Jean Mermoz

Transcription

Jean Mermoz
ÉDITO
L’année 2014 ne commence pas très bien, question météo. Certes, tout le monde n’est pas touché par les inondations (et je pense en
particulier à mes lecteurs bretons…), mais la tempête souffle sur toute la France. Enfin : début février n’est jamais la meilleure saison
pour voler. Mieux vaut rester au chaud et lire un bon magazine … surtout quand il raconte la vie de l’Archange.
Il y a bien longtemps que je voulais l’aborder, mais je savais que ce serait un article très long. Sa vie ne se résume pas facilement, et
surtout, ayant son livre « Mes vols » et celui de Kessel « Mermoz » (merci Joseph pour ta collaboration), je disposais de beaucoup de
détails dont je ne voulais pas vous priver. Mermoz n’était pas un homme comme les autres ; ce n’est pas un aviateur, c’est L’Aviateur.
Et d’ailleurs, je sais bien que ma prose n’est pas à la hauteur de ce qu’il fût, et je ne peux que vous inciter à lire les livres qui lui ont été
consacrés si vous voulez vraiment comprendre ce qu’il a été.
Mais voici déjà un bon aperçu de cette vie hors du commun et trop vite interrompue.
Bonne lecture à tous !
Jacques Desmarets
Courrier des Lecteurs
Suite à mon article sur les courses aériennes, j’ai reçu le message ci-dessous de Ian Tutaj :
« Il y des courses aéro dont tu n'as pas parlé, car comme d'hab la presse n'en a pas parlé. Il s'agit de celles
imaginées par Bernard Lamy dans les années 80, ouvertes à tous : Paris-New York- Paris, Paris-Rio, ParisSingapour , Paris – la Réunion.
Le tout en temps scratch ... C’était drôlement musclé ! Imagine des gars se taper l'Atlantique A/R en Bonanza
sans débander ...
Je suis sûr que l'historien en toi saura retrouver cela... »
En effet, je n’avais rien lu sur ces courses qui avaient le mérite d’être françaises. Et en cherchant, je n’ai trouvé
que l’extrait ci-dessous d’un article consacré à sa fille Patricia sur le site de Toussus-le-Noble :
Bernard Lamy, ancien pilote militaire devenu directeur export du groupe Seb-Tefal, effectuait ses voyages en
pilotant lui-même un avion privé, loué par son entreprise : il pouvait ainsi optimiser ses tours d’Asie ou du Moyen
Orient, affranchi des contraintes des horaires d’avions de ligne. Et puis, en 1981, Bernard Lamy et Patrick
Fourticq participent à la course « Air Transat », organisée par l’AOPA ; Bernard décide alors de faire partager
l’exaltation des courses aériennes à d’autres pilotes, et d’organiser de grandes courses aériennes : ULM tout
d’abord (Londres-Paris, Grand Prix de France) puis avion : Air Transafricaine en 1984, Aéropostale en 1985
(Toulouse-Natal-Rio), Paris-Pékin-Paris en 87, Route de la Vanille (vers La réunion) en 88, Malaysia Air Race
en 90, puis tours du monde en 92, 94, Race of the Americas en 96 et Long Range Air race (Reykjavic – Antalya)
en 97. Ces courses partent de et arrivent à Toussus. Jacques PAGEIX, Directeur de l’aéroport à cette époque,
s’en souvient bien !
Si certains d’entre vous ont d’autres infos ou des documents …
En couverture ce mois-ci :
Fresque Mermoz
Cette fresque décore la façade d’un immeuble de Marignane, rue Antoine de St-Exupéry. C’est l’un des nombreux hommages rendus à
l’Archange, en France comme à l’étranger
Photo Claude Dannau en ligne sur http://www.aerosteles.net/fiche.php?code=marignane-mermoz
04
Jean Mermoz
L’Archange
L’idole des Français des années 30 a écrit
quelques-unes des plus belles pages de
l’histoire de l’aviation
P. 04
19
07
22
Junkers F-13
Le premier avion de ligne entièrement
métallique avait un look vraiment pas
ordinaire
Fête du Centenaire de
la Grande Guerre
C’est la mobilisation générale !
P. 19
26
Aéroludique
P. 22
3
Jean Mermoz
Dans mon enfance, mes parents n’étaient pas des passionnés
d’aviation. Un pilote, pourtant, était connu, cité et glorifié :
Jean Mermoz.
autres ateliers. Un seul ami lui vient, Max Delty, un
chanteur d’opérette d’une trentaine d’années qui a été
gravement blessé lors de la guerre et que la médecine
croyait condamné. Recueilli par Gilberte, il va pourtant se
remettre sur pieds.
Malgré son travail acharné, Mermoz qui a réussi en 1918 la
première partie de son Bac, est recalé à l’oral lors de la
Mermoz est né le 9 décembre 1901 à Aubenton (02), dans
seconde partie en 1919. Très éprouvé par cet échec, il doit
la maison où son père tenait un hôtel. Mais ce dernier est
renoncer à intégrer une école d’ingénieur et, par désespoir,
violent et, très vite, la mère du petit Jean le quitte pour
décide de s’engager pour quatre ans dans l’armée et
retourner vivre, non loin de là, chez ses parents à
devancer son service militaire. Il souhaite ainsi ne plus être
Mainbressy (08). Il y vit une enfance tranquille mais
à la charge de sa mère, qui vient de trouver une promotion à
solitaire, sous la coupe de grands parents très stricts qui
Pontoise. N’ayant aucune préférence pour une arme en
n’avaient pas vu d’un bon œil leur fille abandonner son
particulier, c’est Max qui, devant un apéritif, va lui
domicile conjugal. Sa mère est, et restera pendant toute son suggérer de rentrer chez les aviateurs, où la solde est
enfance, sa seule amie. Il se passionne pour la mécanique et meilleure et où il connaît quelqu’un qui pourrait l’aider.
passe son temps libre à démonter et remonter une horloge.
Mermoz, grand garçon sage, qui n’a encore connu ni
L’aviation ne l’intéresse pas. Alors que, assistant peu avant l’alcool ni les femmes, s’engage en juin 1920 avec la ferme
le début de la Grande Guerre à l’une des premières
intention d’en finir au plus vite pour revenir, libéré de ses
« Grandes Semaines de Champagne » avec son cousin, ce
obligations, dans le civil.
dernier s’exclame vouloir devenir aviateur, Jean répond
« Pas moi, je préfère la mécanique et le dessin ». Et de fait,
on l’inscrit comme pensionnaire à l’École Supérieure
Professionnelle d’Hirson. Sa mère, Gilberte, profite de cette
séparation forcée pour quitter, elle aussi, le joug de ses
parents et chercher du travail à la grande ville. Mais la
guerre les rattrape et Jean est emmené par ses grandsparents à Aurillac sans attendre le retour de sa mère qui
restera sans nouvelles de lui pendant trois ans. Ce n’est
qu’en 1917 qu’elle pourra enfin quitter les Ardennes pour le
rejoindre. Ensemble, ils vont monter à Paris où Gilberte a
trouvé, sur recommandation, une place d’infirmière pour
elle, et une inscription au lycée Voltaire pour son fils.
Installés dans un atelier d’artistes du quartier Montparnasse,
ils vont vivoter encore trois ans ensemble, toujours
La Base Aérienne d’Istres vers cette époque
solitaires. Très studieux, Jean sort très peu et lit beaucoup,
se passionnant pour la poésie et pour le dessin, profitant des Après quatre mois de classes au Bourget, il est affecté à
Istres où se trouve l’école de pilotage, mais où l’armée
modèles qu’il voit poser à travers les vitres le séparant des
4
qu’elles transforment le camp en marécage. Pourtant, la
solidarité et la camaraderie qui y règnent vont transformer
la dureté de cette vie pour en faire ses meilleurs souvenirs
militaires.
semble surtout chercher à décourager au plus vite ceux qui
pensent se glorifier en devenant pilote. L’instruction, très
dure, et les corvées, très nombreuses, s’ajoutent au
désespoir de voir de très nombreux élèves pilote mourir aux
commandes d’avions fatigués par le guerre. Pourtant, Jean,
qui s’est promis de réussir, et qui commence à regarder
avec intérêt ces machines volantes, va affronter toutes les
difficultés avec stoïcisme et obtenir d’apprendre à piloter.
Dès ses premiers vols, c’est une révélation, et il comprend
que là est sa vraie passion.
Un jour, lors d’une mission, son Breguet tombe en panne et
l’oblige à un atterrissage de fortune dans la montagne, à
plusieurs dizaines de kilomètres du poste. L’avion est
détruit. La chaleur est comme toujours infernale (jusqu’à
70° dans le désert) et, dans ce lieu, il ne peut espérer être
aperçu par les avions qui pourraient se lancer à leur
recherche. Avec son mécanicien, sans vivres et sans eau, ils
vont partir pour quatre jours et quatre nuits de marche dans
la montagne puis le désert habité par les tribus hostiles.
