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Transcription

Ê TRE TR ADU IT OU NE PA S Ê TRE S ER TR
ÊTRE TRADUIT OU NE PAS ÊTRE
ÊTRE
TRADUIT
OU NE PAS
ÊTRE
RAPPORT PEN / IRL SUR LA SITUATION
INTERNATIONALE DE LA TRADUCTION LITTÉRAIRE
Esther Allen (éd.)
Ser traduït o no Ser
Esther Allen (ed.)
Informe pen / irl sobre la situació
internacional de la traducció literària
Ser
traduït
o no
Ser
Première édition : septembre 2007
© Institut Ramon Llull, 2007
Diputació, 279
E-08007 Barcelona
www.llull.cat
[email protected]
Textes : Gabriela Adamo, Esther Allen, Carme Arenas, Paul Auster,
Narcís Comadira, Chen Maiping, Bas Pauw, Anne-Sophie Simenel,
~gı~ wa Thiong’o.
Simona Škrabec, Riky Stock, Ngu
Traduit de l’anglais par : Aurélie Daniel, Barbara de Lataillade, Sara
Martinez, Cécile Rousseau
Coordination et édition : département Humanités et Sciences,
Institut Ramon Llull
Coordination éditoriale : Critèria sccl.
Conception graphique : Laura Estragués
ÊTRE
traduIt
OU NE PAS
ÊTRE
RAPPORT PEN / IRL SUR LA SITUATION
INTERNATIONALE DE LA TRADUCTION LITTÉRAIRE
Esther Allen (ed.)
Gabriela Adamo
Carme Arenas
Chen Maiping
Bas Pauw
Anne-Sophie Simenel
Simona Škrabec
Riky Stock
Avant-propos de Paul Auster
Postfaces de Narcís Comadira et
wa Thiong’o
TABLE DES MATIÈRES
7 Avant-propos, par Paul Auster
9 Présentations
Traduction et droits linguistiques, par Jiří Gruša (PEN Club international)
Acteur du débat sur la traduction, par Josep Bargalló (Institut Ramon Llull)
13 Introduction, par Esther Allen et Carles Torner
17 1. Traduction, mondialisation et anglais, par Esther Allen
1.1 L’anglais, une espèce envahissante
1.2 La littérature mondiale et l’anglais
37 2. Traduction littéraire : panorama international, par Simona Škrabec et les PEN
Clubs de douze pays
2.1 Rayonnement international
2.2 Reconnaissance de la littérature traduite
51 3. Six études de cas sur la traduction littéraire
3.1 Les Pays-Bas, par Bas Pauw
3.2 L’Argentine, par Gabriela Adamo
3.3 La Catalogne par, Carme Arenas et Simona Škrabec
3.4 L’Allemagne, par Riky Stock
3.5 La Chine, par Chen Maiping
3.6 La France, par Anne-Sophie Simenel
99 4. Expériences de traduction littéraire, par Esther Allen et Simona Škrabec
4.1 Quelques expériences menées aux États-Unis
4.2 Les expériences menées dans quatre pays européens
125 5. Conclusions, par Simona Škrabec
137 Postfaces
Traduire et se faire traduire, par Narcís Comadira
~gı~ wa Thiong’o
La langue des langues, par Ngu
Avant-propos
Paul Auster
Dostoïevski, Héraclite, Dante, Virgile, Homère, Cervantès, Kafka, Kierkegaard, Tolstoï,
Hölderlin et quantité d’autres poètes et écrivains qui m’ont marqué à jamais se sont
révélés à moi – Américain dont la seule langue étrangère est le français –, ont été lus,
digérés par moi en version traduite. Les traducteurs sont les héros de l’ombre de la littérature, les instruments bien souvent oubliés qui rendent possible le dialogue entre les
cultures et qui nous ont permis de prendre conscience que, d’où que nous venions, nous
appartenons tous à un seul et même monde.
Je voudrais saluer et remercier ici tous ces hommes et toutes ces femmes, ces traducteurs qui œuvrent avec altruisme à maintenir la littérature vivante pour tous.
Présentations
Traduction et droits linguistiques
Jiří Gruša
Président du PEN Club international, Londres
Depuis sa fondation en 1921, le PEN Club international s’est efforcé de promouvoir la
traduction et le dialogue entre les littératures. Le PEN Club international compte un
certain nombre de comités, parmi lesquels le Comité des écrivains en prison, le Comité
des femmes écrivains, et un comité particulièrement actif, le Comité de la traduction et
des droits linguistiques. Ce dernier coordonne les différentes initiatives des fédérations
du PEN Club international à travers le monde.
Le nom du comité est à lui seul le reflet de notre vision des choses : la traduction va de
pair avec les droits linguistiques. Par leur travail méticuleux, les traducteurs contribuent
à défendre le droit pour toutes les communautés linguistiques à être traitées sur un pied
d’égalité. Le PEN Club international met tout en œuvre pour que la traduction depuis et
vers toutes les langues du monde, indépendamment de la place qu’elles occupent et de
la reconnaissance dont elles jouissent dans le contexte de mondialisation actuel, nous
apporte un enrichissement réciproque.
Le présent rapport constitue un outil analytique essentiel, qui témoigne de la nécessité flagrante d’une ouverture des cultures anglophones. Et, afin que l’anglais constitue
un véritable pont entre les littératures, il apparaît également indispensable d’augmenter
le nombre de traductions vers cette langue. Le rapport apporte des exemples de bonnes
pratiques de traduction dans et entre différentes langues. Le débat sur « l’anglais, une
langue envahissante » et la promotion de bonnes pratiques de traduction constituent les
principaux chantiers du PEN Club international aujourd’hui et pour les années à venir.
Acteur du débat sur la traduction
Josep Bargalló
Directeur de l’Institut Ramon Llull, Barcelone
En se levant un beau matin, le poète catalan Joan Vinyoli s’empressa de coucher par écrit le
vers qui lui était venu dans ses rêves : « Et toutes les perles étaient devenues des yeux. » Il venait de trouver la dernière strophe de Cançó de mar (Chanson de la mer), l’un des magnifiques poèmes qu’il composa vers la fin de sa vie. Ce n’est que plus tard, en le relisant, que le
poète s’aperçut que son rêve s’inspirait de la chanson d’Ariel dans la pièce de Shakespeare
La Tempête (acte I, scène 2). La poésie fait l’objet d’une traduction perpétuelle parmi les poètes : ils se lisent les uns les autres, se laissant transporter par les vers de toutes les littératures qui soient. La traduction est l’âme de la littérature, qu’elle alimente et encourage.
L’un des objectifs de l’Institut Ramon Llull est de faire connaître le travail des écrivains
catalans – des classiques du Moyen Âge aux ouvrages contemporains – en soutenant la
traduction de leurs œuvres. Dans ce dessein, nous analysons les échanges entre littératures à travers le monde, et travaillons en étroite collaboration avec les institutions culturelles à vocation analogue en Europe. Être traduites vers l’anglais reste la plus grande
difficulté à laquelle sont confrontées les littératures européennes. Partant du constat
qu’une révision en profondeur des politiques de traduction à l’échelle internationale
s’imposait, l’Institut Ramon Llull s’est engagé à réaliser l’étude qui suit. Le hasard a voulu qu’elle soit publiée l’année où la culture catalane est l’invitée d’honneur de la Foire
du livre de Francfort.
Nous tenons à remercier Esther Allen pour avoir accepté de diriger cette étude, tous
ceux qui ont participé à son élaboration pour la qualité de leur travail, et le PEN Club
international pour avoir apporté au projet l’expérience de ses différents clubs. L’étude
nourrit déjà le débat sur la traduction qui passionne la communauté littéraire et qui, je
l’espère, ne fait que commencer. Espérons également que la participation catalane à ce
débat atteigne son but : celui de constituer une voix supplémentaire, claire et concordante, qui sache se faire entendre au sein du grand dialogue sur la littérature.
Introduction
Esther Allen
Centre de traduction littéraire, Université de Columbia, New York
Carles Torner
Département des Sciences humaines, Institut Ramon Llull, Barcelone
À l’acte I, scène 3, de Richard II, le duc de Norfolk est banni d’Angleterre – et condamné à
l’exil « sans terme ». Étrangement, à l’écoute de cette terrible sentence sa première pensée n’est pas pour sa famille ou ses amis, mais pour la langue anglaise, la seule qu’il ait
parlée durant ses quarante années d’existence. Quitter l’Angleterre en 1595, c’était laisser l’anglais derrière soi. Norfolk s’imagine devoir vivre dans un monde où ses paroles
seront inintelligibles, ses mots relégués dans un obscur donjon, alors que son esprit, fatigué par l’âge, n’a pas la force de se lancer dans l’apprentissage d’une nouvelle langue :
Vous avez emprisonné ma langue dans ma bouche,
Sous les doubles guichets de mes dents et de mes lèvres,
Et la stupide, l’insensible, la stérile ignorance
Est le geôlier qui m’est donné pour me garder :
Je suis trop vieux pour caresser une nourrice,
Trop avancé en âge pour devenir écolier.
Votre arrêt n’est donc autre chose que celui d’une mort silencieuse
Qui prive ma langue de la faculté de parler son idiome naturel1.
Durant les plus de quatre cents ans qui nous séparent du moment où Shakespeare
écrivit ces lignes, la situation dont se plaint Norfolk s’est presque radicalement inversée.
Les anglophones sont désormais les plus susceptibles de se faire comprendre où que ce
soit à travers le monde, tandis que les autres sont dorénavant menacés d’exclusion – exclusion sociale, mais également incapacité à survivre dans notre économie mondialisée :
une « mort silencieuse », somme toute.
14 15
Depuis sa création à Londres en 1921, le PEN Club a eu pour principale préoccupation de garantir la divulgation de la pensée humaine au-delà des frontières terrestres
et linguistiques. La charte du PEN Club affirme, en son article premier, que « la littérature ne connaît pas de frontières et doit rester la devise commune à tous les peuples en
dépit des bouleversements politiques et internationaux ». Et, plus loin : « [Le PEN Club]
défend le principe de la libre circulation des idées entre toutes les nations… » C’est dans
cet esprit que le PEN Club international et l’Institut Ramon Llull de Barcelone ont rédigé le présent rapport, en collaboration avec des auteurs, des traducteurs, des diplomates en charge des questions culturelles et des spécialistes du domaine de la traduction.
Il constitue une réflexion sur la manière de perpétuer l’éternel dialogue que constitue
la littérature, et vise à promouvoir la libre diffusion des œuvres littéraires à travers le
monde à une époque où l’anglais – pour paraphraser l’écrivain Colm Toibin –, bien
qu’étant la langue la plus riche au monde d’un point de vue économique, se trouve
également être l’une des plus pauvres si on la considère d’un point de vue littéraire.
Au lieu de faire office de langue véhiculaire et de faciliter la communication entre les
différentes langues, l’anglais a trop souvent tendance à rejeter tout ce qui n’est pas
l’anglais, et à confondre l’influence planétaire et la diversité de la langue la plus parlée
au monde avec le monde lui-même.
Ce rapport s’ouvre sur une évaluation de l’influence sans précédent de la langue anglaise à travers le monde et sur un état des lieux de la traduction littéraire dans les pays
anglophones et aux États-Unis en particulier, qui font l’objet du premier chapitre. Afin
d’établir un contraste et de mettre en contexte le cas de la langue anglaise, le deuxième
chapitre se penche ensuite sur les réponses fournies par les PEN Clubs à travers le monde
à un questionnaire sur la traduction littéraire proposé par le PEN Club international. Le
troisième chapitre du rapport présente six études de cas décrivant l’état de ce que l’on
pourrait qualifier « d’économie de la traduction » dans différentes parties du monde
(Pays-Bas, Argentine, Catalogne, Allemagne, Chine et France), et ce afin de fournir matière à comparaison. Le chapitre suivant, consacré aux expériences en traduction littéraire,
relate les fructueuses initiatives de certains PEN Clubs qui se sont attelés à répondre aux
besoins en traduction vers l’anglais, ainsi que les efforts conséquents fournis par des institutions, aussi bien publiques que privées, pour s’attaquer à cette question de manière
efficace. La conclusion tente de résumer les principales découvertes qu’a permis ce rapport et offre un aperçu de la traduction littéraire dans le monde actuel. Trois écrivains
renommés, Paul Auster, Narcís Comadira et Ngugi wa Thiong’o, ont spécialement composé des textes ayant la traduction pour objet, apportant ainsi une touche littéraire sans
laquelle ce rapport n’aurait été qu’un vulgaire document technocratique.
Nous tenons à adresser nos plus sincères remerciements à tous ceux qui, à travers le monde, ont participé aux réunions, conférences et débat sur ce rapport, et
qui ont largement contribué à son élaboration par leur dévouement, leur énergie,
Introduction
leur intelligence et leur savoir : Marc Dueñas, Larry Siems, Caroline McCormick,
Kata Kulavkova, Roberto Calasso, Elisabeth Pellaert, Amanda Hopkinson, Raymond
Federman, Boris Akounine, Steve Wasserman, Sònia Garcia, Misia Sert, Yana Genova,
Alexandra Buchler, Kate Griffin, Siri Hustvedt, Ma Jian, Francesc Parcerisas, David
Damrosch et la regrettée Yael Langella.
NOTE
1
Nicholas Ostler, qui cite ce passage – présenté ici dans une traduction de Guizot – dans son ouvrage sur l’histoire des langues à travers le monde, Empires of the Word (HarperCollins, New York, 2005), fait remarquer qu’à l’époque où Shakespeare
écrivit ce monologue, l’Angleterre ne comptait qu’une seule colonie, fondée par Sir Walter Raleigh en 1586 à Roanoke, en
Virginie, et que son funeste destin était alors connu de tous (p. 477).
1. Traduction, mondialisation
et anglais
Esther Allen
1.1 L’anglais, une espèce
envahissante
Les estimations du nombre d’anglophones
varient, mais le chiffre de 400 millions est
fréquemment avancé pour ceux qui ont
l’anglais comme langue maternelle. Selon l’écolinguiste gallois David Crystal, le
nombre de personnes qui parlent anglais
comme deuxième langue est également
de 400 millions1. Si l’on ajoute ces deux
chiffres au nombre beaucoup plus imprécis de personnes qui apprennent actuellement l’anglais et ont atteint un niveau
minimum de compétence, le total dépasse
largement un milliard. En effet, même si
le chinois mandarin est réputé pour être
la première langue du plus grand nombre de personnes sur terre (bien plus d’un
milliard également), cela ne semble plus
suffire aux Chinois eux-mêmes. Dans un
discours à Pékin en 2005, Gordon Brown,
alors ministre britannique des Finances,
annonçait : « Dans vingt ans, le nombre
de personnes parlant anglais en Chine
devrait dépasser le nombre de personnes
ayant l’anglais comme première langue
dans le reste du monde2. »
Que la prophétie de M. Brown se réalise
ou non, il est évident qu’un grand nombre
de facteurs – de l’expansion de l’Empire
britannique, qui a commencé juste après
que Shakespeare ait écrit Richard II et s’est
poursuivie pendant les xviie, xviiie et xixe siècles, au développement aux États-Unis de
la technologie qui a permis la naissance
d’Internet – se sont combinés pour faire de
l’anglais la langue apparemment indispensable à la mondialisation telle que nous
la connaissons et la vivons aujourd’hui.
L’anglais est bien entendu parlé dans son
berceau, le Royaume-Uni, mais il est également la langue principale des États-Unis,
du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-
18 19
Zélande, de l’Irlande et de nombreux autres
pays des quatre coins du monde, tels que
le Nigeria, la Jamaïque et les îles Fidji. En
outre, dans plusieurs autres pays – comme
les Philippines, l’Inde et l’Afrique du Sud –,
l’anglais jouit d’un statut officiel aux côtés
d’une ou de plusieurs autres langues. Plus
de 85 % des organisations internationales ont l’anglais comme langue officielle.
Mais c’est l’expansion récente de l’anglais
comme deuxième langue de l’Union européenne qui atteste, avec peut-être encore
plus de poids que les autres statistiques,
du statut actuel et de la future croissance
de cette langue. En 1999, David Graddol a
constaté que, depuis 1990, les compétences
en anglais sur le continent européen ont
considérablement augmenté, à tel point
que plus de 100 millions de personnes, soit
près d’un tiers de la population de l’Union
européenne, ont adopté l’anglais comme
deuxième langue3. Le constat de Graddol
selon lequel, en 1994, 10 % des Européens
de plus de 55 ans avaient des notions d’anglais, contre 55 % des Européens de 15 à 24
ans, en dit long sur ce que nous pouvons
attendre de l’avenir.
La position actuelle des États-Unis comme superpuissance économique et militaire a évidemment joué un rôle dans la
consolidation de l’anglais au niveau mondial, tout comme l’attrait apparemment
infini qu’exercent les produits culturels
américains sur les marchés mondiaux. Cependant, comme le démontre avec force
preuves Nicholas Ostler dans son « histoire
linguistique du monde », Empires of the
Word, les empires ne parviennent pas nécessairement à imposer leur langue aux ré-
gions sous leur domination, et le pouvoir
impérial des États-Unis ne suffit sans doute
pas à lui seul à expliquer la propagation
sans précédent de la langue anglaise. Plusieurs linguistes ont évoqué une théorie
selon laquelle cet attrait mondial peut être
lié à deux facteurs intrinsèques à la langue
– à commencer par sa relative simplicité.
« Les inflexions de la langue anglaise sont
logiques et relativement faciles à apprendre par rapport à des langues beaucoup
plus flexionnelles ou qui ont d’autres variations morphologiques, plus complexes »,
écrit Edward Finegan4, qui poursuit en
soulignant qu’aux États-Unis, 88 des cent
mots les plus fréquemment écrits sont des
monosyllabes. D’autre part, la forte capacité d’absorption du lexique anglais, qui,
depuis le début de son histoire, avale en
permanence des mots issus de centaines
d’autres langues, a également été identifiée comme une source possible de son
pouvoir – cette hypothèse pourrait donner
à réfléchir à ceux qui cherchent à protéger
les autres langues d’une invasion de mots
anglais. En outre, plusieurs linguistes ont
supposé l’existence d’un lien fondamental
entre la structure grammaticale sujet-verbe-complément (SVC) – caractéristique non
seulement de l’anglais, mais aussi de nombreuses autres langues largement utilisées,
comme le chinois, le français, le russe et
l’espagnol – et les mécanismes basiques de
traitement du cerveau humain. Selon cette
théorie, les langues SVC seraient intrinsèquement plus faciles à traiter pour le cerveau que d’autres types de langues, et par
conséquent plus utiles et plus attrayantes
pour un plus grand nombre de personnes.
Traduction, mondialisation et anglais
Il n’en reste pas moins que l’explication
la plus évidente de la puissance actuelle
de l’anglais est la puissance actuelle des
États-Unis. Le linguiste et traducteur Michael Henry Heim a proposé une autre
façon d’envisager ce rapport, en partant
du postulat que l’attrait mondial pour
la langue et la culture américaines est né
de l’histoire du pays5. Heim souligne que
la culture interne des États-Unis, qui a
dû s’adapter depuis la création du pays à
la présence de peuples du monde entier
– Africains, Indiens d’Amérique, immigrants des quatre coins de l’Europe et de
l’Asie –, a fait de ce pays « un précurseur de
la culture mondiale, une culture mondialisée avant l’heure ». Afin d’assimiler tous
ces peuples, les États-Unis ont dû développer une langue et une culture communes
– « communes », déplore Heim, non seulement au sens d’intelligible pour tous,
mais même au sens d’intelligible pour le
plus faible dénominateur commun. Ostler, en revanche, propose une explication
différente, moins spécifique à une nation
donnée, en déclarant que, de la Réforme
jusqu’à aujourd’hui, historiquement et
culturellement, « l’anglais a été associé à
une quête de la prospérité, de l’acquisition délibérée de richesses, souvent par
des moyens nouveaux et assez imaginatifs.
Cette quête était parfois en contradiction
avec la conscience religieuse et civique et
certains principes patriotiques, mais elle
a réussi sans peine à les rallier à sa cause.
En règle générale, elle a été l’alliée, plutôt
que la rivale, de la liberté individuelle.
L’anglais a été et reste, avant tout, une langue matérialiste6. »
Dans un article présenté en 2002 lors
de la Conférence de la Saint-Jérôme, au
Queen Elizabeth Hall à Londres, et dédié à
la mémoire de W.G. Sebald, Susan Sontag
a évoqué le sort, en Inde, des nombreux
jeunes qui travaillent dans des centres
d’appels « externalisés » pour IBM, American Express ou d’autres multinationales,
répondant en anglais aux questions des
consommateurs américains qui ont composé un numéro gratuit et ne se rendent
souvent pas compte que leur appel est redirigé vers New Delhi, Bombay ou Bangalore7. Les employés de ces centres d’appels
doivent non seulement avoir une maîtrise presque parfaite de l’anglais, mais
également devenir des imposteurs expérimentés, capables de simuler n’importe
quel aspect de l’identité d’un Américain
« normal » susceptible d’être identifié au
téléphone. « Ces voix chantantes ont dû
subir un entraînement de plusieurs mois,
par des instructeurs et des bandes sonores, pour acquérir un accent agréable
d’Américain moyen (et non pas instruit)
et apprendre l’argot américain de base,
les expressions idiomatiques (y compris
régionales) et les références élémentaires
de la culture de masse (les stars de la télévision, les scénarios et personnages des
principales séries télévisées, la dernière
superproduction hollywoodienne, les derniers résultats de base-ball et de basket,
etc.), de telle sorte que, si la conversation
avec le client aux États-Unis se prolonge,
ils ne se trahissent pas avec les phrases de
tous les jours et aient les moyens de continuer à se faire passer pour des Américains. »
Beaucoup d’angoissés chroniques adeptes
20 21
des services d’assistance technique aux
États-Unis peuvent témoigner que tous les
employés des centres d’appels en Inde ne
sont pas passés par cette longue période
d’usurpation d’identité : il est tout à fait
possible d’appeler un centre d’appels et de
se rendre compte que son interlocuteur
est Indien. Toujours est-il qu’il est évident
que l’utilisation largement répandue de
l’anglais en Inde, héritage de son passé colonial, lui a donné une longueur d’avance
dans l’économie mondiale actuelle.
La prospérité que la connaissance de
l’anglais peut apporter n’est pas passée
inaperçue dans de nombreuses régions
du monde. « Si nous combinons notre savoir académique avec la langue anglaise,
nous pourrons faire de l’externalisation
ici, tout comme à Bangalore », a déclaré
au New York Times Puntsag Tsagaan, ministre mongol de l’Éducation, au début de
l’année 2005 – peu après que le nouveau
gouvernement mongol ait annoncé qu’il
allait se débarrasser de l’alphabet cyrillique hérité de la domination soviétique et
faire de la Mongolie un pays bilingue, avec
l’anglais comme seconde langue officielle.
De même, la Corée du Sud a largement investi pour créer six « villages anglais » essentiellement peuplés d’anglophones, où
les étudiants paient pour être en immersion totale. Dans le même temps, prenant
exemple sur les Pays-Bas et les pays scandinaves, où pratiquement toute la population parle parfaitement l’anglais, le Chili
s’est engagé dans un programme visant
à rendre le pays bilingue en une génération8. Intitulé « L’anglais ouvre des portes »,
le programme du gouvernement chilien,
annoncé en 2003, a rendu l’apprentissage
de l’anglais obligatoire à partir de l’école
primaire et vise à garantir que tous les étudiants aient un niveau de base correct en
anglais à l’obtention de leur diplôme9. L’espagnol, comme le chinois, fait partie des
cinq langues les plus parlées au monde, et
le fait que l’anglais soit devenu nécessaire
non seulement pour les personnes qui parlent une langue étroitement diffusée, mais
aussi pour ceux qui parlent les principales
langues du monde, est un indicateur clé
supplémentaire de la méta-domination
mondiale de l’anglais. À l’extrême opposé
de l’élan chilien en faveur du bilinguisme,
le mouvement « English only » rassemble
un groupe de nationalistes américains virulents clamant haut et fort que l’anglais
est menacé par les communautés minoritaires des États-Unis qui parlent espagnol,
chinois ou d’autres langues10.
Quoi qu’en disent les nationalistes,
le bilinguisme ne représente pas, en soi,
une menace pour l’existence d’une langue, comme le démontrent de nombreux
exemples de sociétés multilingues dont les
membres ont évolué facilement entre plusieurs langues pendant des siècles. Pourtant, quelque chose menace aujourd’hui
l’existence des langues du monde entier
à un degré sans précédent dans l’histoire
humaine. Pour expliquer cette situation,
les hypothèses post-coloniales habituelles
sur la domination linguistique et politique peuvent s’avérer moins utiles qu’un
nouveau paradigme fondé sur le monde
naturel. L’écolinguistique, le nouveau domaine d’étude né en réponse à cette crise,
tire ses métaphores de la biologie plutôt
Traduction, mondialisation et anglais
que de la politique, et étudie les communautés linguistiques plutôt que les Étatsnations. Selon les écolinguistes, il vaut
mieux considérer le système mondial des
langues humaines comme un écosystème
– un écosystème gravement menacé, puisque la moitié des espèces y sont en danger.
Selon David Crystal, sur les 6 000 langues
parlées aujourd’hui, la moitié aura disparu
au siècle prochain. « Il s’avère, écrit-il, que
96 % des langues du monde sont parlées
par seulement 4 % de la population mondiale11. » Seules 600 langues dans le monde
ne sont pas en danger actuellement12.
Cette crise a suscité une forte inquiétude dans les communautés où les langues
en voie d’extinction sont parlées, parmi
les linguistes et au sein de certaines organisations internationales. Le PEN Club international et son Comité de la traduction
et des droits linguistiques sont fiers d’avoir
été parmi les premières organisations signataires de la « Déclaration universelle
des droits linguistiques » de 1996 – également connue sous le nom de « Déclaration
de Barcelone », d’après la ville où elle a été
signée. Sur le modèle de la Déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948,
la « Déclaration universelle des droits linguistiques » a pour objectif de « favoriser la
mise en place d’un cadre politique pour la
diversité linguistique, fondé sur le respect
mutuel, la cohabitation harmonieuse et la
défense de l’intérêt général13 ».
Cependant, ces initiatives, aussi louables
soient-elles, n’ont eu qu’un faible impact
sur le grand public, en particulier dans
la population anglophone. Le langage est
généralement considéré comme le plus
grand accomplissement de l’homme, et
chaque langue reflète la perception et l’expérience uniques du monde d’une communauté humaine, lesquelles sont perdues à jamais lorsque cette langue meurt.
Néanmoins, les gens s’inquiètent toujours
beaucoup plus pour la préservation d’une
espèce animale ou de peintures, de statues
et de monuments que pour la préserva­
tion des langues des autres peuples. Les
Grecs utilisaient le mot barbaros – qui signifie « barbare » – pour désigner tous
ceux qui ne parlaient pas grec et dont les
langues étaient considérées par les Grecs
comme des sons inarticulés, indifférenciés
et incohérents : un « brouhaha ». Depuis
toujours, la plupart des gens ont beaucoup
de mal à accorder de la valeur aux langues
qu’ils ne parlent pas. Le chatoiement infiniment complexe de la logique, de la musique, des allusions, des traditions et des
particularités qui constituent une langue
pour les personnes qui la parlent n’est,
vu de l’extérieur, qu’un charabia ou, pire
encore, le code secret indéchiffrable d’un
ennemi. Dans de nombreuses civilisations,
les mythes considèrent la diversité linguistique en elle-même comme une sorte de
punition et décrivent un univers pré-Babel
idyllique de monolinguisme et de paix. Ces
mythes ont conservé une certaine influence. « La plupart des gens, remarque David
Crystal à juste titre, n’ont pas encore développé de conscience linguistique. »
On ne peut pas rejeter la responsabilité
de l’extinction de la moitié des langues du
monde sur le seul essor de l’anglais. En effet, beaucoup d’autres langues largement
parlées, notamment l’espagnol, le por-
22 23
tugais, le russe, le chinois et l’arabe, ont
supplanté des dialectes locaux plus limités
dans le monde entier. Cependant, l’ascendance actuelle de l’anglais est un phénomène sans précédent dans l’histoire linguistique humaine, et Dieu seul sait où elle
nous mènera. David Crystal tire la sonnette
d’alarme : « L’influence de l’anglais sera-telle assez forte pour altérer de façon permanente le caractère de toutes les autres
langues ? L’anglais peut-il anéantir complètement les autres langues ? Le scénario
d’un monde où il ne resterait qu’une seule
langue – un désastre intellectuel écologique sans précédent – pourrait en théorie se
réaliser dans 500 ans. »
Ces prévisions ne semblent peut-être
pas aussi alarmantes que d’autres menaces
plus immédiates pour la planète, comme
le réchauffement climatique. Pourtant, si
l’on aborde cette question depuis la perspective, non plus du monde entier, mais du
monde de la littérature, la contre-utopie
monolingue qui effraie ceux qui s’inquiètent de la disparition des langues prend
beaucoup plus d’importance. Il est particulièrement douloureux de constater qu’en
matière de littérature, la langue mondiale
se comporte effectivement plus comme
une espèce envahissante que comme une
langue véhiculaire, en résistant et en se
substituant à tout ce qui n’est pas écrit en
anglais, en parlant plus fort que tout le
monde sans accorder la moindre attention
à tout ce qui est dit dans les autres langues.
Le préambule de la Déclaration universelle
des droits linguistiques appelle au « respect de l’équilibre écologique des sociétés
et à des rapports équitables entre toutes
les langues et toutes les cultures ». Mais
avec l’essor croissant, d’année en année, du
pouvoir de l’anglais à l’échelle mondiale,
l’injustice de ses relations avec les autres
langues devient de plus en plus problématique. Dans un article récemment présenté
lors d’une réunion du PEN Club international, l’écrivain slovène Andrej Blatnik posait
la question : « Où exporter ? Au RoyaumeUni, seuls 2 % des livres sur le marché sont
des traductions. Aux États-Unis, ils ne sont
que 3 %. En revanche, les traductions représentent 40 % du marché en Turquie, et 70 %
en Slovénie. Le libre-arbitre”commence
lorsque l’on peut entendre une autre voix.
Qui sont les perdants de ces statistiques ?
Ceux qui n’ont pas le choix ou ceux qui ne
peuvent être choisis ?14 »
1.2 La littérature mondiale
et l’anglais
Les écrivains se sont longtemps battus
pour se libérer des contraintes des frontières nationales et linguistiques et prendre
part à une conversation mondiale sans
limites politiques, linguistiques, géographiques ou temporelles. Pour beaucoup,
cette lutte réside au cœur même de la signification du mot « littérature ». En 1827,
Goethe faisait remarquer à son jeune assistant Eckermann : « Le terme de littérature nationale a désormais perdu son
sens : nous sommes à l’aube de l’ère de la
littérature mondiale, et nous devons tous
nous efforcer d’accélérer sa venue15. »
La pluralité linguistique est un élément
essentiel de cette vision de la littérature.
Traduction, mondialisation et anglais
Les experts en littérature ont toujours du
mal à se mettre d’accord, mais s’il y a bien
un point sur lequel ils se rejoignent, c’est
sur l’importance cruciale de la circulation
entre les différentes langues pour la littérature. Le théoricien littéraire russe Mikhaïl
Bakhtine considérait ce qu’il appelait la
« polyglossie » – à savoir l’interaction entre
différentes langues – comme un élément
fondamental des origines de la pensée littéraire en elle-même et, surtout, crucial pour
le développement du plus hétérogène des
genres modernes, le roman : « Seule la polyglossie libère véritablement la conscience de la tyrannie de sa propre langue16. »
D’autres critiques, de Raymond Williams à
Jorge Luis Borges, l’ont exprimé différemment, mais tous s’accordent pour dire que
la circulation entre les différentes langues
par le biais de la traduction constitue l’âme
véritable de la littérature. « Abandonnée à
elle-même, poursuivait Goethe, toute littérature finit par épuiser sa vitalité si l’intérêt et les contributions d’une littérature
étrangère ne viennent pas lui apporter une
nouvelle fraîcheur17. »
Ce mouvement entre les langues dépend de la traduction et du travail des
traducteurs. Quel que soit le succès obtenu par un système éducatif donné dans
la promotion du multilinguisme, peu
de gens parviendront à maîtriser plus de
trois ou quatre langues dans leur vie, et
encore moins les quelque 600 langues qui
ne sont pas actuellement en danger ou les
3 000 qui sont censées survivre à la vague
actuelle d’extinction. L’attitude défensive
qui consiste à refuser de lire une œuvre
littéraire dans une langue autre que celle
dans laquelle elle a été initialement écrite
est donc complètement injustifiée. Au
contraire, l’attitude positive, le soutien
et l’intérêt manifestés en faveur de la traduction dans une communauté littéraire
donnée sont des indicateurs essentiels de
la volonté de cette communauté d’appartenir à ce que Pascale Casanova, dans un
ouvrage récent important, a appelé La République mondiale des lettres18. Pascale Casanova utilise des métaphores économiques
plutôt que biologiques : selon elle, chaque
langue est une sorte de devise, et ces devises ont bien entendu des cours très différents sur le marché littéraire mondial.
Elle est l’une des premières critiques littéraires à avoir abordé sans tabous, depuis
la perspective de la langue, le statut inégal
des joueurs sur l’échiquier de la littérature et les mécanismes spécifiques de domination qui entrent en jeu19.
Du fait de sa position en tant que langue
mondiale et deuxième langue de choix dans
le monde entier, la situation de l’anglais
dans cette économie linguistique mondiale, dans cette République mondiale des
lettres, n’a rien à voir avec celle des autres
langues. La portée d’une œuvre traduite en
anglais ne se limite pas aux populations
qui ont l’anglais comme langue maternelle, mais touche un public mondial. Par
conséquent, une œuvre traduite en anglais
a beaucoup plus de chances d’être traduite
par la suite dans de nombreuses autres
langues. Même sans ces traductions subséquentes, une œuvre initialement écrite ou
traduite en anglais a accès au plus grand
marché du livre de la planète et peut être
lue par davantage de personnes d’origines
24 25
linguistiques, de nationalités et de cultures
différentes qu’une œuvre écrite dans n’importe quelle autre langue. L’anglais est la
devise linguistique la plus forte du monde.
La question de la traduction en anglais
affecte donc non seulement le monde anglophone, mais également l’ensemble de
la littérature mondiale. Pascale Casanova
l’admet elle-même de façon frappante dans
l’introduction de la traduction anglaise de
son livre : « Je me réjouis que ce livre, qui
entend inaugurer une critique littéraire internationale, ait été lui-même internationalisé par une traduction en anglais. Ainsi,
ses hypothèses pourront être examinées de
façon pratique et ses propositions débattues à un niveau véritablement transnational par les différents acteurs de la scène
littéraire internationale20. » Bien qu’elle ne
le dise pas en ces termes, le sens est clair :
ceux qui cherchent à accéder à un « niveau
véritablement transnational » de discours
ne peuvent l’atteindre que par le biais de
l’anglais.
Dans cette perspective, l’incapacité flagrante, souvent critiquée, de l’anglais à accepter les œuvres littéraires des autres langues par le biais de la traduction devient
d’autant plus cruciale. L’indifférence de
l’anglais face à la traduction n’est pas seulement un problème pour les populations
ayant l’anglais comme langue maternelle
et qui se privent ainsi du contact avec le
monde non anglophone. Elle représente
également un obstacle au discours mondial, qui affecte les écrivains de toutes les
langues et constitue un moyen de plus
pour l’anglais de consolider son pouvoir
en s’imposant comme le seul mode de
mondialisation. Pour ceux d’entre nous
qui se soucient encore de la littérature, la
menace que cela représente est alarmante.
Si la littérature mondiale, au sens goethien
du terme, en vient à se résumer presque entièrement, ou du moins principalement, à
la littérature écrite en anglais, peut-on encore parler de littérature mondiale ?
Un réflexe anti-mondialisation bien
trop souvent rencontré dans les universités du monde anglophone accuse la langue anglaise d’être responsable de cette
situation et considère ceux qui traduisent vers l’anglais ou à partir de l’anglais
comme des agents de l’hégémonie impériale de la langue. Cette façon de penser
est non seulement stupide, mais peut
aussi devenir extrêmement dommageable. Le véritable problème ne vient pas de
la langue anglaise en soi, ni de sa portée
mondiale, mais des forces culturelles au
sein de cette langue qui résistent à la traduction. La difficulté de passer d’une langue à l’autre – ce que le président du PEN
Club international, Jiří Grǔsa, a appelé « la
souffrance de la communication » – est
un problème que le monde anglophone
a plutôt bien réussi à éviter : en effet, il
est beaucoup plus simple et plus pratique de rester monolingue et de laisser le
reste du monde apprendre votre langue
que de se plier aux difficultés, aux efforts
et aux dépenses impliqués par le multilinguisme et la traduction. Loin d’être
des agents de l’hégémonie impériale de
l’anglais, les traducteurs qui travaillent
à partir de l’anglais ou vers l’anglais ont
pris sur eux la difficulté de la diversité linguistique, permettant ainsi aux gens de
Traduction, mondialisation et anglais
lire et d’écrire dans leur propre langue,
sans pour autant être privés de l’accès à
la part du lion qu’occupe désormais l’anglais dans la conversation mondiale. En
utilisant la langue véhiculaire mondiale
comme un moyen de connecter les différentes langues, plutôt que comme un
substitut de toutes les autres langues, les
traducteurs contribuent donc à résoudre
le problème de la domination de l’anglais
sur le monde, et non à le perpétuer.
Les difficultés rencontrées pour trouver
des chiffres fiables sur ce qui est traduit de
l’anglais et vers l’anglais sont en elles-mêmes symptomatiques des obstacles que la
traduction littéraire doit affronter en anglais. Dans la plupart des pays du monde,
les librairies et les critiques de livres sont
divisées en deux catégories : les œuvres
produites nationalement et les œuvres importées d’autres langues et d’autres cultures. De plus, comme l’attestent les diverses
études de cas et réponses des PEN Clubs du
monde entier présentées dans le présent
rapport, de nombreux gouvernements
disposent d’agences qui surveillent de près
et répertorient précisément le nombre de
leurs livres traduits dans d’autres langues
et le nombre de livres étrangers traduits
dans leur langue. En revanche, la plupart
des pays anglophones ont de plus en plus
tendance à mépriser ce qui est originellement écrit dans une langue autre que
l’anglais. Bowker, la principale source de
statistiques sur l’industrie de l’édition aux
États-Unis, a arrêté de publier des statistiques sur la traduction à l’occasion d’un
changement de base de données en 2000.
Concrètement, cette société a continué à
publier des chiffres sur les livres d’enfants,
l’économie domestique, la religion, le sport
et les voyages – mais elle a cessé de tenir le
compte des livres initialement écrits dans
une autre langue que l’anglais21.
Un communiqué de presse publié par
Bowker en octobre 2005 faisait allusion
à la question de la traduction22. Selon ce
rapport, le nombre total de nouveaux livres publiés en anglais dans le monde entier en 2004 était de 375 000 – un chiffre
impressionnant, sans doute nettement
supérieur au nombre de livres publiés
dans n’importe quelle autre langue. « Les
pays anglophones restent relativement inhospitaliers pour les traductions d’autres
langues vers l’anglais, constatait le rapport. Au total, il y a eu seulement 14 440
nouvelles traductions en 2004, soit un peu
plus de 3 % de l’ensemble des livres disponibles à la vente. Aux États-Unis, 4 982 traductions étaient disponibles à la vente, ce
qui représentait, certes, le meilleur chiffre
dans le monde anglophone, mais moins
de la moitié des 12 197 traductions disponibles en Italie en 2002, et à peine 400 de
plus que les 4 602 traductions disponibles
en République tchèque en 2003. Près des
trois quarts des livres traduits d’autres
langues vers l’anglais n’étaient pas des
romans. » Ces chiffres sont encore plus
parlants si l’on se rappelle que le nombre
de personnes qui ont l’anglais comme
première langue s’élève à près de 400 millions, alors que l’Italie a une population
de 55 millions d’habitants et la République tchèque de seulement 10 millions.
Le chiffre de 3 % de tous les livres publiés
est déjà alarmant en soi, mais la situation
26 27
Romans traduits publiés aux États-Unis, 2000-2006
Pays : langue Albanie : albanais
Allemagne/Autriche/Suisse : allemand
Argentine : espagnol
Belgique : flamand
Bosnie-Herzégovine : bosniaque
Brésil : portugais
Bulgarie : bulgare
Chili : espagnol
Croatie : croate
Cuba : espagnol
Danemark : danois
Équateur : espagnol
Espagne : catalan
Espagne : espagnol (castillan)
Estonie : estonien
Finlande : finnois
France : français
Grèce : grec
Hongrie : hongrois
Islande : islandais
Italie : italien
Lettonie : letton
Lituanie : lituanien
Macédoine : macédonien
Mexique : espagnol
Norvège : norvégien
Pays-Bas : néerlandais
Pérou : espagnol
Pologne : polonais
Portugal : portugais
République tchèque : tchèque
Roumanie : roumain
Russie : russe
Serbie et Monténégro : serbe
Slovaquie : slovaque
Slovénie : slovène
Suède : suédois
Turquie : turc
Uruguay : espagnol
Traduits en anglais dans
les 6 dernières années
3
36
5
1
1
7
1
6
6
12
5
1
2
12
1
1
52
8
7
1
39
0
1
1
8
12
18
2
13
6
12
3
29
8
1
2
7
6
4
Moyenne annuelle
0,5
6,0
0,8
0,2
0,2
1,2
0,2
1,0
1,0
2,0
0,8
0,2
0,3
2,0
0,2
0,2
8,7
1,3
1,2
0,2
6,5
0
0,2
0,2
1,3
2,0
3,0
0,3
2,6
1,0
2,0
0,5
4,8
1,3
0,2
0,3
1,2
1,0
0,7
Source : Center for Book Culture, http://www.centerforbookculture.org/context/no19/translations_5.html
Traduction, mondialisation et anglais
est en réalité encore plus grave que les statistiques ne le montrent. La grande majorité des traductions comprises dans cette
catégorie sont des ouvrages non romanesques de nature non littéraire (manuels
informatiques, etc.). Même si ces formes
d’échange ont une valeur certaine, lorsque l’on étudie séparément les chiffres
relatifs au monde littéraire, le tableau qui
se dessine est nettement plus sombre. En
2004, le nombre total d’œuvres de littérature pour adultes et de fiction publiées en
traduction aux États-Unis n’était que de
87423. Et ce chiffre est lui aussi trompeur.
Une étude de 1999 sur la traduction, réalisée par la Fondation nationale pour les
arts (National Endowment for the arts
– NEA), s’est appuyée sur les critiques publiées dans tous les magazines littéraires
du pays, quelle que soit leur importance,
pour établir des statistiques. L’étude du
NEA a mis en lumière que, sur un total
de 12 828 œuvres de fiction et de poésie
publiées aux États-Unis en 1999 (selon
les chiffres de Bowker), seules 297 étaient
des traductions, soit à peine plus de 2 %
de l’ensemble des œuvres de fiction et de
poésie publiées, et bien moins de 1 % de
l’ensemble des livres publiés. Une analyse
approfondie de ces 297 titres révèle que
la liste comprend beaucoup de nouvelles
traductions d’œuvres classiques. Même si
ces retraductions sont indubitablement
un aspect vital de la culture littéraire, il
convient de retirer les nouvelles traductions d’Homère, de Tolstoï ou de Stendhal
du nombre total de traductions publiées
pour avoir une idée réaliste de l’infime
probabilité qu’a un écrivain contempo-
rain écrivant dans une autre langue de
voir son œuvre publiée en anglais.
Dans son ouvrage de 1995 intitulé The
Translator’s Invisibility: A History of Translation, Lawrence Venuti constate que, depuis
les années 1950, le pourcentage de livres
traduits aux États-Unis est, en moyenne,
de 2 à 4 % du nombre total de livres publiés chaque année, avec un pic à 6-7 %
dans les années 196024. Ce pic confirme la
théorie d’Eliot Weinberger, selon laquelle
la population des États-Unis a été le plus
intéressée par la littérature traduite pendant sa période de formation culturelle
post-coloniale au xixe siècle et, plus tard,
pendant les périodes de fort mécontentement à l’égard de sa propre culture et de
son gouvernement, notamment dans les
années 1960 et, peut-être, aujourd’hui.
