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ÊTRE TRADUIT OU NE PAS ÊTRE ÊTRE TRADUIT OU NE PAS ÊTRE RAPPORT PEN / IRL SUR LA SITUATION INTERNATIONALE DE LA TRADUCTION LITTÉRAIRE Esther Allen (éd.) Ser traduït o no Ser Esther Allen (ed.) Informe pen / irl sobre la situació internacional de la traducció literària Ser traduït o no Ser Première édition : septembre 2007 © Institut Ramon Llull, 2007 Diputació, 279 E-08007 Barcelona www.llull.cat [email protected] Textes : Gabriela Adamo, Esther Allen, Carme Arenas, Paul Auster, Narcís Comadira, Chen Maiping, Bas Pauw, Anne-Sophie Simenel, ~gı~ wa Thiong’o. Simona Škrabec, Riky Stock, Ngu Traduit de l’anglais par : Aurélie Daniel, Barbara de Lataillade, Sara Martinez, Cécile Rousseau Coordination et édition : département Humanités et Sciences, Institut Ramon Llull Coordination éditoriale : Critèria sccl. Conception graphique : Laura Estragués ÊTRE traduIt OU NE PAS ÊTRE RAPPORT PEN / IRL SUR LA SITUATION INTERNATIONALE DE LA TRADUCTION LITTÉRAIRE Esther Allen (ed.) Gabriela Adamo Carme Arenas Chen Maiping Bas Pauw Anne-Sophie Simenel Simona Škrabec Riky Stock Avant-propos de Paul Auster Postfaces de Narcís Comadira et wa Thiong’o TABLE DES MATIÈRES 7 Avant-propos, par Paul Auster 9 Présentations Traduction et droits linguistiques, par Jiří Gruša (PEN Club international) Acteur du débat sur la traduction, par Josep Bargalló (Institut Ramon Llull) 13 Introduction, par Esther Allen et Carles Torner 17 1. Traduction, mondialisation et anglais, par Esther Allen 1.1 L’anglais, une espèce envahissante 1.2 La littérature mondiale et l’anglais 37 2. Traduction littéraire : panorama international, par Simona Škrabec et les PEN Clubs de douze pays 2.1 Rayonnement international 2.2 Reconnaissance de la littérature traduite 51 3. Six études de cas sur la traduction littéraire 3.1 Les Pays-Bas, par Bas Pauw 3.2 L’Argentine, par Gabriela Adamo 3.3 La Catalogne par, Carme Arenas et Simona Škrabec 3.4 L’Allemagne, par Riky Stock 3.5 La Chine, par Chen Maiping 3.6 La France, par Anne-Sophie Simenel 99 4. Expériences de traduction littéraire, par Esther Allen et Simona Škrabec 4.1 Quelques expériences menées aux États-Unis 4.2 Les expériences menées dans quatre pays européens 125 5. Conclusions, par Simona Škrabec 137 Postfaces Traduire et se faire traduire, par Narcís Comadira ~gı~ wa Thiong’o La langue des langues, par Ngu Avant-propos Paul Auster Dostoïevski, Héraclite, Dante, Virgile, Homère, Cervantès, Kafka, Kierkegaard, Tolstoï, Hölderlin et quantité d’autres poètes et écrivains qui m’ont marqué à jamais se sont révélés à moi – Américain dont la seule langue étrangère est le français –, ont été lus, digérés par moi en version traduite. Les traducteurs sont les héros de l’ombre de la littérature, les instruments bien souvent oubliés qui rendent possible le dialogue entre les cultures et qui nous ont permis de prendre conscience que, d’où que nous venions, nous appartenons tous à un seul et même monde. Je voudrais saluer et remercier ici tous ces hommes et toutes ces femmes, ces traducteurs qui œuvrent avec altruisme à maintenir la littérature vivante pour tous. Présentations Traduction et droits linguistiques Jiří Gruša Président du PEN Club international, Londres Depuis sa fondation en 1921, le PEN Club international s’est efforcé de promouvoir la traduction et le dialogue entre les littératures. Le PEN Club international compte un certain nombre de comités, parmi lesquels le Comité des écrivains en prison, le Comité des femmes écrivains, et un comité particulièrement actif, le Comité de la traduction et des droits linguistiques. Ce dernier coordonne les différentes initiatives des fédérations du PEN Club international à travers le monde. Le nom du comité est à lui seul le reflet de notre vision des choses : la traduction va de pair avec les droits linguistiques. Par leur travail méticuleux, les traducteurs contribuent à défendre le droit pour toutes les communautés linguistiques à être traitées sur un pied d’égalité. Le PEN Club international met tout en œuvre pour que la traduction depuis et vers