EYB 2014-248369 – Résumé Tribunal d`arbitrage Hôtel R.C.M. inc

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EYB 2014-248369 – Résumé Tribunal d`arbitrage Hôtel R.C.M. inc
EYB 2014-248369 – Résumé
Tribunal d'arbitrage
Hôtel R.C.M. inc. (Hôtel Ritz Carlton Montréal) et Syndicat des travailleurs-euses
du Ritz-Carlton (CSN)
2015-0184 (approx. 33 page(s))
3 décembre 2014
Décideur(s)
Hamelin, François
Type d'action
MOYENS préliminaires syndicaux. REJETÉS. GRIEF contestant le
congédiement du salarié. REJETÉ.
Indexation
TRAVAIL; CODE DU TRAVAIL; CONVENTION COLLECTIVE; CONTENU ET
FORMALITÉS; INTERPRÉTATION; ARBITRAGE DE GRIEFS; ARBITRE;
POUVOIRS; CONGÉDIEMENT; MESURE DISCIPLINAIRE; PREUVE; serveur
et barman dans un hôtel cinq étoiles et cinq diamants; non-respect de la
convention de partage des pourboires; comportement indigne en présence
d'employés et de clients; menaces à l'endroit de supérieurs et menace de
s'immoler devant l'hôtel; absence de représentant syndical lors de la rencontre
avec l'employeur; formalité préalable à l'imposition d'une mesure disciplinaire;
formalité impérative ou indicative
Résumé
L'employeur est un hôtel cinq étoiles et cinq diamants. Le salarié a commencé à
y travailler en 1998 à titre de serveur et barman. Il a été mis à pied en juillet 2008
en raison des rénovations de l'hôtel, mais il a été réembauché en avril 2012. Au
moment des faits, son dossier disciplinaire était vierge. Il dépose un grief afin de
contester son congédiement du 3 décembre 2012. L'employeur lui reproche deux
motifs distincts de congédiement qui constituent des fautes graves, soit le vol
des pourboires de ses collègues ainsi que la profération de menaces de mort,
des dommages à la propriété de l'employeur et l'atteinte à l'image patronale.
Le syndicat présente deux moyens préliminaires selon lesquels le congédiement
devrait être annulé. Contrairement aux prescriptions de la convention collective,
le salarié n'était pas accompagné d'un représentant syndical lors de la rencontre
prédisciplinaire, alors que cette obligation est impérative. Par ailleurs, selon le
syndicat, l'employeur a fait preuve de mauvaise foi en omettant délibérément de
convoquer les représentants syndicaux.
La convention comporte une section de dispositions relatives à la procédure de
règlement des griefs et d'arbitrage ainsi qu'une section consacrée aux mesures
disciplinaires. En ce qui concerne la procédure de règlement des griefs, il est
prévu que les délais sont de rigueur. Dans le cas des mesures disciplinaires,
l'employeur doit convoquer le salarié concerné accompagné de son délégué
syndical afin de discuter de la mesure disciplinaire qui pourrait être imposée ou
lors d'une rencontre préalable à l'imposition d'une mesure disciplinaire. Une
disposition de cette section prévoit toutefois que des aveux du salarié obtenus en
l'absence d'un représentant syndical ne pourront lui être opposés lors de
l'arbitrage. Force est de constater que l'exigence relative à la présence d'un
représentant syndical est indicative, sinon il n'aurait pas été nécessaire de
préciser que des aveux du salarié obtenus en contravention de cette exigence
sont inadmissibles. Par ailleurs, une solide jurisprudence confirme que le droit
d'être assisté d'un représentant ou d'un délégué syndical n'est pas une
composante du droit d'association et qu'il n'existe qu'en vertu d'une disposition
claire de la convention collective. La doctrine ajoute que même en pareil cas,
l'inobservation d'une formalité impérative n'entraînera la nullité que si cela est
prévu ou si cela cause un préjudice. Cependant, de façon exceptionnelle,
lorsqu'il est question d'une question criminelle ou fiscale, les dispositions qui
créent l'obligation sont considérées comme devant être respectées
rigoureusement sous peine de nullité. En l'espèce, cette exception n'est pas
applicable. Par ailleurs, aucune sanction n'est prévue en cas d'inobservation de
l'obligation. Finalement, en raison de l'inadmissibilité des aveux du salarié, ce
dernier ne subit pas de préjudice. La prépondérance des inconvénients favorise
donc l'employeur puisque si l'objection préliminaire était accueillie, ce dernier
devrait reprendre le salarié à son service. Finalement, la preuve n'a pas
démontré la mauvaise foi de l'employeur. Il appert que la décision de rencontrer
le salarié a été prise dans le feu de l'action après que l'employeur eut pris
connaissance d'un troisième vol de pourboires par ce dernier. L'employeur ne
voulait alors qu'obtenir sa version quant aux événements. Les moyens
préliminaires syndicaux sont rejetés.
Trois incidents de vol de pourboires sont reprochés au salarié les 9, 20 et 26
novembre 2012. Dans les trois cas, les témoins patronaux ont témoigné de façon
précise et concordante et ils n'ont aucun intérêt dans le litige. Il s'agit d'un clientmystère, de collègues et de supérieurs. En ce qui concerne les deux premiers
événements, le salarié ne se souvient de rien. Quant à celui du 26 novembre, il a
adopté un comportement de personne en déni qui tente de faire diversion par
une crise. Pour l'essentiel, lors du premier événement, un client a remis au
maître d'hôtel une enveloppe contenant 540 $ afin de payer sa facture comptant,
incluant le pourboire. L'argent a été compté devant le client. Le salarié a alors
pris brusquement possession de l'enveloppe. Lorsqu'il a remis l'argent au
barman en fonction cette journée-là, il ne lui a remis que 500 $, soit 467 $ pour
l'addition ainsi que 33 $ de pourboire, alors qu'en réalité, le client avait laissé 73
$ de pourboire. En gardant 40 $ pour lui, le salarié contrevenait à la convention
de partage des pourboires en vigueur chez l'employeur. Informé de l'incident,
l'employeur a décidé d'avoir recours au service d'un client-mystère afin de vérifier
s'il s'agissait simplement d'une erreur ou d'un vol. Le 20 novembre, un client-
mystère a remis 100 $ comptant au salarié afin de payer une facture de 74,75 $.
Le salarié a remis 85 $ au barman, soit 75 $ pour l'addition et 10 $ pour le
pourboire. Il a gardé 25 $ pour lui seul. Le même scénario s'est reproduit le 26
novembre avec un second client-mystère. À cette occasion, le salarié a gardé
pour lui un montant de 15 $. L'employeur a ainsi prolongé son enquête jusqu'au
26 novembre afin d'être bien certain que les gestes du salarié étaient
intentionnels, ce qui a été confirmé. Il s'agissait effectivement de vols répétés.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'autre motif de congédiement, la preuve
s'appuie non seulement sur les témoignages des différents témoins patronaux,
mais aussi sur une bande vidéo. Dans cette dernière, le salarié est vu hors de
lui, s'arrachant les cheveux, déchirant la chemise prêtée par l'employeur et
frappant les murs de ses poings dans un accès de colère. Les témoins ont
confirmé que le salarié a adressé des menaces de mort à deux de ses
supérieurs et qu'il a aussi menacé de s'immoler devant l'hôtel. La preuve quant à
ces fautes est prépondérante.
En ce qui concerne la sanction, la jurisprudence établit que le vol constitue une
faute grave, particulièrement lorsque dans le cadre de ses fonctions, le salarié
doit manipuler l'argent de l'employeur. En l'espèce, le salarié a volé ses
collègues plutôt que l'employeur, mais cela ne diminue pas la gravité de la faute.
La jurisprudence confirme qu'en pareil cas, sauf en présence de circonstances
atténuantes, le congédiement est fondé. Or, les gestes du salarié sont répétés et
planifiés. Les vols perpétrés par le salarié justifiaient son congédiement. Par
ailleurs, le salarié a directement menacé de mort deux supérieurs. Les
séquences de la vidéo montrent un homme terrifiant et les menaces ont été
répétées. Le salarié ne s'est jamais excusé, affirmant que sa colère était justifiée
par les accusations de vol. Le comportement violent du salarié constituait aussi à
lui seul un motif valable de congédiement. Dans ces circonstances, il n'est pas
nécessaire d'examiner les fautes liées aux dommages à la propriété de
l'employeur et à l'atteinte de son image. Le grief est rejeté.
EYB 2014-248369 – Texte intégral
CANADA - PROVINCE DE QUÉBEC
TRIBUNAL D'ARBITRAGE DU QUÉBEC
NO : 2015-0184
Date de la décision: 3 décembre 2014
FRANÇOIS HAMELIN, ARBITRE
Hôtel R.C.M. inc. (Hôtel Ritz Carlton Montréal)
Employeur
c.
Syndicat des travailleurs-euses du Ritz-Carlton (CSN)
Syndicat
___________________________________
SENTENCE ARBITRALE (ART. 100 ET SS. C.T.)
I- LE LITIGE
1 Le 7 décembre 2012, le syndicat a déposé le grief suivant (pièce S-1) au nom
du réclamant:
Description du grief: Le ou vers le 3 décembre 2012 l'employeur m'a
congédié pour deux motifs distincts.
Description de la réclamation: Je réclame ma réintégration l'annulation
des mesures disciplinaires, le retrait de celles-ci de mon dossier, le
remboursement de toutes les sommes perdues (salaire, pourboire,
autres) et tous les autres droits que me donne la convention collective
de travail, ainsi que tous dommages réels, moraux ou exemplaires, et
ce, rétroactivement avec intérêts au taux prévu au Code du travail,
sans préjudice aux autres droits dévolus.
2 Ce grief faisait suite à la lettre de congédiement suivante (pièce S-3)—datée
du 3 décembre 2012 et signée par M. Jo Steiner, directeur de l'administration dont l'employeur a également transmis copie au syndicat:
Par les présentes nous vous congédions de votre emploi au RitzCarlton Montréal avec effet immédiat pour faute grave.
1. Congédiement pour vol
1.1 Incidents
1.1.1 Le lundi 26 novembre 2012 au service du lunch dans le
restaurant Maison Boulud, un de vos clients, ayant consommé pour
55,19 $ taxes incluses, vous a donné 90,00 $ en vous indiquant que
la différence entre la consommation et la somme donné serait du
pourboire. Après être passé à votre casier au niveau C, à votre retour
au restaurant vous avez fermé la facture à 65 $, dont 55,19 $ pour la
consommation et 9,81 $ pour les pourboires. Vous avez gardé la
différence de 25,00 $ pour vous.
1.1.2 Le mardi 20 novembre 2012 au service du lunch dans le
restaurant Maison Boulud, votre client à la table 27, ayant consommé
pour 74,73 $ taxes incluses, vous a donné 100,00 $ en vous
indiquant que la différence entre la consommation et la somme donné
serait du pourboire. Vous avez fermé la facture à 85,00 $, donc
74,73 $ pour la consommation et 10,27 $ pour les pourboires. Vous
avez gardé la différence de 15,00 $ pour vous.
1.1.3 Le vendredi 9 novembre 2012 au service du lunch dans le
restaurant Maison Boulud, votre client, ayant consommé pour
467,95 $ taxes incluses, vous a donné 540,00 $ en vous indiquant
que la différence entre la consommation et la somme donné serait du
pourboire. Vous avez fermé la facture à 500,00 $, donc 467,95 $ pour
la consommation et 32,05 $ pour les pourboires. Vous avez gardé la
différence de 40,00 $ pour vous.
1.2 Violation de vos obligations et bris de confiance
Comme serveur au restaurant Maison Boulud, vous participez à la
convention de partage du pourboire en place. En vertu de cette
convention, vous êtes obligé de remettre tous les pourboires que vous
avez reçus dans la banque commune qui sera distribué entre tous les
employés participants du quart de travail. En retenant des sommes de
cette banque commune et les gardant pour vous, vous avez privé vos
collègues des pourboires qui leur reviennent de droit, et avez détourné
à votre propre usage l'argent d'autrui. Ces actions constituent du vol.
Pendant les 14 années de votre emploi à notre société, aucun incident
similaire n'a été enregistré. Cependant, le lien de confiance qui s'est
bâti pendant toutes ces années a été irréparablement brisé par chacun
de vos actes ci-haut énumérés, et encore plus par leur accumulation.
