Le Joueur d`échecs - Théâtre Montansier
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE Le Joueur d’échecs Stefan Zweig André Salzet Au Théâtre Montansier Du jeudi 12 au samedi 14 décembre 2013 à 20h30 Durée : 1h10 Théâtre Montansier 13 rue des Réservoirs – 78000 Versailles www.theatremotnansier.com Distribution Mise en scène Yves Kerboul Adaptation et interprétation André Salzet Régie lumières Ydir Acef et Stéphane Loirat Une production de la compagnie Théâtre Carpe Diem – direction André Salzet Avec le soutien de la ville d’Argenteuil et du Conseil Général du Val d’Oise Recommandations Soyez présents 30 minutes avant le début de la représentation le placement de tous les groupes ne peut se faire en 5 minutes ! Le placement est effectué par les hôtesses, d’après un plan établi au préalable selon l’ordre de réservation. Nous demandons aux groupes scolaires de respecter ce placement. En salle, nous demandons également aux professeurs d’avoir l’amabilité de se disperser dans leur groupe de manière à encadrer leurs élèves et à assurer le bon déroulement de la représentation. Théâtre Carpe Diem En adaptant Stefan Zweig, Franz Kafka, Michel Quint, Ramón Sender, la compagnie s’efforce de questionner l’Histoire et la Mémoire collective au travers de mises en forme et de styles chaque fois différents. Yves Kerboul Yves Kerboul (1928-2006), acteur et metteur en scène, a travaillé notamment au Centre Dramatique de l'Est (TNS), au Théâtre de la Cité de Villeurbanne (TNP), à la Comédie de Caen, ainsi qu'au Théâtre de Gennevilliers sous la direction de Roger Planchon, Claude Yersin, Bernard Sobel, Jean-Pierre Miquel, Antoine Vitez, Jean Deschamps, Antoine Bourseiller, Jean-Marie Serreau… Il a également enseigné à l'École Lecoq et à l'École Dullin. Sa mise en scène du Joueur d’échecs, axée sur une analyse fidèle du texte, s'attache au jeu d'acteur qu'il voulut toujours précis et subtil. André Salzet Comédien et directeur de la compagnie Théâtre Carpe Diem, André Salzet suit, de 1984 à 1987, les cours de l’École Charles Dullin et participe à des ateliers avec Pierre Debauche, Catherine Anne et Célie Pauthe. En 1987, il joue au Théâtre de l’Épée de Bois dans Volpone de Ben Jonson et Tamerlan de Christopher Marlowe, mise en scène d'Antonio Diaz Florian. En 1989, il joue dans le film du Théâtre du Soleil La Nuit Miraculeuse, réalisation Ariane Mnouchkine. Il adapte et interprète ensuite des textes littéraires de Boris Vian, Guy de Maupassant, Stefan Zweig, Franz Kafka, Michel Quint, Ramón Sender. Actuellement en tournée avec Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig et Effroyables Jardins de Michel Quint, il anime des actions culturelles en amont ou aval des représentations. 1 / L’Œuvre En 1939, voyageant sur un paquebot qui fait le trajet de New York à Buenos Aires, le narrateur apprend avec intérêt que le champion du monde des échecs, Mirko Czentovic, est à bord. Ce Yougoslave avait appris à jouer, adolescent, en observant le curé de son village qui, un jour, se rendit compte que cette brute inculte était un véritable prodige. Devenu champion du monde, il avait fait du jeu sa profession, tout en n’étant qu’«une machine à jouer aux échecs», tout en demeurant aussi fruste qu'antipathique. Grâce à l’aide du riche et vaniteux Écossais MacConnor, le narrateur réussit à obtenir une partie simultanée avec Czentovic. Les compères la perdent, mais l'Écossais en paie une seconde. Soudain, alors qu'ils vont faire un coup apparemment brillant mais qui leur ferait perdre la partie, une voix leur conseille de jouer autrement, et, suivant ses indications, ils obtiennent une partie nulle. Ce sauveur s’esquive, mais, comme