Restructuration et transferts de portefeuilles de compagnies

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Restructuration et transferts de portefeuilles de compagnies
Assurances Droit
Une opération complexe
Restructuration et
transferts de portefeuilles
de compagnies d’assurances
Une bonne évaluation en amont ainsi qu’un suivi attentif et scrupuleux de tous les aspects de
l’opération sont les garants du respect des droits de toutes les parties.
L
ors de la crise financière, de nombreuses entreprises d’assurance
intégrées dans des groupes financiers ont été obligées de prendre des
mesures de restructuration imposées
par la Commission européenne, songeons notamment à ING ou à KBC en
Belgique. En réalité, les raisons de restructurer ou de procéder à un transfert
de portefeuille peuvent être multiples.
De nombreuses questions
Ce genre d’opérations peut être motivé,
par exemple, par une volonté de centralisation ou de décentralisation, par
une décision de run-off, par la recherche de synergies et réductions de coûts,
par un objectif d’optimalisation du capital, une réaction suite à l’adoption
d’une nouvelle norme réglementaire,
une crise économique…
Lorsque ces opérations sont mises en
œuvre, de très nombreuses questions
doivent être envisagées sur le plan juridique et parmi celles-ci les questions du
déroulement juridique, des compétences de l’autorité de contrôle (CBFA), les
conséquences pour le personnel, pour
les contrats d’assurances existants et
futurs, pour les contrats de collaboration avec les intermédiaires en assurances (courtiers/agents) et pour les éventuels contrats de réassurance.
Quatre scénarios
A la fin de l’année 2009, le cabinet
d’avocats Lydian a consacré un séminaire à ce sujet. Les intervenants1 ont
parcouru quatre scénarios possibles:
mars 2010
• transfert d’actions d’un assureur (=
share deal);
les dirigeants venaient à changer, il faut
également le mentionner.
• fusion ou scission d’un assureur (par
absorption ou constitution). Par
exemple en Belgique, la fusion par
absorption de Winterthur par AXA en
2007-2008;
En effet, depuis le 8 septembre 2009,
les acquisitions et les augmentations de
participation dans des entités du secteur financier sont encadrées par une
nouvelle procédure ainsi que par de
nouveaux critères d’évaluation prudentielle. La loi du 31 juillet 2009, consacrant le principe du contrôle par l’autorité du siège social, organise le transfert
d’informations entre autorités et désigne les instances chargées en ce domaine du contrôle des entreprises d’assurances et de réassurance ainsi que
d’autres acteurs du monde financier.
• run-off et outsourcing de la gestion
d’un portefeuille d’assurances (third
party administration);
• transfert de portefeuille d’assurances
(= asset deal).
Dans chaque hypothèse, les réponses
aux questions posées ci-dessus diffèrent
bien évidemment, et c’est avec le plus
grand soin qu’il faut penser à chaque
détail en fonction de la configuration
envisagée.
“
Les preneurs
d’assurances ne sont
que très rarement au
courant de ce genre de
processus.
1. Transfert d’actions
”
En cas de transfert d’actions d’un assureur (share deal), la question des compétences de l’autorité de contrôle sera
primordiale car le nouvel article 23bis
de la loi de contrôle impose de prévenir
la CBFA en cas d’intention de transfert
d’actions (tant pour le cédant que pour
le cessionnaire) et si, suite à la cession,
La CBFA doit savoir notamment quelles
sont les personnes physiques ou morales qui, directement ou indirectement,
agissant seules ou de concert avec
d’autres, détiennent dans le capital de
l’entreprise d’assurances une participation qualifiée (plus de 10% du capital
ou des droits de vote ou toute autre
possibilité d’exercer une influence notable sur la gestion de la société), conférant ou non le droit de vote. L’information vise en outre toute intention de
diminuer ou d’augmenter une participation. Selon les seuils en cause (10%,
20%, 50 %), la CBFA doit en recevoir
notification par écrit accompagnée des
‘informations pertinentes’ et peut se livrer à une ‘évaluation’ en appliquant
une série de critères établie par la loi du
31 juillet 2009.
La CBFA peut s’opposer à la réalisation
de l’acquisition si elle a des motifs raisonnables de considérer que le candi-
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Assurances Droit
dat acquéreur ne présente pas les qualités nécessaires au regard du besoin de
garantir une gestion saine et prudente
de l’entreprise d’assurances ou si les informations fournies par le candidat acquéreur sont incomplètes. Si, au terme
de la période d’évaluation, la CBFA ne
s’est pas opposée à l’acquisition envisagée, celle-ci est réputée approuvée.
