Dossier rock

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Dossier rock
Strabique
No past pour le rock corse ? ?
par Pierre Bertoncini
L’expérience musicale des rockers insulaires est dans l’angle mort des représentations de la
société corse, où la musique se doit d’être polyphonique ou porteuse de corsophonie. Pourtant
une scène rock est en place depuis plus de vingt ans. Il est urgent d’en prendre conscience.
L
e 24 mars 2007 à Calvi, un débat public
est annoncé par voie d’affiches sous le titre
« Paoli wants you ». Inspirée par la fameuse
affiche américaine de la Première Guerre mondiale,
on voit le « Général de la Nation » remplacer
l’Oncle Sam. En plein cycle de manifestations
commémoratives du bicentenaire de la mort de
Pascal Paoli, contrairement à ce que laissait présager
l’affiche, il a été peu question du grand homme,
celui-ci ayant plutôt fait office de promoteur d’une
« parole publique vraie »1. A ainsi émergé un
débat sur la difficulté de faire du rock en Corse,
et plus généralement sur la difficulté d’exprimer
une identité corse par la langue corse, par une
certaine chanson corse, non « conservatrice ». Le
souvenir de cet échange est l’occasion de revenir
sur le statut du rock, d’interroger sa relation avec
le statut du chant polyphonique, et d’éclairer ainsi
les enjeux identitaires liés à la patrimonialisation de
l’expérience musicale.
Le diktat du Riacquistu
Actuellement, le processus de politisation du
patrimoine ethnologique touche la musique d’une
façon inédite en Corse. Des initiatives sont prises
afin de faire reconnaître la polyphonie corse comme
patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco2.
Dans ce contexte, le rock écouté ou joué dans l’île
rencontre des difficultés à être patrimonialisé.
Souvenons-nous du clip vidéo montrant Sting, l’ami
des peuples autochtones, chanter un duo avec I
Muvrini. Dans cette configuration idéologique, ou
le message passe par connotation, comment tenir
compte du fait que le groupe de l’Englishman,
Police, fut co-fondé en 1977 par un rocker corse,
Henry Padovani ? A la différence du Pays basque,
1 - Ravis-Giordani Georges, « La casa et la piazza, ou la
leçon de Grossu Minutu », Terrain, n°15, 1990.
2 - Grenet Sylvie, « Problématiques et enjeux du patrimoine culturel immatériel au Ministère de la culture », Centre
de musiques traditionnelles corses, Patrimoine culturel
immatériel et transmission : la polyphonie corse traditionnelle peut-elle disparaître ?, Ajaccio, 2006.
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où revendication nationaliste et rock fusionnèrent
rapidement, l’archétype de la formation musicale
corse est antinomique avec le régime de singularité
recherché dans le monde de l’art contemporain en
général, de la scène rock en particulier : il s’agit de
« l’associu culturale », collectif censé représenter
la communauté rurale corse. On rencontre ici,
avec le groupe emblématique Canta u populu
corsu, l’application à la musique de la « démarche
réacquisitive » que décrit Jean-Louis Fabiani, en tant
que « constitution d’une sorte de mythe de l’autarcie
culturelle, qui tend à faire de l’ensemble des formes
symboliques repérables dans l’espace insulaire,
l’expression d’une spécificité absolue »3. Ainsi,
si, au Québec, « le rock est en étroite dépendance
des problématiques de l’identité nationale »4, en
Corse, il l’est également, mais par sa négation ou sa
tolérance, sous conditions.
Révélations underground
On dispose d’une source d’une exceptionnelle
richesse concernant l’histoire culturelle de la ville
de Bastia. Grâce à la fermeture administrative d’un
passage souterrain, un important corpus intact de
graffitis bombés de 1985 à 1990 a pu faire l’objet
d’un relevé. Sur une galerie de deux côtés longs
d’environ vingt mètres, soixante-dix-huit pièces
furent recensées. Vingt-six graffitis font référence à
la musique par le nom d’un groupe ou d’un chanteur :
Joy Division, This Mortal Coil et Gogol, Clan of
Xymox, par exemple. La presque totalité des pièces
de l’ensemble correspond à un courant musical
varié qualifié de new wave, post-punk, alternatif
ou cold wave. La majorité des artistes nommée est
anglo-saxonne. Enfin, sept pièces font référence au
mouvement hip-hop. Ici les textes « Let’s break,
smurf, rap », plus loin « hip-hop ». Des messages
politiques ont également été recensés, d’inspiration
3 - Fabiani Jean-Louis, « La Corse ou les servitudes de
l’authenticité », Etudes, Tome 395, 2001.
