JDL Stefan ZWEIG
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JDL Stefan ZWEIG
JDL Stefan ZWEIG 6 mars 2014- 23ème séance Introduction: Depuis le 1er janvier 2013 Stefan ZWEIG est passé dans le domaine public. Donc nouvelles éditions et traductions qui offrent l'occasion de redécouvrir cet auteur, le plus traduit des auteurs de langue allemande. Le total des ventes de Zweig est supérieur au total des ventes de tous les écrivains de langue allemande de son époque réunis: Brecht, Thomas Mann, Arthur Schnitzler, Joseph Roth, Broch et tous ces écrivains-là. C'est un succès de librairie phénoménal. Qu'on en juge. En 2009, l'écrivain autrichien a été la deuxième meilleure vente de l'année de Grasset, avec Le Voyage dans le passé (un inédit, déniché par Valérie Bollaert, auteur d'une thèse sur le romancier). L'éditeur en était tellement ravi qu'il a publié, en octobre dernier, un deuxième roman inédit en français : Un soupçon légitime. Encore une réussite en librairies. Zweig a été également la deuxième meilleure vente de l'année de Stock, avec Lettre d'une inconnue. Cette nouvelle constituait l'un des succès de l'année 1927. Zweig, toujours superstar. Et le phénomène n'est pas près de s'arrêter Jean-Pierre Lefebvre est romancier, traducteur, professeur de littérature allemande à l’Ecole Normale Supérieure. Il a dirigé l’édition des « Romans, nouvelles et récits » de Stefan Zweig, qui vient de sortir en deux tomes aux éditions de la Pléiade : « Mon idée, c’est qu’il y a un phénomène qui intéresse l’anthropologie culturelle et qui devrait intéresser les historiens, parce que du point de vue de l’histoire des mentalités, le succès de Zweig en Europe au XX siècle est un phénomène historique. » L'homme était adulé de son vivant. II l'est toujours. Pour preuve les 100.000 acheteurs des «Derniers Jours de Stefan Zweig», de Laurent Seksik, paru en 2010 (chez Flammarion) et la foule se pressant devant le Théâtre Antoine pour en voir l'adaptation et comprendre ce qui s'est joué, dans le huis clos de la maison de Petropolis, entre l'écrivain pris d'un spleen mortifère et sa compagne. --------------------------------------------------Il y a aussi aujourd’hui une forme de plaisir snob à bouder Zweig. A voir en lui un auteur de roman de gare et de divertissement. La littérature de gare, de voyage, les bouquins qu’on achète pour lire dans le train, occuper le temps et s’abstraire du monde... La concurrence a beaucoup augmenté depuis l’époque de Zweig. Si ça avait été le cas de Zweig, ça n’aurait pas duré. Zweig dure pour d’autres raisons. C’est justement ce qui rend le cas intéressant. ------------------------------------------------------------------Sa vie: - Stefan Zweig est né en 1881 à Vienne, en Autriche, la même année que Valéry LARBAUD, PICASSO, BARTOK. - Fils d'un riche industriel israélite, il put mener ses études en toute liberté, n'écoutant que son goût qui l'inclinait à la fois vers la littérature, la philosophie et l'histoire. - L'atmosphère cosmopolite de la Vienne impériale favorisa chez le jeune Zweig la curiosité du vaste monde, curiosité qui se transforma vite en boulimie, le poussant vers toutes les premières théâtrales, toutes les nouvelles parutions non encore saluées par la critique, toutes les nouvelles formes de culture. - Il y fit ses études (des études d'allemand et de langues romanes) et, à 23 ans, fut reçu docteur en philosophie. - Il n'a que dix-neuf ans quand paraît son premier recueil, Cordes d'argent . Il s'agit d'un premier recueil composé de 50 poèmes publié en 1901 dont il n'autorisera jamais la réimpression, raison pour laquelle aucune couverture n'existe sur le net. Par la suite, il le reniera l'excluant même de ses oeuvres complètes. - "Les Guirlandes Précoces"(1907). - Il obtint également le prix de poésie Bauernfeld, une des plus hautes distinctions littéraires de son pays. A 20 ans, il publie un feuilleton pour la neue freie Presse. Il a écrit dans une lettre à Joseph ROTH, en 1020: « J'ai commencé