toutes les langues du monde, indépendamment de la place qu’elles occupent et de la reconnaissance dont elles jouissent dans le contexte de mondialisation actuel, nous apporte un enrichissement réciproque. Le présent rapport constitue un outil analytique essentiel, qui témoigne de la nécessité flagrante d’une ouverture des cultures anglophones. Et, afin que l’anglais constitue un véritable pont entre les littératures, il apparaît également indispensable d’augmenter le nombre de traductions vers cette langue. Le rapport apporte des exemples de bonnes pratiques de traduction dans et entre différentes langues. Le débat sur « l’anglais, une langue envahissante » et la promotion de bonnes pratiques de traduction constituent les principaux chantiers du PEN Club international aujourd’hui et pour les années à venir. Acteur du débat sur la traduction Josep Bargalló Directeur de l’Institut Ramon Llull, Barcelone En se levant un beau matin, le poète catalan Joan Vinyoli s’empressa de coucher par écrit le vers qui lui était venu dans ses rêves : « Et toutes les perles étaient devenues des yeux. » Il venait de trouver la dernière strophe de Cançó de mar (Chanson de la mer), l’un des magnifiques poèmes qu’il composa vers la fin de sa vie. Ce n’est que plus tard, en le relisant, que le poète s’aperçut que son rêve s’inspirait de la chanson d’Ariel dans la pièce de Shakespeare La Tempête (acte I, scène 2). La poésie fait l’objet d’une traduction perpétuelle parmi les poètes : ils se lisent les uns les autres, se laissant transporter par les vers de toutes les littératures qui soient. La traduction est l’âme de la littérature, qu’elle alimente et encourage. L’un des objectifs de l’Institut Ramon Llull est de faire connaître le travail des écrivains catalans – des classiques du Moyen Âge aux ouvrages contemporains – en soutenant la traduction de leurs œuvres. Dans ce dessein, nous analysons les échanges entre littératures à travers le monde, et travaillons en étroite collaboration avec les institutions culturelles à vocation analogue en Europe. Être traduites vers l’anglais reste la plus grande difficulté à laquelle sont confrontées les littératures européennes. Partant du constat qu’une révision en profondeur des politiques de traduction à l’échelle internationale s’imposait, l’Institut Ramon Llull s’est engagé à réaliser l’étude qui suit. Le hasard a voulu qu’elle soit publiée l’année où la culture catalane est l’invitée d’honneur de la Foire du livre de Francfort. Nous tenons à remercier Esther Allen pour avoir accepté de diriger cette étude, tous ceux qui ont participé à son élaboration pour la qualité de leur travail, et le PEN Club international pour avoir apporté au projet l’expérience de ses différents clubs. L’étude nourrit déjà le débat sur la traduction qui passionne la communauté littéraire et qui, je l’espère, ne fait que commencer. Espérons également que la participation catalane à ce débat atteigne son but : celui de constituer une voix supplémentaire, claire et concordante, qui sache se faire entendre au sein du grand dialogue sur la littérature. Introduction Esther Allen Centre de traduction littéraire, Université de Columbia, New York Carles Torner Département des Sciences humaines, Institut Ramon Llull, Barcelone À l’acte I, scène 3, de Richard II, le duc de Norfolk est banni d’Angleterre – et condamné à l’exil « sans terme ». Étrangement, à l’écoute de cette terrible sentence sa première pensée n’est pas pour sa famille ou ses amis, mais pour la langue anglaise, la seule qu’il ait parlée durant ses quarante années d’existence. Quitter l’Angleterre en 1595, c’était laisser l’anglais derrière soi. Norfolk s’imagine devoir vivre dans un monde où ses paroles seront inintelligibles, ses mots relégués dans un obscur donjon, alors que son esprit, fatigué par l’âge, n’a pas la force de se lancer dans l’apprentissage d’une nouvelle langue : Vous avez emprisonné ma langue dans ma bouche, Sous les doubles guichets de mes dents et de mes lèvres, Et la stupide, l’insensible, la stérile ignorance Est le geôlier qui m’est donné pour me garder : Je suis trop