4 - Mignon Patrick, Hennion Antoine, Rock, de l’histoire
au mythe, Paris, Anthropos, 1991.
anarchiste : « Bourgeois salope, à bas l’élite, fuck,
insoumission totale ». On trouve le slogan « Punk’s
not dead ». En 1986, la musique punk continuait
d’être écoutée et appréciée. Le groupe phare de ce qui
deviendra la « scène rock alternative » en France, les
Béruriers noirs, dont le nom est bombé, chantent des
textes défendant des valeurs libertaires et valorisant
la révolte. Quelques rares graffitis nationalistes
corses apparaissent également : « FLNC, Resistenza,
IFF ». Par le croisement de multiples sources, on
peut néanmoins affirmer que
ce corpus n’est pas un reflet
fidèle de la scène graffitique
bastiaise du temps. En
effet, malgré l’existence de
quelques pièces évoquant le
rock et l’anarchisme dans les
rues de la ville préfecture,
c’est l’idéologie nationaliste
corse qui caractérise la quasitotalité des messages alors
visibles. C’est le caractère
underground au sens propre
et figuré de l’adhésion aux
valeurs véhiculées par le
courant musical du rock que
représente matériellement le
corpus étudié.
Les enfants de Radio-actif
Les chanteurs dont les
noms sont peints dans le tunnel étaient en grande
partie diffusés sur la radio associative Radio-actif,
née en 1986. Cela correspond au moment où « le
rock alternatif connaîtra une véritable explosion
en 1986, avec des groupes qui conquerront une
audience national »5. Tandis que dans la somme
dirigée par X. Crettiez et I. Sommier, la Corse
n’est évoquée que dans sa dimension de « rébellion
autonomiste », j’ai été témoin du développement
d’une autre facette de « la France rebelle » sur le
territoire corse. Je connaissais plusieurs lycéens qui
animaient bénévolement des émissions de la radio
libre bastiaise. J’en ai accompagné d’ailleurs dans les
studios situés dans un endroit marginal : le maquis audessus du quartier de St Joseph. De mon expérience
de lycéen qui dura de 1986 à 1989 et des nombreux
entretiens effectués avec des interlocuteurs souvent
également lycéens en ce temps, je tire comme
conclusion que Radio-actif a été le catalyseur pour
la jeunesse locale qui gravitait autour de structures
telles que la section d’art du Lycée du Fango, ou
5 - Péchu Cécile, « Le Rock alternatif », in : Crettiez
Xavier, Sommier Isabelle, La France rebelle, Michalon,
2002.
l’école municipale d’art dramatique. Par analogie
avec le nom de l’émission de télévision Les enfants
du rock 6, je nomme cet ensemble social « les enfants
de Radio-actif ». Avant qu’elle ne cesse d’émettre en
19877 Radio-actif impliquait et formait la jeunesse
selon différentes modalités : on pouvait y animer
une émission (cela assurait une notoriété dans son
milieu d’interconnaissance), écouter les émissions
(ou les enregistrements d’émissions qui circulaient
en cassettes même après la fin de la radio), ou enfin
participer à des événements
tels qu’une soirée organisée
dans le péristyle du théâtre
municipal de Bastia dont la
promotion avait occasionné
un affichage massif du
logo de la radio dans la
ville. Le critère principal
des regroupements entre
jeunes ne répondait pas à
des origines de quartiers, de
villages, de pieve, mais à une
« communauté d’attitude »8.
En conséquence, des termes
correspondant à des styles
reconnus et transmis par
les médias tels que « les
babs » (pour baba-cool),
les « hardos » (pour les
amateurs de musique hardrock), les « corbeaux »
(pour amateurs de musique cold wave) étaient
parfois utilisés. Aucune distinction par classes
sociales n’était opérée au sein des enfants de Radioactif. Dans une période marquée socialement par
le conflit à propos de la loi Devaquet (1986) et les
semaines de grève de la fonction publique (1989),
et politiquement par la stratégie d’Unità regroupant
l’ensemble des acteurs de la scène nationaliste,
le refus d’encadrement politique était largement
partagé par ces adolescents. Dans le discours, une
certaine ségrégation était également opérée par les
enfants de Radio-actif avec ceux « qui écoutent
de la musique commerciale » ou « vont en boîte ».
L’abonnement à un fanzine tel que Les héros du
peuple sont immortels était par exemple un des
signes de distinction recherchés. Ce processus
d’isolement ressemblait au type de « snobisme »
ayant cours parmi les lycéens de type classique9.
