dégrossi du Hong des Conquérants, et à travers lui du Tchen de
La Condition humaine »27.
22
23
Ibid.
Ibid.
24
LACOUTURE (Jean), op.cit., p.91.
25
Ibid., p.115.
26
Ibid., p.91.
27
Ibid.
10
Pourtant, à la fin, le journal a cessé de paraître après son 49ème numéro. Avec
l’aide de nombreux sympathisants vietnamiens qui travaillaient dans les grandes
imprimeries de Saïgon, Malraux et Monin réussissaient à rassembler de vieilles pièces
afin de monter une presse. Malraux faisait un voyage à Hong Kong en automne 1925
pour acheter des caractères d’imprimerie. Grâce à ce matériel de fortune, il pouvait
recommencer la publication de son journal à partir de novembre 1925 sous un
nouveau nom : L’Indochine enchaînée.
Lors du départ pour Hong Kong, la guerre civile a débuté à Canton et à Hong
Kong contre l’injustice de la domination anglaise. Les informations sur la situation de
la grève ont paru dans L’Indochine du 3 juillet 1925, nous lisons :
« (…) Près de cent mille ouvriers avaient quitté la colonie britannique
pour Canton. Ceux qui étaient restés refusaient de travailler et subsistaient
grâce à l’indemnité de grève que leur versait le gouvernement du
Kuomintang de Canton sur ses maigres ressources. Toute activité
étrangère, industrielle et commerciale, avait cessé, et la navigation était
pratiquement interrompue. Les seuls bateaux qui entraient ou sortaient du
port étaient des navires de guerre étrangers ou des paquebots dont les
équipages n’étaient pas chinois. Comme il n’y avait pas de coolies sur les
quais, les voyageurs devaient porter leurs bagages eux-mêmes. »28
Cette fois-ci, Malraux était témoin de l’événement révolutionnaire chinois et
avait l’occasion de participer à une conférence générale du Parti Kuomintang. Walter
G. Langlois estime que, durant ce séjour à Hong Kong, Malraux a rencontré et
interrogé Borodine et les autres organisateurs de la grève. Il a probablement utilisé
cette information pour écrire son premier roman : Les Conquérants.
La publication de « ce livre d’adolescent »29 marque réellement que Malraux
essaie de chercher la nouvelle valeur humaine de la société démolie par la puissance
28
Cité par CHARUCHART (Chintana), op.cit., p.110.
29
MALRAUX (André), Postface. Les Conquérants. Paris, Bernand Grasset,
1971, p.285.
11
occidentale à travers ses personnages romanesques venant des différentes classes
sociales. Malraux déclare que « dès leur parution, Les Conquérants suscitèrent des
passions et des réactions violentes »30. Quand ce roman est présenté au public,
plusieurs critiques ont aussitôt exprimé leur admiration. Emmanuel Berl dans son
pamphlet intitulé « Mort de la pensée bourgeoise », en 1929, a fait son éloge :
« Je considère les Conquérants comme un évènement de la plus haute
importance, dans l’histoire morale contemporaine. Je m’étonne qu’elle ait
été si mal sentie, qu’on ait tant discuté esthétique là où quelque chose est
en jeu, qui dépasse de beaucoup l’esthétique. Pour moi, Garine est un
nouveau type d’homme. Sa seule existence dénoue beaucoup de
problèmes et de difficultés. Elle en pose de nouvelles, aussi. Les
bourgeois que séduit l’art de Malraux comprendront, demain, s’ils ne le
comprennent pas aujourd’hui, le danger que Malraux leur fait courir et ils
cesseront de chercher dans son livre des renseignements sur la Chine, des
tableaux, une chronique ou une psychologie.»31
De plus, Marie Michèle Battesti-Venturini qui est enseignante à l’université
de Corse déclare que Les Conquérants est à la fois « un véritable roman »32 et « un
récit d’une insurrection authentique »33 parce que c’est la narration référée par
l’événement historique pour « le reportage sur le destin de l’être humain »34.
D’ailleurs, Léon Trotsky dans son article intitulé « La Révolution étranglée », paru en
1931, a ainsi commenté le talent d’André Malraux dans Les Conquérants :
30
MALRAUX (André), « La question des Conquérants », in : L’Herne, Paris,
Editions de l’Herne, 1982, p.33.
31
Cité par LACOUTURE (Jean), op.cit., p.135.
32
BATTESTI-VENTURINI
(Marie
Michèle),
« Les
Conquérants »,
http://ecrits-vains.com/points_de_vue/malraux08. htm. Consulté le 03/04/2007.
33
34
Ibid.
Ibid.
12
« J’ai malheureusement lu Les Conquérants avec un retard de dix-huit
mois ou de deux ans. Le livre est consacré à la Révolution chinoise, c’està-dire au plus grand sujet de ces cinq dernières années. Un style dense et
beau, l’œil précis d’un artiste, l’observation originale et hardie, - tout
confère au roman une importance exceptionnelle. Si j’en parle ici, ce n’est
pas parce que le livre est plein de talent, bien que ce fait ne soit pas
négligeable, mais parce qu’il offre une source d’enseignements politiques
de la plus haute valeur. Viennent-ils de Malraux ? Non, ils découlent du
récit même, à l’insu de l’auteur, et témoignent contre lui – ce qui fait
honneur à l’observateur et à l’artiste, mais non au révolutionnaire.
Cependant, nous sommes en droit d’apprécier également Malraux de ce
point de vue : en son nom personnel et surtout au nom de Garine, son
second moi, l’auteur ne marchande pas ses jugements sur la révolution.
»35
Un autre article publié dans Europe Nouvelle du 22 juin 1935 souligne la
puissance et la valeur des Conquérants :
« Les Conquérants sont loués pour leur puissance avant toute autre chose ;
ils sont loués pour la magnificence humaine des moyens qu’ils prodiguent
à des fins fort larges. Pourtant, dès ce livre Malraux n’est pas nietzschéen
dans le sens légendaire et imbécile du mot ; il ne prône pas l’action pour
l’action, il sait bien que c’est absurde et impossible comme l’art pour l’art.
Il est très tôt curieux de la vie réelle pour ne pas flairer que le
nietzschéisme mal compris aboutissait au futurisme, au dadaïsme, au
surréalisme, à toutes ces impuissances tapageuses. Il a su qu’on ne peut
rassembler de grands moyens que si on les accorde à une complaisance
passionnée, à un besoin immédiat de l’homme. Il n’y a pas d’action sans
besoin et sans passion ; et il n’y a pas de passion qui ne fleurisse à la fois
35
TROTSKY (Léon), « La Révolution étranglée », in : L’Herne, Paris,
Editions de l’Herne, 1982, p.38.
13
en action et en idéologie. Les Conquérants tirent déjà des bordées dans le
vent de Moscou. »36
L’histoire
des
Conquérants
est
consacrée
aux
bouleversements
révolutionnaires modernes comme ceux de La Condition humaine. Le combat des
ouvriers s’est passé en Chine du Sud en mars 1925 après la mort de Sun Yat-Sen,
l’élite du pays, père de la République, fondateur du Parti national populaire ou
Kuomintang. En juin 1925, le Kuomintang vient de lancer un ordre de grève générale
à Canton pour combattre la colonisation britannique qui domine l’économie chinoise
depuis 1839 à cause de la guerre de l’Opium. C’est « le conflit qui éclata entre la
Grande-Bretagne et la Chine, qui avait interdit l’importation de l’opium »37. Trois ans
plus tard, la guerre se termine par la victoire des Anglais et de leurs alliés. En 1842
« Les Britanniques occupèrent Shanghaï et imposèrent à la Chine le traité de
Nankin »38 et aussi l’île de la baie de Canton, c’est Hong Kong, symbole de la
puissance britannique. Shanghaï était la ville importante et Hong Kong était l’île
économique. Alors, s’ils les possèdent, toute la Chine est commercialement perdue.
De plus, dans la société dégradée, il n’y a que les pauvres et les riches. A
cause de cette situation, les ouvriers ou les pauvres veulent lutter contre les Anglais.