Une étude publiée en juillet 2006 a mis
au jour de façon frappante les dimensions
alarmantes de ce problème. Cette étude,
réalisée par le Centre pour la culture livresque (Center for Book Culture), s’est
concentrée uniquement sur les ouvrages de fiction, de la période moderniste
à aujourd’hui, en excluant les retraductions et les anthologies, pour rassembler
les chiffres des cinq dernières années et les
redistribuer par pays. Il apparaît ici clairement que la probabilité pour que les
écrivains individuels de pays dont la production littéraire est florissante, tels que
l’Argentine, soient traduits en anglais est
infime : sur les centaines d’écrivains qui
composent le paysage littéraire animé de
ce pays, moins d’un auteur par an (et pas
nécessairement encore en vie) verra l’un
de ses livres traduit en anglais25.
28 29
La source d’information la plus compète sur la traduction littéraire vers l’anglais est la revue Annotated Books Received,
consultable en ligne à l’adresse www.literarytranslators.org/abr.html. Publiée par
l’Association des traducteurs littéraires
américains (American Literary Translators
Association – ALTA) et par le Centre pour
l’étude de la traduction de l’Université
du Texas à Dallas, Annotated Books Received était à l’origine, en 1983, une section
de Translation Review, la revue spécialisée
de l’ALTA, qui répertoriait les traductions
littéraires de toutes sortes, à partir de
n’importe quelle langue vers l’anglais, publiées au cours de l’année précédente. En
1994, l’ALTA a commencé à publier cette
liste séparément, dans un supplément de
la revue. Annotated Books Received a peu à
offrir sur le plan de l’analyse statistique,
mais elle contient des informations détaillées sur chacune des traductions littéraires d’œuvres complètes publiées dont
l’ALTA ait été informée, qu’il s’agisse d’une
œuvre de fiction, de théorie littéraire, de
poésie, de théâtre, de lettres ou de toute
autre forme littéraire. Publiée deux fois
par an, Annotated Books Received est de
loin la meilleure source d’informations
détaillées sur ce qui est traduit en anglais.
Un coup d’œil rapide à la dernière édition,
volume 11, n° 2, de 2005, confirme les sombres perspectives de traduction en anglais
pour l’hypothétique écrivain argentin que
nous avons évoqué précédemment. Dans
la section « Espagnol », ABR répertorie un
total impressionnant de cinq traductions,
dont trois d’œuvres d’auteurs classiques,
morts depuis longtemps, une d’un volu-
me de poésie d’un jeune poète espagnol
et, enfin, La Maison en papier, de l’écrivain
argentin Carlos María Dominguez, publié
par Harcourt. Un point, c’est tout.
Une récente étude, fascinante, offre
une perspective plus réjouissante. Michele
Maczka et Riky Stock, du German Book Office à New York, n’ont pris en compte que
les traductions ayant fait l’objet d’une critique dans la revue ayant la plus forte influence dans le milieu américain de l’édition, Publisher’s Weekly, considérée par les
auteurs de l’étude comme le reflet le plus
juste de « ce qui compte aujourd’hui sur le
marché [américain] du livre26 ». La rédactrice en chef de Publisher’s Weekly, Sara Nelson, leur a déclaré que la revue accordait
une attention particulière à la traduction,
en présentant des critiques pour 60 % de
l’ensemble des livres traduits proposés,
contre seulement 50 % pour les livres de
fiction et 25 % pour les autres ouvrages.
« En 2004, ont découvert Maczka et Stock,
132 livres traduits ont fait l’objet d’une critique sur un total de 5 588 critiques, soit
environ 2 %. » Cependant, à l’issue d’une
évolution surprenante et encourageante,
ce chiffre est passé en 2005 à 197 sur 5 727
(environ 3,5 %), soit une augmentation de
50 %27.
L’anglais est loin d’être la seule langue
à avoir une relation problématique avec
la traduction. Un article du Korea Times,
un magazine paraissant en anglais, déplorait récemment que la Corée n’ait pas
réussi à adopter le « projet interculturel
de masse » que le Japon a systématiquement poursuivi pendant la Restauration
de Meiji dans les années 1860, prenant
Traduction, mondialisation et anglais
ainsi une longueur d’avance sur la Corée
en termes de progrès vers la modernité28.
Dans son dernier ouvrage, Are Translators
Traitors?, Park Sang-il, intellectuel et traducteur coréen, déplore la quantité et la
qualité « honteuses » des traductions en
Corée – deux problèmes dont l’anglais
souffre sans doute également. D’autre
part, de nombreux documents récents sur
le monde arabe, en particulier un rapport
de 2002 du Programme des Nations Unies
pour le développement, ont insisté sur la
pénurie de traduction vers l’arabe et sur le
besoin d’en augmenter considérablement
la quantité. Cependant, dans le monde
arabe, la traduction est largement considérée comme une étape essentielle vers
la modernisation, comme en attestent les
nombreuses initiatives prises par différents gouvernements arabes en faveur de
la traduction, décrites dans un rapport de
la fondation Next Page sur la traduction
dans le monde arabe29. Pendant ce temps,
en Corée, Park Sang-il craint que « l’indifférence face à l’importance de la traduction appauvrisse les fondements culturels
[de la Corée] et, à long terme, menace la
viabilité de notre langue maternelle ».
L’anglais, en revanche, n’est pour le
moment pas concerné par cette menace,
puisqu’il ignore largement la plupart
des autres langues. Comme nous l’avons
indiqué, la traduction en anglais permet
à un livre d’avoir plus de chances d’être
également traduit dans plusieurs autres
langues30. C’est pourquoi le problème que
nous abordons dans ce rapport est une
grande source d’inquiétude pour la part
du public littéraire mondial qui souhaite
rester liée à autant de groupes linguistiques que possible. Mais que perd ou que
risque l’anglais du fait de son incapacité à
traduire ? En dehors du danger politique
et social évident pour un empire qui refuse de prêter attention au reste du monde,
cet accroissement du provincialisme représente également une menace pour la
littérature des États-Unis. Au cours d’un
débat organisé par le PEN Club américain
sur les questions de la traduction et de
la mondialisation, Roberto Calasso, célèbre mythographe et directeur de la maison d’édition italienne Adelphi Edizioni,
qui publie 50 à 70 % de traductions, a signalé certaines conséquences littéraires
très graves de cette indifférence à l’égard
de la littérature non écrite en anglais31.
Ainsi, l’écrivain autrichien Thomas Bernhard a eu une énorme influence sur des
générations d’écrivains du monde entier,
y compris des auteurs anglophones. Pourtant, remarque Roberto Calasso, seuls
quelques-uns des nombreux livres de Bernhard sont disponibles en anglais, et une
grande partie de son œuvre, dont certains
de ses ouvrages essentiels, n’a pas encore
été traduite. Les auteurs anglophones ne
sont donc que superficiellement influencés par un écrivain à l’œuvre duquel ils
n’ont qu’un accès limité.
Cela nous amène à un aspect fondamental du problème de la traduction vers
l’anglais : la dévalorisation par l’université américaine de la traduction en tant
que forme de science littéraire. La traduction fait partie des activités savantes fondamentales depuis des millénaires, mais
de nombreuses universités américaines
30 31
contemporaines ne la considèrent pas
comme une forme d’activité suffisamment significative ou originale. Cette tendance à s’éloigner de la traduction a eu des
conséquences particulièrement perverses. En termes de carrière, il est beaucoup
plus sûr, pour un universitaire américain,
d’écrire une monographie en anglais sur
un auteur dont l’œuvre n’a jamais été traduite en anglais, que de traduire l’œuvre
de cet auteur en anglais. Les professeurs
d’université qui continuent à publier des
traductions le font parfois sous un pseudonyme, de crainte de voir leur réputation d’érudit entachée, ou omettent de
mentionner dans leur CV les traductions
qu’ils ont faites. Les enseignants qui publient « trop de traductions » risquent de
ne pas être titularisés ou même de ne pas
trouver d’emploi du tout. Au cours d’une
conférence intitulée « L’importance de la
traduction » donnée à l’Université de Columbia en 1994, Gayatri Spivak, traducteur et critique, a déclaré : « Le grand scandale de la traduction est l’oblitération de
la figure du traducteur. »
« L’Académie [aux États-Unis] nous a
bien fait comprendre que les traductions
ne valent quasiment rien lorsqu’il s’agit
de titularisation ou de promotion », a
récemment déclaré la traductrice Alyson
Waters, directrice de la rédaction des Yale
French Studies, dans un entretien avec la
traductrice française Élisabeth Peellaert32.
Elle a ajouté que la situation pourrait
changer avec le développement des études de traduction, mais que, pour le moment, il vaut beaucoup mieux, pour un
érudit littéraire américain, écrire sur des
questions liées à la traduction plutôt que
de s’adonner réellement à la traduction
littéraire. L’Association des traducteurs
littéraires américains a répondu à cette
situation en publiant une brochure utile
intitulée « Traduction et titularisation »,
afin d’aider les jeunes professeurs d’université à se faire respecter parmi leurs
collègues pour leur travail de traduction
littéraire33.
Ces dernières années, certaines presses
universitaires, qui figuraient parmi les
meilleures sources de traductions en lettres et en sciences humaines, ont même
annoncé qu’elles ne publieraient plus de
traductions, ou qu’elles diminueraient
considérablement le nombre de traductions publiées. Cela a non seulement eu un
impact sur la traduction littéraire, mais a
aussi conduit à une situation particulièrement troublante dans le domaine des
sciences humaines. Aux États-Unis comme dans le reste du monde, les spécialistes
en sciences humaines sont soumis à une
pression de plus en plus forte pour écrire
en anglais, quelle que soit leur langue maternelle – cette même pression à laquelle
ont succombé il y a quelque temps leurs
homologues des sciences « dures ». Préoccupé par la situation, l’American Council
of Learned Societies (ACLS) a lancé le Projet pour la traduction des sciences humaines, qui rassemblait des traducteurs, des
éditeurs et des spécialistes en sciences humaines pour discuter des problèmes relatifs à la traduction des textes sur les sciences humaines. Ce groupe a maintenant
publié une série de recommandations
pour la traduction des textes de sciences
Traduction, mondialisation et anglais
humaines, ainsi qu’un document intitulé
« Plaidoyer pour que les spécialistes des
sciences humaines puissent écrire dans
leur propre langue »34. Notant que « les
concepts des sciences humaines et les termes utilisés pour les exprimer sont déterminés par les caractéristiques de la langue
dans laquelle ils sont originellement produits et, par conséquent, par l’expérience
culturelle et historique des utilisateurs de
cette langue », ce plaidoyer déplore « l’homogénéisation et l’appauvrissement croissants du discours des sciences humaines »,
qui résultent de « l’hégémonie croissante
d’une seule langue ».
Dans une lettre à l’un des responsables
du Projet pour la traduction des sciences
humaines de l’ACLS en réponse au « Plaidoyer », Bente Christensen, vice-présidente de la Fédération internationale des
traducteurs et membre du PEN Club norvégien, écrit : « Ici, en Norvège, nous nous
battons pour avoir des livres de classe
écrits en norvégien, et pas seulement en
anglais. Les étudiants ne comprennent
pas vraiment ce qu’ils lisent. Je l’ai constaté très souvent. Ils répètent les concepts
en anglais, mais si je leur demande d’expliquer de quoi il s’agit en norvégien, ils
sont perdus. » « Lorsque nous parlons anglais, a déclaré Amin Maalouf au public
du Congrès du PEN Club international
à Tromso (Norvège) en 2004, nous avons
parfois l’impression que nos mots sont superficiels, que leur signification n’est pas
très profonde. Pour un écrivain ou toute
autre personne qui décide de rédiger un
document écrit quelconque, le choix de
la langue est profondément personnel et
unique ; beaucoup d’auteurs ont choisi
de s’exprimer dans une langue autre que
leur langue maternelle pour toutes sortes
de raisons. Cependant, non seulement les
écrivains littéraires, mais de plus en plus
de personnes autour du monde sont obligées de mener à bien les aspects les plus
importants de leur vie académique et professionnelle dans une langue qui n’est pas
complètement la leur, sans quoi leur travail serait tout simplement ignoré35. »
Un certain nombre de tendances positives concernant la publication des traductions littéraires aux États-Unis se sont
manifestées ces deux ou trois dernières
années (comme en témoignent les chiffres récents du Publisher’s Weekly mentionnés dans l’étude du German Book Office
que nous avons citée plus haut). Nous en
parlerons longuement dans le quatrième
chapitre de ce rapport. Mais il existe également une tendance profondément enracinée dans de nombreux secteurs du milieu
américain de l’édition qui considère la
traduction littéraire comme invendable.
« La littérature étrangère fait bâiller d’ennui l’Amérique », tel était le titre d’un article mémorable du New York Times sur l’accueil réservé à la littérature traduite aux
États-Unis36. Bien entendu, la littérature
elle-même n’est pas non plus au mieux de
sa forme aux États-Unis ces temps-ci. Les
ouvrages littéraires, de fiction ou non, en
particulier la poésie, semblent souvent ne
représenter qu’une sorte de mince frange
en marge de cette vaste machine qui pond
à la chaîne une quantité astronomique
d’« objets sous forme de livres » (pour reprendre le terme de Steve Wasserman,
32 33
ancien directeur du Los Angeles Times Book
Review) qui n’ont pas ou n’ont que peu de
valeur culturelle durable. La traduction
littéraire ne représente qu’une infime
partie de cette frange et, alors que certaines maisons d’édition ont conservé un
degré admirable d’engagement envers la
traduction, beaucoup d’autres l’évitent
ou, au mieux, la considèrent comme un
acte de charité.
Un livre traduit qui réussit à être publié
doit ensuite affronter le problème de la
critique et du marketing. Il est extrêmement rare – sauf dans le cas de Prix Nobel
de littérature ou d’écrivains dont la renommée mondiale est déjà solide – que les
éditeurs du monde anglophone versent
des avances sur recette pour des traductions puis dépensent d’importantes sommes d’argent pour en faire la promotion.
Un écrivain rédigeant son premier roman
en anglais peut très bien obtenir de son
éditeur une avance sur recette d’un demimillion de dollars, suivie d’une tournée de
présentation du livre, d’une campagne de
publicité et de tous les coups de pouce qui
permettront de propulser (ou pas) son livre au rang de best-seller. Mais un écrivain
dont l’œuvre paraît en traduction anglaise
pour la première fois a très peu de chances
de se voir offrir la moindre de ces ressources de marketing et de publicité. De plus,
tandis que certains critiques hésitent à
parler de livres traduits parce qu’ils ne
maîtrisent pas la langue dans laquelle ils
ont été écrits, d’autres n’ont aucun scrupule à exprimer ouvertement leur dédain
à l’égard de la pratique de la traduction
littéraire en elle-même. Dans un article de
la revue littéraire et culturelle très en vue
The Atlantic Monthly, intitulé « Pourquoi
nous critiquons ces livres-là », Benjamin
Schwarz, directeur de la section « Critique
de livres » de la revue, déclare que celle-ci
publie peu de critiques de livres traduits37.
Anticipant une accusation d’« esprit de
clocher », il reconnaît que c’est « à moitié
légitime » : « Nous nous concentrons généralement sur le style de la prose dans notre
évaluation de la fiction. C’est évidemment
plus difficile à faire pour les critiques de
livres traduits, puisque le critique comme le lecteur d’une œuvre ne retrouvent
pas le style de l’auteur mais la façon dont
le traducteur l’a rendu. C’est pourquoi
nous écrivons moins de critiques sur les
œuvres traduites. » Certes, le style de certaines traductions laisse effectivement à
désirer, mais c’est aussi le cas pour beaucoup d’œuvres originellement écrites en
anglais ; l’utilisation d’un tel prétexte
pour justifier le peu d’attention accordé
à la littérature mondiale est extrêmement
suspect, c’est le moins qu’on puisse dire.
Roberto Calasso a décrit une grande partie
de la culture américaine contemporaine
comme un « mélange explosif de provincialisme et d’impérialisme », et une telle
attitude de la part des critiques de livres
constitue une excellente illustration de
ses propos.
Mais nous ne pouvons conclure sur une
note aussi sombre. Le monde anglophone,
et en particulier ses grandes villes, n’est en
aucun cas l’espace monolingue qu’un lecteur sans expérience pourrait imaginer
après avoir lu ce rapport. Amanda Hopkinson, directrice du Centre britannique
Traduction, mondialisation et anglais
de la traduction littéraire, souligne que
les enfants qui fréquentent les écoles de
Londres parlent plus de 350 langues différentes à la maison. De même, si vous avez
déjà pris le métro à New York, vous avez
plongé dans l’environnement sans doute
le plus multilingue au monde. Mais si, en
sortant du métro, vous entrez dans une librairie, vous ne trouverez pas grand-chose
pour vous aider à comprendre les langues
étrangères qui résonnaient à vos oreilles
quelques secondes plus tôt – tout y est
écrit en anglais. L’enjeu du monde anglophone n’est pas de devenir multilingue –
c’est déjà le cas, bien au-delà des rêves les
plus fous de Mikhaïl Bakhtine – mais de
transférer la polyglossie de ses écoles, de
ses rues et de ses métros sur les rayons de
ses bibliothèques et de ses librairies.
Beaucoup de traducteurs, de directeurs
de rédaction, d’éditeurs, d’agents littéraires, d’enseignants, de professeurs d’université, d’institutions et d’organisations
ne ménagent pas leurs efforts pour que la
littérature internationale soit traduite en
anglais. Il y a beaucoup à faire, mais il y
a aussi de bonnes bases de départ. Le niveau de la traduction vers l’anglais semble
être descendu tellement bas qu’il ne peut
que remonter, et la traduction semble
redevenir à la mode à une vitesse surprenante. Un nombre très encourageant de
nouvelles initiatives ont émergé ces dernières années de l’extérieur et de l’intérieur du monde anglophone, en particulier aux États-Unis, et les résultats se font
déjà sentir. Tant de personnes s’efforcent
aujourd’hui de transformer l’espèce linguistique envahissante de la planète en
un moyen permettant aux langues de
communiquer entre elles que nous pouvons nous attendre à de très bonnes nouvelles. Le PEN Club international et l’Institut Ramon Llull s’engagent à transmettre
ce rapport à cette large communauté de
bâtisseurs de ponts, en espérant qu’il leur
sera utile dans la tâche que nous entreprenons tous ensemble.
NOTES
1
David Crystal, The Language Revolution, Cambridge, Polity, 2004, p. 8.
2
Rapporté dans : Andrew Yeh, « New Dawn in a Shared
Language » in The Financial Times.
3
Cf. Graddol, « The Decline of the Native Speaker » in English in a Changing World, Graddol & Meinhof, Milton Keynes, Catchline, 1999, pp. 57 à 68 ; cité par Ostler, op. cit.
p. 516.
4
Cf. son article « English » in The World’s Major Languages,
éd. Bernard Comrie, Oxford University Press, 1990, pp. 79
à 82.
5
Dans un discours intitulé « Passive Imperialism » présenté
dans le cadre du Global Fellows Program de l’International
Institute, à l’Université de Californie à Los Angeles, le 23
novembre 2004.
6
Empires of the Word, p. 517.
« The World as India: Translation as a passport within the
community of literature », in Times Literary Supplement,
13 juin 2003.
7
8
Toute les informations contenues dans ce paragraphe
proviennent de : James Brooke, « For Mongolians, E is for
English, and F is for the Future », in New York Times, 15
février 2005.
9
Cf. www.foreigninvestment.cl
10
Pour un exemple manifeste de cette façon de penser, cf.
Samuel P. Huntington, Who Are We?, Simon and Schuster,
New York, 2004.
11
Language Revolution, p. 50.
Le site de la Foundation for Endangered Languages
(www.ogmios.org), dont le siège se trouve au Royaume-Uni,
et le site de Endangered Language Fund (www.ling.yale.
edu/~elf/), dont le siège se trouve aux États-Unis, consti12
34 35
tuent des ressources utiles pour l’obtention de plus amples
informations sur les langues en voie d’extinction.
13
Cf. www.linguistic-declaration.org.
Cette article d’Andrej Blatnik a été traduit en anglais par
Maja Visenjak-Limon.
14
15
Citation tirée de : Eckermann, Gespräche mit Goethe
in den letzten Jahren seines Lebens (1835) par David
Damrosch, in What is World Literature?, Princeton University Press, 2003, p. 1.
Mikhaïl Bakhtine, The Dialogic Imagination, éd. par Michael Holquist, traduction par Caryl Emerson et Michael
Holquist, University of Texas Press, Austin, 1992, p. 61.
16
17
Damrosch, op. cit., p. 7.
Éditions du Seuil, 1999 ; traduction en anglais : Harvard
University Press, 2004.
18
19
Casanova, p. 352.
20
Casanova, p. XIII.
21
Par exemple, cf. les statistiques sur la publication de livres
aux États-Unis sur Bookwire, l’un des portails de Bowker :
www.bookwire.com/bookwire/decadebookroduction.html.
22
« English-Speaking Countries Published 375,000 New
Books Worldwide in 2004 », Bowker News Release. New
Providence, New Jersey, 12 octobre 2005. Contact médias :
[email protected].
23
Affirmation d’Andrew Grabois, de Bowker, 9 mars 2005.
Routledge, 1995. Pour des statistiques un peu plus récentes, cf. Venuti, The Scandals of Translation: Towards an
Ethics of Difference, Routledge, 1998.
24
L’information a été recueillie dans le cinquième commentaire d’une série d’observations par John O’Brien de Dalkey
Archive Press, sur la difficulté de financer la traduction en
anglais, parue dans : Context: A Forum for Literary Arts and
Culture ; http://www.centerforbookculture.org/context/
no19/translations_5.html.
cies in the Arab world », un rapport commandé par la Next
Page Foundation, à Sofia, en Bulgarie. Ce rapport fournit
un contexte extrêmement utile au rapport du PNUD, mentionné précédemment, et offre une analyse approfondie
des statistiques qu’il cite. Cf. www.npage.org/news/arabrep.
html.
Cf., à ce sujet, les commentaires, présentés au chapitre
2 du présent document, qu’ont faits plusieurs PEN Clubs
sur l’importance de la traduction en anglais (en réponse au
questionnaire sur la traduction et la mondialisation du PEN
Club international).
30
La table ronde s’est tenue au mois d’avril 2006, à l’occasion du deuxième festival international littéraire organisé
par le PEN Club américain : « PEN World Voices: The New
York Festival of International Literature ». On comptait,
parmi les participants à la table ronde, Roberto Calasso,
des éditions italiennes Adelphi Edizione, Boris Akunin,
célèbre écrivain de romans policiers et ancien directeur
adjoint du magazine soviétique et post-soviétique Foreign
Literature, Amanda Hopkinson, directrice du British Centre
for Literary Translation à l’université d’East Anglia, Richard
Howard, éminent traducteur français-anglais, Elizabeth
Peellaert, éminente traductrice anglais-français, et Raymond Federman, spécialiste et écrivain. Le modérateur de
la table ronde était Steve Wasserman, ancien directeur du
Los Angeles Times Book Review.
31
32
Paru dans To My American Readers, un magazine gratuit
publié par le centre lyonnais d’analyse et de diffusion de
la pensée et des arts contemporains la Villa Gillet et par le
PEN Club américain, à l’occasion des « PEN World Voices:
The New York Festival of International Literature » 2006.
Cf. www.frenchbooknews.com.
33
Cf. http://literarytranslators.org/promo.htm.
34
Cf. www.acls.org.
25
26
« Literary Translation in the United States », in Publishing
Research Quarterly, juin 2006.
L’Index Translationum de l’Unesco fournit des informations d’ordre général et des statistiques complémentaires
sur le marché mondial de la traduction et sur la place qu’y
occupe l’anglais. Ce document rassemble des informations
bibliographiques sur les livres traduits et publiés dans une
centaine de pays membres de l’Unesco, depuis 1979.
Pour un exposé complet et très utile sur les effets de
la mondialisation sur les traducteurs qui travaillent en majeure partie hors des domaines littéraire et académique,
avec une attention particulière accordée aux langues minoritaires, cf. Michael Cronin, Translation and Globalization,
Routledge, 2003.
35
36
Article de Stephen Kinzer paru le 26 juillet 2003.
37
The Atlantic Monthly, janvier/février 2004.
27
Kim Ki-tae, « Is Korean Language Doomed? », The Korea
Times, 20 janvier 2006.
28
29
« Lost or Found in Translation: Translations’ support poli-
Traduction, mondialisation et anglais
2. Traduction littéraire :
panorama international
Simona Škrabec,
critique littéraire, traductrice et membre du PEN Club catalan
Le chapitre précédent porte sur la situation
de la traduction littéraire dans les pays anglophones, particulièrement aux États-Unis.
Le présent chapitre, quant à lui, propose une
vue d’ensemble des principales tendances de
la traduction littéraire au niveau international, et se penche également sur la question
débattue au premier chapitre, à savoir le déclin des traductions vers l’anglais.
La thèse développée ici est basée sur les
réponses à un questionnaire établi par le
PEN Club international et fournies par des
PEN Clubs du monde entier. Les réponses
du Royaume-Uni, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et, dans une certaine mesure,
des Philippines fournissent des informations complémentaires sur la situation
complexe de l’édition en langue anglaise.
En ce qui concerne le marché florissant du
livre en Asie, les seules données reçues proviennent du Japon (mis à part le rapport
sur la Chine) et sont de portée générale.
Les réponses au questionnaire permettent
d’établir une comparaison entre les situations de la France, des Pays-Bas et de la Catalogne, grâce aux données fournies par le
PEN Club flamand et aux commentaires
des pays d’Europe centrale et orientale (Lituanie, Hongrie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine et Macédoine). En outre, certains des
commentaires du PEN Club San Miguel de
Allende (Mexique) ont éclairé la situation
de l’Amérique du Sud, décrite dans le rapport sur l’Argentine. L’intégralité des réponses des PEN Clubs au questionnaire sur
la traduction peut être consultée sur le site
Internet Diversity (www.diversity.org.mk).
2.1 Rayonnement international
Le manque de statistiques
L’une des principales différences dans les réponses des PEN Clubs concerne la disponi-
38 39
bilité des données statistiques. Il est surprenant de constater que plusieurs PEN Clubs
déclarent ne pas disposer de données fiables
sur les ouvrages traduits dans des langues
étrangères. Cette question est à prendre en
considération, dans la mesure où le manque d’information n’est pas imputable à
une éventuelle négligence des personnes
ayant répondu au questionnaire.
Cette pénurie d’informations est essentiellement due au manque d’organismes
adéquats pour la collecte et la publication
de ce type de données. Il est compréhensible que certains pays n’aient pas fait l’effort qu’ont fait la plupart des pays européens en ce domaine. Les pays où peu de
données ont pu être recueillies sont le
Mexique, les Philippines et la NouvelleZélande. La littérature mexicaine est hispanophone, tandis que la littérature néozélandaise est anglophone. La promotion
à l’étranger des littératures de ces deux
pays n’est pas entreprise par leurs gouvernements car l’anglais et l’espagnol leur
permettent d’atteindre un vaste public
sans recourir à la traduction. En outre, les
auteurs peuvent se faire publier dans un
autre pays que le leur. Ainsi, les accords
concernant la traduction de leur œuvre
peuvent être passés à l’étranger, ce qui
complique la collecte des données relatives à la traduction par les pays concernés.
Cela soulève un problème épineux.
Peut-on dire que le Mexique et la NouvelleZélande ont une culture littéraire qui leur
est propre ? Il existe de nombreuses cultures littéraires à travers le monde ayant une
langue commune, bien qu’il soit souvent
difficile de tracer leurs frontières. Le sujet
a une teneur hautement politique et soulève des questions d’identité culturelle.
Cela pose également des problèmes pratiques : peut-on dire, par exemple, d’un
auteur exilé de longue date en Europe et
ayant publié la majeure partie de son œuvre à l’étranger qu’il fait partie de la tradition littéraire de son pays natal ? Il n’est
pas surprenant que de nombreux gouvernements éludent la question lorsqu’ils
établissent des statistiques.
Les réponses précises apportées par les
PEN Clubs anglais et australien au sujet du
marché des livres en anglais de leur pays,
présentées dans la section suivante, permettent de clarifier certains des aspects de
cet immense marché monolingue.
Aux Philippines, la situation est plus complexe, car ce pays compte plusieurs langues
locales et a une production littéraire importante, à la fois en anglais et en espagnol.
Dresser des statistiques dans un contexte
linguistique si complexe serait un véritable
cauchemar pour le gouvernement. Parallèlement, on peut également expliquer le manque de données fiables au Mexique, en Nouvelle-Zélande et aux Philippines par le fait
que ces pays participent moins aux échanges
littéraires que les pays européens.
La promotion de la littérature
européenne à l’étranger
En Europe, l’attitude envers la promotion
de la littérature à l’étranger est complètement différente. Le gouvernement belge
fournit des statistiques très détaillées sur
la production littéraire en flamand et sur
la promotion des ouvrages flamands à
l’étranger. La Slovénie adopte une attitude
Traduction littéraire : panorama international
similaire, et propose sur Internet un catalogue détaillé de tous les ouvrages slovènes publiés à l’étranger.
Les réponses des PEN Clubs permettent
de dresser une carte de la fréquence des
échanges littéraires, que viennent confirmer les six cas étudiés dans la deuxième
partie du présent chapitre. L’Europe, qui
compte plus de trente langues, est la région du monde la plus tournée vers la
littérature mondiale. Ces échanges sont
complétés par de nombreuses traductions
vers le chinois et le japonais (les deux langues principales en Asie), vers le vietnamien, le malais et le coréen, et vers certaines langues indiennes. Il n’existe pas de
traductions vers les langues africaines et,
curieusement, aucun PEN Club n’a cité un
seul ouvrage traduit en arabe.
plupart des traductions littéraires vers l’anglais publiées dans le pays sont réalisées en
Lituanie même. Toutes les personnes interrogées ont déclaré qu’elles considéraient la
traduction des ouvrages vers l’anglais comme essentielle pour le rayonnement de
leur pays à l’étranger, mais que l’accès au
marché des livres en anglais était presque
impossible. L’expression « intermédiaire
utile » utilisée par le critique lituanien
Laimantas Jonusys semble donc particulièrement bien trouvée. Les livres sont traduits en anglais en dépit de leurs faibles
chances d’atteindre des lecteurs anglophones. Il faudrait donc attirer l’attention d’intermédiaires susceptibles de promouvoir
la traduction dans les langues de pays bien
plus ouverts aux écrivains étrangers, telles
que le français et l’allemand.
L’anglais, « un intermédiaire utile »
Le manque de traducteurs
anglophones
La situation est très différente pour les
auteurs anglophones, qui n’ont pas besoin de faire traduire leurs livres pour atteindre un marché de masse. Il faut savoir
que, dans de nombreux pays où l’anglais
n’est pas une langue officielle, un nombre
croissant de lecteurs dédaignent les traductions et se procurent les livres directement en anglais. C’est particulièrement
le cas aux Pays-Bas et, dans une moindre
mesure, dans les pays scandinaves. Néanmoins, un roman à succès en anglais a de
bonnes chances d’être traduit en trente
langues et, s’il s’agit d’un véritable bestseller, dans des langues non européennes.
Le PEN Club lituanien a souligné un fait
qui, bien que courant, est rarement aussi
bien illustré que par le cas de ce pays. La
La pénurie de personnes aptes à traduire
vers l’anglais constitue un facteur encore
plus déterminant du faible rayonnement
de la littérature des petits pays sur la scène
internationale. Cette situation est illustrée
par le manque de réponses au questionnaire portant sur les langues majeures de la
littérature européenne (français, allemand
et italien). En des termes plus abrupts, il
existe une opposition entre les langues minoritaires et l’omniprésence de l’anglais. Il
n’est dès lors pas étonnant que la plainte du
PEN Club de Macédoine au sujet du manque
de traducteurs fasse écho aux commentaires du PEN Club anglais relatifs au besoin
urgent de former des traducteurs dans les
langues minoritaires.
40 41
La présence des langues vivantes au
Royaume-Uni est si faible qu’Amanda Hop­
kinson, directrice du Centre britannique
pour la traduction littéraire, estime qu’il
existe des « langues en danger d’extinction
imminent ». Les universités britanniques
ont d’ailleurs supprimé plusieurs langues
de leurs départements de philologie. Les
traducteurs de grec et de latin ont été
formés dans des écoles privées, contrairement à la grande majorité des traducteurs
ayant une maîtrise suffisante des langues
vivantes, qui sont des descendants d’immigrants ou des Britanniques ayant passé
une longue période à l’étranger. Selon le
PEN Club anglais, il est impossible d’acquérir une bonne maîtrise des langues
étrangères dans les écoles et les universités britanniques, ce qui pose un véritable
problème.
Les déséquilibres entraînés par les
subventions
Les différences entre les pays européens
ayant participé à l’enquête sont considérables. En raison des problèmes économiques rencontrés par la Macédoine, les
subventions nécessaires à la promotion
de sa littérature à l’étranger font défaut
au pays. Les maisons d’édition étrangères s’attendent à ce que les traductions
soient financées par le pays d’origine. Les
pays européens les plus pauvres ont été
contraints d’affronter une vérité dérangeante, celle d’un marché de la traduction littéraire qui reflète le poids économique d’un pays plutôt que ses capacités
éditoriales ou les mérites intrinsèques de
sa littérature.
2.2 Reconnaissance de la
littérature traduite
La structure interne des marchés
anglophones
La proportion des ouvrages traduits par
rapport à l’ensemble des ouvrages publiés varie considérablement d’un pays à
l’autre. Comme indiqué au premier chapitre, il existe très peu d’ouvrages traduits
aux États-Unis. Au Royaume-Uni, les statistiques les plus optimistes indiquent que
6 % des livres sont des traductions, mais ce
chiffre englobe les traductions d’essais et
les traductions techniques. La traduction
littéraire ne représente ainsi que 2 % de la
production totale.
En Australie, la situation est encore pire.
Barbara McGilvray et ses collaborateurs de
Sydney indiquent que, sur l’ensemble des
livres édités chaque année, moins d’une
demi‑douzaine sont des traductions. Selon
le président du PEN Club néo-zélandais, les
lecteurs – et même les critiques littéraires !
– ignorent souvent qu’ils sont en train de
lire une traduction, car cela n’est indiqué
clairement nulle part. En outre, un grand
nombre des livres vendus dans le pays sont
édités au Royaume-Uni, aux États-Unis ou
en Australie, et la plupart des ouvrages littéraires présents dans les librairies et les
bibliothèques néo-zélandaises ont également été publiés à l’étranger. Les éditeurs
néo-zélandais n’ont d’ailleurs pratiquement aucune influence sur les politiques
de traduction littéraire.
Les Australiens interrogés dans le cadre
de l’enquête soulignent également la situation déplorable de l’édition littéraire
Traduction littéraire : panorama international
dans leur pays. Le marché australien des
ouvrages traduits est dominé par les importations des États-Unis et du RoyaumeUni. En outre, l’accord de libre-échange
entre l’Australie et les États-Unis représente une porte ouverte au dumping, les
libraires américains cédant des invendus
à des prix très bas. Ce type de comportement, favorisé par les alliances entre les
maisons d’édition et les entreprises multinationales, se retrouve – dans une moindre mesure – dans l’ensemble du monde
anglophone. La relation est parfois réciproque, comme c’est le cas pour « Penguin
India » ou les éphémères « Africa Series »
de Heinemann. Néanmoins, cette approche implique très souvent une impression
conjointe, un reconditionnement et une
distribution internationale.
Le PEN Club anglais confirme l’existence
de la pratique consistant à vendre un livre
donné à différents prix. Les livres sont vendus à plein tarif dans les pays riches et sont
ensuite bradés dans les pays pauvres. En
Afrique du Sud, les encyclopédies britanniques sont ainsi liquidées à un dixième ou
un centième de leur prix en Grande-Bretagne, dans le but de prévenir l’apparition de
versions pirates sur le marché noir.
Dans le secteur du livre, les aspects d’édition aussi bien que de vente sont dominés
par les conglomérats et les chaînes. Deux
multinationales – le groupe allemand
Bertelsmann et le groupe français Hachette – se taillent la part du lion dans le marché de l’édition. Tous deux se concentrent
sur les best-sellers. Les auteurs perçoivent
des sommes considérables pour ce type
d’ouvrages. Néanmoins, il existe une nou-
velle tendance au Royaume-Uni, celle des
best-sellers non signés par leurs véritables
auteurs. Même une firme comme Bloomsbury, par exemple, s’est abaissée à publier
des autobiographies de footballeurs ou
de mannequins rédigées par des nègres. Il
s’agit là d’une déferlante de « littérature »
de masse et rien ne semble pouvoir arrêter ce rouleau compresseur. Les livres les
plus traduits sont des romans policiers ou
des récits de nature érotique, ou même
pornographique. Il convient de souligner
que ces ouvrages ne sont pas considérés
comme de la grande littérature, mais
comme des variations plutôt exotiques
sur un même thème.
Les classiques latins et grecs font actuellement l’objet de rééditions en anglais, souvent dans de nouvelles traductions. C’est, par exemple, le cas des séries
Macmillan ou des collections éditées par
OUP et Penguin. Cet intérêt s’explique en
partie par le fait que Platon et Marc Aurèle
ne peuvent guère se manifester pour réclamer leurs droits d’auteur, ce qui rend
l’édition de ces ouvrages bien meilleur
marché. Dans le même temps, l’enseignement du latin et du grec connaît un déclin
considérable et il n’existe donc plus de
marché pour ces œuvres dans leur langue
originale.
Selon le PEN Club australien, les lecteurs australiens ont un instinct grégaire
prononcé, mais le secteur du livre – en
particulier pour les éditeurs indépendants
– dépend du comportement individuel
des lecteurs, aspect essentiel à prendre en
compte. Ainsi, le marché laisse peu de place à la poésie et à la littérature traduites.
42 43
La complexité de la situation des
anciennes colonies
Les pays anglophones, en particulier ceux
du Commonwealth, se caractérisent également par un mélange ethnique complexe.
Comme l’a fait remarquer le PEN Club de
Nouvelle-Zélande, les immigrants, quelle
que soit leur origine, sont censés apprendre l’anglais. Néanmoins, le maori est la
langue officielle du pays ; il existe donc
des traductions entre l’anglais et le maori.
Le gouvernement a aussi entrepris l’édition de manuels en samoan, en maori des
îles Cook, en tongien et en niuéen. Néanmoins, seule une petite partie de ce matériel peut être considérée comme étant de
nature littéraire.
La communauté chinoise vivant en Nouvelle-Zélande édite son propre journal et a
récemment publié des traductions anglaises
de poésie chinoise. La communauté croate,
quant à elle, a publié un petit nombre de
textes littéraires en serbo-croate et en anglais. Cette situation, dans laquelle une langue dominante cohabite avec d’autres langues – dont des langues autochtones – dans
une société modelée par une immigration
constante, se retrouve dans de nombreux
pays ayant un passé colonial.
En Grande-Bretagne, une situation semblable peut être observée dans les écoles
primaires de Londres, où quelque 350 langues sont parlées dans les cours de récréation. L’écriture et l’édition de poésie dans
la langue d’origine sont en expansion
au sein des communautés immigrées, et
l’on observe un regain d’intérêt pour les
langues autochtones britanniques, bien
que, dans le cas du gaélique écossais, il
s’agisse essentiellement d’un intérêt pour
la langue orale. Les traductions littéraires
du gallois, quant à elles, sont en augmentation, notamment grâce au soutien de
la Welsh Language Society (Cymdeithas yr
Iaith Gymraeg, société pour la langue galloise), qui prend la forme de subventions
versées aux auteurs et aux traducteurs,
ainsi qu’aux maisons d’édition publiant
des ouvrages uniquement en gallois ou en
format bilingue.
Dans ce contexte, il faut souligner les
commentaires d’Isagani Cruz, secrétaire
général du PEN Club philippin. Des textes
littéraires en français, allemand, japonais,
malais, espagnol, thaï et d’autres langues
sont traduits de façon courante dans les
langues philippines locales. Néanmoins,
il a fallu attendre la fin de la domination
coloniale américaine pour que des traductions vers et à partir de l’anglais soient entreprises à grande échelle. De nombreux
ouvrages littéraires de premier rang écrits
en anglais ont ainsi été traduits dans les
langues locales, en particulier en tagalog.
Les traductions à partir de l’anglais, quant
à elles, connurent un renouveau après la
Seconde Guerre mondiale. L’anglais était
également la langue relais qui permettait
l’accès à d’autres œuvres littéraires, comme
l’illustre la traduction en tagalog à partir
de l’anglais du Petit Prince de Saint-Exupéry,
qui connut un succès retentissant.
Les premières traductions vers l’anglais, telles que celle de l’œuvre la plus
populaire des Philippines, Noli Me Tangere
de Rizal – écrite en espagnol –, furent réalisées par des Américains. Il existe peu de
traductions vers l’anglais des œuvres lit-
Traduction littéraire : panorama international
téraires philippines rédigées dans les langues locales, car très peu de traducteurs
anglophones maîtrisent ces langues. Les
échanges culturels sont donc, dans leur
grande majorité, à sens unique. Alors que
les lecteurs philippins ont lu énormément de littérature anglophone, très peu
de Britanniques et d’Américains ont lu ne
serait-ce qu’un seul ouvrage philippin.
Europe : intérêt pour le domaine
littéraire
L’autre extrémité du spectre de la littérature étrangère peut être observée dans les
pays européens de petite taille et de taille
moyenne. En Bosnie-Herzégovine, en
Flandre, en Hongrie et en Macédoine, près
de la moitié des nouveaux ouvrages publiés chaque année sont des traductions.
Cette situation se caractérise essentiellement par le fait que la plupart des œuvres
traduites le sont par des petites maisons
d’édition qui publient moins de 150 titres
par an, titres dont le tirage est toujours relativement modeste.
En Lituanie, pays qui compte un peu
plus de trois millions d’habitants, le tirage
moyen pour un ouvrage est de 2 000 exemplaires – bien que certains best-sellers
atteignent les 30 000 exemplaires. En Slovénie, pays de deux millions d’habitants,
les tirages des livres traduits varient entre
20 (pour les recueils de poèmes) et 25 000
(pour The Da Vinci Code). La plupart des titres de fiction se vendent à entre 1 000 et
1 500 exemplaires, et à entre 400 ou 600
pour les fictions de qualité. Néanmoins,
les petits tirages ne sont pas réservés aux
petits pays. Lucina Kathmann, secrétaire
du PEN Club San Miguel de Allende (Mexique), remarque que, d’une manière générale, très peu d’ouvrages sont vendus
et que les tirages dépassent rarement les
3 000 exemplaires.
Kata Kulavkova, présidente du Comité
de la traduction et des droits linguistiques
du PEN Club international pour la Macédoine, met en lumière une caractéristique
positive de ces marchés littéraires minuscules. Selon elle, les traductions de la littérature mondiale suivent un plan stratégique visant à remplir les bibliothèques.
Cette approche est primordiale pour les
éditeurs, car la demande des bibliothèques permet de compenser l’impact des
petits tirages sur le prix des livres.
L’analyse de Mme Kulavkova s’applique
également aux autres pays de petite taille
et de taille moyenne, où les politiques de
promotion des traductions sont essentielles
pour enrichir et faire progresser la langue
nationale. Les traductions ouvrent également une fenêtre sur le monde, en favorisant la connaissance des littératures, des
cultures et des traditions étrangères. Le rôle
éducatif joué par la traduction littéraire explique la pratique consistant à publier des
extraits d’œuvres d’écrivains étrangers dans
les magazines, la presse et d’autres médias.
János Benyhe, secrétaire général du PEN
Club hongrois et traducteur littéraire de
renom, remarque que son pays a une longue tradition de traductions de grande
qualité. La Hongrie est l’illustration parfaite d’un aspect essentiel de toute traduction : le magyar ne faisant pas partie de
la famille des langues indo-européennes,
traduire vers ou à partir de cette langue
44 45
suppose d’effectuer une re-création littéraire considérable. Le défi pour les traducteurs est donc bien supérieur à celui posé
par une traduction de l’anglais vers l’allemand, par exemple, ou du français vers
l’italien. Les meilleurs écrivains hongrois
ont d’ailleurs consacré beaucoup d’efforts
à la traduction des œuvres majeures de la
littérature mondiale. La traduction littéraire en Hongrie est actuellement en plein
essor, ce dont nous pouvons nous réjouir.