à écrire par un désir de jouer avec l'esprit ». - Il se consacre à la traduction de poètes français: Verlaine (publié à Berlin en 1902), Beaudelaire (publié à Leipzig en 1902 aussi). Mais Stefan Zweig jugeait que "la littérature n'est pas la vie", qu'elle n'est "qu'un moyen d'exaltation de la vie, un moyen d'en saisir le drame de façon plus claire et plus intelligible". Son ambition était alors "de donner à mon existence l'amplitude, la plénitude, la force et la connaissance, aussi de la lier à l'essentiel et à la profondeur des choses". En 1904, il alla à Paris, où il séjourna à plusieurs reprises et se lia d'amitié avec les écrivains de l'Abbaye, Jules Romains en particulier, avec qui, plus tard, il adapterait superbement le "Volpone" (Volpone ou Le Renard est une comédie du dramaturge anglais Ben Jonson), que des dizaines de milliers de Parisiens eurent la joie de voir jouer à l'Atelier, et dont le succès n'est pas encore épuisé aujourd'hui. Passionné de théâtre, il se mit bientôt à écrire des drames : "Thersite"(1907), "La Maison au bord de la mer"(1911). Infatigable voyageur, toujours en quête de nouvelles cultures, il rendit ensuite visite, en Belgique, à Emile Verhaeren (1855-1916), dont il deviendrait l'ami intime, le traducteur et le biographe. Il vécut à Rome, à Florence, où il rencontra Ellen Key (1849-1926), la célèbre authoress suédoise, en Provence, en Espagne, en Afrique. Zweig visita l'Angleterre, parcourut les Etats-Unis, le Canada, Cuba, le Mexique. Il passa un an aux Indes. Ce qui ne l'empêchait pas de poursuivre ses travaux littéraires, sans efforts, pourrait-on penser, puisqu'il dit : "Malgré la meilleure volonté, je ne me rappelle pas avoir travaillé durant cette période. Mais cela est contredit par les faits, car j'ai écrit plusieurs livres, des pièces de théâtre qui ont été jouées sur presque toutes les scènes d'Allemagne et aussi à l'étranger...". Les multiples voyages de Zweig devaient forcément développer en lui l'amour que dès son adolescence il ressentait pour les lettres étrangères, et surtout pour les lettres françaises. Cet amour, qui se transforma par la suite en un véritable culte, il le manifesta par des traductions remarquables de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, de son ami Verhaeren, dont il fit connaître en Europe centrale les vers puissants et les pièces de théâtre, de Suarès, de Romain Rolland, sur qui il fut le premier, à attirer l'attention des pays de langue allemande et qui eut sur lui une influence morale considérable. Une amitié de 30 ans en découla. Lorsque éclata la 1ère Guerre Mondiale, Zweig, comme son ami Romain Rolland en France, ne put se résigner à sacrifier aux nationalismes déchaînés la réalité supérieure de la culture par-dessus les frontières. Ardent pacifiste, il fut profondément marqué, ulcéré par cette guerre ; non seulement, sur le coup, elle lui inspira de violentes protestations ("Jérémie", 1916), et même plus tard, comme dans "Ivresse de la Métamorphose", qui ne fut écrit que bien après, vers 1930 (pour la première partie) et 1938 (pour la seconde, qui elle surtout incriminait la guerre), mais c'est cette guerre qui fut à l'origine de ce souci constant de n'être pas dupe des valeurs morales factices d'une société en décadence, qu'on retrouvera dans toutes ses nouvelles. Il explique d'ailleurs tout cela avec ferveur dans "Le Monde d'Hier". Zweig fut toute sa vie un personnage socialement assez bizarre, souvent tenté par le nihilisme (Le nihilisme (du latin nihil, « rien ») est un point de vue philosophique d'après lequel le monde (et plus particulièrement l'existence humaine) est dénué de tout sens, de tout but, de toute vérité compréhensible ou encore de toutes valeurs). Vers 1915, il se maria avec Friederike von Winternitz. Il quitta Vienne en 1919 et vint s'installer à Salzbourg, d'où il écrivit beaucoup de ses nouvelles les plus célèbres, telles "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme", "Amok", "La Confusion des