ils désirent en faire une autre, ayant appris que l'inconnu est un Viennois, le narrateur, qui l’est aussi, est envoyé auprès de lui. Sans se faire prier, M. B... raconte sa vie et sa relation avec les échecs. Il appartient à une riche famille d'administrateurs de biens qui s’occupait avec discrétion de ceux de membres de congrégations religieuses, qui dominait en restant dans l'ombre. Les nazis, voulant s’approprier ces biens, trompèrent leur vigilance par un espion à leur solde. Il fut arrêté par des SS, enfermé dans un hôtel, seul dans une chambre où il fut soumis à un isolement absolu, bientôt irrégulièrement interrompu par des interrogatoires de la Gestapo. Après quelques mois de ce traitement, alors qu'il se sentait sombrer dans la folie, il avait pu dérober un livre qui se révéla être un manuel d'échecs. Sa détention fut alors plus douce puisque, s'aidant d'abord d'un drap et de pièces en mie de pain, puis de sa seule mémoire, il s'occupa jusqu'à s'amuser passionnément. Ayant épuisé toutes les parties décrites dans le livre, il se mit à jouer contre lui-même. Mais sa raison s'en détraqua jusqu’à une crise de nerfs où il agressa son gardien et se blessa en cassant une vitre. Il se réveilla dans un hôpital où le médecin, comprenant son problème, usa de son influence pour qu'il fût libéré et lui recommanda de ne plus jamais jouer aux échecs. Il fut obligé de quitter l’Autriche et se retrouva ainsi sur le bateau… Quand il s'était intéressé à la partie, il avait vu la faute qui risquait d'être commise et n'avait pu s'empêcher d'intervenir. La folle envie de savoir s'il peut jouer sur un véritable échiquier le prend et il accepte alors de faire le lendemain une seule partie contre Czentovic. Il la gagne. Le champion réclame une revanche que M. B... accepte avec précipitation. Mais le champion, ayant perçu la faiblesse de son adversaire, joue très lentement. Hors de lui, recommençant à jouer contre luimême, continuant dans sa tête une partie fictive au lieu de s'en tenir à son jeu sur un échiquier bien réel, oubliant la partie qui est en train de se dérouler, M. B... connaît de nouveau une crise. Le narrateur l'interrompt et lui rappelle ses excès passés. La partie cesse. Le champion daigne admettre que : « Pour un dilettante, ce monsieur est en fait très remarquablement doué. » 2 / La pièce " Nous avions réussi à amener le pion de la ligne c jusqu'à l'avant-dernière case c2; il ne restait qu'à l'avancer en c1 pour faire une nouvelle dame. Nous n'étions, il est vrai, pas tout à fait rassurés devant une chance aussi apparente. Czentovic voyait évidemment beaucoup plus loin que nous et, à l'unanimité, nous le soupçonnions de nous tendre cet appât avec d'autres intentions. Mais nous eûmes beau chercher et discuter, nous ne pûmes découvrir le traquenard. Finalement, le délai de réflexion réglementaire touchant à sa fin, nous nous décidâmes à risquer le coup. Déjà, Mac Connor poussait le pion, lorsque quelqu'un le saisit brusquement par le bras et lui chuchota avec véhémence : "Pour l'amour du ciel, pas cela! " Extrait de la pièce Lumière. Un homme parle. Rien d'autre, sur la scène, que cet homme qui parle. Et une chaise. L'homme parle et raconte. D'abord, c'est le ton presque badin de l'anecdote. Figurez-vous qu'au cours d'un récent voyage en paquebot, il s'est trouvé en présence du champion du monde d'échecs, Mirko Czentovic. Quelle aubaine pour quelqu'un qui aime les personnages singuliers que d'avoir à portée du regard, à portée de curiosité, un champion réputé inculte dans les autres domaines, un monomaniaque apparemment, un cas ! L'homme raconte. Il raconte Czentovic, son origine, sa