On trouve que la valeur humaine est de faire quelque chose pour avoir une vie
meilleure. Cette œuvre prône l’action révolutionnaire de l’homme. Les Conquérants
sont divisés en trois parties : Les Approches, Puissances et L’homme. Chaque partie
représente l’évolution de différents personnages. Le début du livre est rapporté à la
première personne, par un narrateur anonyme qui participe aux événements qu’il
relate pendant que les Chinois font la grève générale. L’ouverture de l’histoire
commence le 25 juin. La première phrase du roman est « la grève générale est
36
Cité par VENTURINI (Michèle), « André Malraux et Drieu La Rochelle :
deux manières d’appréhender la notion de combat », in : André Malraux et le
rayonnement culturel de la France. Bruxelles, Editions Complexe, 2004, p.44.
37
Le petit Larousse Dictionnaire Encyclopédique. Paris, Larousse, 1993,
p.1563.
38
Ibid.
14
décrétée à Canton »39. Ensuite, le 5 juillet, on annonce que « la grève générale est
déclarée à Hong-Kong »40.
Selon Malraux, « ce livre est d’abord une accusation de la condition
humaine »41 et qu’il ne s’agit pas d’une « chronique romancée de la révolution
chinoise, parce que l’accent principal est mis sur le rapport entre des individus et une
action collective, non sur l’action collective seule »42. En 1948, Malraux précise le
sens à donner à son roman Les Conquérants :
« Ce livre n’appartient que bien superficiellement à l’Histoire. S’il a
surnagé, ce n’est pas pour avoir peint tels épisodes de la révolution
chinoise, c’est pour avoir montré un type de héros en qui s’unissent
l’aptitude à l’action, la culture et la lucidité. Ces valeurs étaient
indirectement liées à celles de l’Europe d’alors. »43
Les personnages portaient en eux les idées que leur créateur désire mettre en
scène. Le caractère de héros est incarné par les deux leaders de commissaire de la
propagande, Garine et Borodine, qui ont des rôles importants dans cette grève.
Garine est le personnage le plus important. Malraux dit ainsi de lui : « c’est
mon seul personnage dessiné … parce que Les Conquérants sont une monographie,
sont le livre de Garine »44. Dès les premières pages des Conquérants, son portrait se
dessine à travers une conversation entre le narrateur et Gérard. Garine est créé pour
faire partie de l’exemple révolutionnaire comme explique Malraux :
39
MALRAUX (André), Les Conquérants, op.cit., p.9.
40
Ibid., p.44.
41
MALRAUX (André), « Réponse à Trotsky », in : L’Herne. Editions de
l’Herne, 1982, p.45.
42
Ibid.
43
MALRAUX (André), Postface. Les Conquérants, op.cit., p.286.
44
Cité par CARDUNER (Jean), op.cit., p.17.
15
« Ceux qui sont venus au temps de Sun, en 1921, en 1922, pour courir leur
chance ou jouer leur vie, et qu’il faut bien appeler des aventuriers ; pour
eux, la Chine est un spectacle auquel ils sont plus ou moins liés. Ce sont
des gens en qui les sentiments révolutionnaires tiennent la place que le
goût de l’armée tient chez les légionnaires, des gens qui n’ont jamais pu
accepter la vie sociale, qui ont beaucoup demandé à l’existence, qui
auraient voulu donner un sens à leur vie, et qui, maintenant, revenus de
tout cela, servent. »45
Garine est aventurier suisse qui participe au camp des Chinois
révolutionnaires et se charge de la direction générale de la propagande. Il possède un
caractère de révolutionnaire sentimental. C’est « un homme capable d’action »46. Ses
actions sont « Diriger. Déterminer. Contraindre. »47. Il ne s’intéresse cependant pas
au résultat de la révolution. Au fond, il ne donne pas d’importance aux pauvres. La
victoire est sa seule attente. Garine a dit :
« (… ) Je n’aime pas les hommes. Je n’aime pas même les pauvres gens,
le peuple, ceux en somme pour qui je vais combattre. (…) Je les
préfère, mais uniquement parce qu’ils sont les vaincus. (…) Ce qui est
bien certain, c’est que je n’ai qu’un dégoût haineux pour la bourgeoisie
dont je sors. Mais quant aux autres, je sais si bien qu’ils deviendraient
abjects, dès que nous aurions triomphé ensemble… Nous avons en
commun notre lutte, et c’est bien plus clair… »48
D’après Garine, bien que la vie soit seulement dirigée par le besoin de la
puissance et l’énergie de l’action, il lutte courageusement aux côtés des Chinois
45
46
MALRAUX (André), Les Conquérants, op.cit., p.22.
Ibid.
47
Ibid., p.280.
48
Ibid., p.83.
16
opprimés. Malraux l’admire et indique que « la création de Garine est pour moi une
création des héros »49 et que « sa création implique une conception de la vie »50.
L’autre chef est Borodine. C’est le personnage dont le nom est
historiquement noté. Il est considéré comme « l’archétype du bureaucrate soviétique,
fossoyeur du mouvement bolchévique »51 qui désire imposer aux Chinois le modèle
communiste soviétique. Il joue un rôle essentiel dans l’évolution politique de la
Chine. Le parti russe l’y envoie, à la suite de la mission Joffe, pour conseiller le
président Sun Yat-sen. Borodine est le type révolutionnaire opposé à Garine :
« Et ceux qui sont venus avec Borodine, révolutionnaires professionnels,
pour qui la Chine est une matière première. Vous trouverez tous les
premiers à la Propagande, presque tous les seconds à l’action ouvrière et à
l’armée. »52
Borodine se caractérise par les gestes des révolutionnaires professionnels
dans son roman comme « un homme d’action »53 et comme une incarnation vivante
du mouvement bolchévique sur le sol de la Chine. D’après le bolchévisme, cette
doctrine admet que les plus hautes valeurs humaines sont des valeurs collectives pour
bénéficier la masse. Les Chinois sont probablement influencés par cette doctrine.
Outre les deux leaders mentionnés, d’autres personnages correspondent à
l’idéal révolutionnaire. Tout d’abord, Hong, c’est le chef des terroristes chinois et il a
pour lui la fièvre de la jeunesse. Il représente un révolutionnaire anarchiste. A cause
de ses malheureuses expériences et de la vie misérable, Hong est tout entier voué à la
violence.
49
MALRAUX (André), L’Herne, op.cit., p.33.
50
Cité par HOFFMANN (Joseph), L’humanisme de Malraux. Paris, Librairie
C. Klincksieck, 1963, p.130.
51
Wikipedia.org, « Mikhail Markovich Borodine », http://fr.wikipedia.org/wi
ki/Mikhail_Markovich_Borodine. Consulté le 29/01/08.
52
53
MALRAUX (André), Les Conquérants, op.cit., p.22.
Ibid.
17
Tcheng Daï est un personnage chinois à l’opposé de Hong. Tcheng Daï
rejette toute action violente. Il est le chef spirituel de toute la droite du parti. C’est
l’homme le plus influent de Canton. Ses amis l’appellent le Gandhi chinois.
Outre les personnages cités, les autres personnages, Meunier, Rebecci,
Gérard, Nicolaïeff, Gallen, Klein et autres sont aussi présentés dans le monde
révolutionnaire. Bien que chaque personnage ait un but différent pour lutter contre
l’injustice sociale, ces personnages ont une vision commune : c’est la révélation de la
grandeur de l’homme bien qu’ils la représentent de façon différente. Ces personnages
sont révolutionnaires œuvrant à l’émancipation du peuple chinois. Quoique cette
œuvre soit une réflexion sur l’action révolutionnaire et sur ses conséquences, pour
Malraux, « Les Conquérants ne sont pas une apologie de la révolution comme telle,
mais décrivent une alliance »54 entre les hommes pour les hommes. La relation
humaine est une préoccupation continuelle de Malraux. Elle est présentée dans
d’autres romans du cycle asiatique de Malraux. Malraux déclare que « l’ensemble des
Conquérants est une revendication perpétuelle »55.