Sentiments", "La Peur"... En moins de dix ans, Zweig, qui naguère n'avait considéré le travail "que comme un simple rayon de la vie, comme quelque chose de secondaire", publiait une dizaine de nouvelles - la nouvelle allemande a souvent l'importance d'un de nos romans - autant d'essais écrits en une langue puissante sur Dostoïevski, Tolstoï, Nietzsche, Freud - dont il était l'intime - Stendhal, etc... qui témoignent de la plus vaste des cultures. - Puis suivit la série de ses écrits biographiques, où il acquit d'emblée une certaine autorité avec son "Fouché", De 1910 (Emile Verhaeren, sa vie, son oeuvre) à Balzac, Zweig publia plusieurs biographies: Marie-Antoinette, Magellan, Marie Stuart, Erasme, etc... Mais hélas ! Hitler et ses nazis s'étaient emparés du pouvoir en Allemagne, et les violences contre les réfractaires s'y multipliaient. Bientôt l'Autriche, déjà à demi nazifiée, serait envahie. - Rapidement son succès lui ouvre les portes de la société cultivée de son temps: ZWEIG fréquente Hermann HESSE, Thomas MANN, Arthur SCHNITZLER, Maxime GORKI, James JOYCE. Dans sa grande maison de Salzbourg, il reçoit les plus célèbres compositeurs comme Richard STRAUSS, Alan BERG, entre en relation épistolaire avec FREUD, RILKE, RODIN, Romain ROLLAND et Jules ROMAINS. - Dès 1933, à Munich et dans d'autres villes, les livres du "juif" Zweig étaient brûlés en autodafé. Zweig voyait avec désespoir revenir les mêmes forces brutales et destructrices que lors de la 1ère Guerre Mondiale, sous la forme, pire encore, du nazisme. - En 1934, il partit en Angleterre, à Bath. Ce départ suscite d'ailleurs bien des polémiques chez les biographes de Stefan Zweig; certains soutiennent l'hypothèse très plausible qu'il partit en exil devant l'imminence de la guerre et la montée de l'antisémitisme, tandis que d'autres affirment qu'il est simplement parti approfondir sa recherche sur Marie Stuart, dont il écrivait la biographie. - En 1938, il divorça de Friederike, avec qui il garda tout de même des liens d'amitié étroits. Il se remaria ensuite avec une jeune secrétaire anglaise, Charlotte Lotte Elizabeth Altmann, qui peu après tombera gravement malade. - Mais depuis l'abandon de sa demeure salzbourgeoise son âme inquiète ne lui laissait plus de repos. « Je ne sais pas ce que je vais chercher à l'étranger, mais je sais ce que je fuis » - En 1939 il écrit à Romain ROLLAND: « je ne vois pas d'issue dans cet affreux gâchis » Il parcourt de nouveau l'Amérique du Nord, se rend au Brésil, fait de courts séjours en France, en Autriche, où les nazis tourmentent sa mère qui se meurt... Et la guerre éclate. Déjà en 1940, lorsqu'il préparait une conférence sur sa Vienne tant aimée, il avoua à Alzir Hella ami intime, qui plus tard traduisit nombre de ses oeuvres en français - "Vous serez battus". Zweig voit répandues sur l'Europe les ténèbres épaisses qu'il appréhendait tant. Il quitte définitivement l'Angleterre et gagne les Etats-Unis, où il pense se fixer. "Du 21 août [1940], date de son arrivée au Brésil, et pendant une année, sa vie n'est qu'une succession d'étapes, sans projet à long terme, sans vue d'ensemble, sous le signe de l'errance. Nul paysage ne parvient à le retenir, aucun peuple n'adoucit sa souffrance. Il est partout malheureux. Ses voyages ne font plus naître comme avant-guerre l'émerveillement dans le coeur curieux et enthousiaste qui trouvait remède à son mal de vivre dans ses déplacements innombrables, source de tant de joies et de rencontres, si toniques à son oeuvre ! Il en subit maintenant la fatigue et les désagréments, traînant avec lui le poids de ses tristesses. Les voyages accusent son inquiétude, sa lassitude, sans le délivrer de rien. Le touriste éclairé n'est plus qu'un sans-patrie qui a perdu ses repères et ses lumières et avance dans le vide, l'esprit morose et angoissé. Derrière lui, ombre de son ombre, la haute et maigre silhouette de Lotte qui, à trente ans, l'allure lente et le souffle court d'une vieille femme, prolonge son