Jean Gourguet, cinéaste d`un autre temps
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Jean Gourguet, cinéaste d`un autre temps
Jean Gourguet, cinéaste d’un autre temps Destins oubliés (10) ❘ Près de vingt ans après sa mort, sa fille, Geneviève, se bat pour faire redécouvrir l’œuvre (42 films) de son père, cet « artisan modeste ». 4 2 films, de 1928 à 1961. Beaucoup de courts métrages, certes. Pourtant, quelle place occupe Jean Gourguet (1902-1994) au panthéon du 7e art, sinon un strapontin ? Près de vingt ans après sa mort, sa fille, Geneviève, se bat toujours pour faire redécouvrir l’œuvre de son père, « artisan du cinéma, modeste et anticonformiste », comme elle aime à le définir. Élevé dans la rigide bourgeoisie catholique cettoise du début du XXe siècle, il devient vite « le vilain petit canard de la famille » quand il choisit, très tôt, « ce métier de saltimbanque ». Tel un forain, il embarquera, devant et derrière la caméra, femme et enfants. Et même son chien Gundo (surnommé le Rintintin français !). Avant de s’orienter vers un autre métier, Geneviève, née en 1942, avait tourné, fillette, dans huit films “maison”, sous le pseudonyme de… Zizi Saint-Clair. En référence bien sûr à sa ville natale : « Même s’il n’y avait pas acheté de maison, il l’aimait beaucoup, dit Geneviève. Il avait gardé un côté très méditerranéen. Il pouvait être très sévère sur un plateau, tout en ayant énormément d’humour. Et il aimait s’amuser comme un enfant… ». Un pur Sétois ! Démêlés avec la censure Gourguet l’homme-orchestre : réalisateur, mais aussi scénariste, dialoguiste, producteur de la plupart de ses films. « Ma mère, Michelle, qu’il avait rencontrée en 1938, était aussi son assistante. Tous deux étaient des bourreaux de travail. On vivait chichement, car le peu d’argent gagné était aussitôt réinvesti ». À se plonger dans sa filmographie, on reste plus d’une fois ébahi. Sait-on que Jean Gourguet recruta en 1934 un comédien débutant nommé… Tino Rossi ? Après 1945, tout en faisant appel à quelques grandes vedettes d’avant-guerre (Gaby Morlay, Dalio, Rellys, Larquey…), il donna leur chance à de jeunes inconnus : Dany Carrel, Roger Dumas, Michel Roux, Jean-Pierre Mocky… et même Richard Bohrin- ■ Geneviève Costovici-Gourguet, ici à Saint-Jean-de-Védas avec son petit-fils Doryan, avait tourné, enfant, avec son père. ger. Et il eut de fréquents démêlés avec la censure. Non seulement parce qu’il ne rechignait pas à des scènes alors qualifiées d’osées (tout du moins un sein dénudé par ci…), mais aussi parce que certains de ses opus « donnaient une mauvaise image de la jeunesse ». Comme Les Promesses dangereuses, tourné à Sète (lire plus bas), où une bande d’adolescents farceurs fait des siennes. Et où un jeune homme “de bonne famille” (apparte- ment sur les quais, baraquette) tombe amoureux d’une jeune fille pauvre du Quartier Haut. « Il y a souvent une part d’autobiographie dans ses récits, mais ce qui importait, pour mon père, c’était que le public suive », souligne Geneviève. La critique, en revanche, ne l’a pas épargné : « Un journaliste le démolissait systématiquement. Une fois, il l’avait fait sans même avoir vu le film… ». Privée de “Jeux interdits” En 1951, René Clément, qui fut son assistant-réalisateur, est à la recherche d’une petite fille pour le rôle principal de son prochain film : Jeux interdits. Il veut le confier à Geneviève, alors âgée de neuf ans, dont il avait remarqué les qualités sur les plateaux. « Je me souviens bien de ses coups de téléphone répétés. Mais mon père, sans doute trop protecteur, a obstinément refusé. Malgré mes larmes, je n’ai pas réussi à le faire revenir sur sa décision. J’en ai ressenti une grande déception… ». Le rôle échut à Brigitte Fossey et le film, porté par la légendaire mélodie de guitare de Narciso Yepes, connut un succès mondial, remportant un Oscar. Plus de quarante ans après, confie Geneviève, « sur son lit de mort, mon père m’a demandé pardon… ». En 1961, Gourguet enclenche une dernière fois sa caméra pour La Traversée de la Loire, évocation de l’Exode de 1940. « Il a peu marché. Le titre n’était pas bon ». Père des “Dernières séances” Mais déjà, il avait été balayé par la Nouvelle Vague, qu’il a paradoxalement contribuée à introduire en tournant en décors naturels, avec des acteurs pros et amateurs. Jusqu’à la fin de sa vie, il se consacrera à L’Escurial, une salle de cinéma située dans le quartier de Port-Royal, à Paris, berceau des “dernières séances” qui inspireront Eddy Mitchell. Aujourd’hui, grâce à sa fille, tous ses films ou presque sont restaurés. Certains disponibles en DVD. Mais Geneviève a encore un vœu : « Que ses trois films tournés à Sète soient disponibles à la médiathèque ». Ce serait le minimum, non ? MARC CAILLAUD [email protected] ◗ Remerciements aux Vicomtes de Brageole. ■ Sur le tournage de “Son Dernier Rôle”, en 1945. Il avait tourné trois films à Sète Sète cité marine (1928), court-métrage qui faisait la part belle aux joutes, fut l’un des tout premiers films réalisés par Jean Gourguet. Avec le deuxième, L’Escale (1929), un moyen métrage documentaire, il avait expérimenté un procédé sonore qui ne s’avéra pas au point. Il faudra attendre 1956 pour qu’il revienne tourner une dernière fois dans sa ville natale. Pour Les Promesses dangereuses, il fait appel à DR des acteurs célèbres d’avant-guerre (Rellys, Andrex...), à Pierre-Jean Vaillard, autre Sétois, et à de nombreux jeunes comédiens et figurants locaux. La caméra se promène sur les quais, au Quartier Haut, aux Pierres-Blanches...
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