Lorsqu’il s’effondre enfin sur la piste, après 60 km de
marche, Palmyre est en vue. Mais c’est à une patrouille de
méharistes qu’ils devront d’être sauvés.
Le 29 janvier 1921, à 19 ans, il obtient son brevet de pilote.
Il est alors affecté à Metz à une escadrille de
bombardement.
Mais là encore, il va déchanter. L’escadrille, ce mot
merveilleux qui le faisait rêver, n’est qu’un endroit où il
continue à subir la dureté d’une vie militaire tatillonne, et
où, faute de crédits, les vols sont limités à deux ou trois
heures par mois. Il décide de « fuir » cette condition en se
portant volontaire pour la Syrie. En attendant son
affectation, il trompe son ennui en sortant souvent dans les
bas-fonds de Metz, où sa « belle gueule » lui ouvre les
portes de relations féminines faciles et bon marché.
Malheureusement, en plus de l’alcool, il y apprend aussi à
goûter au plaisir de la cocaïne.
Enfin, le 09 septembre 21, il embarque pour une traversée
de huit jours vers Beyrouth puis Saïda. Là, il découvre le
paradis. La vie d’escadrille est enfin celle dont il avait rêvé,
loin des mesquineries militaires de la métropole. La
nourriture y est riche et abondante, il vole beaucoup pour se
perfectionner et peut passer son temps libre à la plage où à
pratiquer le sport, la boxe française en particulier. Il se
perfectionne pour essayer de devenir le meilleur, mais il
commence à appréhender l’avenir de ses missions
guerrières : l’idée de tuer, fussent les tribus bédouines
insoumises qui, pourtant, massacrent les blancs qui leurs
tombent entre les mains, lui est insupportable.
L’oasis de Palmyre, avec ses vestiges archéologiques
Félicité pour son courage, on lui confie alors un avion
sanitaire tout neuf. Il devient brancardier de l’air et n’ayant
plus à craindre de devoir porter la mort, il va encore
multiplier ses heures de vol pour porter la vie. Épuisé par
ces missions effectuées sans relâche, à la limite de la
dépression, il se tournera à nouveau vers la cocaïne, mais
constatant ses effets négatifs sur la qualité de son pilotage,
il s’en détournera définitivement.
En décembre 1921, il est transféré à Palmyre, un poste
perdu au milieu de désert, où le confort redevient spartiate.
Tout y fait défaut, sauf le sable qui s’insinue partout sous la Breguet 14 Limousine transformé en avion sanitaire, sans
doute similaire à celui de Mermoz
tente, et les pluies lorsqu’elles deviennent diluviennes et
5
Le 18 janvier 1923, après 18 mois de service au « Levant »,
le Sergent Mermoz quitte Palmyre pour un retour en
métropole commençant par trois mois de permission. Pris
par les fièvres, c’est dans un quasi coma qu’il arrive chez sa
mère à Pontoise, et il lui faut dix jours pour se remettre sur
pieds. L’enfant qui avait quitté sa mère moins de deux ans
plus tôt et qui n’avait aucune passion pour l’aviation est
maintenant devenu un homme dont le regard porte loin ; il
est désormais clair que sa vie ne pourra se faire que dans les
airs.
Avec son inséparable ami Coursault, ils vont alors faire la
vie, dilapidant le gros pécule que leur ont permis de
constituer les primes de vol en Syrie.
temps que sa compagne, commençant une vie de SDF,
bricolant de droite et de gauche, soutenu parfois par Max
Delty qui bricole aussi de son côté lorsque sa santé le lui
permet encore, mais sans chercher d’emploi sérieux,
attendant toujours celui qui lui permettra de voler à
nouveau.
Ce n’est que fin septembre qu’il reçoit enfin une
convocation des Lignes Latécoère. Le temps de passer la
visite médicale, son Brevet de Pilote de Transports Publics
(18/20) et de gagner les 75 Francs du billet de train pour
Toulouse en écrivant 4.000 enveloppes et, le 13 octobre, il
se présente devant Didier Daurat, le directeur d’exploitation
des lignes.
Il rejoint en avril le 21e Régiment de
Bombardement de Nancy. Décidé à
préparer l’École d’Officier, il est à
nouveau dégoûté de la vie militaire par
l’attitude rigoureuse de sa hiérarchie et
renonce à la carrière. En août il obtient
son transfert au 1er Régiment de Chasse de
Thionville où il fera la connaissance d’un
certain Guillaumet. Il y découvre surtout
le pilotage des avions de chasse et la
voltige dans laquelle il va se
perfectionner. Mais si la discipline y est
plus souple qu’à Nancy, une rivalité
amoureuse avec un officier va lui pourrir
les huit derniers mois de sa vie de soldat.
Lui qui n’avait jamais été puni va se
retrouver régulièrement aux arrêts, son concurrent n’ayant
pas de meilleur moyen de l’empêcher de retrouver leur
belle. Aigri par ces abus de pouvoirs, Jean va se mettre à
haïr l’Armée et jusqu’à la France, et se déclarera anarchiste.
Didier Daurat
Depuis cinq ans qu’elle a été créée, il mène
d’une poigne de fer les quelques pilotes,
anciens de la Grande Guerre, qui assurent
par tous les temps la ligne postale entre
Toulouse et Casablanca. Les conditions
techniques de l’époque (pas de radio ni de
météo, des avions monomoteurs fragiles,
…) et l’itinéraire dangereux du fait de ses
reliefs et de l’hostilité des peuples survolés
en font une tâche très périlleuse et très
éprouvante. Daurat motive ses hommes par
sa dureté. Leur mission est prioritaire. Elle
seule compte et l’horaire doit être respecté.
Ils se donnent à fond pour la satisfaire. Et quand ils donnent
des signes de fatigue, ils sont remplacés. Les pilotes de
guerre ayant tous été utilisés, Daurat se tourne maintenant
vers des pilotes plus jeunes.
Un SPAD XIII à Thionville
En 1924, il revient enfin à la vie civile et monte à Paris,
escorté par la maîtresse dont il avait réussi à déposséder
définitivement son lieutenant, mais à laquelle ne tient pas
particulièrement ce jeune homme aux conquêtes féminines
désormais innombrables. Sa mère ayant été mutée à Lille, il
découvre la vie de chômeur dans un petit hôtel sordide. Il
est convaincu que le monde de l’aviation n’attendait que sa
libération pour l’embaucher, et il écrit de nombreuses
lettres aux compagnies de transport (Latécoère, Air-Union,
Farman…) et aux constructeurs. Mais les réponses
n’arrivent pas. Il quitte rapidement son hôtel en même
6
Leur générosité permet à Mermoz de survivre avec sa
maigre solde de 650 F. Sa mère l’aide comme elle peut
mais, de toute façon, Jean a peu de besoins, qui passe sa vie
aux ateliers.
Ce n’est que plusieurs semaines plus tard qu’enfin Daurat le
convoque un matin, avec les six autres nouveaux, pour un
premier essai en vol. D’emblée, deux autres sont éliminés.
À son tour, Mermoz s’envole confiant dans ses capacités et
réalise une magnifique démonstration de voltige qu’il
conclue par un atterrissage de précision. Mais quand il
descend de l’appareil, il constate que Daurat n’est plus sur
la piste. Il le rejoint au hangar. « Vous êtes content de
vous ? » lui demande Daurat. « Eh bien pas moi. Pas besoin
d’acrobates ici. Allez au cirque ! ». En rage, Mermoz
arrache son casque et part chercher ses affaires
personnelles. Daurat le rattrape, lui reproche son
indiscipline et son mauvais caractère et lui ordonne un
nouvel essai, plus calme, qu’il ne regardera d’ailleurs même
pas. Bien sûr, il avait tout de suite reconnu le talent du
pilote, mais il devait d’abord lui faire comprendre que la
Ligne c’était avant tout l’obéissance absolue et, ensuite, un
travail d’équipe où la science d’un seul n’a d’intérêt que
dans la réussite de tous.
A cette époque, Jean est un bel athlète
Jean se présente confiant devant lui. Son carnet de vol, ses
expériences en Syrie, ses citations parlent pour lui. Et
effectivement, Daurat l’embauche immédiatement …
comme mécanicien. Dépité, il accepte et se met, confiant,
au travail. Dans les ateliers de l’aérodrome de Montaudran,
où se trouvent aussi les usines Latécoère, il va tout
apprendre de ce qu’il ignorait encore : comment sont
fabriqués et comment fonctionnent un avion et, surtout, un
moteur. Des notions qui lui seront
bien utiles plus tard sur la ligne,
lorsque ceux-ci seront défaillants.
