Téléconduite et téléphonie sur un réseau de tranmission IP
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Téléconduite et téléphonie sur un réseau de tranmission IP
D2-204 21, rue d'Artois, F-75008 Paris http://www.cigre.org Session 2004 © CIGRÉ TELECONDUITE ET TELEPHONIE SUR UN RESEAU DE TRANSMISSION IP J. NOUARD* RTE (France) Résumé La maturité des technologies associées au Protocole Internet en font aujourd’hui une solution industrielle pour le développement de réseaux industriels à intégration de services. Cet article présente une réalisation concrète d’un réseau IP (Internet Protocol) de grande dimension intégrant la Téléconduite et la Téléphonie opérationnelle. Il s’attache tout particulièrement à examiner les précautions à prendre à tous les niveaux de la conception : • la topologie doit trouver un équilibre entre maillage et déterminisme des routes, • le dimensionnement doit s’appuyer sur une connaissance précises des flux à acheminer y compris en situation d’exploitation tendue, • la complémentarité des mécanismes de QoS constitue la clef de voûte des performances du réseau IP L’article analyse l’intérêt de différents mécanismes de QoS tels que LLQ et CB-WFQ. La dernière partie s’intéresse aux conditions d’exploitation d’un tel réseau Mots clés : Protocole IP, intégration de services, téléconduite, téléphonie sur IP, Qualité de Service INTRODUCTION RTE (Gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité français) dispose d’un Réseau de Téléconduite largement développé. Le remplacement de l’infrastructure de transmission X25 de ce réseau par un réseau IP a été l’occasion d’intégrer également un service de téléphonie opérationnelle. * [email protected] Cette mutation vers une technologie standard permet de préserver la plupart des investissements tout en faisant d’avantageux gains d’exploitation sur des composants devenus obsolètes. La maturité de la technologie ne dispense pas de prendre toutes les précautions nécessaires dans la conception pour atteindre le niveau de performance requis par des applications très exigeantes. Après avoir décrit le contexte de RTE, cet article développe les grandes lignes de la conception d’un réseau offrant un service de transmission pour la téléconduite et la téléphonie, puis donne quelques pistes de réussite de l’exploitation. CONTEXTE Le Système de Téléconduite français comporte près de 2200 PA (Postes Asservis) et plus d’une centaine de centres de production. Les centres de conduite sont répartis sur trois niveaux hiérarchiques : 1 centre national, 7 centres régionaux, et 76 centres locaux. Niveau haut du réseau de Téléconduite Les applications de ces centres de conduite qui constituent le niveau haut du réseau sont interconnectées par un réseau à valeur ajoutée optimisant le coût des voies de transmission. Ce Réseau de Téléconduite (ARTERE), mis en service au milieu des années 90, s’est appuyé autant que possible sur les grands standards industriels tels que Unix, Oracle, et X25 à l’époque pour la partie transmission. Ces choix étaient motivés par la recherche d’une plus grande robustesse des composants utilisés et du meilleur coût. L’architecture en couches a facilité les migrations partielles vers de nouvelles technologies à chaque fois que leur intérêt économique a été avéré. Ainsi, dès 1996, les protocoles réseau de niveau haut (OSI) ont été abandonnés au profit des protocoles TCP/IP tout en conservant une infrastructure de transmission X25 préservant ainsi les investissements. Une seconde étape, commencée en 1999, a prolongé cette migration vers IP et permis le remplacement des stations d’interface du réseau (Stations Réseaux ou SR) par des équipements de type PC associés à des routeurs chargés de l’encapsulation IP dans X25. L’obsolescence annoncée des commutateurs X25, qui constituent toujours aujourd’hui l’ossature du réseau de transmission, a conduit RTE à étudier leur remplacement par un réseau homogène de routeurs IP. Niveau bas du réseau de Téléconduite RTE a également engagé la numérisation des voies de transmission raccordant les PA. Cette mutation s’accompagne également de la mise en place de petits réseaux de routeurs IP. Phonie opérationnelle RTE dispose d’un Réseau de Téléphonie de Sécurité qui relie les sites d’exploitation et les points de conduite. L’objet de ce réseau est de pallier les éventuelles défaillances du réseau téléphonique public, et en particulier les saturations. La rénovation de ce réseau liée à la fois à l’obsolescence