malaise. Au lieu de le ragaillardir, le jeune épouse est un poids. Silencieuse et dévouée, émouvante par son amour, elle a en elle quelque chose de lourd, c'est une femme qui aime être portée. Elle n'a aucune initiative, la jeunesse, l'entrain, la gaieté lui font défaut. Compagne fidèle et soumise, la mélancolie est dans sa nature. Epuisée par l'asthme, apathique autant qu'effacée devant Zweig, elle ralentit son allure, devient une charge sur son épaule alourdie d'autres souffrances. On dirait que le destin lui a choisi cette femme, malchanceuse et guère réconfortante, pour lui rappeler à chaque instant sa condition et sa tristesse." Dominique Bona, "Stefan Zweig, l'ami blessé", Plon. (D.R.) (Dominique Bona, née le 29 juillet 1953 à Perpignan (Pyrénées-Orientales), est une écrivaine française. Elle est membre de l' Académie française, fille d'Arthur CONTE) Las ! L'inquiétude morale qui le ronge a sapé en lui toute stabilité. Le 15 août 1941, il s'embarque pour le Brésil et s'établit à Pétropolis où il espère encore trouver la paix de l'esprit. Il lit Montaigne. Cet humaniste lui enseigne que seule compte la liberté intérieure. Avant de mourir, il rédigera une courte biographie de l'auteur. Montaigne lui apporte une sorte de "consolation sur le tard". Zweig semble pourtant résolu à entamer une nouvelle vie: "j'ai décidé d'apprendre à parler le portugais que je sais déjà lire". Début décembre 1941, il s'accroche à l'existence: "plus l'horizon s'obscurcit, plus nous nous sentons heureux d'être à l'écart dans cet endroit perdu". Une césure se produit mi-décembre 1941:Le 13, il a sombré: "le temps nous abîme, nous sépare, nous déchire". Le 29 janvier 1942, trois semaines avant son suicide, il propose à son éditeur un "almanach de l'immigration"; puis il se rend avec son épouse et des amis au carnaval de Rio Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen - autobiographie (Die Welt von Gestern - Erinnerungen eines Europäers, 1942, publ. posth. 1944) ; Zweig commença à l’écrire en 1934 ; il posta à l’éditeur le manuscrit, tapé par sa seconde femme, un jour avant leur suicide. - En vain. Le 22 février 1942, Stefan Zweig rédige le message d'adieu suivant : "Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec ma lucidité, j'éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m'a procuré, ainsi qu'à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j'ai appris à l'aimer davantage et nulle part ailleurs je n'aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l'Europe, s'est détruite ellemême. Mais à soixante ans passés il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d'errance. Aussi, je pense qu'il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde. Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l'aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux." Stefan Zweig, Pétropolis, 22-2-42 Le lendemain, Stefan Zweig n'était plus. Pour se soustraire à la vie, il avait ingéré des médicaments (ingestion d'une fiole de Véronal), suicide sans brutalité qui répondait parfaitement à sa nature. Sa femme l'avait suivi dans la mort. Il aura droit à des funérailles nationales lors de son enterrement à Petrópolis, contrairement à ses vœux. -----------------------------------------------------------------------------------------Zweig et S. Freud A lire la correspondance que les deux hommes échangèrent pendant plus de trente ans, on se dit que Zweig est vraiment le fils que Freud aurait aimé avoir : il apprécie en lui sa "modestie intérieure", tout en étant séduit par l'écrivain, si proche à bien des égards d'Arthur Schnitzler qu'il considérait comme son "frère jumeau". Du côté de Freud il y a une réelle considération entre le travail d'écriture et l'acuité de l'observation de "la vie psychique". A Zweig, Freud confie ce brevet de ressemblance : "Votre type est celui de l'observateur, de celui qui écoute et lutte de manière bienveillante et avec tendresse, afin d'avancer dans la compréhension de l'inquiétante immensité". Chez