1.2 La Voie royale
Deux ans plus tard, après le succès du premier roman, ce deuxième roman est
publié en 1930 aux éditions Grasset dans la collection « Cahiers Verts ». Bien des
analyses font la comparaison entre Les Conquérants et La Voie royale lors de la
publication. Certains critiques estiment que La Voie royale « a été rédigée après Les
Conquérants, mais conçue, et ébauchée, avant eux »56. L’histoire du roman parle de la
première expédition indochinoise de Malraux en 1923 tandis que Les Conquérants
parle de son deuxième séjour en Indochine en 1925. De plus, le thème principal du
premier et troisième roman dispose de la relation commune : la révolution mais La
Voie royale raconte l’aventure qui est, pour lui, sa première idée. Alors, La Voie
royale est considérée comme un roman d’aventure qui est « un genre qui met
54
MALRAUX (André), L’Herne, op.cit, p.34.
55
Ibid., p.37.
56
Cité par GAILLARD (Pol), André Malraux. Paris, Bordas, 1970, p.65.
18
particulièrement l’accent sur l’action, généralement violente, avec un trait d’exotisme
aussi bien historique que géographique, ce qui le distingue aussi bien du roman
d’analyse psychologique que du roman réaliste, qui sont davantage centrés sur des
personnages à la structure plus complexe »57. Robert Louis Stevenson énonce la
même opinion dans son article intitulé « Une humble remontrance » sur le caractère
de roman d’aventure en 1884 :
« (…) les personnages ne doivent être dotés que d’un seul registre de
qualité : le guerrier, le formidable. Dans la mesure où ils apparaissent
insidieux dans la fourberie et fatals dans le combat, ils ont bien servi à
leur fin. Le danger est la matière de ce genre de roman ; la peur, la passion
dont il se moque. Et les personnages ne sont dessinés que dans le seul but
de rendre le sens du danger et de provoquer l’attrait de la peur. Ajouter
plus de traits qu’il n’en faut, être trop ; malin, courir le lièvre de la visée
morale ou intellectuelle alors que nous chassons le renard des intérêts
matériels, voilà qui n’est pas pour enrichir mais pour ôter toute valeur
à votre histoire. »58
L’admiration de l’art oriental et de l’aventure est la raison importante pour
Malraux dans le voyage en 1923. Dans un premier temps, c’est dans l’aventure pure et
personnelle qu’il cherche le sens de son existence. Cependant, nous ne pouvons pas
nier que l’intérêt commercial reste un de ses intérêts.
A court d’argent, le jeune Malraux dont l’éducation artistique s’est souvent
faite en grande partie au musée Guimet, décide de partir avec un jeune couple et un
ami intime, Louis Chevasson59, à la recherche de temples khmers au nord d’Angkor
57
Wikipedia.org, « Roman d’aventures », http://fr.wikipedia.org/wiki/Roman
_d’aventures. Consulté le 31/08/07.
58
59
Ibid.
Louis Chevasson est un des meilleurs amis de Malraux ; celui-ci lui dédie
en 1928 Royaume farfelu.
19
Wat. Avant le départ, Malraux expose un plan, plutôt négatif que positif à sa femme,
Clara :
« Du Siam au Cambodge, le long de la voie royale qui va de Dangrek à
Angkor, il y a de grands temples, ceux qui ont été repérés et décrits dans
l’Inventaire, mais il y en a sûrement d’autres, encore inconnus
aujourd’hui… Nous allons dans quelque petit temple du Cambodge, nous
enlevons quelques statues, nous les vendons en Amérique, ce qui nous
permettra de vivre ensuite tranquillement pendant deux à trois ans. »60
Ensuite, en octobre 1923, le monde aventureux et exotique commence.
« C’est la première expérience de l’aventure et le premier contact direct et personnel
avec une civilisation non européenne »61. Malraux et ses compagnons sont partis au
Cambodge qui était à cette époque-là un protectorat français. Au Cambodge, ils
cherchent des temples de l’ancienne Voie royale des Khmers. Après un long voyage
et une excursion dans la forêt cambodgienne, Malraux et ses hommes arrivent au
temple de Benteaï Srey62 et tentent d’en ramener des bas-reliefs khmers arrachés aux
murs du temple pour les vendre aux Etats-Unis. De retour à Phnom Penh fin
décembre, ils sont arrêtés et assignés à résidence, accusés d’avoir volé des œuvres
d’art khmer. En juillet 1924, Malraux est condamné à trois ans de prison ferme, et à
dix-huit mois pour son ami, Louis Chevasson. Quant à Clara, elle revient à Paris pour
tâcher de susciter des soutiens à son mari. Ensuite, le 6 septembre, Marcel Arland
écrit une lettre qu’il a co-signé avec François Mauriac dans Les Nouvelles littéraires.
Ils publient une pétition intitulée « Pour André Malraux » avec des signatures de
60
Cité par LECLERE (Thierry), « L’affaire Malraux », http://www.capsurle
monde.org/cambodge/angkor/malraux.html. Consulté le 19/07/08.
61
HOFFMANN (Joseph), op.cit., p.113.
62
Le temple de Benteaï Srey, la citadelle des femmes, est situé sur le site de
l’ancienne ville d’Iśvarapura à 20 km au nord-est d’Angkor, construit au Xe siècle
dans un superbe grès rose et probablement consacré en 967, sous le règne de
Jayavarman V et dédié à Tribhuvanamaheśvara.
20
vingt-trois écrivains qui s’associent à aider ce grand auteur, notamment André Gide,
Pierre Mac Orlan, Max Jacob, Gaston Gallimard, Louis Aragon, André Breton, etc.
Voici une partie de la lettre :
« Les soussignés, émus par la condamnation qui frappe André Malraux,
ont confiance dans les égards que la justice a coutume de témoigner à tous
ceux qui contribuent à augmenter le patrimoine intellectuel de notre pays.
Ils tiennent à se porter garants de l’intelligence et de la réelle valeur
littéraire de cette personnalité dont la jeunesse et l’œuvre déjà réalisée
permettent de très grands espoirs. Ils déploreraient vivement la perte
résultant de l’application d’une sanction qui empêcherait André Malraux
d’accomplir ce que tous étaient en droit d’attendre de lui. »63
Enfin, après le jugement de la cour d’appel de Saïgon, Malraux est condamné
en octobre à un an de prison avec sursis ; à huit mois pour son ami.
Malraux tire son expérience individuelle de l’aventure dans la jungle khmère
pour écrire son roman, La Voie royale. En plus, Malraux admire étudier la vie des
aventuriers. Ne doutons pas que nous trouverons leurs caractéristiques et leurs notions
à travers son roman. Le mythe de l’aventurier français Mayrena dans l’Indochine
exerce une forte inspiration dans son roman. Malraux en indique ainsi :
« Certes, je n’ai pas oublié David de Mayrena, dont la légende, très
présente dans l’Indochine de 1920, est en partie, à l’origine de ma Voie
royale. Encore ne m’a-t-elle donné qu’un décor. Les vieux Indochinois
avaient fait cette légende avec leurs rêves, et la précisaient avec leur
médiocrité. »64
63
Cité par BATTESTI-VENTURINI (Marie Michèle), « LA TENTATION
DE L’OCCIDENT », http://ecrits-vains.com/points_de_vue/malraux07.htm#_ftn3.
Consulté le 28/08/07.
64
MALRAUX (André), Antimémoires, op.cit., pp.411-412.
21
Pour représenter sa passion à l’égard de cet homme courageux, Malraux le
mentionne dans ses Antimémoires :
« Tout commençait par une exploration (…). Suivi par une petite troupe
de miliciens prêtés par le gouverneur, aidé par les missionnaires, Mayrena
avait négocié, tribu après tribu, une alliance personnelle, avec l’intention
probable de passer la main à la France.
Il avait acquis ou conquis presque toute la région des Moïs, après s’être
battu au sabre avec le Sadète du Feu, le principal de leurs rois-sorciers,
avoir entrevu et négligé l’or qu’il venait chercher, créer un ordre militaire
pour ses guerriers qui combattaient à la lance les éléphants sauvages, au
temps où s’achevait la grande Révolte des Lettrés. »65
Dans Antimémoires, Malraux précise que Mayrena est le modèle de Perken :
« A des égards, mon personnage de Perken est né de Mayrena. Plus
exactement, de ce qui unit Mayrena à un type d’aventurier disparu. »66
Néanmoins, Brian T. Fitch observe que : « ces descriptions de la Voie royale
doivent plus à l’imagination de l’auteur qu’à ses expériences »67 parce que certains
détails sont exagérés, notamment, les situations dangereuses et difficiles rencontrées
par les personnages du roman.