de certains équipements de téléphonie, et au souhait de résorber les liaisons analogiques a conduit RTE à retenir une solution voix sur IP pour son nouveau Système de Téléphonie de Sécurité (STS). Intégration de services Les sites concernés par STS et ARTERE sont les mêmes à quelques exceptions près. Les deux applications ont simultanément besoin d’un réseau de transmission sur IP. Réseau de Sécurité Figure 1 : Réseau MultiServices Fin 2001, RTE a donc opté pour la mise en place d’un Réseau MultiServices (RMS) intégrant le transport sur IP de la phonie opérationnelle, de la téléconduite et du téléréglage (cf. figure 1). Les délais de transmission ne permettent pas d’intégrer la téléprotection. Les faiblesses classiques des réseaux IP concernant les délais de transmission et les possibles congestions doivent être prises en compte et traitées à tous les niveaux de la conception d’un tel réseau : topologie, politique de routage, dimensionnement, politique de qualité de service différenciée. CONCEPTION DU RESEAU RMS Topologie La topologie d’un réseau est d’abord liée à la situation géographique des sites à interconnecter. Dans le cas du Réseau de Téléconduite de RTE, la répartition naturelle des sites est de type hiérarchique arborescente. Le deuxième critère à considérer pour la topologie est le niveau de maillage. Plus le maillage sera grand, meilleure sera la robustesse, mais plus grand sera le coût des liaisons. A l’inverse, le déterminisme des routes diminue ce qui complexifie le dimensionnement et rend plus aléatoires les délais de transmission. RTE a donc opté pour un réseau hiérarchique faiblement maillé pour le niveau haut du Réseau de Téléconduite (cf. figure 2), et une topologie en boucle ou en grappe de taille limitée pour optimiser la longueur des liaisons raccordant les PA. Une disponibilité satisfaisante peut ainsi être obtenue en connectant chaque site par deux voies de transmission sans mode commun. 1 Dispatching National DNP DNR 7 Dispatchings Régionaux DRP DRR 76 Pupitres de Commande Groupées PCG PA PA 2 200 Postes Asservis PA PA PA Figure 2 : Topologie du Réseau de Téléconduite de RTE Politique de routage La taille du réseau RMS se prête particulièrement à l’utilisation du protocole de routage dynamique OSPF [1] qui permet un découpage de l’ensemble en aires de taille plus petite. L’aire primaire interconnecte 7 aires secondaires. Dans chaque région, l’aire secondaire regroupe le DR (Dispatching Régional) et les PCG (Pupitres de Commande Groupées). Les boucles de PA sont traitées comme de mini-réseaux indépendants. L’intérêt d’OSPF réside dans la simplicité du paramétrage des routeurs. La cohérence du plan d’adressage avec le découpage en aires permet de limiter la taille des informations échangées entre routeurs. Enfin, le faible maillage du réseau autorise un temps de convergence rapide. Dimensionnement Le dimensionnement du réseau est déterminant dans sa capacité à réellement véhiculer des flux temps réel, car la qualité de service différenciée seule n’évite pas les congestions. Ce qui caractérise le plus le flux d’un réseau intégrant téléconduite et phonie opérationnelle est la grande disparité entre le flux moyen et le flux à la pointe. En effet, en régime permanent les communications téléphoniques sont peu nombreuses et ARTERE réduit au minimum l’encombrement du réseau dû à la diffusion cyclique des télémesures. Cela donne un flux moyen faible en regard du débit nécessaire en cas de crise. On ne peut pas espérer un lissage des flux dans le temps basé sur le seul caractère stochastique du besoin en bande passante. Tout au contraire, le réseau doit être dimensionné pour acheminer un flux représentatif d’une situation de crise et comportant simultanément les télé-mesures, un nombre pré-déterminé de communications voix et une avalanche de télésignalisations. Ce dernier point est particulièrement délicat, car les télé-signalisations doivent être acheminées en 3 s et le volume de l’avalanche dépend de la nature de l’incident électrique. Le protocole ARTERE est ici d’un grand secours dans sa capacité à traiter les congestions et à purger, lors d’avalanches exceptionnelles, des télémesures trop vieilles devenues inutiles. ARTERE préserve ainsi l’efficacité du réseau de transmission et le débit nécessaire peut finalement être déterminé par la taille de l’avalanche maximum qui ne devra entraîner aucune purge. L’intégration de services temps réels ne permet donc pas de réduire globalement la bande passante