Le départ du courrier à Toulouse
Mermoz est maintenant pilote et après quelques vols
d’entraînement, le 29 novembre 1924, il réalise l’épreuve
finale qui va lui permettre enfin de participer à la livraison
du courrier, un vol aller et retour Toulouse - Casablanca.
Daurat l’affecte à l’escale de Barcelone, avec un
salaire de 3 000 F. Engoncé dans ses habitudes,
Mermoz qui ne se consacre qu’à son métier, va
continuer à vivre modestement. Chaque jour, le
courrier parti à l’aube de Toulouse arrive vers 10 h à
Barcelone. Les sacs sont transférés dans l’avion de
Jean qui décolle aussitôt pour Malaga, avec une
escale à Alicante. Un trajet de plus de plus de
800 km, un vol d’environ huit heures. A l’arrivée,
les sacs changent à nouveau d’avion, moteurs
toujours tournant, et repartent aussitôt vers le Maroc.
Après une nuit de repos, Mermoz repart le
lendemain avec le courrier de retour.
Comme les autres, il loge à
Toulouse à l’hôtel du Grand
Balcon. Depuis les débuts de la
Ligne, c’est devenu un usage.
Tous les nouveaux habitent chez
les trois demoiselles qui le
tiennent, et qui n’ont bientôt plus
que des aviateurs comme clients.
L’hôtel du Grand Balcon
7
Mermoz connaît bien cet appareil qu’il pilotait en Syrie.
Mais ceux de la Ligne sont usés par cinq années de vols
intensifs. Ils ne tiennent que grâce aux talents des
mécaniciens. Et les vols ont lieu par tous les temps.
D’autant que Mermoz commence son service en hiver.
Plafonds bas, pluie, grêle, orages que la puissance de
l’appareil ne permet pas d’éviter par en haut, alors que la
provision de carburant n’autorise pas non plus de grands
détours ; les vols sont une lutte incessante contre les
éléments et les deux jours de repos hebdomadaires se
passent en repos. Mais quand un autre pilote manque à
l’appel, il faut assurer. Le trajet peut se prolonger jusqu’à
Toulouse, et les heures de vol s’ajouter aux heures de vol.
L’aéroplace de Barcelone
Le repos n’est plus respecté et le sommeil manque souvent.
Les avions sont des Breguet 14, anciens avions
Heureusement, à Malaga, l’athlète peut de temps en temps
d’observation. S’ils ont fait leurs preuves pendant la guerre, nager ou faire du canot, et imposer à ses muscles d’autres
se sont des avions sensibles au vent et au moteur
fatigues.
capricieux. Le pilote est à l’air libre, et les sacs sont à la
place du passager (ou à ses pieds quand, parfois, il y en a
Mermoz « assure » la ligne sur le tronçon espagnol alors
un). Le parcours s’effectue en longeant la côte espagnole :
que Daurat affecte ses pilotes les plus anciens sur le
en cas de panne, on peut toujours se poser sur une plage, où nouveau parcours du Maroc vers Dakar. Il aurait bien aimé
cent mètres suffisent pour s’arrêter.
être de cette nouvelle aventure, mais doit se contenter de
remplacer parfois un pilote jusqu’à Casablanca. Irrité par ce
refus de Daurat, il profite de sa visite médicale au Bourget
en août 1925 pour contacter la Compagnie FrancoRoumaine, espérant de meilleures conditions matérielles sur
les lignes vers l’Orient, mais il n’obtient pas satisfaction.
En réalité, si ses rapports avec son chef trop exigeant sont
tendus, les deux hommes s’apprécient mutuellement. Et si
le métier est dur, Mermoz l’aime tant que, rencontrant
Guillaumet à Paris, il le convint de postuler chez Latécoère.
Et Daurat, faisant confiance à son pilote, accepte aussitôt.
Breguet XIV en vol
Caractéristiques Techniques du
Breguet XIV
Envergure
Longueur
Hauteur
Poids à vide
Poids en charge
Charge utile
Vitesse de croisière
Distance franchissable
Plafond
Moteur
Puissance
Premier vol
Construction
14,36 m
8,87 m
3,15 m
1238 kg
1765 kg
300 kg
125 km/h
460 km
4500 m
1 Renault 12Fe, 12 cylindres en V
300 CV
21 novembre 1916
Tubes Duralumin, bois et toile
Arrivée du premier courrier postal à Dakar en juin 1925
L’automne 1925 est encore plus dur que l’hiver 24. Mais si
le travail est plus pénible, il est aussi plus rémunérateur, et
Mermoz commence à entasser ses gains, traumatisé qu’il
avait été par sa galère de 1924. Au début de 1926, il reçoit
une médaille de l’Aéroclub de France comme étant le pilote
qui a fait le plus de kilomètre en 1925 : 120.000 ! Et alors
que la Franco-Roumaine semble enfin vouloir lui donner
satisfaction, il accepte la mutation que lui offre Daurat pour
8
l’étape africaine. Mais il refuse de devenir chef de poste,
préférant continuer à piloter et affronter de nouveaux
dangers.
Aucun danger n’a été caché aux pilotes. Ils sont tous
volontaires, et seuls les plus résistants sont conservés. Ils
sont répartis entre Casa, Cap Juby et Dakar. Le service est
hebdomadaire, et cinq escales sont réparties au long du
trajet, aux limites d’autonomie des appareils qui n’ont pas
le droit à l’erreur.
Sans radio, il est impossible de signaler les pannes, et
repérer un avion sur le désert est très difficile. Aussi, pour
assurer leur sécurité, les pilotes volent à deux avions. L’un
transporte le courrier, l’autre un interprète qui peut, si
besoin, expliquer aux Maures l’intérêt de ne pas tuer les
pilotes pour les échanger contre une rançon. Si c’est l’avion
du courrier qui est en panne, l’autre se pose (quand il le
peut !) et récupère le pilote et les lettres. Mais si c’est
l’inverse, alors l’avion du courrier continue sa route et ne
revient chercher le camarade qu’ensuite ! Et parfois il est
trop tard…
Survol d’une région hostile
Lorsque Mermoz rejoint l’équipe à Cap Juby en mars 1926,
il y a déjà plus d’un an qu’elle fonctionne. Il retrouve avec
plaisir une vie proche de celle de la Syrie. Mais le 24 mai,
son avion tombe en panne, entre Agadir et Juby, en
traversant une tempête de sable qui l’a séparé de son
coéquipier. Ce dernier l’ayant perdu, ne peut le secourir.
Et ceux-ci ne manquent pas entre Casa et Dakar. Les
avions, toujours les mêmes, sont mis à encore plus rude
épreuve, avec le sable et la canicule. Les vents sont encore
plus violents qu’en Espagne, vents de sable, cyclones, la
brume épaisse monte des eaux surchauffées de l’océan. Et
au sol, aucun repère. Les pannes sont nombreuses, et elles
condamnent le pilote à affronter le désert, le sable, la
chaleur, la soif, et les Touaregs qui massacrent ou capturent
les hommes pour exiger une rançon.
Deux vues de Cap Juby
Lui-même ne sait exactement où il se trouve. Il se met en
marche avec l’interprète qui l’accompagne, espérant se
rapprocher de Juby. Ils errent en vain à travers le désert
puis reviennent à l’avion, où il rempli sa gourde vide avec
l’eau acide et rouillée du radiateur. Il repart seul le
lendemain et est finalement fait prisonnier juste avant de
mourir de soif. Il va être trimbalé ainsi pendant près d’un
La Ligne entre Casablanca et Dakar
9
mois avant de pouvoir enfin être racheté par Latécoère. De
congés en juillet, il rejoint sa mère à Lille. Mais sa captivité
dans le désert l’a gravement marqué. Ses sinus et ses
tympans ont été gravement endommagés par le sable et
Mermoz doit être opéré en urgence pour éviter un abcès au
cerveau. Puis il doit encore suivre un traitement rigoureux
pour éviter de perdre l’ouïe et, par conséquence, le droit de
voler. Mais de retour à Casa, il retrouve santé et énergie en
retrouvant les commandes de son avion.