Le lien de confiance est une des bases essentielles de la relation
d'emploi, particulièrement pour les employées auxquels sont confiées
des sommes d'argent ou des biens appartenant aux clients, à
l'employeur ou aux autres employés. Ce lien étant brisé par vos
actions, votre maintien à l'emploi dans notre société nous est
inacceptable.
1.3 Congédiement
Par les présentes nous vous congédions de votre emploi au RitzCarlton Montréal avec effet immédiat pour faute grave, dans l'instance,
vol répété.
2. Congédiement pour profération de menaces de mort et
dommages à la propriété de l'employeur, et atteinte à l'image de
l'employeur
2.1 Incident
Le lundi 26 novembre 2012 vers 14h30, votre supérieur immédiat vous
a convoqué à une réunion dans les bureaux administratifs au 3 e étage
de l'hôtel à laquelle participaient également le Directeur de la
restauration et le soussigné, Directeur de l'administration. Lors de cette
réunion la direction vous a demandé des explications sur les faits cihaut mentionnés. La réunion s'est déroulé de façon calme et
professionnelle jusqu'à ce que vous ayez quitté la réunion de votre gré
après deux minutes.
Vous avez alors couru à travers plusieurs espaces publics de l'hôtel,
en vue de clients et d'autres employés, puis à travers des espaces de
travail en vue d'autres employés, et vous êtes finalement rendus au
bureau de la sécurité. Lorsque le Directeur de la restauration vous y a
rejoint, vous l'avez menacé de le tuer. Vous avez également menacé
de vous immoler par le feu devant l'hôtel sur la rue Sherbrooke. Vous
avez déchiré l'uniforme que l'employeur vous a prêté pour votre travail.
Vous avez frappé le mur du bureau de la sécurité de façon à faire
tomber plusieurs objets accrochés au mur. Vous avez demandé au
Directeur de la sécurité de vous frapper et de vous menotter. Pendant
plusieurs minutes, vous avez crié et vous êtes comportés de façon
indigne d'un employé d'un hôtel cinq étoiles et cinq diamants, et ceci
en présence d'autres employés et en vue de clients.
2.2 Violation de vos obligations
Comme employé du Ritz-Carlton Montréal, vous êtes tenu de
respecter et assurer l'intégrité des personnes avec lesquelles vous
interagissez lors de votre travail, ainsi que les biens dont les soins
vous sont confiés par les clients ou par votre employeur, et de ne pas
porter atteinte à l'image de votre employeur. Proférer des menaces de
mort viole l'intégrité de la personne à laquelle elles s'adressent.
Endommager la propriété de l'employeur porte atteinte à l'intégrité des
biens de l'entreprise. Crier et courir dans des espaces publics et de
travail, en vue de clients et d'employés, nuit à l'image de l'entreprise de
votre employeur. Porter atteinte à votre propre intégrité tout en liant cet
acte à l'employeur et y attirer l'attention du public nuit également à
l'image de l'entreprise de votre employeur.
Pendant les 14 années de votre emploi à notre société, aucun incident
de cette nature n'a été enregistré. Cependant, le lien de confiance qui
s'est bâti pendant toutes ces années a été irréparablement brisé par
chacun de vos actes ci-haut énumérés, et particulièrement par leur
accumulation. Votre maintien à l'emploi dans notre société nous est
alors inacceptable.
2.3 Congédiement
Par les présentes nous vous congédions de votre emploi au RitzCarlton Montréal avec effet immédiat pour faute grave, dans l'instance,
profération de menaces de mort, dommages à la propriété de
l'employeur et atteinte à l'image de l'employeur.
3. Congédiement cumulatif
Chacun des congédiements sous (1) et (2) est distinct et justifié
séparément.
Par précaution, pour le cas ou les congédiements ci-haut prononcés
seraient trouvées non-justifiées, nous vous congédions de votre emploi
au Ritz-Carlton Montréal avec effet immédiat pour faute grave, dans
l'instance, la cumulation de toutes les raisons des congédiements sous
(1) et (2), soit vol, profération de menaces de mort, dommages à la
propriété de l'employeur, et atteinte à l'image de l'employeur.
4. Obligations de fin d'emploi
Vous êtes tenu de remettre votre carte d'accès, votre épinglette et tout
autre objet pouvant appartenir au Ritz-Carlton, Montréal. Aussi, nous
vous rappelons vos obligations portant sur politique de la protection de
l'information que vous avez signée.
Votre dernière paye sera déposée par dépôt-direct et votre relevé
d'emploi sera envoyé par la poste.
(...).
(Sic)
II- LA PREUVE
3 À l'audience, le procureur patronal a fait entendre les témoins suivants que le
procureur syndical a longuement contre-interrogés:
- M. Rachid Mallis, serveur, barman et réclamant
- M. Alexandre Mailloux, client de l'hôtel
- M. Julien Beugnot, serveur et barman
- M. Cyrille Duport, directeur de la restauration
- M. Jack Cheam, maitre d'hôtel
- M. Julien Champagne, serveur et barman
- M. Jason Griffin, serveur et barman
- M. Julien Masson, serveur et barman
- M. Guillaume Benezech, directeur général adjoint
- M. Pierre Louis Junior, directeur de la sécurité
- M. Jo Steiner, directeur de l'administration
4 Les témoignages qu'ils ont rendus et les pièces qu'ils ont déposées ont donné
lieu à une preuve contradictoire que je résumerai en respectant la chronologie
des évènements.
A) LE CONTEXTE
5 L'employeur exploite à Montréal un hôtel centenaire et prestigieux.
L'établissement a été fermé à la clientèle de juillet 2008 au 28 mai 2012 en
raison de rénovations majeures. En prévision de la réouverture, l'employeur a fait
entrer le personnel quatre semaines plus tôt, afin de lui offrir la formation
nécessaire en fonction des exigences du service.
1) LE PERSONNEL D'ENCADREMENT
6 Depuis la réouverture de l'établissement, M. Torriani occupe la fonction de
directeur général et est assisté de M. Steiner et de M. Benezech, respectivement
directeur de l'administration et directeur général adjoint.
7 Sous la direction de M. Benezech, M. Duport, le directeur de la restauration,
est responsable de la Maison Boulud, le nouveau restaurant de l'hôtel, ouvert
365 jours par année.
8 À titre de directeur de la restauration, M. Duport coordonne le travail du maître
d'hôtel et de son équipe, composée de sommeliers, d'hôtesses, de barmans et
de commis débarrasseurs.
9 Le réclamant a commencé à travailler pour l'employeur en 1998 et a toujours
occupé les fonctions de serveur et barman. Mis à pied en juillet 2008, en raison
des rénovations à l'hôtel, il a été réengagé en avril 2012.
10 En octobre 2012, le réclamant est devenu agent de grief. En novembre 2012,
au moment des évènements à l'origine du litige, il travaillait à titre de serveur à la
Maison Boulud, principalement affecté aux petits-déjeuners et aux lunchs du
midi. Son travail consistait à servir les clients qui étaient dirigés par l'hôtesse à
l'une des tables qui lui étaient assignées, c'est-à-dire à prendre leur commande,
à leur servir les mets et la boisson qu'ils commandaient, à desservir et à leur
remettre la facture.
11 À toute époque pertinente au litige, le dossier disciplinaire du réclamant était
vierge.
12 Au début de son témoignage, le réclamant a reconnu que l'honnêteté et
l'intégrité étaient deux valeurs fondamentales pour le personnel de la
restauration.
2) LE PROCESSUS DE FACTURATION
13 À la fin du repas, avant de fermer la facture, de l'imprimer et de la remettre au
client, le serveur vérifie sur l'écran de l'ordinateur si tous les achats que ce
dernier a faits sont bien inscrits.
14 Le client peut faire porter le montant de la facture sur sa note d'hôtel, sur sa
carte de crédit/débit ou sa carte de crédit ou encore, payer comptant. Dans le
premier cas, il ajoute sur la facture le montant du pourboire qu'il veut laisser et
signe cette facture en indiquant le numéro de sa chambre.
15 S'il paie avec sa carte de crédit/débit ou sa carte de crédit, ce qui se produit le
plus souvent, le serveur apporte à la table le terminal sans fil permettant au client
d'effectuer sa transaction, après y avoir inscrit le montant du pourboire qu'il
désire laisser au serveur.
16 Finalement, si le client paie comptant—ce qui est rare -, il remet au serveur
une certaine somme qui inclut le montant de la facture avec les taxes ainsi que le
pourboire. Le serveur se présente ensuite au barman qui est responsable de la
caisse et lui remet l'argent du client que le barman compte devant lui. Par la
suite, le barman dépose le montant de la facture avec les taxes dans la caisse,
en présence du serveur, puis, toujours en présence du serveur, dépose le
montant du pourboire dans un gobelet, conservé sous clé.
17 À l'époque des événements, le serveur pouvait soit remettre au barman
l'argent qu'il percevait au fur et à mesure, soit attendre à la fin de son quart pour
lui remettre le total des recettes.
18 Tous les pourboires sont ensuite distribués toutes les deux semaines—en
fonction des heures de travail de chacun—de la façon suivante: le tiers aux
serveurs, le tiers au barman et le dernier tiers au maitre d'hôtel, à l'hôtesse et au
sommelier.
19 Lorsque l'addition est portée à la note d'hôtel ou lorsque le client paie par
carte de crédit/débit ou par carte de crédit, les pourboires sont ajoutés au salaire
de chacun, tandis que si l'addition est payée comptant, les pourboires sont remis
à chacun en argent liquide.
20 À la fin de son quart de travail, le serveur s'assure que toutes ses factures
sont fermées, compte l'argent qu'il a reçu, puis imprime un rapport de ses ventes
qu'il remet au barman. Ce rapport indique le nombre de clients servis par le
serveur, le total des ventes qu'il a effectuées, le montant total porté à une note
d'hôtel, le montant total payé par cartes, ainsi que le montant des pourboires,
auquel le serveur ajoute les pourboires payés comptant qu'il remet au barman.
3) LES GRIEFS DU RÉCLAMANT
21 Le 12 juillet 2012, le réclamant a déposé deux griefs, dont le premier est un
grief collectif.
22 Dans ce premier grief (pièce E-1), le réclamant s'est joint à d'autres serveurs
pour demander que le calcul quotidien des pourboires soit fait en présence d'un
représentant des serveurs et d'un représentant de l'employeur. Le 26 juillet 2012,
l'employeur a fait droit à ce grief.
23 Dans le second grief (pièce E-6), le réclamant se plaint que «depuis 2
semaines (...) le manager du restaurant (le) harcèle continuellement». Le 3 aout
suivant, le syndicat a retiré le grief après que les parties eurent convenu qu'il n'y
avait aucune preuve de harcèlement psychologique.
B) LES INCIDENTS RELIÉS AUX ACCUSATIONS DE VOL
1) L'INCIDENT DU 9 NOVEMBRE 2012
a) La version des témoins de l'employeur
24 À l'audience, M. Cheam a déclaré qu'à titre de maitre d'hôtel, il se tenait
disponible pour répondre aux clients ou, au besoin, pour aider les serveurs et
barmans. Selon M. Cheam, la période du lunch du 9 novembre 2012 a été très
achalandée, comme en font foi les 21 factures émises par le réclamant.
25 À un moment donné, a expliqué le maitre d'hôtel, un habitué du restaurant
s'est levé et est allé discrètement le trouver pour lui dire qu'il devait quitter
rapidement et qu'il voulait payer comptant l'addition de toutes les personnes qui
l'accompagnaient. Le montant total de l'addition (pièce E-2) pour la table 23
servie par le réclamant s'élevait à 467,95 $, taxes incluses.
26 Selon M. Cheam, le client a alors sorti une enveloppe remplie de coupures de
20 $ qu'il a comptées devant, lui avant de lui remettre l'équivalent de 540 $. À la
demande du client, M. Cheam a recompté l'argent, confirmé qu'il y avait bien
540 $ et précisé que la différence avec le montant de la facture représentait le
pourboire que le client souhaitait laisser.
27' M. Cheam a ajouté que le client lui a ensuite demandé d'informer ses invités
qu'il avait payé l'addition et de leur présenter ses excuses pour son départ
précipité. M. Cheam a déclaré qu'avant qu'il ait eu le temps de remettre l'argent
du client au réclamant et de lui expliquer ses consignes, ce dernier est passé
derrière lui et lui a arraché l'argent des mains tout en continuant son chemin. M.