Lorsque l’entreprise d’assurance ou de
réassurance impliquée dans une acquisition est active en libre prestation de
services ou par la voie d’une succursale
en Belgique, la CBFA procède à l’évaluation de l’acquisition en pleine
concertation avec toute autre autorité
compétente concernée.
Par contre, comme l’assureur (personne
morale) ne change pas, cela n’a aucun
impact sur les contrats d’assurance
existants et futurs, ni sur les contrats de
réassurance. Cependant, même si en
pratique elles sont très rares voire
inexistantes, théoriquement, un contrat
d’assurance (ou de réassurance) peut
contenir une clause de change of
control. Il faudra donc tout de même
bien vérifier si c’est le cas ou non. De
même, les contrats de collaboration
avec des intermédiaires seront poursuivis sans modifications sauf s’il existe
une clause de change of control dans le
chef de l’assureur.
2. Fusion-scission
En cas de fusion, les actifs et passifs
sont transférés à titre universel (selon le
code des sociétés). Ce transfert est alors
opposable à tous (erga omnes). Il ne
s’agit pas d’une vente. Les actionnaires
de la société transférée deviennent actionnaires de la société bénéficiaire tandis que la société transférée est dissoute
et cesse d’exister (sans liquidation). Une
fusion entre SA de différents membres
de l’UE est une des manières de constituer une société européenne (SE). Cependant, une SE de droit belge n’est
pas encore une forme juridique autorisée pour une entreprise d’assurance
(alors qu’elle l’est pour une entreprise
de réassurance). Il existe une procédure
de fusion simplifiée dans le cas où la société bénéficiaire aurait déjà acquis toutes les actions de la société transférée.
De même, en cas de scission, les actifs
et passifs sont transférés à titre univer-
sel. Ce transfert est alors opposable à
tous. Les actionnaires de la société scindée deviennent actionnaires des sociétés bénéficiaires tandis que la société
scindée est dissoute et cesse d’exister
(sans liquidation), hors le cas d’une
scission partielle.
Que ce soit en cas de fusion ou de scission, sauf clause contraire explicite dans
la convention, l’accord des tiers n’est
pas requis. La fusion ou la scission
d’une entreprise d’assurances belge est
considérée comme une cession par une
entreprise d’assurance en droit belge.
En conséquence, pour cette cession, il
faut obtenir l’approbation de la CBFA,
dont un extrait sera publié au Moniteur
belge. Si la cession s’opère sans l’autorisation de la CBFA, elle ne sera pas opposable aux preneurs d’assurances, ni
aux assurés, ni aux tiers. En pratique,
l’on peut conseiller de tenir une assemblée générale (AG) de fusion devant notaire sous condition suspensive d’approbation par la CBFA. Une fois
l’approbation obtenue, il suffira de faire
constater la réalisation de la condition
dans un acte notarié, ce qui rendra la
fusion effective.
3. Run-off
Hugo Keulers: “C’est avec le plus grand soin qu’il faut penser
à chaque détail en fonction de la configuration envisagée.”
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S’il souhaite cesser tout ou
partie de ses activités, un assureur peut décider de procéder à un run-off. Il arrêtera
alors de conclure de nouvelles
polices et ne renouvellera pas
les polices existantes. En pratique, il cherchera souvent
d’abord un repreneur pour
son portefeuille mais si cela
n’aboutit pas, ce sera le runoff et généralement, il confiera, en sous-traitance (outsourcing), à un tiers le claims
handling et la gestion du portefeuille. A noter que si le runoff est une décision volontaire
de l’assureur, cela implique
une rupture contractuelle
avec l’intermédiaire en assurances. Cela ne sera pas le cas
si le run-off est une mesure
imposée par la CBFA (par
mars 2010
exemple révocation de l’agrément),
sauf si l’assureur est responsable de
fautes et négligences ayant donné lieu
à la mesure de la CBFA.
4. Transfert de portefeuille d’assurances (asset deal)
Une ‘acquisition d’entreprise’, ou d’une
partie de celle-ci, peut être organisée
de différentes manières. On parlera
d’un asset deal par opposition à un
share deal, cas dans lequel l’acquéreur
reprend les actions de l’autre société.