Cela pouvait se manifester aussi au travers d’un
même look composé d’objets fortement investis
6 - Diffusée le samedi soir sur la chaîne publique Antenne 2
7 - Vraisemblablement à la suite d’un cambriolage,
8 - Patrick Louis, Prinaz Laurent, Skinheads, taggers, Zulus and co, Paris, La Table ronde, 1990.
9 - Dubet, Les Lycéens, Paris, Seuil, 1991.
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symboliquement (d’autant plus qu’ils étaient
introuvables dans l’île) comme le keffieh, la veste en
jean badgée ou patchée, les chaussures Dock-Side,
le blouson de cuir Perfecto, qui contribuaient à se
distinguer. Il s’agissait de la première génération
pour laquelle le walkman (pour cassette audio) était
utilisé comme accessoire quotidien. Tandis que le
transistor, medium originel de diffusion du rock
diffusait uniquement la musique retransmise par les
radios, le walkman permettait de choisir la totalité
des morceaux écoutés. Ainsi, les enfants de Radioactif circulaient dans les rues de Bastia en écoutant
du cold ou du rock. En revanche, les groupes écoutés
se produisaient exceptionnellement dans l’île. On ne
peut guère qu’évoquer l’éphémère Festival du rock
du Fiumorbu, soutenu par Jack Lang, qui reçut par
exemple James Brown. Mais les tout jeunes Festival
de jazz de Calvi (1986) ou Musicales de Bastia
(1987) étaient les manifestations qui attiraient ce
public. Dans cette ambiance, la ville devenait le décor
d’un clip vidéo où les graffitis musicaux prenaient
sens. Si le walkman peut symboliser l’isolement de
l’adolescent, il faut rappeler que la musique écoutée
intégrait les jeunes dans une bande de mouvement ;
à Bastia, ce furent les enfants de Radioactif.
L’expérience musicale des rockers insulaires se situe
actuellement dans l’angle mort d’une représentation
de la société corse où « violence à l’histoire »10, la
musique se doit d’être polyphonique ou porteuse de
corsophonie. Si la jeunesse du corpus graffitique,
produit d’une « délinquance lettrée »11, est un frein
à sa prise en compte par les institutions chargées de
patrimonialiser, cela se combine ici à un phénomène
d’assignation, une interprétation restrictive de ce qui
est ou non la culture corse. « Les graffitis peuvent
aussi être langage populaire [sont ainsi] nettoyés au
kärcher »12. L’analyse de l’intrication entre musique
et patrimoine montre donc ici comment est occultée
une part de l’identité culturelle de la société corse
contemporaine. 
Pierre Bertoncini est anthropologue. Il est l’auteur
d’une thèse intitulée Graffiti bombé et territoire corse
(1973-2003), et prépare Tags en Corse, analyse d’une
pratique clandestine (L’Harmattan, 2009).
10 - Fabiani Jean-Louis, op.cit,.
11 - Fraenkel Béatrice, « La délinquance lettrée des graffiteurs de New York », Tribu, n°10, 1985.
12 - Séchet Raymonde, « Le populaire et la saleté : de
l’hygiénisme au nettoyage au kärcher », in Bulot Thierry,
Veschambres Vincent, Mots, Traces et marques. Dimensions spatiale et linguistique de la mémoire urbaine, Paris,
L’Harmattan, 2005.
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Le tag en Corse
Projection matérielle
d’un conflit identitaire
L’art graffitaire corse, nourri des revendications
nationalistes, a créé un champ d’affrontement
visuel, où les murs véhiculent les messages
politiques clandestins. Tags et graffitis dessinent
ainsi un panorama des enjeux identitaires de
l’île – entre revendications nationalistes et
cultures alternatives.
Q
uand je découvre le film Into the wild de Sean
Penn, je suis frappé par la proximité entre la
façon de percevoir le monde du personnage
principal et celle qui fut la mienne au même âge.
Le personnage est un jeune Américain partant faire
la route. J’étais pour ma part un jeune Corse qui
bombait des vers de Jack Kérouac. Transcendant
les frontières, il existe sans doute un esprit « rock ».
Lors de ses pérégrinations, le protagoniste passe par
une canalisation et accède à un ouvrage de voirie
couvert de tags. C’est parce qu’il rêve à l’Alaska
que l’antihéros découvre au cœur même de la cité
des lieux underground. C’est sans doute parce que
je partage cette pratique de l’errance que j’ai choisi
un objet d’investigation a priori peu académique :
le graffiti. Au départ, un constat simple : tandis que
le tag, insurrection par les signes1 provenant des
Etats-Unis, recouvre le continent européen depuis
les années 1980, il est quasiment invisible en Corse,
dont la société adopte pourtant l’american way of
life. Pourquoi ? C’est par une enquête ethnologique
que j’ai tenté de répondre.