Cheam en est resté estomaqué.
28 M. Cheam a alors demandé au barman, M. Masson, de s'assurer que le
réclamant lui remette la totalité de la somme, soit 540 $.b À la fin du service, M.
Masson a informé M. Cheam que le réclamant ne lui avait remis que 500 $, ce
qui signifiait que sur le montant total du pourboire (73 $), il ne lui avait remis que
33 $. M. Cheam a demandé à M. Masson de garder le silence sur cet incident.
29 M. Masson—qui se trouvait en France au moment de l'audience—a témoigné
par conférence téléphonique et a confirmé en tout point le témoignage de M.
Cheam.
30 À la fin du quart, après que M. Cheam eut informé M. Duport de l'incident, ce
dernier a rencontré M. Masson qui lui a confirmé la version du maitre d'hôtel.
31 Un examen du rapport des ventes pour le 9 novembre 2012 indique qu'une
seule facture a été payée comptant ce jour-là, soit celle totalisant 467,95 $.
32 Après consultation, M. Duport a décidé d'avoir recours à un client-mystère
afin de s'assurer que ce n'était pas par erreur que le réclamant avait omis de
remettre 40 $ à M. Masson et il a par conséquent demandé à MM. Cheam et
Masson de garder le silence sur l'incident.
33 Le jour même, M. Duport a finalement rédigé le rapport d'incident (pièce E-12)
suivant:
Vers 14h00 cet après-midi, Maitre Labelle est venu au podium du
restaurant pour payer discrètement sa facture avec Jack Cheam.
Celui-ci a payé cash pour une facture d'un montant de 467.95 $ et
Maitre Labelle a laisser (sic) 540 $ comptant incluant le pourboire.
Jack Cheam a aussitôt remis l'argent à Rachid Mallis, serveur attitré à
la table de Maitre Labelle.
Lorsque Jack a compté l'argent devant Maitre Labelle, Veronica
Vanpouke était témoin de ce fait au podium.
Lorsque Rachid Mallis a remis son dépôt de caisse à Julien Masson
avec sa lecture de caisse, il n'a remis que 500 $ (incluant les
pourboires cash), mais en fait il manquait 40 $.
Jack Cheam s'est empressé de vérifier auprès de Julien Masson les
dépôts des serveurs avant de fermer la caisse et c'est à ce moment
qu'il s'est aperçu qu'il manquait des pourboires cash d'un montant de
40 $.
Sidonie Rodman était témoin lorsque Rachid Mallis a remis son dépôt
cash à Julien Masson.
34 Le réclamant a par la suite travaillé normalement jusqu'au 20 novembre 2012.
b) La version du réclamant
35 Pour des raisons que l'on verra ultérieurement, le réclamant n'a pour la
première fois été interrogé sur cet incident qu'à l'audience. Il affirmera alors n'en
avoir aucun souvenir et ajoutera même n'avoir jamais lu la lettre de
congédiement de l'employeur avant le début de l'audience.
36 Il a toutefois dû admettre que l'addition E-2 porte bien la mention manuscrite
«cash» qu'il y avait inscrite.
2) L'INCIDENT DU 20 NOVEMBRE 2012
a) La version des témoins de l'employeur
37 À la suite de l'incident du 9 novembre 2012, M. Duport a demandé à M. Lima,
un ami de Mme Poirier, maitre d'hôtel, d'agir en qualité de client-mystère. M. Lima
s'est présenté au restaurant en compagnie d'un collègue le 20 novembre, pour le
lunch. Ils ont été conduits à la table 27 assignée au réclamant. Seuls Mme Poirier
et M. Duport étaient au courant de l'opération.
38 À la fin du repas, le réclamant a apporté à M. Lima une addition de 74,73 $
(pièce E-3), taxes incluses. M. Duport a ensuite chargé M. Champagne d'aller
percevoir le paiement de la table 27.
39 À l'audience, M. Champagne a affirmé que le client lui avait remis 100 $ en
petites coupures (5 $, 10 $ et 20 $) et lui avait dit que c'était complet, ce qui
signifiait qu'il laissait un pourboire de 25,27 $. M. Champagne a aussitôt remis
cette somme au réclamant.
40 M. Champagne a remarqué que dans les minutes qui ont suivi, le réclamant
s'est éclipsé de la salle à manger pendant environ dix minutes. Dans son
témoignage, M. Champagne a déclaré s'en souvenir parce qu'il avait besoin
d'une information de sa part sur une commande de café et qu'il avait dû attendre
son retour.
41 Le rapport de caisse du réclamant révèle que durant son quart de travail, seul
M. Lima a payé comptant.
42 M. Griffin—qui était le barman ce jour-là—a affirmé qu'à la fin du quart de
travail, le réclamant lui a remis l'original de cette facture avec 85 $ en coupures,
somme qu'il a comptée avec lui. M. Griffin a donc déposé 74,73 $ dans la caisse
du restaurant, et la balance, 11,27 $, dans le gobelet destiné aux pourboires,
soit 15 $ de moins que ce que M. Lima avait laissé à titre de pourboire. M. Griffin
a ajouté qu'à la demande de M. Duport, il a inscrit au verso de la facture
originale, la mention suivante: “Rachid Malis 14:35 gave me 85.00”.
43 À l'audience, MM. Champagne et Griffin ont déclaré qu'à l'époque, ils ne
savaient pas que M. Lima était un client-mystère et que le réclamant était sous
enquête.
44 Le même jour, M. Duport a rédigé le rapport d'incident suivant (pièce E-14):
Dans la station de Rachid Mallis, la table 27 a payé cash pour une
facture de 74.73 $ et le client a remis 100 $ et a annoncé à Julien
Champagne que le montant était complet et a remercié pour un bon
service. Julien a vérifier (sic) le montant qui était de 100 $ et a
immédiatement remis l'argent à Rachid Mallis. Lorsque Mr Mallis a
effectué son dépôt il a alors déposé un montant de 85 $ au barman
Jason Griffin et a gardé un montant de 15 $ pour lui.
45 Après discussion, MM. Benezech et Duport ont décidé de faire intervenir un
troisième client-mystère afin de confirmer leurs doutes.
b) La version du réclamant
46 Encore une fois, le réclamant n'a pas été appelé à fournir sa version avant le
26 novembre et ce jour-là, comme on le verra, il a fait en sorte de ne pouvoir le
faire.
47 Ce n'est donc qu'à l'audience que la réclamant a pour la première fois été
appelé à donner sa version de l'incident du 20 novembre. Tout comme pour
l'incident précédent, il s'est contenté d'affirmer qu'il ne s'en rappelait pas et
qu'avant l'audience, il n'avait jamais lu la lettre de congédiement qui en faisait
mention.
48 Il a toutefois dû admettre que la facture de 74,73 $ portait bien son nom,
même si, contrairement au 9 novembre, il n'y avait inscrit aucune mention
manuscrite.
49 Après l'incident, le réclamant a continué à travailler normalement jusqu'au 26
novembre 2012.
3) L'INCIDENT DU LUNDI 26 NOVEMBRE 2012
a) La version des témoins de l'employeur
50 Cette fois-ci, M. Duport a demandé à M. Mailloux, un ami de la directrice des
finances, Mme Lamarre, d'agir en qualité de client-mystère.
51 Le 20 novembre, M. Mailloux s'est présenté seul au restaurant pour le lunch.
52 Auparavant, il avait rencontré M. Duport qui lui avait remis 100 $. Il a précisé
à l'audience qu'il croyait qu'il s'agissait de coupures de 20 $, tout en ajoutant ne
pas en être certain, car à l'époque, il n'a pas noté cette information.
53 Après avoir été servi par le réclamant, M. Mailloux a demandé l'addition que
le réclamant lui a aussitôt remise; elle était au montant de 55,19 $, taxes
incluses.
54 Selon M. Mailloux, il a remis 90 $ au réclamant. Il a reconnu ne pas être
certain s'il lui avait donné cinq coupures de 20 $ - auquel cas, le réclamant lui
aurait remis 10 $ - ou s'il lui avait donné quatre coupures de 20 $ et une de
10 $.
55 Il a ajouté être toutefois certain d'avoir donné au réclamant l'équivalent de
90 $, en lui disant que c'était complet, ce qui signifiait qu'il lui laissait un
pourboire de 34,81 $.
56 Avant de quitter, M. Mailloux a remis à M. Duport le 10 $ qu'il n'avait pas
utilisé, ce que ce dernier a confirmé.
57 Le 14 mars 2013, M. Mailloux a transmis par courriel à l'employeur le compterendu suivant (pièce E-5):
À qui de droit,
Le 26 novembre j'ai été mandaté à faire un «mystery choper» au
restaurant du Ritz Maison Boulud. Je suis arrivé ver midi trente, j'ai pris
un repas d'environ 50-60 $ et j'ai laissé 90 $ au serveur. Le serveur
était courtois et attentionné, aucun reproche a faire de ce côté. J'ai
quitté ma table a quatorze heure. Par la suite je suis aller rencontrer le
maître d'hôtel pour l'informé de mon expérience et lui remettre 10 $
qui me restait, on m'avait donné 100 $ pour le repas.
(Sic)
58 M. Beugnot, le barman en fonction ce jour-là, a déclaré qu'il n'y avait eu
qu'une seule addition qui avait été réglée comptant, soit celle pour la table 27,
servie par le réclamant.
59 M. Beugnot a déclaré que M. Duport l'avait préalablement prévenu de bien
noter le montant que lui remettrait le réclamant pour cette table, à la fin du quart
de travail. M. Beugnot a indiqué que le réclamant lui avait remis 65 $, somme
qu'il avait comptée devant lui. Il avait ensuite mis 55,19 $ dans la caisse et
9,81 $ dans le gobelet des pourboires. Il manquait donc 25 $ au pourboire
qu'avait laissé M. Mailloux.
60 Une caméra fixée au-dessus de l'ordinateur du réclamant l'a filmé à la fin de
son quart de travail. On l'y voit vérifier si le total des reçus de cartes coïncide
avec les montants indiqués sur le rapport final de caisse. On y voit également le
réclamant qui compte des coupures et qui, après avoir furtivement regardé à
gauche et à droite, met un billet de 5 $ ou 10 $ (l'image n'est pas assez claire
pour le savoir avec certitude) dans la poche de sa chemise. Finalement, on voit
le réclamant se présenter à la caisse du barman avec ses factures, ses reçus de
cartes, de l'argent comptant et son rapport final de caisse.
61 La preuve révèle finalement que seul M. Mailloux a payé comptant durant ce
quart de travail.
62 Après que M. Beugnot eut fait rapport à M. Duport du montant que lui avait
remis le réclamant, ce dernier, après consultation avec MM. Steiner et
Benezech, a invité le réclamant à aller le rencontrer dans la salle Gordon, une
fois son rapport final terminé, afin de discuter «de certaines affaires». Le
réclamant a alors cru que M. Duport voulait discuter avec lui de sujets qui
seraient abordés lors de la prochaine rencontre du comité des relations de
travail.
4) LA RENCONTRE AU SALON GORDON
63 La rencontre a eu lieu vers 14 h 30. MM. Steiner, Benezech et Duport y
représentaient l'employeur, alors que le réclamant était seul sans qu'on lui offre
d'être accompagné par un représentant du syndicat.
a) La version des témoins de l'employeur
64 Au début de la rencontre, selon les représentants de l'employeur, M.
Benazech a déclaré au réclamant qu'un client lui avait remis 90 $ pour régler
son addition de 55 $, mais qu'il n'avait remis que 65 $ au barman. Le réclamant
a alors sorti un billet de 5 $ de la poche de sa chemise en expliquant qu'il n'avait
pas eu le temps de clore la transaction.
65 Selon les représentants de l'employeur, M. Benezech a insisté pour savoir
combien le client lui avait remis et après avoir dit qu'il ne s'en souvenait pas, le
réclamant a finalement indiqué qu'il lui avait donné 70 $.
66 Selon les trois témoins, M. Benezech a répondu au réclamant que selon les
informations dont il disposait, le client lui avait plutôt remis 90 $. Le réclamant
s'est alors agité, a crié qu'il s'agissait d'un coup monté et qu'il voulait appeler son
avocat. Puis, le réclamant s'est brusquement levé et a quitté la salle en courant.