prodigieuse réussite. Czentovic, bête, ignorant et cupide. L'homme raconte, encore, et nous dit sa curiosité, et puis il dit le stratagème pour attirer Czentovic et comment, au cours d'une partie où il peut enfin observer et étudier le champion, surgit soudain un personnage étrange, si habile aux échecs qu'il intervient heureusement dans le cours du jeu et amène Czentovic à déclarer la partie nulle. L'homme s'intéresse dès lors à ce mystérieux inconnu, le retrouve et l'aborde. L'inconnu, qui affirme n'avoir pas joué aux échecs depuis vingt ans, s'assoit et raconte. « La force du Joueur d'échecs réside d'emblée dans les portraits que Stefan Zweig a su brosser de personnages emblématiques, voire allégoriques. Et la place que Zweig lui-même, auteur et narrateur, occupe au sein de la nouvelle, permet l'élaboration d'un récit en abîme où les interférences entre jeu d'échecs, jeu d'écriture et jeu de manipulation du lecteur donnent à l’œuvre puissance et suspense. Mais ce suspense revêt un caractère exceptionnellement grave quand on resitue Le Joueur d'échecs dans l'histoire. C'est cette gravité et sans doute l'urgence des temps actuels qui montrent, aujourd'hui plus encore, la validité, l'opportunité et la pertinence du propos de Zweig. Adapter Le Joueur d'échecs au théâtre, c'était répondre à cette urgence en laissant toute sa place à un texte qui parle de lui-même. Mettre en scène Le Joueur d'échecs, c'était surtout faire en sorte que les personnages suggèrent pleinement la tension et l'horreur latente de l'égarement. » Yves Kerboul – André Salzet 3 / Biographie de Stefan Zweig Né à Vienne, en 1881, fils d'un riche industriel ayant fait fortune dans le textile, Stefan Zweig se passionne très jeune pour la poésie, la littérature et le théâtre. L'aisance familiale permet à Stefan Zweig de s'adonner sans contraintes aux passions qui sont les siennes, à savoir la littérature, l'histoire et la philosophie. Ami de Rilke, de Freud, d'Emile Verhaeren, et de Romain Rolland ; traducteur de Verlaine, Rimbaud et Baudelaire, il est un humaniste sincère et un pacifiste très attaché à la culture européenne. L'atmosphère cosmopolite de la Vienne des Habsbourg développe chez lui le goût des voyages, et toute sa vie il parcourra les pays d'Europe, l'Amérique du Nord, le Mexique, Cuba, les Indes, Ceylan et l'Afrique... À ce pacifiste féru d'échanges intellectuels au delà des nationalités, la première guerre mondiale fait l'effet d'un traumatisme. Au lendemain de celle-ci, Zweig connaît un succès international qui jamais ne le grisera. Ses recueils (Amok 1922, La Confusion des sentiments 1926, Légendes 1931) révèlent sa maîtrise de l'analyse des sentiments troubles, des secrets dévastateurs et un regard critique sur la morale sociale. Il donne aussi des essais sur Balzac, Dickens et Dostoïevski, incarnations majeures selon lui de l'Europe culturelle (Trois Maîtres 1919), sur Hölderlin, Kleist et Nietzsche (Lutte avec les démons 1925) et aussi sur des destins sacrifiés (Marie-Antoinette, Marie Stuart, Magellan…) En 1933, Hitler est nommé chancelier en Allemagne. C'est l'année de l'adaptation cinématographique de sa nouvelle Brûlant secret qui attise la colère des nazis. Ils ne supportent ni le livre, ni le film. Un autodafé des livres de Stefan Zweig a lieu à Berlin. Son opposition au régime hitlérien se manifeste aussi en 1934 dans son Érasme : grandeur et décadence d'une idée, qui révèle ses convictions humanistes. Cette même année, Stefan Zweig vient s'installer à Londres pour y poursuivre la préparation de sa biographie de Marie Stuart. Son séjour ne semble avoir aucun motif politique, mais bientôt l'invasion de l'Autriche