La mosaïque linguistique européenne
Bien entendu, les pays anglophones ne sont
pas les seuls à emprunter aux autres cultures et aux autres langues. Néanmoins, le
continent européen est encore plus complexe en la matière et, dans certains cas, les
facteurs ethniques peuvent avoir une influence décisive sur les décisions politiques
concernant l’importation et l’exportation
d’œuvres littéraires. Une fois de plus, le
cas de la Macédoine est très instructif. Les
subventions du gouvernement sont réparties en fonction de critères ethniques et de
divers critères adoptés au préalable, plutôt
que sur la base du mérite littéraire.
Lorsque la question de la littérature
nationale est débattue en Macédoine, elle
concerne non seulement les ouvrages en
macédonien, mais également ceux qui
sont en albanais. Il n’est pas toujours facile de savoir si cela concerne les ouvrages
écrits par des albanophones en Macédoine
ou si cela inclut les Albanais du Kosovo et
d’Albanie. Dans le cadre de la distribution
équitable des subventions réalisée par le
gouvernement, plus de 25 % du budget est
automatiquement destiné à la traduction
vers l’albanais et à partir de l’albanais. Par
conséquent, les subventions disponibles
pour les traductions vers le macédonien
et à partir du macédonien sont moindres,
ce qui affecte la promotion des ouvrages
macédoniens à l’étranger.
Le gouvernement belge soutient de
la même façon deux littératures. Toutes
deux rayonnent hors des frontières de
la Belgique – le français intègre l’une des
traditions littéraires les plus riches du
monde, tandis que le flamand est compris
dans l’ensemble du domaine linguistique
néerlandophone, qui inclut les Pays-Bas.
Selon Isabelle Rossaert, du PEN Club flamand, sans accès au marché néerlandais,
l’industrie flamande de l’édition serait limitée à une toute petite région. Même s’il
existe des tensions entre les communautés littéraires wallonne (francophone) et
flamande, elles sont bien plus modérées
qu’en Macédoine, où deux langues se disputent un très maigre budget.
D’après Ferida ĐD
- u­rakovićć, la situation
du marché du livre en Bosnie-Herzégovine
est catastrophique. Le marché est en effet
minuscule et publier des livres en tirages
limités coûte très cher. En outre, la population n’a guère les moyens d’acheter des
manuels scolaires, et donc encore moins
des ouvrages littéraires. Les éditeurs ont
fait de timides tentatives pour élargir leurs
marchés afin de toucher d’autres pays serbo-croatophones (Croatie, Serbie et Monténégro). Néanmoins, dans la mesure où
tous ces pays sont peu ou prou dans la
même situation économique et politique,
les perspectives immédiates d’une telle
stratégie ne sont guère favorables.
Traduction littéraire : panorama international
Avant la guerre civile en Yougoslavie,
il existait en Bosnie-Herzégovine une association de traducteurs littéraires qui
fonctionnait plutôt bien. Mais elle a été
dissoute pendant la guerre et les traducteurs travaillent aujourd’hui de façon
individuelle. Il n’existe pas de projet gouvernemental pour mener à bien la traduction d’importantes œuvres littéraires. En
outre, la guerre civile a laissé de profondes
cicatrices et des traductions – de mauvaise
qualité – sont effectuées par des groupes
ou des personnes qui prêchent pour leur
intérêt ethnique et/ou idéologique. Seules
quelques bonnes traductions se distinguent, notamment celles de Miljenko Jergović, Dževad Karahasan, Abdulah Sidran,
Meša Selimović et Mak Dizdar. L’État ne
fournit aucune aide.
Le PEN Club bosniaque soutient que la
Bosnie-Herzégovine est une création des
accords de paix de Dayton, qui ne furent
qu’une simple tentative de construction
d’une nation. Ainsi, il est impossible d’attendre du gouvernement une réelle stratégie en matière de langues, de littératures
nationales, ou même de libre-échange en
ce domaine. Les facteurs politiques font des
échanges littéraires avec les pays voisins et
le reste du monde une véritable gageure.
Le statut des traducteurs littéraires
Bien que les œuvres traduites ne soient
pas toujours des grands succès de librairie, un excellent réseau de bibliothèques
garantit, en Macédoine et dans les pays
similaires, la disponibilité de ces ouvrages
pour des décennies. De plus, les traductions sont de très grande qualité et les tra-
ducteurs jouissent d’un prestige considérable, même si leur travail est souvent peu
rémunérateur.
Il faut souligner ici que la situation
des traducteurs n’est pas si différente au
Royaume‑Uni. « Bien que notre situation
soit loin d’être bonne, la plupart d’entre
nous continuent de traduire correctement », déclare Amanda Hopkinson, qui
travaille à Londres. Pourtant, les traducteurs de ce pays sont dans une position
enviable si nous la comparons avec celle
de leurs collègues australiens. Une des
réponses au questionnaire apportées par
l’Australie fait ainsi remarquer : « Il est
généralement admis que la traduction
est nécessaire pour les services aux immigrants. Ainsi, au cours des cinquante dernières années, elle s’est clairement orientée vers les services sociaux. »
Dans son étude sur la France, Anne‑Sophie Simenel déclare que les traducteurs
peuvent espérer gagner entre 2 925 euros
et 3 375 euros€ pour un travail de 150 pages,
sans compter les droits d’auteur moyens de
2 %. Le même travail serait payé 4 423 euros€
en Grande-Bretagne et 3 700 euros€ en Australie. D’après les chiffres fournis par Bas
Pauw dans son étude de cas, les traducteurs
établis aux Pays-Bas peuvent tabler sur une
moyenne de 6 712 euros€ pour le même
volume, entre la rémunération versée par
l’éditeur et la bourse de traduction qui
leur est accordée. Les chiffres relatifs aux
autres pays sont de 2 100 euros€ pour la Slovénie, de 1 300 euros pour la Macédoine, de
1 000 euros pour la Hongrie et de 945 euros
pour la Lituanie. Les chiffres varient donc
énormément d’un pays à l’autre.
46 47
Les défis actuels
Tous les PEN Clubs ayant répondu au
questionnaire reconnaissent que le climat
international est aujourd’hui à une plus
grande réceptivité vis-à-vis des œuvres littéraires. Certains d’entre eux font remarquer que les organismes de promotion de
la littérature nationale à l’étranger ont
contribué de façon décisive à l’extension
de la sphère d’influence du pays en question. Le PEN Club lituanien souligne que
cet élargissement des horizons a joué un
rôle important dans le changement de
climat politique en Europe, dans la fin
de la Guerre froide, dans l’intégration des
anciens pays communistes dans l’Union
européenne et dans le changement de
perception de l’Europe de l’Est.
Malgré de sérieux problèmes, les réponses des PEN clubs sont plutôt optimistes. Mais la mondialisation du marché du
livre est de mauvais augure pour les œuvres littéraires. Bien trop souvent, l’intérêt pour la production littéraire des pays
étrangers n’est rien de plus qu’un goût
pour l’exotisme. Des membres du PEN
Club australien soulignent sans fioritures
que « le Royaume-Uni et les États-Unis font
planer une ombre menaçante sur les pâturages australiens » et que c’est la raison
pour laquelle les Australiens ne s’intéressent qu’aux ouvrages à « haute teneur en
paysage australien ».
Un phénomène similaire peut être observé en Europe de l’Est. La plupart des
livres publiés aux États-Unis parlent des
victimes du communisme, de censure, de
répression et de l’effondrement économique qui a suivi la chute du régime soviéti-
que. « Il est inutile d’importer des histoires
d’amour ou d’autres frivolités de contrées
lointaines, quelle que soit leur qualité, car
nous avons ce qu’il nous faut à la maison »,
remarque ironiquement Andrej Blatnik,
secrétaire du PEN club slovène.
Le PEN Club anglais souligne l’augmentation du nombre de traductions.
Mais, dans le domaine de la fiction, elles
concernent des best-sellers tels qu’Harry
Potter ou la série des Miss Marple. Les traductions d’essais ou de poésie britanniques sont beaucoup plus rares. Les œuvres
d’Andrew Motion, un poète contemporain
de renom, n’ont, par exemple, jamais été
traduites.
Quel pays est le mieux loti ? Le Royaume-Uni, avec seulement 2 % de traductions de littératures étrangères, ou la
Slovénie, où plus d’un tiers des ouvrages
publiés sont des traductions ? Aucun de
ces deux extrêmes n’est souhaitable. Les
lecteurs britanniques vivent dans un pays
où il est très difficile de trouver des œuvres traduites et de découvrir une culture
étrangère. Les Slovènes, quant à eux, lisent beaucoup d’auteurs étrangers, mais
leurs propres écrivains sont traduits dans
peu de langues. En dépit des progrès réalisés, l’ignorance mutuelle semble devoir
persister pour de nombreuses années. On
peut donc conclure en disant que le besoin de traduction littéraire est plus fort
que jamais et que, dans certains cas, il
s’agit d’un besoin pressant.
PEN Clubs ayant participé à l’enquête :
PEN CLUB AUSTRALIEN : Barbara McGilvray
(présidente du groupe chargé de répondre
au questionnaire, PEN Club de Sydney) ; Ivor
Indyk, Nicholas Jose, Andrew Riemer, Chip
Rolley et Julie Rose (PEN Club de Sydney) ;
Judith Rodriguez (PEN Club de Melbourne)
PEN CLUB LITHUANIEN : Laimantas Jonusys
PEN CLUB MACÉDONIEN : Kata Kulavkova,
présidente du Comité de la traduction et des
droits linguistiques, PEN Club International
PEN CLUB NÉO-ZÉLANDAIS : John C. Ross,
président
PEN CLUB BOSNIAQUE : Ferida D
- u­raković
PEN CLUB ANGLAIS : Amanda Hopkinson,
directrice du British Center for Literary
Translation, Université de East Anglia (UEA)
PEN CLUB PHILIPPIN : Isagani Cruz, secrétaire
national
PEN CLUB DE San Miguel de Allende
(MexiQUE) : Lucina Kathmann, secrétaire
PEN CLUB FLAMAND : Isabelle Rossaert
PEN CLUB HONGROIS : János Benyhe,
secrétaire général
PEN CLUB JAPONAIS
PEN CLUB
secrétaire
SLOVÈNE : Andrej Blatnik,
48 49
Questionnaire
Voici le questionnaire qui a été soumis aux PEN Clubs :
1. Dans quelle mesure les écrivains de votre langue sont-ils traduits vers d’autres
langues ?
2. Vers quelles langues sont-ils traduits ?
3. Quelle part des œuvres publiées dans votre pays chaque année sont des traductions
littéraires d’ouvrages étrangers ?
4. Comment se porte le secteur de l’édition dans votre pays ? Quelle y est l’importance
du marché des ouvrages traduits ?
5. Quelles évolutions le secteur de la traduction a-t-il connues dans votre pays, et quel
est son statut à l’heure actuelle ? Le nombre de traductions depuis et vers votre
langue a-t-il tendance à augmenter ou à décroître ?
6. Les ouvrages traduits bénéficient-ils d’une meilleure ou d’une moins bonne
réputation que les ouvrages dont la langue originale est celle de votre pays ?
7. Les traducteurs sont-ils reconnus dans votre pays ? La traduction littéraire y
est-elle considérée comme un art ou comme un exercice mécanique ?
8. Quel est le niveau de rémunération d’un traducteur littéraire dans votre pays ?
9. À quels critères de rémunération les traducteurs de votre pays sont-ils soumis ?
Par exemple, les coefficients divergent-ils selon qu’il s’agit d’une traduction entre deux langues parlées dans votre pays ou d’une traduction vers/depuis une langue considérée comme dominante ?
10. Votre gouvernement encourage-t-il la traduction littéraire, aussi bien vers que
depuis votre langue nationale ?
11. Existe-t-il une organisation indépendante, telle qu’une fondation, par exemple,
qui œuvre à promouvoir la traduction de votre ou vos littératures nationales ?
Traduction littéraire : panorama international
12. D’après vous, le contexte international influence-t-il de manière favorable ou
de manière défavorable l’accueil réservé à vos écrivains ?
13. Dans quelle mesure la traduction vers l’anglais des œuvres de vos écrivains
peut-elle influencer le déroulement de leur carrière ? Quelle proportion est
effectivement traduite vers l’anglais ?
14. Veuillez citer des ouvrages de la littérature de votre pays – aussi bien des œuvres classiques que des œuvres contemporaines – qui n’ont pas été traduits vers d’autres langues autant qu’ils le mériteraient selon vous.
15. Veuillez indiquer des exemples de bonnes pratiques ayant trait à la circulation de
la littérature en version traduite, que ce soit vers ou depuis votre langue.
16. Existe-t-il dans votre pays un système de prix ou de récompenses visant à
encourager le travail des traducteurs littéraires ?
17. La publication bilatérale/multilatérale d’ouvrages traduits à échelle internationale
suscite-elle de l’intérêt dans votre pays ?
18. Existe-t-il dans votre pays un système visant à encourager la traduction réciproque avec d’autres pays ?
19. Le secteur de l’édition de votre pays soutient-il la traduction, par exemple par le biais de librairies spécialisées dans la littérature étrangère ou par l’allocation de
moyens pour la promotion de la traduction dans les médias et de la critique
d’ouvrages traduits ?
20. Combien de membres de votre PEN Club sont traducteurs ?
3. Six études de cas sur la traduction
littéraire
Ce chapitre décrit et analyse les pratiques en
vigueur en matière de traduction littéraire
dans six pays (Pays-Bas, Argentine, Catalogne,
Allemagne, Chine et France). Il s’agit de cinq
États et d’une nation sans État, la Catalogne,
dont le cas est similaire à celui de la Flandre
dans le questionnaire des PEN Clubs.
3.1 Les Pays-Bas
Bas Pauw, Fondation pour la production et
la traduction de la littérature néerlandaise,
Amsterdam
La traduction de la littérature
néerlandaise dans d’autres langues
Malgré les importants efforts réalisés ces
quinze dernières années pour rétablir la
situation, et bien que la situation soit très
différente dans un grand nombre de pays,
les auteurs néerlandais restent en général
relativement invisibles dans la République
internationale des lettres. Néanmoins,
on peut et doit faire une exception pour
quelques auteurs (Cees Nooteboom, Harry
Mulisch, Arnon Grunberg sont des auteurs
relativement connus à l’échelle internationale) et pour un pays comme l’Allemagne,
où la littérature néerlandaise a été importée avec beaucoup de succès, en particulier depuis la Foire du livre de Francfort de
1993, qui mettait à l’honneur la littérature
néerlandaise, et depuis la création en 1991
de la Fondation pour la production et la
traduction de la littérature néerlandaise,
active dans la promotion de la littérature
néerlandaise à l’étranger.
Même si la littérature néerlandaise fait
relativement profil bas dans le monde, le
spectre des langues de traduction est assez
large. Il est difficile de trouver une des principales langues du monde dans laquelle
une œuvre en néerlandais ne soit pas traduite. Le Journal d’Anne Frank est sans doute
52 53
l’un des livres les plus largement traduits
au monde. Les philosophes hollandais
Érasme et Spinoza sont également connus
dans le monde entier, mais ils écrivaient en
latin et non en néerlandais.
La traduction d’œuvres étrangères en
néerlandais
Il est difficile de connaître exactement
le pourcentage de traductions littéraires
d’autres langues vers le néerlandais parmi les livres publiés chaque année dans
le pays. Il n’existe pas de chiffres récents
exacts en ce domaine. Les derniers chiffres
fiables et détaillés datent de l’année 1996.
Cette année-là, 651 œuvres de fiction en
néerlandais ont été publiées : romans,
nouvelles et courts romans. La même année, 774 œuvres de fiction traduites ont été
publiées par des éditeurs néerlandais. Les
romans policiers et les romans à suspense ne sont pas compris dans ces chiffres.
Ces chiffres proviennent de la Stichting
Speurwerk betreffende het boek (Fondation pour la recherche sur les livres), basée à Amsterdam (www.speurwerk.nl). On
peut en déduire un pourcentage de 45 %
de traductions sur le total des œuvres de
fiction publiées en néerlandais.
Les œuvres traduites peuvent avoir un
peu plus de prestige que les œuvres écrites
en néerlandais en version originale. Cela
peut s’expliquer par le fait que la traduction de littérature étrangère fait office de
filtre : seules les meilleures œuvres parviennent sur le marché néerlandais sous
forme de traductions. Néanmoins, ces
dernières années, les Néerlandais semblent prendre conscience que leur littéra-
ture n’est pas forcément de moins bonne
qualité que les « grandes » littératures internationales avoisinantes (française, allemande, anglaise ou américaine).
La traduction littéraire n’est considérée
ni comme un art ni comme une tâche, mais
plutôt comme une compétence fortement
valorisée et comme une profession. La plupart des traducteurs littéraires aux PaysBas peuvent vivre de leur travail, même si
leurs revenus ne sont pas démesurés, alors
que, dans d’autres pays, une grande partie
des traducteurs littéraires est obligée de
cumuler cette activité avec d’autres emplois. Le travail réalisé par le traducteur littéraire n’est pas toujours mentionné dans
les critiques d’œuvres traduites, sauf dans
une perspective négative.
Nos principaux écrivains produisent
très peu de traductions littéraires eux-mêmes, comme c’était le cas dans les années
1960 et 1970. Mais certains de nos célèbres
poètes réalisent également des traductions de poésie.
Le soutien financier à la traduction
Le soutien financier à la traduction de la
littérature néerlandaise provient de la Fondation pour la production et la traduction
de la littérature néerlandaise, mentionnée
plus haut, qui est basée à Amsterdam et financée par le ministère de la Culture et de
l’Éducation.
La Fondation joue un rôle actif dans la
promotion de la littérature néerlandaise
à l’étranger et offre un soutien financier
aux éditeurs étrangers souhaitant publier
une œuvre de littérature néerlandaise.
Ce soutien financier s’applique aux œu-
Six études de cas sur la traduction littéraire
vres de fiction, aux autres ouvrages de
qualité, à la poésie et à la littérature pour
enfants. Sous réserve que certaines conditions soient remplies, la Fondation peut
subventionner jusqu’à 70 % des coûts de
traduction. Ces conditions portent sur la
qualité de l’œuvre littéraire en question,
sur la qualité du traducteur et sur la qualité et l’importance de la maison d’édition. Cette politique de traduction est le
principal organe de notre programme de
financement. Elle s’accompagne de quelques autres « outils » que nous utilisons en
lien étroit avec cet objectif :
– présence lors de toutes les grandes
foires du livre (Francfort, Londres, Bologne), un excellent réseau regroupant
tous les éditeurs de littérature du monde entier, et un ferme engagement à
maintenir et étendre ce réseau ;
– programme Auteurs, qui soutient les
auteurs néerlandais publiés à l’étranger (festivals littéraires, stages et tournées de promotion) ;
– programme Visiteurs, dans le cadre
duquel huit à dix éditeurs sont invités
chaque année à venir passer quelques
jours à Amsterdam pour rencontrer les
éditeurs littéraires néerlandais ;
– organisation de manifestations littéraires à l’étranger, afin d’améliorer la
visibilité et le profil international des
auteurs néerlandais ;
– publications en anglais présentant les
nouveaux titres de littérature néerlandaise : Books from Holland and Flanders,
Quality Non-fiction from Holland et Children’s Books from Holland, qui sont publiés deux fois par an ;
– site Internet bien conçu, informatif et
mis à jour régulièrement, permettant
d’accéder à toutes sortes de renseignements sur la littérature néerlandaise et
de consulter une importante base de
données répertoriant toutes les traductions de littérature néerlandaise ;
– Maison des traducteurs, gérée par la
Fondation, où cinq traducteurs de littérature néerlandaise peuvent vivre et
travailler pendant une période d’un ou
deux mois à l’invitation de la Fondation,
et qui organise aussi régulièrement des
ateliers pour les traducteurs littéraires,
consacrés à une langue cible spécifique
et animés par un traducteur chevronné,
dans le but de partager des expériences
et de promouvoir le contact entre les
traducteurs.
Vous pouvez consulter le site www.nlpvf.nl pour en savoir plus sur cette politique et sur les activités de la Fondation.
En ce qui concerne l’aide à la traduction vers le néerlandais, il n’existe pas de
soutien aux éditeurs néerlandais souhaitant publier une œuvre contemporaine
de littérature étrangère (à moins qu’ils ne
fassent appel à des institutions similaires
à l’étranger, telles que le Goethe Institut/
Inter Nationes, le Svenska Institutet, etc.).
En revanche, il existe une aide pour les
traducteurs traduisant une œuvre littéraire vers le néerlandais : ils peuvent postuler pour obtenir des bourses de traduction ou des bourses de voyage. Les bourses
de traduction s’élèvent en moyenne à
2 500 euros pour 30 000 mots, en fonction de la qualité de la traduction et de la
qualité de l’œuvre originale. Ces bourses
54 55
servent à compléter la somme payée par
l’éditeur au traducteur, qui est basée sur
un tarif fixe de 0,059 euros par mot. Ces
subventions de traduction proviennent
de la Fondation pour la littérature néerlandaise, une autre fondation qui fournit
également des bourses aux auteurs. Pour
en savoir plus, consultez le site Internet
www.fondsvoordeletteren.nl.
Acceptation des auteurs néerlandais à
l’étranger
La prédominance de la littérature anglosaxonne sur le marché international du livre est un fait avéré et ne semble pas cesser
de croître. Pour le marché néerlandais, cela
signifie que les éditeurs ont plus tendance à
publier un énième représentant de la chicklit anglaise qu’un chef-d’œuvre de la littérature allemande. Ce mécanisme est certainement aussi visible dans d’autres pays, ce qui
diminue les chances de la littérature néerlandaise d’être traduite à l’étranger.
Cependant, nous avons l’impression
que l’intérêt pour la littérature néerlandaise à l’étranger continue à croître – sans
doute en partie grâce aux efforts réalisés
ces douze dernières années. Les principaux
éditeurs de pays tels que la France, l’Allemagne, l’Italie et les pays scandinaves sont
fiers de publier des auteurs néerlandais –
et de publier non pas un seul roman, mais
leurs œuvres complètes. Les pays d’Europe
de l’Est semblent résister de plus en plus à
la domination de l’anglais en traduction
littéraire, et certains éditeurs se montrent
plus enclins à faire traduire des œuvres issues de littératures européennes de moindre importance. De même, de nouveaux
marchés, plus excitants, tels que la Chine
et, dans une moindre mesure, l’Inde, font
preuve d’un fort intérêt pour l’ensemble
de la littérature étrangère, y compris la littérature néerlandaise.
On peut avancer sans se tromper que,
dans le climat international actuel, il est
presque impossible, pour un auteur littéraire écrivant dans une langue à faible
rayonnement, de trouver un lectorat international par ses propres moyens – sans
un puissant agent littéraire ou sans une
institution lui apportant un soutien financier et un certain contexte et attirant
l’attention du reste du monde sur le livre
ou son auteur dès le départ.
L’importance de la traduction vers
l’anglais
Avec 16 millions de néerlandophones aux
Pays-Bas et 6 millions en Flandre (la partie
néerlandophone de la Belgique), le néerlandais représente en réalité l’une des plus
grandes régions linguistiques d’Europe.
Néanmoins, une traduction en allemand
d’un roman néerlandais permet presque
de multiplier par cinq le lectorat potentiel
de son auteur – et cela est d’autant plus valable pour une traduction en anglais. Une
traduction en anglais d’un roman néerlandais peut être repérée par d’autres éditeurs internationaux et sert ainsi de relais
vers de futures traductions.
Outre cela, une traduction anglaise a
bien entendu plus de prestige qu’une traduction en lituanien, avec tout le respect
que nous devons à cette langue. Elle ouvre
les portes de la « République internationale des lettres » à son auteur. Il lui devient
Six études de cas sur la traduction littéraire
ainsi possible de faire l’objet d’une critique ou d’être cité dans l’une des revues
par lesquelles la République des lettres
communique : le Times Literary Supplement, le New York Times Review of Books, le
New Yorker etc.
Un nombre non négligeable de livres
en néerlandais ont été traduits au Royaume-Uni et aux États-Unis ces dernières
années : des œuvres, entre autres, de Tim
Krabbé, Arthur Japin, P. F. Thomése, Peter
Verhelst, Renate Dorrestein. De même, les
ouvrages non fictionnels de qualité ont
également rencontré un grand succès
ces dernières années. Mais rares sont les
auteurs contemporains importants écrivant en néerlandais qui ont trouvé une
« maison », au sens d’un éditeur anglais
ou américain prêt à publier leur œuvre
et leur futur travail, à la seule exception
de Cees Nooteboom, Harry Mulisch, Hugo
Claus et Margriet de Moor.
Les œuvres littéraires en néerlandais
en attente de traduction
Comme nous l’avons mentionné plus haut,
les œuvres de fiction néerlandaises sont relativement bien traduites dans les autres langues. Mais certains romans classiques néerlandais du xxe siècle seraient certainement
aussi devenus des classiques de la littérature
mondiale s’ils avaient été écrits en anglais.
Max Havelaar, écrit à la fin du xixe siècle
par Multatuli, est le grand classique de la
littérature néerlandaise par excellence.
Ce roman, qui se déroule en Indonésie,
ancienne colonie des Pays-Bas, est une féroce mise en accusation de la politique
coloniale néerlandaise. Il s’agit également
d’un roman extrêmement moderne, qui
a changé la forme du roman néerlandais
de façon drastique. Malgré sa publication
dans la collection Penguin Classics, cette
œuvre n’a jamais reçu la reconnaissance
internationale qu’elle mérite.
Les œuvres des célèbres romanciers
néerlandais Louis Couperus (1863-1923) et
Simon Vestdijk (1898-1971) ont été très peu
traduites dans d’autres langues, et seulement par de petites maisons d’édition.
La littérature néerlandaise d’aprèsguerre est dominée par les « trois grands »,
Willem Frederik Hermans, Gerard Reve et
Harry Mulisch, auxquels viennent souvent
s’ajouter Cees Nooteboom, Jan Wolkers
et Hella Haasse. Parmi ces auteurs, Nooteboom, Mulisch, Wolkers et Haasse ont
été plutôt bien traduits. En revanche, les
œuvres de Hermans et de Reve ont à peine
été traduites, si ce n’est pas du tout. Il ne
fait pourtant aucun doute que leur œuvre compte parmi la meilleure littérature
écrite au xxe siècle. Ce n’est qu’aujourd’hui,
dix ans après sa mort, que les traductions
allemande et anglaise de l’œuvre de Hermans sont publiées et rencontrent un
succès raisonnable. La prose exquise de
Gerard Reve (souvent considérée comme
« intraduisible »), qui compte de nombreux adeptes aux Pays-Bas et en Flandre,
reste malheureusement un joyau caché
aux yeux du reste du monde.
La négligence dont souffre la poésie
néerlandaise est sans doute encore plus
poignante. J. M. Coetzee a récemment
traduit et préfacé un volume de poésie
néerlandaise, Landscape With Rowers (Princeton University Press, 2003), contenant
56 57
des textes de célèbres poètes néerlandais
d’après-guerre, tels que Gerrit Achterberg,
Hans Faverey et Rutger Kopland.
Mais l’œuvre des poètes d’avant-guerre
Martinus Nijhoff (1894-1953) et J. H. Leopold (1865-1925) reste à découvrir par les
lecteurs de poésie du monde entier. Joseph
Brodsky, qui a découvert l’œuvre de Martinus Nijhoff grâce à un ami proche néerlandais, a été très impressionné et a inclus,
dans son cours sur la poésie internationale
à lire absolument, l’un des plus longs poèmes de Nijhoff, le superbe Awater.
Il est un peu plus rassurant que Leopold
soit à peine traduit, étant donné que sa
poésie semble impossible à traduire – à tel
point que le principe un peu exagéré de Robert Frost selon lequel « la poésie est ce qui
se perd dans la traduction » semble soudain
vrai. En effet, la poésie de Leopold joue presque exclusivement avec les possibilités et les
limites de la langue néerlandaise, un peu de
la même façon que James Joyce le fit avec la
langue anglaise dans Finnegan’s Wake.
3.2 L’Argentine
Gabriela Adamo, éditrice et directrice de
la Foire du livre de Buenos Aires « Publisher’s
Week », Fondation Typa, Buenos Aires
Édition et traduction
L’édition à Buenos Aires, comme à Mexico,
a eu son âge d’or entre la fin des années
1940 et le début des années 1960. En effet,
la dictature de Franco a obligé les meilleurs
éditeurs espagnols à chercher refuge de
l’autre côté de l’Atlantique, où ils ont créé
des maisons d’édition et commencé à in-
troduire dans le pays les plus éminents
écrivains en langue espagnole ainsi que les
principaux auteurs d’Europe et des ÉtatsUnis. Faulkner, Baudelaire, Malraux, Virginia Woolf, Genet, Greene, Henry James et
bien d’autres ont été traduits en Amérique
latine avant d’être traduits en Espagne1.
Ce phénomène serait impensable
aujourd’hui. Les dictatures militaires et
les crises économiques qui ont dévasté
l’Amérique latine pendant des décennies
ont finalement causé la ruine des éditeurs
locaux, tandis que la reconstruction de
l’Espagne et son adhésion à la Communauté économique européenne comme
membre à part entière en ont fait un
nouveau chef de file – du moins en termes commerciaux – dans le monde du
livre en espagnol. Dans le domaine de la
traduction, la concurrence est très inégale
étant donné que les sociétés espagnoles
bénéficient non seulement de moyens
plus importants (les devises dévaluées de
plusieurs pays d’Amérique latine doivent
affronter l’euro dans les enchères pour les
droits de traduction), mais aussi d’une position géographique et « psychologique »
plus proche de leurs homologues anglais,
français et allemands.
Ces conditions sont également valables
en sens inverse. En effet, lorsqu’ils évaluent quels livres écrits à l’origine en espagnol pourraient être traduits, la plupart
des grands éditeurs mondiaux se tournent
vers les catalogues et les critiques d’Espagne. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que
les auteurs latino-américains cherchent
désespérément à faire publier leurs œuvres en Espagne, pays qu’ils considèrent
Six études de cas sur la traduction littéraire
comme la seule véritable porte d’entrée
vers le monde littéraire international.
Sans la moindre considération pour
son niveau de culture, un grand nombre
de personnalités du milieu international
de l’édition ne voient en l’Amérique latine qu’une grande arrière-cour de l’Espagne. Il n’y a pas lieu ici de retourner la
question dans tous les sens et d’évaluer le
degré de responsabilité de chaque partie
dans la création de cette situation. Il ne
fait aucun doute que les faibles normes
professionnelles qui ont été à l’ordre du
jour pendant plusieurs années dans les
maisons d’édition d’Amérique latine et,
en particulier, l’indifférence des gouvernements de ces pays à l’égard des affaires
culturelles sont pour beaucoup dans la
transformation drastique qu’a subie l’âge
d’or évoqué plus haut.
Cependant, il convient peut-être d’affirmer ici que tout n’est pas perdu. La littérature et le monde de l’édition en Argentine
font toujours preuve d’une grande vitalité,
et ceci aussi bien en termes de qualité que
de degré de sensibilité. Certes, beaucoup
de travail et de soutien à des projets intelligents pensés sur le long terme reste nécessaire, mais il est toujours temps pour
que de telles mesures d’encouragement
portent leurs fruits.
Le marché argentin de l’édition se
compose de quelques grosses maisons
d’édition transnationales et d’un nombre
croissant d’entreprises indépendantes qui
ont des perspectives d’avenir variables. Il
reste également quelques sociétés de taille
moyenne qui, comme cela a déjà été le cas
en Europe et aux États-Unis, sont destinées
à être absorbées, tôt ou tard, par l’un des
« gros poissons ».
Les « gros poissons » dominent le marché ; c’est pourquoi leurs politiques commerciales ont une énorme influence sur
l’offre actuelle. Jusqu’en 2001, avant la dévaluation, il était très facile pour eux d’importer des livres venus d’Espagne. Pour cette raison, l’offre était abondante et variée (même
si, bien sûr, les librairies étaient inondées
d’invendus de toutes sortes impossibles à
écouler dans les grandes villes). Après la dévaluation, et donc avec l’apparition de nouveaux taux de change, ces livres sont devenus extrêmement chers et les importations
ont immédiatement cessé. Cela a débouché
sur un protectionnisme « naturel » permettant une présence accrue de petits éditeurs
(auxquels il était auparavant pratiquement
impossible de se faire une place pour présenter leurs livres) et obligeant les « gros
poissons » à se concentrer davantage sur la
production littéraire locale (en signant des
contrats avec plus d’auteurs, de traducteurs,
de relecteurs, etc.).
Dans ce contexte, acquérir des droits
de traduction et traduire en Argentine
est redevenu une option attractive, comme le montrent les statistiques. Sur les
16 638 titres publiés en 2004, 2 318 étaient
des traductions, ce qui représente environ
14 % du total. La langue la plus traduite
est bien évidemment l’anglais (avec 1 139
titres), suivi loin derrière par le français
(331), l’allemand (207) et le japonais (147).
Il est étonnant que le japonais soit devant
l’italien (avec seulement 116 titres) si l’on
se souvient du lien culturel étroit qui a
toujours existé entre l’Argentine et l’Italie.
58 59
Néanmoins, en règle générale, il s’agit
d’un domaine riche et varié étant donné
que la longue liste des langues traduites
comprend le danois, l’hindi, le basque,
l’hébreu, le tchèque et même le chinois2.
Les traducteurs, entre prestige et
invisibilité
Le lectorat argentin ne fait pas la moue
devant les traductions. Au contraire, il
a toujours admiré et s’est toujours senti
proche de la littérature étrangère, en particulier de la littérature européenne. En
effet, comme l’a fait remarquer l’écrivain
et traducteur Marcelo Cohen, « le fait que
certains auteurs internationaux de premier rang réalisent de meilleures ventes
en Argentine qu’en Espagne (Ian McEwan
et Bernhard Schlink, par exemple) montre que la tradition d’indépendance des
lecteurs argentins à l’égard des diktats internationaux est toujours bien vivante ».
On peut imaginer que ce phénomène est
étroitement lié au fait que la population
argentine est en grande partie composée
d’immigrants qui ont gardé le contact
avec leur langue d’origine pendant plusieurs générations au lieu de se fondre à
la hâte dans un melting pot à l’américaine.
En Argentine, les différents groupes de population chérissent leurs traditions et entretiennent leurs coutumes depuis longtemps, en formant des clubs, des écoles et
même leurs propres hôpitaux, favorisant
ainsi le respect et la curiosité pour ce qui
est pensé et écrit dans leur pays d’origine.
Grâce à ces lecteurs qui, du fait de leur
situation familiale, ont pris en grandissant
l’habitude de lire dans deux langues – ou,
tout au moins de les entendre dans leur
environnement quotidien –, le pays a vu
apparaître nombre de bons traducteurs.
L’Argentine a une liste considérable
d’auteurs qui, à un certain moment de
leur carrière, ont également fait de la traduction. Jorge Luis Borges est sans conteste
le plus célèbre d’entre eux. C’est notamment à lui que nous devons de pouvoir lire
Les Palmiers sauvages de Faulkner et La Métamorphose de Kafka en castillan. José Bianco,
Victoria Ocampo et María Rosa Oliver appartiennent à la même génération. Cette
tradition est toujours vivante aujourd’hui,
avec des auteurs comme César Aira, Marcelo Cohen et Esther Cross, entre autres. L’importance d’avoir des traducteurs qui sont
en même temps des références majeures
dans le domaine culturel – et qui suscitent
par conséquent un intérêt pour les auteurs
qu’ils traduisent – est très bien décrite dans
l’ouvrage La Constelación del Sur de Patricia
Willson. Il existe également une relation
forte entre la traduction, la critique littéraire et les milieux universitaires. Presque
tous les traducteurs actuels d’œuvres littéraires ou d’essais sont hautement qualifiés et passent une bonne partie de leur
temps à l’université ou plongés dans leurs
propres recherches. Il est évident que personne ne considère la traduction comme
une activité mécanique.
Dans ces conditions, il peut sembler logique de penser que les traducteurs occupent une position privilégiée dans le milieu
culturel argentin. Or, c’est loin d’être le
cas. Les traducteurs remplissent ici leur mission à la lettre : se rendre invisibles, ne pas
exister et ne pas réclamer. Ils sont à peine
Six études de cas sur la traduction littéraire
cités dans les remerciements (et jamais en
couverture), et rares sont les notes bibliographiques qui mentionnent leur nom. Les
critiques n’incluent pas non plus dans leurs
textes la moindre évaluation ou observation
sur la qualité de la traduction3.
La situation est encore plus grave en
ce qui concerne les conditions de travail. En général, les traducteurs sont très
mal payés, ils ne signent pas de contrats
avec leur éditeur ou, s’ils le font, ils doivent accepter des conditions très contraignantes, notamment la cession des droits
d’auteur. Cela signifie que l’éditeur peut
réimprimer la traduction autant de fois
qu’il l’estime nécessaire ou la vendre pour
une utilisation dans d’autres pays ou sous
d’autres formats, sans que le traducteur
ne reçoive le moindre centime.
Il n’existe pas en Argentine de syndicat
ou d’association de traducteurs susceptible de lutter pour ces droits. Les espoirs
sont donc bien minces quant à une évolution de la situation dans un avenir proche. Selon Marcelo Cohen, les traducteurs
« ont toujours été assez mal traités ». La
situation a empiré dans les années 1980
et 1990, lorsque « les mauvais traitements
et la négligence sont devenus monnaie
courante sous le prétexte de problèmes
économiques, avec la complicité des journalistes et des critiques de livres, qui fermaient les yeux sur l’importance réelle,
matérielle de la traduction ».
Le manque de soutien de la part
de l’État
À cela vient s’ajouter l’absence quasi-totale de soutien aux activités d’édition de
la part de l’État, qui se limite à accorder de
rares subventions réservées aux auteurs
et aux éditeurs, sans la moindre considération pour les traducteurs. Il n’existe
pas non plus de prix ou de concours, de
quelque sorte que ce soit, susceptible de
représenter une forme d’encouragement,
ne serait-ce que « moral ». Certains ont
avancé à titre d’explication que la traduction implique un long processus, alors
que les politiques publiques locales et les
stratégies de marketing ont pour objectif d’avoir un fort impact en le moins de
temps possible. Cette explication n’a évidemment rien à voir avec une évaluation
véritablement culturelle.
Ce manque de soutien est confirmé par
le peu d’efforts réalisés pour faire connaître
les auteurs argentins à l’extérieur du pays.
Tout d’abord, il n’existe pas de statistiques
sur le nombre de livres d’écrivains argentins traduits dans d’autres langues. Seules
quelques listes incomplètes produites par
des personnes ou des institutions concernées sont disponibles, et elles se limitent
toujours à des contacts plus ou moins
directs. Apparemment, sur les quelques
œuvres argentines qui ont été traduites, la
majorité ont été publiées en français et en
portugais (au Brésil) puis, peut-être, en allemand ou en italien. L’impression générale
qui se dégage est qu’il est très difficile pour
un livre argentin de percer sur le marché
anglophone, même si tout le monde s’accorde bien sûr à dire que c’est le but ultime, puisque toutes les portes s’ouvriraient
alors pour les autres langues.
Pour un auteur, quel qu’il soit, la traduction de son œuvre est extrêmement
60 61
importante. Elle lui permet notamment
de se faire connaître à l’extérieur du pays,
lui rapporte des revenus supplémentaires, lui confère un certain prestige et une
confiance pour continuer à écrire et à se
faire publier, et lui permet de voyager et
d’avoir des contacts en dehors du pays.
Si tout ceci est essentiel pour tous les
auteurs, cela l’est encore plus pour ceux
qui travaillent dans un pays « périphérique » comme l’est l’Argentine.
Pour illustrer les difficultés à réaliser
ces traductions, il suffit de constater que
les maisons d’édition latino-américaines
n’ont pas de départements de droits étrangers. En d’autres termes, personne n’est
responsable en permanence de la promotion internationale dans les maisons d’édition. Il n’existe pas non plus d’agents littéraires vraiment influents dans la région.
Les principaux agents se trouvent en Espagne. En général, cela s’explique par le coût
astronomique des frais liés à ce travail par
rapport aux résultats minimes obtenus. Il
est possible qu’une « question culturelle »
soit également en jeu ici, parce que nous
n’avons pas coutume de faire la promotion de nos produits sérieusement et sur
une longue période. Il est inutile de préciser qu’il n’existe pas en Argentine d’activité
systématique, gérée par l’État, de promotion internationale, comparable avec les
programmes mis en place au Brésil et au
Mexique (subventions de traduction, bourses de voyage pour les auteurs, etc.).
Nouvelles initiatives
J’aimerais mentionner deux exceptions,
sous la forme de nouvelles initiatives appa-
rues ces dernières années, qui nous donnent
des raisons d’être un peu plus optimistes :
1) Le travail d’un groupe de maisons
d’édition qui ont créé un bureau commun de droits étrangers appelé Letras
Argentinas. Ces éditeurs ont publié leur
premier catalogue à l’intention des éditeurs d’autres pays, ont participé à la
Foire du livre de Francfort et sont en
train de mettre en place d’autres stratégies promotionnelles.
2) Le programme « Semana de Editores »
(Semaine des éditeurs), qui est organisé
par la Fondation TyPA. Depuis quatre
ans, cette fondation invite chaque année
dix éditeurs étrangers à Buenos Aires
afin de leur faire connaître de première
main la vie littéraire en Argentine, dans
l’espoir que, de retour dans leur pays, ils
feraient activement la promotion de la
traduction des œuvres argentines.
Ces deux initiatives sont des paris à long
terme, semés de difficultés, mais il ne fait
aucun doute que les activités spécifiques
de ce genre sont les seuls moyens vraiment efficaces de faire connaître la littérature d’un pays au reste du monde. Nous
nous efforçons d’atteindre cet objectif,
dans l’espoir de voir bientôt plus de traductions des auteurs argentins classiques
du xxe siècle – Roberto Arlt, Rodolfo Walsh,
Leopoldo Marechal, Silvina Ocampo, Antonio Di Benedetto, Juan José Saer, pour
n’en citer que quelques-uns – et des écrivains qui sont aujourd’hui à l’apogée de
leur production – Marcelo Cohen, Rodolfo
Six études de cas sur la traduction littéraire
Fogwill, Abelardo Castillo, Hebe Uhart,
Eduardo Belgrano Rawson, entre autres.
Quant aux jeunes auteurs, il y a parmi
eux de nombreux talents prometteurs.
La meilleure façon de s’en convaincre est
d’aller flâner dans les librairies toujours
bien fournies de Buenos Aires.
3.3 La Catalogne
Carme Arenas et Simona Škrabec, traductrices et membres du PEN Club catalan
La Catalogne dispose de son propre gouvernement autonome au sein de l’État
espagnol. La langue de ce territoire comptant près de sept millions d’habitants jouit
désormais d’un statut officiel. Le catalan,
une langue romane qui joua un grand rôle
dans la construction de l’imaginaire européen, cohabite donc aujourd’hui dans un
système bilingue avec la langue officielle de
l’Espagne, le castillan4. Malgré la population
réduite de la Catalogne, le catalan est la langue minoritaire la plus parlée en Europe,
avec plus de douze millions de catalanophones potentiels si l’on compte la population
de la région de Valence et celle des îles Baléares (en Espagne), la population de la Catalogne du Nord (dans les Pyrénées-Orientales,
en France), celle d’Alghero (en Sardaigne) et
celle de l’Andorre (pays indépendant ayant
le catalan comme seule langue officielle).
Les habitants de la Catalogne connaissent les deux langues, en particulier depuis
le nouveau statut officiel du catalan, mis en
place dans les écoles ces dernières années,
grâce auquel tous les plus jeunes habitants
du pays possèdent des compétences lin-
guistiques à l’oral et à l’écrit dans cette langue. Cela signifie également que les deux
langues s’influencent entre elles. Cependant, le fait que la langue officielle de l’État
espagnol soit le castillan (appelé aussi « espagnol ») assure à cette dernière langue une
énorme influence dans tous les domaines.
Il est significatif, au regard de la situation du livre en catalan, que le secteur de
l’édition, aussi bien en catalan qu’en espagnol, soit traditionnellement concentré en
Catalogne, et plus particulièrement à Barcelone. Barcelone est la capitale de l’édition
en espagnol, tout en étant, bien entendu,
également celle de l’édition en catalan.