Mermoz, en font un véritable héros national. Mais il
n'apprécie pas du tout ce tapage médiatique autour de lui,
alors qu’il n’a fait pour ces pilotes que ce que tous les
pilotes de la Ligne font régulièrement pour eux-mêmes
A nouveau, il envisage de quitter la Ligne où il a déjà fait
deux mille heures de vol. Diverses propositions qui lui sont
faites le font rêver. Mais il est surtout fait pour la grande
aventure. Après la victoire de Lindbergh en mai 1927, il
contacte constructeurs et lignes aériennes, leur demandant
Mermoz séjourne souvent à Juby, dans la baraque en tôles
de lui confier un appareil pour réitérer l’exploit dont il se
que Latécoère a fait construire dans l’enceinte du fort
sent capable. Mais la France, qui vient de perdre Nungesser
pénitentiaire espagnol perdu entre désert et océan et protégé et Coli, n’est pas prête.
par une enceinte de barbelés. C’est là que le courrier change
d’avion entre Casa et Dakar. Il y côtoie les mécanos qui,
En août, Daurat, qui prépare le prolongement de la Ligne en
eux, y séjournent deux ans. Il y a apprivoisé une gazelle et
Amérique du Sud, le contraint d’accepter le poste de chef
une guenon qui vole parfois avec lui. Et puis il y a le chef
d’aéroplace à Agadir. Après quelques semaines de stage
d’aéroplace : St-Exupéry.
puis de congés à Lille, il revient à Toulouse pour
Mermoz et lui deviennent des amis intimes, même s’ils
réceptionner les nouveaux avions des usines Latécoère, les
attendront dix ans avant de se tutoyer. Chacun apprécie les Laté 25 et 26, qui vont enfin permettre à la Ligne de se
qualités si fortes de l’autre, et Jean deviendra le premier
moderniser. Pour frapper l’opinion, Latécoère décide de
auditeur du premier livre que St-Ex écrit au milieu de ce
confier à Mermoz et à Néguin, son pilote d’essais habituel,
désert où il aime à méditer : Courrier Sud.
un raid sans précédent pour relier, sans escales, Toulouse à
St-Louis du Sénégal.
Le Laté 26 à St-Louis du Sénégal.
Il était équipé d’un moteur Renault de 450 ch lui
permettant d’emporter 800 kg de charge utile à 188 km/h
sur environ 700 km. Outre ses deux hommes d’équipage,
il pouvait emporter deux passagers en soute. Il sera
construit à 90 exemplaires.
Antoine de Saint-Exupéry à Cap Juby, en 1928
Fin 1926, la mort tragique de trois de ses camarades,
Erable, Gourp et le mécanicien Pintado, tués par les
Maures, le touche énormément, d’autant qu’il aurait dû être
à la place d’Erable, dont les restes, avec ceux de Pintado, ne
pourront jamais être récupérés. Le jour de ses vingt-cinq
ans, il écrit à sa mère : « Comme l’existence est brève. On
n’a pas beaucoup le temps d’être jeune vraiment. »
Puis, ce sont deux pilotes uruguayens qui entreprennent la
première traversée de l'Atlantique sud ; mais leur hydravion
disparaît en mer. Mermoz participe aux missions de
recherche et de sauvetage, qui passionnent les foules et
attirent la presse du monde entier sur les côtes africaines.
C’est lui qui retrouve l’épave de l’appareil. Les pilotes sont
ensuite retrouvés aux mains des Maures et rachetés. Les
journalistes, en France comme en Amérique du Sud,
impressionnés par le charisme et le courage de Jean
Or, à la même époque, Costes et Le Brix préparent, eux,
l’exploit de la première traversée de l’Atlantique sud, de StLouis à Natal, sur un Breguet 19. Latécoère décide
secrètement de faire décoller ses pilotes de Toulouse en
même temps que Costes et Le Brix pour qu’ils tentent de
les devancer à St-Louis. Mais Mermoz est décidé, lui, à les
« griller » aussi sur l’Atlantique, avec l’accord de Néguin et
l’approbation officieuse de Daurat. Hélas, alors qu’ils
réussissent la partie officielle de leur mission en se posant
au Sénégal deux heures avant leurs concurrents, ils y
abiment leur hélice, s’interdisant ainsi de repartir au-dessus
de l’océan.
Costes et Le Brix entrent dans l’histoire le 15 octobre 1927.
10
Mermoz, lui, ramène l’avion en France, puis l’embarque sur
un bateau à destination du Brésil dès le 7 novembre.
Là-bas, la Ligne, qui a été rachetée par l’industriel Marcel
Bouilloux-Laffont, vient de décrocher la concession du
service postal avec le Chili et l’Argentine. La Ligne devient
« l’Aéropostale ». Dès janvier 1928, d’anciens avisos de la
Marine vont assurer la partie maritime du trajet que les
avions ne peuvent encore assurer. Mais en Amérique du
sud, elle n’a ni terrains, ni matériels, ni équipages. Pour
développer tout cela, il faut un chef, un homme compétent,
courageux, aimé et obéi, et qui représente la France. Pour
Daurat, un seul homme convient : Mermoz.
Celui-ci débarque donc à Rio le 28 novembre 1927 et
accepte, à contrecœur, le poste de « Chef-Pilote ».
Les escales entre Natal et Rio ont déjà été préparées par les
« anciens », comme Vachet, Hamm et Lafay, et le courrier
y circule déjà. Mais il reste à Mermoz à mettre en place
tous les aérodromes entre Rio et Buenos Aires, à engager
les pilotes et les mécaniciens, et à négocier l’administration
de l’ensemble avec les autorités argentines. Et c’est pour
réussir la tâche pour laquelle il a accepté de s’engager que
Jean le timide, à 26 ans, va changer de caractère et devenir
le patron inflexible auquel les vieux pilotes obéissent
spontanément.
diplomatiques de la compagnie avec les autorités des
différents pays survolés, il assure lui-même sa part des
heures de vol dont il ne peut se passer. La route est encore
plus difficile qu’en Afrique ; si les Maures ne sont plus à
redouter, la météo tropicale étouffante gène encore plus le
pilotage et malmène les moteurs. Sur une grande partie de
la route, les pilotes ne disposent en cas de panne que de
courtes plages entre d’immenses étendues de forêt vierge.
Entre Santos et Rio, où la forêt descend jusqu’à la mer et
recouvre une foule d’îlots rocheux, il n’y a plus aucun
terrain de secours. « Bref, ce sont deux heures magnifiques
et angoissantes à passer. C’est merveilleusement beau,
mais la panne est scabreuse. »
Mermoz veut encore améliorer
l’efficacité de la Ligne pour contrer
les concurrents Américains et
Allemands (Zeppelins) qui essayent
aussi de s’installer sur le marché
postal. Il veut joindre Buenos Aires
à Rio dans l’espace d’une journée.
Or, avec la vitesse de ses avions,
c’est impossible, sauf à voler la nuit,
ce qui est aussi impossible en
théorie. Certes, des escadrilles de
bombardement de nuit existent déjà,
Dès le début de 1928, sa hiérarchie lui donne carte blanche
en constatant l’excellence de son travail. Un travail qui,
pourtant, lui pèse beaucoup. En deux mois, il n’a volé
qu’une seule fois. Et il va devoir attendre encore.
mais elles ne volent que sur des distances courtes, dans de
bonnes conditions météo, et depuis des aérodromes
spécialement adaptés. Rien à voir avec les conditions de la
Ligne.
Jean a déjà volé de nuit. Il est responsable de son tronçon. Il
Aussi, lorsqu’enfin, le 1er mars 1928, tout est prêt pour faire prend donc seul la décision et le risque. Le 16 avril, il
partir le premier courrier aérien de Buenos Aires vers la
décolle de Rio au début de la nuit et se pose au milieu de la
France, il tient à en assurer la première part, à marquer le
nuit suivante à Buenos Aires, après s’être posé de nuit à
début de cette nouvelle ligne de son empreinte. Il effectue
Santos et au crépuscule à Montevideo. Pour l’aider,
donc lui-même la première étape, de Buenos Aires à Rio.
toujours pas de radio, de balises ou de phare. Juste, sur les
Hélas, une fuite d’eau l’oblige à se poser peu après
pistes, trois feux d’essence disposés en triangle. Sûr de lui,
Montevideo pour réparer, et le courrier n’arrive que le
il a emmené dans l’appareil deux journalistes qui câblent le
lendemain midi à Rio. Mais la nouvelle ligne est lancée.
succès de l’opération dès leur arrivée. Le monde entier
Mermoz règne maintenant sur une armada de secrétaires,
s’enthousiasme d’abord. Puis les concurrents critiquent. Il
vingt mécanos, six pilotes, des ingénieurs … En plus
l’a fait une fois, par de bonnes conditions météo, mais il ne
d’administrer tout ce monde et de continuer à graisser les
pourra pas le faire régulièrement. Mais on n’arrête pas
rouages de l’ensemble en assurant les relations
Mermoz en le critiquant. Il continue et trouve tous ses
11
terrains par tous les temps. Alors, ses camarades pilotes et
leurs épouses lui demandent d’arrêter de prendre ces
risques. « Tu es libre de te tuer. Mais si tu continues, on
nous demandera de faire comme toi. » « Personne ne vous
forcera. » « Mais tu sais bien qu’on ne se dégonflera pas. »
« Ça vous regarde ! » Et effectivement, tous les pilotes
vont vaincre leur peur de la nuit, et tous vont trouver les
terrains dans le noir et sous la pluie, sans même savoir
comment. C’est ça, l’effet Mermoz !