par les troupes d’Hitler et son annexion par l'Allemagne nazie le dissuadent de rentrer dans son pays. En 1939, Sigmund Freud dont Stefan Zweig fut un proche, meurt à Londres ; ce dernier rédige et lit son oraison funèbre. En 1940, Zweig obtient la nationalité britannique et épouse en secondes noces sa secrétaire Lotte Altmann (Zweig a divorcé de sa première femme, Friederike, en 1938). Le couple s'installe provisoirement à New York et le 15 août 1941, Zweig s'embarque pour le Brésil, où il travaille sur son autobiographie. Il rédige Le monde d’hier, Le Joueur d'échecs et un essai biographique sur Montaigne. La vie lui est devenue insupportable, le monde est noir et la seconde guerre mondiale achève définitivement tout espoir d'une société meilleure. Le 22 février 1942, Stefan Zweig rédige le message d'adieu suivant : "… le monde de mon langage a disparu pour moi et ma patrie spirituelle, l'Europe, s'est détruite elle-même. Mais à soixante ans passés, il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d'errance. Aussi, je pense qu'il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde. Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l'aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux." 4 / La vie de Stefan Zweig face aux grands événements politiques : biographie avec repères chronologiques, politiques et culturels 1867 L'empereur autrichien François-Joseph est couronné roi de Hongrie. 1871 Fin de la guerre franco-prussienne : la France perd l'Alsace-Lorraine. 1874 Naissance du mouvement impressionniste en France. 1881 Stefan Zweig naît le 28 novembre 1881 à Vienne au sein d’une famille aisée d’origine juive, mais il grandit dans un climat laïc. Après une scolarité mal vécue, car trop rigide, il obtient son baccalauréat (1900). Le jeune homme fait alors un choix: ce sera l’écriture. Il compose de nombreux poèmes, qu’il reniera par la suite, et publie ses premiers textes dans le Neue Freie Presse, l’un des principaux quotidiens austro-hongrois de l’époque. Tout juste auréolé de ses premiers succès littéraires, il poursuit sa formation artistique dans les cercles avant-gardistes européens, à Berlin, Paris, Bruxelles ou encore Londres. Il étudie l’œuvre de l’écrivain russe Dostoïevski, il s’enthousiasme pour le peintre Munch, il se lie d’amitié avec Jules Romains et le poète belge Émile Verhaeren. C’est également un traducteur très actif. 1881 Dostoïevski (Crime et châtiment) meurt en pleine gloire littéraire. 1885 Nietzsche publie Ainsi parlait Zarathoustra. La conférence de Berlin organise le partage de l'Afrique entre les puissances européennes. 1889 Léon Tolstoï publie La Sonate à Kreutzer. La Tour Eiffel est achevée pour l'Exposition universelle. 1893 Le peintre norvégien Munch expose à Berlin et peint son tableau le plus célèbre : Le Cri. 1896 Mort du poète Paul Verlaine à Paris. Richard Strauss met en musique Ainsi parlait Zarathoustra. 1899 Publication de L'Interprétation des rêves de Sigmund Freud. 1900 Mort de Nietzsche à Weimar. 1904 En 1904, il obtient son doctorat de philosophie à l’université de Vienne. Cette même année est publié son premier recueil de nouvelles, L’Amour d’Erika Ewald. Il devient un auteur apprécié (un second volume de nouvelles, Première expérience, paraît en 1911) et rédige la biographie d’Émile Verhaeren (publiée en 1910). Il s’essaye aussi au théâtre avec Thersite (1907) et La Maison au bord de la mer (1911). En 1908, Zweig entame une correspondance avec Freud, puis avec l’écrivain français Romain Rolland (1910). Une profonde amitié liera les deux hommes qui partagent les mêmes idéaux pacifistes et humanistes. 