65
Cité par CHARUCHART (Chintana), op.cit., p.120.
66
MALRAUX (André), Antimémoires, op.cit., p.479.
67
FITCH (Brian T.), Le sentiment d’étrangeté chez Malraux, Sartre, Camus
et Simone de Beauvoir. Paris, Lettres Modernes, 1964, p.29.
22
Au lendemain de la publication de La Voie royale, en décembre 1930, Pierre
Drieu la Rochelle68 donne à la NRF un grand article intitulé « Malraux, l’homme
nouveau » qui explique la création du héros de La Voie royale :
« Malraux, comme la plupart des Français, n’a point d’invention. Mais
son imagination s’anime sur les faits. On a le sentiment qu’il ne peut
guère s’écarter de faits qu’il a connus. Les péripéties de ses livres ont ce
caractère fruste qui ne trompe pas, qui témoigne d’un transfert direct de la
réalité dans le récit. Mais à travers une série brève et rapide d’événements,
l’art de Malraux est de faire saillir avec un relief saisissant les postulats de
son tempérament intellectuel. Une seule ligne d’événements et, foulant
cette ligne, un seul personnage, un héros. Ce héros, ce n’est pas Malraux,
c’est la figuration mythique de son moi, plus sublime et plus concrète que
lui. Malraux tient là la faculté capitale du poète et du romancier. »69
La publication de La Voie royale est accueillie par des éloges enthousiastes
et par des critiques beaucoup plus nombreuses et très favorables. Edmond Jaloux
salue, dans Les Nouvelles littéraires, « un moraliste de la meilleure lignée »70 et
André Billy apprécie aussi « cette belle histoire d’aventuriers »71.
La Voie royale obtient un succès tout à fait glorieux puisqu’il reçoit, en
décembre 1930, le tout nouveau Prix Interallié.72 Malraux est le premier auteur
couronné par ce prix qui appartient à La Nouvelle Revue Française. Pourtant, avant de
recevoir ce prix, John Charpentier l’estime dans Le Mercure de France ainsi :
68
Il a été directeur de La Nouvelle Revue Française (NRF) et a pris parti pour
une politique de collaboration avec l’Allemagne, qu’il espère voir prendre la tête
d’une sorte d’Internationale fasciste.
69
Cité par LACOUTURE (Jean), op.cit., pp.140-141.
70
Ibid., p.142.
71
72
Ibid.
Depuis 1930, le prix Interallié est un prix littéraire français décerné de
préférence au roman d’un journaliste chaque année.
23
« Lorsque ces lignes paraîtront, André Malraux sera sans doute l’heureux
lauréat du prix Goncourt pour 1930. S’il ne l’avait pas, la faute en serait à
la critique : ces messieurs des Dix n’aiment pas qu’on loue un livre avant
eux… »73
L’histoire de La Voie royale est simple. Un jeune orientaliste et archéologue
français, Claude Vannec, décide de traverser l’ancienne Voie royale khmère, qui « est
tout autant cette ancienne route parsemée de temples khmers »74, jalonnée des temples
enfouis et leurs inestimables bas-reliefs dans la jungle pour les vendre à Paris et à
Londres. Claude présente ainsi cette route : « La Voie royale, la route qui reliait
Angkor et les lacs au bassin de la Ménam. Aussi importante jadis que la route du
Rhône au Rhin au Moyen Age »75. Sur un bateau, il fait la connaissance d’un
aventurier danois d’origine allemande, Perken. Le but de son départ est la recherche
d’un déserteur français, Grabot, qui a disparu chez les Moïs. Ces hommes
commencent une douloureuse marche vers La Voie Royale, en pleine forêt vierge
abondante de fièvres et de moustiques. Après plusieurs déceptions, Claude et Perken
découvrent un temple, mais leurs guides les abandonnent. Ils continuent leur route
dans une angoisse grandissante. Ils arrivent enfin dans un pays insoumis et sentent
une menace peser sur eux. Ils finissent par tomber aux mains d’une tribu moï, où ils
retrouvent Grabot, dans un état d’esclave, attaché à une meule, les yeux crevés.
Perken réussit pourtant à obtenir un échange ; il repart avec Claude. Mais il est tombé
sur une lancette de guerre ; son genou blessé gonfle de plus en plus. Il comprend qu’il
va mourir. Et c’est l’hallucinant retour à travers la forêt vierge vers la région de
Perken. À chaque étape, la mort est un peu plus proche et il ne peut pas échapper à
cette détermination du destin. En approchant de ses montagnes, il entend des
explosions : ce sont les mines de l’expédition qui établit un chemin de fer. Il ne peut
73
Cité par LACOUTURE (Jean), op.cit., p.142.
74
LUC (Jean), « Malraux, La Voie royale », http://www.etudes-litteraires.
com/malraux-voie-royale.php. Consulté le 24/08/07.
75
MALRAUX (André), La Voie royale. Paris, Editions Bernard Grasset,
1930, p.30.
24
pas défendre sa région contre la civilisation. C’est la ruine d’un grand rêve. Il ne lui
reste que la mort.
Les deux personnages principaux qui sont aventuriers veulent chercher le
sens de la vie avec une vision différente mais leur point commun est la recherche de
l’action et la réflexion sur la mort. Claude, d’abord, espère vendre des statues trouvées
pour l’argent et quand il réussira, cet argent sera utilisé pour la révolution. Quant à
Perken, il espère rencontrer Grabot et le ramener. De plus, Perken veut protéger les
indigènes qui sont opprimés. Le roman peut être divisé en deux parties. La première
est consacrée à Claude et l’autre l’est à Perken.
Malraux indique au fond la mort dans l’aventure et explique son point de vue
à cet égard dans son article intitulé « Un quart d’heure avec André Malraux », paru
dans Candide en 1930 :
« Disons que l’aventure est l’obsession de la mort. (…) Prenons par
exemple le chercheur d’or. Il croit qu’il part pour l’or. S’il réfléchissait
sérieusement cinq minutes, il serait le premier à convenir que les quelques
pépites qu’il trouvera après deux ou trois ans d’efforts sont un enjeu qui
ne vaut pas la chandelle. Non, il se fuit lui-même, c’est-à-dire qu’il fuit sa
hantise de la mort – en même temps qu’il court vers elle. »76
Dans La Voie royale, Claude et Perken vivent au milieu de la mort. Ils se
rendent compte que l’homme ne peut pas l’éviter mais comment faisons nous pour
que l’on aille mourir dignement ? Dans Antimémoires, Malraux explique la hantise de
la mort chez son héros ainsi :
« Le livre et le personnage sont nés d’une méditation sur ce que l’homme
peut contre la mort. D’où ce type de héros sans cause, prêt à risquer la
torture pour la seule idée qu’il a de lui-même, et peut-être pour une sorte
76
Cité par HOFFMANN (Joseph), op.cit., p.135.
25
de saisie fulgurante de son destin – parce que le risque de la torture lui
paraît seul vainqueur de la mort. »77
Certains critiques indiquent que « La Voie royale est un roman de l’échec,
une œuvre pessimiste mettant en scène cruellement l’irréductible humiliation de
l’homme traqué par sa destinée »78.
Les personnages malruxiens réussissent à trouver un sens de la vie pour
éprouver la valeur humaine. Bien que les méthodes et les résultats soient différents, ils
ont acquis la puissance humaine. Ces idées se retrouvent dans le roman le plus célèbre
de Malraux, La Condition humaine.