vieux pour caresser une nourrice, Trop avancé en âge pour devenir écolier. Votre arrêt n’est donc autre chose que celui d’une mort silencieuse Qui prive ma langue de la faculté de parler son idiome naturel1. Durant les plus de quatre cents ans qui nous séparent du moment où Shakespeare écrivit ces lignes, la situation dont se plaint Norfolk s’est presque radicalement inversée. Les anglophones sont désormais les plus susceptibles de se faire comprendre où que ce soit à travers le monde, tandis que les autres sont dorénavant menacés d’exclusion – exclusion sociale, mais également incapacité à survivre dans notre économie mondialisée : une « mort silencieuse », somme toute. 14 15 Depuis sa création à Londres en 1921, le PEN Club a eu pour principale préoccupation de garantir la divulgation de la pensée humaine au-delà des frontières terrestres et linguistiques. La charte du PEN Club affirme, en son article premier, que « la littérature ne connaît pas de frontières et doit rester la devise commune à tous les peuples en dépit des bouleversements politiques et internationaux ». Et, plus loin : « [Le PEN Club] défend le principe de la libre circulation des idées entre toutes les nations… » C’est dans cet esprit que le PEN Club international et l’Institut Ramon Llull de Barcelone ont rédigé le présent rapport, en collaboration avec des auteurs, des traducteurs, des diplomates en charge des questions culturelles et des spécialistes du domaine de la traduction. Il constitue une réflexion sur la manière de perpétuer l’éternel dialogue que constitue la littérature, et vise à promouvoir la libre diffusion des œuvres littéraires à travers le monde à une époque où l’anglais – pour paraphraser l’écrivain Colm Toibin –, bien qu’étant la langue la plus riche au monde d’un point de vue économique, se trouve également être l’une des plus pauvres si on la considère d’un point de vue littéraire. Au lieu de faire office de langue véhiculaire et de faciliter la communication entre les différentes langues, l’anglais a trop souvent tendance à rejeter tout ce qui n’est pas l’anglais, et à confondre l’influence planétaire et la diversité de la langue la plus parlée au monde avec le monde lui-même. Ce rapport s’ouvre sur une évaluation de l’influence sans précédent de la langue anglaise à travers le monde et sur un état des lieux de la traduction littéraire dans les pays anglophones et aux États-Unis en particulier, qui font l’objet du premier chapitre. Afin d’établir un contraste et de mettre en contexte le cas de la langue anglaise, le deuxième chapitre se penche ensuite sur les réponses fournies par les PEN Clubs à travers le monde à un questionnaire sur la traduction littéraire proposé par le PEN Club international. Le troisième chapitre du rapport présente six études de cas décrivant l’état de ce que l’on pourrait qualifier « d’économie de la traduction » dans différentes parties du monde (Pays-Bas, Argentine, Catalogne, Allemagne, Chine et France), et ce afin de fournir matière à comparaison. Le chapitre suivant, consacré aux expériences en traduction littéraire, relate les fructueuses initiatives de certains PEN Clubs qui se sont attelés à répondre aux besoins en traduction vers l’anglais, ainsi que les efforts conséquents fournis par des institutions, aussi bien publiques que privées, pour s’attaquer à cette question de manière efficace. La conclusion tente de résumer les principales découvertes qu’a permis ce rapport et offre un aperçu de la traduction littéraire dans le monde actuel. Trois écrivains renommés, Paul Auster, Narcís Comadira et Ngugi wa Thiong’o, ont spécialement composé des textes ayant la traduction pour objet, apportant ainsi une touche littéraire sans laquelle ce rapport n’aurait été qu’un vulgaire document technocratique. Nous tenons à adresser nos plus sincères remerciements à tous ceux qui, à travers le monde, ont participé aux réunions, conférences et débat sur ce rapport, et qui ont largement contribué à son élaboration par leur dévouement, leur énergie, Introduction leur intelligence et leur savoir : Marc Dueñas, Larry Siems, Caroline