67 Dans son témoignage, M. Benezech a déclaré avoir été très surpris de la
réaction du réclamant, parce qu'il ne voulait qu'obtenir sa version des faits.
68 M. Steiner a pour sa part affirmé qu'avant la réunion, il avait de sérieux doutes
sur l'honnêteté du réclamant, mais n'avait encore pris aucune décision. Il a par
ailleurs expliqué ne pas avoir offert au réclamant la présence d'un représentant
syndical, parce que le but de la rencontre n'était pas de lui imposer une mesure
disciplinaire, mais uniquement d'obtenir sa version des faits.
69 Vers 14 h 40, après avoir cherché le réclamant partout dans l'hôtel,
l'employeur l'a finalement trouvé devant la porte du bureau de la sécurité, au
sous-sol.
70 Le jour même, MM. Benezech et Steiner ont dressé deux rapports d'incidents
dont les extraits pertinents sont les suivants:
Le rapport d'incident de M. Benezech (pièce E-18)
Le lundi 26 novembre 2012 à 14 heures 30 minutes, Cyril Duport
(directeur du restaurant Maison Boulud) m'informe que Rachid Mallis a
reçu 90 dollars par un client dont l'addition totale s'élevée a... Alors
que Monsieur Rachid Mallis aurait dû remettre... dans le pot commun
des pourboires, il ne remet que 10 dollars.
Je demande à Cyril Duport de le convoquer afin que nous le
rencontrions immédiatement avec Jo Steiner (directeur de
l'administration).
A environ 14h35, Rachid Mallis et Cyril Duport nous rejoigne au salon
Gordon. Je prends la parole et lui explique de nous expliquer pourquoi
il a remis... Dans le pot commun compte tenu du fait que le client a
remis 90 dollars. En présence de Messieurs Steiner et Duport,
Monsieur Mallis répond et insiste sur le fait que le client a remis 70
dollars. Il sort alors 5 dollars de sa poche de chemise et nous dit que
les 65 dollars remis plus les cinq dollars font 70 dollars. Lorsque nous
insistons sur le montant de 90 dollars que le client a remis, Monsieur
Mallis s'énerve et répond qu'il contacte tout de suite son avocat et
appelle la police. Il quitte alors la salle précipitamment.
Je le suis et malgré mes appels, Rachid ne s'arrête pas, cours dans les
escaliers de secours du 3eme étage au lobby passe par le lobby la
cour des Palmiers. Je le perds de vue et après être passé au
restaurant et au vestiaire, je le retrouve à la sécurité (coté Rue
Drummond ou se trouve la sortie des employés) en présence de Cyril
Duport.
(...) (Sic)
Le rapport d'incident de M. Steiner (pièce E-20)
1) Rencontre avec M. Rachid Mallis
- Le 26 novembre 2012 à 14:30, Messieurs Guillaume Benezech
(GB) et Cyril Duport (CD) et moi (JS) rencontrons M. Rachid Mallis
(RM) dans le Salon Gordon.
- GB informe RM qu'un client avait donné à RM $90 pour sa
consommation et le pourboire, et que RM avait fermé la facture
à $65; GB demande à RM d'expliquer l'écart.
- RM répond que la consommation était de $55.19 et qu'il ait fermé la
facture à $65. RM sort alors un billet de $5 de sa poche de chemise
et dit qu'il n'avait pas encore fini.
- JS demande à RM combien le client lui avait donné en argent. RM
répond qu'il ne se souvenait pas. JS vérifie: «vous vous souvenez
pas?». RM répond alors que le client lui avait donné $70. JS
demande quelles coupures le client avait donné à RM. RM répond
qu'il ne se rappelle pas.
- JS dit que le client avait dit qu'il avait donné $90 à RM.
- RM dit: «Cet un coup monté. Je vais appeler mon avocat.» II se
lève brusquement, quitte la salle et court dans le corridor.
- GB court après RM en l'appelant: «Rachid, arrêtez!»
(...)(Sic)
b) La version du réclamant
71 À l'audience, le réclamant qui a témoigné en premier - a déclaré qu'il se
souvenait très bien de l'incident survenu ce jour-là, parce qu'après un premier
incident survenu en 2008, c'était la deuxième fois, selon lui, que l'employeur
«l'avait tué».
72 Il a affirmé qu'il se rappelait très bien que le client qui avait payé comptant le
26 novembre 2012 lui avait remis 65 $ pour payer son addition de 55 $ et qu'il
avait remis intégralement cette somme au barman, à la fin de son quart de
travail. Pressé de questions, le réclamant a admis avoir sorti un billet de 5 $ de
sa poche, puis l'avoir remis dans sa poche après l'avoir montré aux
représentants de l'employeur.
73 Selon le réclamant, c'est M. Steiner qui a parlé en premier ce jour-là, en lui
disant d'abord qu'il n'avait pas remis au barman la somme de 100 $ comptant
qu'un client lui avait donné.
74 Le réclamant a déclaré que M. Benezech lui a ensuite demandé quelle
somme le client de la table 27 lui avait remise pour payer son addition de 65 $ et
qu'il lui a répondu que le client lui avait donné 65 $ et qu'il avait remis cette
somme au barman.
75 Il a ajouté qu'il était encore convaincu que le client lui avait donné cette
somme, parce que, a-t-il expliqué, il se souvenait très bien «de cet incident
mémorable».
76 Puis, dit-il, devant l'insistance de M. Benezech, il lui a répondu aussitôt:
«Vous êtes en train de m'accuser» et «Je veux qu'on appelle la police». M
Benezech a rétorqué qu'il ne voulait qu'obtenir sa version des faits, mais le
réclamant a affirmé qu'il s'était alors senti jugé et accusé de vol et avait insisté
pour qu'on appelle la police.
77 Devant leur refus, de poursuivre le réclamant, il s'est enflammé et a décidé de
quitter les lieux en courant afin de se rendre au bureau de la sécurité de l'hôtel.
78 Appelé à expliquer pourquoi, s'il n'avait rien à se reprocher, il n'avait pas
simplement rétabli les faits, il s'est emporté et a répondu qu'il était malade depuis
2008 et qu'on ne pouvait l'accuser ainsi.
C) LES INCIDENTS RELIÉS AUX ACCUSATIONS DE MENACES ET
D'INTIMIDATION
79 Après avoir quitté le salon Gordon, le réclamant s'est précipité dans les
corridors de l'hôtel, a traversé le hall et s'est rendu au sous-sol devant le bureau
de la sécurité où l'employeur a pu, pour la première fois, grâce à la caméra de
surveillance, le localiser: il était 14 h 40.
80 La suite des événements a donné lieu à des témoignages précis et
concordants de la part des témoins patronaux.
81 Les témoignages de MM. Benezech, Duport et Pierre Louis, le directeur de la
sécurité, ont principalement porté sur trois moments distincts qui se sont
déroulés devant ou à l'intérieur du bureau de la sécurité. Leur version a par
ailleurs été corroborée par les images captées par la caméra de surveillance.
82 Le réclamant s'est quant à lui contenté de dire qu'il était hors de lui et qu'il ne
se souvenait pas des paroles qu'il avait pu dire.
1) LA RENCONTRE DE 14 H 44
83 Les images de la caméra de surveillance montrent que M. Duport s'est
présenté le premier devant le bureau de sécurité où se trouvait le réclamant; il
était 14 h 41. Les deux hommes étaient au téléphone et ne se sont pas parlé
pendant quelques minutes.
84 À 14 h 44, M. Benezech est arrivé avec M. Pierre Louis et la vidéo montre le
réclamant qui s'agite aussitôt et regarde M. Benezech d'un air très menaçant
pendant qu'il termine son appel téléphonique.
85 À la fin de l'appel, selon les trois témoins patronaux, M. Benezech a indiqué
au réclamant qu'il ne l'accusait pas, mais voulait seulement obtenir sa version
des faits. À ce moment, le réclamant est devenu furieux et déchaîné: il a crié à
M. Benezech qu'il essayait «d'avoir sa peau», mais qu'il ne se laisserait pas faire
puis, en s'approchant très près de lui et en le pointant du doigt, il l'a menacé à
deux reprises de le tuer, lui et «le suisse» (en l'occurrence M. Steiner). Selon les
témoins, le réclamant a réitéré ces menaces à au moins deux reprises et a
également menacé de s'immoler par le feu devant l'hôtel.
86 Les images filmées par la caméra de surveillance permettent de constater
que le réclamant était véritablement hors de lui, qu'il criait, les yeux exorbités, en
pointant M. Benezech à moins de six pouces de son visage. Ce dernier a
d'ailleurs affirmé à l'audience avoir véritablement eu peur, tant le réclamant était
agressif et emporté.
87 M. Pierre Louis s'est finalement interposé et a demandé à M. Benezech de
partir, après quoi il a tenté de calmer le réclamant en lui expliquant qu'il n'avait
qu'à fournir sa version des faits, ce qui permettrait de l'innocenter. Le réclamant
a persisté à refuser parce que l'employeur l'avait traité de voleur. Il a également
dit à trois reprises à M. Pierre Louis qu'il était prêt à se suicider et à faire sauter
l'hôtel.
88 Le réclamant s'est progressivement calmé, tout en continuant d'insister pour
que l'employeur lui présente des excuses publiques s'il devait rencontrer de
nouveau M. Benezech. Selon M. Pierre Louis, le réclamant a finalement accepté
de rencontrer à nouveau M. Benezech.
2) LA RENCONTRE DE 15 H 9
89 Selon les images de la caméra de surveillance, M. Benezech s'est présenté
au bureau de la sécurité à 15 h 9. Dès son arrivée, le réclamant—qui était
assis—s'est brusquement agité. Il s'est pris la tête à deux mains en la secouant,
tentant de s'arracher les cheveux, et en criant.
90 MM. Benezech et Pierre Louis ont déclaré que le réclamant avait alors repris,
en gesticulant dans tous les sens, ses menaces de mort à l'endroit de M.
Benezech et du «suisse», avant de soudainement se mettre à hurler en
déchirant sa chemise de haut en bas. M. Pierre Louis a alors dû intervenir pour
qu'il ne se lève pas de sa chaise et tous ont convenu que M. Benezech devait
partir.
91 À 15 h 13, après le départ de M. Benezech et alors que M. Pierre Louis tentait
de calmer le réclamant, le secrétaire du syndicat, M. José Viera, est arrivé. M.
Pierre Louis lui a expliqué la situation. Les images captées par la caméra
permettent de voir que pendant cet échange, le réclamant frappait violemment le
mur, au point de faire tomber l'horloge et le combiné du téléphone.
92 MM. Viera et Pierre Louis ont ensuite tenté de calmer le réclamant et de le
convaincre de rencontrer de nouveau M. Benezech pour lui donner sa version
des faits. Le réclamant a refusé à plusieurs reprises—en expliquant que le
représentant de l'employeur était le «diable incarné»—puis a finalement accepté.
3) LA RENCONTRE DE 15 H 40
93 M. Benezech est retourné au bureau de la sécurité à 15 h 40 et a rencontré
M. Viera en lui expliquant qu'il souhaitait uniquement connaître la version du
réclamant, ce que M. Viera a accepté.
94 MM. Pierre Louis et Viera se sont alors mis entre M. Benezech et le réclamant
qui était plus calme. M. Benezech a ensuite expliqué au réclamant qu'il voulait
seulement savoir quelle somme le client lui avait remis et combien lui-même
avait remis au barman. Le réclamant lui a alors dit, à deux reprises, qu'il avait
reçu 65 $ du client et qu'il avait remis cette somme au barman.
95 M. Benezech l'a aussitôt informé qu'il était suspendu à des fins d'enquête et
qu'il lui ferait ultérieurement connaître la décision de l'employeur, puis a quitté.
96 Après le départ de M. Benezech, le réclamant ne voulait pas partir et insistait
pour que M. Pierre Louis appelle la police, ce que ce dernier a finalement fait
après avoir consulté M. Steiner.
97 Entretemps, le réclamant avait appelé une ambulance qui est arrivée à peu
près en même temps que les policiers. Le réclamant a été transporté à l'urgence
du centre hospitalier Douglas, où il est arrivé à 17 h 7.