La traduction de la littérature
catalane en espagnol
Il n’y a donc rien de surprenant à ce qu’une
grande partie des ouvrages en catalan finissent par être traduits en espagnol. Selon
l’Index Translationum, sur le total des traductions à partir du catalan, 91 % sont faites
vers l’espagnol. Selon les dossiers de TRAC5,
un peu plus de 200 titres de tous les genres
ont été traduits du catalan à l’espagnol entre 1998 et 2003. Il y a plus d’œuvres littéraires traduites vers l’espagnol que vers toutes
les autres langues réunies. La majorité – de
loin – des œuvres de prose traduites en espagnol sont publiées en Catalogne.
Cependant, seule une partie du canon
littéraire catalan est représentée dans les
traductions vers l’espagnol. En effet, les traductions d’auteurs classiques sont très rares, tandis que les classiques modernes ne
représentent que 23 % des traductions vers
l’espagnol. Par conséquent, la plus grande
partie des traductions vers l’espagnol por-
62 63
tent sur des œuvres d’écrivains vivants (77 %).
Dans de nombreux cas, il s’agit d’auteurs de
livres pour enfants, de romanciers ou de
personnalités très médiatisées. Mais il existe
également des auteurs qui s’engagent simultanément dans les deux littératures et
qui publient généralement leurs nouveaux
livres en catalan et en espagnol. En outre,
dans les années 1990, certains éditeurs qui
ne publiaient auparavant qu’en catalan ont
commencé à faire paraître simultanément
des versions en catalan et en espagnol des
œuvres de leurs auteurs.
Seuls quelques écrivains catalans contemporains, parmi ceux qui sont les plus traduits
en espagnol, ont également une présence
internationale, comme Mercè Rodoreda. En
effet, apparaître sur la scène littéraire espagnole n’est pas une garantie de renommée
internationale. L’inverse n’est pas toujours
vrai non plus, puisqu’il arrive qu’une œuvre
catalane soit traduite dans d’autres langues
qui n’ont pas ou peu de résonance dans les
autres langues d’Espagne (comme c’est le
cas pour Baltasar Porcel et Jaume Cabré).
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, l’espagnol ne fonctionne pas comme un
tremplin pour l’introduction d’un livre sur
les marchés d’autres langues. La traduction
en espagnol ne garantit pas non plus qu’une
œuvre écrite à l’origine en catalan sera nécessairement acceptée comme appartenant
au système littéraire espagnol.
La traduction de la littérature
catalane dans d’autres langues
Entre 1998 et 2003, des livres écrits en catalan ont été traduits en vingt-quatre langues différentes. Si nous nous limitons
aux traductions d’œuvres de littérature
catalane qui sont répertoriées dans les archives de TRAC, il convient de remarquer
que l’anglais arrive de justesse en troisième place derrière le français et l’allemand.
De plus, parmi les traductions littéraires
récentes se trouve un nombre relativement important de livres en anglais, bien
qu’ils aient été publiés en Catalogne. Le
but est d’utiliser l’anglais comme langue
relais, mais il n’y a aucune raison de croire
que les livres traduits en anglais ont suscité le moindre intérêt pour la littérature
catalane dans les autres langues, comme
le confirme l’exemple de la traduction de
Tirant lo Blanc en anglais. Bien que la traduction en anglais de ce roman de chevalerie classique ait mené à une traduction
indirecte en finnois, aucun autre écrivain
catalan n’a été traduit en Finlande. Toutes
les autres traductions de Tirant lo Blanc ont
été réalisées par des personnes connaissant bien la langue et la littérature catalanes, qui n’ont pas eu besoin de travailler à
partir d’une version relais dans une autre
langue. En revanche, les traductions françaises et allemandes d’œuvres littéraires
catalanes, publiées par d’importantes
maisons d’édition, ont donné un élan
considérable à la promotion de la littérature catalane dans les autres langues.
De nombreux traducteurs d’œuvres
écrites en catalan sont devenus des ambassadeurs de la littérature catalane dans
leurs propres pays. Grâce à leur travail en
tant que traducteurs ou en tant que professeurs d’université, ils ont contribué de
façon décisive au rayonnement de la littérature catalane dans d’autres pays. Ces
Six études de cas sur la traduction littéraire
traducteurs travaillent presque toujours
directement à partir du catalan, et leurs
traductions sont diffusées dans de plus en
plus de pays à mesure que de nouveaux
spécialistes découvrent le patrimoine littéraire catalan.
Une évolution des stratégies promotionnelles est cependant clairement visible en ce qui concerne les œuvres narratives. Les maisons d’édition, aussi bien
publiques que privées, lancent sur la scène internationale des œuvres littéraires
spécifiques, des romans ou, parfois, des
recueils de nouvelles, qui sont assez solides pour fonctionner sans connaître le
contexte culturel dans lequel elles ont été
créées. Dans ce cas, les œuvres littéraires
jouent véritablement un rôle d’ambassadeurs. Les romans de Mercè Rodoreda ont
été les premiers à offrir une nouvelle image, différente, de l’Espagne à de nombreux
lecteurs du monde entier, mais beaucoup
d’autres œuvres emblématiques ont suivi
le même chemin – notamment la description de la guerre civile par Jesús Moncada
dans Les Bateliers de l’Èbre, traduit en près
de quinze langues, ou les nouvelles de
Quim Monzó qui dénoncent la déshumanisation de la vie dans les grandes villes.
Dans le domaine de la littérature destinée à un public plus large, des stratégies
commerciales efficaces ont été mises en
œuvre, en particulier lorsque les éditeurs
étrangers acquièrent les droits de traduction pour une œuvre considérée comme
un best-seller dans les foires du livre ou
annoncée comme telle par les agents littéraires – comme dans le cas de La Peau
froide d’Albert Sánchez Piñol.
Au-delà de ces deux modèles d’exportation, nous avons également assisté ces dernières années à un exemple de promotion
à l’étranger basé sur l’exportation simultanée de sélections anthologiques dans un
certain nombre de langues, mais cette stratégie a apparemment eu peu d’effet. Les
canaux de distribution dont disposent ces
éditeurs sont trop limités pour susciter un
intérêt dans le grand public et, dans le cas
de la poésie, les anthologies peuvent même
constituer une barrière supplémentaire à
la réception globale du poète. Quoi qu’il
en soit, ces tentatives servent plus à prouver l’existence d’une culture qu’à faciliter
la découverte d’une littérature.
La littérature universelle sur la scène
catalane
Après la mort du dictateur Franco en 1975,
le nombre de titres publiés en catalan a progressivement augmenté, en même temps
que le nombre de maisons d’édition qui publiaient des œuvres dans cette langue. Dans
les années 1960, de rares éditeurs publiaient
des livres en catalan, tandis que tous les
autres ne publiaient qu’en espagnol. La transition vers la démocratie a progressivement
rétabli, non sans difficultés, une situation de
normalité dans laquelle on peut dire que le
catalan a consolidé sa niche sur le marché espagnol du livre.
En ce qui concerne le secteur de l’édition
en Catalogne, les livres en catalan représentent 27 % de l’ensemble des livres publiés,
15 % du nombre total d’exemplaires produits et 15 % du chiffre d’affaires total, selon l’Informe de comercio interior (Rapport
sur le commerce intérieur) de 2004 du Gre-
64 65
mi d’Editors de Catalunya, l’association des
éditeurs de Catalogne. L’un des principaux
facteurs expliquant la hausse du nombre
de livres publiés en catalan est l’introduction de cette langue dans le système scolaire, aussi bien comme matière à étudier
que comme langue d’enseignement. La
littérature représente environ 20 % de l’ensemble des publications en catalan, ce qui
est comparable à la situation de la plupart
des autres langues disposant d’un secteur
de l’édition consolidé.
Cependant, il est nécessaire d’avoir accès à des statistiques pour pouvoir évaluer
l’étendue de la présence de la littérature
universelle en catalan. Or, le catalogue de
TRAC fournit des chiffres relatifs aux œuvres catalanes traduites dans les autres
langues, mais il n’existe aucun projet visant à fournir un compte détaillé des traductions vers le catalan.
L’accueil des œuvres traduites en
Catalogne
En Espagne, les auteurs traduits sont très
bien accueillis par les lecteurs et ont un
grand prestige auprès des gens cultivés. À
cela vient s’ajouter le battage médiatique
qui accompagne la plupart des auteurs de
best-sellers dans le contexte actuel de la
mondialisation.
L’importance de l’héritage littéraire
d’autres cultures pour l’enrichissement
de leur propre culture est un sujet auquel
sont très sensibles les traducteurs et les
érudits, ainsi que les journaux quotidiens,
qui publient régulièrement des articles
sur les nouveaux livres étrangers qui font
leur entrée sur la scène littéraire.
Même si cela a permis d’élargir l’horizon vers de nombreuses langues, grâce
aux traducteurs qui n’ont pas besoin de
langue relais, certaines langues et cultures
restent absentes en traduction catalane. Si
les œuvres de fiction étrangère, ou même
de poésie, bénéficient d’une présence assez large en catalan, on ne peut pas en
dire autant des œuvres plus philosophiques ou des essais, que les lecteurs catalans continuent à lire en espagnol, faute
de les trouver en traduction catalane.
La traduction littéraire jouit d’un
grand prestige dans le monde des lettres
car, dans ce milieu, il est de notoriété publique que les auteurs étrangers offrent
le matériel de base pour l’évolution de la
langue catalane.
Les traducteurs littéraires6
« Le marché catalan du livre, écrit Peter
Bush, a toujours été traditionnellement
très ouvert aux traductions. Ce fait dissimule néanmoins les conditions qui ont
permis à un nombre considérable de traducteurs de travailler pour des éditeurs
se consacrant à la publication de nombreuses traductions. Cette tradition est
fondée sur des délais serrés, de bas salaires, sans la moindre augmentation, et des
contrats horribles (voire, dans certains
cas, pas de contrat du tout), le tout dans
une économie où le coût de la vie a fortement augmenté en raison de l’intégration
croissante de l’Espagne dans l’économie
mondiale7. » Aujourd’hui encore, ces mauvaises conditions de travail font toujours
partie de la réalité quotidienne des traducteurs en Catalogne.
Six études de cas sur la traduction littéraire
Cela ne signifie pas que la traduction
en général n’est plus considérée comme
prestigieuse, mais qu’il existe deux façons
de travailler comme traducteur. Certaines
traductions sont considérées comme mécaniques, tandis que d’autres sont mises
au même niveau que le travail de création
et considérées comme telles par le grand
public. La Catalogne possède depuis toujours un vivier de très bons traducteurs
littéraires, qui sont principalement des
écrivains ou des professeurs d’université.
Depuis les années 1980 et 1990, avec la
création des diplômes de traduction, de
nombreux diplômés ayant reçu une formation théorique ont rejoint les rangs
des traducteurs littéraires. La traduction
est devenue de plus en plus professionnelle, provoquant une standardisation de
ce domaine, bien qu’il n’existe toujours
pas d’association professionnelle de traducteurs et que les quelques associations
existantes ne soient pas très solidement
établies. Depuis l’apparition de la loi sur la
propriété intellectuelle en 1987, des droits
de traduction ont été fixés et les éditeurs
ont désormais tendance à respecter plus
ou moins sérieusement les contrats qu’ils
signent avec les traducteurs.
En temps normal, le traducteur apparaît dans les remerciements. Dans le cas
où il s’agit d’un écrivain connu, son nom
peut même apparaître sur la couverture.
Les traductions font généralement l’objet
de critiques dans les médias, en particulier si le livre traduit est une des œuvres
canoniques de la littérature universelle
ou si l’auteur est célèbre. Les critiques
mentionnent souvent le nom du traduc-
teur dans les renseignements fournis sur
le livre, mais ils font rarement allusion
à la qualité (ou à la médiocrité) de la traduction. Les traducteurs considèrent cela
comme un signe de manque de reconnaissance de leur travail.
Les subventions et les autres formes
de soutien
La politique du gouvernement catalan prévoit des mesures visant à renforcer la présence de la langue catalane et à encourager
la publication, la distribution et la diffusion des livres en catalan (loi sur la normalisation linguistique de 1986). En vertu de
cette loi, le ministère catalan de la Culture
a mis en place différents programmes de
soutien financier à l’édition en catalan
dans le cadre du dialogue et de la coopération avec les représentants du secteur
de l’édition. En 2004, ce soutien financier
a porté sur près de 1 500 titres, soit un peu
moins de 20 % de l’ensemble des livres publiés en catalan.
En plus de ce soutien financier, le ministère catalan de la Culture offre des
bourses pour les publications en catalan
présentant un intérêt culturel particulier
et accorde un soutien financier aux organismes exerçant des activités en lien avec
le livre, organisant des salons du livre ou
participant aux foires du livre internationales. L’Institut des lettres catalanes (ILC),
créé en 1987, est un organe autonome
chapeauté par le ministère catalan de la
Culture. Dans le but de faire connaître
les œuvres en catalan et leurs auteurs,
l’ILC organise des campagnes de promotion et des expositions et a créé plusieurs
66 67
bourses pour les créateurs littéraires, les
scénaristes et les érudits. Depuis 1993, il
annonce chaque année des bourses pour
les traductions vers le catalan, aussi bien
pour les éditeurs que pour les traducteurs.
En 2002, l’Institut Ramon Llull (IRL) a
été créé avec pour mission de promouvoir
la littérature catalane dans les autres pays.
L’IRL accorde chaque année des bourses
aux éditeurs étrangers pour la traduction
d’œuvres catalanes et pour des initiatives visant à faire la promotion de la littérature catalane et à la faire connaître en
dehors des frontières de la région catalanophone – participation aux principales
foires internationales du livre, soutien aux
auteurs catalans pour financer leurs voyages à l’étranger (festivals, colloques, stages),
organisation d’événements littéraires à
l’étranger, publications en anglais pour la
promotion des œuvres et des auteurs catalans, etc.
Le canon littéraire catalan vu de
l’étranger
La critique littéraire et, en général, l’attention théorique au patrimoine littéraire
du pays figurent parmi les domaines les
moins développés dans le système littéraire catalan. Certes, le corps universitaire
est solide, mais les résultats de ses recherches ne parviennent pratiquement jamais
jusqu’au grand public. À l’autre bout de
l’échelle, les auteurs des critiques qui apparaissent tous les jours dans les médias
doivent se confiner à un espace qui dépasse rarement deux pages écrites dans un
style facile à lire. L’attention des critiques
se concentre exclusivement sur les dernières parutions, et la vision d’ensemble
brille par son absence.
Un autre facteur significatif à garder à
l’esprit est l’influence des tendances générales du marché littéraire international.
Comme c’est le cas pour les autres littératures, les principales exportations catalanes dans ce domaine sont les romans. Les
œuvres les plus représentatives des poètes
catalans sont encore loin d’être connues
dans les autres pays. Les essais catalans
sont quasiment inconnus à l’étranger,
tout comme les textes de référence sur
des œuvres traduites du catalan. Les pièces de théâtre ne peuvent pas être prises
en considération à cet égard car leur diffusion internationale dépend plus des
représentations théâtrales que des textes
écrits. D’ailleurs, les dramaturges catalans
contemporains ont réussi à occuper une
place non négligeable dans le paysage
théâtral des autres pays.
En règle générale, la plupart des œuvres exportées sont des livres d’auteurs
contemporains ainsi que certains classiques du xxe siècle. Un nombre considérable de traductions d’œuvres de la période
classique de la littérature catalane ont
également été exportées, en particulier le
roman Tirant lo Blanc, qui peut être considéré comme une œuvre majeure dans le
contexte européen de l’époque.
Quoi qu’il en soit, il est bon de garder
à l’esprit une caractéristique des échanges entre les littératures à faible rayonnement : on leur offre rarement une seconde
chance. Une œuvre de Shakespeare médiocrement traduite sera vite remplacée aux
Six études de cas sur la traduction littéraire
quatre coins du monde, mais une mauvaise traduction de Mercè Rodoreda a très
peu de chances d’être corrigée un jour. Il
est par conséquent très important que les
traducteurs puissent travailler dans des
conditions décentes, adaptées à la difficulté de leur tâche, et qu’ils puissent disposer
des moyens dont ils ont besoin.
La présence de la Catalogne dans le
contexte international
Ce n’est que depuis les vingt-cinq dernières années, grâce au retour du gouvernement autonome avec le rétablissement de
la Generalitat de Catalunya en 1980, que
la culture catalane a également pu commencer à se faire connaître à l’étranger,
malgré la tendance traditionnelle – et
toujours actuelle – de l’État espagnol à ne
montrer en dehors du pays que la culture
et la littérature en langue espagnole. Ces
dernières années, certains grands salons
de l’édition ont exprimé un intérêt pour
la culture et l’édition catalanes et invité
expressément la Catalogne à y être représentée (Guadalajara en 2004 et Francfort
en 2007). Ces salons sont extrêmement
importants car ils ouvrent des possibilités
à l’étranger et constituent une plate-forme permettant de faire mieux connaître
la littérature catalane.
Depuis leur création, l’Institut des lettres catalanes (Institució de les Lletres Catalanes, ILC) et l’Institut Ramon Llull (IRL) ont
été présents lors de tous les événements
culturels et littéraires en dehors du pays,
agissant ainsi comme un outil de promotion de la littérature catalane tout en recevant les influences d’autres pays.
3.4 L’Allemagne
Riky Stock, directeur du German Book Office
à New York
Introduction
En Europe, l’allemand est parlé principalement en Allemagne, en Autriche et dans
la partie germanophone de la Suisse. Avec
95 millions de locuteurs en Europe et 120
millions dans le monde entier, l’allemand
dépasse toutes les autres langues sur le
continent européen (à l’exception du russe) en nombre de locuteurs natifs. L’allemand est la langue maternelle d’environ
24 % des habitants de l’UE8.
Étant donné que la plupart des maisons
d’édition (en particulier que toutes les plus
grandes) sont situées en Allemagne et que,
par conséquent, la plupart des auteurs
germanophones (y compris les écrivains
autrichiens et suisses) sont publiés en Allemagne, nous nous concentrerons dans ce
rapport sur le marché allemand du livre et
ferons souvent référence aux livres écrits
en allemand, qu’ils proviennent d’Allemagne, d’Autriche ou de Suisse, en employant
le terme de « livres allemands ».
En Allemagne, avec 89 869 nouveaux titres
publiés et un chiffre d’affaires estimé à 9,16
milliards d’euros en 2005, la lecture se place
au huitième rang des activités de loisir, après
écouter de la musique, regarder la télévision,
lire les journaux, aller au restaurant, être avec
ses amis, organiser des barbecues et conduire
sa voiture9. L’Allemagne compte une population de 82,5 millions d’habitants10. Environ
500 millions d’exemplaires sont imprimés
chaque année, soit une moyenne d’environ
6,5 livres par habitant par an11.
68 69
Ce rapport fournit des informations
sur le degré auquel les auteurs allemands
sont traduits dans les autres langues et
s’intéresse à la mesure dans laquelle les
traductions littéraires à partir d’autres
langues pénètrent sur le marché allemand
du livre. Il explore la perception de la traduction et des traducteurs, les formes de
financement de la traduction et la promotion des livres allemands. Il étudie en
quoi le climat international a influencé
l’accueil des auteurs allemands et à quel
point il est important mais difficile de traduire en anglais. Il montre également des
exemples d’auteurs allemands remarquables n’ayant pas été traduits en anglais.
Les traductions sur le marché
allemand du livre
L’Allemagne est le pays qui réalise le plus de
traductions au monde12. L’année précédant
la rédaction de ce rapport, 6 132 traductions avaient été publiées, soit une hausse
de 13,4 % par rapport à l’année 2004. Les
traductions représentaient seulement 7,9 %
de l’ensemble des nouveaux titres. En 2004,
ce chiffre n’était que de 7,3 %. En 1995, les
traductions représentaient environ 14,2 %
des titres publiés, l’impact des traductions
a donc considérablement diminué au cours
des dix dernières années.
Cependant, la progression mondiale de
l’anglais ne peut être endiguée, et encore
moins par les traductions sur le marché allemand du livre. Plus de 60 % de l’ensemble
des titres traduits proviennent de l’anglais.
En 2004, ce chiffre s’élevait à 56,8 %. Le français est la deuxième langue la plus traduite. Il occupe cette place depuis des années,
même s’il reste loin derrière l’anglais, avec
seulement 9,4 %. Tandis que l’anglais et le
français caracolent depuis longtemps en
tête du classement des vingt langues les
plus souvent traduites, le reste du classement varie d’année en année. L’italien arrivait en troisième place en 2005 avec 2,7 %,
ce qui représentait déjà une baisse par
rapport aux 3,3 % de 2004. Le néerlandais,
l’espagnol et le suédois arrivaient derrière
avec un peu plus de 2 % chacun. Le russe,
à la septième place, ne représentait que
1,8 %, suivi par le latin, le grec et le danois,
qui représentaient moins de 1 % chacun.
Les traductions de littérature pour
enfants et de littérature de jeunesse occupent toujours une place importante.
17,2 % du total des livres pour enfants et
adolescents sont des traductions d’autres
langues, contre 17,7 % en 2004.
Avec une proportion de 25,1 %, la fiction représente la plus grande part des
traductions. Néanmoins, ce chiffre était
nettement plus élevé en 2004, avec 40,5 %.
Au total, 13,8 % de l’ensemble des livres de
fiction sont des traductions, contre 20,7 %
l’année précédente.
Le rôle que les traductions ont joué
jusqu’à aujourd’hui dans la fiction a nettement diminué, et ce en partie à cause
du conflit juridique sur les honoraires
entre les éditeurs et les traducteurs littéraires, qui ont traîné l’affaire devant les
tribunaux. Les traductions impliquent
un certain risque pour les éditeurs, et la
question des royalties n’est toujours pas
résolue. Le nombre de traductions n’a
augmenté que pour les traductions à partir de l’anglais13.
Six études de cas sur la traduction littéraire
Tradition et prestige des traductions
et des œuvres originales allemandes
Les traductions apparaissent dans l’histoire
allemande de la littérature et de l’édition
dès le Moyen Âge et, depuis le xviiie siècle,
l’Allemagne a toujours été connue comme
le pays de la traduction par excellence14.
Les Allemands sont bien conscients qu’il
n’existerait pas de communauté littéraire
internationale sans les traductions, et les
traductions vers l’allemand ont même permis à certains écrivains d’Europe de l’Est
d’attirer l’attention du reste du monde.
Par exemple, l’auteur hongrois Imre Kertész n’aurait pas reçu le prix Nobel sans la
traduction allemande de son œuvre, qui a
permis aux autres pays d’y avoir accès.
En raison du rôle important que jouent
les traductions dans la culture littéraire en
Allemagne, toutes les librairies, y compris
les grandes chaînes, ont des œuvres traduites en stock et en rayon. Les revues et les
journaux font également la promotion des
traductions auprès d’un large lectorat en
publiant régulièrement des articles et des
critiques sur les derniers titres parus.
Une enquête menée en 2004 auprès des
lecteurs allemands a montré que Le Seigneur des anneaux et Harry Potter à l’école
des sorciers faisaient partie des dix livres
préférés de tous les temps dans la population allemande. Un seul livre allemand, Les
Buddenbrook de Thomas Mann, faisait partie des dix premiers. De même, la liste des
cent livres préférés des Allemands comprenait principalement des titres étrangers. Cette enquête montre clairement à
quel point les livres en anglais jouent un
rôle dominant en Allemagne. Néanmoins,
l’atmosphère des années 1990, lorsque les
éditeurs surenchérissaient et payaient des
sommes astronomiques pour s’assurer les
droits du dernier livre de John Grisham
ou d’un autre auteur américain moins
connu, est terminée. En 2000, les titres
anglais représentaient 72 % des nouveaux
titres, mais en 2005, ce chiffre était tombé
à 61 %. Ce changement s’explique par la
difficulté de faire des bénéfices en payant
des avances aussi importantes, ainsi que
par une chute générale des ventes sur le
marché allemand du livre. Afin de compenser, les éditeurs allemands ont préféré
chercher de nouveaux talents allemands
et parier sur leur succès15.
Au cours des deux dernières années,
le rôle des auteurs allemands s’est accru.
Un aperçu des listes de best-sellers en Allemagne montre que les livres des jeunes
auteurs allemands se vendent mieux que
ceux des jeunes auteurs américains ou les
talonnent de près, et pas seulement en termes de mérite littéraire16. Il y a quelques
années, les livres en anglais prédominaient
largement dans la liste des œuvres de fiction en Allemagne. En 2003, seulement
25 % des cent meilleures ventes de titres
de fiction étaient des livres allemands17.
Aujourd’hui, entre 30 et 60 % des listes
de best-sellers de fiction sont des livres
d’auteurs écrivant en anglais, et environ le
même nombre, entre 30 et 50 %, sont des
livres d’auteurs allemands. Entre 10 et 25 %
sont des traductions d’autres langues18.
Afin d’assurer cette diversité de livres, la
communauté de l’édition allemande organise régulièrement des événements de
portée internationale tels que des lectures
70 71
ou des conférences d’auteurs étrangers. De
nombreuses organisations culturelles font
également la promotion de la littérature
étrangère en offrant un financement pour
les traductions. Ces mesures contribuent à
faire augmenter le nombre de titres étrangers qui pénètrent sur le marché allemand
du livre, en insistant particulièrement, ces
derniers temps, sur la littérature d’Afrique,
d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe de
l’Est19. De plus, le prix fixe des livres en Allemagne permet également de garantir cette
variété en atténuant la pression de la concurrence et en permettant aux petites maisons
d’édition de prendre plus de risques.
Les principaux traducteurs et l’art de
la traduction
Dès le xviiie siècle, des auteurs éminents tels
que Johann Wolfgang von Goethe, Johann
Gottfried Herder et Rainer Maria Rilke ont
fait de la scène littéraire allemande un espace ouvert aux livres des autres langues,
et cette tradition se perpétue aujourd’hui.
Dans la continuité de la tradition consistant à produire des traductions de qualité,
certains des meilleurs écrivains allemands
ont relevé le défi de traduire des œuvres de
littérature, de réécrire en grande partie les
livres d’autres auteurs pour les faire connaître à un plus large public. Ces auteurs traducteurs ont ainsi influencé et fait avancer
la scène littéraire à double titre et contribué à changer l’image de la traduction. En
Allemagne, les traductions littéraires sont
considérées comme une forme d’art, et
non comme une tâche mécanique.
Dans le domaine de la littérature
contemporaine, certains des principaux
auteurs allemands produisent des traductions littéraires, notamment Paul Celan (qui traduit vers l’allemand à partir
de sept langues), Peter Handke (œuvres
de Shakespeare, Walker Percy, etc.), Hans
Magnus Enzensberger (poèmes de divers
auteurs et œuvres de Federico García Lorca), et le lauréat du prix Nobel Elfriede Jelinek (L’Arc-en-ciel de la gravité de Thomas
Pynchon). Il est également intéressant de
remarquer que c’est W. G. Sebald, qui n’est
pas lui-même traducteur mais qui a toujours été un promoteur de la littérature
allemande dans le monde anglophone,
qui a fondé le British Centre for Literary
Translation (Centre britannique pour la
traduction littéraire).
Aujourd’hui, une nouvelle génération
émergente d’auteurs allemands poursuit
le travail de ses prédécesseurs en introduisant les livres influents sur le marché
allemand du livre. Ainsi, la jeune (et très
appréciée) auteure Antje Strubel s’est bâti
une solide réputation en tant que traductrice pour son travail sur L’Année de la pensée magique de Joan Didion, de même que
la lauréate du prix Ingeborg Bachmann,
Terézia Mora, née en Hongrie, pour sa traduction de Péter Esterházy.
Les auteurs de tous les genres participent à la traduction ou traduisent souvent
les mêmes genres que ceux qu’ils produisent eux-mêmes. Mirjam Pressler, auteur
largement connue de livres pour enfants
et pour la jeunesse, a également traduit
plus de trois cents œuvres pour enfants
et pour la jeunesse, dont le Journal d’Anne
Frank. Il n’est pas rare non plus que les
poètes se traduisent entre eux. Le poète al-
Six études de cas sur la traduction littéraire
lemand Ulrike Draesner, qui traduit de la
poésie à partir de l’anglais, est également
un traducteur professionnel. Les traductions inspirent même parfois l’écriture de
nouveaux livres, comme ce fut le cas pour
Ralf Dutli, qui, après avoir traduit Ossip
Mandelstam, s’est mis à écrire une biographie complète de Mandelstam.
Dans le domaine de la fiction populaire, l’auteure de best-sellers de fiction
historique qui écrit sous son pseudonyme
Rebecca Gablé utilise son vrai nom, Ingrid
Krane-Müschen, pour traduire des livres
d’auteurs tels qu’Elizabeth George et Patricia Shaw.
Il est également intéressant de noter que
certains éditeurs allemands, notamment
Michael Krüger chez Hanser Verlag, Alexander Fest chez Rowohlt Verlag et Joachim
Unseld chez Frankfurter Verlagsanstalt, ont
aussi traduit des livres ou des poèmes.
Actuellement, les éditeurs et les traducteurs sont engagés dans un débat permanent sur le déséquilibre entre la formation nécessaire pour les traducteurs en
Allemagne et les honoraires qu’ils reçoivent des maisons d’édition. Le traducteur
littéraire moyen ne gagne pas assez d’argent pour en vivre. Il gagne rarement plus
de 15 à 20 euros bruts par page, avec une
moyenne d’une centaine de pages traduites par mois20. L’ancien président allemand
Roman Herzog est allé dans le sens des revendications des traducteurs dans un discours : « Le fait que ceux qui font l’un des
métiers les plus importants pour la vie
culturelle du pays ne puissent généralement pas gagner leur vie correctement est
absolument honteux21. »
Dans un récent effort pour améliorer
la situation des traducteurs littéraires, un
procès a été intenté au nom des traducteurs contre les éditeurs. Les traducteurs
impliqués dans ce procès en cours réclament une part des revenus des ventes des
livres qu’ils ont traduits, une part à laquelle ils estiment avoir droit indépendamment de l’édition du livre. Dans le passé,
les éditeurs n’ont accordé aux traducteurs
une part des bénéfices des ventes que dans
les cas où le livre était un best-seller.
Les traducteurs ont obtenu une petite
victoire lorsque la Cour fédérale de Munich a décidé qu’en plus des honoraires
qu’ils perçoivent pour la traduction d’un
livre, ils avaient droit à un certain pourcentage des revenus tirés des ventes, à
compter du premier exemplaire vendu.
Cette part représente entre 0,5 et 2 % des
revenus des ventes22.
Certains éditeurs ont critiqué cette
décision judiciaire, qui contribue à leurs
yeux à amoindrir la variété du marché allemand du livre. Les éditeurs allemands
arguent que le fait de les forcer à payer aux
traducteurs un pourcentage des bénéfices
va réduire les ressources qu’ils auraient
pu utiliser pour publier d’autres livres.
Par conséquent, certains livres qui le mériteraient ne seront ni publiés ni traduits.
L’existence d’un débat public montre cependant que les traducteurs commencent
à être reconnus. Dans l’ensemble, la situation des traducteurs s’est améliorée, et
certains éditeurs ont commencé à présenter des biographies des traducteurs dans
leurs catalogues et à imprimer le nom du
traducteur sur la couverture des livres.
72 73
Le soutien financier à la traduction et
à la promotion des livres allemands
Il existe deux modes de financement de la
traduction : les bourses auxquelles peuvent
postuler les éditeurs et les bourses spécifiques pour les traducteurs. Pour les traductions vers l’allemand, il existe, dans les pays
dont proviennent les œuvres originales, des
organisations et des instances dépendant
des ministères de la Culture qui fournissent un financement. On peut citer, comme
exemples d’organisations de ce type, le Ireland Literature Exchange en Irlande, l’Institut polonais du livre en Pologne et le Centre
finlandais d’information sur la littérature
(FILI) en Finlande. Ces bourses ne sont généralement offertes qu’aux éditeurs pour la
traduction d’un titre spécifique.
L’Autriche, l’Allemagne et la Suisse disposent toutes de programmes pour financer
la publication des livres en allemand dans
des langues étrangères. Le programme de
bourses du Goethe-Institut a pour objectif
de faire connaître à un lectorat non germanophone les écrits intellectuels importants,
les œuvres de fiction de haute qualité, la
littérature pour enfants et pour la jeunesse
ainsi qu’une sélection d’ouvrages de nonfiction. Le soutien financier est fourni sous
formes de subventions destinées à couvrir
les frais de traduction de l’éditeur. Dans le
cadre de ce programme, qui existe depuis
près de trente ans, le Goethe-Institut a apporté un soutien financier pour la publication d’environ 4 000 livres en 45 langues23.
En Suisse, Pro Helvetia, la Fondation suisse
pour la culture, fondée en 1939, subventionne l’édition ou la traduction de publications
relatives à la culture suisse ou aux relations
culturelles de la Suisse avec d’autres pays24.
En Autriche, le ministère de la Culture de la
Chancellerie fédérale autrichienne offre un
soutien financier pour les traductions25.
Il existe également des programmes
spéciaux pour les éditeurs qui subventionnent la littérature de certaines régions, tels
que le Gesellschaft zur Förderung der Literatur aus Afrika, Asien und Lateinamerika
e. V. (Société pour la promotion des littératures africaines, asiatiques et latino-américaines). Ce programme encourage la traduction en allemand de textes littéraires
d’information culturelle en provenance de
diverses régions du tiers-monde et améliore la compréhension culturelle de sociétés
qui reçoivent souvent une faible attention
internationale. Les titres financés par ce
programme ne sont parus que de façon
limitée ou pas du tout en allemand, et proviennent de pays qui sont sous-représentés
sur le marché allemand26.
Il convient de mentionner, en raison
de son influence considérable dans le domaine de la traduction, le Literarisches
Colloquium Berlin (LCB – Colloque littéraire de Berlin). Le LCB fait la promotion
de la littérature allemande, gère un programme d’auteurs et de traducteurs en résidence et sert de point de rencontre et de
facilitateur pour les traducteurs. L’un des
programmes du LCB offre une bourse de
traduction pour les éditeurs intéressés par
la fiction d’Europe centrale et orientale. Le
LCB a pour objectif de diversifier la sélection des livres disponibles pour les lecteurs
allemands en donnant aux livres moins
connus une chance d’être lus. Depuis 1993,
le LCB a subventionné plus de 250 titres27.
Six études de cas sur la traduction littéraire
En plus des programmes disponibles
pour les éditeurs, il existe des organisations qui aident les traducteurs à se faire
entendre sur la scène littéraire d’Allemagne, de Suisse et d’Autriche. Plusieurs associations et organisations à but non lucratif soutiennent ceux qui traduisent de
et vers l’allemand, notamment le Verband
deutschs-prachiger Übersetzer (VdÜ) literarischer und wissenschaftlicher Werke
e.V. (Association des traducteurs d’ouvrages littéraires et scientifiques). Le VdÜ est
une association de traducteurs germanophones qui a été fondée en 1954 pour défendre les intérêts des traducteurs28.
La principale organisation de soutien
aux traducteurs littéraires en Allemagne est
le Deutscher Übersetzerfonds (DÜF – Fonds
des traducteurs allemands), une organisation à but non lucratif basée au LCB qui offre des bourses universitaires et des bourses
de voyage aux traducteurs et organise des
ateliers de travail et des séminaires29.
Le LCB, le VdÜ et d’autres institutions
telles que la Foire du livre de Francfort, la
Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung (Académie allemande de langue et
de poésie), le Deutscher Literaturfonds e.V.
(Fonds pour la littérature allemande), le
Europäisches Übersetzer-Kollegium Nordrhein-Westfalen in Straelen e.V. (Collège
européen des traducteurs à Straelen) et le
Dialogwerkstatt Zug (Atelier de dialogue de
Zug), entre autres, offrent aux traducteurs
des bourses universitaires, des prix de traduction et des programmes d’échanges.
Les pratiques les plus efficaces pour la
promotion de la littérature allemande
consistent à établir des contacts personnels,
à mettre en place des réseaux et à maintenir
une présence permanente dans le milieu
de l’édition d’un autre pays. Cela permet
de comprendre le marché, d’échanger des
informations, de rapprocher les personnes
et de faciliter les ventes de livres. Se contenter de présenter le livre parfait à un bon
éditeur ne suffit pas. Les livres se vendent
mieux lorsque les éditeurs ont confiance
en l’opinion de quelqu’un d’autre et sont
convaincus qu’ils continueront à être soutenus après la publication du livre. Il existe
plusieurs initiatives qui font la promotion
des livres allemands à l’étranger.
La Foire du livre de Francfort
La Foire du livre de Francfort – organisatrice du plus important événement commercial international de l’industrie du
livre – est une société affiliée au Börsenverein des Deutschen Buchhandels, l’Union
centrale de la librairie allemande. La Foire
du livre de Francfort possède également
un département international chargé de
faire la promotion des livres allemands
afin d’inciter à leur traduction et de
contribuer à la création de réseaux dans
d’autres régions du monde. Ses activités
internationales sont financées par le ministère allemand des Affaires étrangères.
La Foire du livre de Francfort organise
des présentations de livres allemands
dans des stands collectifs dans plus de
vingt pays, et elle a créé plusieurs Centres
d’information du livre dans le monde entier. En plus du German Book Office (GBO
– Bureau du livre allemand) à New York,
il existe des bureaux à Pékin, Bucarest,
Moscou et Varsovie. Chaque bureau sert
74 75
d’intermédiaire et de médiateur culturel
entre le secteur allemand du livre et celui
du pays d’accueil du bureau30.
Le GBO, par exemple, est une organisation à but non lucratif qui a été fondée en
1998 pour faire la promotion des livres allemands aux États-Unis. Le GBO est basé à
New York, où il entretient des réseaux actifs
et des contacts personnels31. Il fournit également des informations sur les titres allemands susceptibles de présenter un intérêt
spécifique pour le marché nord-américain.
Le Goethe-Institut
Le Goethe-Institut e.V. est le plus important partenaire opérationnel de la République fédérale d’Allemagne pour l’élaboration et la mise en œuvre de la politique
culturelle étrangère. Le Goethe-Institut
gère non seulement un programme de
financement de la traduction, mais est
également la principale institution d’enseignement et de promotion de la langue
et de la culture allemandes dans le monde
entier. Il est représenté partout dans le
monde par un réseau d’instituts, de centres Goethe, d’associations culturelles et
de salles de lecture. Certains instituts possèdent des bibliothèques de livres en langue allemande et d’autres ouvrages relatifs à l’allemand. Les 128 Goethe-Instituts
situés hors des frontières de l’Allemagne
proposent une sélection de critiques de
livres sur leur site Internet et organisent
des lectures, des séminaires, des ateliers
de travail et des expositions. Parmi les
partenaires des Goethe-Instituts figurent
des institutions culturelles publiques et
privées, les Lands, des autorités locales et
le monde des affaires. Le Goethe-Institut
travaille en étroite collaboration avec des
traducteurs et d’autres médiateurs culturels. Une grande partie de son budget provient des ministères allemands des Affaires étrangères et de la Communication32.
Le Prix allemand du livre
Afin de promouvoir les auteurs éminents
et célèbres aussi bien que les écrivains allemands relativement inconnus mais talentueux en Allemagne et à l’étranger, le
Börsenverein des Deutschen Buchhandels
(Union centrale de la librairie allemande)
a créé le Prix allemand du livre, sur le modèle du Man Booker Prize au RoyaumeUni. Ce prix, qui récompense le meilleur
roman en allemand, a été décerné pour la
première fois en 2005 à Arno Geiger pour
son roman Es geht uns gut. Le lauréat du
prix en 2006 était Katharina Hacker pour
Die Habenichtse33.
De nombreux autres projets, initiatives
et sites Internet font la promotion de la traduction. New Books in German est une revue
basée à Londres, qui présente une sélection
de livres allemands importants en version
imprimée et sur son site web deux fois par
an. Trois mille exemplaires de la revue sont
distribués dans le monde entier34. Litrix.
de présente des critiques et des extraits de
traductions de littérature contemporaine
allemande sur son site web. Au cours des
trois dernières années, Litrix.de a également
mis en œuvre des programmes spéciaux
de financement de traductions vers l’arabe
et vers le chinois35. Le LCB, dont nous avons
parlé plus haut, joue également un rôle important dans la promotion de la littérature
Six études de cas sur la traduction littéraire
allemande dans le monde entier. Parmi les
autres projets du même type, on peut citer
www.lyrikline.org, une plate-forme en ligne
qui publie des poèmes et des traductions
en plusieurs langues aux formats texte et
audio, ainsi que www.signandsight.com, la
version anglaise de la revue électronique
culturelle allemande Perlentaucher, qui propose un contenu culturel et intellectuel issu
des principales publications en Allemagne.
La rubrique « Books this Season » est une sélection de la nouvelle littérature la plus intéressante et la plus médiatisée.
La littérature allemande à l’étranger
Depuis que, dans les années 1980, les éditeurs de toute l’Europe ont découvert
que la cession de droits pouvait être une
nouvelle source de revenus, l’Allemagne a
toujours réussi à vendre des titres à l’étranger, en partie grâce au climat politique en
évolution permanente, avec l’ouverture de
la Russie et de la Chine vers l’Ouest et avec
l’essor économique de la Corée. Lorsqu’un
marché est saturé de titres allemands, un
autre marché émerge. Les éditeurs allemands sont extrêmement attentifs à ces
tendances et s’efforcent de vendre leurs
droits conformément à ces changements.
Les cessions de droits de traduction pour
des œuvres écrites en allemand ont suivi
une hausse modeste mais constante au
cours des dix dernières années. Des marchés
tels que la Corée du Sud, la Chine et Taiwan
ont manifesté un énorme intérêt pour la
littérature allemande et font désormais
partie des plus importants acheteurs. Les
marchés européens, comme les Pays-Bas,
l’Espagne et l’Italie, ont historiquement
toujours été ouverts à la littérature allemande. De plus, ce qui peut paraître le plus
surprenant de tous ces changements, c’est
que le Royaume-Uni et les États-Unis aient
eux aussi commencé à ouvrir leurs portes
littéraires à certains titres allemands.
Parallèlement à la voie à sens unique
des littératures anglaise et américaine,
qui existe depuis trop longtemps, un petit sentier en sens inverse s’est matérialisé.
Certes, la littérature traduite de l’anglais
occupe toujours une place centrale sur le
marché allemand du livre et dans les listes
de best-sellers en Allemagne. Mais, même
si la littérature allemande est encore loin
d’avoir le même impact au Royaume-Uni
et aux États-Unis, un flux constant de titres en allemand se fraie un chemin vers
ces marchés anglophones.
Cette augmentation est en partie due à
quelques titres à succès qui ont réussi à attirer l’attention et à faire connaître la littérature contemporaine allemande aux lecteurs
anglophones. Parmi ces titres, on compte
notamment Le Liseur de Bernhard Schlink,
grâce à l’éloge enthousiaste d’Oprah Winfrey, et Les Émigrants de W. G. Sebald36.
L’intérêt croissant pour la littérature allemande peut aussi s’expliquer par l’évolution de l’écriture. L’année 1989 a marqué la fin de la littérature d’Allemagne de
l’Est, mais les perturbations politiques ont
également constitué un tournant pour la
littérature d’Allemagne de l’Ouest. La fin
de la littérature d’après-guerre était proche, un genre dominé par des auteurs tels
que Heinrich Böll, Uwe Johnson et Günter
Grass. Leur écriture avait été modelée par
la guerre, par la lutte contre le passé nazi
76 77
et par un fort élan moral37. La remise du
prix Nobel de littérature à Günter Grass
en 1999 a constitué une aubaine qui a favorisé l’apparition d’une nouvelle génération d’auteurs, appelés par les critiques
« les petits-fils et petites-filles de Grass38 ».
Cette nouvelle génération d’écrivains
allemands a tourné le dos à l’écriture de
la génération d’après-guerre, ainsi qu’à
l’écriture expérimentale, post-moderne et
psychanalytique des années 1970 et 1980.
Avant cette nouvelle forme de renaissance
de la littérature allemande, les éditeurs allemands gardent de leurs tentatives pour
vendre les droits sur les œuvres de leurs
auteurs le souvenir d’une « expérience humiliante ». À cette époque, l’écriture allemande était considérée comme académique, trop sérieuse et indigeste39.