1.3 La Condition humaine
Après la grande réussite des Conquérants et de La Voie royale, La Condition
humaine, l’œuvre la plus célèbre d’un grand romancier, achève la trilogie asiatique de
Malraux. Ce roman est publié en extraits de six livraisons à Paris dans La Nouvelle
Revue Française de janvier à juin 1933 et ensuite dans Marianne et enfin en volume
chez Gallimard. Les réactions sont très enthousiastes. Mathieu Scrivat qui est
président de l’Association Cultures, Humanisme et Citoyenneté (CHC) déclare
que « La Condition humaine est une lecture marquante. C’est une invitation à donner
un sens à nos destinées bien ternes, en une époque indifférente aux questions
existentielles »79. Quatre mois après la publication en revue de La Condition humaine,
André Gide commente dans Journal, le 10 avril 1933 :
77
MALRAUX (André), Antimémoires, op.cit., p.479.
78
LUC (Jean), « Malraux, La Voie royale », http://www.etudes-litteraires.
com/malraux-voie-royale.php. Consulté le 24/08/07.
79
SCRIVAT (Mathieu), « La Condition humaine, d’André MALRAUX »,
http://www.asso-chc.net/article.php3?id_article=152. Consulté le 04/01/08.
26
« Ce livre, qui, en revue, m’apparaissait touffu à l’excès, rebutant à force
de richesse et presque incompréhensible à force de complexité, … me
semble, à le relire d’un trait, parfaitement clair, ordonné dans la
confusion, d’une intelligence admirable et, malgré cela (je veux dire :
malgré l’intelligence) profondément enfoncé dans la vie, et pantelant
d’une angoisse parfois insoutenable. »80
Dans L’Humanité, le 26 décembre 2001, ce roman « est considéré comme un
grand classique. On lit Malraux comme on lit Tolstoï »81. De plus, Drieu la Rochelle
dit que « ses personnages sont chinois comme les personnages de Racine étaient
grecs, c’est-à-dire foncièrement humains »82. Le talent du romancier ne fait plus
aucun doute parce qu’à la fin de la même année, il obtient le prix Goncourt83. Après la
remise du prix, Malraux déclare à propos de son roman, dans Actualités Gaumont en
décembre 1933 :
« J’ai essayé d’exprimer la seule chose qui me tienne à coeur et de
montrer quelques images de la grandeur humaine. Les ayant rencontrées
dans ma vie dans les rangs des communistes chinois, écrasés, assassinés,
jetés vivants dans les chaudières et détruits de toute façon, c’est pour ces
morts que j’écris. Que ceux qui mettent leur passion politique avant le
80
Cité par GAILLARD (Pol), op.cit., p.79.
81
CIMINO (Michael), « Michael Cimino : On écrit pour son salut, pour
survivre »,
http://www.humanite.fr/2001-12-26_Cultures_Michael-Cimino-On-ecrit-
pour-son-salut-pour-survivre. Consulté le 28/08/07.
82
Cité par BRECHON (Robert), La Condition humaine d’André Malraux.
Paris, Librairie Hachette, 1972, p.42.
83
Le prix Goncourt est un prix littéraire français, récompensant les auteurs de
langue française (pas forcément de nationalité française), créé par le testament
d’Edmond de Goncourt en 1896. La Société littéraire de Goncourt est officiellement
fondée en 1902 et le premier prix Goncourt est décerné le 21 décembre 1903. Malraux
est le trentième auteur recevant ce prix.
27
goût de la grandeur où qu’elle soit, s’écartent d’avance de ce livre : il
n’est pas fait pour eux. »84
Le grand succès de ce roman s’accorde à reconnaître les progrès de Malraux
et affirme qu’il dirige à la grandeur humaine pour vaincre la condition humaine. Le 9
novembre 1933, Léon Trotsky a écrit une lettre à Monsieur Clifton Fadiman,
collaborateur d’une grande maison d’édition new-yorkaise, pour proposer la
traduction de La Condition humaine. Il a présenté les raisons pourquoi ce roman
pouvait rencontrer un succès aux Etats-Unis malgré que le roman soit français.
Trotsky a ainsi parlé du roman :
« (…) Ce roman ne se veut pas seulement une oeuvre d’art littéraire. Il
pose les grands problèmes de la destinée humaine. Dans les conditions de
la crise sociale et culturelle qui embrase le monde entier, les questions, qui
toujours émeuvent l’homme et inspirent le grand artiste : la vie et la mort,
l’amour et l’héroïsme, l’individualité et la société, se posent avec une
acuité nouvelle devant la conscience créatrice. C’est à cette seule source
que peut se renouveler l’art contemporain, qui s’est épuisé à rechercher
des conquêtes de pure forme.
(…) Précisément aux Etats-Unis, où la crise terrible des conditions
habituelles d’existence mine impitoyablement toute attitude purement
empirique à l’égard de la vie, le roman de Malraux doit trouver, me
semble-t-il, de nombreux lecteurs. »85
84
Livre-po-cher.com, « La Condition humaine », http://www.livre-po-cher.
com/catalog/product_info.php?products_id=2433. Consulté le 28/08/07.
85
Marxists.org, « Lettre à Clifton Fadiman, signée Trotskty »,
http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/litterature/lt19331109.htm#ft2.
Consulté le 28/08/07.
28
De plus, La Condition humaine réunit le modèle de tous les romans de
Malraux :
« Ce roman réunit tous les thèmes du premier Malraux. Chacun de ses
personnages incarne une attitude devant la vie et l’action. Mais tous
assument leur condition humaine dans ce qu’elle a à la fois de vil et de
sublime, c’est-à-dire de contradictoire. Tous vivent ce que l’auteur a
appelé lui-même «une aventure tragique» et qui pourrait définir
l’ensemble de son œuvre. »86
L’histoire d’un « roman révolutionnaire »87 est un roman qui réfère à
l’histoire chinoise dans la période contemporaine. Malraux tire les événements de
l’insurrection des Communistes à Shanghaï en 1927 qui est un épisode important de la
révolution chinoise. Avant de réfléchir à l’histoire de ce roman, il est nécessaire de
retracer son arrière-plan.
Pareillement au changement révolutionnaire d’un régime impérial à un
régime républicain sous la direction Sun Yat-Sen, l’idéal révolutionnaire s’est étendue
en Chine. Après la mort de Sun Yat-Sen en 1925, Chang-Kaï-Shek s’arroge
progressivement la direction du parti du Kuomintang. La situation difficile des
Chinois, comme dans Les Conquérants, les pousse à lutter contre l’injustice. Puisque
le gouvernement abandonne l’économie aux mains des Occidentaux depuis
longtemps, des forces nationalistes neuves refusent cet état de fait. Plusieurs jeunes
Chinois, en particulier les intellectuels, adoptent les idées du marxisme qui prônent
« la lutte des classes »88. Ils essaient au nom de nouvelles valeurs de combattre le
régime injuste. Enfin, en 1927, ils forment une insurrection que Chang-Kaï-Shek
86
Alalettre.com, « La Condition humaine d’André Malraux », http://www.
alalettre.com/malraux-condition.htm. Consulté le 28/08/07.
p.637.
87
GAILLARD (Pol), op.cit., p.83.
88
Le Petit Larousse Dictionnaire Encyclopédique. Paris, Larousse, 1993,
29
décide de réprimer durement. Cet événement historique est utilisé comme arrière-plan
de La Condition humaine.
L’auteur décrit la situation générale et la révolte qui éclate à Shanghaï, en
mars 1927. A cette période, Shanghaï est un endroit où se côtoient l’Orient et
l’Occident, où s’affrontent le communisme et le capitalisme, les rivalités des grandes
puissances et des trusts internationaux. Cette ville symbolise l’état des grands ports de
Chine comme Tien-tsin, Tsing-tao, qui sont de concessions françaises, allemandes et
autres. Sun Yat-Sen définit la Chine d’alors comme « la colonie et l’esclave de toutes
les nations »89. La ville est encore occupée par le gouvernement chinois, dont le
pouvoir s’étend sur tout le nord du pays. Ils sont soutenus par les représentants des
puissances occidentales. Mais l’armée du parti révolutionnaire, le Kuomintang, qui,
partie de Canton, a déjà reconquis tout le sud de la Chine, s’approche de Shanghaï.
Elle est commandée par le général Chang-Kaï-Shek.