98 Dr Girard, qui l'a examiné, a diagnostiqué un «stress situationnel (avec)
idéation suicidaire» et lui a prescrit de I'Ativan avant de lui donner congé.
99 Dans ses notes [pièce E-8)], Dr Girard écrit:
Dit que l'administration fait du harcèlement sur vieux employés et veut
qu'ils quittent.
Certains sont (illisible) et l'administration engage des français (jeunes
diplômés pour remplacer d'où aucune affectation nouvelle et cout
moindre.
Sent un coup monté contre lui dit qu'il a appelé la police avant
l'administration du Ritz pour confirmer ses dires.
Se sent brimé
Il aurait dit qu'il allait aller sur Sherbrooke et s'immoler.
L'employeur dit qu'il a dit et menacé de mettre le feu à l'hôtel.
100 Le jour même, M. Pierre Louis a rempli un rapport d'incident (pièce E-19),
dont les passages pertinents se lisent comme suit:
(...)
Monsieur Guillaume et Cyril demandent à l'employé de retourner à leur
bureau afin de terminer la discussion ce qu'il a catégoriquement refusé
et a fait des menaces de mort aux deux hommes. Je demande à
Guillaume et Cyril de retourner à leur bureau et me laisser gérer la
situation. Je demande à monsieur Mallis de retourner au bureau des
directeurs afin de terminer la discussion, l'employé ne voulait pas
retourner à la réunion avec ses supérieurs, tout en mentionnant qu'on
lui a traité de voleur, il est prêt à faire sauter l'hôtel et se suicider après
(à trois reprise), il est devenir très agressif et frappait les murs du
bureau.
Je suis allé chercher monsieur Guillaume et lui demande de rencontrer
monsieur Mallis au bureau de la sécurité, a notre arrivés au bureau
monsieur Mallis est devenu encore plus agressif, il a déchiré sa
chemise, blessé son visage et faire des menaces de mort à monsieur
Guillaume. Je demande à monsieur guillaume de retourner à son
bureau. Moi et monsieur Josée (membre du syndicat) demandent à
monsieur Malice d'accepter de rencontrer monsieur Guillaume et de
l'écouter, il a finalement accepté, monsieur Guillaume est entrée au
bureau et a demandé à monsieur Mallis c'et quoi la somme d'agent
que le client lui a donné, il a répondu 65 dollars, monsieur Mallis se mit
en colère et recommence avec ses menace en vers monsieur
Guillaume, qui lui a demandé par la suite d'entrée chez lui et il sera
appelé dans deux à quatre jours après investigation. Il ne voulais pas
entrée chez lui et appelé les ambulanciers et faire une déclaration de
suicide.
J'ai appelé le 911, ils m'ont envoyé deux policier (Fusco et De Santis
matriculé 5152-acu, 5559-acu). Ils m'ont interrogé et faire un rapport
de la situation, ils ont accompagné monsieur Mallis et les ambulanciers
à l'hôpital.
(Sic)
D) L'ENQUÊTE ET LE CONGÉDIEMENT
101 M. Steiner, qui a assisté à la rencontre avec le réclamant dans le salon
Gordon à 14 h 30, a déclaré que par la suite, vers 15 h, M. Benezech l'a informé
que le réclamant était agressif et avait proféré des menaces de mort contre lui et
M. Steiner.
102 M. Steiner a informé M. Torriani de la situation et ce dernier lui a aussitôt
confié la responsabilité de l'enquête.
103 Vers 16 h, M. Steiner a appelé M. Séverin, le président du syndicat, pour lui
faire part des gestes posés par le réclamant. Conformément à la pratique de
l'employeur en pareils cas, il a proposé à M. Séverin que le réclamant remette sa
démission en échange du droit à la prime de 8 000 $ prévue au paragraphe
25.11. M. Séverin lui a répondu qu'il en parlerait au réclamant et lui ferait
connaitre sa réponse.
104 Lors de la réunion du comité des relations professionnelles, le lendemain, 27
novembre, MM. Séverin et Jean, un permanent syndical CSN, ont informé M.
Steiner qu'ils n'avaient pu entrer en communication avec le réclamant, mais qu'ils
poursuivraient leur démarche. M. Steiner leur a répondu qu'en raison de la
gravité de la situation, il leur donnait trois jours pour lui transmettre la réponse du
réclamant.
105 Le vendredi 30 novembre, n'ayant reçu aucune réponse, M. Steiner a appelé
à trois reprises les représentants syndicaux, mais sans parvenir à leur parler et
sans que ces derniers le rappellent.
106 Au cours de la semaine, MM. Duport, Benezech et Pierre-Louis ont remis à
M. Steiner, à sa demande, un compte-rendu des incidents.
107 À la demande de M. Steiner M. Pierre Louis lui a remis les images filmées
par les caméras de surveillance sur les lieux où se trouvait le réclamant le 26
novembre entre 14 h et 16 h.
108 M. Steiner les a visionnées et n'a retenu que les plus pertinentes, à savoir
celles provenant de la caméra située au-dessus de l'ordinateur du réclamant, et
celles montrant ce dernier devant et à l'intérieur du bureau de sécurité. M.
Steiner a précisé que ces séquences étaient intégrales et complètes et
qu'aucune image n'avait été effacée. Il a par ailleurs ajouté avoir offert aux
représentants syndicaux, à ou vers le 27 novembre, de les visionner, mais ces
derniers ont refusé.
109 M. Steiner a déclaré que le 3 décembre 2012, sur la base des informations
contenues au dossier et après consultation avec MM. Torriani, Benezech et
Duport, il en est venu à la conclusion que les vols constatés à trois occasions,
les menaces de mort proférés par le réclamant et l'atteinte à la réputation de
l'hôtel qui en avait découlé avaient irrémédiablement rompu le lien de confiance
avec le réclamant et il a décidé de le congédier.
110 En contre-interrogatoire, M. Steiner a admis qu'après les incidents des 9, 20
et 26 novembre, son enquête ne lui avait pas permis de découvrir de nouveaux
faits. Il a toutefois ajouté qu'à l'époque, il ignorait s'il possédait toutes les
informations pertinentes et il voulait en outre s'assurer de disposer de preuves
solides.
111 M. Steiner a également reconnu ne pas avoir cherché à rencontrer le
réclamant après le 26 novembre, en raison de son attitude agressive et très
menaçante à son égard. De toute façon, a-t-il ajouté, le réclamant demeurait
introuvable et aucun représentant syndical n'a demandé une telle rencontre.
112 Ce n'est finalement qu'en mars 2013 que les représentants syndicaux ont
demandé à visionner les séquences vidéo et ce visionnement a eu lieu en
l'absence du réclamant.
E) LE DOSSIER MÉDICAL DU RÉCLAMANT
113 Le 26 novembre, selon le réclamant, était la troisième fois que les
agissements de l'employeur le rendaient malade.
114 La première fois était survenue lors de la contestation d'un accident survenu
en 2008 et la seconde, lors du dépôt de sa plainte de harcèlement
psychologique, en juillet 2012.
1) L'ACCIDENT DE TRAVAIL DE 2008
115 Le 15 juin 2008, en dehors de ses heures de travail et en raison d'un
différend portant sur le partage du travail, le réclamant a reçu un coup de poing
au visage de la part d'un collègue sommelier. Il a alors subi une fracture du nez,
suivie d'un stress post-traumatique et il a déposé une réclamation auprès de la
CSST. L'employeur a toutefois contesté cette réclamation, estimant que la
dispute n'était pas survenue alors qu'il était dans l'exercice de ses fonctions.
116 Le 11 février 2009, la CSST a rejeté la réclamation et le 3 octobre 2009, elle
a maintenu sa décision en révision administrative. Le 7 mai 2010, la Commission
des lésions professionnelles a cependant infirmé cette décision et accueilli la
demande du réclamant.
2) LA DATE DE CONSOLIDATION
117 Dans un rapport d'expertise psychiatrique demandé par la CSST, D r Robert
Labine a écrit, le 19 mai 2010:
Notons que monsieur a toujours besoin d'une médication
antidépressive de même que d'une médication neuroleptique au
coucher, afin de garder sa condition stabilisée. De plus, monsieur
poursuit un processus de psychothérapie, qui s'avère nécessaire afin
de bien consolider sa situation, mais aussi afin de le préparer au retour
au travail, d'ici quelques mois. Il m'apparaît clair que monsieur doit
poursuivre un tel processus de psychothérapie pendant encore
quelques mois, à tout le moins jusqu'à ce qu'il soit bien réintégré au
travail, c'est-à-dire dans plusieurs mois, compte tenu qu'il serait
important que le processus de thérapie se poursuive encore pour deux
ou trois mois lorsque monsieur aura repris le travail, afin de bien
s'assurer que le processus de retour au travail s'effectue sans
problème.
118 Le 14 juillet 2010, les parties se sont entendues sur la date du 26 avril 2010
comme date de consolidation du réclamant, tout en reconnaissant qu'il devait
encore suivre des traitements pendant quelques mois. Le 15 juillet 2010, la CLP
a entériné cette entente, ce qui signifie qu'au plus tard à la fin de 2010, le
réclamant n'avait plus besoin de traitement.
III- LES OBJECTIONS EN DROIT DU SYNDICAT
119 Le procureur syndical a formulé deux moyens préliminaires fondés sur le
paragraphe 8.02 de la convention collective.
A) LES PRÉTENTIONS DU SYNDICAT
120 Selon le procureur syndical, les dispositions du paragraphe 8.02 obligent
l'employeur à s'assurer de la présence d'un représentant syndical à l'occasion de
toute entrevue de nature disciplinaire. Or, d'affirmer le procureur, l'employeur n'a
pas respecté cette obligation lors de la rencontre du 26 novembre 2012, à 14 h
30, à la salle Gendron où se trouvaient trois cadres.
121 Le procureur a fait valoir que comme le précise le paragraphe 7.09 c) - qui
stipule que les délais d'arbitrage sont de rigueur -, l'obligation prévue à la clause
8.02 est impérative.
122 Subsidiairement, le procureur a soutenu que même si l'arbitre en vient à la
conclusion que les formalités ne sont qu'indicatives, il devrait malgré tout annuler
le congédiement du réclamant, parce que M. Steiner—qui connaît bien la
convention collective - a fait preuve de mauvaise foi en omettant délibérément de
convoquer des représentants syndicaux à la rencontre du 27 novembre.
123 Le procureur a déposé plusieurs autorités au soutien de ses prétentions.
B) LES PRÉTENTIONS DE L'EMPLOYEUR
124 La procureure patronale a pour sa part fait valoir que l'arbitre ne pouvait faire
droit à ces moyens préliminaires, en premier lieu parce que le syndicat ne les a
pas soulevés à la première occasion. En effet, a-t-elle expliqué, le grief n'en fait
pas état et le syndicat n'a annoncé qu'une semaine avant le début de l'audience,
son intention de soulever ces moyens préliminaires.
125 Mais il y a plus, d'ajouter la procureure, puisque la preuve a révélé que vers
15 h, le 26 novembre, M. Benezech a rencontré le réclamant en présence de M.
Viera, un représentant syndical, dans le bureau de la sécurité.
126 La procureure a par ailleurs justifié la décision de M. Steiner en invoquant le
paragraphe 8.02 a) qui prévoit que lorsque «le maintien en emploi est de nature
à causer préjudice à l'Employeur», ce dernier n'est pas tenu de convoquer le
salarié concerné.
127 La procureure patronale a également fait valoir que la formalité prévue au
paragraphe 8.02 n'est pas impérative, mais seulement indicative, parce qu'il ne
s'agit pas d'un délai.
128 La procureure patronale a finalement prétendu que le paragraphe 8.06 de la
convention collective prévoit déjà la sanction associée à la non-observance de la
formalité prévue à la clause 8.02 en édictant qu'«aucun aveu fait par le salarié en
l'absence d'un représentant syndical ne peut lui être opposé lors d'un arbitrage».
C) LES DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA CONVENTION COLLECTIVE
129 Les dispositions de la convention collective qui permettent de répondre aux
moyens soulevés par le syndicat sont les suivantes:
ARTICLE 7—PROCÉDURE DE RÈGLEMENT DE GRIEFS ET
D'ARBITRAGE
(...)