Les données collectées sur le terrain convoquent les
notions d’authenticité et d’identité. En effet, bien
que produits par des acteurs corses, les tags font
partie d’un ensemble de pratiques sociales qui
ne sont pas reconnues comme correspondant à la
corsité telle qu’elle est définie par des prescripteurs
de comportement. Les prises de position, que l’on
peut qualifier de « primordialistes », de certains
font qu’ils adhèrent à « cette tendance à indexer les
représentations identitaires sur ce qui constituerait
un fondement primitif et intangible : les liens de
sang, l’ancrage au territoire, la langue. »2
Pour mener à bien cette entreprise d’élucidation, il
faut distinguer tags (graffitis se référant au hip-hop)
et graffitis politiques portant souvent un discours
nationaliste, et établir quelle dialectique les lie. Car
si pour le tagger, « l’anonymat […] devient un mode
récurrent d’expression identitaire »3, dans la société
corse où chaque acte se fait sous des regards croisés,
l’usage de la bombe de peinture se combine avec
celui de la cagoule pour incarner la clandestinité
politique.
Depuis l’apparition du graffiti bombé en Corse,
en 1973, on voit comment de nombreuses séries
déclinent un discours de définition minimale de ce
qu’est l’identité corse. L’étude du choix de la langue
utilisée par les bombeurs permet de comprendre
comment la visibilité sociale de la langue corse, n’en
3 - Bulot Thierry, « De la matérialité discursive des murailles urbaines, quelques questions autour des écrits illicites, in Lambert Patricia et alii, Variations au cœur et aux
marges de la sociolinguistique, Paris, L’Harmattan, 2007.
déplaise à qui considère que le graffiti est un objet
relevant de la saleté, passe depuis quatre décennies
par la réalisation d’un vaste corpus graffitique.
Ces messages peints sont le fait de trois ensembles
de bombeurs : les organisations de jeunesse
nationalistes, les organisations syndicales de salariés,
les associations de supporters d’équipes de football.
Cette analyse permet ainsi de comprendre pourquoi
dans un contexte de diffusion mondiale du tag la
Corse apparaît comme un isolat. Cette impression
d’absence de graffiti hip-hop doit être rectifiée par
la description de la scène tag locale, largement plus
politique. Ainsi est menée avec Tags en Corse,
l’analyse d’une pratique clandestine contemporaine
de marquage du territoire. 
Pierre Bertoncini
1- Baudrillard Jean, « Kool Killer ou l’insurrection par les
signes » in : L’Echange symbolique et la Mort, Paris, Gallimard, 1976.
2- Abélès Marc, « Préface » in Appadurai Arjun, Après le
colonialisme, les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2005.
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Généalogie du rock corse
par Stéphane Leandri
F
in des années 1970, la Corse est en plein
Riacquistu. Canta u Populu Corsu, I Muvrini,
I Chjami Aghjalesi et I Surghjenti en sont
les groupes emblématiques. Les références rock
sont inexistantes car en décalage total avec les
préoccupations de la jeunesse : il s’agit de sauver une
culture, défendre une identité et pas de se révolter
contre ses parents ou une société réactionnaire
comme le font « les jeunes du Continent » qui
écoutent du rock. En Corse, pour la grande majorité,
ce n’est pas le sujet. Dans ce contexte, quelque
sjeunes Corses à contre-courant, et à l’écoute de ce
qui se fait aux USA ou au Royaume-Uni, font leurs
valises. Trois musiciens se font connaître hors de
l’île pendant la période punk puis new wave.
La diaspora des guitaristes,
première génération des rockers corses
Henry Padovani, né en 1952 à Bastia, est le premier
bassiste et co-fondateur de Police en 1977 à Londres.
Il quitte le groupe rapidement, mais reste proche de
Sting. Dans les années 1980, il réalise deux albums
avec les Flying Padovanis, qualifiés de « kings of
instrumental rock » par la presse anglaise. En 1994,
il devient le manager de Zucchero, puis celui des
Muvrini en 1998, contribuant à leur collaboration
avec Sting (Terre d’Oru). En 2007, lors de la tournée
de reformation de Police, il les rejoint sur scène au
Stade de France pour jouer avec eux Next to you.
Pour son retour avec un album solo, A croire que
c’était pour la vie, il est accompagné de Sting et
Stewart Copeland.