1911 Création de l'opéra Le Chevalier à la rose: livret d'Hugo Von Hofmannsthal, musique de Richard Strauss. 1914 Le déclenchement de la Première Guerre mondiale (1914) le ravage moralement. Grâce à Romain Rolland, il surmonte sa profonde déception et accomplit son devoir militaire dans les services administratifs. À Salzbourg où il s’installe ensuite avec son épouse Friderike, Zweig poursuit son intense activité de biographe qui lui apporte une grande renommée littéraire. Après l’armistice, il voyage beaucoup pour promouvoir ses convictions pacifistes, et rédige la biographie de Romain Rolland (1921). Il fréquente l’avant-garde littéraire et picturale de l’après-guerre et connaît le succès avec son recueil de nouvelles Amok (1922). Parallèlement, le cinéma s’intéresse à son œuvre: plus de dix-huit films seront tirés de ses écrits. 1914 Assassinat de l'archiduc d'Autriche à Sarajevo: l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. Début de la Première Guerre mondiale. 1915 Le prix Nobel de littérature est attribué à Romain Rolland. 1916 Décès d'Emile Verhaeren à Rouen. 1917 Révolution russe qui aboutira en 1922 à l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques. 1918 Signature de l'armistice le 11 novembre: fin de la Première Guerre mondiale. 1919 Traité de Saint-Germain-en-Laye : l'empire austro-hongrois est démantelé. Création de la République d'Autriche. Création de la Société des Nations. 1926 Décès de Rainer Maria Rilke. 1929 Krach boursier à New-York: début de la crise économique mondiale (Grande Dépression). Mort d'Hugo Von Hofmannsthal. 1933 De Salzbourg, Zweig assiste avec effroi à l’arrivée au pouvoir d’Hitler (1933). Sa judéité, jusque-là peu revendiquée, devient plus présente à son esprit et dans son œuvre. La persécution des juifs et le déchirement imminent de l’Europe le plongent dans une dépression dont il ne sortira plus. Il voit le livret de l’opéra La Femme silencieuse, écrit pour Richard Strauss, mis à l’index par les autorités nazies. Ses livres seront ensuite brûlés sur les places publiques allemandes. Stefan Zweig choisit l’exil. Profitant de recherches pour une biographie de Marie Stuart, il s’installe à Londres (1934). Il divorce et épouse en 1939 sa jeune secrétaire Charlotte Elizabeth Altmann, dite Lotte. L’annexion de l’Autriche par Hitler (anschluss) le prive de sa nationalité autrichienne. Malgré l’obtention de la nationalité britannique en 1940, il se sent apatride. 1933 Hitler devient chancelier du III° Reich. Premier autodafé à Berlin: les œuvres dites «juives» sont brûlées. 1934 Affrontements entre socialistes et conservateurs en Autriche (insurrection de février). Échec de la tentative de putsch des nationaux-socialistes autrichiens (juillet). 1936 Premier gouvernement socialiste en France avec Léon Blum. Début de la guerre d’Espagne. 1938 Anschluss: annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. 1939 Accords de Munich: démembrement de la Tchécoslovaquie au profit de l’Allemagne. Entrée en guerre de la France et du Royaume-Uni après l’agression de la Pologne. Mort de Freud, qui s’était réfugié à Londres. 1941 Pessimiste par tempérament, pathologiquement dépressif, il ne trouvera plus le repos de l’âme. La déflagration mondiale le terrifie et l’entrée en guerre de l’URSS et des États-Unis ne le rassure nullement (1941). Fatigué et désabusé, il s’installe au Brésil avec Lotte. Vaine tentative: il s’enfonce de plus en plus dans la dépression, la santé précaire de son épouse et l’évolution du conflit n’arrangeant rien. Stefan Zweig et Lotte se suicident en ingérant des barbituriques le 22 février 1942. 