7.03 Première étape: dépôt du grief
Un grief doit être soumis par écrit par le Syndicat ou par le salarié,
accompagné s'il le désire de son délégué syndical ou d'un officier du
Syndicat, au directeur des ressources humaines dans les trente (30)
jours de calendrier suivant la date à laquelle l'incident est survenu ou
suivant la date de sa connaissance dans la mesure où le salarié ou le
Syndicat selon le cas établit qu'il était dans l'impossibilité d'en avoir
connaissance plus tôt.
Le directeur des ressources humaines doit rendre sa décision dans les
sept (7) jours de calendrier suivant la date de réception du grief écrit.
7.04 Deuxième étape: avis d'arbitrage
a) Si la décision écrite du directeur des Ressources humaines n'est
pas rendue dans le délai prévu ou si elle n'est pas jugée satisfaisante,
le Syndicat peut référer le grief à l'arbitrage par un avis écrit à cet effet
envoyé au directeur des Ressources humaines au plus tard dans les
trente (30) jours de calendrier suivant la réponse du directeur des
Ressources humaines ou de l'expiration du délai prévu pour sa
réponse.
b) Choix d'arbitre
Sur réception de cet avis, le Syndicat et l'Employeur tentent de
s'entendre sur le choix d'un arbitre.
À défaut pour les parties de pouvoir s'entendre sur le choix d'un
arbitre, l'une ou l'autre des parties peut faire une demande de
nomination d'arbitre conformément aux dispositions du Code du travail,
c) Arbitrage accéléré dans les cas de congédiement
Dans le cas de congédiement, à défaut d'entente sur le choix d'un
arbitre, les parties peuvent d'un commun accord demander au Service
d'arbitrage accéléré inc. d'assigner un arbitre.
En matière de congédiement, l'arbitre doit entendre les parties à
l'intérieur d'un délai de soixante (60) jours de sa nomination sauf en
cas d'accord écrit à l'effet contraire entre les parties, accord conclu
avant l'expiration du délai de soixante (60) jours précité.
(...)
7.06 Pouvoirs de l'arbitre
a) L'arbitre a comme seule juridiction l'autorité d'interpréter et
d'appliquer les dispositions de la présente convention collective; il n'a
aucunement le pouvoir de les altérer, d'y ajouter, d'en modifier les
dispositions de quelque façon que ce soit, ni de rendre une décision
incompatible avec les termes et dispositions de la présente
convention.
b) En matière disciplinaire, l'arbitre peut confirmer, modifier ou annuler
la décision de l'Employeur et il peut, le cas échéant, y substituer la
décision qui lui paraît juste et raisonnable compte tenu de toutes les
circonstances de l'affaire.
(...)
7.09 Dispositions particulières
(...)
3) Délais de rigueur
Les délais prévus au présent article sont de rigueur. Toutefois, dans
toute étape de la procédure des griefs, les délais prévus peuvent être
prolongés, par entente écrite entre les parties. Il est entendu que le
non-respect des délais ne constitue pas une simple erreur technique.
(...)
(...)
ARTICLE 8—MESURES DISCIPLINAIRES
8.01 Principe et définition
a) Sauf dans le cas de faute grave, il est convenu que l'utilisation des
mesures disciplinaires vise un effet correctif plutôt que punitif et qu'en
ce sens, l'Employeur favorisera l'usage d'une progression raisonnable
dans la sévérité des sanctions imposées. Les mesures disciplinaires
doivent être imposées avec justice et impartialité. Selon la gravité et la
fréquence des offenses commises et tenant compte des circonstances,
les mesures disciplinaires suivantes peuvent être prises:
- avertissement écrit
- suspension
- congédiement
c) Il est convenu que la durée maximale d'une suspension est de sept
(7) jours de travail. La présente limitation ne peut avoir pour effet
d'empêcher un arbitre d'imposer une suspension d'une durée
supérieure ni avoir pour effet d'empêcher les parties de convenir d'une
suspension plus longue en lieu et place d'un congédiement.
8.02 Rencontre préalable et avis écrit
a) Sauf dans le cas où le maintien en emploi est de nature à causer
préjudice à l'Employeur, il est convenu qu'avant d'imposer une mesure
disciplinaire, l'Employeur convoque le salarié concerné accompagné
de son délégué syndical ou d'un officier du Syndicat afin de discuter de
la mesure disciplinaire qui pourrait être imposée.
b) Toute mesure disciplinaire imposée par l'Employeur à un salarié doit
lui être confirmée par avis écrit dans les vingt (20) jours suivant
l'infraction supposée ou suivant la date de la connaissance de cette
prétendue infraction par l'Employeur. Cet avis doit mentionner le ou les
motifs à l'appui de la décision de l'Employeur et copie est transmise au
Syndicat.
(...)
8.06 Aveu
Aucun aveu fait par le salarié en l'absence d'un représentant syndical
ne peut lui être opposé lors d'un arbitrage à moins que le salarié n'ait
consigné, par écrit, son opposition à la présence d'un tel représentant.
8.07 Témoin syndical
a) Tout salarié convoqué par un représentant de l'Employeur à une
entrevue relative à des mesures disciplinaires doit, en tout temps, se
faire accompagner de son délégué syndical ou d'un officier du
Syndicat à moins que le salarié ne consigne par écrit son opposition à
la présence d'un tel représentant.
(...)
D) DÉCISION ET MOTIFS SUR LE MOYEN PRÉLIMINAIRE
130 Le syndicat prétend qu'en rencontrant le réclamant le 26 novembre 2012,
vers 14 h 30, au salon Gordon, sans s'assurer de la présence d'un représentant
syndical, l'employeur n'a pas respecté l'obligation prévue au paragraphe 8.02 a)
de la convention collective.
131 Afin de répondre à ce moyen préliminaire, j'examinerai d'abord les
dispositions contenues aux articles 7 et 8 de la convention collective.
132 Comme son titre l'indique, l'article 7 traite de la procédure de règlement des
griefs et d'arbitrage.
133 Selon le paragraphe 7.03, tout grief doit être soumis «dans les trente (30)
jours de calendrier suivant la date à laquelle l'incident est survenu ou suivant la
date de sa connaissance», à la suite de quoi «[l]e directeur des ressources doit
rendre sa décision dans les sept (7) jours de calendrier suivant la date de
réception du grief écrit».
134 Le paragraphe 7.04 stipule quant à lui que le syndicat peut déférer le grief à
l'arbitrage «au plus tard dans les trente (30) jours de calendrier suivant la
réponse du directeur des Ressources humaines ou de l'expiration du délai prévu
pour sa réponse».
135 L'article 7 prévoit diverses autres dispositions portant notamment sur le
choix de l'arbitre, les pouvoirs de ce dernier, la sentence arbitrale et les frais
d'arbitrage.
136 Plus précisément au paragraphe 7.09—consacré aux «dispositions
particulières», le paragraphe 7.09 c) édicte que «[l]es délais prévus au présent
article sont de rigueur». À l'évidence, à moins d'indication contraire ailleurs dans
la convention collective, les seuls délais qui sont de rigueur sont ceux prévus à
l'article 7 consacré aux procédures de grief et d'arbitrage.
137 L'article 8 qui suit est pour sa part consacré aux mesures disciplinaires, un
sujet tout autre que les procédures de grief et d'arbitrage.
138 Le paragraphe 8.01 prévoit que «l'utilisation des mesures disciplinaires vise
un effet correctif plutôt que punitif» et confirme le principe de la gradation des
sanctions.
139 Les paragraphe 8.02 a) et 8.08 contiennent quant à eux les dispositions les
plus pertinentes à la solution de la question soulevée par le moyen préliminaire
du syndicat.
140 Le paragraphe 8.02 a) stipule qu'«avant d'imposer une mesure disciplinaire,
l'Employeur convoque le salarié concerné accompagné de son délégué syndical
(...) afin de discuter de la mesure disciplinaire qui pourrait être imposée». Il s'agit
donc d'une formalité préalable à l'imposition d'une mesure disciplinaire.
141 Le paragraphe 8.06 édicte quant à lui qu'«aucun aveu fait par le salarié en
l'absence d'un représentant syndical ne peut lui être opposé lors d'un arbitrage».
Cette disposition prévoit manifestement la sanction qui est associée à la violation
de l'obligation prévue au paragraphe 8.02 a). Or, le paragraphe 7.06 consacré
aux pouvoirs de l'arbitre prévoit clairement que le rôle de ce dernier se limite à
appliquer telles quelles les clauses de la convention collective, sans les modifier
de quelque façon que ce soit.
142 Ceci étant dit, il est évident que la formalité prévue au paragraphe 8.02 a)
n'est qu'indicative, et non impérative.
143 Autrement dit, l'employeur a véritablement l'obligation, avant d'imposer une
mesure disciplinaire, de rencontrer le salarié en présence de son délégué
syndical. Outre le fait qu'elle rende inadmissible en preuve tout aveu fait par le
salarié en l'absence d'un représentant syndical, l'inobservance de cette
obligation n'entraine toutefois pas la nullité absolue de la mesure.
144 Pour que la formalité prévue au paragraphe 8.02 a) soit impérative, il aurait
fallu que les parties le prévoient expressément, mais dans un tel cas, le
paragraphe 8.06 rendant inadmissible les aveux faits en l'absence d'un
représentant syndical serait devenu sans objet.
145 Les parties avaient donc le choix: rendre la formalité impérative ou prévoir
l'inadmissibilité des aveux consentis en l'absence d'un représentant syndical. En
l'espèce, elles ont choisi cette seconde option.
146 Reste le paragraphe 8.07 a) qui étend l'obligation de la présence d'un
représentant syndical—non plus uniquement lors d'une rencontre préalable à
l'imposition d'une mesure—mais lors de toute «entrevue relative à des mesures
disciplinaires».
147 À défaut d'un texte à l'effet contraire, il faut convenir que ces deux formalités
sont de même nature, à savoir des formalités indicatives et non impératives, et
qu'en tout état de cause, un aveu fait sans la présence d'un représentant
syndical est inadmissible en preuve.
148 Il en va autrement pour tout ce qui n'est pas un aveu, c'est-à-dire ce qui s'est
dit et ce qui s'est fait lors de telles rencontres.
149 Ceci étant dit, existe-t-il des situations où l'inobservance d'une telle formalité
indicative entraine l'annulation de la mesure?
150 Une solide jurisprudence majoritaire existe sur le sujet. Rappelons d'abord
que les tribunaux supérieurs ont déjà statué que «le droit d'être assisté d'un
représentant ou délégué syndical n'est pas une composante du droit
d'association et n'existe qu'en vertu d'une disposition claire de la convention
collective».
151 En 1993, j'ai déjà eu le privilège d'étudier la question de l'inobservance d'un
délai ou d'une formalité indicative1 . Aux pages 26 et 27 de cette décision, je
rapportais les propos suivants du professeur Côté:
La question la plus souvent débattue en justice est donc celle de savoir
si une disposition qui édicte une formalité est «impérative» ou
«directive» (en anglais, on opposera les dispositions “imperative” ou
“absolute” à celles qui sont “directory”) en vue de décider si la nullité
découle d'une inobservation.
La question peut être tranchée par un texte formel qui édicte, par
exemple que l'inobservation d'une formalité même impérative
n'entraîne de nullité que si la loi le prévoit ou si un préjudice a été
1.
Compagnie Measurex inc. -et- Syndicat des employées et employés
professionnels et de bureau, section locale 57 (UIEPB/FTQ), Me François
Hamelin, arbitre, 8 avril 1993, AZ-93141122.
causé. Les tribunaux ont interprété des textes de cette nature d'une
manière limitative en distinguant les simples irrégularités de forme
(mere technicalities) des vices de forme graves qui ne seraient pas
visés par de telles dispositions curatives.
À défaut de texte formel, l'intention du législateur de sanctionner ou
non de nullité l'inobservation d'une règle de forme devra être déduite
d'un ensemble de facteurs. À ce sujet, il a été dit qu'«aucune règle
générale ne peut être formulée et que, dans chaque cas d'espèce, on
doit considérer l'objet de la loi.».
Parmi les facteurs qui paraissent avoir une influence importante sur la
conclusion du juge, trois se distinguent: ceux qui réfèrent aux
dommages qui résultent de l'inobservation ou qui résulteraient d'une
conclusion de nullité et ceux qui concernent la matière de la loi.
(...).