Philippe Quilichini a été le bassiste et producteur
de Nico, chanteuse qu’il avait sortie d’une longue
traversée du désert, celle des années 1970. Il produit
l’album de Nico Drama of Exile en 1981, qui inclut
des reprises d’ I am waiting for the man de Lou
Reed et Heroes de Bowie. Dans cet opus, il écrit la
musique de deux morceaux, Saeta et Vegas, repris
sur le live Do or Die: Nico in Europe. Quilichini
produit aussi Nico Icon (Rare & Unreleased) et
compose The Sphinx publié sur l’album Heroine et
Gengis Khan dans Janitor of Lunacy. Sa carrière se
termine prématurément avec son décès en 1983.
Xavier « Tox » Geronimi : le guitariste corsobreton né en 1959 et basé à Guingamp, a surtout
travaillé avec Daho, Bashung, Higelin, Alan Stivell,
16
Arnold Turboust ou Daniel Darc. Il a composé
l’essentiel des titres du dernier album d’Etienne
Daho et accompagné Indochine lors de plusieurs
de leurs tournées. Très technique, avec des sons
saturés, la réputation de Tox est celle d’un virtuose
capable de jouer à l’oreille.
Vivre et travailler au pays,
la deuxième génération
A l’image de certains hameaux qui n’avaient
pas encore l’électricité dans les années 1970, les
guitares électriques commencent à circuler sur l’île
dans les années 1980 seulement avec Zia Devota et
Jean-Marc Ceccaldi. Ce sont eux qui poseront les
premières lignes électriques dans le paysage musical
insulaire... mais elles ne tiendront pas.
Zia Devota est une formation pop voire parfois
rock et jazz – emmenée par G-B Filippi originaire
de Tocchisu, près d’Aleria – qui naît au début des
années 1980 et disparaît assez vite, juste le temps de
laisser un album, Falsi cunsiglii. Ses textes, in lingua
corsa, sont modernes et souvent humoristiques.
Jean-Marc Ceccaldi apparaît à la fin des années
1980, avec deux titres, Canteraghju et Resistenza.
Suivent trois albums qui contiennent des morceaux
rock (Mama Natura Blues) ou traditionnels, et
utilisent le français ou le corse. Ses références : le
rock anglo-saxon (Led Zep, Stevie Ray Vaughan), la
variété française et les groupes traditionnels corses.
Touche-à-tout, les créations pop-rock en langue
corse restent minoritaires dans sa discographie.
La génération qui greffera sur l’île la musique
pop-rock in lingua corsa n’apparaît qu’au début
des années 1990 : celle des Varans et surtout des
Cantelli. Pour une large diffusion de leur travail, ils
partagent le handicap d’une production de qualité
moyenne, une distribution insuffisante, et surtout
l’usage exclusif de la langue corse. Mais c’est là leur
choix, leur pari : vivre et travailler au pays.
Ces deux formations partagent parfois un état
d’esprit : entre satire et ironie, moquerie et
autodérision, c’est l’esprit macagna qui apparaît
souvent dans leurs textes et qui va si bien à l’usage
du corse.
I Cantelli se forment en 1994 à Corte parmi des
étudiants, avec un album éponyme qui ne sort qu’en
2001 puis un second en 2005, avant la séparation en
2007. Le premier opus est plus folk-country-blues et
peut faire penser aux Pogues ou à Matmatah, pour sa
spontanéité, ses improvisations et son sens de la fête.
Dans le second, Cunniscenza di u corpu umanu, le
plus rock, on perçoit des influences – conscientes ou
non – aussi diverses que Nirvana, Mickey 3D, les
Beach Boys ou Noir Désir (dans l’esprit, le superbe
Houdini est une version corse de Aux sombres héros
de l’amer). Les textes sont aussi variés que les
musiques : l’humour (Fratelli Figatelli), le décalé
– avec un morceau consacré au cunnilingus (Lingua
Viva) –, la satire de ce qu’il y a de pire dans l’être
humain (Libera me), ou un thème grave comme la
perte de l’être cher (Biancu Scuru).