Zweig il y a le sentiment d'une dette profonde vis à vis de Freud. Zweig sera l'un des rares écrivains viennois, le seul peut-être à discerner d'emblée le génie de Freud, à le proclamer et à le situer dans la lignée de Proust , Joyce et Lawrence. "J'appartiens, lui écrit-il, à cette génération d'esprits qui n'est redevable presque à personne autant qu'à vous en matière de connaissance." Zweig proclame l'avenir du freudisme: "l'heure est proche où votre exploration de l'âme, d'une si considérable importance, deviendra (...) une science de dimension européenne". Il envoie à Freud chacun de ses ouvrages, à peine paru; il le conçoit comme le dédicataire naturel de son œuvre. Freud considérait "24 heures de la vie d'une femme" et "la confusion des sentiments" comme des chefs d'œuvre accomplis. --------------------------------------------------------------------Zweig nouvelliste: La nouvelle est un genre jeune qui remonte aux 16ème et 17ème siècles (le Décaméron de Boccace, les Cent Nouvelles nouvelles, l'Heptaméron de Marguerite de Navarre). Cette tradition n'existe pas en Allemagne, où Goethe le premier fonde la nouvelle ( Causeries d'émigrés allemands en 1794). Un siècle plus tard, la nouvelle allemande est réinventée par Zweig, qui peu à peu l'allonge et lui donne sa modernité. -------------------------------------------------------------------Son œuvre en librairie est immense et très diversifiée: poèmes, pièces de théâtre, essais philosophiques, biographies historiques, romans, nouvelles et récits. Romans, nouvelles et récits, par Stefan Zweig, Gallimard, coll. «la Pléiade», 2 tomes, sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, 3000 p., 116 euros (prix de lancement jusqu'au 16 août, puis 130 euros). En librairies le 19 avril. La confusion des sentiments et autres récits, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1280 p., 30 euros. Cette édition regroupe la quasi-totalité des récits de Zweig, un genre littéraire dans lequel il excellait. Ses meilleurs écrits sont, en effet, des formes brèves. Ces 35 récits, confiés à une équipe de huit traducteurs sous la direction de Pierre Deshusses, sont présentés ici, pour la première fois, de façon chronologique, ce qui permet de mieux saisir l’évolution de l’écriture de Zweig et les répercussions de la maturité sur l’analyse des problèmes qu’il traite, parfois très actuels. Certains de ces textes, pratiquement inconnus, comme Rêves oubliés, Deux solitudes, Une jeunesse perdue, La croix… vont révéler au lecteur des aspects nouveaux de l’auteur. On retrouvera aussi les œuvres les plus connues : Amok, La Confusion des sentiments, Le Joueur d’échecs… Retraductions par une équipe d'une quinzaine de traducteurs. "Le joueur d'échecs" devient "la nouvelle du jeu d'échecs"; objectif: la nouvelle est moins consacrée à des joueurs d'échecs qu'au jeu lui-même et à ce qu'il révèle. "Rue du clair de lune" remplace "la ruelle au clair de lune" "Fièvre écarlate" remplace "la scarlatine". "Obsessions" remplace "la contrainte". "l'impatience du coeur" remplace "la pitié dangereuse". (Ungeduld des Herzens) 37 en livre de poche. Un peu plus de 30 à la BMI (et + de 20 en prêt) --------------------------------------------------------------------------------------------- Stefan Zweig, un intellectuel juif devant l'idée d'Europe «Ah! nous aimions tous notre temps, qui nous portait sur ses ailes, nous aimions l'Europe!»