Lors d’une telle opération, les actions
changent de main et donc aussi le pouvoir de décision, mais la société ellemême ne change pas. Par contre, dans
le cas d’un asset deal, ce n’est pas la
société qui est acquise mais bien ses activités et/ou son fonds de commerce. La
société cédante est amputée des activités vendues qui se retrouvent alors dans
la société cessionnaire. Bien souvent, le
personnel lié à ces activités suit l’activité/le fonds de commerce et quitte ainsi
l’ancien employeur pour être embauché par l’acquéreur. Ainsi, lorsqu’une
entreprise d’assurances vend une partie
de ses activités en transférant un portefeuille, il s’agit bien d’un asset deal.
DÉROULEMENT JURIDIQUE
En ce qui concerne le déroulement juridique, il peut s’agir d’un ‘simple’ transfert, mais on peut aussi procéder à la
vente ou à l’apport d’une branche d’activité, c’est-à-dire un ensemble qui, au
niveau technique et organisationnel,
exerce une activité autonome et travaille de façon indépendante. On peut
encore envisager la vente ou l’apport
d’une universalité, qui se définit comme
l’ensemble des éléments actifs et passifs de la société, à l’exception de son
patrimoine propre. Comme le ‘simple’
transfert est généralement beaucoup
plus complexe à mettre en œuvre, on
ne procédera à cette opération que
lorsque les actifs (et éventuellement les
passifs) à transférer ne forment ni une
branche d’activité, ni une universalité.
Chaque élément d’actif, ou de passif,
doit alors être transféré individuellement et conformément à ses propres
conditions. Par exemple moyennant no-
mars 2010
tification au débiteur
pour chaque créance
et moyennant l’accord
du créancier pour chaque dette. On imagine
la lourdeur de ce type
d’opération. Il faudra
aussi tenir compte du
risque de taxation en
cas de plus-value.
Il apparaît très vite qu’il
sera beaucoup plus intéressant de procéder
à un transfert à titre
universel en vertu du
code des sociétés,
même si la procédure
est stricte. L’avantage
principal de cette opé“Si le run-off est une décision volontaire de
ration est que transfert
l’assureur, cela implique une rupture contractuelle avec l’intermédiaire en assurances,”
à titre universel impliprécise Sandra Lodewijckx.
que le transfert erga
omnes de tous les éléments d’actif et de
passif, y compris les dettes et les cession ne pourra concerner que les risconventions liées à l’universalité/bran- ques situés en Belgique. Les risques
che d’activité. Sauf exceptions, l’accord sont situés en Belgique quand, pour les
des tiers n’est ici pas requis. On relèvera assurances de choses, le bien assuré est
qu’en cas d’asset deal transfrontalier le situé en Belgique; pour les assurances
code des sociétés n’a rien prévu; l’opé- de responsabilité, quand le preneur
ration ne sera pas simple à réaliser d’assurance a sa résidence habituelle
puisqu’il faudra tenir compte des légis- ou son siège social en Belgique; pour
lations des deux pays concernés.
les assurances Vie, quand le preneur
d’assurance a sa résidence habituelle
Pour ce qui concerne les compétences en Belgique. Si l’entreprise cédante est
de l’autorité de contrôle, l’autorisation la succursale belge d’une entreprise
préalable de la CBFA est exigée en cas étrangère, et que l’entreprise cessionde cession partielle ou complète d’une naire se situe en dehors de l’EEE, cette
entreprise d’assurances de droit belge cession à nouveau devra nécessiter
vers une entreprise d’assurances située l’autorisation préalable de la CBFA ainsi
dans l’EEE. En cas de cession par une que celle du home country controller
succursale belge d’une entreprise d’as- (qui doit également confirmer que la
surances d’un Etat étranger vers une marge de solvabilité est suffisante
entreprise d’assurances situé dans l’EEE, compte tenu de la cession). Enfin, cette
l’autorisation préalable de la CBFA est cession ne pourra se faire qu’à la sucégalement exigée et ne sera en outre cursale belge de cette entreprise cesaccordée que si le home country sionnaire.
controller a donné son accord et confirmé que la marge de solvabilité est suffiSORT DES CONTRATS
sante compte tenu de la cession.