I Cantelli est le groupe le plus abouti de la jeune
histoire du rock corse. C’est aussi une matrice de
talents qui mènent depuis d’intéressants projets
solos : Pierre Gambini, Tonton, Paul Cesari et Paul
Miniconi. Les autres comme J. Castelli, B. Vidal,
J.-P. Mallaroni et L. Barbolosi ont rejoint des
proche de l’esprit électrique de Led Zep et Hendrix,
influences principales de cette formation qui met
aussi en avant Jeff Beck, Nirvana, Clash, Police,
Lou Reed, Steevie Ray Vaughan, Jeff Buckley et
Django Reinhardt. Ce groupe bastiais est composé
de Christian Micheli (basse, chant), Freddy Olmeta
(guitare, chant, ex-Varans), Philippe Pimenoff
(batterie, ex-Cantelli) et Pierre Veyrat-Tristani
(guitare). Les compositions sont de qualité (en
particulier So, Vivu et Diventa cos’é tu si) et les textes
souvent bien sentis, comme celui sur le « deviens
ce que tu es » nietzschéen : « Diventa cos’é tu si :
Stantara in un mare di Petre. »
L’Altru Latu, créé à la fin des années 1990 dans
la région ajaccienne, a livré deux albums rock,
Cattivu sognu en 2001 et Com’un omu en 2006. Le
groupe est composé de Laurent Bellini (chanteur,
parolier) et selon les albums de Jacques Albarrazin,
Bernard Ferrari, Alain Abad, Ange Bianchini. Leurs
pochettes sont toujours choc : un groin de cochon
formations de qualité comme N9VI, Zamballarana
et Noi, ou collaborent à des projets solos (Castelli
avec Gambini).
Les Varans : au second plan en terme d’influence
sur les formations actuelles, groupe de rock et de
blues constitué de musiciens bastiais dont certains
(Olmeta) allaient plus tard former Noi. Créé en
1991 par Freddy Olmeta, François Spinelli et Ange
Torre, leur premier album, Icaru Blues, sort en 1997,
puis MNF en 2000 avec des morceaux assez réussis
comme Mi ne futtu ou encore l’Americorsu qui est
un bon exemple de l’esprit macagna. Le groupe
s’arrête après un CD trois titres, Gulliver di Siscu,
en 2002.
d’où jaillissent des flammes pour le premier opus
et un clochard assoupi sous une affiche électorale
de Sarkozy sur le second. Leurs textes traitent des
souffrances, de l’injustice, mais aussi de l’espoir, des
désirs. Parmi les morceaux très réussis: Urfaneddu,
U Culombu è u Falcu, Volta tu.
Tonton (Frédéric Antonpietri dit), né à Bastia, exCantelli, a livré son premier album éponyme en
2006. Les morceaux sont souvent légers, parfois
entraînants et plus rarement mélancoliques, avec un
son folk dépouillé où seuls guitare, basse et harmonica
sont présents, ce qui permet de le qualifier de Bob
Dylan corse. Tonton revendique cette influence mais
aussi celle des Pogues, Beatles, Stones et Clash. Ses
textes, poétiques, recèlent des images surprenantes
qui priment souvent sur le sens global. Tonton joue
avec les mots, en invente de nouveaux soit à partir
de l’existant, soit en créolant – pour reprendre son
expression – un vocabulaire qui devient parfois
francorsu, americorsu ou italocorsu.
Paul Cesari : ex-Cantelli, basé à Bastia. Ses
influences ? Jeff Beck, John Scofield, Pat Metheny
et The Who. A l’écoute de son album – très réussi
– Electric Cultura, sorti en 2006, on peut ajouter
Django, Led Zep, Hendrix, mais aussi Madonna.
Compositeur, il accompagne à la guitare tout au
long de son album différentes voix, surtout celle de
La scène actuelle, troisième génération
Depuis la fin des années 1990 se sont créés de
nombreux groupes de pop rock in lingua corsa, sur
les cendres des Cantelli ou des Varans, inspirés par
ceux-ci, ou par génération spontanée issue du rock
anglo-saxon. On constate souvent une vraie filiation
avec les aînés voire ceux qui les ont précédés. C’est
donc la troisième génération, i figliulini, qui occupe
aujourd’hui la scène corse. Elle inclut ou côtoie
– les frontières sont parfois floues – des groupes
d’expression française ou anglaise.
Noi, avec l’album Resilienza en 2007, est très
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Paul Miniconi (qui a écrit la plupart des textes), et
de Tonton, qui chantent en corse, tandis que MarieAnge Tosi et Emilie ont un répertoire vocal plus
anglophone.
Pierre Gambini : ex-Cantelli, groupe dont il était
le fondateur-leader. Son style peut se définir comme
accoustic-pop mais est en réalité très personnel et
mélange sonorités modernes et anciennes. Son
premier opus Un omu ordinariu est sorti fin 2007,
avec des morceaux comme le magnifique A Lea, O
Bà Ciao Bà, l’Amanti ou Un omu ordinariu. Son
univers est intimiste, épuré et profond, touchant.
Grâce à la qualité de ses interprétations, qui
atteignent souvent une grande intensité expressive,
ses compositions trouvent une puissance incroyable
sur scène.