Le nouveau roman allemand, selon le
New York Times, est « moins lourd, plus facile
à exporter ». Cette génération est représentée par Daniel Kehlmann, Julie Zeh, Jenny
Erpenbeck et Ingo Schulze, qui ont tous été
influencés par la présence substantielle de
la littérature et de la culture américaines
en Allemagne aujourd’hui. Cette génération défend le récit narratif, un genre qui a
longtemps fait défaut dans la littérature allemande et qui doit beaucoup aux auteurs
américains. Cette évolution a suscité davantage de curiosité et d’échanges dans les deux
sens, comme le démontre le remarquable
succès des livres de Cornelia Funke40.
« Les jeunes Allemands, qui écrivent
dans les principaux journaux du pays,
ont infiltré leurs rangs et sont devenus
des intermédiaires indispensables pour
les nouveaux livres. […] À la tête du suc-
cès à l’étranger se dressent les auteurs.
Eux qui se contentaient autrefois d’écrire pour un cercle limité de lecteurs dans
leur pays, ils se sont connectés au reste
du monde et testent leurs idées sur les
éditeurs en prévision d’éventuelles ventes à l’étranger » (New York Times, 20 décembre 2005).
L’internationalisation croissante du climat en Europe et en Allemagne a provoqué l’émergence d’une sorte de littérature
multiculturelle qui reflète l’évolution des
influences culturelles en Allemagne. Certains auteurs en allemand écrivent depuis
la perspective d’une identité mixte particulière, tels que Terézia Mora, Zsuzsa Bánk,
Rafik Schami et, très récemment, Saša
Stanišić. Ces auteurs ont été découverts et
adoptés par les éditeurs anglophones41.
Actuellement, les perspectives nationales et internationales pour la littérature
en allemand ambitieuse sont bonnes, surtout depuis que nombre de jeunes auteurs
n’écrivent plus pour le marché limité de
leur pays d’origine, mais veulent réussir à
l’étranger. Dès le départ, ils pensent à l’exportabilité de leurs projets de livres42.
Les auteurs allemands en traduction
Avec 7 491 contrats signés l’année dernière, les éditeurs allemands ont battu leur
record de cessions de licences. La Pologne,
avec 604 titres (8,1 % du total des licences
vendues), est le premier acheteur de droits
allemands, suivie par la République tchèque, avec 557 titres (7,4 % de l’ensemble
des licences vendues).
L’anglais, qui occupait souvent la
deuxième place dans les années 1990, ar-
Six études de cas sur la traduction littéraire
rive en septième position seulement dans
le classement des dix premières langues,
avec 6,2 % du total des licences vendues. Les
autres langues européennes de la liste des
dix premières langues sont le russe (4ème),
l’espagnol (6ème), l’italien (8ème), le néerlandais (9ème) et le français (10ème). Le chinois se
classe en 3ème position et le coréen occupe
la 5ème place dans le classement.
Les livres pour enfants, qui représentent
environ 24 % de l’ensemble des licences
vendues, arrivent en tête, avec une forte
demande dans les pays d’Asie. Derrière les
livres pour enfants, la meilleure catégorie
pour les cessions de licences à l’étranger
est les livres pour autodidactes, qui représentent environ 22 % des cessions de licences. Ces livres ont suscité un intérêt particulièrement important en Europe du Sud,
notamment en Espagne. En revanche, la
demande de fiction a diminué, et cette catégorie arrive en troisième position avec
environ 12 % des contrats de licence. La
majorité des licences littéraires ont été
vendues aux Pays-Bas et en Italie43.
Récemment, la littérature allemande a
suscité un intérêt croissant, renforcé par
des succès tels que Les Arpenteurs du monde,
de Daniel Kehlmann, et le roman Es geht
uns gut, d’Arno Geiger. De nombreux éditeurs ont confirmé ce léger renversement
de la tendance dans la sphère anglophone,
qui reste à prouver dans les statistiques de
l’année prochaine44.
La littérature allemande en anglais
Au cours des vingt-cinq dernières années,
l’anglais est devenu la lingua franca de la
civilisation occidentale. L’expansion mas-
sive d’Internet au milieu des années 1990
et l’essor des start-up à la fin des années
1990 ont accéléré ce changement déjà rapide. Récemment, aucune autre langue
que l’anglais américain ne s’est étendue
aussi vite tout en absorbant aussi peu des
autres langues.
Malheureusement, le marché de l’anglais est le plus difficile à conquérir. Seulement 3 % environ des nouvelles parutions
sont des traductions, comme le montre
une analyse de l’ensemble des titres ayant
fait l’objet d’une critique dans Publishers
Weekly en 2004 et 200545. Néanmoins, l’allemand figure toujours parmi les trois
premières langues traduites en anglais et,
en 2006, il était même en tête en termes de
nombre de titres traduits ayant fait l’objet
d’une critique dans Publishers’ World, devant le français et l’espagnol.
En dépit des difficultés pour trouver
une maison d’édition américaine pour
leurs livres, les éditeurs allemands partagent un intérêt croissant pour placer leurs
titres sur le marché anglophone du livre,
à juste titre. La traduction des titres allemands en anglais permet d’attirer davantage l’attention sur un auteur, bien plus
que les contrats de licence sur n’importe
quel autre marché. Cette traduction permet aux éditeurs d’avoir presque 100 % de
chances de vendre des licences sur d’autres
marchés, et elle constitue la condition sine
qua non pour qu’un titre de fiction attire
l’attention des studios cinématographiques d’Hollywood.
Jutta Willand, directrice des droits chez
Eichborn AG, confirme l’importance des
traductions en anglais pour les auteurs
78 79
allemands : « Il est très important pour les
auteurs allemands que leurs livres soient
traduits en anglais. Cela leur permet non
seulement de pénétrer sur le marché
anglophone influent et d’atteindre un
lectorat beaucoup plus large, mais aussi
de faire partie de l’avant-garde littéraire
mondiale, qui utilise l’anglais comme langue commune46. »
Les œuvres littéraires allemandes
dignes d’attention mais non traduites
La plupart des auteurs allemands de fiction ont été traduits en au moins une
autre langue. Cependant, de nombreux
auteurs allemands remarquables n’ont
jamais été traduits en anglais ou n’ont pas
trouvé d’éditeur aux États-Unis, tels que
John von Düffel, Martin Mosebach, Matthias Politycki, Ralf Rothmann, Feridun
Zaimoğlu ou Ernst Augustin.
Le site du PEN Club américain recommande des titres que les traducteurs à partir de l’allemand tiennent en haute estime
mais qui ne sont actuellement pas disponibles en anglais aux États-Unis. Parmi ces
suggestions, on trouve notamment Les
Frères de Saint-Sérapion, de E.T.A. Hoffman,
Troisième nuit de Walpurgis, de Karl Kraus, et
Promenades dans Berlin, de Franz Hessel47.
Certains joyaux littéraires oubliés, qui
ont été redécouverts en Allemagne, vaudraient également la peine d’être traduits,
selon Rebecca Morrison, éditrice de New
Books in German. Elle recommande notamment Une ascension, de l’écrivain suisse
Ludwig Hohl48.
En plus des titres qui n’ont jamais été
traduits, il existe un grand nombre de li-
vres qui ont été traduits et publiés aux
États-Unis, mais qui sont désormais épuisés.
Ainsi, des classiques, comme Le Silence de
l’ange, le premier roman de Heinrich Böll,
ne sont plus disponibles dans les librairies.
Il arrive parfois, lorsqu’un auteur allemand réussit à trouver un éditeur américain, que les livres ne se vendent pas à suffisamment d’exemplaires (en partie parce
que les éditeurs américains n’investissent
que très peu d’argent dans la promotion
de nombreuses traductions) et que l’auteur
soit mis à l’écart. Malheureusement, ce faible niveau de ventes poursuit le livre, qui
n’a alors plus aucune chance de retrouver
une maison d’édition.
Comme nous l’avons remarqué précédemment, la nouvelle littérature allemande et certains classiques, comme les livres
de Hans Fallada ou Der Siebente Brunnen de
Fred Wander, qui ont été découverts par des
éditeurs américains spécialisés, suscitent
un intérêt croissant. Les livres allemands
ont plus que jamais une influence sur la vie
culturelle dans le monde entier et parviennent même à pénétrer dans des pays aussi
difficiles à séduire que les États-Unis.
3.5 La Chine
Chen Maiping, auteur et traducteur, membre fondateur du PEN Club chinois indépendant (ICPC), Stockholm
La littérature chinoise traduite dans
les autres langues
Selon les statistiques officielles, la Chine
a produit environ 110 000 nouveaux titres en 2003 et 112 857 en 2005. Parmi les
Six études de cas sur la traduction littéraire
nouveaux titres, seuls 10 000 étaient de
nouvelles créations littéraires en 2003, et
10 842 en 200549. Mais le nombre de nouveaux titres traduits dans d’autres langues, pour autant que l’on puisse en juger
par une recherche extensive sur Internet,
n’était que de 100 en 2003, et environ le
même nombre en 2005, même s’il s’agissait principalement d’œuvres littéraires.
Cela signifie qu’environ 0,01 % des livres
chinois ont été traduits dans d’autres
langues, et ce chiffre est d’environ 0,01 %
pour les œuvres littéraires. Ce chiffre ne
prend pas en compte Hong Kong, Macao
et Taiwan, qui appartiennent également à
la littérature chinoise au sens du chinois
comme langue.
La Chine compte la plus nombreuse
population du monde et possède une longue tradition littéraire. Par conséquent,
elle abrite beaucoup d’auteurs qui produisent de nombreuses œuvres littéraires
chaque année. L’Association officielle des
écrivains chinois comptait 6 128 membres en 200550. Mais moins de 300 de ces
auteurs ont vu leur œuvre traduite dans
une autre langue, soit moins de 5 %. La
plupart des écrivains chinois qui sont
aujourd’hui publiés en anglais aux ÉtatsUnis ou en Europe dans d’autres langues
européennes, tels que Mo Yan, Su Tong et
Yu Hua, sont membres de l’association officielle des écrivains. Néanmoins, il existe
des milliers d’autres écrivains qui ne sont
pas membres de cette association officielle, notamment des écrivains dissidents
qui ont peu de chances, voire aucune,
d’être publiés en Chine. L’œuvre de ces
auteurs a donc encore moins de chances
d’atteindre les traducteurs vers d’autres
langues. Il n’empêche que certains de
ces dissidents ont réussi à faire publier
leurs œuvres à l’étranger, à Taiwan ou à
Hong Kong, et même à être traduits dans
d’autres langues. Leurs œuvres attirent
souvent davantage l’attention car elles
décrivent la véritable histoire et la réalité
de la Chine et peuvent donc être encore
plus intéressantes dans une perspective
politique. Ainsi, le membre de l’ICPC Liao
Yiwu, auteur de L’Empire des bas-fonds,
est l’un des écrivains dissidents qui touchent aujourd’hui de nouveaux lecteurs
grâce aux traductions de leurs livres, notamment en français et en japonais. Une
traduction anglaise de plusieurs passages
de L’Empire des bas-fonds a également été
publiée dans la revue américaine The Paris
Review en 2005, et une traduction anglaise
complète de ce livre par Wen Huang doit
bientôt paraître aux éditions Pantheon.
En ce qui concerne les membres de
l’ICPC, environ 10 % d’entre eux ont été
traduits. Sur les 190 membres que compte aujourd’hui l’ICPC, une vingtaine ont
vu leurs œuvres littéraires traduites dans
d’autres langues. Étant donné que, pour
la plupart, nous vivons en exil à l’étranger,
nos œuvres sont plus fréquemment traduites que celles de la majorité des autres écrivains chinois. Parmi les membres de l’ICPC
se trouvent d’excellents poètes et écrivains,
dont les œuvres ont été traduites, notamment Liu Binyan (décédé en 2005) et Zheng
Yi (aux États-Unis), Yang Lian, Yo Yo et Ma
Jian (au Royaume-Uni), Liao Yiwu, Shu Yang
et Wu Chenjun (en Chine), Zeng Zheng et
Ouyang Yu (en Australie), Wan Zhi (sous le
80 81
nom de Chen Maiping en Suède), Jimbut
(sous le nom de Feng Jun au Danemark),
pour n’en citer que quelques-uns. La principale langue de traduction de leurs œuvres est l’anglais, mais ils ont également été
traduits en français, en allemand, en suédois, en danois et en japonais, entre autres.
Certaines de leurs œuvres ont remporté
des prix internationaux prestigieux et ont
été classées parmi les œuvres chinoises les
plus importantes par le New York Times
ainsi que par d’autres revues importantes
en Europe. Le lauréat du prix Nobel Gao
Xingjian est membre honoraire de l’ICPC.
Il vit en exil depuis 1987 mais continue à
écrire en chinois. Ses livres sont toujours
interdits en Chine mais largement traduits
dans d’autres langues, surtout depuis qu’il
a reçu le prix Nobel en 2000.
La littérature chinoise suscite un intérêt croissant, sans doute en raison du
développement économique rapide de la
Chine au cours des dix dernières années.
La maison d’édition Penguin a récemment ouvert une filiale à Pékin afin de
prendre directement contact avec les écrivains chinois.
Selon un rapport officiel, les exportations de livres chinois continuent à augmenter. Entre 1997 et 2003, le volume national d’exportations de livres est passé de
2,2 millions à 4,65 millions d’exemplaires,
et le chiffre d’affaires a grimpé de 9,27 millions de dollars à 18,67 millions de dollars.
Les exportations de journaux sont passées
de 200 000 à 800 000 exemplaires, soit une
augmentation en valeur de 150 000 dollars à 980 000 dollars. Même les exportations de publications électroniques sont
passées de 907 à 37 534 exemplaires, soit
une hausse en valeur de 30 000 dollars à
270 000 dollars. Bien que le volume des
exportations de périodiques ait diminué
de 2,56 millions à 2,21 millions d’exemplaires, la valeur de ces exportations a
augmenté, passant de 2,68 millions à 3,65
millions de dollars51.
L’accueil de la littérature étrangère
en Chine
En ce qui concerne la littérature internationale, ou plus exactement la littérature occidentale, elle est toujours liée au contexte
historique chinois, à la situation politique,
aux changements sociaux du pays et à sa
propre tradition littéraire. Dans l’histoire
culturelle chinoise, la littérature a toujours
servi des objectifs politiques, et il en va de
même de la traduction littéraire. Depuis la
Guerre de l’opium, perdue par la Chine, le
pays a toujours manifesté un fervent intérêt
pour l’apprentissage de la culture occidentale, et la littérature occidentale a été introduite dans le pays comme outil pour l’étude
de la culture occidentale et la transmission
des valeurs occidentales. Par exemple, avec
l’introduction du marxisme-léninisme en
Chine dans les années 1920-1930, de nombreuses œuvres littéraires soviétiques ou à
teneur sociale ont été traduites en chinois.
À l’inverse, la Révolution culturelle de 1966
à 1976 a été marquée par un arrêt complet
de la traduction de la littérature occidentale. Par la suite, dans les années 1980, beaucoup d’œuvres littéraires récentes ont été
traduites dans le cadre de la politique de
réforme et d’ouverture et du projet de modernisation. Aujourd’hui, la Chine fait plus
Six études de cas sur la traduction littéraire
de traduction commerciale suite à la politique d’économie de marché des autorités. Le
gouvernement chinois a également subventionné la traduction de la littérature chinoise relevant de la propagande politique.
Par conséquent, la Chine importe chaque année un grand nombre de livres
de langues occidentales, même si tous
ne sont pas traduits. En 2005, la Chine a
importé toutes sortes de livres ou de périodiques étrangers (553 644 titres, dont
90 189 œuvres littéraires et artistiques),
dont la plupart n’ont pas été traduits en
chinois. Néanmoins, les différentes sources consultées s’accordent sur le fait que
plus de mille livres ont été traduits52.
La littérature étrangère a toujours été
plus populaire que la littérature locale en
Chine, et elle se vend mieux. Cela est particulièrement vrai maintenant que la Chine
a mis en œuvre des réformes politiques
et s’est ouverte au monde extérieur pour
essayer de rattraper le développement
international. Néanmoins, bien que la
Chine ait signé les accords internationaux
sur l’exploitation des droits d’auteur, les
copies pirates restent un problème très
courant53.
Pékin accueille depuis plus de dix ans
des foires internationales du livre, qui suscitent de plus en plus d’intérêt au niveau
international. Selon les rapports officiels
du gouvernement, le ratio entre les livres
chinois achetés à la Foire du livre de Francfort (c’est-à-dire les livres chinois qui vont
être traduits dans d’autres langues) et les
livres étrangers achetés lors de cette Foire
pour être traduits en chinois, est passé de
1 pour 10 dans les années 1980 à 4 pour 5
ces dernières années. Cependant, il s’agit
d’un rapport officiel basé uniquement
sur les contrats signés lors de la Foire du
livre de Francfort54.
En général, toujours selon les mêmes
sources, le ratio reste de 1 pour 10 si l’on
prend en compte le nombre total de livres
chinois traduits dans d’autres langues et
de livres étrangers traduits en chinois chaque année.
L’attitude envers la traduction et les
traducteurs littéraires
L’attitude générale envers la traduction
littéraire a considérablement évolué en
Chine au cours des décennies qui ont suivi la Révolution culturelle de 1966 à 1976.
Auparavant, surtout après que le Parti
communiste eût pris le pouvoir en Chine
continentale en 1949, les traducteurs littéraires étaient extrêmement respectés. Il y
avait deux raisons à cela : tout d’abord, la
plupart des bons écrivains et des érudits de
l’époque, en particulier ceux qui avaient
reçu une haute éducation et savaient lire
les langues étrangères, n’osaient pas écrire
leurs propres œuvres littéraires, par crainte de la persécution politique. Afin de rester fidèle à leur intérêt pour la littérature,
ils se tournaient vers la traduction d’œuvres de littérature étrangère, qui étaient
relativement sûres, surtout s’ils traduisaient les œuvres de Shakespeare, Balzac,
Pouchkine, etc., louées et approuvées par
Marx ou Lénine. À cette époque, la plupart des traducteurs étaient des professeurs de langue ou avaient été eux-mêmes
écrivains ou poètes, comme Yang Jiang
et Sheng Congwen. La seconde raison est
82 83
que les traductions étaient généralement
de meilleure qualité que les traductions
d’aujourd’hui. Les traducteurs de l’époque étaient de bons écrivains ou des éditeurs qui pouvaient lire l’original et qui
avaient en général reçu une excellente
éducation. Par exemple, Balzac a été traduit par le célèbre traducteur Fu Lei et très
bien accueilli en Chine, et certains experts
franco-chinois assurent que la traduction
chinoise de Balzac est encore meilleure
que le texte original en français.
À l’issue de la Révolution culturelle, à
la fin des années 1970, avec l’ouverture de
la Chine au monde extérieur grâce à la réforme économique, le climat général est
devenu beaucoup plus favorable à l’écriture littéraire. L’intérêt pour la littérature
occidentale s’est particulièrement développé chez les jeunes générations. En revanche, la traduction littéraire n’est plus
aussi prestigieuse de nos jours. Il y a apparemment de nouveau deux raisons à cela.
Premièrement, la traduction est devenue
beaucoup trop commerciale. De nombreux livres ne sont pas traduits pour leur
valeur littéraire, mais parce que ce sont
des best-sellers dans les pays occidentaux.
Par exemple, le Da Vinci Code est paru en
traduction chinoise avant sa sortie dans
de nombreuses langues occidentales. De
même, la série des livres d’Harry Potter est
publiée en Chine presque en même temps
que leur publication dans les pays occidentaux. Deuxièmement, les traducteurs
et les éditeurs n’ont pas toujours la même
maîtrise de la langue chinoise ni la même
éducation qu’auparavant. Ils travaillent
plus pour des raisons commerciales que
par intérêt littéraire. Cependant, certains
traducteurs sont très professionnels et
leurs traductions font montre d’une indéniable qualité littéraire, en particulier
celles qui sont publiées par des maisons
d’édition traditionnellement réputées
pour leur qualité, notamment Shanghai
Foreign Literature Press. Ainsi, tous les
ans, le lauréat du prix Nobel de littérature
est généralement très médiatisé en Chine
et est immédiatement publié en chinois.
Malheureusement, la qualité des
traductions littéraires est très inégale
aujourd’hui. Certaines peuvent être très
mauvaises. J’ai vu beaucoup de mauvais
exemples dans ma lecture assez large de
la littérature étrangère en traduction
chinoise. Par conséquent, rares sont les
traducteurs d’œuvres littéraires qui ont
une réputation nationale d’écrivains littéraires de nos jours. Si la traduction était
autrefois considérée comme un art, elle
constitue plutôt une activité commerciale
aujourd’hui. Peu d’auteurs littéraires ou
de poètes célèbres choisissent de s’engager dans la traduction littéraire. D’un
autre côté, ceux qui ont moins de succès
dans l’écriture littéraire peuvent faire du
bon travail en traduction. Par exemple, Li
Li, un poète vivant en Suède, également
membre de l’ICPC, n’est pas du tout connu
comme poète chinois, mais sa traduction
du poète suédois Tomas Transströmer a
eu beaucoup de succès et a remporté un
prix de traduction en 2005.
Étant donné que le Parti communiste
prêtait attention à la propagande, il existait un institut officiel à Pékin dès les années 1950. Le Bureau des langues étrangè-
Six études de cas sur la traduction littéraire
res (BLE) employait des experts étrangers
pour traduire la littérature chinoise dans
d’autres langues en une forme de propagande. Seules les œuvres approuvées par
le gouvernement pouvaient être traduites. Le BLE publiait également une revue
littéraire trimestrielle intitulée Littérature
chinoise dans plusieurs langues étrangères.
D’autre part, plusieurs revues littéraires
officielles ainsi que des maisons d’édition
ont aussi beaucoup contribué à la publication d’œuvres littéraires étrangères en traduction chinoise. Récemment, le gouvernement chinois a également mis en place
une fondation offrant des bourses visant
à soutenir les intellectuels étrangers qui
traduisent des œuvres littéraires chinoises dans leur langue. À Taiwan, il existe
également une fondation qui soutient la
traduction de la littérature chinoise de
Taiwan dans d’autres langues. Dans le cadre du processus de réforme économique,
le gouvernement subventionne moins
la traduction en chinois de la littérature
étrangère, étant donné que la littérature
étrangère a déjà beaucoup de succès sur le
marché chinois et que les maisons d’édition gagnent généralement de l’argent en
publiant des livres étrangers. En revanche,
le gouvernement insiste sur la promotion
d’un certain type de littérature chinoise
dans le reste du monde. Comme nous
l’avons dit précédemment, le gouvernement chinois a envoyé une importante
délégation à la Foire du livre de Francfort
en 2005 et, selon des sources gouvernementales, le ratio de littérature chinoise
achetée pour être traduite dans d’autres
langues par rapport aux livres étrangers
achetés pour être traduits en chinois lors
de cette Foire était de 4 pour 555.
Pour les écrivains en chinois, il est évident que le climat international est bien
meilleur aujourd’hui en ce qui concerne
leurs chances d’être traduits dans d’autres
langues. La littérature chinoise et les autres
types de livres chinois suscitent un intérêt
croissant dans le monde entier, tout comme d’autres aspects de la culture chinoise, tels que le cinéma et les beaux-arts. Il
convient de mentionner également que le
chinois est une des cinq langues officielles
de l’ONU et que sa portée mondiale incite
plus de gens à chercher à apprendre le
chinois. Ainsi, aux États-Unis, de plus en
plus de bons traducteurs sont capables de
traduire du chinois vers l’anglais en conservant une bonne qualité littéraire. En Europe, presque toutes les langues de moindre
importance, telles que le suédois, le danois
ou le norvégien, disposent de traducteurs
qui font du bon travail avec la littérature
chinoise, bien que certains d’entre eux travaillent à partir de la traduction anglaise.
Il est toujours important d’avoir de
bonnes œuvres littéraires traduites dans
d’autres langues, et plus particulièrement
en anglais. L’amélioration de la compréhension mutuelle entre les différentes
cultures et littératures est la mission du
PEN Club international, telle qu’elle est définie dans sa charte. Pour les membres de
l’ICPC, il est encore plus important de voir
leurs œuvres traduites dans d’autres langues. En effet, les membres de l’ICPC sont,
pour la plupart, des dissidents en Chine,
dont les œuvres sont interdites pour des
raisons politiques, bien que certaines de
84 85
ces œuvres fassent preuve d’une excellente qualité littéraire et d’une signification
de la plus haute importance. Si ces œuvres
sont traduites dans d’autres langues, en
particulier en anglais, et reçoivent une reconnaissance internationale, cela permettra alors d’influencer les lecteurs chinois.
Cette influence est un effet spécifique de
la traduction d’une œuvre littéraire dans
le contexte chinois. L’écrivain Liao Yiwu,
membre de l’ICPC, en est un bon exemple :
après la traduction de son œuvre dans
d’autres langues, notamment en anglais
et en français, son influence parmi les lecteurs chinois et sur la littérature chinoise
augmentera également.
Quelques observations
complémentaires
Le cas du chinois montre que la traduction
de la littérature peut transmettre des valeurs et des intérêts différents. Le choix de
ces différentes valeurs peut être culturel
ou littéraire, mais aussi social, politique ou
commercial. On peut décider de réaliser
une traduction en fonction de valeurs ou
d’intérêts personnels, qui feront que tel ou
tel type de littérature sera traduite et, par
conséquent, voyagera. La question qui se
pose alors est la suivante : quel type de littérature doit-on « faire voyager » ?
Dans le contexte de la mondialisation,
les différences de valeurs suscitent des
débats. Certains prônent les valeurs universelles, tandis que d’autres prônent
des valeurs différentes, les « valeurs asiatiques » par exemple. Dans la perspective
post-colonialiste, dans la perspective de
la soi-disant hégémonie culturelle de
l’Occident ou, selon les termes d’Edward
Saïd, de l’impérialisme culturel, ou dans
la perspective de ce que j’ai appelé les « vases communicants culturels », certaines
valeurs tirent parti de leur position élevée, tout comme l’eau coule vers le bas.
Ce phénomène se reflète souvent dans
la traduction littéraire, en particulier au
niveau quantitatif. Cependant, ce n’est à
mon avis pas forcément négatif.
Le PEN Club international prône des
valeurs universelles liées aux droits de
l’homme, telles que la liberté d’expression,
mais insiste également sur la diversité des
différentes cultures. Nous devons identifier la littérature dans l’espace (horizontal),
mais aussi dans le temps (vertical). En effet,
toutes les cultures se développent généralement en évoluant de la tradition vers la
modernité. Par conséquent, la traduction
littéraire n’est pas seulement un effort
pour faire se croiser différentes cultures
horizontalement, mais également un effort pour faire évoluer toutes les sociétés
traditionnelles vers des sociétés modernes.
Dans ce sens, cette eau qui coule du haut
vers le bas ne crée pas un déséquilibre,
mais plutôt un nouvel équilibre.
La traduction littéraire suit aussi l’évolution de la société et les besoins de la
population. Il est également important
de conserver une diversité de cultures. La
diversité signifie que nous devons laisser
une pluralité de valeurs circuler librement
entre les différentes régions du monde
dans le cadre de la coordination que j’ai
décrite précédemment. Grâce à un soutien international, nous devons essayer
de briser les barrières entre elles, que ces
Six études de cas sur la traduction littéraire
barrières soient naturelles (d’un point de
vue linguistique) ou artificielles (pour des
raisons politiques). Internet contribuera à
surmonter ces barrières.
3.6 La France
Anne-Sophie Simenel, directrice de programme, Services culturels de l’Ambassade de
France à New York
Depuis quelque temps maintenant, les sections de littérature française et de littérature étrangère se côtoient en proportions
presque égales sur les rayons des librairies
françaises. Elles révèlent une diversité
et un éclectisme qui témoignent, année
après année, de l’ouverture au monde de
l’édition française.
Cette image est renforcée par le fait que,
depuis plus de vingt ans, il existe des maisons d’édition plus ou moins importantes
qui proposent un catalogue essentiellement étranger, notamment les éditions
Actes Sud et les éditions Philippe Picquier
– qui publient principalement des œuvres
traduites des langues asiatiques.
Pourtant, le coût d’une traduction reste élevé, et son succès n’est jamais garanti.
Alors, comment expliquer ce succès français ? Et la réciproque existe-t-elle dans les
autres pays du monde, et en particulier
aux États-Unis ?
La littérature étrangère en France
L’état de l’art
Le contexte est assez facile à déterminer. Il
suffit de consulter les catalogues des dif-
férents éditeurs français, des grands groupes aux petites maisons d’édition, pour
voir clairement quelle est la situation de
la littérature étrangère en France : environ un tiers des œuvres littéraires parues
en France sont traduites d’une autre langue. Depuis 1996, à chaque nouvelle saison littéraire (de fin août à fin octobre), la
proportion de romans traduits d’une langue étrangère vers le français était d’entre
39,5 % (en 1996) et 32,2 % (en 2005)56.
L’anglais (l’ensemble des pays anglophones) arrive en tête du classement avec,
pour toute l’année 2004, 240 titres littéraires achetés sur un total de 430 – autrement dit, plus de la moitié –, avec une prédominance des titres américains (153, soit
un tiers des acquisitions d’œuvres de littérature, toutes langues confondues) sur
les titres britanniques (66)57. Loin derrière
l’anglais arrivent l’allemand, avec 41 titres
achetés, suivi de l’espagnol et de l’italien,
avec 24 et 23 acquisitions respectivement,
le russe (19 titres), le suédois et le chinois
(11 et 10 titres, respectivement) et, enfin,
dans le peloton de queue, le japonais et le
néerlandais (7 titres chacun), le norvégien
(6 titres) et le portugais (5 titres).
L’accueil des œuvres traduites en
France
Cependant, une traduction constitue un
lourd fardeau financier et exige un investissement important en termes de temps.
En effet, si l’on prend le tarif moyen d’un
traducteur, soit 20 euros par page de 1 500
signes (nous reviendrons à cela plus en détail par la suite), il faut calculer une avance
de plus de 2 500 euros pour la traduction
86 87
d’une œuvre de 200 000 signes (environ
150 pages), ce qui fait considérablement
augmenter le prix de vente au détail final
du livre. En outre, la traduction s’étale
sur de longues périodes de temps, et il
peut s’écouler plusieurs années entre la
signature d’un contrat pour la cession des
droits et la parution de l’œuvre.
Mais, comme le montrent les chiffres cidessus, les éditeurs prennent le risque malgré tout. Ces résultats sont dus à une combinaison de plusieurs facteurs : l’intérêt égal
que manifestent les lecteurs français pour
la littérature française et étrangère est sans
aucun doute lié à la qualité des auteurs et
des œuvres choisis, à la qualité de la traduction et à la médiatisation considérable
des œuvres publiées. Laissons de côté les
deux premiers facteurs, sur lesquels nous
reviendrons plus tard, pour mentionner,
en ce qui concerne le troisième facteur,
l’existence de colonnes consacrées à la littérature étrangère dans toutes les revues
littéraires, telles que LIRE, Le Magazine Littéraire, Livres Hebdo ou Le Monde des Livres.
Il va sans dire que les auteurs étrangers
jouissent d’un prestige considérable et
d’une certaine aura en France, peut-être
même plus que dans leur propre pays.
Dans Livres Hebdo du 1er juillet 2005, par
exemple, Claude Combet fait remarquer
que le dernier livre de Paul Auster, Brooklyn Follies, a été publié par Actes Sud en
France avant même sa parution aux ÉtatsUnis en janvier 2006.
En règle générale, les éditeurs français,
surtout lorsqu’il s’agit de littérature américaine, ont tendance à être à l’affût plutôt
qu’en attente.
Les raisons de la réussite de
l’ouverture au monde du secteur
français de l’édition
Les éditeurs et les lecteurs spécialisés
Bien que les maisons d’édition ne fonctionnent pas toutes sur le même modèle, il est intéressant d’analyser brièvement le fonctionnement de la maison d’édition Actes Sud,
qui a récemment gagné le prix Goncourt, la
récompense littéraire française la plus prestigieuse, et compte parmi ses auteurs un
lauréat du prix Nobel, l’écrivain hongrois
Imre Kertesz, qu’elle a contribué à faire découvrir. En effet, la politique de cette maison, qui a basé son catalogue sur les œuvres
étrangères, consiste à confier la publication
des œuvres traduites d’une autre langue à
des directeurs de collection qui sont d’excellents connaisseurs de la langue de l’auteur.
La maison d’édition fournit les œuvres, les
éditeurs et les correcteurs de la traduction si
nécessaire. Il ne fait aucun doute que le succès de cette maison d’édition repose sur sa
capacité à lire les auteurs dans le texte.
Ce modèle s’applique à beaucoup
d’autres maisons d’édition, dans une moindre mesure en fonction des langues traduites. En effet, s’il va sans dire que la plupart
des éditeurs français peuvent lire en anglais,
c’est loin d’être le cas pour les langues moins
courantes. Celles-ci n’en sont pas négligées
pour autant, grâce au travail de lecteurs
compétents, des conclusions et des conseils
desquels dépendent les éditeurs.
Les traducteurs
Le premier point est donc la qualité des
œuvres choisies. Le deuxième, et non des
Six études de cas sur la traduction littéraire
moindres, est la qualité des traducteurs et
de leur travail.
En France, cette qualité est attestée par
le statut du traducteur, qu’il soit littéraire
ou technique, qui est considéré comme
un auteur, comme un professionnel dont
les droits et les obligations sont garantis
par plusieurs associations et syndicats.
En ce qui concerne la rémunération
des traducteurs, les dispositions du Code
des usages de la traduction littéraire, signé
en mars 1993 entre, d’une part, l’Association des traducteurs littéraires de France
(ATLF), la Société des gens de lettres (SGDL)
et la Société française des traducteurs
(SFT), et, d’autre part, le Syndicat national de l’édition (SNE), sont les suivantes :
le paiement des traductions littéraires
doit faire l’objet d’un « à-valoir sur droits
d’auteur proportionnels, dont le montant
[…] dépend notamment de la longueur et
de la difficulté de la traduction, ainsi que
de la compétence et de la notoriété du traducteur ». L’unité de calcul est la page de
25 lignes de 60 signes, payée en moyenne
entre 19,50 euros et 21,50 euros pour les
traductions de l’anglais, entre 21,50 euros
et 22,50 euros pour les traductions de l’allemand, de l’italien et de l’espagnol, et
entre 21,50 euros et 23,50 euros pour les
autres langues58. Cet à-valoir est déduit
des futurs droits d’auteur dont bénéficie
le traducteur.
L’objectif de ce cadre, qui reconnaît le
travail du traducteur comme une profession spécifique autonome, est d’améliorer
sa situation matérielle et sociale et de promouvoir la qualité de la traduction des œuvres étrangères publiées en France, afin de
soutenir le développement de la littérature
étrangère dans le paysage éditorial français.
Les aides financières du CNL
Depuis de nombreuses années, le programme d’aide à la traduction du Centre national du livre (CNL) est ouvert aux
éditeurs français souhaitant publier des
œuvres traduites. La subvention accordée
finance entre 50 % et 60 % du prix total de
la traduction.
Pour être éligible, l’éditeur doit soumettre un dossier comprenant un échantillon
de traduction représentant environ 20 % de
l’œuvre, et le dossier est évalué, entre autres,
sur la qualité de la traduction. Il est également stipulé que le contrat entre le traducteur et l’éditeur (qui doit être présenté dans
le dossier) doit être « conforme au Code des
usages » que nous avons mentionné plus
haut. En d’autres termes, si le traducteur est
payé moins de 17 euros par page, aucune
subvention ne sera accordée à l’éditeur. Si le
tarif est compris entre 17 et 20 euros, l’éditeur recevra 50 % du coût de la traduction,
et 60 % si le tarif est supérieur à 20 euros.
Ce programme de subventions du CNL
offre donc une aide à double titre au développement de la publication de littérature étrangère en France, en soutenant à
la fois l’éditeur et le traducteur.
La littérature française à l’étranger
L’état de l’art : les chiffres dans le
monde et les pays acheteurs
Selon l’enquête Échange de droits (88 éditeurs) réalisée par la Centrale de l’édition
et le SNE en 2002, 4 698 titres (tous do-
88 89
maines confondus) ont fait l’objet d’une
cession de droits aux éditeurs étrangers à
des fins de traduction. Le chiffre d’affaires
pour ces droits s’élevait à 106 millions, soit
une hausse de 7,5 % par rapport à l’année
précédente.
Deux ans après, selon les statistiques
extérieures 2004 du Syndicat national de
l’édition (SNE), le nombre de titres vendus
était monté à 6 077, dont près d’un tiers
(1 817) étaient des œuvres de littérature. La
comparaison entre les acquisitions et les
cessions de droits en 2004 est éloquente :
la France vend beaucoup plus de livres
qu’elle n’en achète, avec un ratio d’un titre acheté pour 4,2 titres vendus.
Si l’on analyse ces chiffres plus en détail,
il apparaît que les pays les plus adeptes de
la littérature française sont les voisins de la
France : l’Italie (157 titres achetés), l’Espagne
(148 titres achetés, sur 165 pour l’ensemble
des pays hispanophones) et l’Allemagne
(117 pour la langue allemande en général).
Parmi les autres pays présentant des chiffres
élevés figurent la Grèce (91), la Roumanie
(91), la Turquie (75) et le Portugal (74, plus 44
pour le Brésil). L’Europe de l’Est manifeste
également un fort intérêt pour la production littéraire française : la Pologne se place
en bonne position avec 72 titres, suivie par
la République tchèque avec 63 titres et, dans
une moindre mesure, la Yougoslavie, la Bulgarie, la Hongrie, la Lituanie et la Slovénie,
avec 48, 38, 34, 31 et 25 ouvrages achetés, respectivement. Enfin, il faut noter que les pays
d’Asie sont également de bons acheteurs,
avec 72 titres vendus à la Corée du Sud, 49
à la Chine et 48 au Japon. En ce qui concerne les échanges de droits avec ces pays, on
constate que la balance pèse lourdement en
faveur de la France.
Cependant, l’équilibre s’inverse lorsqu’il
s’agit des pays anglophones. En effet, pour
240 titres en anglais achetés, seulement 90
titres français ont été vendus en 2004, avec
le même nombre pour le Royaume-Uni et
pour les États-Unis (42 titres chacun). On
constate ainsi un très grave déséquilibre
dans les échanges de droits avec les ÉtatsUnis, qui restent pour les éditeurs et pour
les auteurs français un Eldorado de l’édition, tout comme du cinéma.
L’accueil des auteurs français dans le
monde et aux États-Unis
Si nous trouvons, parmi les auteurs français
les plus traduits dans le monde, de nombreux écrivains du milieu du xxe siècle, tels
que Sartre, Camus, Malraux ou Gide, nous
ne devons pas sous-estimer pour autant
l’importance des auteurs contemporains.
En effet, selon Lucinda Karter, directrice de France Édition, Inc. – antenne
permanente du Bureau international de
l’édition française (BIEF) à New York, qui
représente plusieurs éditeurs français
aux États-Unis –, les éditeurs américains
« étaient plutôt preneurs des grands noms
de la littérature, de la critique littéraire,
de la philosophie, de l’histoire, de la sociologie59 ». Et de citer certains de ces grands
noms : Althusser, Bataille, Baudrillard,
Breton, Char, Deleuze, Duras, Ernaux, Furet, Glissant, Klossowski, Kristeva, Leiris,
Le Roy Ladurie, Levinas, Michaux, Nora,
Perec, Queneau, Ricoeur, Sagan, Serres,
Sollers ou Todorov. Mais Mme Karter remarque aussi une déviation de l’intérêt
Six études de cas sur la traduction littéraire
vers des œuvres de fiction d’auteurs plus
contemporains, tels qu’Emmanuel Carrère, François Cheng, Assia Djebar, Anna Gavalda, Camille Laurens, Amélie Nothomb
ou Jean-Christophe Ruffin, et même un
intérêt pour des auteurs peu connus en
France, notamment Laurent Graf et Thomas Gunzig. Depuis peu, cette tendance
s’applique également aux auteurs français vivant outre-atlantique (notamment
Alain Mabanckou, dont le roman African
Psycho a été publié en 2007 par SoftSkull
Press), aux descendants d’immigrants
(comme le montre, par exemple, la récente parution de Kiffe kiffe demain de Faïza
Guène, publié chez Harcourt) et aux exilés ou aux étrangers vivant en France (Les
Mots étrangers de Vassilis Alexakis, auteur
grec vivant en France et écrivant en français, a été publié au printemps 2006 par
Autumn Hill Books).
Aux États-Unis, bien que la balance commerciale soit défavorable à la France et qu’il
reste encore des efforts considérables à faire,
la production française dans le monde de
l’édition est en bonne position, avec 0,8 %
du total de la production américaine, qui
ne compte que 2,8 % d’œuvres traduites.
Autrement dit, environ 30 % des ouvrages
publiés en traduction aux États-Unis proviennent de sources francophones.
La promotion de la littérature
française à l’étranger
Si, à l’exception des États-Unis, les chiffres
des ventes de littérature française sont éloquents, il ne faut pas oublier qu’ils sont le
fruit des nombreuses initiatives lancées,
d’une part, par les éditeurs et, d’autre part,
par les différentes instances travaillant
dans le monde du livre à l’étranger, telles
que le BIEF, le CNL et les Services du livre
des ambassades de France, en particulier
à New York.
Parmi ces initiatives figurent un certain
nombre d’aides, destinées aussi bien aux
éditeurs étrangers souhaitant publier des
œuvres françaises qu’aux traducteurs travaillant du français vers une langue étrangère, proposées par le ministère de la Culture
et le ministère des Affaires étrangères. Par
exemple, au travers de la Direction du livre
et de la lecture et du Centre national du livre,
le ministère de la Culture affecte un budget
de près de dix millions d’euros à l’aide au
développement et à l’exportation des publications françaises et à la cession des droits
de titres français aux éditeurs étrangers.
Le Bureau international de l’édition
française (BIEF)
Le BIEF est une structure associative qui
fait la promotion de l’édition française à
l’étranger en participant aux principaux
événements, mais qui est également engagée dans l’étude, la prospection de marchés, la documentation et la formation
de professionnels étrangers. Le BIEF, qui
compte 250 membres et bénéficie du soutien du ministère français de la Culture et
de la Communication et du ministère des
Affaires étrangères, existe depuis 130 ans.
Il travaille également en étroite collaboration avec le Syndicat national de l’édition
(SNE), le Centre d’exportation du livre français (CELF) et la Centrale de l’édition.
Chaque année, avec plus de 70 actions,
le BIEF assure la présence collective des
90 91
ouvrages des éditeurs français dans les
foires ou salons du livre du monde entier,
manifestations généralistes comme Francfort ou spécialisées comme Bologne, dans
les congrès internationaux mais aussi au
travers d’expositions d’ouvrages par domaine éditorial, expositions qui fréquemment sont présentées dans plusieurs villes
d’un même pays.
Le BIEF assure également des séminaires d’échanges professionnels et des
formations de professionnels du livre à
l’étranger. L’accueil en France de certains
d’entre eux au moment du Salon du livre
de Paris comme dans des maisons d’édition françaises pendant plusieurs mois
participe de la volonté du BIEF d’être au
cœur des rencontres entre libraires, éditeurs, et plus généralement acteurs de la
chaîne du livre qui souhaitent coopérer
avec l’édition française.
En appui et en complément à ces activités, le BIEF met à la disposition de ses
adhérents des études sur les marchés du
livre à l’étranger, sur la place qu’y occupe
le livre français – en termes de cessions
de droits et d’exportations – et sur son
potentiel de développement, à travers la
publication trimestrielle d’une Lettre et de
dossiers spéciaux et la production de synthèses. Le site Internet www.bief.org est
un outil d’information complémentaire
sur les activités et synthèses réalisées, ainsi
que sur l’actualité du secteur. En matière
de cessions de droits, l’Europe (au sens le
plus large), l’Asie, mais aussi l’Amérique
latine constituent les zones prioritaires
actuelles. France Édition Inc., qui est les
yeux et les oreilles du BIEF à New York,
propose à tous ses adhérents les services
d’une agence de droits pour la langue anglaise et, à Hanoi, France Édition Viêt-nam
a pour mission de développer les échanges
franco-vietnamiens dans le domaine du
livre, tant en matière d’exportation que
d’échanges de droits ou de coéditions.