nécessaire, mais une voie de transmission de débit 2n reste toujours plus économique que 2 voies de débit n. Le codec retenu par STS est le mode G723.1 [2] à 6,3 kbit/s avec 2 échantillons par paquet. Le protocole cRTP [3] permet de compresser l’entête RTP, UDP et IP ramenant ainsi l’overhead total à seulement 10 octets pour 48 octets utiles, soit un débit d’un peu moins de 8 kbit/s par communication téléphonique. Qualité de Service différenciée Le débit étant fixé, les mécanismes de qualité de service ou QoS (Quality of Service) permettent de différencier le traitement des flux selon leurs exigences en bande passante et en délai d’acheminement. Dans le cas de RMS, seul le flux voix doit être qualifié de vrai ‘temps réel’. En effet, pour ce flux non seulement le délai moyen d’acheminement des paquets doit être de l’ordre de 50 ms de bout en bout, mais surtout la variation de ce délai d’un paquet à l’autre, c’est à dire la gigue, ne doit pas excéder 10 ms. La téléconduite est plus du type ‘élastique’ [4], puisqu’un délai moyen d’acheminement des paquets de l’ordre de 300 ms est la plupart du temps acceptable pour remonter une télésignation en 3 s à son destinataire. Les flux non prioritaires se partagent les capacités restantes selon un service du type ‘best effort’. L’atteinte de ces performances nécessite la mise en place de plusieurs protocoles coopérant au dessus IP. Tout d’abord, la différenciation du traitement nécessite une reconnaissance des flux qui sont marqués selon les mécanismes DiffServ [5] [6]. Ces mécanismes utilisent le champ DSCP (Differentiated Services Code Point) codé dans une partie du champ ToS (Type of Service) de l’entête IP. Grâce à ce marquage le mécanisme LLQ (Low Latency Queuing) donne une priorité absolue aux paquets voix. Mais cela n’est pas suffisant dans un réseau à intégration de services. En effet, les paquets de données sont environ dix fois plus gros que les paquets voix et leur délai de sérialisation sur des liens à faible débit pourrait entraîner une gigue trop grande. C’est pourquoi les paquets sont systématiquement fragmentés par le mécanisme LFI (Link Fragmentation and Interleaving). La fragmentation permet de limiter à 10 ms le délai de sérialisation. La taille du paquet est ainsi adaptée au débit de la liaison : par exemple 160 octets pour une liaison à 128 kbit/s. De plus, l’intégration de services nécessite également de limiter la part de bande passante affectée ainsi au trafic ultra-prioritaire pour qu’il ne risque pas de congestionner le réseau et d’étouffer les autres types de flux. Le reste de la bande passante est répartie entre les autres flux selon le mécanisme CBWFQ (Class-Based Weighted Fair Queuing). Ce mécanime permet d’associer des priorités variées aux diverses classes de flux tout en garantissant à chaque classe une bande passante minimale sur le lien. En l’absence de compétition, chaque flux peut utiliser la totalité de la bande passante disponible. En cas de congestion, chaque flux continue d’avoir la part de bande passante définie lors de la conception. Contrairement à ce qui passe avec certains protocoles en mode connecté où les ressources sont réservées d’un bout à l’autre à l’initialisation d’un circuit, la priorisation est ici recalculée pour chaque paquet et dans chaque nœud du réseau. Pour que le découpage de la bande passante fait en phase de conception coïncide avec les besoins du flux réel, un déterminisme minimum est préférable dans la connaissance des flux. Plusieurs précautions peuvent aider à atteindre ce but. Tout d’abord une topologie peu maillée permet de s’assurer qu’une liaison par exemple PCG-DR n’aura jamais à faire transiter le flux issu de deux ou trois PCG à la fois, mais seulement d’un. Ensuite, le Système de Téléphonie peut garantir [7], au moyen du protocole H323 [8], d’un Gatekeeper et d’un serveur centralisé, que le nombre de communications autorisées simultanément sur un segment de réseau ne dépassera jamais celui prévu dans la conception du réseau. EXPLOITATION DU RESEAU RMS Sûreté de Fonctionnement Une plus grande intégration de services pose d’emblée la question de la Sûreté de Fonctionnement globale. D’autant plus ici que la phonie opérationnelle peut être amenée à pallier un dysfonctionnement du Système de Téléconduite. L’infrastructure de transmission (liaisons louées ou privées) étant la même pour des réseaux séparés ou un réseau intégré, on peut donc considérer que l’intégration des services n’étend le mode commun