5 / Fiction et réalité politique : une nouvelle allégorique Le Joueur d'échecs est la première nouvelle de Zweig où le contexte historique contemporain est clairement identifiable. En effet, exilé volontaire au Brésil, Stefan Zweig porte un regard attentif aux déchirements qui ruinent l'Europe en ces années dominées par le national-socialisme. La situation politique en Autriche est nettement précisée : Dolfusset et Schuschnigg sont les chanceliers chrétiens-sociaux de la république autrichienne en 1934 et 1936. Tous deux ont tenté de lutter contre les nazis, le premier avec brutalité et fermeté, le second en signant en 1936 un accord stipulant qu'Hitler n'interviendrait pas dans les affaires autrichiennes. Le premier sera assassiné, le second sera arrêté et fait prisonnier. Le Docteur. B fait référence à l'arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne, c'est-àdire en 1933 ; il se fait arrêter la veille du jour où Hitler entrait dans Vienne c'est-àdire le 13 mars 1938. Il parle des SS, de la gestapo, et de leurs méthodes pour s'introduire dans les milieux républicains et les faire espionner. De petits traîtres à leur solde dénoncent les personnages les plus importants et les plus gênants pour le pouvoir d'Hitler. Cette machine policière classe les victimes en deux camps : ceux qui voulaient rester fidèles à l'Autriche mais dont on ne pouvait tirer profit et ceux qui, comme le Docteur. B (ou le baron de Rothschild) géraient les biens de l'Église ou de grandes familles riches. Les premiers étaient envoyés dans des camps de concentration où ils subissaient "humiliations et tortures physiques", les seconds étaient enfermés dans le plus grand hôtel de Vienne, "Le Métropole", hôtel réquisitionné par la gestapo pour les besoins des interrogatoires des personnages influents de la république autrichienne. Dans cette prison, pas de torture physique, pas de maltraitance, pas même d'agression verbale (à cet égard, il est remarquable de constater que GERD OSWALD, cinéaste qui porta à l'écran, en 1960, la nouvelle de Zweig, fait observer au gardien du Docteur. B un mutisme total); le prisonnier est tenu dans une solitude totale, seul, face à lui-même, n'ayant pour horizon que les murs de sa chambre, hermétiquement enfermé dans cet espace restreint, dépouillé de tout objet qui puisse le distraire. Cette torture est pour le Docteur la plus terrible et la plus insoutenable ; c'est une "méthode plus raffinée mais non pas plus humaine", "une espèce plus subtile que celle des coups de bâton et des tortures corporelles". "Le NÉANT", "RIEN", "NE...JAMAIS", scandent le récit de ces longs mois, et toute la difficulté est de dire l'indicible. Les interrogatoires sont une étape d'autant plus pénible que le personnage ne sait pas ce que ses juges savent, ce que contiennent les dossiers qui sont sur leur bureau, pas même si ces dossiers le concernent ; "les questions, les franches et les perfides, celles qui en cachent d'autres, celles qui cherchent à vous prendre au piège" sont autant de cas de conscience qui se posent au Docteur. B : en répondant, à chaque fois il prend le risque de dénoncer quelqu'un. Cet art de l'interrogatoire est à ce point développé chez les nazis que, sitôt rentré dans sa cellule, le Docteur. B se remémore toutes les questions : "J'examinais, je creusais, je sondais, je contrôlais chacune de mes dépositions, je repassais chaque question posée, chaque réponse donnée [...] mon propre esprit prolongeait inexorablement le tourment [de l'interrogatoire de la gestapo] avec autant ou peut-être même plus de cruauté...". Cette torture mentale, cette torture psychologique, inventée par "un génie diabolique, un tueur d'âme", est le comble du raffinement de la cruauté et si le Docteur