Les aides financières
Le gouvernement français subventionne
également les initiatives de traduction
dans le cadre de différents programmes,
destinés aussi bien aux éditeurs qu’aux
traducteurs étrangers.
Les aides pour les éditeurs
Le Centre national du livre (CNL)
Le Centre national du livre apporte un
soutien aux éditeurs français pour la
cession des droits de traduction de leurs
livres à leurs homologues étrangers et assume une partie du coût de la traduction.
Il prête une attention particulière aux
marchés considérés comme « difficiles » et
aux domaines littéraires pour lesquels la
promotion à l’étranger est pratiquement
indispensable (sciences humaines et sociales, théâtre, littérature pour la jeunesse,
etc.). Environ 500 titres par an bénéficient
de l’aide du CNL pour être traduits dans
une langue étrangère.
Pour être éligible, le dossier doit être
soumis par l’éditeur français qui détient
les droits de vente de l’ouvrage. Les dossiers
sont examinés par une commission composée de représentants des administrations
concernées, de professionnels de l’édition
et de personnes qualifiées. Les dossiers sont
Six études de cas sur la traduction littéraire
sélectionnés en fonction de plusieurs critères, notamment la qualité de l’ouvrage, la
politique éditoriale de l’éditeur étranger
ainsi que le respect de ses engagements envers les éditeurs français, le risque éditorial
encouru, la rémunération du traducteur
et le montant de l’à-valoir.
Les aides – versées à l’éditeur français,
qui doit, à son tour, les reverser aux éditeurs étrangers – sont calculées à partir
des honoraires du ou des traducteurs, à
l’exclusion de tout autre frais lié à la fabrication ou à la promotion de l’ouvrage.
Le montant accordé peut représenter de
20 % à 50 % du coût de traduction présenté dans le dossier de demande.
La Direction générale de la coopération
internationale et du développement
(ministère des Affaires étrangères)
De plus, le ministère des Affaires étrangères propose depuis plusieurs années un
programme d’aide aux éditeurs étrangers : le Programme d’aide à la publication (PAP), destiné à soutenir les livres revêtant une grande importance culturelle.
Un programme à moyen et long termes
pour la publication des auteurs français
est mis en place par les éditeurs locaux en
collaboration avec les services culturels
des ambassades de France.
Pour les États-Unis, cette aide, appelée
bourse Hemingway, est remise aux éditeurs américains par l’intermédiaire des
services culturels de l’ambassade de France aux États-Unis. Elle ne peut être cumulée avec une aide du CNL, et son montant
varie entre 1 000 et 6 000 dollars. Dans
son dossier de demande, l’éditeur améri-
cain doit présenter, entre autres, un budget prévisionnel justifiant le montant de
l’aide demandée.
Les aides pour les traducteurs
En plus de l’aide accordée aux éditeurs
étrangers, le CNL et le ministère des Affaires étrangères offrent aux traducteurs travaillant du français vers d’autres langues
plusieurs types d’aides destinées à soutenir leur travail.
L’aide à la traduction
Le CNL accorde, à certaines conditions,
une aide pour la traduction d’un ouvrage.
Cette aide est destinée à soutenir la traduction des œuvres françaises dans d’autres
langues, à l’exception des livres relevant
du domaine public, des livres scolaires, des
guides pratiques et des revues. Le montant
de l’aide, qui est versée directement aux
traducteurs, peut représenter entre 20 % et
50 % du coût de la traduction.
Il existe deux types d’aide. L’un, les bourses, s’applique à tous les domaines de traduction et sert à financer des projets personnels à long terme. Pour être éligible, le
traducteur doit avoir traduit trois ouvrages publiés et prendre un congé complet
ou partiel.
Le second type d’aide, les crédits de traduction, consiste en un montant forfaitaire
accordé pour la traduction d’une œuvre
difficile à des fins de protection du patrimoine. Le dossier de demande doit être déposé par le traducteur, accompagné d’une
lettre présentant les problèmes (difficultés
stylistiques, différents niveaux de langue,
recherche documentaire, etc.) et l’intérêt de
92 93
l’ouvrage. La commission décide de l’attribution des crédits en fonction de la qualité du
texte original et d’un échantillon de la traduction, et évalue le degré de difficulté de la
traduction. Le traducteur doit présenter un
contrat de traduction, et l’aide vient s’ajouter à la rémunération versée par l’éditeur.
Les bourses de séjour pour les traducteurs étrangers
Le CNL accorde également des bourses aux
traducteurs étrangers désireux de séjourner en France pour y mener un projet de
traduction. Pour obtenir ces bourses, les
candidats doivent faire parvenir un dossier au CNL par l’intermédiaire des services
culturels de l’ambassade de France de leur
pays de résidence. Les décisions sont prises
par le président du CNL après consultation
d’une commission composée de traducteurs, d’éditeurs et de représentants des
administrations concernées. Cette commission ne se réunit qu’une fois par an
et accorde une centaine de bourses, d’un
montant de 1 525 euros par mois pour un
séjour de un à trois mois, à l’exclusion des
frais de voyage.
Les traducteurs doivent justifier d’un
projet de traduction d’un ouvrage français
faisant l’objet d’un contrat avec un éditeur
étranger. Ils doivent résider à l’étranger.
Tous les genres sont concernés (littérature,
poésie, jeunesse, sciences humaines et sociales) et toutes les œuvres, y compris celles
tombées dans le domaine public.
Depuis 2005, par l’intermédiaire du
Service du livre de l’ambassade de France
à New York, le ministère des Affaires étrangères gère son propre programme de sé-
jours pour les traducteurs du français à
l’anglais (États-Unis et Royaume-Uni), en
partenariat avec la Villa Gillet, une institution culturelle située à Lyon.
Ce programme permet à des traducteurs étrangers travaillant sur un projet de
traduction d’une œuvre française contemporaine de passer six semaines à Lyon
(l’aide inclut le transport, le logement et
une indemnité) afin de prendre part à la
vie culturelle de la ville. Les traducteurs
sélectionnés participent toujours aux ateliers de travail de la Villa Gillet. Pour être
éligibles, les traducteurs ne doivent pas
nécessairement justifier d’un contrat avec
un éditeur étranger, puisque le but de ces
séjours est d’introduire de nouveaux projets dans les paysages éditoriaux américain
et anglais.
Les actions des services de coopération
culturelle à New York
Créé en 2004, le Service du livre de l’ambassade de France à New York s’est engagé
à promouvoir les titres français aux ÉtatsUnis. Pour mener cette tâche à bien, il
dispose d’une gamme d’outils variée : la
campagne de la bourse Hemingway et les
résidences de traduction à la Villa Gillet,
mais aussi un nouveau programme de
soutien à la traduction des titres français
publiés depuis 2000. Ce programme, intitulé French Voices, comprend un programme de visites d’auteurs francophones
aux États-Unis et d’invitations d’auteurs
et d’éditeurs américains en France, ainsi
qu’un site Internet destiné aux professionnels du livre américains, qui se veut
un filtre pour l’édition française.
French Voices
En partenariat avec le PEN Club américain,
le Service du livre a mis en place en 2006
French Voices, un nouveau programme de
traduction conçu pour venir en aide à la
publication aux États-Unis de livres écrits
en français et publiés après 2000.
D’ici à la fin 2008, trente livres – parmi
lesquels autant d’œuvres littéraires que
d’essais – auront été sélectionnés par une
commission de professionnels français et
américains du secteur du livre.
La série, reconnaissable grâce à un logo
dessiné par le célèbre artiste français Serge Bloch, offrira aux lecteurs anglophones
une nouvelle perspective francophone
sur notre environnement marqué par la
mondialisation. Chaque livre sera introduit par une courte préface écrite par un
auteur célèbre, et un guide de lecture sera
disponible gratuitement sur le site www.
frenchbooknews.com.
Afin de compenser les risques financiers
liés à la distribution de textes traduits sur
le marché américain, l’éditeur de chaque
projet sélectionné recevra 6 000 dollars
pour la rémunération du traducteur. Si
un projet ne disposant pas d’éditeur américain est sélectionné, le Service du livre
fera de son mieux pour le soutenir en recherchant un partenaire convenable et en
lui faisant des propositions.
Les visites et les invitations
En outre, le Service du livre organise environ trente visites d’auteurs par an : le but
est d’inviter des auteurs francophones à
venir prendre part à des conférences dans
les universités, faire des lectures dans les
librairies et les Alliances françaises ou assurer le suivi promotionnel d’une œuvre
traduite aux États-Unis. Ces visites constituent également une occasion pour les
auteurs qui n’ont pas encore été traduits
de rencontrer des éditeurs et des agents
littéraires américains.
Dans le cadre d’un projet d’une durée
de trois ans, le Service du livre offre également une subvention au PEN Club américain pour financer la visite d’une délégation de dix auteurs au festival littéraire
World Voices.
Enfin, le Service du livre propose une
série d’invitations en France à l’intention
d’auteurs et, plus particulièrement, d’éditeurs américains. Ces invitations permettront aux éditeurs des deux pays de se
rencontrer, de découvrir leurs catalogues
respectifs et d’établir des relations commerciales à long terme.
www.frenchbooknews.com
C’est ainsi que le Service du livre peut prêter assistance aux éditeurs américains à
des étapes décisives : en établissant un lien
avec les éditeurs français, en finançant des
projets de traduction et en assurant le suivi
après la publication d’une œuvre. Le site
web www.frenchbooknews.com, créé en association avec le Bureau du livre de l’ambassade de France à Londres, joue un quatrième rôle, non moins décisif : proposer une
offre intéressante en sélectionnant chaque
mois une douzaine d’ouvrages récemment
parus en France et en les présentant aux
éditeurs sous la forme d’un résumé critique. Le site fournit également aux professionnels américains et anglais une liste de
94 95
contacts des personnes chargées des cessions de droits dans les maisons d’édition
françaises, une liste des aides accordées
aux éditeurs et aux traducteurs par le CNL
et par le ministère des Affaires étrangères,
et une base de données répertoriant tous
les textes traduits en anglais depuis 1990,
qui entrera en service à l’automne 2007.
Toutes ces initiatives du gouvernement
français à l’intention des éditeurs étrangers permettent la diffusion non seulement de la littérature, mais de l’ensemble
des publications françaises à l’étranger
– et cela est particulièrement vrai en ce
qui concerne les États-Unis. C’est grâce au
regroupement de ces initiatives que les
chiffres des cessions de droits français à
l’étranger sont si bons.
Pour ce qui est des États-Unis, nous
pouvons (avec optimisme) percevoir un
changement d’atmosphère, qui laisserait
plus de place à la traduction dans son ensemble, et en particulier à la traduction
du français. Cette perspective est confirmée par l’immense succès d’auteurs
français ou francophones, notamment
Bernard-Henri Lévy (en dépit et sans doute en raison de la controverse qu’il suscite), Marjane Satrapi pour la bande dessinée, ou Irène Némirovsky, dont le roman
posthume Suite française a été publié au
printemps 2006 chez Knopf. De plus,
certaines maisons d’édition françaises
et européennes, telles qu’Assouline ou
Europa Editions (Italie), se sont embarquées dans l’aventure américaine, et six
agents littéraires français jouent un rôle
de plus en plus important sur le marché
américain de l’édition.
En conclusion, revenons sur l’état de
la traduction à partir du français et vers le
français en France. Dans l’ensemble, la situation est très positive pour les traductions du
français vers une autre langue. Il existe un
grand nombre de pays acheteurs, les chiffres de vente sont très bons, et la diffusion
de la littérature française est excellente dans
une large majorité de pays. Pour la traduction des langues étrangères vers le français,
notre évaluation doit être plus nuancée,
mais les traductions sont de bonne qualité,
et les immenses efforts réalisés en faveur des
traducteurs sont enfin récompensés.
Néanmoins, on constate un fort déséquilibre entre les cessions et les acquisitions de droits, en particulier au détriment de nos voisins européens, auxquels
nous devrions prêter davantage attention.
Au final, le bilan a beau être positif dans
l’ensemble, il n’en reste pas moins relativement négatif, malgré tout, si l’on prend
en compte la traduction en anglais des
œuvres de littérature française, en particulier aux États-Unis.
Il reste beaucoup de mesures à prendre, dont la principale est de convaincre
les éditeurs américains de considérer le
travail du traducteur comme un art, digne d’être payé à sa juste valeur et de recevoir un statut protecteur. En effet, il ne
fait aucun doute que la promotion de la
littérature étrangère dans un pays dépend
avant tout de la traduction, de sa qualité,
et de l’appréciation et de la reconnaissance accordées aux traducteurs.
Six études de cas sur la traduction littéraire
NOTES
L’Allemagne
L’Argentine
8
Goethe-Institut, http://www.goethe.de ; EUROPA, le portail de l’Union européenne, http://www.europa.eu.
Voir, à ce sujet, l’excellente étude de Patricia WILLSON,
La Constelación del Sur. Traductores y traducciones en la
literatura argentina del Siglo XX, Buenos Aires, Siglo XXI
Editores, Argentine, 2004.
1
Ces chiffres proviennent du site officiel de la Chambre argentine du livre : www.editores.org.ar.
2
Il suffit d’un coup d’œil aux suppléments culturels des principaux journaux argentins – La Nación, Clarín ou Página/12
– pour le vérifier.
3
La Catalogne
4
En Espagne, le terme castellano (castillan) est généralement employé lorsque le contexte fait référence aux différentes langues de l’État espagnol, tandis que le terme
español (espagnol) est généralement utilisé par rapport
aux langues des autres pays. Selon certains philologues, le
terme « castillan » désigne exclusivement la langue parlée en Castille au Moyen Âge ou, en termes modernes, un
sous-dialecte de l’espagnol, parlé en Castille et différent de
l’espagnol parlé dans les autres régions d’Espagne, en Andalousie et en Aragon (dont les écrivains sont des auteurs
espagnols, et non des auteurs « castillans »), par exemple.
Étant donné que « espagnol » est le terme générique (dénué de connotations idéologiques, politiques et territoriales) qui est normalement utilisé en français, je l’utiliserai
tout au long de ce texte (sauf lorsque la précision requiert
l’emploi de « castillan ») pour désigner la langue de l’État
espagnol. [note du traducteur]
9
Analyse de consommation 2004, Bauer Media KG : http://
www.bauermedia.com.
bfai - Bundesagentur fuer Aussenwirtschaft (Agence fédérale des affaires économiques extérieures), http://www.
bfai.de.
10
11
Börsenverein des Deutschen Buchhandels (Union centrale
de la librairie allemande), http://www.boersenverein.de/.
Becker, Jürgen Jakob, Traduction, in Schütz, Erhard
(Éditeur), Das BuchMarktBuch. Der Literaturbetrieb in
Grundbegriffen. Reinbek bei Hamburg, Rowholts Enzyklopaedie im Rowohlt Taschenbuch Verlag, 2005.
12
13
Börsenverein des Deutschen Buchhandels (Union centrale de la librairie allemande) (Éd.), Traductions en allemand,
in « Buch und Buchhandel in Zahlen 2006 », Francfort-surle-Main, MVB Marketing- und Verlagsservice des Buchhandels, 2006.
Becker, Jürgen Jakob, Traduction, in Schütz, éditions
Erhard, Das BuchMarktBuch. Der Literaturbetrieb in Grundbegriffen. Reinbek bei Hamburg, Rowholts Enzyklopaedie
im Rowohlt Taschenbuch Verlag, 2005.
14
15
HARRIS, Megan. Foreign Books Dominate German Market, consulté le 2 octobre 2005 à l’adresse http://www.dwworld.de/dw/article/0,2144,1726488,00 html.
16
5
Une base de données créée par l’Institució de Lletres
Catalanes (Institut des lettres catalanes) pour recueillir
des Informations sur la traduction des œuvres catalanes
dans les autres langues. Depuis 2002, l’Institut Ramon Llull
est chargé de la mettre à jour. Les archives TRAC ont été
converties en base de données informatique et peuvent
être consultées gratuitement sur Internet à l’adresse www.
llull.cat/llull/biblioteca/trac.jsp.
6
Cette section se base sur une enquête réalisée par courrier électronique auprès d’une cinquantaine de traducteurs
et de personnes travaillant dans l’édition. Bien que nous ne
les citions pas par leur nom, nous avons essayé d’inclure les
opinions les plus fréquentes.
7
Peter Bush, « Reviewing Translations: Barcelona, London
and Paris », dans EnterText, une revue électronique inter—
active interdisciplinaire pour les études culturelles et historiques et le travail de création, Brunel University of West
London (volume 4, n° 3, supplément, hiver 2004/2005).
Disponible sur Internet à l’adresse http://www.brunel.
ac.uk/4042/entertext4.3sup/ET43SBushEd.doc (consulté
pour la dernière fois le 3 juin 2007 [note de l’éditeur]).
Foire du livre de Francfort : http://www.book-fair.com.
Becker, Jürgen Jakob, Traduction, in Schütz, éditions
Erhard, Das BuchMarktBuch. Der Literaturbetrieb in Grundbegriffen. Reinbek bei Hamburg, Rowholts Enzyklopaedie
im Rowohlt Taschenbuch Verlag, 2005.
17
18
Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 27-2006,
p. 191 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 282006, p. 153 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels,
n° 29-2006, p. 167 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 34-2006, p. 101 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 36-2006, p. 137 ; Börsenblatt des Deutschen
Buchhandels, n° 38-2006, p. 151 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 42-2006, p. 155 ; Börsenblatt des
Deutschen Buchhandels, n° 43-2006, p. 139.
19
Deutsche Kultur International : http://www.deutsche-kultur-international.de/search/index.html?keyword=146&sect
ion=search&lang=de.
20
KUHN, Eva. Arbeit im Verborgenen, consulté le 22
septembre 2004 à l’adresse http://www.zdf.de/ZDFde/
inhalt/4,01872,2194692,00.html
96 97
21
HERZOG, Roman. Rede anläßlich des Wieland-Übersetzerpreis, consulté le 18 octobre 1997 à l’adresse http://www.
fim.musin.de/Cyberlernen/gabi2/Rede.html.
22
SCHERMER-RAUWOLF, Gerlinde. Friß oder Stirb, consulté
à l’adresse http://www.literaturuebersetzer.de/.
Programme de traduction du Goethe-Institut : http://
www.goethe.de/uun/ang/ueb/uea/enindex.htm.
Foire du livre de Francfort : http://www.book-fair.com ;
New York Times, 20 décembre 2005 ; Die Welt, 27 décembre 2005 ; Der Spiegel, 24 décembre 2005 ; dpa, 29 novembre 2005.
40
41
STEINHOF, Eirik. « Introduction », tiré de Chicago Review.
New Writing in German, Chicago, 2002.
23
24
Pro Helvetia : http://www.prohelvetia.ch/index.cfm?rub=30.
25
Chancellerie fédérale autrichienne : http://www.bundeskanzleramt.at/DesktopDefault.aspx?TabID=3969&Alias-art.
Société pour la promotion des littératures africaines,
asiatiques et latino-américaines : http://www.litprom.de.
26
27
LCB : http://lcb.de.
28
VdÜ : http://literaturuebersetzer.de.
29
DÜF : http://www.uebersetzerfonds.de.
30
Foire du livre de Francfort : http://www.book-fair.com.
42
Foire du livre de Francfort : http://www.book-fair.com.
Börsenverein des Deutschen Buchhandels (Union centrale de la librairie allemande) (Éd.), Traductions en allemand,
in « Buch und Buchhandel in Zahlen 2006 », Francfort-surle-Main, MVB Marketing- und Verlagsservice des Buchhandels, 2006.
43
44
Foire du livre de Francfort : http://www.book-fair.com.
MACZKA, Michelle, et STOCK, Riky. Literary Translation in
the United States: An Analysis of Translated Titles Reviewed
by Publishers Weekly, New York, Publishing Research Quarterly, volume 22, n° 2, 2006.
45
WILLAND, Jutta, directrice des droits chez Eichborn AG,
au cours d’une conversation téléphonique, 2 novembre
2006.
46
31
German Book Office : http://www.gbo.org.
32
Goethe-Institut : http://www.goethe.de.
47
33
Prix allemand du livre : http://www.germanbookprize.de.
48
Dernières parutions en allemand : http://www.new-bookin-german.com.
34
Dernières parutions en allemand : http://www.new-booksin-german.com.
Il est actuellement impossible de prévoir si ce projet se
poursuivra en 2007.
35
WILLAND, Jutta, directrice des droits chez Eichborn AG,
Documentation of the 17th International Rights Directors
Meeting « A Fresh Look at Rights » Recent Changes in the
German and French Markets, Foire du livre de Francfort, 7
octobre 2003.
36
37
BECKER, Jürgen Jakob. « The City, Its History, Its Stories. Reflections on the Literature of a New Berlin », tiré
de Dimension. Contemporary German-Language Literature,
volume 7, n° 1, Nacogdoches.
WILLAND, Jutta, directrice des droits chez Eichborn AG,
Documentation of the 17th International Rights Directors
Meeting « A Fresh Look at Rights » Recent Changes in the
German and French Markets, Foire du livre de Francfort, 7
octobre 2003.
38
39
BECKER, Jürgen Jakob. « The City, Its History, Its Stories. Reflections on the Literature of a New Berlin », tiré
de Dimension. Contemporary German-Language Literature,
volume 7, n° 1, Nacogdoches.
PEN Club américain : http://pen.org.
La Chine
49
Sur la source des données 2003, consulter le site http://
www.china.org.cn/english/en-sz2005/kj/biao/22-13.htm.
Les chiffres pour 2005 proviennent de l’Administration générale de la presse et de la publication de RPC : http://www.
gapp.gov.cn/GalaxyPortal/inner/zsww/frame.jsp ou http://
www.cppinfo.com/common/Bulletin/Bulletin_content.
aspx?key=50&lmgl_id=508.
50
Consulter le site http://www.chinawriter.com.cn/zuoxe/
zuoxie_jianjie.asp.
51
Sources de la première note.
52
Selon un courrier électronique du professeur Bonnie S.
McDougall, directeur du Centre de recherche en traduction
à l’Université chinoise de Hong Kong (CUHK), Red Chan a
fait une thèse à Oxford il y a quelques années sur la traduction en RPC. Lawrence Wong, qui travaillait auparavant à la
CUHK et maintenant à Singapour, a un projet de recherche
qui inclut le BLE.
Sur la coopération sino-étrangère dans le domaine de
l’exploitation des droits d’auteur et de l’édition, la déclaration suivante est publiée sur un site officiel chinois :
53
« Le gouvernement chinois a toujours accordé beaucoup
Six études de cas sur la traduction littéraire
d’importance à la coopération dans le secteur de l’édition
entre la Chine et les autres pays. En vertu du règlement sur
l’administration de l’édition et du Catalogue de recommandations pour les secteurs investissant à l’étranger, les éditeurs chinois et les éditeurs étrangers sont autorisés à coopérer dans le domaine de l’exploitation de droits d’auteur
et de l’édition.
L’exploitation des droits d’auteur est en plein essor. Par
exemple, les droits d’auteur du dictionnaire Xinhua en traduction anglaise publié par Commercial Press International
Co. Ltd. en 2000 ont été achetés par plusieurs éditeurs, notamment à Singapour, aux États-Unis, en Grande-Bretagne,
en France, en Allemagne et au Canada. De même, les droits
d’auteur du livre Deng Xiaoping sur le socialisme ont été
transférés à une imprimerie japonaise, et 200 000 exemplaires du livre ont été publiés et distribués au Japon en
2000, dont plus de 20 000 exemplaires de la première
version et plus de 30 000 exemplaires de la seconde version. La publication d’éditions en anglais, en suédois et en
malais de la revue en reprenant la même formule est aussi
actuellement à l’étude. Les exportations de droits d’auteur
sont devenues un moyen important pour diffuser les publications chinoises à l’échelle mondiale.
La coopération dans le domaine de l’édition a aussi été
fréquemment adoptée par les maisons d’édition chinoises
et étrangères. Le China International Publishing Groupe,
en coopération avec l’American Yale University Press, prévoit de publier plus de vingt séries de livres différentes sur
la culture et la civilisation chinoises, dont deux sont déjà
achevées. Le projet bénéficie d’investissements des deux
côtés, aussi bien en termes de main-d’œuvre que de capitaux. Les éditions en chinois et en anglais de ces séries de
livres seront distribuées en Chine et aux États-Unis, respectivement.
La coopération sino-étrangère en matière d’exploitation
des droits d’auteur pour les journaux est la bienvenue.
Dans le cadre de cette formule de coopération, les journaux
chinois peuvent entretenir une coopération à long terme
avec leurs homologues étrangers et utiliser leur contenu.
Pendant des années, les journaux chinois qui se sont engagés dans ce type de coopération approuvée ont assisté
à des améliorations considérables en termes de qualité. Ils
ont beaucoup appris sur la direction des journaux auprès
de leurs homologues étrangers, ce qui contribuera à promouvoir le développement du secteur du journalisme en
Chine. »
54
Consulter le site http://news.xinhuanet.com/book/200511/04/content_3729442.htm.
55
Consulter le site http://news.xinhuanet.com/book/200511/04/content_3729442.htm.
La France
56
Source : Livres Hebdo, n° 608, 1er juillet 2005.
Source : SNE, Statistiques extérieures 2004, basées sur
un échantillon de 91 éditeurs.
57
58
Source : ATLF, sur la base de 328 réponses obtenues dans
un sondage auprès des traducteurs en juin 2004, à partir
des contrats signés en 2004-2005.
Newsletter 1, septembre 2003 : « Le Bureau de New
York a vingt ans : une petite histoire du livre français aux
États-Unis ».
59
4. Expériences de traduction
littéraire
Esther Allen et Simona Škrabec
Ce chapitre, divisé en deux parties, expose
plusieurs expériences intéressantes de traduction littéraire. Sa première partie s’intéresse à la traduction en anglais, et notamment aux initiatives américaines dans ce
domaine. La seconde partie se penche sur
les outils de promotion de la traduction
dans d’autres langues (anglais y compris)
employés par quatre pays d’Europe.
4.1 Quelques expériences
menées aux États-Unis
Cette partie présente plusieurs approches
générales qui, actuellement, semblent
particulièrement efficaces pour contribuer à la transposition en anglais d’œuvres d’autres pays du monde. Ce faisant,
elle propose un passage en revue d’un
grand nombre – mais, bien entendu, pas
de leur totalité – de projets liés à la traduc-
tion entrepris par les clubs et les comités
PEN du monde entier, ainsi que des initiatives dues à des organisations qui travaillent avec les PEN Clubs dans le but de
promouvoir la traduction en anglais de
textes écrits dans d’autres langues.
Nous citerons trois pratiques aujourd’hui
particulièrement performantes. Il s’agit des
programmes axés sur un thème et conduits
de façon transrégionale. Des programmes
offrant un soutien spécial aux traducteurs
et aux éditeurs de traductions. Et des initiatives qui s’appuient sur Internet, cet extraordinaire nouveau moyen de diffuser la
littérature internationale via l’anglais.
a] Des sujets précis, abordés de
façon transrégionale
Les nombreuses agences culturelles qui, depuis des dizaines et des dizaines d’années,
font face au problème, n’ignorent rien de la
100 101
difficulté du passage à l’anglais. Ces agences
étant habituellement subventionnées par le
gouvernement, elles tendent naturellement
à s’attacher à la langue, à la région ou à la nation qu’elles sont payées pour représenter.
Plus encore, les universités organisant généralement leurs départements par langue,
l’approche « région par région » colle parfaitement aux besoins de nombreux programmes universitaires. Par le passé, ce système
s’est révélé spectaculairement fructueux. À
la fin des années 1960 et au début des années
1970, c’est grâce à un programme de bourses
Rockefeller de soutien à la traduction de la
littérature sud-américaine que les romans de
Gabriel García Marquez et d’autres auteurs
ont été traduits et que, aux États-Unis, un
nouveau public s’est ouvert, avec le succès
que l’on sait, aux lettres sud-américaines.
Ces derniers temps, néanmoins, de
nombreuses agences culturelles ont dénoncé le risque inévitable que cette approche renferme, celui de « prêcher des
convertis ». Ce risque consiste à ne faire découvrir la littérature internationale qu’au
petit sub-segment du public anglophone
qui a déjà, d’avance, un intérêt pour la
langue ou pour le pays en question. L’initiative de l’Institut Ramon Llull de commander la présente étude est révélatrice
d’une approche différente, qui démontre
actuellement être très efficace pour atteindre un public plus large. Elle consiste
à proposer un sujet précis et d’en confier
l’étude à des gens de différentes régions et
de différentes langues (voir www.llull.cat).
Le PEN Club américain a appliqué cette
tactique avec grand succès sous la forme
d’une manifestation annuelle lancée en
2005, le festival PEN World Voices de littérature internationale, qui se tient à New
York, (voir www.pen.org). Ce « festival des
voix du monde », qui a, à chaque occasion,
attiré un public nombreux, réunit une
grande variété d’écrivains qui travaillent
dans les langues les plus diverses pour des
débats rarement organisés par région ou
par langue, mais traitant plutôt de questions brûlantes, politiques et littéraires,
ou prenant la forme d’hommages ou de
conversations. Un groupement d’organismes culturels européens ayant des représentations à New York – l’Instituto Cervantes, les services culturels français, l’Istituto
Italiano di Cultura et le Centre tchèque – a,
lui aussi, commencé à organiser des manifestations littéraires à New York, à d’autres
époques de l’année, où des écrivains européens sont invités à débattre ensemble.
Le projet Reading the World [Lire le
Monde] – issu de la tradition du PEN Club
américain de faire du mois de mai le mois
mondial de la traduction – est une autre
action concernant les ouvrages littéraires
traduits par un nombre croissant d’éditeurs, à des fins commerciales ou non. Elle
consiste à exposer ces livres de façon très
visible chez des libraires indépendants des
États-Unis pendant tout le mois de mai.
Lancé en 2005 par les propriétaires de
deux librairies indépendantes en collaboration avec le Center for Book Culture des
Dalkey Archive Press, le programme a pris
un essor considérable lors de sa deuxième
édition, en 2006. Pour plus d’information,
consultez www.reading-the-world.org.
Depuis quarante ans, l’International
Writing Program [Programme interna-
Expériences de traduction littéraire
tional pour l’écriture], de l’Université de
l’Iowa (voir www.uiowa.edu/~iwp/), actuellement dirigé par Christopher Merrill, invite des écrivains du monde entier à des
visites pouvant durer jusqu’à trois mois.
Il leur donne ainsi non seulement l’occasion de connaître les États-Unis de première main, mais aussi de faire connaître
leur œuvre au public américain en organisant des débats, des lectures et des présentations. Merrill est l’un des principaux
auteurs d’une étude récente, commandée
par le Département d’État américain, sur
la diplomatie culturelle. Cette étude manifeste une inquiétude au sujet de l’absence d’agence culturelle américaine du type
du British Council ou de l’Instituto Cervantes. Le Programme international pour
l’écriture de l’Université de l’Iowa, qui
reçoit des subventions du Département
d’État pour plusieurs de ses participants,
s’efforce de combler cette lacune.
L’Université de l’Oklahoma possède
une expérience de soutien de la littérature
internationale encore bien plus ancienne.
Elle vient en effet de célébrer le quatrevingtième anniversaire de son journal
bimensuel, le World Literature Today (www.
ou.edu/worldlit/). Ce même journal parraine le Prix international Neustadt de
littérature, doté de 50 000 $, qui récompense tous les deux ans un éminent poète, écrivain ou dramaturge de n’importe
quel pays. Lancé en 1969, c’est le premier
et le seul prix littéraire américain de cette
importance destiné indifféremment à des
auteurs américains ou étrangers.
Le Center for Translation Studies [Centre d’études de la traduction], de l’Uni-
versité du Texas, à Dallas, créé en 1980 et
dirigé par Rainer Schulte, s’adresse à des
étudiants de niveau maîtrise ou doctorat. Il
s’inscrit dans le contexte d’un programme
interdisciplinaire sur les lettres et promeut
la visibilité de la traduction et des traducteurs par le biais de la recherche et de manifestations publiques (voir www.translation.utdallas.edu). Il est aussi le siège de
l’Association américaine des traducteurs
littéraires (voir plus bas).
À San Francisco, le Center for Art in
Translation (Centre d’art de la traduction,
www.catranslation.org) parraine un programme novateur intitulé Poetry Inside
Out, qui consiste à faire venir des traducteurs dans des écoles primaires bilingues
dans le but de stimuler les compétences
linguistiques des nouvelles générations
d’écoliers américains et de leur faire prendre davantage conscience de ce qu’est la
traduction. Ce centre organise par ailleurs
des forums culturels et des lectures. Il publie en outre TWO LINES: a journal of translation. Ce magazine annuel joue, depuis
1994, le rôle d’un forum axé sur la littérature internationale traduite en anglais et
débat de l’art de la traduction.
Sous la direction du grand romancier
et dramaturge kenyan Ngugi wa Thiong’o,
l’International Center for Writing and
Translation [Centre international de l’écriture et de la traduction] de l’Université
de Californie, à Irvine (www.humanities.
uci.edu/icwt/) parraine un grand nombre
de manifestations et de congrès sur des
questions liées à la traduction. Il offre de
plus des émoluments et des bourses à des
étudiants diplômés afin qu’ils mènent des
102 103
projets dans le domaine de l’étude de la
traduction et a un programme de bourses
d’aide à la traduction en anglais d’ouvrages
littéraires et théoriques (voir plus bas). En
partenariat avec le Centre de l’écriture et
de la traduction, l’International Institute
of Modern Letters (IIML) – www.modernletters.org – soutient la traduction dans le
cadre de son engagement à « faire avancer
la cause de la démocratie et du progrès grâce à une littérature libre ». L’IIML s’est donné pour mission d’aider les écrivains menacés à passer outre la censure et de faire
connaître leur œuvre au public américain.
Basé à Las Vegas, il a fait en 2001 de cette
ville une « Ville Refuge pour les écrivains
menacés » et travaille désormais en collaboration avec d’autres Villes Refuges qui se
sont constituées aux États-Unis (voir www.
cityofasylum.org). Le programme Rainmaker Books, une autre action de l’IIML, vise
à soutenir la publication de traductions littéraires (voir plus bas).
Cofondé à l’automne 2006 par la Writing Division [Division « Écriture »] de la
School of Arts de l’Université de Columbia
et par le PEN Club américain, le Center for
Literary Translation [Centre de traduction littéraire] de l’Université de Columbia – www.centerforliterarytranslation.
org – a rassemblé de nombreux collaborateurs, dont les responsables du site web
Words Without Borders [Mots sans frontières] (voir plus bas) et de Circumference,
journal international de poésie (www.
circumferencemag.com), pour créer une
nouvelle organisation, particulièrement
dynamique, chargée de soutenir la traduction par des subventions mais aussi
par l’éducation, des conférences et des
manifestations publiques.
En Angleterre, le British Centre for Literary Translation [Centre britannique de
la traduction littéraire] (BCLT), fondé au
sein de l’Université de l’East Anglia en 1989
par feu W.G. Sebald et aujourd’hui dirigé
par Amanda Hopkinson (www.uea.ac.uk/
eas/centres/bclt/bcltintro.shtml), propose
un programme imaginatif et varié de manifestations, d’activités, de publications,
dont In Other Words: The Journal for Literary
Translators, et de stages pratiques. En collaboration avec le PEN Club anglais, le BCLT
organise tous les ans la conférence Sebald
de l’art de la traduction littéraire. Ce grand
événement, qui se tient à Londres, comprend une cérémonie de remise de prix
visant à récompenser des traductions du
néerlandais, du français, de l’allemand, du
grec moderne, de l’espagnol et du russe.
Chacun de ces six prix avait auparavant sa
propre cérémonie, mais Peter Bush, précédent directeur du BCLT, les a réunies en un
seul et même événement dans l’idée d’apporter une plus grande reconnaissance à
l’effort des traducteurs et à la littérature
internationale en général. La conférence
Sebald est désormais l’un des grands événements culturels de l’année à Londres et
les lauréats font l’objet d’un article dans le
supplément littéraire du Times.
b] Le soutien apporté aux
traducteurs et aux éditeurs de
traductions
Les traducteurs littéraires de nombreux
pays se plaignent de la difficulté de leur
Expériences de traduction littéraire
profession, des rémunérations insuffisantes, voire inexistantes, et du manque de
reconnaissance. Dans le monde anglophone, en particulier, les choses ne sont pas
faciles pour les traducteurs. Tout soutien
apporté aux traducteurs littéraires, que
ce soit sous forme de bourses, de résidences, de prix ou d’aide professionnelle, est
donc énormément bienvenu. Il les encourage en effet à persévérer dans leur travail, un travail particulièrement exigeant.
Tout soutien sous forme de bourses ou
de prix décernés aux jeunes traducteurs
s’avère spécialement utile. Mais un autre
des problèmes auxquels la publication
d’ouvrages littéraires doit faire face dans
le monde anglophone est la charge financière que doivent supporter les éditeurs,
qui renâclent à financer des projets qui
s’avèrent trop souvent peu rentables. Un
soutien financier qui aiderait les éditeurs
de traductions à couvrir les coûts d’édition et de promotion est donc aussi un
moyen sûr de s’assurer de la publication
d’un plus grand nombre de traductions.
Les associations de traducteurs
Cela fait plus de quarante ans que le Comité Traduction du PEN Club américain
se bat pour que le travail des traducteurs
soit reconnu et récompensé à sa juste valeur. Pour aider les traducteurs dans leurs
négociations avec les éditeurs, ce comité
a rédigé un contrat type à l’intention
des traducteurs (www.pen.org/page.php/
prmID/271). On lui doit aussi d’avoir fait
pression sur la Bibliothèque du Congrès
américain pour qu’elle fasse figurer le
nom des traducteurs dans ses listes, ce qui
a permis aux traducteurs d’être mentionnés dans les catalogues des bibliothèques
du pays tout entier, la plupart de ces catalogues prenant en effet pour modèle celui
de la Bibliothèque du Congrès. Le comité
organise en outre le prix de traduction du
« livre du mois » du PEN Club, décerné au
traducteur d’un livre en prose publié au
cours de l’année précédente. Il décerne
de plus un prix annuel de traduction de
poésie, et la médaille Ralph Manheim, qui
récompense l’ensemble de l’œuvre d’un
traducteur. À son tour, le PEN Club américain, qui est basé à Los Angeles, attribue
un prix annuel à la meilleure traduction
de livre (www.penusa.org).
Fondée en 1978, l’American Literary
Translators Association [Association américaine des traducteurs littéraires] (ALTA
– voir www.literarytranslators.org/), une
organisation nationale ayant son siège
au Center for Translation Study de l’Université du Texas, Dallas, compte quelque
600 adhérents. Elle publie la Translation
Review, un journal très pointu d’études de
traduction, et les Annotated Books Received,
la plus riche source d’informations sur les
traductions littéraires jamais publiée aux
États-Unis. De plus, l’ALTA organise tous
les ans un congrès qui procure aux traducteurs littéraires du pays une occasion
précieuse de se rencontrer et d’échanger
des idées. Ce congrès a ainsi favorisé la
constitution d’une très riche communauté intellectuelle. L’un des sommets
de la manifestation est la remise du prix
national ALTA de traduction, décerné à
la meilleure traduction littéraire de l’année précédente. Le site web de l’ALTA four-
104 105
nit un large éventail de renseignements
d’ordre professionnel aux traducteurs, y
compris des conseils pour faire publier
leurs travaux et une information sur les
possibilités de promotion et sur les postes à pourvoir, pour ceux qui travaillent
dans le cadre universitaire. Ce site propose également une information détaillée
sur les programmes universitaires et sur
les départements de traduction littéraire
aux États-Unis et ailleurs, ainsi que sur les
bourses et les prix destinés aux traducteurs littéraires.
Les bourses destinées aux
traducteurs
En 2003, le PEN Club américain recevait
une donation anonyme de 730 000 $ qui
lui a permis d’établir le Fonds PEN de traduction – www.centerforliterarytranslation.org – qui, moyennant un processus
de sélection annuel extrêmement rigoureux, accorde des bourses à des traducteurs ayant démontré leur compétence et
ayant apporté des projets non publiés de
haute qualité. Le but de ce fonds est d’accroître le nombre de traductions littéraires en anglais publiées aux États-Unis. Le
fonds a jusqu’à présent permis de financer en tout trente-deux traductions, issues
de vingt-deux langues. Un bon nombre de
ces textes ont été publiés et ont été très favorablement accueillis.
Via son National Endowment for the
Arts ou NEA [Dotation nationale pour
les arts], le gouvernement américain luimême reste le bailleur de fonds le plus généreux du pays en matière de traduction.
Il accorde des bourses allant de 10 000 à
20 000 $ aux meilleurs traducteurs et aux
meilleurs projets de traduction, sélectionnés moyennant un appel à candidatures
extrêmement sélectif. Cela fait de nombreuses années que les bourses NEA de
traduction sont une pièce essentielle du
programme d’aide à la littérature (voir
www.nea.gov/grants/apply/LitTranslation/index.html). De plus, la NEA vient
de renforcer encore davantage son engagement vis-à-vis de la traduction en
augmentant l’enveloppe destinée aux
bourses de traduction (ce qui permet
d’en accorder davantage) et en présentant
un nouveau programme très ambitieux,
les prix internationaux NEA de littérature (voir plus bas le point sur les aides
financières destinées aux éditeurs de traductions).
L’International Center for Writing and
Translation (ICWT) [Centre international de
l’écriture et de la traduction] de l’Université
de Californie, à Irvine, accorde lui aussi des
bourses aux traducteurs (www.humanities.
uci.edu/icwt/cfp/cfp.html). Ainsi, cette année,
l’ICWT accordera quatre bourses de 5 000 $,
dans le souci, notamment, de favoriser les
traductions de textes venus de cultures et de
langues qui, négligées et ignorées, sont passées au travers des maillons standard du filet
anglo-américain.
Les traducteurs en résidence
La première action du genre en Amérique
du Nord, menée par le Banff International
Literary Translation Centre [Centre Banff
international de traduction littéraire]
(www.banffcentre.ca/programs/program.
aspx?id=446), consiste en une invitation
Expériences de traduction littéraire
d’été inspirée de celles proposées par des
centres de traduction littéraire européens
du même style. Outre qu’il gratifie le traducteur d’un séjour de deux semaines de
travail ininterrompu dans le superbe Centre Banff for the Arts, le programme lui
donne l’occasion de demander un séjour
conjoint avec l’écrivain qu’il ou elle est en
train de traduire. Traducteur et écrivain
ont ainsi l’occasion unique d’échanger
longuement leurs points de vue. Le programme Banff s’adresse à des traducteurs
du Canada, du Mexique et des États-Unis,
et il travaille en étroite collaboration avec
de nombreux traducteurs affiliés au PEN
Club canadien.
Aux États-Unis, la Ledig House (www.
artomi.org/ledig.htm) est une résidence internationale pour écrivains située dans le
nord de l’État de New York. Elle encourage
les traducteurs à demander des stages d’une
semaine à deux mois. Des séjours de partage et d’échange, qui accueillent des participants du monde entier, ont lieu deux fois
par an, au printemps et en automne, dans
un agréable cadre champêtre.
Le soutien apporté à la publication
d’œuvres traduites
Nombreux sont les PEN Clubs qui, à travers
le monde, se sont transformés en éditeurs
de revues ou d’anthologies d’œuvres traduites afin de soutenir les efforts de leurs
membres et afin de défendre le travail
des écrivains censurés dont ils épousent
la cause. La revue annuelle du PEN Club
international englobe bien sûr un grand
nombre de traductions, tout comme PEN
America, la revue du PEN Club américain.
De plus, le comité pour la liberté de l’écriture de ce club a publié plusieurs anthologies
de textes d’écrivains poursuivis ou censurés
dans leur pays. Parmi ces anthologies, citons
Inked Over, Ripped Out: Burmese Storytellers
and the Censors (sous la direction de Anna J.
Allott, 1993) et The Roads of the Roma (sous la
direction de Ian Hancock, Siobhan Dowd et
Rajko Djuric, 1998). Plus récemment, le PEN
Club américain s’est constitué partie civile
dans un procès contre le gouvernement des
États-Unis, intenté dans le but d’obtenir la
publication de Strange Times, My Dear: The
PEN Anthology of Contemporary Iranian Literature (ouvrage rédigé sous la direction
de Nahid Mozaffari et courageusement
édité par Arcade en 2005). De leur côté, les
PEN Clubs écossais et australien ont chacun publié des anthologies de traductions
d’œuvres écrites par des auteurs de divers
horizons linguistiques.