Paul Miniconi : ex-Cantelli, originaire de la
région ajaccienne, sort en 2007 Elisiri di
vita son premier album aux sonorités
jazzy, pop et folk. Un morceau est
écrit par Tonton et un autre par
l’écrivain Marcu Biancarelli
(Ultimu viaghju di Stepan
Trofimovich). Miniconi a
également écrit et interprété
la plupart des paroles de
l’album Electric Cultura de
Paul Cesari.
N9VI [Novi] : groupe pop rock
créé en 2006 est composé de JeanCharles Papi (chanteur, guitariste),
Ceccè Lanfranchi (chanteur, parolier)
et d’autres membres habituels ou ponctuels
(Gambarelli, Bonifay, Mangiantini, Sabiani, Perez,
Ferrari, Abad et Vidal), récemment rejoints par
Laurent Leandri. Dans leur CD trois titres et leur
album U Portaluci, se succèdent ballades pop et
morceaux rock. N9VI reprend aussi sur scène des
morceaux de Canta puisque Papi et Lanfranchi en
ont fait partie et ont participé à certaines créations
(Sintineddi, Ti vurria di). Trait d’union réussi entre
groupe historique et pop-rock.
Erin, basé à Ajaccio et dans l’Ornano est un groupe
né en 1997, composé de Denis Buffignani (basse,
chant), Paul Valot (guitare, choeurs) et Patrick
Nutoni (batterie). Un album éponyme sort en 2007.
En dehors de l’hommage à l’Irlande à travers le
choix du nom du groupe, on tend moins – de l’aveu
d’Erin – vers U2 que du côté de Led Zep, Hendrix,
Trust, Clash, ACDC et Ramones. D’où leur musique
tonique, simple et efficace, aux riffs hard très
seventies, parfois hard rock. Certains titres n’ont
rien à envier aux groupes anglo-saxons, comme
A me vicina, représentatif du style musical et de
l’esprit d’Erin : l’histoire d’un fantasme dont l’objet
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est la voisine de palier.
Sekli (Didier), originaire d’Orezza, livre peu ses
influences mais à l’écoute de ses deux albums le
rock italien pourrait en faire partie. En 2004 sort son
premier opus éponyme (dont le titre More digià),
puis Davanti en 2006 (dont Davanti et Ziu Guru en
duo avec Pierre Gambini) dans lesquels il alterne
morceaux rock et ballades pop.
Parmi les formations de la scène pop-rock in lingua
corsa, peuvent aussi être évoqués, dans des styles
différents : I Sumeri Castrati, Notte, Ultim’attu,
Alain Abad, le groupe de Métalohardopunk (cela
existe !) Vindetta, et l’inclassable Majda/ΠLand7
capable de chanter une paghjella puis d’enchaîner
en français et en corse, avec parfois une scansion
rap, sur des musiques mêlant rock, jazz et sonorités
orientales.
A côté du pop-rock en corse, plusieurs
groupes d’expression française :
Blague à part, formé en 2000,
est basé à Ajaccio. Influencé
par Noir Désir, Radiohead, les
Beatles, Brel, Brassens et Piaf,
la formation regroupe Alex
Lanfranchi (chanteur, guitare,
trompette, compositeur), AngeMarie Bisgambiglia (claviers),
Xavier
Papini
(basse),
Christian Parnisari (batterie),
Jean-Charles Tomasi (guitare).
Travaillés avec Pascal Tagnati, les
textes sont souvent des satires et des
critiques de la société (Voilà de l’argent, Autour
des lumières). Découverte du Printemps de Bourges
2008 et Prix du public Visa Francophone 2007.
Saint André est né en 2004 avec pour influences
Divine Comedy, Dominique A, Les Innocents,
Pavement, Murat, Miossec. Le Grand Soir, premier
album pop faussement naïf, date de 2007. Il est la
création de Jean-Charles Santini, auteur compositeur
et interprète, guitariste et pianiste originaire de...
Saint André (Sant’Andria di u Cutone) et élevé à
Bastia. Santini – avec ses musiciens belges – est
basé à Liège et connaît un grand succès en Belgique
et une certaine reconnaissance en France (invité
d’émissions TV et radio). Ses mélodies s’enracinent
facilement et ses textes sont dans l’air du temps il met en avant les fragilités et les faiblesses
masculines.
Qui, formé en 1997 est issu du groupe ajaccien
Tapage Nocturne (né en 1987 avec un album
éponyme en 1991, très macagna). Leur originalité
ne se situe pas dans leur musique, pop, mais dans
leur chant à trois voix (sans référence aux paghjelle).
Influences : New Order, Stranglers, Beatles. Après
quatre albums, le groupe est à l’arrêt et cherche un
chanteur.