Et le courrier ne met plus que 48 heures pour aller de
Buenos Aires à Natal (environ 4 500 km). Daurat obtient
qu’il en soit de même entre Dakar et Toulouse. Quatre jours
de vol seulement ! Oui mais, de Natal à Dakar, les avisos
poussifs mis à la disposition de la Ligne mettent jusqu’à dix
jours pour traverser les 3 000 km d’océan. Quatorze jours
en tout, c’est à peine moins que ce que faisait le courrier
ordinaire à bord de paquebots rapides. Mermoz est sûr
qu’un bon avion pourrait traverser en 24 heures maxi. Mais
cet avion n’est pas encore disponible…
Au début de 1929, le fonctionnement des avisos ayant été
amélioré, et une partie du trajet, entre Natal et l’île de
Noronha, étant confiée à des hydravions, la traversée
maritime prend moins de quatre jours. Les contrats avec les
gouvernements sont respectés et la charge de courrier
progresse régulièrement. Tout va bien pour l’Aéropostale.
Trop bien pour Mermoz qui ne s’exalte que dans la lutte. Il
continue à se battre en vain pour qu’on lui permette de
traverser l’océan en avion. L’État Français lui interdit
même de tenter la traversée Paris-New-York qui pourrait
redonner à l’aéronautique française la place qui lui revient.
Le développement de l’Aéropostale doit, maintenant que le
trajet Toulouse – Buenos Aires tourne rondement, se
continuer vers le Pacifique pour respecter la concession
passée avec le Chili. Mais pour cela, Mermoz doit trouver
un passage à travers la Cordillère des Andes, dont les
sommets s’étagent entre 3 000 et 7 000 m. Le train passe
déjà, en dehors de l’hiver, et trois pilotes, dont Adrienne
Bolland (voir Aérocic n°53, nov. 2011), ont déjà réussi
l’exploit. Mais le faire régulièrement et par le chemin le
plus court, c’est une autre histoire.
En attendant, il faut continuer à développer la Ligne vers
l’ouest. En août 1928, Mermoz s’envole avec son nouveau
mécanicien volant Alexandre Collenot et avec Julien
Pranville, le directeur de l’Aéropostale pour l’Amérique du
sud, devenu son ami. Ils partent pour un vol de
reconnaissance vers la Bolivie avec retour par le Paraguay.
Lors du vol retour, Collenot est inquiet car il n’a trouvé en
Bolivie que de la mauvaise huile. Et de fait, le moteur serre
au-dessus de la jungle. Mermoz réussit à se poser dans une
clairière. A quelques heures de marche, ils trouvent un
village indien d’où un guide les amène jusqu’à une usine
allemande de tanin protégée par un fortin Paraguayen. Mais
comme ils arrivent de Bolivie, contre laquelle le Paraguay
se prépare à la guerre, ils sont arrêtés comme espions.
Heureusement, le directeur argentin de l’usine reconnaît
Mermoz. Il lui faudra cinq jours pour rejoindre la capitale
Asuncion et contacter Buenos Aires, trois jours pour y
recevoir un nouveau moteur, une semaine pour le ramener
dans la jungle jusqu’à l’avion, et encore cinq jours de
travail (Mermoz aidera à abattre 150 palmiers pour dégager
une piste de décollage) pour que l’avion puisse enfin
redécoller et rentrer en Argentine.
Vue d’artiste du Laté 25 au-dessus de la Cordillère
Le 28 février 29, Mermoz quitte l’Argentine avec Collenot
et le Comte de La Vaulx, président de la Fédération
Aéronautique Internationale. Il pilote un Laté 25 modifié
pour porter son plafond de 3 000 à 4 200 m. Il peut ainsi
traverser la chaîne montagneuse à Conception où elle
s’élève à 3 000 m. Il s’y présente le 2 mars et, cette fois
encore, au-dessus de la montagne, il doit faire face à une
panne subite. D’instinct, il pose son appareil en planant sur
1er janvier 1929, le Laté 25 de Léonardo Selvetti réalise le
premier vol postal au départ d’Asuncion
12
une bande de granit à peu près plate, d’environ 6 mètres de
large sur 300 de long. Mais la pente est plus forte que
prévue, et Mermoz comprend que l’appareil ne s’arrêtera
pas avant le ravin. Il saute alors au sol et vient s’arcbouter
devant le train pour le stopper. Après 1 h 30 de réparation,
Mermoz lance son appareil dans le vide et continue le vol
comme prévu jusqu’à Santiago du Chili.
et saute dans la cabine. Mermoz lance l’avion, mais rien
n’est encore gagné. L’avion est à son plafond. Il ne peut
s’élever et devra plonger au bout de la plateforme. Mermoz
le sait. Il a repéré sa trajectoire.
Le Laté 25 n°603 de l’aventure ci-dessus a été remis en
état et est conservé religieusement par les Argentins au
Musée National de l’Aviation de Buenos Aires
Contrairement au Laté 26, le 25 dispose d’une cabine
pour quatre passagers, mais comme pour lui, son pilote
reste à l’air libre !
Fresque dessinée sur le mur du musée Jean Salis à La
Ferté Alais ; on y voit Mermoz stoppant son avion au bord Il va devoir plonger vers une nouvelle plateforme quelques
du gouffre
mètres plus bas, y rebondir à l’endroit précis où elle est
plate puis plonger à nouveau vers une seconde plateforme
Pour le retour, le 09 mars et sans le Comte, Mermoz veut
et y rebondir à nouveau avant d’enfin plonger dans la
trouver un autre passage, moins sûr mais plus direct et plus vallée. Ayant alors pris assez de vitesse, il peut contrôler
rapide. Il passe par Copiapo. Là, la cordillère ne descend
son avion, retrouver un courant ascendant et repasser de
pas plus bas que 4 500 m. Il lui en manque 300. Alors il
l’autre côté pour revenir au point de départ, Copiapo, où
cherche un courant ascendant qui puisse l’aider. Il finit par ceux qui les voient sortir de l’avion ne peuvent les
le trouver et franchit une passe. Mais alors qu’il jubile, il est reconnaître.
happé par le rabattant de l’autre versant et son avion est
Pendant ces trois jours, on l’a cru mort. La Cordillère ne
plaqué au sol. Il réussit à poser son appareil mais celui-ci
rend jamais ceux qu’elle a pris. On vérifie ses dires en
est gravement endommagé. Mermoz et Collenot sont à
allant rechercher les éléments abandonnés de l’avion.
4 200 m, par -15°, sans vêtements chauds et sans
Mermoz devient un demi-dieu pour les populations locales.
provisions. Ils partent aussitôt à pied pour le Chili. Mais
une heure plus tard, ils n’ont fait que 500 mètres dans la
A partir d’avril, Mermoz reçoit des Potez 25 pour affronter
montagne. Mermoz s’adresse alors à Collenot : « Il faut
les Andes. Il peut monter à 6 000 m et, désormais, la Ligne
réparer le taxi ! » « Je vais essayer, Monsieur Mermoz. »
peut passer tout droit de Mendoza à Santiago.
Ils retournent à l’avion. La queue est abimée, la béquille
arrachée, le train faussé, le moteur a pris un choc. Collenot
a ses outils mais pas de pièces de rechange. Il va utiliser les
pièces non essentielles pour réparer les pièces essentielles,
et puis de la ficelle, du fil de fer et des chiffons. Mais il va
falloir deux jours et deux nuits, sans manger autre chose
que de la neige et en se reposant un peu la nuit tassés dans
la cabine, pour « bricoler » l’appareil et qu’il puisse
repartir. L’avion est délesté de tout le superflu et hissé
jusqu’en haut de la pente où il s’est posé (soit sur 500 m,
alors qu’il pèse encore deux tonnes et qu’ils n’ont rien
mangé depuis deux jours). Cela prend encore plusieurs
heures. Mermoz doit encore sacrifier son cuir pour colmater
les fuites du circuit d’eau qui a explosé lors d’un essai. Le
Le Potez 25 au-dessus de la Cordillère
moteur est lancé. Collenot retire les pierres servant de cales
13
Mermoz étudie l’itinéraire avec Collenot. Dans leur cockpit l’importance pour Latécoère et la France ne lui permet pas
ouvert, ils affrontent la pression atmosphérique et la
de prendre les risques qu’il prenait pour le courrier.
température (jusqu’à -40°) qui règnent là-haut, les orages et
la neige. Le travail terminé, il confie la ligne à Guillaumet
qui, un an plus tard, y connaîtra lui aussi une épopée
extraordinaire.