[[ZWEIG (Stefan), Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen, Paris, Belfond, 1993, p. 249. Livre paru en 1944, deux ans après sa mort.]] Qualifier Stefan Zweig de «grand Européen»[[ROMAINS (Jules), Stefan Zweig, grand Européen, New York, 1941.]] relève presque de l'évidence tant l'écrivain autrichien s'est investi dans son rôle de médiateur entre les cultures. Très tôt, Stefan Zweig a développé à travers l'Europe entière un réseau d'amitiés, et s'est efforcé d'informer, d'éduquer, d'inspirer, et de susciter l'approbation et l'enthousiasme en franchissant les frontières qui séparent les personnes, les littératures, les cultures et les nations. -------------------------------------------------------------------Conclusion: immense écrivain, humaniste attachant et envoûtant, anthropologue moderne, alliant curiosité et bienveillance en perçant l'inquiétante étrangeté de la nature humaine. Il n'a cherché ni la gloire ni la fortune, jamais élaboré de théorie littéraire, mais que ce soit dans « 24 heures de la vie d'une femme », « Amok », « le joueur d'échecs »,, « la confusion des sentiments », il explore à merveille les drames de la passion, les vertiges du rêve, la fragilité des sentiments. Il dépeint un monde sensible, mélancolique, sans être dépourvu d'aventure ni de fantaisie. Zweig s'attarde à décrire des phénomènes psychologiques qui intéressent les gens; ce sont des facteurs d'adhésion. L’intérêt pour la psychologie des profondeurs de celui que Romain Rolland disait un « chercheur d’âme » est tel qu’on l’a souvent considéré comme un émule de Freud. Cette affirmation mérite d’être nuancée, mais il est vrai que Zweig attache plus d’importance au caractère de ses personnages qu’au milieu dans lequel ils s’inscrivent. Permanence chez lui de l'analyse psychologique qui n'est jamais psychanalytique. Il écrit des histoires courtes, toujours avec un certain suspense, qui est dans l'esprit des lecteurs du XXème siècle Site: www.stefanzweig.org -----------------------------------------------------------------------------Mais le jugement critique sur Zweig a lui-même connu une histoire. Au départ, il est purement littéraire et par la suite, se politise, se complique et se personnalise, à mesure que Zweig devient un personnage public dont on lit les déclarations. (Il n’avait pas besoin de travailler par ailleurs pour vivre. D’ailleurs, ce facteur a très certainement joué un rôle dans le regard un peu critique qui s’est posé sur lui rapidement. Stefan Zweig a eu une culture sociale et familiale de grand bourgeois. C’est un homme qui a eu de l’argent et un domestique toute sa vie, n’a jamais eu de problème pour se loger, pour manger, sortir, voyager. Il n'a aucune sensibilité à la question sociale.) C’est vrai que ça explique aussi sans doute que les universités, allemandes notamment, aient considéré que ça n’était pas un personnage qui intéressait. Pendant très longtemps. Parce qu’il y avait des jugements négatifs de gens qui eux, étaient considérés par les universitaires : Brecht, Hofmannsthal etc... En Allemagne, Stefan Zweig, qui fut dénigré par Thomas Mann ou Bertold Brecht, a toujours été considéré comme un graphomane un peu balourd, loin de la grâce de ses contemporains - Rilke, Kafka, Joseph Roth, Musil, Schnitzler ou Hermann Broch - , et ce dédain léger persiste. Schnitzler, lui, ne s’est pas manifesté négativement mais n’aimait pas beaucoup Zweig et ne pouvait constituer un appui. Dans le monde littéraire, soit on l’a critiqué, soit on a rien dit. Mais personne n’a pris sa défense. On peut se demander s’il n’y a pas aussi une jalousie d’artistes, dans les propos durs tenus sur lui... Derrière la jalousie commerciale – le fait qu’il puisse marcher et les autres non – il y a quelque chose qui intrigue, qui gêne et perturbe les autres écrivains, qui se disent : Mais qu’est-ce qui se passe entre cet homme et le public ? ------------------------------------------------------------------------------ Quelques-unes de ses œuvres majeures: L'article indique que Le joueur d'échecs reste la plus grosse vente (900.000 ex) devant Vingt-Quatre Heures de la vie d'une femme (530 000), La Confusion des sentiments (350 000) et Amok (300 000). Stefan Zweig est un cas à part : de son vivant, il était déjà un auteur très lu ; soixante-huit ans après sa mort, il contribue encore à faire les beaux jours de certaines maisons d'édition, Grasset, Stock et Le Livre de poche, son éditeur unique en petit format. Qu'on en juge. En 2009, l'écrivain autrichien a été la deuxième meilleure vente de l'année de