est prêt à céder à cette pression devenue intolérable, on ne saurait lui en vouloir. L'Histoire a, à de maintes reprises, dans ce contexte des années 40/45, démontré la toute puissance de cette arme insidieuse et perfide, seulement, il n'y a pas toujours eu un manuel d'échecs pour sauver la vie de la victime. "C'est une histoire assez compliquée, et qui pourrait tout au plus servir d'illustration à la charmante époque où nous vivons" C'est par cette phrase laconique et ironique que le Docteur. B introduit le récit de sa vie, précisant le sens qu'il faut donner à son récit: son cas particulier illustre la situation de l'Europe toute entière et l'état de dictature qui s'y installe (il est intéressant de constater que lors de son récit, le Docteur. B cesse de dire "je" et parle à la deuxième personne du pluriel, certes parce qu'il parle d'un autre luimême mais aussi comme s'il parlait d'autres que lui-même). On peut même considérer que l'ensemble de la nouvelle peut se lire comme une allégorie de la lutte du Bien contre le Mal. Le Docteur. B et Czentovic sont deux joueurs diamétralement opposés et lorsqu'ils s'asseyent de part et d'autre de l'échiquier, "la planche à carreaux" se transforme en un véritable champ de bataille et les deux partenaires deviennent "deux ennemis qui avaient juré de s'anéantir réciproquement." Le narrateur a recours de manière récurrente au lexique militaire pour décrire leur parties: "bataille"; "lutte"; "adversaires"; " camp"; "buts stratégiques". Il compare leurs attitudes à celles de "généraux [qui] font marcher leurs troupes pour tâcher de faire une brèche dans les lignes ennemies." (85). Le jeu d'échecs est un jeu de guerre animé par une haine réciproque, il concentre toutes les forces des adversaires au point qu'ils en oublient les spectateurs qui les entourent. Aussi peut-on considérer que le jeu incarne un conflit : entre l'esprit et le pouvoir, c'est-à-dire entre un homme qui réfléchit et un automate doué. entre un individu qui mène son jeu et un autre qui, d'une froideur mathématique, manœuvre des pions. entre l'humain et l'inhumain ("une machine à jouer") entre l'incertain et le calculé entre l'homme et la barbarie (la lenteur de Czentovic, véritable torture pour le Docteur. B) Le jeu d'échecs illustre la situation du contexte historique de la nouvelle et aussi bien sûr de l'époque de l'écriture de la nouvelle de Zweig. De fait, si on peut lire le récit du Docteur. B comme le récit d'une partie d'échecs qui l'opposait aux nazis, et dans cette partie, c'est le Docteur. B qui gagne, puisqu'il ne parlera pas. On peut lire également la partie qu'il accepte de jouer contre le champion du monde comme une lutte entre le Bien et le Mal. Certes, il ne faut pas aller jusqu'à prétendre que Czentovic est la représentation fictive des nazis, mais son comportement (son impassibilité, sa froideur, son sentiment de supériorité, son dédain...) d'une part et la torture qu'il impose au Docteur. B en jouant de plus en plus lentement, uniquement parce qu'il s'est rendu compte que cela troublait et déstabilisait son adversaire, ne sont pas sans rappeler les attitudes des bourreaux dont a été victime le Docteur. B pendant son année d'isolement. Czentovic gagne la deuxième partie, mais en fait, il n'y a pas défaite du Docteur. B: il remporte au contraire une victoire sur lui-même, en ne sacrifiant pas son esprit au jeu. On peut lire l'issue de cette partie comme la victoire du Bien sur Le Mal: le jeu représente le Mal quand il devient passion, puis monomanie, puis folie, et enfin destruction de soi, de son esprit; c’est la victoire de la Liberté sur la Dictature, de l'Humain sur l'Inhumain. Selon