qu’au niveau du réseau, c’est à dire des routeurs. Par ailleurs, il faut garder en mémoire que la finalité première du Système de Téléphonie de Sécurité est de pallier une défaillance du réseau commuté public avec lequel il conserve une interface. Cette interface présente plusieurs intérêts. Tout d’abord elle facilite la migration et préserve certains investissements de téléphonie analogique. Ensuite elle constitue un secours au réseau de transmission, la probabilité d’une panne du Réseau de Sécurité coïncidant avec une saturation du réseau public étant très faible, la disponibilité globale reste satisfaisante. Comme nous l’avons vu avec les voies de transmissions doublées sans mode commun, la haute disponibilité d’un réseau de transmission se construit à toutes les étapes de la conception. Outre le routage dynamique, RMS utilise également le mécanisme HSRP [9] pour l’élection automatique entre routeurs redondants d’un même site. Au bout du compte tous les composants du réseau offrent une redondance de type n-1. Mais cela n’est rien sans une supervision active du réseau et une organisation apte à remettre en service ces composants dans des délais suffisamment courts pour que la panne reste transparente pour les applications. Sécurité La sécurité est également un volet qui contribue à la disponibilité. Si l’utilisation de standards de communication largement diffusés constitue un avantage économique sans conteste, cela constitue également une vulnérabilité dans la mesure où les techniques d’attaques sont, elles aussi, largement vulgarisées. Bien que le réseau RMS soit totalement isolé des réseaux externes et même des réseaux généralistes de RTE, la question de la sécurité a été traitée à tous les niveaux de la conception. La mise en place d’une administration de réseau centralisée associée à une protection systématique des accès par une authentification renforcée basée sur TACACS+ (Terminal Access Controller Access Control System) et le chiffrement des échanges entre routeurs ont principalement permis de ramener cette vulnérabilité à un niveau acceptable. Migration Engagée mi 2003, la migration se poursuivra jusqu’à fin 2004. Comme nous l’avons vu précédemment, l’architecture du réseau ARTERE séparant nettement les fonctions de Téléconduite des différentes couches de transmission TCP, IP et X25 a été un gage de réussite pour une migration au moindre coût et sans interruption de service. En ce qui concerne la Téléphonie, la mise en place de passerelles gérant le protocole H323 d’un côté et de l’autre des liaisons analogiques vers les téléphones ou les PABX, facilite grandement l’intégration tout en préservant les investissements. Le Réseau MultiServices se borne ainsi à transporter les datagrammes IP sans avoir besoin d’intégrer de coûteuses interfaces voix dans ses équipements. La téléphonie s’intègre comme une application parmi les autres. CONCLUSION Au travers de la présentation d’une réalisation de réseau de grande échelle, l’article a prouvé la maturité des technologies IP apparues il y a environ six ans pour l’intégration de services et particulièrement de la voix sur IP. Ces technologies sont aptes à s’intégrer dans un environnement industriel à hautes exigences de performance et de disponibilité. La réussite de la mutation tient au soin apporté à la conception, à la capacité de l’existant à migrer de manière modulaire, et à la maîtrise de l’administration en exploitation. REFERENCES [1] J. Moy, « Open Shortest Path First », RFC 2328, Avril 1998 [2] ITU-T, G723.1, « Dual rate speech coder for multimedia communications transmitting à 5.3 & 6.3 kbit/s », Octobre 2002 [3] S. Casner, V. Jacobson « Compressing IP/UDP/RTP Headers for Low-Speed Serial Links », RFC 2508, Février 1999 [4] CIGRE SC35-WG07, « Possibilités de la technologie du Protocole Internet », Session CIGRE 1998 [5] K. Nichols, S. Blake, F. Baker, D. Black, « Definition of the Differentiated Services Field », RFC 2474, Décembre 1998 [6] S. Blake, D. Black, M. Carlson, E. Davies, Z. Wang, W. Weiss, « An Architecture for Differentiated Services », RFC 2475, Décembre 1998 [7] C. Samitier, J Viaplana, « La téléphonie Internet : une nouvelle approche des services téléphoniques opérationnels », SC35-202, CIGRE Session 1998 [8] ITU-T, H323, « Visual telephone systems and equipment for local area networks which provide a non-guaranteed quality of service », Février 1998 [9] T. Li, B. Cole, P. Morton, D. Li, « Hot Stanby Router Protocol », RFC 2281, Mars 1998