A l’intérieur de la ville, les militants révolutionnaires préparent
clandestinement une insurrection qui doit aider et même devancer l’action de ChangKaï-Shek. Au mois de février, ils ont déjà essayé de soulever le peuple, mais l’émeute
a été férocement réprimée par les gouvernementaux. Cette fois, l’insurrection est
méthodiquement organisée, sous la direction d’un chef désigné par le parti
communiste, qui regroupe et arme les ouvriers, les syndicalistes, les communistes et
les sympathisants, ce chef a sans doute existé. C’est Chou En-Lai. Vinh Dao expose
ainsi son opinion : « Il est intéressant de se rappeler que plusieurs critiques croyaient
que Chu En Laï aurait inspiré à Malraux le personnage de Kyo »90. Mais Malraux a
placé dans cette situation historique un personnage imaginaire dont le modèle, selon
Pierre Galante, est l’écrivain japonais Komastu. Kyo Gisors, à la fois intellectuel et
homme d’action, fils d’un Français et d’une Japonaise, incarne la rencontre de deux
cultures, orientale et occidentale. C’est lui qui est le héros du roman.
89
ROUSSEL (Bernard), André Malraux. La Condition humaine. Paris,
Bordas, 1974, p.23.
90
DAO (Vinh), « Quelques notes sur Eugène Dejean de la Batie »,
http://chimviet.free.fr/25/vids051.htm. Consulté le 10/07/07.
30
Le Parti communiste auquel appartient Kyo, a adhéré au Kuomintang et il est
donc allié de Chang-Kaï-Shek. L’objectif immédiat des communistes et de ChangKaï-Shek est le même : chasser les gouvernementaux. Mais à plus longue échéance,
leurs intentions sont totalement opposées : les uns veulent établir une république
nationaliste bourgeoise et les autres un régime collectiviste. La rupture semble donc
inévitable. Chang-Kaï-Shek est décidé. Mais le Comité central du Parti communiste,
suivant les instructions du Komintern qui est l’Internationale communiste, cherche à
la retarder. Il estime que ses forces sont encore insuffisantes et que la situation n’est
pas mûre.
La crise éclate lorsque les milices ouvrières, ayant libéré la ville et les
troupes du Koumintang, ont fait leur jonction. Chang-Kaï-Shek exige des insurgés
qu’ils lui remettent leurs armes. Kyo et ses camarades sont désavoués et sacrifiés par
leur parti et doivent livrer un combat inégal à leurs anciens adversaires, les riches
bourgeois de Shanghaï et les puissances étrangères. Les survivants communistes sont
torturés et exécutés. Le Parti communiste lui-même n’est pas sauvé ; il devra rentrer
dans la clandestinité pour de nombreuses années.
L’histoire de la Chine est seulement un des éléments du roman. L’essence la
plus importante de La Condition humaine est l’élément pascalien qui est l’inévitable
soumission de l’homme à ce qui le dépasse ou le détruit. Malraux fait explicitement
référence à Pascal :
« Le cadre (de La Condition humaine) n’est pas essentiel, dit Malraux,
l’essentiel est l’élément pascalien ; mais le cadre n’est pas non plus
accidentel. Je crois qu’il y a dans une époque assez peu de lieux où les
conditions d’un héroïsme possible se trouvent réunies. »91
Pascal croit que l’homme ne peut pas éviter la mort ou la situation
surnaturelle et l’homme, comme Malraux, qui n’a plus la foi en Dieu, doit accepter
ces conditions. Le thème de la mort est omniprésent comme dans les deux premiers
romans. En effet, il a d’abord cherché sa voie dans l’aventure, puis dans l’aventure
91
Cité par GAILLARD (Pol), op.cit., p.81.
31
révolutionnaire, enfin dans la révolution. Ilya Ehrenbourg, écrivain et journaliste
russe, commente les personnages de Malraux en mai 1933 dans Izvestia ainsi :
« La faiblesse de Malraux est ailleurs. Ses personnages vivent et nous
souffrons avec eux, nous souffrons parce qu’ils souffrent, mais rien ne
nous fait sentir la nécessité d’une telle vie et de telles souffrances. Isolés
du monde dans lequel ils vivent, ces héros nous apparaissent comme des
romantiques exaltés. La révolution qu’a vécue un grand pays devient
l’histoire d’un groupe de conspirateurs. Ces conspirateurs savent mourir
héroïquement mais, dès les premières pages du roman, il est clair qu’ils
doivent mourir. Ils raisonnent énormément… Certes, ils s’occupent
beaucoup de distribuer des fusils, mais il est difficile de dire à quoi leur
servent ces fusils (…) Quand la révolution est vaincue, ce n’est ni la
défaite d’une classe, ni même la défaite d’un parti, c’est un effet de la
fatalité qui pèse sur le métis Kyo ou sur le Russe Katow… »92
La Condition humaine est un roman beaucoup plus complexe que les
précédents. Les notions intellectuelles et morales occupent la première place dans cet
ouvrage et affirme de nouvelles valeurs sur la base de la communion entre les
hommes et la fraternité. Malraux tient principalement la condition humaine pour
éclairer la réflexion humaine et la dignité humaine.
Les personnages principaux dans La Condition humaine ont tous des visions
révolutionnaires. Kyo est un héros essentiellement révolutionnaire. Son caractère
symbolise « la sainteté révolutionnaire »93. Il organise une grande part de
l’insurrection et connaît la ville comme son propre corps. Le parti communiste de la
Chine a confiance en lui et il est très lié avec les gens. Cette position l’empêche de
participer aux opérations dangereuses. Pour la même raison, il ne s’est pas permis de
parler des activités clandestines. Avec Gisors, son père, Kyo lui raconte seulement
son activité générale. Kyo veut, avec le communisme, donner un sens à chacun de ses
92
Cité par LACOUTURE (Jean), op.cit., p.148.
93
Cité par HOFFMANN (Joseph), op.cit., p.191.
32
hommes que la famine, en ce moment même, fait mourir comme une peste lente. Il
veut qu’ils possèdent leur propre dignité. Pour parvenir à ce but, il se voue à l’action.
La vision révolutionnaire de Kyo est ainsi évoquée dans La Condition humaine :
« Le sens héroïque lui avait été donné comme une discipline, non comme
une justification de la vie. Il n’était pas inquiet. Sa vie avait un sens, et il
le connaissait : donner à chacun de ces hommes que la famine, en ce
moment même, faisait mourir comme une peste lente, la possession de sa
propre dignité. »94
Kyo est vraiment le premier personnage de Malraux qui donne un sens à sa
vie par son sacrifice à la cause qui le dépasse et qui lie son salut personnel à une
action destinée à réaliser le salut des autres hommes.
Tchen est un autre personnage révolutionnaire qui fait de la révolution une
mystique et sombre dans le terrorisme suicidaire. Tchen représente « la soif de
l’absolu ».95 Il est orphelin et élève d’un pasteur fortement conscient de la déchéance
de l’homme et angoissé par cette déchéance, écrasé par la pesanteur de la grâce qui
vient à la rencontre de cette déchéance pour la guérir. Son caractère est toujours plein
d’action. Mais c’est ce caractère qui lui apporte sa perte. En tuant le médiateur du
gouvernement et des contrebandiers, il apprend une telle grande sensation qu’il ne
veut plus autre chose. Il tombe dans une ivresse de sang assez grande pour y sacrifier
sa propre vie. Occupé de cette ivresse, il ne s’est plus sent bien parmi les insurgés. Il
veut plus combattre que être tué. Mais il retrouve quand-même temporairement le
plaisir de vivre pendant le combat.
Gisors est « le refuge de la contemplation »96 et le père de Kyo. Il est en
quelque sorte la tête intellectuelle de la révolution, bien qu’il n’y a pas participé. Les
personnes les plus importantes lui demandaient conseil quand ils ne savaient plus quoi
faire. Pour cette raison, il dispose d’une certaine puissance, parce qu’il peut influencer
les personnalités dont lesquelles la révolution dépend. Au passé, il est professeur à
94
MALRAUX (André), La Condition humaine. Paris, Gallimard, 1946. p.68.
95
Cité par HOFFMANN (Joseph), op.cit., p.181.
33
l’Université de Pékin et a mis sa sagesse dans la conviction des étudiants de l’idée du
marxisme.