Mais la plus ambitieuse des actions réalisées par les PEN Clubs en soutien aux éditeurs de traductions littéraires en anglais
est le programme Writers in Translation
[Traductions d’écrivains] du PEN Club anglais. Lancé en 2004, et soutenu à la fois
par le Conseil des arts britannique et par le
parrainage financier de l’agence de presse
Bloomberg, ce programme accorde aux
éditeurs des subventions pouvant aller
jusqu’à 4 000 £, cette somme devant être
destinée spécifiquement à la promotion
et à la commercialisation d’un ouvrage
traduit. Ce même programme accorde
en outre des subventions pouvant aller
jusqu’à 250 £ à des écrivains non anglophones qui n’ont pas trouvé d’éditeur,
cette somme étant destinée à payer une
106 107
traduction échantillon et un compte rendu de lecture (voir www.englishpen.org/
writersintranslation).
Cela fait presque vingt ans que les
bourses littéraires de la fondation Lannan, destinées aux éditeurs, soutiennent
des projets de traduction publiés par
les meilleurs périodiques américains à
but non lucratif (www.lannan.org/lf/lit/
grants/). Plus récemment, l’International
Institute of Modern Letters a lancé Rainmaker Translations, un nouveau label
qui chapeaute la publication de livres effectuée en collaboration avec un consortium de quatre grandes maisons d’édition
(www.modernletters.org/programs/
translations.html).
Encore plus récemment, la National
Endowment for the Arts a lancé son Prix
international de littérature (www.nea.
gov/grants/apply/InternationalLiterature.
html), qui vise à donner aux lecteurs américains une plus large ouverture sur la littérature européenne. En partenariat avec
plusieurs pays européens, à commencer
par la Grèce et l’Espagne en 2007, la NEA
subventionnera des éditeurs pour la traduction, la publication et la promotion
d’ouvrages de ces pays.
Ce sont bien entendu les agences culturelles gouvernementales qui restent les
plus gros bailleurs des fonds accordés aux
éditeurs pour des traductions en anglais.
Les services culturels français annonçaient
dernièrement un ambitieux programme
de financement pour la traduction en anglais de titres français publiés après l’an
2000. Ces aides comprennent des résidences de traduction à la Villa Gillet, à Lyon
(voir l’étude de cas sur la France, comprise
dans le présent dossier, et voir www.frenchbooknews.com). Bien que généralement
à moindre échelle, de nombreux gouvernements accordent ce genre d’aide aux
éditeurs. L’Unesco propose une base de
données très utile sur les aides et les subventions à la traduction littéraire : http://
portal.unesco.org/culture/en/ev.php-url_
id=1539&url_do=do_p r i n t p a g e & u r l _
section=473&url_pagination=40.html.
Enfin, la lettre du Publishing Trends de
septembre 2006 fournit à ceux qui travaillent dans le secteur de l’édition et peuvent y accéder une abondante et précieuse
information sur un large éventail de subventions accordées aux éditeurs par les
gouvernements du monde entier pour
aider à la traduction en anglais d’œuvres
littéraires (voir www.publishingtrends.
com).
c] Les actions menées sur
Internet
Bien que l’anglais ait été un temps la première langue d’Internet, vers 1998 la majorité
des sites web récemment créés n’employaient pas
cette langue, et, dès 2002, moins de 50 % du
Web était en anglais (voir The Language Revolution de David Crystal, cité au premier
chapitre de notre étude). Cette tendance
est encourageante pour tous ceux qui
préfèrent l’idée d’un monde multilingue
où l’anglais serait une lingua franca utile
et optionnelle plutôt que le seul moyen
d’accéder aux technologies mondialisées.
C’est dans cette idée que plusieurs sites
web européens emploient l’anglais. Ils ne le
Expériences de traduction littéraire
font pas nécessairement comme un moyen
d’accéder au monde anglophone mais plutôt pour créer un terrain commun où les
écrivains et les intellectuels européens de
différentes langues peuvent se lire les uns
les autres. Le Comité de la traduction et des
droits linguistiques de PEN Club international, hébergé par le PEN Club macédonien
et présidé par Kata Kulavkova, a créé un site
de ce type, le www.diversity.org.mk. Chacun
des auteurs qui y figure est présenté en au
moins trois langues : la langue source, le
macédonien et l’une des trois langues du
PEN (l’anglais, le français et l’espagnol).
Thierry Chervel, de www.signandsight.
com (ce nom renvoie à un classique de la
philosophie allemande), déclare que l’idée
de son site est d’employer l’anglais en Europe tel qu’il l’est en Inde et au Pakistan, autrement dit comme une langue véhiculaire
permettant aux intellectuels de différents
horizons linguistiques de communiquer
entre eux. Signandsight, version anglaise du
magazine allemand en ligne Perlentaucher,
fournit une vision vivante et informative de
la vie intellectuelle et culturelle allemande
en résumant les pages culturelles des principaux journaux allemands et en publiant,
traduit en anglais, un choix des articles les
plus intéressants.
Cela dit, le site web le plus audacieux, celui qui s’est lancé dans l’entreprise la plus
titanesque dans le but de faire connaître la
littérature internationale au public anglophone est le www.wordswithoutborders.
org. En partenariat avec le Bard College,
le PEN Club américain et le Center for Literary Translation de l’Université de Columbia, wordswithoutborders fait paraître
chaque mois un numéro contenant les
traductions, expressément commandées,
de textes de différents endroits du monde.
Tous les anciens numéros sont archivés
sur le site, tant et si bien que, en trois ans
d’existence, celui-ci est devenu un moyen
tentaculaire de présenter en anglais de
nouveaux écrivains du monde entier. Le
site abrite de plus un nombre croissant de
forums et de blogs et parraine des manifestations publiques. Il a fait paraître deux
impressionnantes anthologies de littérature mondiale, The Literature of the “Axis of
Evil”: Writing from Iran, Iraq, North Korea
and Other Enemy Nations (New Press, 2006)
et Words Without Borders: The World Through
the Eyes of Writers (Anchor, 2007).
Au départ, Babelguides.com n’était pas
un site web mais une nouvelle sorte de
guide pour voyageurs : par opposition
aux guides donnant une vision extérieure
du pays, l’idée était de familiariser l’étranger avec lui via la traduction d’œuvres
d’écrivains locaux. Le succès de ces guides
a débouché sur le lancement d’un site web
qui propose toutes sortes d’études et d’informations bibliographiques sur la traduction anglaise d’œuvres littéraires du
monde entier.
Chacun des sites que nous venons de
citer propose des liens vers d’autres sites –
bien trop nombreux pour être énumérés
ici – qui cherchent eux aussi à connecter
les littératures du monde entre elles. Le
réseau international ainsi formé suscite
peut-être l’un des plus gros espoirs de
perpétuation d’une vraie littérature internationale, dans toute l’étendue de sa
polyglossie.
108 109
4.2 Les expériences menées
dans quatre pays européens
Pays-Bas, Catalogne, Allemagne et France
Nous souhaitons attirer l’attention du lecteur sur un certain nombre d’expériences
intéressantes venues des quatre pays indiqués ci-dessus. Nous les avons regroupées en trois catégories : actions destinées
à encourager la promotion à l’extérieur
des œuvres littéraires, actions destinées à
intéresser le public à d’autres cultures, et
actions visant à soutenir les traducteurs.
a] Les actions destinées à
encourager la promotion à
l’extérieur des œuvres littéraires
Les aides européennes et les aides
régionales
Outre les actions mises en place par les
gouvernements dans chacun des pays,
dont nous fournissons la liste plus loin,
il faut retenir qu’il existe des aides européennes et des aides régionales à la traduction.
• Les aides de l’Union européenne
L’Union européenne a développé des programmes pluriannuels de soutien à la traduction. Ces programmes comprennent
des subventions destinées à la traduction
d’œuvres littéraires ainsi qu’à des projets
communs et à des formations spécialisées.
De 1995 à 2000, ces efforts s’inscrivaient
dans le cadre du programme Ariane,
auquel a succédé le programme Cultura
2000 jusqu’en 2006. Ce dernier a lui-même cédé la place à Cultura 2007. Jusqu’à
présent, l’Union européenne n’a accordé
qu’une aide très limitée à la traduction
littéraire au sein de ces programmes. Celle-ci équivaut plus précisément au budget
alloué chaque année à la promotion des livres dans un petit pays comme la Slovénie
(1,5 million d’euros). Autrement dit, seuls
4 % de l’aide fournie par Cultura 2000 ont
été destinés à la traduction littéraire. Sur
l’ensemble, ces subventions ont concerné
de 55 (2003) à 70 (2005) traductions. Elles
sont allouées à trente pays : les 27 membres de l’Union et l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. Elles recouvrent tous
les frais de traduction (qui ne peuvent pas
dépasser 60 % du coût total d’édition de
l’ouvrage). Les œuvres littéraires qui peuvent bénéficier de ces aides à la traduction
doivent avoir été écrites par des auteurs
européens et avoir été publiées à partir de
1950. La priorité est donnée aux ouvrages
écrits et traduits dans des langues minoritaires. Malgré leurs limitations financières, ces programmes comptent parmi les
rares sources de financement disponibles
destinées aux traductions éditées hors de
leurs pays d’origine. Elles sont donc de la
plus haute importance.
• Les réseaux régionaux de coopération
Il convient aussi de noter que plusieurs
grandes régions européennes ont veillé à
mettre sur pied des réseaux de coopération culturelle dans leur aire d’influence,
y englobant la promotion littéraire et les
aides à la traduction. Dans ce domaine,
la coopération entre les pays scandinaves
et les pays baltiques est très étroite. Plusieurs initiatives émanent aussi d’Europe
Expériences de traduction littéraire
centrale et d’Europe de l’Est (Next Page
Foundation, Central and East European
Book Project).
Les aides nationales à la traduction
La plupart des pays européens ont conçu
des programmes de dotation de fonds destinés à des traductions de leur littérature
dans d’autres langues. Ces programmes
comprennent souvent des éléments de
promotion extérieure, avec, par exemple
des tournées des auteurs à l’étranger. Pour
donner plus d’efficacité à ces programmes, ils ont créé des agences indépendantes, spécialisées dans la promotion extérieure de la littérature ou de la culture
du pays. Ces agences, plus souples que les
organismes gouvernementaux (les ministères), sont des médiateurs efficaces entre
les gouvernements et l’environnement
commercial.
Les Pays-Bas et la Flandre :
• http://www.nlpvf.nl/
La Nederlands Literair Productie- en
Vertalingenfonds [Fondation pour la
production et la traduction de la littérature néerlandaise], basée à Amsterdam, a
été créée par le ministère néerlandais de
l’Éducation et de la Culture. Elle promeut
activement la littérature néerlandaise à
l’étranger et soutient financièrement les
éditeurs étrangers désireux de publier des
ouvrages littéraires néerlandais, lesquels
incluent des livres de fiction, des ouvrages
documentaires de qualité, des livres de
poésie et des livres pour enfants. La fondation peut financer jusqu’à 70 % du coût de
la traduction.
• http://www.fondsvoordeletteren.be/
detectie/flash/001.htm
Le Vlams Fonds voor de Letteren (Fonds
littéraire flamand), actif en Belgique depuis 2000, est une institution gouvernementale autonome. Les principales armes
de sa politique extérieure sont l’information et la documentation, les aides à la traduction, la subvention pour les tournées
d’auteurs et l’aide à la production littéraire.
La Catalogne :
• http://www.llull.cat/llull/
L’Institut Ramon Llull accorde des subventions à des éditeurs pour la traduction d’ouvrages littéraires, d’ouvrages
documentaires et d’ouvrages de recherche. De 2003 à 2007, plus de 250 titres ont
ainsi été soutenus financièrement. En
outre, un programme de résidence pour
les traducteurs littéraires a récemment
été lancé.
• http://www.mcu.es/
Par le biais de sa Dirección General del
Libro, Archivo y Bibliotecas [direction
générale pour le livre, les archives et les
bibliothèques], le ministère espagnol
de la Culture offre des « aides à la promotion de la traduction et de la publication de travaux littéraires et scientifiques d’auteurs espagnols dans toute
langue étrangère ». Ces aides, annuelles,
s’adressent aux maisons d’édition. Elles
concernent non seulement les auteurs
écrivant en espagnol, mais aussi ceux
s’exprimant en catalan, en basque ou en
galicien.
110 111
L’Allemagne et les autres pays
germanophones :
Les publications promotionnelles en
anglais
• http://www.goethe.de/uun/ang/ueb/uea/
enindex.htm
Le programme « Traduction » du GoetheInstitut existe depuis trente ans. Il a accordé un soutien financier à la traduction
de quelque 4 000 livres allemands en 45
autres langues.
Dans tous les pays, la traduction en anglais
d’une partie d’un ouvrage ou d’ouvrages
en entier destinée à attirer l’attention des
éditeurs étrangers est une pratique très
répandue. La diffusion internationale recherchée par le biais de l’anglais passe aussi par des magazines imprimés, qui contribuent à mettre une littérature nationale
en contexte, par des sites web et par des
anthologies. Bien souvent, ces programmes ne visent pas uniquement le marché
anglophone mais exploitent la langue anglaise comme « intermédiaire utile » leur
permettant de s’introduire dans d’autres
cultures européennes et dans une grande
partie du monde en évitant la barrière de
la langue, du moins pour ce qui est du public cultivé.
•
http://www.prohelvetia.ch/index.cfm?
rub=30
Pro Helvetia est un programme de soutien à la promotion des auteurs suisses et
des ouvrages concernant la Suisse.
•
http://www.bundeskanzleramt.at/DesktopDefault.aspx?TabID=3969&Alias-art
La Chancellerie fédérale autrichienne a
son propre programme d’aide à la traduction.
Les Pays-Bas et la Flandre :
tion internationale et le développement,
rattachée au ministère français des Affaires étrangères, accorde des subventions à
des éditeurs étrangers dans le but de soutenir des ouvrages importants du point de
vue culturel.
• Books from Holland and Flanders, Quality Nonfiction from Holland and Children’s
Books from Holland.
Ces livres, publiés en anglais, présentent
deux fois par an de nouveaux titres en
néerlandais. Ils sont édités par la Fondation pour la production et la traduction
de la littérature néerlandaise.
• http://www.centrenationaldulivre.fr/
La Catalogne :
Le Centre national du livre alloue un budget de presque dix millions d’euros pour
aider à l’exportation de la production littéraire française et pour céder les droits
d’auteurs d’ouvrages français à des éditeurs
étrangers. Quelque cinq cents titres profitent de ce financement chaque année.
ges écrits en catalan (cinq genres : fiction, poésie, théâtre, classiques et nonfiction)
Publiées en anglais, allemand et espagnol,
ces brochures font la présentation de titres, nouveaux ou classiques, écrits origi-
La France :
• La Direction générale pour la coopéra-
• Brochures proposant un choix d’ouvra-
Expériences de traduction littéraire
nellement en catalan. Elles sont éditées
par l’Institut Ramon Llull.
anglaises d’essais offrant un grand intérêt
sont publiées chaque semaine.
• Transfer. Journal of Contemporary
La France :
Culture
Revue en anglais, paraissant une fois par
an. Éditée par l’Institut Ramon Llull, elle
rassemble des articles et des essais parus
dans des revues culturelles catalanes.
Elle a pour finalité de donner une visibilité aux idées des universitaires et des essayistes catalans sur les grands débats intellectuels actuels.
• Catalan Writing
De 1992 à 2002, l’Institució de les Lletres
Catalanes (Institut des lettres catalanes) a
publié le magazine littéraire Catalan Writing, en anglais. Sa publication a été reprise en 2006 grâce au PEN Club catalan et
au soutien financier de l’Institut Ramon
Llull.
L’Allemagne et les autres pays
germanophones :
• http://www.new-books-in-german.com
New Books in German, magazine ayant
son siège à Londres, propose deux fois par
an un choix de livres en allemand. Trois
mille exemplaires de ce magazine sont
distribués dans le monde. Son site web
dispense également ces informations.
• www.frenchbooknews.com
Le Bureau du Livre de l’Ambassade de
France à Londres possède un site web qui
publie tous les mois un compte-rendu de
dix ouvrages venant d’être publiés en France. Ce site comprend en outre une liste de
contacts des responsables de la cession des
droits des maisons d’édition françaises,
une liste des subventions accordées aux
éditeurs et aux traducteurs par le CNL et
le ministère des Affaires étrangères, sans
compter une base de données permettant
de retrouver tous les textes traduits en anglais depuis 1990.
• Best French Writing: 21st Century
Ce projet a été lancé en 2006 par le Service du livre de l’ambassade de France
aux États-Unis et le PEN Club américain.
Quelque cinquante titres publiés après
l’an 2000 devraient être sélectionnés pour
commencer à constituer une collection.
L’éditeur américain qui choisira de publier la traduction recevra une aide de
6 000 $. Tous les ouvrages porteront un
logo et seront préfacés par un auteur
américain connu.
Les efforts promotionnels à l’étranger
• www.signandsight.com
Version anglaise du magazine en ligne
Perlentaucher. Outre une synthèse des actualités culturelles, reprises des journaux,
et une information sur les livres qui font
parler d’eux, deux ou trois traductions
Seuls quelques-uns des grands pays européens travaillent à des programmes en
collaboration avec des institutions opérant à l’étranger, ce qui leur permet de développer une stratégie de promotion bien
plus efficace.
112 113
L’Allemagne et les autres pays
germanophones :
• http://www.gbo.org
Le German Book Office [Office du livre en
allemand] a été créé en 1998 à l’initiative
de la Foire du livre de Francfort. Il possède
des bureaux à New York, Pékin, Bucarest,
Moscou et Varsovie. La principale mission
de ces bureaux est de faciliter les contacts
commerciaux entre les éditeurs allemands
et ceux des pays ou régions hôtes.
nement développé d’autres moyens d’action comme de grands salons du livre ou
des maisons d’édition multinationales.
Les Pays-Bas et la Flandre :
• http://www.nlpvf.nl/
La Nederlands Literair Productie- en Vertalingenfonds [Fondation pour la production
et la traduction de la littérature néerlandaise] invite dix éditeurs à passer quelques
jours à Amsterdam pour leur permettre de
rencontrer des éditeurs néerlandais.
La France :
• Les services du livre des ambassades de
France
Les ambassades de France ont un programme de soutien de la promotion des
livres français. Ce programme prévoit l’accueil des auteurs pendant leur visite, l’organisation de manifestations et la coopération avec les institutions locales. Ainsi,
par exemple, l’ambassade de France aux
États-Unis accorde des bourses Hemingway pour la traduction de livres français en anglais, organise des résidences de
traducteurs à la Villa Gillet, à Lyon, et des
tournées promotionnelles d’auteurs français aux États-Unis. Elle invite en outre des
écrivains et des éditeurs américains en
France.
Éditeur invité
Il s’agit d’un programme destiné aux éditeurs. Ces derniers sont invités pour un
court séjour dans le pays hôte afin de leur
permettre de rencontrer des éditeurs, des
promoteurs culturels et des auteurs. Ce
type d’action est caractéristique des petits
ou moyens pays qui n’ont pas encore plei-
La Catalogne :
La culture catalane étant l’invitée d’honneur de la Foire du livre de Francfort 2007,
l’Institut Ramon Llull a contribué à préparer le terrain en invitant des éditeurs
étrangers à se rendre à Barcelone. Ces derniers ont rencontré des agents littéraires
et des éditeurs locaux, une bonne façon
de se familiariser avec la littérature catalane, de fiction ou non. C’est la première
fois qu’une telle action est mise en place
de cette façon.
L’information normalisée : les bases
de données et les catalogues
L’un des principaux objectifs de la promotion qui s’effectue à l’étranger est d’initier
le public des autres pays à la littérature et
au contexte national. Outre la production
de matériel promotionnel, indispensable
dans les salons du livre, il est très important de cibler les professionnels (éditeurs,
auteurs et traducteurs) en leur fournissant
une information qui soit la plus complète
possible, allant de la base de données sur
les auteurs aux bibliographies de traduc-
Expériences de traduction littéraire
tions en passant par les catalogues, mais
concernant aussi la cession des droits
d’auteur, les éventuelles aides à la traduction, la position du secteur de l’édition,
etc. Ce travail est principalement effectué
par les agences gouvernementales responsables de la promotion à l’étranger. Seuls
les plus grands pays ont des organisations
ad hoc avec des bureaux à l’étranger.
Les Pays-Bas et la Flandre :
• http://www.speurwerk.nl
La Stichting Speurwerk betreffende het
boek [Fondation pour la recherche sur le
livre] est basée à Amsterdam et publie des
informations sur les livres néerlandais.
Elle s’adresse principalement au marché
intérieur, comme en témoigne son site,
écrit en néerlandais uniquement.
nible sur la version papier annuelle du
site. Le fait que ces renseignements soient
en espagnol, à l’exclusion de toute autre
langue, indique qu’ils visent essentiellement le marché intérieur.
L’Allemagne et les autres pays
germanophones :
• http://www.gbo.org
Le German Book Office [Office du livre en
allemand] a été fondé en 1998 à l’initiative
de la Foire du livre de Francfort. Il possède
des bureaux à New York, Pékin, Bucarest,
Moscou et Varsovie. La principale mission
de ces bureaux est de faciliter les contacts
commerciaux entre les éditeurs allemands
et ceux des pays ou régions hôtes.
La France :
•
La Catalogne :
• http://www.llull.cat/llull/biblioteca/trac.jsp
TRAC, un catalogue de toutes les œuvres littéraires traduites du catalan dans d’autres
langues, a été compilé par l’Institució de
les Lletres Catalanes à partir de 1993. Il est
disponible en ligne depuis 2005, grâce au
site web de l’Institut Ramon Llull.
• http://www.mcu.es/
Un tour d’horizon de l’édition espagnole
Les principaux indicateurs concernant le
secteur de l’édition espagnol se trouvent
sur le site web du ministère espagnol de la
Culture (classés comme suit : statistiques,
principales statistiques, statistiques de la
publication de livres). Une étude plus détaillée (comprenant des informations sur
les ouvrages publiés en catalan) est dispo-
http://www.culture.gouv.fr/culture/dll/
dll98.htm
La Direction du livre et de la lecture, rattachée au ministère français de la Culture
et de la Communication, chapeaute la
Bibliothèque nationale de France, la Bibliothèque publique d’information et le
Centre national du livre. Sur le marché du
livre, elle supervise la création, l’édition, la
distribution et la promotion des livres en
France et à l’étranger. Elle contribue à la
création de maisons d’édition et de librairies et met au point des stratégies pour
renforcer le marché de l’exportation. Elle
effectue de plus des études sur les habitudes de lecture et la vente des livres.
• http://www.bief.org
Le Bureau international de l’édition
française (BIEF) réalise des études sur le
114 115
marché du livre à l’étranger, sur la cession de droits et les exportations des livres
français. Il publie de même des dossiers
spécialisés et des synthèses. Le BIEF garantit la présence massive des livres des éditeurs français dans les salons du livre et
autres événements majeurs partout dans
le monde ainsi que dans les congrès internationaux. Il organise aussi des expositions de livres pour le secteur éditorial
dans différentes villes d’un pays donné. Le
BIEF est une association de 250 adhérents
et a le soutien des ministères français de la
Culture et de la Communication et des Affaires étrangères. Il existe depuis 130 ans.
Cet organisme travaille aussi en étroite
collaboration avec le Syndicat national
de l’édition (SNE), le CELF et la Centrale de
l’édition.
• http://frenchpubagency.com/
La French Publisher’s Agency est la délégation new-yorkaise du BIEF. Elle représente plusieurs éditeurs français aux
États-Unis.
cas du projet développé par le PEN Club
macédonien – Diversity (http://www.diversity.org.mk/), qui cherche à constituer un
catalogue de traductions littéraires dans
un grand nombre de langues – ou encore
par Babelmatrix (http://www.babelmatrix.
org/), basé en Hongrie. Citons aussi, parmi
d’autres, Eurozine, un réseau de magazines culturels européens (http://www.eurozine.com/) dont l’importance réside dans
sa capacité à faire prendre conscience de
la littérature et de la pensée en général.
Les Pays-Bas et la Flandre :
• www.nlpvf.nl
La Nederlands Literair Productie- en Vertalingenfonds [Fondation pour la production et la traduction de la littérature
néerlandaise] propose un site informatif
régulièrement mis à jour qui offre une
foule de renseignements sur la littérature
néerlandaise. Il contient une base de données sur toutes les traductions d’œuvres
néerlandaises dans d’autres langues.
La Catalogne :
Les sites web
Ces dernières années, nombreux sont les
programmes de promotion extérieure qui
s’appuient sur des sites web, tirant parti
du fait que ces derniers peuvent offrir un
large éventail d’informations en plusieurs
langues. On trouve ainsi en ligne des magazines, des catalogues concernant des
auteurs ou des œuvres, avec la traduction
d’extraits, des critiques et des bibliographies. La plupart de ces sites s’attachent
à la littérature de leur pays, mais certains
ont une approche internationale. C’est le
• www.pencatala.cat/ctdl
Pàgines de traducció literària [Pages de
traduction littéraire] est une initiative du
Comité de la traduction et des droits linguistiques du PEN Club catalan (opérationnel
depuis 2004). Cette action a été organisée
avec le soutien de l’Institut Ramon Llull
et de l’Institució de les Lletres Catalanes.
Leur objectif est d’exploiter le potentiel
d’Internet pour initier un vaste public
– local aussi bien qu’étranger – à la littérature catalane. La présentation des
auteurs traduits se fait en deux parties :
Expériences de traduction littéraire
les traductions du catalan (exportations)
et les traductions en catalan (importations). La partie Literatura catalana en
traducció [Littérature catalane en traduction] présente des auteurs catalans
moyennant un bref article traduit en
plusieurs langues et donne la bibliographie de toutes les traductions existantes
ainsi que quelques extraits du texte original et leur traduction. La partie Literatura universal en català [Littérature
universelle en catalan] s’efforce de dresser la carte des traductions qui arrivent
en Catalogne en provenance de différents
pays. Ces présentations d’auteurs et de
traductions d’ouvrages sont complétées
par un troisième volet, réservé aux traducteurs. L’espai del traductor [L’espace
du traducteur] donne une information
détaillée sur les traducteurs qui ont utilisé le catalan dans leur travail, que ce soit
comme langue source ou comme langue
cible.
L’Allemagne et les autres pays
germanophones :
• http://www.litrix.de/
Le site Litrix propose des analyses de la littérature allemande contemporaine et des
extraits de traductions.
• www.lyrikline.org
Cette publication en ligne propose des
poèmes et leur traduction en différentes
langues, par écrit et en audio.
• http://www.perlentaucher.de/
Perlentaucher [Le pêcheur de perles] est un
magazine en ligne qui donne une infor-
mation actualisée sur la scène culturelle
et intellectuelle allemande. Il fait tous les
jours la synthèse des articles publiés dans
les pages culturelles des principaux journaux allemands et renvoie à des articles
en ligne. Il informe également sur les livres qui font parler d’eux, que ce soit en
raison de leur qualité ou de la polémique
qu’ils ont suscitée. Enfin, il comprend un
moteur de recherche qui permet de trouver des articles par auteur ou par thème
dans la base de données.
L’enseignement des langues et les
centres culturels à l’étranger
La formation de traducteurs et de spécialistes d’une littérature nationale spécifique est la base de toute promotion littéraire à l’étranger. Pour les petits et moyens
pays, ce type de formation se fait principalement via l’accueil de lecteurs par les
universités étrangères (comme c’est le cas
de la centaine de lecteurs de catalan coordonnés par l’Institut Ramon Llull). Les réseaux de lecteurs ont souvent contribué
à susciter un intérêt envers une culture
donnée. Les lecteurs font généralement
plus qu’enseigner leur langue : ils organisent aussi des manifestations culturelles
qui s’adressent à un public plus large et
qui peuvent prendre la forme de lectures,
de conférences, etc.
Cela dit, la situation de la poignée
de langues vraiment répandues en Europe (l’anglais, l’allemand, le français,
l’espagnol et l’italien) est entièrement
différente. Toutes les universités européennes proposent des cursus LEA pour
ces langues-là et la formation de spécia-
116 117
listes étrangers dans leur littérature est
une tradition de longue date. En outre,
ces langues peuvent s’appuyer sur de vastes réseaux d’instituts à l’étranger (le British Council, le Goethe-Institut, l’Alliance
Française, l’Instituto Cervantes et l’Istituto
Italiano di Cultura), dédiés principalement
à l’enseignement de la langue mais qui offrent de plus toutes sortes d’événements
culturels liés à leurs pays d’origine.
Ils viennent aussi parfois de pays soumis
à une dictature ou privés de liberté d’expression. Dans ce contexte, il pourrait être
intéressant d’analyser le rôle que les communautés d’expatriés ont, ou ont eu, dans
la promotion d’une littérature donnée
– en la traduisant dans la langue de leur
pays d’accueil –, que ce soit dans le cas des
quatre pays européens ici mis en exergue
ou en général.
Les communautés d’expatriés et la
promotion de la littérature
b] Promouvoir l’intérêt envers les
autres cultures
En raison des différents flux migratoires
s’expliquant par des causes politiques ou
économiques, de nombreux pays européens ont dans le monde entier des communautés d’expatriés. Ces communautés
cherchent généralement à conserver leurs
traits culturels distinctifs ainsi que des
liens culturels avec leurs pays d’origine.
Les activités culturelles qu’elles organisent sont souvent accueillies par un centre.
Elles vont de la publication de magazines
et de sites web à l’organisation de manifestations culturelles et de cours de langue.
Il y a un nombre considérable de traducteurs littéraires qui proviennent de
familles d’émigrants ou d’exilés, notamment pour ce qui est des langues minoritaires qui n’ont pas de dispositifs d’enseignement à l’étranger. Les exilés ont joué
un rôle particulièrement important dans
la diffusion de la littérature des pays communistes pendant la guerre froide. Il y a
ceux qui quittent leur pays en raison de
problèmes d’ordre politique et finissent
par devenir les écrivains du pays en question les plus célèbres à l’international.
Les gouvernements cherchent généralement davantage à exporter leurs auteurs
qu’à introduire les littératures étrangères
dans leur pays. L’un des indicateurs de
cette préférence est la moindre proportion d’aides à la traduction des littératures
étrangères dans la langue du pays qu’en
sens inverse. On remarque cependant une
grande différence entre les grands pays et
les autres. Les premiers se dotent d’organisations chargées spécifiquement de repérer et de convertir le legs universel dans
leur propre langue, les seconds ne possèdent pas d’organismes de ce type.
Néanmoins, les actions visant à promouvoir l’intérêt envers les autres cultures
ne se limitent pas à l’aide à la traduction. Il
y a d’autres façons, et très diverses, comme
les festivals internationaux, les résidences
pour auteurs étrangers, les salons du livre...
En poussant plus loin, on pourrait aussi
inclure tous les moyens visant à enrichir la
vie littéraire d’un pays. En effet, quiconque
a un véritable intérêt pour la littérature de
son propre pays aura une base de départ
Expériences de traduction littéraire
suffisante pour avoir envie de découvrir les
écrivains d’ailleurs.
L’une des principales différences entre
la situation en Europe et celle des ÉtatsUnis est le manque de coopération entre
les universités européennes et les agents
chargés de la promotion littéraire (notamment les éditeurs et les organisations gouvernementales). Rares sont les universités
européennes ayant une maison d’édition
capable de distribuer des livres à travers
un circuit commercial normal, et les manifestations qu’elles organisent dépassent
rarement le cadre universitaire. En ce qui
concerne la traduction littéraire, nul doute que les meilleurs professionnels sont
ceux qui possèdent un solide bagage universitaire dans une langue en particulier
et une connaissance profonde de sa tradition littéraire. C’est pourquoi il est vraiment dommage que les efforts consentis
par les cercles universitaires aient un impact minimum sur le grand public et sur
les traductions. S’ils parviennent à se faire
publier par les universités, il n’en reste
pas moins qu’ils atteignent un lectorat
trop restreint.
Les aides publiques
Les Pays-Bas :
Il n’y a pas d’aide aux maisons d’édition
néerlandaises désireuses de publier des traductions d’œuvres littéraires étrangères.
• www.fondsvoordeletteren.nl
La Fonds voor de Letteren [Fondation
néerlandaise pour la littérature] a été
créée en 1965 en réponse aux protesta-
tions contre l’absence de soutien gouvernemental à la littérature. Elle s’est donné
pour mission d’élever la qualité et la disponibilité des œuvres littéraires néerlandaises et frisonnes. Elle offre un soutien
aux traducteurs travaillant à un ouvrage
littéraire dans l’une ou l’autre langue, et
aussi aux auteurs écrivant de nouveaux
livres. Les traducteurs peuvent demander
un complément de paiement à celui reçu
de l’éditeur, ce complément allant parfois
jusqu’à doubler leur rétribution. Chaque
année, quelque 200 écrivains et 100 traducteurs bénéficient de cette aide.
La Catalogne :
• http://www.cultura.gencat.net/ilc
L’Institució de les Lletres Catalanes travaille à promouvoir les ouvrages en catalan et leurs auteurs. Elle organise pour
cela des campagnes promotionnelles et
des expositions et elle participe à des
salons du livre. Elle apporte de plus une
aide aux écrivains, aux scénaristes et aux
chercheurs.
Depuis 1993, elle octroie deux subventions par an pour des traductions en
catalan. L’une est destinée aux traducteurs, l’autre aux éditeurs.
• http://www10.gencat.net/sac/AppJava/
servei_fitxa.jsp?codi=13101
Le Programa de Suport a l’Edició en Català [Programme de soutien à l’édition
en catalan] est un outil de la politique du
gouvernement catalan. Il cherche à renforcer la présence de la langue catalane
et à augmenter l’édition, la diffusion et
la distribution des livres en catalan.
118 119
L’Allemagne et les autres pays
germanophones :
• http://www.litprom.de
La Gesellschaft zur Förderung der Literatur aus Afrika, Asien und Lateinamerika
[Société pour la promotion des littératures africaines, asiatiques et latino-américaines] mène un programme de soutien à
la traduction en allemand de textes littéraires des pays généralement boudés par
le public mondial.
• http://lcb.de
Le Literarisches Colloquium Berlin octroie des aides dans le cadre de son programme « Übersetzungsförderungsprogramm für Belletristik aus den Ländern
Mittel- und Osteuropas » [Programme
d’aide à la traduction d’œuvres littéraires
d’Europe centrale et d’Europe de l’Est]. Ce
programme soutient les ouvrages littéraires de cette région du monde dans le but
de permettre au public allemand de diversifier le choix de ses lectures.
• http://www.sgdl.org/vieculturelle_prix.
asp
La Société des gens de lettres concède
plusieurs prix de traduction.
L’organisation de festivals
internationaux
Plusieurs pays européens accueillent régulièrement des festivals littéraires auxquels participent des auteurs étrangers.
Ces festivals sont souvent l’occasion de
publier des catalogues où l’on trouve des
extraits, traduits en plusieurs langues, de
textes des auteurs invités. Ces rencontres
favorisent la prise de conscience de l’existence d’une littérature universelle et rapprochent un vaste public de la littérature.
Parmi ces événements, plusieurs ont un
long passé derrière eux.
La Catalogne :
• http://www.bcn.es/barcelonapoesia/
Barcelona poesia, un festival de poésie internationale organisé à Barcelone. L’année
2006 a vu sa vingt-deuxième édition.
La France :
• http://www.centrenationaldulivre.fr/
Le Centre national du livre accorde depuis de nombreuses années des aides aux
éditeurs français désireux de publier des
ouvrages traduits. Ces aides vont jusqu’à
50 ou 60 % du coût total de la traduction.
• http://www.maison-des-ecrivains.asso.fr/
L’un des objectifs de la Maison des écrivains est de développer sa coopération
avec ses homologues européens qui,
comme elle, encouragent l’activité littéraire dans leur pays.
• http://www.cccb.org/kosmopolis/index.
htm
Kosmòpolis, un festival organisé par le
Centre de Cultura Contemporània de Barcelona.
L’Allemagne et les autres pays
germanophones :
• http://literaturwerkstatt.org/
Literaturwerstatt Berlin accueille le
Poesie Festival Berlin, l’un des festivals
de poésie les mieux cotés d’Europe. Il organise en outre des ateliers de traduction
Expériences de traduction littéraire
et diverses actions visant à familiariser
les lecteurs allemands aux auteurs étrangers.
• http://www.literaturhaeuser.net/
La Literaturhaus [Maison de la littérature]
est une véritable institution en Allemagne.
Certains de ses centres ont créé un réseau
(Berlin, Hambourg, Francfort, Salzbourg,
Munich, Cologne, Stuttgart et Leipzig) afin
de coordonner leurs actions. Les manifestations qu’ils organisent ont toutes une composante internationale, même si elles sont
avant tout destinées à enrichir l’activité littéraire dans la ville où elles se tiennent.
L’organisation de salons
internationaux
Les grands salons ont une influence énorme et attirent des éditeurs du monde entier. De leur côté, les petits salons, parfois
renommés au plan international, peuvent
eux aussi offrir de bonnes opportunités
de dynamiser les relations avec le marché
de l’édition. Les salons facilitent l’achat de
droits étrangers et donc la publication de
livres dans d’autres pays. Il est donc tout
à fait naturel que tous les grands salons
organisent des activités destinées aux traducteurs.
La Catalogne :
L’Allemagne et les autres pays
germanophones :
• http://www.book-fair.com
Le Frankfurter Buchmesse [Foire du livre
de Francfort] organise la plus importante
au monde des manifestations axées sur le
marché du livre. Il est rattaché à la Börsenverein des Deutschen Buchhandels, l’association allemande des libraires et des
éditeurs. Il est de plus doté d’un département international qui promeut les livres
allemands dans le monde entier.
• http://www.leipziger-buchmesse.de/
Le Leipziger Buchmesse [Salon du livre
de Leipzig] est, par ordre d’importance,
le deuxième événement axé sur le marché du livre en Allemagne. Alors que la
Foire du livre de Francfort s’adresse aux
professionnels, le salon de Leipzig est
pensé pour le grand public.
La France :
• http://www.salondulivreparis.com/
Le Salon du livre de Paris est le plus important du genre en France.
Les écrivains étrangers en résidence
Pour un écrivain, un séjour à l’étranger
est une bonne façon de promouvoir son
œuvre et d’augmenter ses chances d’être
traduit.
• http://www.salollibrebcn.com/
Le Saló del Llibre de Barcelona [Salon du
livre de Barcelone] est organisé par l’association des éditeurs de Catalogne et l’association des libraires de Barcelone et de
Catalogne. Sa première édition internationale s’est tenue en 2005.
Les Pays-Bas :
•
http://www.fondsvoordeletteren.nl/miniweb.php?mwid=20
La Résidence des écrivains d’Amsterdam est un projet mené conjointement
par la Fondation néerlandaise pour la
120 121
littérature, la Fondation pour la production et la traduction de la littérature
néerlandaise, l’Université d’Amsterdam
et la maison d’édition Atheneum. Ces
partenaires proposent une maison en
plein cœur de la vieille ville. Les écrivains étrangers invités ont aussi accès à
la bibliothèque de l’Université d’Amsterdam, au club universitaire et aux activités littéraires de la ville.
• http://www.fondsvoordeletteren.nl/miniweb.php?mwid=10&sid=335
Introductory Portfolio est l’un des programmes les plus plébiscités de la Fondation néerlandaise pour la littérature. Il se
compose d’une interview à l’auteur, d’une
brève description de son œuvre, d’une information biographique et d’un extrait
traduit en néerlandais. Il a été conçu à
l’adresse des auteurs de pays non occidentaux non encore publiés aux Pays-Bas et
éprouvant des difficultés à faire connaître leur œuvre. Le programme de la Fondation néerlandaise pour la littérature a
aussi pour objectif d’accroître les chances
des écrivains étrangers vivant aux Pays-Bas
de commencer à écrire en néerlandais. Il
s’adresse donc en cela aux écrivains vivant
aux Pays-Bas mais ne sachant pas écrire
dans cette langue.
La Catalogne :
• http://www.icorn.org/
Barcelone est l’une des Villes Refuges du
réseau ICORN international. Elle accueille
les écrivains persécutés pour raisons politiques. Le Comité des écrivains en prison
du PEN Club catalan gère le programme
« Refuge », qui cherche à sensibiliser le public catalan à cette réalité.
L’Allemagne et les autres pays
germanophones:
• http://lcb.de
Le Literarisches Colloquium Berlin offre
un hébergement et un soutien financier
à des écrivains et à des traducteurs étrangers.
La France :
• http://www.meet.asso.fr/
La Maison des écrivains étrangers et des
traducteurs, située à Saint-Nazaire, offre
un hébergement à des écrivains étrangers
et à leurs traducteurs. Elle organise régulièrement des débats, des lectures et des
rencontres entre écrivains. Elle décerne de
plus chaque année deux prix littéraires : le
prix Laure Bataillon à la meilleure œuvre
de fiction traduite en français dans l’année
et un prix venant récompenser la jeune littérature latino-américaine. Elle a sa propre
maison d’édition, qui publie généralement
des textes bilingues, et sa propre revue littéraire, Meet.
L’acquisition de traductions pour les
bibliothèques
Les programmes assurant l’acquisition
avec les deniers publics de livres par les bibliothèques jouent un rôle très important
pour la présence de livres traduits sur le
long terme. Ce type de mesure s’est révélé
particulièrement positif dans les petits et
moyens pays où les livres ne sont pas toujours réédités lorsqu’ils sont en rupture
de stock ou lorsque la situation économi-
Expériences de traduction littéraire
que générale du pays ne permet pas aux
gens d’acheter souvent des livres.
c] Les actions de soutien aux
traducteurs
versitaire de Louvain (Belgique). Les traducteurs ont accès à la bibliothèque de
l’université, rencontrent d’autres traducteurs, des écrivains et des gens dont le flamand est la langue maternelle. Ce centre
met aussi à leur disposition deux appartements meublés et équipés.
Les lieux d’accueil de traducteurs
Ces lieux offrent aux traducteurs un hébergement et les conditions requises pour
l’exercice de la traduction, la résolution
des problèmes qui se présentent au cours
du travail de traduction et une meilleure
compréhension du contexte littéraire du
texte original. Ils s’efforcent généralement
aussi de favoriser la rencontre entre le traducteur et l’auteur ou des spécialistes de
l’œuvre en cours de traduction.
Les Pays-Bas :
• http://www.nlpvf.nl/about/translators_
house.php
À Amsterdam, la Maison du traducteur,
une réalisation de la Fondation pour la
production et la traduction de la littérature néerlandaise, accueille cinq traducteurs
pour des séjours pouvant durer jusqu’à
deux mois. Les traducteurs peuvent également demander une aide financière,
même pour des projets non commandés
par un éditeur s’ils sont suffisamment
bien définis. Ce programme ne s’adresse
qu’aux traducteurs ayant le néerlandais
comme langue source.
• http://www.fondsvoordeletteren.be/detectie/flash/001.htm
Le Fonds littéraire flamand gère un centre de traduction situé dans la ville uni-
La Catalogne :
• Les séminaires de Farrera de Pallars
Deux fois par an, depuis 1998, l’Institució
de les Lletres Catalanes organise des rencontres entre des écrivains étrangers et des
traducteurs catalans à Farrera de Pallars,
un petit village des Pyrénées. Au printemps
et à l’automne, l’ILC invite deux poètes de
même langue à rencontrer dix poètes ou
traducteurs catalans. Les auteurs envoient
à l’avance des morceaux choisis de leur
œuvre et, au cours de la rencontre, deux
groupes sont créés de façon à pouvoir discuter de tous les aspects des différentes
versions des poèmes sélectionnés. Cette
activité est extraordinairement précieuse
pour ce qui est des contacts personnels et
de la compréhension du travail des uns et
des autres.
L’Allemagne et les autres pays
germanophones :
• http://www.uebersetzerfonds.de
Le Deutscher Übersetzerfonds a été créé
en 1997 et son siège se trouve au Literarisches Colloquium Berlin. Il octroie des
bourses de travail et de voyage à des traducteurs. Il subventionne de plus les assistants chargés d’aider les traducteurs et des
résidences dans des centres de traduction
tels que ceux de Straelen ou Visby (Centre
122 123
balte pour écrivains et traducteurs, Suède).