Stefan Zweig, "l'esprit est voué à la défaite face à la brutalité du pouvoir". Dans sa nouvelle, le Docteur. B est l'illustration de cette amère constatation: bien qu'il soit conscient que jouer contre soi-même soit impossible, il sait qu'il n'a pas d'autre solution, pour échapper à la torture de l'isolement, que de "réussir" ce tour de force, au risque de se perdre. De la même façon, lorsqu'il trahit son engagement (une seule partie), il accepte une seconde partie parce qu'il est dominé par le pouvoir du jeu. Si le narrateur parvient à l'arracher à ce démon, c'est peut-être parce que son auteur, désespéré de voir que le pouvoir d'un seul homme peut détruire des pays entiers, voulait laisser un message d'espoir et tenter de croire que, dans la fiction du moins, l'homme peut vaincre l'oppresseur et vivre en paix. On sait que Stefan Zweig n'eut pas la patience d'attendre des jours de paix, son pessimisme en l'homme était le plus fort: "Ou bien la tempête va finir un jour, ou bien on en finit soi-même" écrivit-il dans la dernière lettre qu'il adressa à son exfemme quelques jours avant d'avaler le poison qu'il gardait sur lui depuis plusieurs années. Bibliographie Le Joueur d'échecs, de Renate Chédin, Ed. Ellipses Le Joueur d'échecs de Stefan Zweig - Premières leçons, de J.-L. Ferrignaud et P. Grioux, Ed. PUF Le Joueur d'échecs de Stefan Zweig, de Corinne Cichella, collection Bac Blanc, Ed. Ellipses. Stefan Zweig, Le Joueur d’échecs, d’Elisabeth Rothmund, Ed. Ellipses, 2000. Stefan Zweig: les Juifs dans le monde d’hier (1943), Hanna Arendt, dans La Tradition cachée, trad. Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Christian Bourgeois, 1987. Europe, revue littéraire mensuelle, n° 794-795, juin-juillet 1995 (numéro spécial Zweig). Le Joueur d’échecs, de Corinna Gepner, Rosny, Bréal, 2000. L’Avenir de la nostalgie - Une vie de Stefan Zweig, Jean-Jacques Lafaye, Paris, Ed. Hermann, 2010. Stefan Zweig : Des sommets de la gloire à l’exode et au suicide, de Jacques Le Rider, dans Journaux intimes Viennois, Paris, PUF, 2000. Magazine littéraire, n°351, février 1997 (numéro spécial Zweig) Magazine littéraire, n°486, mai 2009 (numéro spécial Zweig) Le Mythe et l’Empire dans la littérature autrichienne moderne, Claudio Magris, trad. Jean et Marie-Noëlle Pastureau, Paris, Gallimard, 1991. Stefan Zweig: Le voyageur et ses mondes, Serge Niémetz, Paris, Belfond, 1996. Weimar en exil: Le destin de l’émigration intellectuelle allemande antinazie en Europe et aux Etats-Unis, Jean-Michel Palmier, Paris, Payot, 1987. Stefan Zweig, Donald A.Prater, Paris, La Table Ronde, 1988 Stefan Zweig : Instants d'une vie, K. Renoldner, H. Holl et P. Karlhuber, trad. Jean-Luc Pinard-Legry, Paris, Stock, 1994. Les derniers jours de Stefan Zweig, Laurent Seksik, Paris, Flammarion, 2009. Stefan Zweig, l’ami blessé, D. Bona, Paris, Perrin, 2011. Stefan Zweig et Vienne, C. Sauvat, Paris, Éditions du Chêne, 2000. Stefan Zweig, C. Sauvat, Paris, Gallimard, Folio, 2006. Stefan Zweig ou espérer l’Europe à en mourir, G. Fragnière, Presses interuniversitaires européennes, Bruxelles, 1993. Stefan Zweig sur Internet Stefan Zweig ou le cosmopolitisme humaniste http://www.karimbitar.org/stefanzweig Stefan Zweig, le grand voyageur pacifique http://www.senat.fr/evenement/stefan_sweig.html Stefan Zweig, site du fan club http://www.stefanzweig.org/ http://lesderniersjoursdestefanzweig.blogspot.fr/ http://education.francetv.fr/dossier/vie-et-uvre-de-stefan-zweig-o27496 Contact écoles Alix Crambert – 01 39 20 16 00 [email protected] Tarif scolaire : 10 € (gratuité pour les accompagnateurs)
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