Le baron de Clappique ou le symbole du « refuge du mensonge »97, vit des
affaires clandestines, et pour la plupart du temps avec l’approbation de la police. Il est
le personnage fantaisiste et joueur, théâtral, drôle et inquiétant aussi.
Ferral est le personnage qui représente le pouvoir de l’argent ; n’a qu’une
passion : dominer autrui ; il a tout de même un goût de l’aventure qui lui confère une
certaine grandeur. Il a « la volonté de puissance »98. L’esprit de Ferral connaît
seulement le profit. Les ouvriers et les autres gens ne comptent pas pour lui. Il détruit
la vie des milliers d’hommes en servant Chang-Kaï-Shek pour son propre profit.
Katow est généreux et courageux. Il participe à la révolution soviétique et au
combat avec des insurgés. Il a vraisemblablement beaucoup souffert dans son passé. Il
a été gravement blessé par les troupes occidentales. Cet événement était tellement
cruel qu’il éprouve de la haine et de la soif de vengeance. Avant sa mort, il fait le
cadeau le plus grand qu’il puisse faire dans cette situation. Il cède le dernier droit qu’il
garde, le droit de fixer l’instant de sa propre mort, à deux compagnons plus jeunes que
lui. Il leur donne du cyanure pour qu’ils puissent échapper à la torture. Cet acte est du
vrai héroïsme.
Le personnage d’Hemmelrich représente l’humilié. Il s’engage dans l’action
après avoir vu sa famille massacrée.
Enfin, le seul personnage de femme dans tous les romans est May. Elle est la
compagne de Kyo, allemande et médecin qui participent au combat révolutionnaire sa
dimension féminine.
A travers la trilogie romanesque d’André Malraux, une grande évolution se
dessine de l’aventure à la révolution, de la volonté personnelle à la volonté collective,
du goût pour l’exotisme à la recherche du sens de la vie humaine. Après le long séjour
en Asie, Malraux apprend la vie du combat dans le continent humilié. Les indigènes
se soulèvent et luttent contre le colonialisme. L’image de la révolution sert à souligner
96
Ibid., p.176.
97
Ibid., p.159.
98
Ibid., p.166.
34
la dignité humaine au milieu de la fraternité. La Condition humaine est le dernier
roman asiatique après le grand succès. La notion du combat continue mais l’espace
change. Ensuite, Malraux revient en Europe pour participer pleinement au combat
antifasciste.
1.4 L’Espoir
Dans les années 30, André Malraux s’intéresse à la jeune république
espagnole menacée par la montée du fascisme. A l’invitation de José Bergamin99, il
fait un bref séjour en Espagne en mai 1936. Deux mois plus tard, en juillet, la guerre
civile éclate. En août, Malraux organise l’escadrille España avec moins de vingt
avions qui s’appellera plus tard l’escadrille André Malraux et participe au combat
jusqu’au mois de février 1937, notamment dans la vallée du Tage, à Tolède, dans
l’Aragon et à Malaga. Malraux, qui n’est pas pilote, participe aux missions comme
observateur et parfois comme mitrailleur. Après Tolède, après la bataille de Teruel
qu’évoque nommément la dédicace de L’Espoir, c’est Malaga, le 11 février 1937, la
dernière opération de l’escadrille - mais Malraux ne peut pas y participer.
Au début de l’année 1937, Malraux se fait alors le propagandiste de la
République espagnole et se rend aux Etats-Unis afin de récolter des fonds pour les
hôpitaux d’Espagne. Il prononce plusieurs discours, notamment à New York et à
Hollywood. Après l’Amérique, il retrouve l’Europe en avril et se met à son nouveau
roman, L’Espoir, dans la deuxième moitié de 1937 et l’a achevé en quelques mois. Il
le publie immédiatement en décembre 1937 alors que la guerre civile dure toujours.
99
Durant la guerre civile, Bergamin préside l’Alliance des intellectuels
antifascistes, et est nommé conseiller culturel à l’ambassade espagnole à Paris où il
s’emploie à rechercher des appuis moraux et financiers pour la jeune République.
Ensuite, il préside en 1937 à Valence le second Congrès international des écrivains
défenseurs de la Culture, qui réunit plus d’une centaine d’intellectuels en provenance
de toutes les parties du monde.
35
Évocation de sa propre expérience, L’Espoir est aussi l’épopée de la guerre civile
d’Espagne et une œuvre fraternelle :
« (...) au-dessus d’eux, en arrière, la lune, qu’ils ne voyaient pas, éclairait
l’aluminium des ailes. Leclerc reposa sa thermos : aucun geste humain
n’était plus à la mesure des choses ; bien loin de ce cadran de guerre seul
éclairé jusqu’à des lieues, l’euphorie qui suit tout combat se perdait dans
une sérénité géologique, dans l’accord de la lune et de ce métal pâle qui
luisait comme les pierres brillent pour des millénaires sur les astres
morts.»100
Le goût de l’action et ses convictions antifascistes poussent Malraux à
participer à la guerre civile en Espagne à côté des républicains en 1936. Ces
événements lui inspireront un grand roman qui est L’Espoir en 1937. Ce roman paraît
en décembre 1937 aux éditions Gallimard. « Ce roman engagé »101 qui est « un
épisode des grands affrontements idéologiques de la première moitié du XXe
siècle »102, évoque les débuts de la guerre civile espagnole que Malraux avait vécu en
tant que chef d’escadrille d’aviateurs étrangers. De plus, L’Espoir est « un roman
complètement différent de tous ceux qui l’ont précédé »103. Dans un article consacré à
L’Espoir dans la revue américaine New Republic en 1972, Louis Aragon a écrit :
« L’Espoir est un livre fondamental de notre temps, un livre où nos idéaux
les plus élevés sont confrontés aux réalités les plus pressantes… Il
exprime notre temps, et de quel autre livre pourrions-nous en dire autant ?
La grandeur de Malraux ne consiste pas à expliquer la guerre d’Espagne,
mais à s’y plonger. Depuis La Condition humaine, un changement
profond s’est produit en Malraux. L’événement ne lui sert plus de prétexte
100
MALRAUX (André), L’Espoir. Paris, Gallimard, 1995, pp.256-257.
101
MOATTI (Christiane), L’Espoir. Malraux. Paris, Hatier, 1996, p.5
102
Ibid., p.53.
103
Cité par CARDUNER (Jean), op.cit., p.81.
36
ou de cadre, mais le porte. Malraux est réaliste en ce qu’il transcende la
réalité… Je tiens de l’auteur lui-même que L’Espoir est un livre
totalement nouveau dans son œuvre car pour la première fois, me dit-il
alors qu’il écrivait, j’ai plus de matériau que je n’en puis utiliser.»104
Avant la parution de L’Espoir, en février 1937, la revue Hora de España
exprime son point de vue à l’égard de Malraux :
« André Malraux affirme une volonté héroïque et met sa foi – avec espoir
ou désespoir – dans la fraternité virile… Ce n’est pas seulement un
impératif formel, une passion qu’il convient de louer mais plutôt un sens
de l’éthique… Ainsi s’exprime l’Europe des hommes dignes de ce nom,
qui lie son sort à celui de l’Espagne… »105
L’histoire de la guerre civile en Espagne commence après l’arrivée du
Général de Franco. L’Espagne est une monarchie jusqu’en avril 1931, où des
élections gagnées par les Républicains en change le statut. Devenue une république,
elle connaît toujours de fortes difficultés dans le domaine économique, social et
politique. Sa population, à majorité agricole, est employée pour des salaires
misérables par une poignée de nobles propriétaires. Manuel Azaña, Président de la
République, met en place de nouvelles réformes, mais la méfiance des anarchistes et
des conservateurs empêchent toute réalisation. La Loi de mai 1933 sur les
congrégations religieuses dresse la plupart des catholiques contre la République. La
tension entre la droite et la gauche ne fait que croître. La même année, les partis de
droite gagnent l’élection. Les mineurs des Asturies, qui se sont mis en grève, sont
durement réprimés. Mais trois ans plus tard, de nouvelles élections, en février 1936,
104
Cité par LACOUTURE (Jean), op.cit., p.258.
105
Ibid., p.248.