Grasset, avec Le Voyage dans le passé (un inédit, déniché par Valérie Bollaert, auteur d'une thèse sur le romancier). L'éditeur en était tellement ravi qu'il a publié, en octobre dernier, un deuxième roman inédit en français : Un soupçon légitime. Encore une réussite en librairies. Zweig a été également la deuxième meilleure vente de l'année de Stock, avec Lettre d'une inconnue. Cette nouvelle constituait l'un des succès de l'année… 1927. Zweig, toujours superstar. Et le phénomène n'est pas près de s'arrêter. «C'est l'un des plus beaux fonds du Livre de poche. Nous avons trente-sept titres au catalogue», affirme Cécile Boyer-Runge, directrice du Livre de poche. Et l'éditrice d'ajouter : «Ce qui est magique avec Zweig, c'est qu'il connaît une vogue continue et constante, avec des années plus ou moins fortes. 2009, avec Le Voyage dans le passé et Lettre d'une inconnue, a été particulièrement bonne, ces deux romans ont mis le projecteur sur l'écrivain et il y a eu un effet indéniable sur les ventes : 30 à 40% de plus !» Le joueur d'échecs:(écrit à l'automne 1941) Qui est cet inconnu capable d'en remontrer au grand Czentovic, le champion mondial des échecs, véritable prodige aussi fruste qu'antipathique ? Peut-on croire, comme il l'affirme, qu'il n'a pas joué depuis plus de vingt ans ? Voilà un mystère que les passagers oisifs de ce paquebot de luxe aimeraient bien percer. Le narrateur y parviendra. Les circonstances dans lesquelles l'inconnu a acquis cette science sont terribles. Elles nous reportent aux expérimentations nazies sur les effets de l'isolement absolu, lorsque, aux frontières de la folie, entre deux interrogatoires, le cerveau humain parvient à déployer ses facultés les plus étranges. Une fable inquiétante, fantastique, qui, comme le dit le personnage avec une ironie douloureuse, « pourrait servir d'illustration à la charmante époque où nous vivons ». 24 heures de la vie d'une femme: Récit d'une passion foudroyante, un "chef d'oeuvre", selon Freud. Scandale dans une pension de famille « comme il faut », sur la Côte d'Azur du début du siècle : Mme Henriette, la femme d'un des clients, s'est enfuie avec un jeune homme qui pourtant n'avait passé là qu'une journée. Seul le narrateur tente de comprendre cette « créature sans moralité », avec l'aide inattendue d'une vieille dame anglaise très distinguée, qui lui expliquera quels feux mal éteints cette aventure a ranimés chez elle. Amok: Sur le pont du transatlantique qui doit le ramener de Calcutta en Europe, le narrateur est brusquement arraché à sa rêverie par la présence quasi fantomatique d’un autre passager, qui se décide, lors d’une seconde rencontre, à lui confier le secret qui le torture… « Amok est l’enfer de la passion au fond duquel se tord, brûlé, mais éclairé par les flammes de l’abîme, l’être essentiel, la vie cachée.» Lettre d'une inconnue, suivi de la ruelle au clair de lune: Un écrivain viennois apprend en lisant son courrier qu’une femme l’aime en secret d’un amour absolu depuis des années. A cet égard, «Lettre d'une inconnue», republié par Stock, l'éditeur de toujours, aura connu en 2010 le même succès fou qu'en 1927, année de sa parution en France. On se demande toutefois pourquoi ce texte continue d'être présenté comme un «joyau de la littérature amoureuse», quand il relève plutôt du drame psychiatrique. Une nuit, un voyageur rencontre dans un bar un homme autrefois dominateur, aujourd’hui humilié par une fille à matelots… Ces deux nouvelles publiées en 1922 témoignent de l’art de Stefan Zweig pour dépeindre les tourments de l’amour non partagé, la passion qui brûle les cœurs et détruit les vies… La confusion des sentiments: nouvelle de l'"apprentissage". Subjugué par son professeur de philologie, le jeune Roland devient son ami. Mais certains comportements du professeur, avec sa propre femme comme avec lui, commencent à l'intriguer. Bientôt remué par une mer de sensations confuses, de sentiments ébauchées qu'il tente de cerner, Roland cherche à percer