Enfin, il organise des séminaires et des
ateliers thématiques.
• http://www.euk-straelen.de/
L’Europäisches
Übersetzer-Kollegium
de Straelen est le plus grand centre de
traduction littéraire au monde. Des traducteurs ayant signé un contrat avec une
maison d’édition peuvent demander à y
résider, quel que soit leur pays d’origine.
La bibliothèque du centre a un fonds de
110 000 ouvrages, dont 25 000 sont des
dictionnaires dans 275 langues ou dialectes. Elle met à disposition des ordinateurs
connectés à Internet. Quant à l’hébergement des résidents, il se fait dans 29 studios indépendants. Le centre se trouve
dans une jolie petite ville.
• http://www.zug.ch/dialogwerkstatt/
Le Dialogwerkstatt Zug est une initiative
des organismes culturels du canton suisse
de Zoug. Il promeut l’art et la culture de
la traduction depuis 1996, accordant des
bourses de traduction et accueillant des
rencontres sur la traduction dans son
centre.
La France :
• http://www.atlas-citl.org/es/citl/index.htm
À Arles, le Collège international des traducteurs littéraires octroie des bourses
d’hébergement et de traduction financées
par le Centre national du livre. En accord
avec certains pays, les deux partenaires
ont mis au point des programmes binationaux qui leur permettent d’organiser
des séminaires de formation continue à
l’intention des jeunes traducteurs ainsi
qu’à celle de leurs collègues plus expérimentés. Des événements culturels, des tables rondes et des débats publics sont ainsi
organisés à Arles et dans ses environs.
• http://www.villagillet.net/
Les résidences de traduction de la Villa
Gillet, à Lyon. Le ministère français des
Affaires étrangères propose depuis 2005,
par le biais des services du livre de l’ambassade de France aux États-Unis, son propre programme de résidence aux traducteurs travaillant de français en anglais. Il
le fait en collaboration avec la Villa Gillet,
organisme culturel se trouvant à Lyon. Ce
programme consiste en des résidences de
six semaines à Lyon (la bourse couvre les
frais de déplacement, le loyer et une subvention) et une participation aux activités culturelles de la ville. Il n’est pas indispensable d’avoir signé un contrat avec
une maison d’édition puisque la raison
d’être de ces résidences est d’apporter de
nouveaux projets sur les marchés éditoriaux américain et britannique.
Les associations de traducteurs
Elles proposent des modèles de contrat,
suggèrent des tarifs et se battent pour
que le rôle du traducteur soit davantage
reconnu, avec, par exemple, des accords
pour que le nom du traducteur figure
dans les catalogues des bibliothèques et
dans les articles des journaux.
La Catalogne :
Il n’y a pas d’associations des traducteurs
littéraires ayant le catalan pour langue
Expériences de traduction littéraire
source ou cible. Les traducteurs reçoivent
un certain soutien de la part des associations d’écrivains et des organisations de
protection des droits d’auteur en général.
• http://www.escriptors.cat/
L’Associació d’Escriptors en Llengua Catalana (AELC) [Association des écrivains de langue catalane], fondée en 1977 à l’occasion
du Congrès de la culture catalane, propose
des modèles de contrat ainsi qu’un service
de conseil juridique à ses adhérents.
• http://www.cedro.org/catalan_inicio.asp
Le Centro español de derechos reprográficos (CEDRO) [Centre espagnol des droits
de reproduction] a pour mission d’améliorer les conditions de travail en Espagne
de tous ceux qui contribuent à la culture
sous sa forme écrite. Il protège donc aussi
les droits des traducteurs littéraires.
L’Allemagne et les autres pays
germanophones :
• http://literaturuebersetzer.de
La Verband deutschsprachiger Übersetzer
literarischer und wissenschaftlicher Werke est une association de traducteurs littéraires et scientifique. Elle a été créée en 1954
pour protéger les intérêts des traducteurs.
La France :
• http://www.fit-ift.org/fr/news-fr.php
La Fédération internationale des traducteurs (FIT), créée à Paris en 1953 par PierreFrançois Callé, regroupe les associations
de traducteurs d’une cinquantaine de
pays et représente quelque 60 000 traducteurs du monde entier.
• http://www.sft.fr/
La Société française des traducteurs (SFT)
est le syndicat des traducteurs professionnels en France. Elle compte environ un
millier de membres.
• http://www.atlf.org/
L’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF), fondée en 1973, s’est
donné pour mission de protéger les intérêts des traducteurs et de promouvoir la
qualité des traductions littéraires publiées
en France. Elle compte actuellement plus
de 700 adhérents.
5. Conclusions
Simona Škrabec
La traduction littéraire est un très bon
indicateur de certains aspects essentiels
de notre monde, et son existence même
et les conditions qui président à son existence nous en disent beaucoup plus que
les chiffres, qu’ils concernent le nombre
de traductions réalisées ou la somme
qu’un gouvernement est prêt à investir
pour promouvoir la littérature de son
pays. Avant d’analyser les informations
collectées sur le sujet dans des pays très
différents, il faut prendre du recul et élargir notre perspective sur ce que l’on peut
apprendre de l’existence même de la traduction littéraire.
La présence inégale de la culture écrite
Il ne suffit pas d’étudier tous les pays dans
lesquels se publient des livres traduits
pour obtenir une image claire de la situation internationale de la traduction
littéraire. Cette radiographie du monde
ne montrerait que les pays et les cultures
dotés d’un réseau éducatif bien développé et d’un secteur de l’édition bien établi, car une population éduquée est une
condition indispensable pour qu’un pays
ait des lecteurs et la capacité de produire
des livres. Les traducteurs littéraires dépendent de ces deux facteurs : l’existence
des livres et d’un public capable de les
lire. Cette conclusion n’est pas aussi évidente que l’on pourrait le croire. Certes,
les traducteurs littéraires ne traduisent
que ce qui est publié, mais de nombreuses
cultures du globe sont restées en marge
de l’échange des traductions littéraires,
car, pour participer, il ne suffit pas d’avoir
une maison d’édition et des lecteurs potentiels : il faut également que le langage
soit aussi normalisé que possible.
Seules les cultures qui disposent d’une
langue codifiée et bien consolidée ainsi
que d’un réseau complet de ressources
126 127
institutionnelles et culturelles (écoles, universités, librairies, bibliothèques, maisons
d’édition, journaux, théâtres, etc.) peuvent espérer participer à cet échange. Ces
conditions semblent exclure les langues
indigènes d’Amérique du Sud et d’une
grande partie du continent africain, où
les traductions littéraires sont rares. Mais
certaines circonstances spécifiques et graves peuvent également affecter la participation, ou la non-participation, des pays
qui ont disposé dans le passé d’un réseau
d’édition solide et développé. Avant 1991,
la Bosnie était active sur le marché des livres écrits en serbo-croate, qui comprenait
des livres provenant de Croatie, de Bosnie,
de Serbie et du Monténégro. Aujourd’hui,
pourtant, à cause d’une situation économique difficile et de tensions politiques
avec les pays voisins, les Bosniaques n’arrivent à acheter que des manuels scolaires.
En à peine quinze ans, tout un système
bien établi s’est effondré et la Bosnie devra
faire beaucoup d’efforts pour qu’il y ait de
nouveau sur le marché autant de livres
traduits qu’avant la guerre.
Il y a donc des inégalités dans le statut des participants à cet échange, et les
mécanismes de domination sont faciles
à identifier. La traduction littéraire est
un bon révélateur de ces énormes différences de développement dans le monde.
Au-delà des tensions entre les forts et les
faibles et de la lutte pour la visibilité sur
la scène mondiale, d’autres facteurs sont
déterminants pour participer à l’échange : la volonté de participer, l’ouverture
culturelle et une certaine curiosité envers les autres.
Un public large, mais pas encore assez
Il faut aussi être conscient que le panorama des échanges littéraires présenté dans
ce rapport est incomplet. La littérature indienne, la littérature russe et leurs zones
d’influence respectives sont les grandes absentes de cette étude. L’Inde est un pays où
de nombreuses langues et cultures coexistent, et il ne faut pas oublier que la présence et l’influence de l’anglais y sont importantes. La traduction littéraire y est donc
soumise à des conditions bien différentes
de celles que l’on rencontre couramment
en Europe. La situation linguistique y est
complexe et elle ne se laisse pas résumer
en quelques mots. Il faut tenir compte de
plusieurs points de vue différents pour obtenir une vue d’ensemble de la situation.
La région russophone demeure également un mystère presque complet pour
le monde occidental. La littérature russe
est, sans aucun doute, l’une des littératures les plus importantes et les plus influentes d’Europe. Les textes classiques de
ses auteurs du xixe siècle et du début du
xxe siècle sont traduits partout et jouent
un grand rôle dans la littérature mon­
diale. Mais, aujourd’hui, les auteurs russes
contemporains ont une visibilité relativement faible sur le marché international, si
l’on considère le nombre de russophones
dans le monde et l’importance de l’histoire de la littérature de ce pays. Dans le
même temps, la Russie est l’un des grands
marchés littéraires monolingues où un
auteur à succès peut s’attendre à vendre
sans problème plus d’un million d’exemplaires de son livre. Quoi qu’il en soit, la
Russie et l’Inde sont actives sur le marché
Conclusions
international, ce qui n’est pas tout à fait le
cas des pays africains et arabes.
Les difficultés économiques dont souffre l’Afrique, combinées à l’influence des
langues des anciens empires coloniaux,
ont façonné des liens littéraires très spécifiques avec le marché international, surtout dans le cas des pays francophones,
étant donné que les auteurs qui écrivent
en français ont de bonnes chances de rencontrer un public international.
La situation du monde arabe est encore
plus complexe. Du fait de la tendance de
plusieurs pays arabes à l’isolation, le reste
du monde connaît peu de choses de la
production littéraire de ces pays, mises à
part les œuvres écrites par les auteurs en
exil. La perception occidentale du monde
arabe est, de façon générale, plutôt négative. Les tensions politiques et le manque
de familiarité culturelle engendrent des
préjugés et un manque d’intérêt, ce qui
complique beaucoup la tâche des auteurs
arabes qui souhaitent se faire connaître
à l’étranger. L’époque où les classes cultivées de toute l’Europe étaient en admiration devant la sagesse orientale des Mille et
une nuits est bien révolue.
L’autosuffisance de la région
anglophone
Lorsque l’on essaie d’expliquer les différences quantitatives dans le domaine de
la traduction littéraire dans les différentes régions du globe, les problèmes économiques ou politiques sont mis au jour.
Mais la traduction littéraire révèle également un autre facteur : l’attitude envers
les autres cultures. Les études réalisées
dans les pays anglophones montrent la
prépondérance d’une attitude d’autosuffisance. Des informations reçues d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Afrique du
Sud montrent que les surplus des maisons
d’édition anglaises et nord-américaines y
sont vendus à bas prix en librairie, étranglant ainsi les secteurs de l’édition de ces
pays, qui restent en dehors des circuits des
grandes maisons d’édition.
Outre sa position dominante sur le
marché intérieur, la langue anglaise tend
aussi à ignorer tout ce qui n’est pas écrit
en anglais. L’immense influence de l’anglais est souvent perçue, à tort, comme
un reflet du monde entier. Cette attitude
est le résultat de nombreux facteurs qui
remontent aux siècles de l’expansion de
l’Empire britannique. Aujourd’hui, on
trouve derrière la relative imperméabilité
du marché anglophone une réticence à
reconnaître qu’il existe d’autres mondes
avec lesquels il faudrait établir une communication. Dans le chapitre qui ouvre
ce rapport, Esther Allen mentionne cette
« souffrance de la communication ». La
création d’un environnement clos et
autosuffisant exclut toute comparaison
avec les autres. Les valeurs internes d’une
culture imperméable donnent l’illusion
d’être des valeurs absolues.
On peut aussi mesurer l’autosuffisance
des pays anglophones par le fait qu’ils ne
tiennent pas de statistiques fiables sur le
nombre de livres traduits en anglais. C’est
également le cas en Argentine et au Mexique, où l’on ne dispose d’aucun chiffre sur
les auteurs qui ont été traduits en d’autres
langues, ni sur les livres traduits disponi-
128 129
bles en librairie. Nous avons appris que le
gouvernement catalan n’a pas de statistiques sur la littérature importée des autres
pays. Il tient cependant un compte précis
des livres traduits du catalan vers d’autres
langues. Ce manque de données statistiques n’est probablement pas seulement
le résultat d’un manque d’intérêt, mais
également d’une tentative d’éviter d’avoir
à répondre à certaines questions relevant
de l’identité (c’est-à-dire le degré d’ouverture d’un pays donné ou d’une culture
précise), comme le montre le questionnaire envoyé aux différents PEN Clubs.
En 2004, il y a eu, aux États-Unis, 14 400
nouvelles traductions de livres en anglais,
dont seulement 874 ouvrages littéraires.
On considère que cela représente environ
3 % de tous les livres en vente. À titre de
comparaison, environ 30 % de tous les
livres publiés en France sont des traductions. L’Allemagne est elle aussi connue
pour accueillir une grande part de littérature internationale dans ses librairies,
bien que le pourcentage des œuvres traduites ait chuté spectaculairement ces
dix dernières années. Dans les petites
et moyennes cultures européennes, ce
pourcentage tend à être très élevé et, dans
certains cas, représente près de la moitié
des nouvelles parutions (notamment en
République tchèque, en Estonie, en Lituanie ou en Finlande). Il faut souligner que,
dans tous ces pays, la grande majorité de
ces textes sont traduits de l’anglais.
On a observé que certaines cultures, et
particulièrement les plus petites, qui traduisent beaucoup d’ouvrages, publient relativement peu d’œuvres écrites dans leur
propre langue. Pourtant, toutes les cultures qui, grandes ou petites, sont ouvertes
aux œuvres étrangères disposent d’un bon
système d’enseignement des langues étrangères et d’un réseau qui relie les mondes de
l’édition, de l’enseignement, des médias et
de l’université, ce qui dénote une grande
cohésion sociale interne. Dans les pays qui
sont ouverts à la littérature internationale,
les traductions littéraires jouissent d’une
bonne reconnaissance et sont considérées
comme un travail créatif et non comme
une tâche mécanique. C’est ce que l’on
constate dans le cas des excellents auteurs
allemands qui, encore aujourd’hui, suivent
l’exemple de Goethe et de Herder, et consacrent leur temps non seulement à leurs
propres livres, mais aussi à la traduction
littéraire. L’exemple allemand n’est pas
exceptionnel ; dans de nombreux autres
pays, des auteurs reconnus font aussi office d’ambassadeurs des littératures étrangères. Ces éléments d’interconnexion sont
absents des cultures qui manquent d’intérêt pour la littérature des autres pays.
Aux États-Unis, le concept de diversité
culturelle est complètement monolingue.
Les scènes et les coutumes décrites dans les
livres peuvent être tout à fait exotiques,
mais la langue originale dans laquelle
ces histoires pittoresques sont narrées est
presque toujours l’anglais. Avec un plus
grand nombre de textes traduits, peutêtre cette perspective changerait-elle et les
Nord-Américains et les Anglais verraientils que leur conception de la diversité
culturelle se limite presque entièrement
à ce que l’on trouve dans le monde anglophone. Mais nous savons que seulement
Conclusions
3 % des livres en vente aux États-Unis sont
des traductions, et que beaucoup de ces livres entrent dans la catégorie des œuvres
hors contexte et hybrides : en deux mots,
de la littérature cosmopolite, conçue et
écrite pour un public international sans
interlocuteur local propre.
La résistance générale du monde anglophone à communiquer avec les autres
cultures oblige les traducteurs à porter
seuls le fardeau de la diversité linguistique.
Une traduction de l’anglais ou vers l’anglais a donc une valeur très spéciale, car
elle permet aux locuteurs d’autres langues
de continuer à parler et à écrire dans leur
propre langue, sans perdre le lien avec l’environnement anglophone. La traduction
empêche l’anglais de se substituer purement et simplement aux autres langues.
Cette situation est particulièrement
préoccupante en ce qui concerne les textes scientifiques. La pression à écrire en
anglais est telle que les textes du domaine
des sciences exactes, de la physique et de
la biomédecine ne sont pratiquement
plus rédigés dans d’autres langues. Cette
même pression devient de plus en plus
visible dans les sciences sociales et humaines. Les livres qui ciblent un public cultivé
auront sans doute des lecteurs qui maîtrisent la lingua franca actuelle, mais l’on ne
peut pas faire la même supposition pour
la littérature destinée à un public plus large. La conséquence de cette tendance à rédiger les textes scientifiques en anglais est
que de nombreuses langues se retrouvent
sans terminologie scientifique propre et
sans textes en version originale écrits par
leurs scientifiques les plus éminents.
Le livre comme marchandise
La littérature qui cible de vastes secteurs
du monde anglophone a subi un changement inquiétant. Les livres sont devenus
des objets sous forme de livre, sans aucune
valeur culturelle clairement définie. La
seule chose qui compte est le profit immédiat de la vente. C’est le seul objectif
des best-sellers, comme si la littérature
ne jouait pas un rôle essentiel dans le système éducatif et dans la vie culturelle de
n’importe quel pays. La transformation
de l’environnement littéraire en marché
a eu des effets très négatifs sur la visibilité
des traductions.
Il est très difficile de se faire une petite
place sur le marché face à des maisons
d’édition qui disposent de moyens très importants pour promouvoir leurs auteurs.
Pour retenir l’attention du public, les livres
originaux et traduits doivent lutter contre
des campagnes marketing à grande échelle
dans les médias. Aux États-Unis, les maisons
d’édition dépensent d’énormes sommes
d’argent pour promouvoir les écrivains en
qui elles voient d’éventuels auteurs de bestseller. Comment une œuvre traduite peutelle concurrencer ce genre d’ouvrages lorsque, en outre, l’auteur de l’œuvre originale
est rarement un auteur contemporain qui
peut partir en tournée pour attirer l’attention des médias ?
En principe, la traduction littéraire
comporte un filtre de contrôle qualité
qui opère automatiquement : les livres
traduits tendent en général à être ceux
qui sont les plus appréciés ou les plus
fréquemment lus dans leur langue d’origine. Cela signifie que, pour atteindre un
130 131
public étranger, les grandes œuvres d’une
littérature donnée ne peuvent pas passer
par les mêmes canaux que les œuvres qui
ciblent le grand public. La littérature de
divertissement en anglais n’a pas seulement déséquilibré le marché anglophone, mais aussi les marchés des autres pays,
car, aujourd’hui, la majorité des traductions concernent une littérature facile et
légère originalement écrite en anglais. De
plus, ces titres faciles à vendre ne sont pas
présentés à l’étranger dans leur contexte
original et, une fois que le livre est vendu,
aucun spécialiste ne continue à s’y intéresser. Cela contribue également à affaiblir le
rôle de pont entre les cultures que la littérature a toujours eu. Un livre traduit n’est
pas seulement une histoire intéressante,
c’est aussi une source d’informations sur
une culture étrangère.
La littérature repose sur le secteur de
l’édition, mais ce sont les réseaux de librairies et de bibliothèques qui sont responsables d’acheminer les livres jusqu’aux lecteurs. Un livre traduit ne peut pas se faire
une place sur le marché dans les mêmes
conditions qu’un livre publié dans sa langue originale. La mesure dans laquelle il
atteint ou non sa cible dépend des grands
canaux de distribution. Aux États-Unis, de
nombreuses traductions d’auteurs européens sont publiées par des petites imprimeries indépendantes à but non lucratif.
Ces éditeurs sont souvent trop petits pour
être des intermédiaires efficaces et pour
s’assurer que le livre atteindra les quatre
coins du globe. Une traduction, et même
une traduction en anglais, ne peut avoir
un impact que si elle est vraiment acces-
sible au public international. Il ne suffit
pas d’exister en tant que livre. Les grandes chaînes qui contrôlent la distribution
internationale donnent la priorité aux
grands best-sellers qui empêchent littéralement la présence des autres types de
livres dans les magasins. On imagine difficilement les mesures que l’on pourrait
prendre pour renverser cette tendance ou
limiter son impact.
Les copies illégales de livres
Le rapport sur la Chine révèle un autre
problème, qui n’est pas encore tout à
fait résolu : les copies pirates. En dehors
du fait que cette pratique met en péril
les droits d’auteur et cause des dommages économiques évidents (à la fois aux
auteurs et aux traducteurs), elle a aussi
une autre conséquence que l’on ne peut
ignorer. L’existence d’un réseau semiclandestin qui produit et distribue des
copies non autorisées porte préjudice à la
création de nouvelles maisons d’édition et
de nouvelles librairies. Cela est vrai pour
n’importe quel pays, mais tout particulièrement pour les pays dont l’économie est
fragile. Les réimpressions non autorisées
ou même les photocopies de livres publiés
en espagnol qui circulent dans des pays
comme le Chili ou le Pérou relèvent d’une
situation bien différente de celle de l’Europe communiste, où circulaient des éditions clandestines, appelées samizdat.
En Europe de l’Est, la littérature a défié
la répression en tissant un réseau clandestin d’échanges littéraires. Les livres qui ont
circulé grâce à ce réseau ont déchaîné des
passions mais n’ont pas généré beaucoup
Conclusions
de bénéfices. Ce n’était pas leur objectif.
C’est cependant l’objectif des copies pirates. Ce commerce illégal fait du tort aux
auteurs et fait obstacle à la création de maisons d’édition et de librairies, et, au-delà, il
encourage une attitude d’acceptation irréfléchie des modèles étrangers. Comme ces
copies sont destinées à une vente facile, les
œuvres qui sont mises en circulation sont
des livres et des traductions qui ont déjà eu
du succès dans d’autres pays.
Paradoxalement, les copies pirates finissent par constituer une caisse de résonance pour les tendances imposées par les
grandes entreprises sur le marché mondial. La circulation de copies illégales réduit l’autonomie des choix qu’une culture
donnée peut faire quant aux livres qu’elle
souhaite connaître, traduire et assimiler.
Parmi les tendances du marché international de la littérature, l’appauvrissement
de la diversité des œuvres traduites est
l’une des plus préoccupantes. Le nombre
des auteurs qui atteignent une reconnaissance mondiale diminue constamment.
La traduction dans l’histoire de la
littérature
C’est la littérature française qui a eu le
plus de succès sur le marché anglophone.
Environ 30 % des traductions réalisées aux
États-Unis concernent des livres écrits en
français. Ce que ce fait a de plus extraordinaire, c’est que les œuvres traduites sont signées par de grands noms de la littérature,
de la critique littéraire, de la philosophie
et d’autres disciplines des sciences humaines. La littérature française prouve donc
qu’avec une bonne politique culturelle il
est possible de renverser deux tendances
négatives : celle de la substitution de la langue originale par l’anglais dans les textes
scientifiques, et celle de l’hégémonie de la
littérature légère et facile à vendre.
La promotion de la littérature française
bénéficie d’un soutien financier, mais des
efforts sont également déployés pour organiser des conférences dans les universités étrangères, ainsi que des lectures dans
les librairies et les écoles francophones,
qui fournissent un environnement propice à une présentation plus en profondeur
des auteurs et de leurs livres.
Pour se faire une place sur le marché,
un livre doit être lu et commenté par les
critiques. Pour faire partie des classiques
et se frayer un chemin dans le système
littéraire d’un pays étranger, il doit également attirer l’attention des historiens
et des théoriciens de la littérature. La première étape, attirer l’attention des médias
spécialisés, est déjà difficile dans le cas des
œuvres traduites. La deuxième étape est,
en revanche, pratiquement impossible
pour les cultures qui ne disposent pas
d’écoles ou d’universités à l’étranger.
Les traducteurs ne savent pas toujours
à quel point l’efficacité de leur travail
dépend des universitaires. Les gouvernements aussi négligent souvent ces étapes
fondamentales pour qu’une œuvre et la
culture qu’elle représente soient bien accueillies à l’étranger. Trop souvent, les efforts promotionnels réalisés à l’étranger
se résument à des événements ponctuels,
et un article dans un journal à grand tirage ou de bons chiffres de vente semblent
suffisants.
132 133
Seule une culture disposant d’un réseau international de spécialistes est capable de lancer ses auteurs classiques sur
la scène internationale. Le roman Max
Havelaar, l’un des grands classiques de la
littérature néerlandaise, est un bon exemple des difficultés que ce processus peut
poser. Bien qu’il ait été publié par une
maison d’édition de la stature de Penguin
Classics, il n’a pas fait grand bruit en dehors des Pays-Bas. Pour que la traduction
ait un effet durable, il faut que le public
comprenne l’œuvre dans son contexte
d’origine. Malheureusement, en général,
peu d’efforts sont faits pour inviter et éduquer les critiques afin qu’ils puissent présenter l’œuvre traduite sous son meilleur
jour. La création d’un cadre de référence
est également essentielle pour la promotion efficace des genres les plus exigeants,
en particulier de la poésie.
Les implications politiques de la
traduction littéraire
La situation dans les grandes régions monolingues est clairement l’un des points
les plus intéressants soulevés dans ce rapport. Une autre attitude très inquiétante
à propos de la traduction reste cependant
à étudier : la peur, et même la paranoïa,
ressentie face aux autres. Puisque les données sur lesquelles se base ce rapport ne
proviennent que de pays qui traduisent
des œuvres dans leur langue et dont des
œuvres sont traduites dans d’autres langues, on comprend que personne n’ait
mentionné le cas des pays dont les frontières restent presque totalement hermétiques.
En Lituanie, des souvenirs lointains subsistent sur la situation qui avait cours pendant l’époque soviétique, lorsque les traductions littéraires en lituanien n’étaient
pas les bienvenues. Le PEN Club qui a répondu au questionnaire au nom de la Chine
n’est pas situé à l’intérieur des frontières
du pays : son attitude ouverte n’y serait pas
tolérée. Aujourd’hui encore, le gouvernement chinois ne contrôle pas seulement
le choix des livres importés, mais aussi le
choix des destinataires d’un éventuel soutien pour les œuvres chinoises traduites ou
présentées à l’étranger. Pendant la Guerre
froide, ce type de censure idéologique était
continuel dans l’Europe communiste, bien
qu’il ait été appliqué avec plus ou moins de
rigueur selon le régime. À cette époque, la
plupart des auteurs qui réussissaient à voir
leurs œuvres traduites vivaient en exil. Bloquer ou entraver le libre-échange des livres
est un signe clair de répression politique
dans une société.
Un système de traductions littéraires
bien développé démontre surtout une
curiosité pour les mondes inconnus, bien
que parfois cet intérêt puisse être mêlé
d’un certain désir de fuite. La traduction
offre à chacun l’opportunité de dépasser
les limites de sa propre culture. Certains
petits pays importent une quantité presque incroyable de livres : parfois, plus de
la moitié de tous les livres publiés sont
des traductions. Il y a une grande soif de
connaître d’autres mondes, particulièrement dans les pays européens.
Cette curiosité peut être accompagnée
d’un désir de dépasser les horizons de sa
propre culture, surtout lors de périodes
Conclusions
difficiles. Même aux États-Unis, on peut
voir des fluctuations dans le nombre des
traductions littéraires. Ce nombre augmente lors des périodes d’opposition aux
modèles culturels du pays, comme on a pu
le constater dans les années 1960, lors de la
guerre du Vietnam. La traduction dépassait aussi les horizons de l’Europe communiste et de l’Espagne lors de la dictature de
Franco. En Catalogne, les livres provenant
de l’étranger étaient une bouffée d’air frais
pendant les années de dictature ; ils véhiculaient une liberté de pensée dont ne disposaient à l’époque ni les auteurs ni l’homme
ou la femme de la rue.
En Chine aussi, et ce depuis des temps
très reculés, c’est la littérature étrangère qui
est la plus populaire et qui se vend le mieux.
Dans les décennies qui ont suivi la Révolution culturelle, les auteurs qui n’osaient pas
écrire leurs propres œuvres par peur d’être
persécutés traduisaient les œuvres dont
Marx ou Lénine avaient fait l’éloge. Ils arrivaient ainsi à exprimer leur vision du monde et à supporter la pression idéologique
à travers les œuvres de Shakespeare ou de
Balzac. Dans d’autres cas, la traduction aide
même à réduire les distances physiques : en
Argentine, où une bonne partie de la population immigrée entretient des liens avec
son pays d’origine depuis plusieurs générations, la traduction a toujours été très bien
considérée : c’est un moyen de surmonter le
sentiment d’isolement.
Le soutien des gouvernements à la
traduction
Le soutien que les administrations publiques accordent à la traduction littéraire
est l’un des sujets que les différents rapports ont abordés avec le plus de détails.
Après avoir étudié les principales politiques publiques de soutien à la traduction, nous pouvons conclure que celle-ci
est bien subventionnée. C’est cependant
précisément pour cette raison qu’il s’agit
d’une activité vulnérable. Lorsque l’on
examine pays par pays les types de soutien
apportés à la traduction, on s’aperçoit vite
que ce sont ceux qui disposent de peu de
moyens qui publient le moins d’œuvres à
l’étranger. Cette situation est-elle juste ?
L’abondance relative de subventions a,
en outre, créé un climat dans lequel les
éditeurs ne sont enclins à publier une traduction que si elle est subventionnée par
le pays d’origine de l’œuvre. Il nous faut
corriger ce déséquilibre. On peut trouver
des exemples à suivre dans plusieurs pays.
Ainsi, en Allemagne, pays traditionnellement ouvert aux traductions, la Société
pour la promotion de la littérature africaine, asiatique et sud-américaine (Gesellschaft zur Förderung der Literatur aus Afrika,
Asien und Lateinamerika) et le Colloque littéraire de Berlin (Literarisches Colloquium
Berlin) subventionnent des traductions
afin de donner aux lecteurs allemands
l’occasion de connaître des littératures
qui, sans cette aide, éprouveraient des difficultés à se faire une place sur le marché
international.
Historiquement, la traduction a
d’abord pris de l’importance en tant que
façon de nourrir une langue avec des informations provenant d’autres cultures.
Traduire le texte intégral de la Bible ou
de Don Quichotte dans une langue peu ré-
134 135
pandue démontrait qu’une culture, aussi
petite soit-elle, pouvait être à la hauteur
des critères littéraires les plus exigeants.
Mais ce centre de gravité est en train de
se déplacer et, en forçant un peu le trait,
on pourrait dire qu’aujourd’hui le travail de traduction est exactement à l’opposé. Pour démontrer l’importance d’une
culture, les traductions doivent trouver
une voie d’entrée dans un environnement
littéraire étranger.
On considère qu’une littérature a atteint le succès lorsqu’elle produit et exporte un grand nombre d’œuvres. Le nombre
d’œuvres étrangères importées ne semble
cependant pas avoir le même poids. La traduction a toujours joui d’un certain prestige parce que chacun sait qu’il est important d’élargir l’horizon culturel d’un pays
en y faisant venir des œuvres provenant
d’autres cultures. Mais l’attention que la
littérature d’une culture donnée reçoit à
l’étranger ne devrait pas être une excuse
pour ignorer d’autres littératures.
Les pays d’origine des œuvres offrent
de nombreuses possibilités de soutien financier pour leur traduction, mais, ce qui
fait défaut, ce sont les moyens d’obtenir
un aide pour la traduction et la promotion d’œuvres littéraires auprès du pays
qui reçoit la traduction. Il est donc difficile d’éviter le piège qui consiste à ne promouvoir que les auteurs « officiellement »
considérés comme les plus importants :
dans les pays où la liberté d’expression et
la démocratie sont menacées, les subventions officielles ne sont destinées qu’aux
auteurs qui entretiennent des relations
étroites avec le pouvoir en place.
Traduction et liberté d’expression
Il est particulièrement important de séparer la traduction d’une œuvre littéraire
du mode de soutien économique en vigueur dans son pays d’origine lorsque le
pays en question est plongé dans un climat de répression et de contrôle idéologique de tous les aspects de la vie publique.
La littérature chinoise qui était traduite
dans d’autres langues pendant les années
1950 avait pour seul but de servir la propagande du régime maoïste, et seules les
œuvres approuvées par le gouvernement
et le Parti communiste pouvaient être traduites. Ce contrôle des subventions et de
la promotion des œuvres à l’étranger est
toujours en place en Chine aujourd’hui :
certaines œuvres sont censurées pour des
raisons politiques, et ne peuvent pas être
publiées. Pour les dissidents chinois, le
seul moyen de voir leurs œuvres publiées
est qu’elles soient traduites dans d’autres
langues à l’extérieur de leur pays.
Dans le cas de la Chine et d’autres pays,
la traduction et la reconnaissance internationale des auteurs dissidents ont permis
de générer des perceptions différentes du
régime, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur
du pays. La traduction a un grand pouvoir
de subversion. Mais pour lui garantir une
capacité créative et un véritable pouvoir
de subversion, la littérature doit conserver une certaine indépendance vis-à-vis du
pouvoir politique. Elle doit être un espace
de liberté, hors d’atteinte des organes politiques ou des dogmes officiels.
Les pays démocratiques oublient souvent le cruel manque de liberté d’expression qui sévit dans certains pays. Si tou-
Conclusions
tes les œuvres traduites nécessitaient un
soutien de la part du gouvernement, ces
nombreuses voix qui ne peuvent même
pas se faire entendre dans leur propre
pays seraient réduites au silence. Les œuvres qui n’ont pas atteint le public de leur
pays d’origine mais qui ont retenu l’attention dans un pays étranger sensible aux
problèmes des autres sont aussi des indicateurs du degré de liberté d’expression
d’un pays.
La situation en Europe
Facteurs politiques et sociaux mis à part, il
est clair qu’une activité de promotion de
plus en plus intense encourage la traduction littéraire et l’intérêt pour les autres
cultures : festivals internationaux, stages
pour les auteurs et les traducteurs, magazines littéraires spécialisés, programmes
universitaires pour les étudiants étrangers, etc. Il faut accorder une mention
particulière à l’idée de trouver des spécialistes de la langue originale d’une œuvre
traduite qui puissent présenter tous les
aspects de cette œuvre à un public étranger. La France est un modèle à suivre en
ce domaine, aussi bien en termes de littérature étrangère accueillie dans le pays
qu’en termes de promotion des auteurs
français à l’étranger.
Au cours des dernières années, les
cultures autonomes existant au sein
d’États plus grands, comme dans le cas de
la culture catalane, ont gagné en visibilité
au niveau international. Cette évolution
est le résultat des changements politiques
importants qui ont eu lieu en Europe depuis le début des années 1980 et qui ont
conduit à la chute du mur de Berlin. Alors
que dans l’Europe de l’après-guerre personne ne remettait en question la division
de l’Allemagne en deux États distincts et
donc en deux littératures « nationales »
différentes, et que l’Union soviétique et la
Yougoslavie se considéraient comme des
États unifiés et donc comme des nations
unies, ces règles ont clairement changé
après 1989.
Une nouvelle perspective s’est répandue, du moins en Europe, qui prend en
compte l’importance de chaque culture
et le respect de toutes les langues. Actuellement, de nombreux pays membres de
l’Union européenne se sont dotés de politiques qui défendent ce point de vue et
ont mis en place un système efficace pour
préserver les droits linguistiques.
La facilité des communications dans un
monde globalisé est également un facteur
important, qui contribue à l’amélioration
du climat international entourant les
échanges littéraires. Sous Franco, les Espagnols avaient du mal à obtenir un passeport pour aller dans n’importe quel pays
communiste, et les Européens de l’Est devaient rester derrière le rideau de fer. La
disparition de ces blocages administratifs dans l’Union européenne actuelle a
permis la naissance d’une nouvelle perspective sur la réalité. Si l’on tient compte
de la destinée historique des petits pays
européens, ou de ceux qui ont fait partie
de l’Union soviétique, la lutte pour la préservation de l’identité culturelle n’est plus
une anecdote isolée, comme on aurait pu
le croire par le passé, lorsque l’horizon le
plus éloigné était le pays voisin.
La défense de la culture d’une nation
n’est plus synonyme de provincialisme,
comme elle a pu l’être autrefois. L’idée
selon laquelle une culture importante ne
peut être que grande et calquée sur les
frontières officielles d’un État reconnu
internationalement n’est plus un concept
généralement accepté en Europe.
L’une des conséquences de ce changement d’attitude a été la régénération de
l’entrelacs que constitue la littérature
européenne : des cultures et des langues
qui, autrefois, n’avaient de contact entre
elles qu’à travers des traductions réalisées à partir des langues les plus répandues peuvent maintenant communiquer
directement sans devoir passer par des
éditeurs parisiens. En termes culturels et
littéraires, la mondialisation a aussi eu de
nombreux effets positifs et revitalisants.
Postfaces
Traduire et se faire traduire
Narcís Comadira,
poète, traducteur et peintre catalan
J’ai bien conscience que je risque d’agacer plus d’un écrivain et plus d’un lecteur en
affirmant qu’être lu et compris – « communiquer », comme l’on dit maintenant – ne
constitue en aucun cas l’objectif premier de la littérature. La littérature a pour objectif principal la construction d’une œuvre. Il s’agit d’accéder au besoin obsessionnel de
l’écrivain de créer un artéfact, littéraire dans ce cas, qui fonctionne le mieux possible. Il
s’agit de prendre plaisir à choisir et à combiner les mots, à soigner la syntaxe, à modeler
une forme : concrétiser la construction d’une œuvre d’art. Ensuite, et seulement ensuite,
intervient le lecteur. Et ce lecteur est avant tout l’écrivain. L’écrivain construit par plaisir,
puis, en partie en tant que lecteur, pour se comprendre lui-même et pour comprendre le
monde. L’écrivain donne forme à une expérience intense, qui lui appartient donc objectivement. Une fois toutes ces étapes accomplies, et alors seulement, le lecteur autre que
l’écrivain entre en scène ; un lecteur invité, du même milieu linguistique que l’auteur
dans un premier temps. Puis le nombre de lecteurs invités va grandissant, et le texte est
traduit dans d’autres langues. Il est essentiel de traduire un ouvrage afin d’en optimiser
le nombre de lecteurs, mais le rôle de la traduction en littérature va bien au-delà.
La traduction intervient avant, dès les prémices en réalité. Écrire, pour un écrivain,
c’est traduire une langue qui lui est propre, truffée d’expressions idiosyncrasiques, de
tournures familiales, d’écarts sémantiques et d’argot – fruit d’une éducation ou d’une
impulsion momentanée – en une langue qui, sans toutefois perdre de la verve et de la
chaleur de la langue initiale, puisse être comprise de tous au sein de son milieu linguistique. C’est pourquoi écrire, c’est traduire. Et une fois l’œuvre achevée, c’est au tour du lecteur appartenant au même milieu linguistique de traduire cette langue commune vers
sa langue personnelle de manière à donner vie, chaleur et mouvement au texte – c’est ce
qui importe réellement. Lire également c’est traduire, traduire dans la même langue.
Puis, afin que la forme donnée au texte lors de l’écriture puisse être lue et comprise
dans d’autres cadres linguistiques, l’œuvre doit se soumettre au processus de traduction
138 139
à strictement parler. La forme du texte initial doit être transformée de manière à pouvoir
fonctionner dans un autre système de signes ; c’est à ce moment que l’intervention d’une
personne capable de la transposer dans une autre langue s’avère nécessaire. Il ne suffit pas
au traducteur de connaître la langue de départ cependant : il lui faut également connaître le mieux possible la langue personnelle de l’auteur, avec ses particularités idiosyncrasiques, de manière à retranscrire le sens général qui se dégage de la langue commune
qu’il a employée pour rédiger son œuvre dans ses plus infimes nuances. Le traducteur se
doit bien évidemment de maîtriser aussi la langue vers laquelle est réalisée la traduction
et être capable de rendre ce qu’il a intimement compris. Là encore il s’agit d’une double
traduction : vers la langue commune du milieu linguistique du traducteur bien sûr, mais
vers sa sensibilité littéraire également. Car ce n’est qu’à travers sa propre idiosyncrasie
linguistique que le traducteur peut rendre fidèlement compte de la traduction initiale
qu’avait effectuée l’auteur par l’acte d’écriture. Présenté ainsi, le processus peut sembler
complexe, et pour cause. Traduire avec brio n’est pas chose facile. Le risque vaut pourtant
la peine d’être encouru. Et il faut oser désirer être traduit, car, sans traduction, une œuvre
serait condamnée à n’être qu’un exercice fermé au sein d’un seul et même système, avec
les risques d’essoufflement que cela comporte à long terme. Nous ne sommes pas sans
savoir que les langues gagnent en vitalité à être traduites, grâce à l’apport de formes propres à d’autres langues que cet exercice permet. Je crois que le passage d’une langue à une
autre met en lumière ses failles intrinsèques, et qu’en prenant conscience de ses faiblesses
nous pouvons la pousser à s’enrichir en profondeur, à user d’une flexibilité inventive et de
constructions adaptables, à se doter d’expressions permettant un discours plus subtil.
Traduire et se faire traduire sont les éléments clés pour qu’une langue évolue sainement
et pour que ses locuteurs en acquièrent une connaissance fine, afin qu’elle devienne un
instrument toujours plus subtil au service de l’objectif premier de l’écriture mentionné
plus haut : la construction d’une forme. Traduire et être traduit permet d’approfondir
l’aspect mental, instrumental, sentimental et cognitif de la langue. À long terme, la langue
qui traduit et se fait traduire est mieux pourvue, capable d’adopter de nouvelles formes
toujours plus subtiles, des formes permettant de lire et de comprendre le monde avec une
profondeur croissante. Traduire et se faire traduire, c’est se rapprocher sans cesse d’une
compréhension absolue qui ne contourne pas les idiosyncrasies, une compréhension qui
ne réduit pas le monde à une langue unique – et donc appauvrie –, ni à un unique mode
de pensée sommaire et réducteur. Une telle simplification pourrait sembler pratique,
mais seulement parce qu’elle se fonde sur l’ignorance. La langue universelle doit être la
traduction. Toute autre option rime avec schématisation, appauvrissement, abjection intellectuelle. Toute autre option revient à gaspiller l’immense richesse que constituent les
idiosyncrasies linguistiques et personnelles de la planète, et à en revenir au barbarisme le
plus total.
La langue des langues
Ngu~gı~ wa Thiong’o,
écrivain et auteur de théâtre kenyan, directeur de
l’International Center for Writing and Translation de l’Université de Californie (Irvine)
La traduction vient d’aussi loin que la nature et l’instinct de nutrition. La nature est
un environnement multiculturel dans lequel diverses formations, organiques ou non,
cohabitent dans un état d’échange continu, même lorsque cet échange est nuisible à
certaines espèces. L’instinct de nutrition, nutrure, est une traduction littérale de nature, de la même manière que la cyberréalité actuelle, cyberture, est une traduction de
nutrure, l’instinct de nutrition. Certaines religions, tout particulièrement celles qui se
sont largement propagées, témoignent de la nécessité et de la force de la traduction.
Les littératures nationales qui émergèrent en Europe à la Renaissance se sont inspirées
de traductions du grec, du latin et d’ouvrages de leurs rivales contemporaines pour
s’inventer et inventer leurs personnages.
À travers l’impérialisme, les langues européennes ont donné une visibilité aux cultures colonisées et marginalisées d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud et de la Vieille-Amérique. Mais, ce faisant, elle ont arraché les voix d’indigènes aux cultures et aux langues
en question. Il est nécessaire que les langues telles que l’anglais – qui se sont converties
en langues protagonistes pour quelque raison que ce soit – se voient assigner un nouveau rôle, celui d’outil permettant à ces voix de se faire entendre, d’échanger même,
mais sans les desservir. Adoptons ce nouveau slogan : servir sans desservir.
La traduction, en ce qu’elle est dialogue – si l’on entend par dialogue un échange où
les intervenants sont sur un pied d’égalité –, est très clairement la langue des langues, la
langue que toutes les langues devraient parler. Faisons de notre monde un monde où cette
langue commune à toutes les langues soit bien présente et reconnue dans la vie de tous les
jours. Traduction entre les langues dominantes et les langues minoritaires, traduction entre langues minoritaires. En tant que langue commune à toutes les langues, la traduction
a un rôle important à jouer dans le dialogue entre les cultures de ce monde, qu’elles soient
petites ou grandes. Nous pourrions construire un fondement culturel de qualité pour une
mondialisation égalitaire, en réponse à la mondialisation autocentrée de l’Ouest.