37
donnent sa revanche à la gauche enfin unie dans Le Front populaire106, « en espagnol
“Frente Popular” », dans lequel s’unissent les socialistes et les communistes. Celui-ci
étant quasiment dépourvu d’aviation, il se fixe pour but de lui en constituer une. La
réaction ne se fait pas attendre. Le général Francisco Franco107, commandant des
troupes stationnées au Maroc, prend la tête d’un soulèvement des forces armées, qui
rassemble à peu près tous les cadres de l’armée et les partis de droite, contre le
gouvernement républicain. En quelques jours, le gouvernement reprend le contrôle
des deux tiers du pays. Alors commence une guerre civile qui va faire un million de
morts, 700000 blessés et aboutir à l’installation d’une dictature destinée à durer
jusqu’à la mort de Franco, en 1975. Selon l’histoire citée, c’est l’évolution politique
de l’Espagne. La dictature est la raison importante qui provoque la guerre civile.
Malraux utilise cette situation de 1936 pour créer l’image du combat qui voit
s’affronter deux grands groupes : les nationalistes et les républicains.
L’un se compose des organisations et des partis de droite. Ils sont soutenus
par les industriels, les grands propriétaires terriens, par les hautes autorités de l’Armée
et de l’Eglise, très puissantes en Espagne. Dans L’Espoir, les nationalistes sont
désignés par les termes « fascistes » ou « ranquitos ». Le fascisme a un lien avec
l’idéologie qui s’est répandue dans toute l’Europe dans les années 1930 en réaction à
la crise économique mais aussi en raison du modèle d’Hitler et de Mussolini. L’autre
groupe est celui des républicains. Après les élections de 1936, la république est
soutenue par les partis socialistes et communistes. La république est souhaitée par les
ouvriers, la bourgeoisie et une partie des paysans. Ils sont désignés dans L’Espoir
sous le nom de révolutionnaires.
Le combat en Espagne est un combat pour les valeurs auxquelles Malraux
croit profondément. Voici ce qu’il déclare à la presse en mars 1937 lors d’un séjour
106
Pendant la Seconde République espagnole, ce parti participe à une
coalition électorale et signe un pacte en janvier 1936 par plusieurs organisations de
gauche, à l’initiative de Manuel Azaña dans la perspective des élections de 1936.
107
Il est un militaire et le chef de l’État espagnol de 1939 à 1975, présidant un
gouvernement autoritaire et dictatorial avec le titre de Caudillo (guide) :
« Generalísimo Francisco Franco, caudillo de España por la gracia de Dios ».
38
aux Etats-Unis, séjour destiné à convaincre les Américains de s’engager du côté des
républicains :
« Qu’apporte le fascisme ? L’exaltation des différences essentielles,
irréductibles, constantes – telles que la race et la nation… (…) Nous
avons pour objectif de préserver ou de recréer, non des valeurs
particulières et statiques, mais à l’échelle humaine – non l’Allemand ou le
Nordique, le Romain ou l’Italien, mais simplement l’homme. »108
Malraux écrit dans un quotidien new-yorkais, le World Telegram en mars
1937, pour expliquer la situation espagnole :
« Le problème le plus important est celui des paysans. Franco a fait des
promesses contradictoires aux propriétaires et aux paysans. Mais quand
viendra l’époque de la moisson, les paysans exigeront le droit et les
moyens de cultiver les terres, et Franco, lié par ses alliés conservateurs,
devra les leur refuser et perdre les seuls appuis qu’il ait du côté du
peuple. »109
Donc la guerre civile espagnole n’est qu’un repère historique pour le roman.
Néanmoins, la division en parties et le choix des titres peuvent aider à mieux
comprendre son organisation et ses intérêts. En effet, L’Espoir est divisé en trois
grandes parties dont les titres sont significatifs. La première partie, la plus longue,
s’intitule « L’illusion lyrique » et comprend deux sous parties : « L’illusion lyrique »
et « Exercice de l’apocalypse ». La deuxième partie « Le Manzanarès » est également
constituée de deux sections : « Être et faire » et « Sang de gauche ». La dernière partie
est beaucoup plus courte et porte le même titre que le roman : « L’Espoir ».
108
Cité par LE SOURD (Hervé), « L’Espoir/Sierra de Teruel. Un film
d’André Malraux (1939) 1945 », http://www.crdp-lyon.cndp.fr/c/c4/articles/espoir
final.pdf. Consulté le 02/08/2007.
109
Cité par LACOUTURE (Jean), op.cit., p.250.
39
Dans ce roman, Malraux raconte tout le conflit en surface et en profondeur.
Manuel, personnage principal puise sa force dans la fraternité. La mort, thème
privilégié de Malraux revient souvent dans les conversations qui prennent vite l’allure
de discussions philosophiques. On ne peut donc pas considérer ce roman comme un
reportage. Marie Michèle Battesti-Venturini affirme qu’André Malraux « a voulu que
cet ouvrage soit le symbole du triomphe sur la tyrannie et sur la mort »110.
Quant aux personnages, L’Espoir est « un roman aux multiples
personnages »111. Alors, l’action est si vaste par rapport à celle de La Condition
humaine que le nombre des personnages par les yeux desquels nous vivons l’action se
trouve multiplié. Malraux décrit des scènes d’action et des scènes de réflexion. Les
personnages indiquent la vision et la réflexion sur l’action. Joseph Hoffmann donne
ainsi son opinion : « L’Espoir en particulier est une longue suite de dialogues et de
confrontations où les personnages ne cessent de s’interroger sur les conditions et la
signification de la Révolution »112. Tous travaillent et jouent un rôle différent. Manuel
est un jeune espagnol et travaille avant la guerre dans les studios madrilènes comme
ingénieur du son. Communiste, il est, au début du roman, assistant de Ramos, le
secrétaire du Syndicat des cheminots. A la fin, il est devenu lieutenant-colonel de
l’armée républicaine. Magnin est ingénieur français, socialiste et il s’est engagé dans
la lutte antifasciste. Il achète des avions pour le gouvernement espagnol et recrute les
pilotes de l’escadrille internationale dont il est responsable. Garcia est un grand
ethnologue espagnol très aimé des militants. Il est un intellectuel et analyste lucide de
la situation, mais aussi un homme d’action. De plus, il est un des chefs des services de
renseignements au ministère de la guerre. Scali est le personnage italien et d’historien
d’art. C’est un des bombardiers de l’escadrille internationale dirigée par Magnin.
Alvear est un vieil espagnol, un marchand de tableaux d’une grande culture, plaçant
l’art au-dessus des affrontements politiques. Jaime est le fils d’Alvear qui est
110
BATTESTI-VENTURINI, (Marie Michèle), « L’Espoir », http://ecrits-
vains.com/points_de_vue/malraux11.htm. Consulté le 12/11/07.
111
Lycée Jean Monnet, « L’Espoir de Malraux », http://www2.ac-lyon.fr
/etab/lycees/lyc-42/jmonnet/francais/espoir/magnin.html. Consulté le 02/09/07.
112
HOFFMANN (Joseph), op.cit., p.234.
40
ingénieur chez Hispano, une firme aéronautique espagnole. Jaime est un militant
socialiste de gauche affecté comme interprète à l’aviation internationale. Hernandez
est officier de carrière qui reste fidèle au gouvernement républicain par sens du
devoir. Il est un humaniste libéral attaché aux valeurs morales. Et Ximénès est un
espagnol d’âge mûr et colonel de la Garde civile de Madrid. Chef expérimenté et
courageux, catholique fervent, il reste fidèle au gouvernement. Tous les personnages
se rassemblent dans une grande fraternité pour lutter contre la dictature fasciste.
Depuis Les Conquérants jusqu’à L’Espoir, Malraux montre que la société et
l’homme sont à la fois détruits. La religion, auparavant, était l’élément le plus
important. Cependant, la foi religieuse est ébranlée. La réalité ressemble à la situation
du roman. Malraux écrit ses romans pour refléter la vie réelle. Si l’homme ne peut
plus se recourir au pouvoir divin, il doit se replier sur lui-même. La notion humaniste
est ainsi abondante dans l’œuvre malruxienne.