Quid des conséquences pour les contrats
Si la cession se fait vers une entreprise d’assurance? A partir de la date de
d’assurances en dehors de l’EEE, et que publication au Moniteur belge de
l’entreprise cédante est une entreprise l’extrait de la décision d’approbation de
de droit belge, l’autorisation préalable la cession, la cession des contrats
de la CBFA est exigée. En outre, cette d’assurance existants est opposable aux
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preneurs d’assurances, aux assurés et
aux tiers quand la cession a été autorisée par la CBFA et/ou le home country
controller.
Les preneurs d’assurance ont cependant un droit de résiliation anticipée du
contrat d’assurance (art. 77, § 1 Loi de
contrôle) en cas de cession à un tiers
(mais non lorsqu’il s’agit d’une cession
intra-groupe (consolidation) ou en cas
d’apport de la généralité des biens ou
d’une branche d’activité - art. 77, § 2
Loi de contrôle). Le cas échéant, la résiliation doit être faite dans les 90 jours
de la date de la publication de la décision d’approbation par la CBFA au Moniteur belge. Cette résiliation prendra
alors effet à la première des dates suivantes: 30 jours après l’envoi de la lettre de résiliation ou le jour de l’échéance de la prime annuelle.
En pratique, ce seront souvent l’assureur ou le courtier qui en avertiront les
preneurs d’assurances qui ne sont que
très rarement au courant de ce genre
de processus. Les contrats d’assurances
futurs et les renouvellements ne pourront en pratique qu’être conclus avec
l’assureur cessionnaire.
ET LES RELATIONS AVEC LES INTERMÉDIAIRES?
Quant aux contrats de collaboration
avec des courtiers (ou agents), il faut
tout d’abord remarquer que les clauses
contractuelles prévoyant la fin ou la
possibilité de fin automatique pour les
intermédiaires en cas d’une telle cession sont valables mais pourtant inutilisées. Dès lors il faut différencier la situation d’une cession (ou apport) mise
en œuvre selon la procédure du code
des sociétés du cas d’une cession classique. Dans la première hypothèse,
l’autorisation de l’intermédiaire d’assurance n’est pas exigée pour la cession
du contrat de collaboration et l’intermédiaire ne peut pas s’opposer à la cession de son contrat. En cas de simple
transfert, on se retrouve dans un scénario de libre négociation car l’autorisation de l’intermédiaire est exigée. Sauf
clause contraire, il peut s’opposer à la
Tout le volet concernant le personnel de l’entreprise
d’assurance en cas de fusion, de scission et de
transfert pourrait faire l’objet d’un séminaire à
lui tout seul tant les dispositions à prendre peuvent
être importantes selon le scénario envisagé.
cession de son contrat ou faire dépendre son autorisation d’autres (meilleures) conditions contractuelles. Ceci peut
mener à un nouveau contrat de collaboration ou à un avenant au contrat de
collaboration existant.
De même pour les contrats de réassurance, si le droit belge est applicable et
qu’ils ne contiennent pas de clauses
pertinentes, le réassureur ne peut s’opposer à la cession menée selon le code
des sociétés, mais son consentement
est nécessaire en cas de cession classique. En pratique cependant c’est rarement le droit belge qui sera applicable.
Approche globale requise
Tous ces exemples démontrent qu’en
toute hypothèse, il faut avoir une approche globale et ne rien laisser au hasard. Dans chaque cas, les paramètres à
prendre en compte et les conséquences
de chaque décision sont à la fois multiples et complexes. Tout ce qui concerne
le personnel de l’entreprise d’assurance
pourrait faire l’objet d’un séminaire à
lui tout seul tant les dispositions à prendre peuvent être importantes selon le
scénario envisagé: obligation d’information et de consultation, application
de CCT particulières (exemple: CCT
n° 32bis en cas de transfert d’entreprise) ou de dispositions sectorielles particulières (CCT sécurité d’emploi du CP
306 pour le secteur de l’assurance), etc.
Les fusions, scissions, restructurations
et transferts de portefeuille… ne sont
évidemment pas rares dans le paysage
sans cesse en mouvement du secteur
de l’assurance, mais seuls une bonne
évaluation en amont ainsi qu’un suivi
attentif et scrupuleux de tous les aspects d’une opération sont les garants
du respect des droits de toutes les parties, et donc d’une véritable sécurité
juridique.
Anne Sterckx
Note
1. Hugo Keulers, Peter De Ryck, Sandra
Lodewijckx, Alexander Vandenbergen
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mars 2010