le secret de son maître... Chef - d'oeuvre de Zweig, La Confusion des sentiments est le grand roman de l'ambivalence ; de la haine et de l'amour, de la passion refoulée. -------------------------------------------------------La traduction de ZWEIG: Son traducteur: Alzir HELLA, avec l'accord de Zweig a simplifié, et en éclaircissant sa prose, l'a rendue plus accessible. Alzir Hella est un bonhomme très intéressant. Et ce qui est intéressant, c’est le fait que Zweig ait noué des liens amicaux avec lui, alors qu’il aurait pu lui reprocher des erreurs et des infidélités de traduction. Je crois que c’est le bon côté de Zweig : il s’en foutait complètement. Son traducteur pouvait faire ce qu’il voulait. Alzir Hella était un ouvrier typographe syndicaliste, né dans le Nord à Vieux-Condé en 1881, d'un père fonctionnaire des douanes. Il ne fit aucune étude supérieure. Il travailla très tôt dans une raffinerie comme aide-chimiste, puis dans une imprimerie. L' amour des livres et de la langue allemande, qu'il avait vaguement apprise en fréquentant peu de temps l'école moyenne en Belgique, le conduisit vers la traduction. Alzir Hella était une espèce d’anarcho-syndicaliste très proche du communisme (mort le 14 juillet 1953). Qui a écrit dans l’Humanité, traduit « A l’ouest, rien de nouveau ». C’est un personnage autodidacte, d’extraction ouvrière, plusieurs fois emprisonné. C’est le jour et la nuit avec Zweig. Mais depuis sa jeunesse, Zweig aimait les basfonds et avait le désir de rencontrer une autre humanité que celle des beaux quartiers de Vienne. Pas si facile, le job. Pierre Deshusses, aux manettes du projet de la collection «Bouquins», explique au détour d'une introduction joliment tournée que «traduire Zweig est un plaisir qui confine parfois au tourment. Il faut en effet savoir que Zweig écrit souvent de façon si négligée, si désinvolte, si insensée même, que chaque traducteur ne peut que s'arracher les cheveux, se demandant (...) comment une maison d'édition a pu accepter d'imprimer de telles inepties grammaticales, lexicales et syntaxiques. Si on traduisait Zweig tel qu'il écrit, il n'est pas sûr qu'il aurait autant de succès». -----------------------------------------------------------Adaptations au cinéma récentes: - Avec "Une promesse", une histoire d'amour sur fond de Première guerre mondiale inspirée d'un roman de Stefan Zweig, présentée à la Mostra de Venise, Patrice Leconte filme "au plus près" le sentiment amoureux, explique-t-il dans un entretien à l'AFP. présentation de son film "Une Promesse" à la Mostra de Venise, le 4 septembre 2013 Le film raconte l'histoire d'un jeune Allemand, Friedrich (Richard Madden, un des héros de la série Game of Thrones) issu de la classe populaire qui travaille dans une usine sidérurgique. Il est remarqué par le patron (Alan Rickman) qui fait de lui son secrétaire particulier. Nous sommes en 1912. Le jeune homme tombe amoureux de la belle épouse de son protecteur, Charlotte (Rebecca Hall), un sentiment partagé. Mais aucun des deux ne se déclare jusqu'à ce que Friedrich soit envoyé au Mexique pour diriger une exploitation minière. A son départ, les deux amoureux se promettent de se retrouver deux ans plus tard mais la guerre éclate.... Patrice Leconte, qui a écrit le scénario avec Jérôme Tonnerre, dit avoir lu le livre sur les conseils de ce dernier et l'avoir laissé faire son chemin en lui. "J'ai entrevu la possibilité de faire un film comme je les aime passionnément: un film qui suggère, qui évoque, qui ne montre pas mais qui laisse filtrer toutes les émotions, les sentiments, le désir, l'amour, fragiles et forts à la fois", explique-t-il. - Grand Budapest Hôtel Wes Anderson: c'est ici du paradis perdu du "Monde d'Hier", de Stefan Zweig, qu'il s'agit et dont Gustave, sans doute porte-parole de Wes Anderson, déplore la fin. -------------------------------------------------------------------------------------- Nadine JAMMOT Mars 2014
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