Le Laté 28 peut emporter 8 passagers à plus de 200 km/h
et sur plus de 4 000 km
Il devra attendre jusqu’en mai 1930 pour que l’avion soit
parfaitement au point, et que la lune soit pleine. En effet, la
traversée durant près d’une journée, une partie du voyage se
fera de nuit et, en cas de panne, il sera essentiel qu’il voie la
mer pour s’y poser. Pendant la préparation, il bat le record
de distance en circuit fermé pour un hydravion en volant
sur 4 308 km en 30 heures et 25 minutes !
Il a tenu à baptiser son avion « Comte de la Vaulx ». Ce
dernier est mort quelques mois plus tôt dans un accident
d’avion aux USA.
L’équipage est constitué de Mermoz, pilote, Gimié, radio
Le Potez 25 de Guillaumet fut récupéré après son accident (enfin !) et Dabry, navigateur. En plus, il emmène Daurat
jusqu’à St-Louis ; ce dernier souhaite voir comment l’avion
Il ouvre ensuite la ligne vers Asuncion, qu’il confie à
se comportera face aux climats et aux aménagements
Reine, puis celle vers la Patagonie et la Terre de Feu, où il
sommaires où il sera affecté si le raid réussit. Car, plus
découvre des vents capables d’immobiliser son avion en
qu’un exploit, la mission doit permettre de remplacer les
l’air à pleine puissance. Celle-ci sera pour St-Ex, qui vient
avisos et de gagner encore trois jours pour le courrier.
de le rejoindre.
Mermoz découvre avec beaucoup de plaisir le vol en
équipage.
C’est à cette époque qu’il rencontre l’amour en la personne
de Gilberte Chazottes, française vivant en Argentine. La vie Le 12 mai, il charge les 130 kg du courrier à St-Louis et
de couple étant incompatible avec sa vie risquée, il hésite
lance les cinq tonnes et demie de l’appareil sur la longue
longtemps avant de succomber à l’idée du mariage et de
piste que forme le fleuve Sénégal. L’avion peine à
promettre de se ranger. Mais il ne tiendra jamais parole…
s’arracher de l’eau. Ils volent ensuite à 200 m d’altitude.
Deux avisos sont ancrés à 1 000 km des points de départ et
Le 20 janvier 1930, il rentre en France, fiancé mais seul. Il d’arrivée, partageant la traversée en trois parts égales, pour
rêve toujours de traverser l’Atlantique, mais le décret
pouvoir les secourir en cas de panne. Mais il est loin des
interdisant en France cette tentative avec un avion terrestre deux lorsqu’à mi-parcours, à la tombée du jour, il pénètre
est toujours d’actualité. « Puisque l’avion est défendu,
dans l’enfer du « pot-au-noir », où il n’a plus aucune
pourquoi ne pas utiliser l’hydravion ? Je ne connais pas la visibilité, où les vents changent de sens et d’intensité à tout
manœuvre ? J’apprendrais. » Or justement, il avait essayé moment, où l’air qui pénètre dans la cabine est brûlant au
fin 1929 le tout nouveau Laté 28. Il avait convaincu
point que les trois hommes sont torse nus. Il vole si bas que
Bouilloux-Laffont que, équipé de flotteurs, cet avion très
lorsqu’enfin il en ressort, après plus de trois heures de
sûr et très performant, pouvait assurer la partie maritime de combat, Gimié, pour rétablir les liaisons radio qui étaient
la Ligne. Restait à Latécoère à faire les modifications.
impossibles dans l’orage, doit changer l’antenne de sa radio
Mermoz rejoint Toulouse, passe son brevet d’hydravion de qui a été arrachée par une vague.
transport public, et prépare avec minutie un raid dont
14
Le Bernard 80 G.R. Tango ; le point noir visible audessus du fuselage, à la hauteur de la verrière latérale,
c’est la tête du pilote. Pour les manœuvres au sol, pour
voir devant, il rehaussait son siège et sortait la tête par un
trappe.
Vue d’artiste du « Comte de la Vaulx »
L’avion, prêt, Mermoz commence par établir du 30 mars au
02 avril 1931 un record de distance en circuit fermé en
volant plus de 59 heures (8 960 km). Mais la faillite de
Bernard ne lui permettra pas de finaliser le raid.
Le soleil est déjà haut lorsqu’après vingt-et-une heures de
vol, Mermoz se pose à Natal (au total, le courrier aura mis 4
jours et 4 heures pour rallier Toulouse à Santiago).
Après des semaines de représentations officielles et de
révision de l’appareil, Mermoz et ses coéquipiers
embarquent le 8 juin le courrier pour un vol retour vers
l’Afrique. Mais sous la latitude brésilienne et sans vent
favorable, l’avion refuse de décoller. Le Rio Potingui est
trop court ! Mermoz tentera 35 fois en 2 jours de sortir
l’avion de l’eau, mais sans succès. Le courrier partira
finalement par la mer. Mermoz refuse l’idée de ramener
l’avion en bateau. Il cherche et trouve un autre plan d’eau
plus favorable. La nouvelle base sera la lagune de Bonfim,
à 50 km. Mais entre-temps, le Ministère de l’Air exige par
câble le renforcement des flotteurs. Le temps de faire les
modifications et d’attendre la prochaine lune, ce n’est que
le 9 juillet, après, faute de vent, 17 tentatives, qu’il réussit à
décoller le « Comte de la Vaulx ». Enfin libéré, Mermoz
affronte à nouveau le pot-au-noir et remarque à peine
quelques gouttes d’huile qui viennent s’écraser sur son
pare-brise. Ce n’est qu’au sortir de la nuit qu’il constate les
dégâts. Les vitres sont complètement obscurcies par l’huile
qui fuit du moteur. Mermoz contacte l’aviso qui se trouve à
une centaine de kilomètres en avant. Malgré la mer
démontée, il réussit son amerrissage de fortune près du
navire et peut y transférer le courrier et ses hommes avant
que le Laté 28 ne coule…
Mermoz devant le Bernard 80 GR
Par ailleurs, l’Aéropostale est alors menacée de faillite,
comme tout l’empire de Bouilloux-Laffont, qui ne se remet
pas de la grande crise mondiale. Mermoz joue de sa
notoriété et se débat dans toute la société (civile, financière
et politique) pour soutenir son employeur.
Or, en 1932, René Couzinet qui, depuis 1927, joue de
En août, il épouse enfin Gilberte, mais sept jours plus tard, malchance dans la construction et la mise au point de son
trimoteur « l’Arc-en-Ciel », cherche à réaliser un raid qui
alors qu’il teste une nouvelle version du Laté 28 capable
d’emporter plus de carburant, son appareil se déchire en vol lui donnerait une notoriété suffisante pour trouver les fonds
et il ne doit la vie qu’au parachute qu’il avait, pour une fois, qui lui manquent. Il propose à Raoul Dautry, qui a été
nommé liquidateur de l’Aéropostale, de faire une liaison
accepté de porter.
En octobre, tout en continuant à travailler à la mise au point totale France-Amérique du Sud avec son avion. On confie
la mission à Mermoz qui, à cette occasion, fait la
de nouveaux hydravions pour l’Aéropostale, il rencontre
Adolphe Bernard, le constructeur de l’avion qui, un an plus connaissance du constructeur qui va devenir son ami
(Couzinet épousera même, plus tard, la veuve de Mermoz).
tôt, a permis à Assolant de traverser l’Atlantique dans le
Avec Couzinet à bord et quatre hommes d’équipage
même sens de Lindbergh. Ensemble, ils lancent la
(copilote, mécanicien, navigateur et radio), Mermoz quitte
préparation d’une traversée en sens inverse, à bord du
le Bourget le 07 janvier 1933, puis Istres le 12 janvier pour
Bernard 80, un avion de record à l’aérodynamique
particulièrement soignée que le constructeur est en train de se poser à St-Louis le 13 après une halte imprévue à PortEtienne, suite à la perte d’une vitre latérale du cockpit.
mettre au point.
15
Cette maquette montre bien la forme caractéristique du
fuselage en arc avec la dérive intégrée. Par contre, les
karmans volumineux, les hublots arrondis et les « oreilles
de cochon » sur le stabilisateur sont des modifications
datant de fin 1933.
Mermoz à gauche, au centre René Couzinet, constructeur,
et à droite Carretier, le co-pilote, devant l’Arc-en-Ciel
La pluie ayant détrempé la piste de terre, le départ pour le
Brésil est reporté jusqu’au 16 janvier. L’avion décolle à
04 h 50. En début d’après-midi, Mermoz retrouve le « potCaractéristiques Techniques de
au-noir », et pendant près de deux heures il doit voler sous
« l’Arc-en-ciel »
la couche, à moins de 100 m d’altitude. A 19 h 20, l’avion
se pose à Natal. Le vol a duré 14 h 30, à la vitesse moyenne
Longueur :
16 m 20
d’environ 230 km/h.