Le troisième facteur qui paraît important est celui de la matière de la
loi. En lisant les arrêts, on note, par exemple, une tendance à être plus
sévère en matière fiscale où, la plupart du temps, les dispositions qui
créent l'obligation fiscale sont considérées comme devant être
respectées rigoureusement à peine de nullité. Il en ira de même à
l'égard de lois d'expropriation ou de lois qui dérogent radicalement au
droit commun telles celles qui régissent la vente en justice ou qui
privent quelqu'un d'un droit fondamental. On a aussi jugé impératives
des formalités qui ont pour but de protéger un accusé.2
152 Ce passage est toujours d'actualité et s'applique tout à fait au présent cas:
nous sommes en présence d'une formalité indicative qui n'entraine pas la nullité
automatique de la mesure en cas d'inobservance.
153 En l'espèce, après que M. Beugnot l'eut informé de ce qu'il venait de
constater, M. Duport, après consultation avec MM. Benezech et Steiner, a décidé
de convoquer le réclamant dans le salon Gordon. La rencontre a eu lieu à 14 h
30 et MM. Benezech, Duport et Steiner y étaient présents. La décision a été
prise dans le feu de l'action et l'absence d'un représentant syndical semble être
le fruit d'un oubli. Avec respect, j'estime qu'aucun élément de preuve ne permet
de conclure à la mauvaise foi de l'un des représentants patronaux.
2.
CÔTÉ, Pierre-André. Interprétation des lois, Les Éditions Yvon Biais inc., aux
pages 198 et 201.
154 Par ailleurs, la balance des inconvénients penche nettement en faveur de
l'employeur, puisqu'en l'absence d'aveu, le réclamant n'a aucunement été
désavantagé par l'absence d'un représentant syndical. Il en va autrement pour
l'employeur, puisque si je faisais droit au moyen préliminaire soulevé par le
syndicat, je devrais alors annuler le congédiement.
155 Reste la nature de la loi, qui n'est ni criminelle ni fiscale, et qui ne déroge
pas au droit commun des relations contractuelles en matière civile.
156 Finalement, je dois également rejeter l'argument syndical fondé sur la
mauvaise foi de M. Steiner. Il faut en effet rappeler le contexte. Vers 14 h le 26
novembre, M. Benezech a informé M. Steiner de la situation et lui a demandé ce
qu'il devait faire. M. Steiner lui a aussitôt suggéré de rencontrer immédiatement
le réclamant afin de connaître sa version des faits, suggestion qui était tout à fait
logique. La décision de rencontrer le réclamant s'est donc prise dans le feu de
l'action et dans un tel contexte, je ne vois pas comment on peut accuser M.
Steiner de mauvaise foi parce qu'il n'a pas réalisé sur le coup que même si la
rencontre ne visait pas l'imposition d'une mesure disciplinaire, la présence d'un
représentant syndical s'imposait.
157 Pour tous ces motifs, je rejette le moyen préliminaire soulevé par le syndicat.
IV- LE FOND DU LITIGE
A) LA PLAIDOIRIE DE L'EMPLOYEUR
158 Selon la procureure patronale, la preuve a clairement révélé que les 9, 20 et
26 novembre 2012, le réclamant a volé ses compagnons de travail en ne
rapportant pas la totalité des pourboires qu'il avait reçus en argent comptant de
trois clients différents. Le montant des vols n'est par ailleurs pas négligeable,
d'ajouter la procureure, puisque les compagnons de travail du réclamant ont été
privés d'un total de 80 $.
159 La procureure a d'autre part rappelé que le réclamant a toujours nié sa faute
malgré l'évidence, ce qui témoigne d'une absence de remords et de regret, avec
le résultat qu'à eux seuls, ces trois vols ont rompu le lien de confiance et
justifiaient l'employeur de congédier le salarié.
160 Les menaces de mort proférées par le réclamant à l'endroit de MM.
Benezech et Steiner ainsi que l'atteinte à l'image de l'employeur constituent par
ailleurs d'autres éléments justifiant le congédiement du réclamant, d'affirmer la
procureure.
161 La procureure patronale a déposé et commenté plusieurs autorités au
soutien de ses prétentions.
B) LES PRÉTENTIONS DU SYNDICAT
162 Le procureur syndical a pour sa part prétendu que l'employeur ne s'était pas
déchargé de son fardeau de démontrer que le réclamant avait commis les vols
dont il l'accuse.
163 Ainsi, d'expliquer le procureur, l'employeur n'a aucunement enquêté sur
l'incident survenu le 9 novembre et n'a jamais demandé au réclamant sa version
des faits, de sorte qu'en l'absence de faits nouveaux, il est forclos d'invoquer
cette accusation dans sa lettre de congédiement du 3 décembre, parce que le
délai de vingt jours suivant la connaissance de l'incident prévu au paragraphe
8.02 b) de la convention collective n'a pas été respecté.
164 En ce qui a trait à l'incident du 20 novembre, le procureur a fait valoir que la
preuve a révélé que le réclamant n'avait pas clos la transaction, parce que
contrairement aux factures des 9 et 26 novembre, il n'a pas ajouté l'inscription
«cash», ce qu'il fait toujours avant de clore une transaction.
165 De plus, de poursuivre le procureur, c'est sur la facture qui doit être remise
au client et que ce dernier emporte avec lui - ou, s'il ne le fait pas, qui est détruite
- que M. Griffin, le barman, a inscrit le montant qu'il prétend avoir reçu du
réclamant. Le procureur en a donc conclu que l'inscription de M. Griffin ne peut
qu'être fausse.
166 Quant à l'incident du 26 novembre, le procureur a rappelé que le réclamant a
clairement affirmé avoir reçu 65 $ du client, somme qu'il a remise au barman, ce
que ce dernier a confirmé.
167 Selon le procureur, la preuve de l'employeur repose uniquement sur le
témoignage évasif et imprécis du client-mystère, M. Mailloux, qui n'est pas
parvenu à se rappeler avec précision des coupures qu'il avait reçues de
l'employeur ni de celles qu'il a remises au réclamant.
168 Le procureur a ajouté que contrairement à l'allégation de l'employeur,
aucune image vidéo ne montre le réclamant allant à son casier durant son quart
de travail du 26 novembre 2012.
169 Au sujet des menaces et intimidations invoquées par l'employeur, le
procureur a fait valoir que la preuve n'était pas aussi claire que ce dernier l'a
prétendu. En fait, d'expliquer le procureur, le réclamant a simplement perdu le
contrôle de ses émotions et, selon lui, cela s'explique par le stress posttraumatique qu'il avait vécu par le passé, à la suite d'un conflit avec l'employeur.
D'ailleurs, d'ajouter le procureur, le réclamant n'a posé aucun geste violent, le 26
novembre, alors qu'il était en mesure de le faire.
170 Quoi qu'il en soit, de rappeler le procureur, le réclamant a exprimé ses
regrets à l'audience.
171 Selon le procureur syndical, il est évident que le 9 novembre 2012, M.
Steiner avait déjà pris la décision de congédier le réclamant, puisque par la suite,
il n'a jamais procédé à une enquête sérieuse ni tenté d'obtenir la version des
faits du réclamant à la suite des deux autres incidents.
172 Dans les circonstances, de conclure le procureur, étant donné le dossier
disciplinaire vierge du réclamant, l'absence de preuve et une enquête bâclée,
l'arbitre devrait annuler le congédiement du salarié.
C) LA RÉPLIQUE DE L'EMPLOYEUR
173 En réplique, la procureure a soutenu que l'employeur avait procédé à une
enquête sérieuse. À l'occasion de l'incident du 9 novembre, M. Steiner voulait
savoir si l'information constatée était le fruit d'une intention coupable ou d'un
simple oubli. Le second incident a confirmé son intuition, mais M. Steiner a
malgré tout voulu solidifier sa preuve une troisième fois, le 26 novembre.
D) DÉCISION ET MOTIFS
174 Le 3 décembre 2012, M. Steiner a informé le réclamant qu'il était congédié
pour deux motifs. Le premier est lié au vol répété de pourboires au détriment de
ses compagnons de travail, soit 40 $ le 9 novembre, 15 $ le 20 novembre et
25 $ le 26 novembre. Le second motif est lié aux nombreuses menaces de mort
que le réclamant a proférées, le 26 novembre, à l'encontre de deux cadres, MM.
Benezech et Steiner, ainsi qu'à des dommages à la propriété et à une atteinte à
l'image de prestige de l'hôtel.
175 En matière de congédiement, les règles sont bien connues: il appartient à
l'employeur de prouver que les faits reprochés se sont réellement produits et
que, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, la mesure imposée est
juste et proportionnelle à la faute commise.
1) LES ACCUSATIONS DE VOL
176 Avec respect pour l'opinion contraire, j'estime qu'une preuve prépondérante
démontre que le réclamant a effectivement commis les vols dont l'accuse
l'employeur.
a) Le vol du 26 novembre 2012
177 Sur le sujet, tous les témoins patronaux - qui n'ont aucun intérêt dans la
présente affaire ni aucune animosité à l'égard du réclamant—ont fourni des
versions précises et concordantes qui incriminent ce dernier.
178 À la demande de l'employeur, M. Mailloux a accepté d'agir à titre de clientmystère. À son arrivée, M. Duport lui a remis 100 $ afin qu'il acquitte sa facture
en argent comptant. Lorsque le réclamant lui a présenté sa facture—au montant
de 55 $, taxes incluses—M. Mailloux lui a remis 90 $ en argent, en lui disant
que c'était «complet» puis, avant de partir, il a donné la balance du 100 $ à M.
Duport, soit 10 $, ce que ce dernier a confirmé.
179 M. Beugnot, le barman en service ce jour-là, a pour sa part catégoriquement
affirmé que le réclamant lui avait remis 65 $ comptant, somme qu'il a comptée
devant lui. M. Beugnot a mis 55 $ dans la caisse, et 10 $ dans le gobelet
destiné aux pourboires.
180 Les trois témoins ont finalement consigné l'essentiel des faits dans un
compte rendu qu'ils ont rédigé le jour même.
181 À l'opposé, la version du réclamant—tant le jour de l'incident qu'à l'audience
- est invraisemblable. Ainsi, à 14 h 30, dans le salon Gordon, le réclamant a dans
un premier temps affirmé avoir reçu 65 $ de son client, avant de se raviser et de
dire, en sortant un billet de 5 $ de la poche de sa chemise, qu'il avait plutôt reçu
70 $, mais qu'il n'avait pas encore fermé la transaction.
182 Sur ce point, le réclamant a été contredit par les séquences vidéo qui le
montrent clore ses transactions et fermer sa caisse, comme M. Duport le lui a
demandé, avant de se rendre à la rencontre.
183 Par la suite, conscient ou non de sa bévue, le réclamant s'est comporté de
manière erratique: il a prétendu qu'il s'agissait d'un «coup monté», il a réclamé la
présence de son avocat et demandé qu'on appelle la police, avant de quitter
précipitamment la salle.
184 Un tel comportement n'est pas celui d'une personne qui n'a rien à se
reprocher ou qui a des explications légitimes à fournir; c'est plutôt celui d'une
personne en déni total, malgré les évidences, et qui tente de faire diversion par
une crise. Et le réclamant a maintenu cette attitude pendant près de deux heures
au bureau de la sécurité, multipliant les cris, les menaces, l'intimidation et les
méfaits, visiblement afin d'échapper à sa responsabilité première, celle de fournir
sa version des faits.
185 J'en viens donc à la conclusion, non seulement qu'une preuve accablante
démontre que le réclamant a volé ses compagnons de travail d'une somme de
25 $ le 26 novembre 2012, mais également que plutôt que d'admettre les faits, il
a préféré feindre une crise de nerfs afin de détourner l'attention et d'éviter de
s'expliquer.
b) Le vol du 20 novembre 2012
186 Une preuve tout aussi convaincante a été administrée sur les incidents de ce
jour-là: tous les témoins de l'employeur sont différents de ceux concernés par les
incidents du 26 novembre, ils viennent de milieux différents et n'ont aucune
animosité envers le réclamant.
187 Ce jour-là, M. Duport a demandé à un client-mystère qui n'a pas témoigné,
M. Lima, de se présenter à une table servie par le réclamant et de payer
comptant sa facture.