Parmi les formations chantant en français ou
l’utilisant largement, on note aussi Alain Abad (avec
son album Les Cons), Lunajuke, Vindetta, groupe
créé en 2005 dans le Fiumorbu qui mélange punk
et heavy metal speed mélodique, et le toujours
inclassable Majda/ΠLand7.
L’anglais reste par contre la langue de référence du
rock métal.
Ghostone est un groupe de Metal formé en 2005
et basé à Ajaccio, ayant pour influences Metallica,
Led Zep et Deep Purple. Il est composé de Yann
(voix), Christophe, Axel (guitare), Antonin (basse)
et Yannis Lorenzi alias Yannis-Neil, élu à 26
ans meilleur batteur Emergenza 2008 à l’Elysée
Montmartre. Ghostone est reconnu dans son genre
musical et se produit dans des salles parisiennes
(Gibus, Boule Noire).
Seven Murmuring Chains : groupe de Glam Metal
composé de Jean-Dominique Leonelli dit Jidey et
Indi Loveless, respectivement de Porto-Vecchio
et de Tagliu Isulacciu, et basés... en Finlande. Le
premier album, Risk in the kiss, paraît en 2009, avec
des titres comme The Mannumited ou Kissin’ now
the past goodbye. Les influences les plus notables
sont les Guns’n’Roses et Alice in Chains.
D’autres groupes font le choix de l’anglais.
Le Sergent Floyd Peppers de Pruprià, composé
des guitaristes Vincent Kayser-Milleliri et Didier
Leandri, avec une musique electro-pop-rock
progressive qui évoque Pink Floyd, My Bloody
Valentine et Coldplay. On pourrait citer également
Funky Tomato, groupe de garage/power pop
d’Ajaccio. The Sleepwalkers et The Kenedys de
Bastia. Et enfin I Vindetta, avec quelques textes
en anglais, aux titres éloquents comme Corsica
Anarchy.
Signe que le genre musical est bien ancré, la plupart
de ses variantes sont désormais explorées. Reste à
venir la reconnaissance internationale, un équivalent
pop-rock in lingua corsa des Muvrini. Chi a sa ? 
Stéphane Leandri est le créateur du fanzine rock
Décharge(s) et a collaboré à la revue rock Another
View. Il prépare un ouvrage sur le rock corse.
La naissance du rap corse :
Jean-François Moroni alias Beli Blanco
Malgré de récentes incursions sur l’île, avec en
particulier Spiri2all, le rap s’incarne mieux dans la
diaspora avec Tsutone alias Beli Blanco le Corse.
Jean-François Moroni de son vrai nom a été élevé
en banlieue parisienne (dans le 9-4) par des parents
originaires de Vezzani. Adolescent, il découvre le
rap avec MC Solar et IAM. Il se lance à son tour
et écrit des textes en français qu’il scande sur des
rythmes rap, hip-hop et R&B. Mais la Corse reste au
cœur de son projet, comme en témoignent ses deux
noms de scène. Tsutone est même un hommage à
son grand-père, surnommé Ziu Antone.
C’est sous ce nom qu’il publie en 2003 un premier
album très réussi, Une raison de plus, sur lequel on
trouve des samples des Surghjenti (violon), d’Antoine
Ciosi (texte) et de Michel Orso (refrain). Plusieurs
de ses textes parlent de la Corse : un titre pour les
martyrs de Furiani, un autre pour exprimer l’amour
de ses racines, So Corsu, ou encore le morceau
Pour les miens. Le reste est du même niveau, avec
Incognito, Mon frère, Maria Lucia ou Flashback,
titres souvent très personnels autour d’événements
douloureux. Suivent un CD deux titres, Gloire et
Fortune en 2006, puis le maxi-CD Maintenant en
2007 (avec Libertà). C’est l’époque du rap positif
qu’il définit comme « Respect & Peace ».
Puis a lieu le virage rap/hip-hop sans concession,
où il exprime sa révolte dans des textes incisifs,
radicaux, parfois violents, dont certains visent
directement l’Etat (comme dans le morceau France,
en duo avec Alpha 5.20). Il se fait alors appeler Beli
Blanco le Corse, et c’est sous ce nom que sort son
dernier opus, Blanc Album, avec des titres comme
Processus, Makiavell, Mauvaises herbes, Génération
perdue ou Enragés, textes sombres et nerveux où la
délinquance côtoie parfois la folie. Comme en atteste
sa référence, les New-Yorkais de Mobb Deep, il se
rapproche désormais du gangsta rap. 
S. L.
Pour compléter : le magazine Terra Corsa a consacré
un dossier intitulé Rock’n’Corse à la nouvelle scène
rock corse (n°25, janvier 2009).
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