Envergure :
30 m
Hauteur :
4 m 03
Masse à vide :
7 310 kg
Masse maxi :
16 790 kg,
dont 8,5 tonnes de combustibles, et
600 kg de charge marchande
Vitesse de croisière :
236 km/h
Autonomie :
sup à 4 000 km
Motorisation :
3 moteurs V12 Hispano-Suiza de
36 litres de cylindrée et de 650 ch,
consommant au décollage 235 litres
à l’heure (chacun !)
Le Couzinet 70 à Rio. Admirez l’état du tarmac …
Le retour ne s’effectuera que le 15 mai, car si l’aérodrome
de Natal était suffisant pour se poser avec des réservoirs
vides, l’état de sa piste ne permet plus à l’avion de décoller
à pleine charge et des travaux doivent être faits.
Le dernier tiers de la traversée se fera sur seulement deux
moteurs, une fuite d’eau n’ayant pu être réparée malgré
l’accès possible en vol aux moteurs.
Dessin Claude Faix.
Pour tout savoir sur les Couzinet, je vous
recommande son étude très complète :
http://www.hydroretro.net/etudegh/arc-en-ciel_atlantique_vol1.pdf et
http://www.hydroretro.net/etudegh/arc-en-ciel_atlantique_vol2.pdf
16
La renommée de Mermoz s’étend encore. Les populations,
française mais aussi du Maghreb, de l’Amérique du Sud et
d’ailleurs, l’idolâtrent et vantent son humanité, sa modestie
et sa simplicité. C’est semble-t-il à cette époque qu’on
commence à le surnommer « l’archange », sans que j’aie pu
trouver l’origine exacte de ce surnom qui va lui rester dans
la postérité. Pourtant, son caractère change, car il accumule
depuis de nombreuses années les déceptions dans la lutte
qu’il mène contre la politique et la bureaucratie pour
« sauver l’aviation française ». Il sent qu’il doit faire
quelque chose, mais la politique représente tout ce qu’il
combat. Or l’association d’anciens combattants « les Croix
de feu » se propose justement de rétablir le rayonnement de
la France et de redonner du travail aux chômeurs sans faire
de politique. Il les rejoint et, s’impliquant à fond dans cette
nouvelle démarche, en gravit les échelons jusqu’aux
instances dirigeantes alors même que l’association
deviendra un parti politique, nationaliste mais se voulant
social, et qualifié par beaucoup d’extrémiste et de droite.
De retour au Bourget le 21 mai, et malgré un voyage
émaillé de nombreuses pannes, Mermoz, Couzinet et l’Arcen-ciel sont acclamés et félicités. Mais c’est l’époque de la
fusion de toutes les compagnies aériennes privées dans une
seule compagnie publique nationale, et la mise en service
d’un nouvel appareil n’est pas d’actualité, et ce, malgré les
efforts des concurrents allemands et américains qui
reprennent à la France toute l’avance que Latécoère,
Bouilloux-Laffont, Daurat, Mermoz et tant d’autres lui
avaient donnée. Au contraire, alors qu’Air France nomme
Mermoz « Chef pilote » de la ligne en Amérique, elle
décide de sous-traiter la liaison maritime à la Lufthansa, qui
effectue déjà cette traversée au moyen d’hydravions
ravitaillés et relancés à mi-parcours par un bateaucatapulteur. Mermoz, en rage, s’élève contre cette
« trahison ». Ses demandes politiques n’aboutissant pas, il
alerte la presse et début 1934, le nouveau ministre de l’air
renonce à ratifier cet accord. Il se relance dans la bataille et
assurera encore cette année-là trois autres traversées A/R
sur l’Arc-en-ciel.
En avril 1935, il est nommé inspecteur général d’Air
France. En août, il se sépare de son épouse, qui ne peut
décidément plus supporter sa vie d’aviateur, d’autant que,
avec les encouragements de Mermoz, son jeune frère a
choisi lui aussi de devenir pilote militaire mais s’est tué
dans un accident avant même la fin de sa formation.
En décembre, sa bataille est définitivement mais
partiellement gagnée. Le courrier est bien régulièrement
acheminé par des avions d’Air France entre Dakar et Natal.
Mais ce ne sont pas des avions terrestres comme le
Couzinet, qu’il n’a pas réussi à imposer, mais de lourds
hydravions comme le Laté 301 « Croix du Sud ».
En février 1936, à la suite d’émeutes anti-gouvernementales
auxquelles elles ont participé, et malgré que leur attitude ait
empêché les autres manifestants d’envahir l’Assemblée
Nationale, les Croix de feu sont dissoutes par le Front
Populaire. Leur dirigeant, le Colonel de la Rocque, fonde
en juillet le Parti Social Français, sorte de parti social de
droite, dont Mermoz devient aussitôt le vice-président, ce
qui lui vaudra de nombreuses marques d’hostilité.
En novembre, Air France l’envoie en mission en Amérique
du Sud. Le Laté 301 « Ville de Buenos Aires » s’était
écrasé en mer en février, provoquant la mort de son
équipage dont l’ancien mécanicien de Mermoz, Collenot.
Depuis, l’avion avait mauvaise presse parmi les équipages.
Mermoz devait, en faisant la Ligne à bord d’un appareil de
ce type, montrer qu’il lui accordait sa confiance. Pour
retrouver Couzinet à Rio, il reporte son voyage au 6
décembre. Il arrive à Dakar en passager d’un Dewoitine le 7
vers deux heures. Guillaumet l’attend pour l’emmener
jusqu’à l’hydravion. Mermoz décolle vers quatre heures du
matin avec à son côté Alexandre Pichodou, qu’il a fait
réveiller car il ne souhaitait pas avoir à ses côtés le trop
jeune pilote normalement prévu pour la mission,
« Je n'ai rien à désirer. Je vais, sans faiblir, mon chemin,
lequel m'apparaît comme une ligne droite, impeccable, de
laquelle je ne voudrais pour rien au monde m'écarter.
L'existence que j'ai me paraît toute simple, toute
merveilleuse à vivre, parce qu'elle est celle que j'avais
choisie en moi-même depuis toujours. »
17
Edgar Cruvelhier à la radio, Henri Ezan à la navigation et Jean Lavidalie comme
mécanicien.
A six heures, il est de retour à Dakar car l’hélice à pas variable d’un des quatre
moteurs ne fonctionne pas bien. Aucun autre avion n’étant immédiatement
disponible, il fait réparer rapidement l’hélice et redécolle vers sept heures. Les
messages « T.V.B. » (Tout Va Bien) du radio indiquent régulièrement que le
vol est normal, jusqu’au message de 10 h 47 qui s’interrompt brusquement
après ces mots : « Coupons moteur arrière droit ».
On ne retrouvera jamais aucune trace de l’avion ni de ses occupants. Mermoz
aurait eu 35 ans deux jours plus tard…
Avec 8 200 heures de vol, déjà Commandeur de la Légion d’Honneur, il reçoit
le 30 décembre 1936 un vibrant hommage du Ministre le l'Air socialiste Pierre
Cot aux Invalides et est cité à l'Ordre de la Nation.
" Je ne voudrais mourir qu'en
avion "
L'hydravion Laté 301 " Croix du Sud", à bord duquel Mermoz disparait le
7 décembre 1936.
Caractéristiques Techniques du
« Croix du Sud »
Longueur :
Envergure :
Hauteur :
Masse à vide :
Masse maxi :
26 m 20
44 m 20
6 m 50
11 300 kg
23 000 kg, dont 600 kg
de charge marchande
Vitesse de croisière : 180 km/h
Autonomie :
4 800 km
Motorisation :
4 moteurs V12 Hispano
Suiza de 36 litres de
cylindrée et de 650 ch,
montés en deux blocs
« Push-Pull »
18
Junkers F-13
Cette photo, trouvée sur le site du Musée
de l’Air, m’a tout de suite interpellé, tant la
disposition de ce cockpit, avec deux pilotes
à l’air libre, côte à côte, à l’avant d’une
cabine fermée sur un avion métallique, est
originale. Renseignements pris, il s’agit
d’un Junkers F.13, premier avion de
transport civil entièrement métallique.
Premier avion de transport tout métal de Junkers à connaître le stade de la production en grande série, le F-13 fut pendant
plus de dix ans l'un des appareils commerciaux les plus utilisés sur les réseaux aériens d'Europe et d'Amérique du Sud.
Ses remarquables qualités de vol ainsi que sa robustesse lui permirent d'assurer le succès d'une firme qui, dès la fin de la
Première Guerre mondiale, s'était résolument décidée à jouer la carte du transport civil.