188 Le réclamant a remis à M. Lima une addition se montant à 74,75 $ et M.
Duport a demandé à M. Champagne, un autre serveur qui n'était pas au courant
de l'opération, de percevoir le paiement du client. M. Champagne a affirmé que
le client lui avait remis 100 $ en petites coupures, en lui disant que c'était
complet. M. Champagne a compté l'argent, puis l'a remis au réclamant.
189 M. Griffin, le barman ce jour-là, a pour sa part affirmé que le réclamant lui
avait par la suite remis 85 $ en argent comptant, que lui-même avait compté
cette somme devant ce dernier avant de mettre 75 $ dans la caisse pour le
paiement de l'addition, et 10 $ dans le gobelet destiné aux pourboires.
190 De l'ensemble de ces témoignages—rendus par un client-mystère, un cadre
de l'hôtel et deux compagnons de travail du réclamant—découle une preuve
précise, plausible et concordante.
191 Le réclamant s'est pour sa part contenté d'affirmer qu'il ne se souvenait pas
de cet incident précis, bien qu'il ait admis que la facture de 74,73 $ portait bien
nom.
192 Dans les circonstances, en présence de la version concordante et
vraisemblable des trois témoins de l'employeur, j'en viens à la conclusion que ce
jour-là, le réclamant a privé ses compagnons de travail d'un pourboire de 15 $.
193 Avec déférence, je ne peux partager la prétention du procureur syndical
selon laquelle le réclamant n'avait pas effectué cette transaction parce que
contrairement aux factures des 9 et 26 novembre, il n'y a pas inscrit la mention
«cash».
194 Rien ne démontre que le réclamant inscrivait systématiquement cette
mention lorsque les clients payaient leur addition en argent comptant et il n'a
d'ailleurs jamais affirmé qu'il agissait toujours de cette façon.
195 Quoi qu'il en soit, il n'en demeure pas moins que le réclamant n'a pas remis
100 $ au barman—comme il se devait de le faire—mais seulement 85 $.
196 Pour tous ces motifs, j'en viens à la conclusion que la preuve a clairement
démontré que le réclamant a effectivement volé ses compagnons de travail d'une
somme de 15 $, le 20 novembre 2012.
c) Le vol du 9 novembre 2012
197 Il s'agit de l'incident qui, au hasard des évènements, a semé le doute chez
l'employeur.
198 À l'audience, M. Cheam, maître d'hôtel, a déclaré que ce jour-là, le
réclamant était passé derrière lui et lui avait littéralement arraché des mains
l'argent qu'un client qui souhaitait payer rapidement afin de pouvoir partir
aussitôt, venait de lui remettre, Plus précisément, ce client lui avait remis 540 $
en argent comptant afin de payer son addition de 467 $.
199 Surpris, M. Cheam a demandé à M. Masson, le barman en fonction ce jourlà, de lui faire connaître le montant que le réclamant lui remettrait pour cette
addition; il a affirmé, dans son témoignage, que M. Masson lui avait dît avoir reçu
500 $ du réclamant. M. Masson, qui a témoigné à l'audience, a confirmé cette
information, en précisant qu'il avait compté la somme devant le réclamant.
200 Devant des témoignages aussi unanimes, la déclaration du réclamant selon
laquelle il ne se souvient pas de l'incident ne fait pas le poids.
201 Pour ces motifs, j'en viens à la conclusion que la preuve a clairement
démontré que le réclamant avait effectivement volé ses compagnons de travail
d'une somme de 40 $ ce jour-là.
202 Avec respect, je dois rejeter l'argument syndical fondé sur le paragraphe
8.02 b), selon lequel cet incident ne peut être retenu contre le réclamant, puisque
l'employeur ne l'en a pas informé dans les vingt jours suivant la connaissance de
ces faits.
203 En effet, dans son témoignage, M. Steiner a expliqué qu'il ignorait alors si le
réclamant avait commis une simple erreur, s'il s'agissait d'un incident isolé ou s'il
avait agi intentionnellement. C'est pour cette raison, a-t-il affirmé, qu'il a décidé
de ne pas en parler au réclamant avant de provoquer une situation similaire afin
de vérifier ses doutes.
204 En somme, l'employeur voulait savoir s'il avait affaire à une erreur, à un vol
isolé ou à des vols à répétition, ce qui constitue trois reproches bien distincts. En
ce sens, le recours à un client-mystère faisait partie de l'enquête et était destiné
à déterminer si le réclamant commettait des vols à répétition.
205 Quoi qu'il en soit, l'employeur avait le droit de prolonger son enquête afin de
s'assurer de disposer de preuves plus solides, d'autant plus qu'en l'espèce, la
seule preuve dont il disposait pour l'incident du 9 novembre était le témoignage
de M. Masson. Une telle preuve était fragile, puisque rien n'indiquait que ce
dernier accepterait de témoigner s'il y avait audience, sans compter qu'il pouvait
quitter son emploi à tout moment ou même développer un conflit avec
l'employeur.
206 Pour ces motifs, j'estime que le recours à des clients-mystère faisait partie
de l'enquête de l'employeur et était destiné à déterminer si l'incident du 9
novembre était isolé ou si le réclamant commettait des vols à répétition.
2) LES ACCUSATIONS DE MENACES ET D'INTIMIDATION
207 Sur le sujet, une preuve précise et concordante révèle que lorsque M.
Benezech a confronté le réclamant en affirmant que le client prétendait lui avoir
plutôt remis 90 $, et non 65 $, le réclamant s'est agité, a crié qu'il s'agissait d'un
coup monté et qu'il voulait appeler son avocat, puis s'est brusquement levé avant
de quitter la salle en courant. Les images des caméras le montrent ensuite à
plusieurs reprises - sur une période d'une heure au cours de laquelle il aurait dû
se calmer - devenir agressif et faire preuve d'intimidation envers M. Benezech,
envers qui il a proféré des menaces de mort qui étaient également destinées à
M. Steiner.
208 La vidéo visionnée à l'audience montre également le réclamant hors de lui,
s'arrachant les cheveux, déchirant sa chemise et frappant les murs de ses
poings dans des accès de colère épouvantables.
209 Il n'est pas nécessaire d'en dire davantage pour conclure que l'employeur
s'est complètement déchargé de son fardeau de démontrer que le réclamant a
effectivement proféré des menaces de mort à l'endroit de MM. Steiner et
Benezech et sérieusement intimidé ce dernier.
3) LA SANCTION
a) Le vol
210 La doctrine et la jurisprudence ont depuis toujours conclu que le vol ou la
fraude représente une des fautes les plus graves que peut commettre un salarié,
parce qu'il porte atteinte àj l'obligation fondamentale d'honnêteté contenue dans
tout contrat de travail.
211 La faute est encore plus grave lorsque dans le cadre de ses fonctions, le
salarié doit manipuler de l'argent appartenant à l'employeur. On le comprend
aisément, puisque dans un tel cas, l'honnêteté est à la base même du contrat de
travail de ce salarié. Il en va ainsi des caissiers qui travaillent dans différents
secteurs, comme les institutions bancaires, les commerces de détail, ainsi que
les serveurs et les commis dans les restaurants et les hôtels.
212 En l'espèce, le fait que le réclamant a volé ses compagnons de travail plutôt
que l'employeur ne change rien à la gravité de la faute, d'une part parce que la
gestion des pourboires est assumée par l'employeur, et d'autre part parce que le
geste du réclamant a privé ses compagnons d'une partie de leur salaire.
213 Une jurisprudence unanime a établi qu'à moins de circonstances
atténuantes exceptionnelles, le vol ou la fraude entraine automatiquement la
rupture du lien de confiance.
214 En l'espèce, il n'existe aucune circonstance atténuante. Bien plus, il ne s'agit
pas d'un geste isolé, puisque la preuve a révélé que dans les trois situations
observées par l'employeur, soit les 9, 20 et 26 novembre, le réclamant a
systématiquement conservé pour lui une partie des pourboires que les clients qui
avaient payé comptant lui avaient remis et qu'il devait partager avec ses
compagnons de travail.
215 Le 9 novembre, le réclamant a reçu un pourboire de 72 $ en argent
comptant, mais il n'a partagé avec ses compagnons que 32 $, conservant 40 $
pour lui seul. Le 20 novembre, il a reçu un pourboire de 25 $ en argent
comptant, mais il n'a partagé avec ses compagnons que 10 $, conservant 15 $
pour lui seul. Finalement, le 26 novembre, il a reçu un pourboire de 35 $, mais il
n'a partagé que 10 $ avec ses compagnons, gardant 25 $ pour lui seul.
216 Au total, le réclamant a reçu l'équivalent de 132 $ en pourboire, somme qu'il
devait remettre en totalité au barman pour qu'il la dépose dans la cagnotte des
serveurs. Or, il n'a remis à la cagnotte que 52 $, gardant pour lui seul 80 $.
217 Manifestement, il s'agit d'une pratique érigée en système et, selon la preuve
présentée à l'audience, il est évident que ce système n'était pas le fruit du
hasard, mais que le réclamant l'avait muri et délibérément mis en place.
218 Une seule conclusion s'impose: les vols planifiés et répétés commis par le
réclamant ont sapé à la base le lien de confiance qui devait l'unir à l'employeur.
Dans les circonstances, le congédiement doit être maintenu.
219 Quant aux autorités invoquées par les procureurs, j'estime, après les avoir
attentivement examinées, qu'elles confirment les conclusions qui précèdent.
b) Les menaces de mort et l'intimidation
220 Dans les relations de travail, le recours à l'intimidation et aux menaces
représente une faute grave, parce qu'il présuppose que le salarié estime que la
résolution d'un litige doit passer par la violence et les voies de fait plutôt que par
la discussion dans un climat de respect mutuel.
221 Il y a diverses formes de menaces, mais les menaces de mort sont
assurément les plus graves de toutes, si bien qu'en l'absence de circonstances
atténuantes, elles justifient une mesure disciplinaire très sévère.
222 En l'espèce, le réclamant a directement menacé M. Benezech à plusieurs
reprises, et de manière telle qu'il était possible de craindre qu'il passe à l'acte: les
séquences vidéos montrent en effet le réclamant hors de lui, gesticulant et
pointant M. Benezech du doigt, à quelques pouces seulement de son visage.
L'image qui résume toutes celles visionnées est celle d'un homme terrifiant. La
répétition des menaces dans de telles conditions laisse craindre le pire et
constitue une forme intense d'intimidation.
223 L'absence de regret du réclamant constitue un autre facteur aggravant. À
l'audience, il s'est contenté d'affirmer que le 26 novembre, il était en état de choc
et avait perdu la tête, mais sans jamais s'excuser ou manifester des remords. Le
réclamant a plutôt tenté de justifier ses accès de colère par les accusations de
vol que l'employeur portait contre lui, ce qui, à mon avis, ne constitue pas une
excuse valable.
224 Comme on vient de le voir, la preuve a clairement démontré que le
réclamant avait délibérément mis sur pied un système pour détourner une partie
des pourboires à son profit et il est pratiquement impossible de croire qu'il n'était
pas conscient qu'il s'agissait d'un vol.
225 Dès lors, tout le comportement erratique et violent adopté par le violent entre
14 h 30 et 16 h 30, le 26 septembre 2012, ne peut constituer qu'une tentative
pour détourner l'attention afin d'éviter d'avoir à répondre de ses actes.
226 Il ne relève pas de mon mandat de déterminer si le comportement du
réclamant découle d'un trait de caractère, de la malice ou même d'une maladie
mentale, puisqu'il est évident que même devant l'évidence, il a choisi d'adopter
une position de déni afin d'éviter de répondre de ses actes et qu'il a choisi de se
décharger de ses responsabilités en proférant des menaces, en ayant recours au
chantage et en faisant preuve d'intimidation.
227 Dans les circonstances, je dois conclure que le comportement violent du
réclamant constituait également un motif valable de congédiement.
228 En raison de cette conclusion, j'estime qu'il n'y a pas lieu d'aborder les
autres motifs de congédiement, soit ceux liés aux dommages à la propriété et à
l'image de l'employeur.
V- DISPOSITIF
229 Pour toutes les raisons qui précèdent, après avoir examiné la preuve et les
plaidoiries, vérifié le droit et la jurisprudence applicables et sur le tout délibéré, je
rejette le grief numéro 07-12-12 de M. Rachid Mallis.
FRANÇOIS HAMELIN, ARBITRE
Me Daniel Charest, pour le syndicat
Me Maryse Tremblay, pour l'employeur