Le 25 juin 1919, le prototype du F-13 effectuait ses premiers essais. Par suite des restrictions formulées par la commission
de contrôle interalliée qui avait dû reconnaître la vocation purement civile de l’appareil, la puissance du moteur fût limitée
à 185 ch pour tous les exemplaires construits en Allemagne. Mais très vite, il fit l'objet de développements successifs. Son
envergure fut portée à 17,75 m, et sa structure renforcée pour permettre l'installation de moteurs plus puissants (jusqu’à
360 ch) et l'emport de charges plus importantes. Le modèle initial connut en fait près de soixante-dix variantes.
Le F-13 fut doté, suivant les besoins, de roues, de flotteurs ou de skis. L'empennage subit, lui aussi, plusieurs
modifications, et certains exemplaires furent en outre équipés de cockpits fermés. Les dernières versions accusèrent un
poids au décollage voisin de 3 000 kg, soit environ le double de la version originale. Le plafond initial, fixé à 5 000 m, fut
augmenté sur les appareils de série; la vitesse maximale passa de 173 km/h à plus de 200 km/h, tandis que la distance
franchissable était portée de 700 km à 950 km.
En 1921, la production enregistra une augmentation considérable. Cette année-là, en effet, Junkers créa sa propre ligne
aérienne de transport, la Junkers Luftverkehr, et
favorisa en outre l'essor de nouvelles compagnies
en leur accordant des facilités de paiement pour
ses appareils. En 1925, la Junkers Luftverkehr
utilisait 178 appareils, des F-13 pour la plupart. En
1926, lorsque la compagnie fut dissoute,
281 748 passagers avaient emprunté ses lignes
pour couvrir près de 15 millions de kilomètres.
Le F-13 fut construit à plus de 330 exemplaires, un
nombre très important pour l'époque.
19
Cette photo montre bien l’aménagement de l’espace passagers du F-13 : une banquette arrière et deux sièges en avant de
la porte d’accès. Il n’existait pas de porte de communication avec le cockpit, juste un hublot carré. Les pilotes accédaient
donc à leurs sièges par les ouvertures au-dessus.
20
L’instrumentation du F-13 était d’une redoutable simplicité pour un avion de ligne !
SECURITE AERIENNE
De bons chiffres en 2013 !
Bonne nouvelle ! Voici, ci-contre, un (très court) article lu dans Air & Cosmos, qui nous
informe que 2013 a été une très bonne année, en matière d’accidentologie, par rapport à
la moyenne des 10 dernières années. Un tiers en moins d’accidents, et deux tiers en
moins de victimes. Espérons que ce ne sera pas une année exceptionnelle mais le signe
d’une tendance.
HUMOUR
Mehdorn contre Mehdorn
Le procès opposant la compagnie Air Berlin à la société gérant le futur aéroport de Berlin
devrait s’ouvrir cette année. La compagnie a en effet porté plainte en 2012 contre cette
société, car les innombrables retards dans l’ouverture de cette nouvelle infrastructure ont
entraîné pour elle un énorme manque à gagner.
Où est l’humour dans tout cela ? C’est Mr Hartmut Mehdorn, alors PDG d’Air Berlin, qui a
déposé la plainte. Or, il est devenu depuis PDG de la partie adverse !
Heureusement qu’il doit avoir de bons avocats pour se défendre contre lui-même…
21
Fête Aérienne du Centenaire de la Grande Guerre :
C’est certain, 2014 sera l’année de la commémoration du début de la Grande Guerre, la Guerre de 14-18. De nombreuses
manifestations vont se tenir partout en France, et celle-ci me tient particulièrement à cœur puisqu’elle est organisée sur
l’aérodrome de Meaux, base originale d’Aérocic.
Un site et un blog ont étés créés pour vous tenir au courant des nombreuses activités qui vont être organisées sur place
pendant trois jours, du 13 au 15 juin : http://www.lesailesdupaysdemeaux.fr/ et http://ailesdupaysdemeaux.overblog.com/. Ce sera un spectacle tellement intéressant que je ne manquerai pas de remonter de ma Dordogne pour
l’occasion. Mais pas seulement pour y assister …
En effet, l’organisation d’une telle manifestation est quelque chose de très lourd, et nécessite de nombreuses bonnes
volontés et beaucoup de muscles. C’est pourquoi, plutôt que d’assister au meeting depuis les pelouses réservées aux
spectateurs, je vous suggère de rejoindre l’équipe d’organisation. Il n’est pas nécessaire, pour aider, de s’engager à trois
jours de présence. Tous les coups de mains seront bons à donner. Et cela vous
donnera le plaisir d’avoir contribué au succès de l’opération, tout en vous
permettant d’en voir les coulisses et qui sait, d’approcher les avions de très,
très près !
Je vous invite donc à vous rendre sur le site du Véliplane
http://www.veliplane.com/article.php3?id_article=260 où vous pourrez
trouver le dossier complet sur la manifestation, le programme (il évolue
encore régulièrement) et le dossier d’inscription au bénévolat. Si vous avez
des questions, vous pouvez aussi contacter directement Serge au
01.60.04.76.00 ou au 06.07.49.18.86.
Ainsi, comme vos aïeux, et en leur honneur, vous pourrez dire : « J’y étais ! ».
A bientôt sur place !
22
23
D’autres meetings auront lieu pour commémorer l’évènement. N’hésitez pas à nous signaler les manifestations dont vous
aurez connaissance. En voici déjà trois :
Ci-dessus :http://legendairenlimousin.blogspot.fr/
Ci-contre :
www.cercledesmachinesvolantes.com
Page suivante :
http://www.centenaire-aerien-somme14-18.fr/
24
25
Le jeu des 7 erreurs
Sept différences ont été incorporées dans la seconde version de cette photo de Mermoz, prise en septembre 34, devant un
« Arc-en-ciel ». À vous de les découvrir !
26
La photo du mois
Ce monument, construit en 1932, rappelle les dernières heures de la Grande Guerre, et ce que nous devons à ceux qui sont
venus nous aider à la gagner. Il est situé sur une colline dont ne nom n’évoque pas le climat humide qui a tant compliqué
les combats dans cette région. Quel est-il?
Du fait de la nouvelle irrégularité de parution du journal, la bonne réponse est donnée dans le même numéro. Vous n’êtes
donc pas tenus de me l’envoyer par mail. Que ça ne vous empêche pas de m’écrire pour me faire part de vos
commentaires …
Kézakaéro
Devinettes
D’où provient cette
image ?
Le Rafale a effectué en janvier des essais dans une
nouvelle configuration très lourdement armée (cidessous).
1/ Combien d’ « objets » sont accrochés dessous ?
2/ Quel est le rapport entre le poids maximum emporté
et le poids de l’avion ?
(Solutions en
dernière page)
27
Cet avion a-t-il volé ?
Les Solutions
La photo mystère :
Elle montre la Butte de Montsec, où est érigé le Mémorial Américain construit par
les U.S.A en hommage à tous les morts du 12 au 16 Septembre et du 9 au 11
novembre 1918. (Photo réalisée avec un ballon captif par Gérard Borre , en ligne
sur www.survoldefrance.fr ).
Jeu des sept erreurs :
1/ Mermoz a maintenant une cravatte, 2/ le troisième homme d’équipage a disparu et 3/ le mécano sous l’aile a
maintenant la main dans la poche. 4/ La dame de droite a perdu le renard qu’elle tenait au bras. Concernant l’avion, 5/
l’amortisseur de la roue s’est agrandi, et 6/ une ouie d’aération supplémentaire s’est ajoutée sous le cockpit dont 7/ la vitre
a complètement disparu.
Kézakaéro :
Du calendrier 2014 de Dassault Falcon. Les images sont signées Wilfrid Buch.
Devinettes :
1/ Le Rafale a décollé en emportant 6 missiles air-sol de précision AASM Hammer, 4 missiles air-air moyenne et longue
portée de la famille MICA, 2 missiles Meteor très longue portée ainsi que 3 réservoirs de 2 000 litres, soit 15 « objets ».
2/ Il serait donc capable de partir en opération de guerre en emportant une fois et demie son propre poids, ce qui serait une
exclusivité pour un chasseur, selon Dassault.
Cet avion a-t-il volé :
Le Caproni Ca 60, avec neuf ailes et huit moteur (3.000 ch), était un hydravion à coque destiné à transporter une centaine
de passagers au-dessus de l’Atlantique à 130 km/h. Son premier vol eut lieu le 04 mars 1921 au-dessus du lac Majeur. Il
monta à environ vingt mètres de hauteur puis se crasha. Caproni déclara qu’il allait le reconstruire … mais l’épave brûla
la nuit suivante. Et ce fut la fin de l’histoire.
Envergure 30 m, longueur 23 m, hauteur 9 m, masse maxi au décollage 26 tonnes.
28