McCormick, Kata Kulavkova, Roberto Calasso, Elisabeth Pellaert, Amanda Hopkinson, Raymond Federman, Boris Akounine, Steve Wasserman, Sònia Garcia, Misia Sert, Yana Genova, Alexandra Buchler, Kate Griffin, Siri Hustvedt, Ma Jian, Francesc Parcerisas, David Damrosch et la regrettée Yael Langella. NOTE 1 Nicholas Ostler, qui cite ce passage – présenté ici dans une traduction de Guizot – dans son ouvrage sur l’histoire des langues à travers le monde, Empires of the Word (HarperCollins, New York, 2005), fait remarquer qu’à l’époque où Shakespeare écrivit ce monologue, l’Angleterre ne comptait qu’une seule colonie, fondée par Sir Walter Raleigh en 1586 à Roanoke, en Virginie, et que son funeste destin était alors connu de tous (p. 477). 1. Traduction, mondialisation et anglais Esther Allen 1.1 L’anglais, une espèce envahissante Les estimations du nombre d’anglophones varient, mais le chiffre de 400 millions est fréquemment avancé pour ceux qui ont l’anglais comme langue maternelle. Selon l’écolinguiste gallois David Crystal, le nombre de personnes qui parlent anglais comme deuxième langue est également de 400 millions1. Si l’on ajoute ces deux chiffres au nombre beaucoup plus imprécis de personnes qui apprennent actuellement l’anglais et ont atteint un niveau minimum de compétence, le total dépasse largement un milliard. En effet, même si le chinois mandarin est réputé pour être la première langue du plus grand nombre de personnes sur terre (bien plus d’un milliard également), cela ne semble plus suffire aux Chinois eux-mêmes. Dans un discours à Pékin en 2005, Gordon Brown, alors ministre britannique des Finances, annonçait : « Dans vingt ans, le nombre de personnes parlant anglais en Chine devrait dépasser le nombre de personnes ayant l’anglais comme première langue dans le reste du monde2. » Que la prophétie de M. Brown se réalise ou non, il est évident qu’un grand nombre de facteurs – de l’expansion de l’Empire britannique, qui a commencé juste après que Shakespeare ait écrit Richard II et s’est poursuivie pendant les xviie, xviiie et xixe siècles, au développement aux États-Unis de la technologie qui a permis la naissance d’Internet – se sont combinés pour faire de l’anglais la langue apparemment indispensable à la mondialisation telle que nous la connaissons et la vivons aujourd’hui. L’anglais est bien entendu parlé dans son berceau, le Royaume-Uni, mais il est également la langue principale des États-Unis, du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle- 18 19 Zélande, de l’Irlande et de nombreux autres pays des quatre coins du monde, tels que le Nigeria, la Jamaïque et les îles Fidji. En outre, dans plusieurs autres pays – comme les Philippines, l’Inde et l’Afrique du Sud –, l’anglais jouit d’un statut officiel aux côtés d’une ou de plusieurs autres langues. Plus de 85 % des organisations internationales ont l’anglais comme langue officielle. Mais c’est l’expansion récente de l’anglais comme deuxième langue de l’Union européenne qui atteste, avec peut-être encore plus de poids que les autres statistiques, du statut actuel et de la future croissance de cette langue. En 1999, David Graddol a constaté que, depuis 1990, les compétences en anglais sur le continent européen ont considérablement augmenté, à tel point que plus de 100 millions de personnes, soit près d’un tiers de la population de l’Union européenne, ont adopté l’anglais comme deuxième langue3. Le constat de Graddol selon lequel, en 1994, 10 % des Européens de plus de 55 ans avaient des notions d’anglais, contre 55 % des Européens de 15 à 24 ans, en dit long sur ce que nous pouvons attendre de l’avenir. La position actuelle des États-Unis comme superpuissance économique et militaire a évidemment joué un rôle dans la consolidation de l’anglais au niveau mondial, tout comme l’attrait apparemment infini qu’exercent les produits culturels américains sur les marchés mondiaux. Cependant, comme le démontre avec force preuves Nicholas Ostler dans son « histoire linguistique du monde », Empires of the Word, les empires ne parviennent pas nécessairement à imposer leur langue aux ré- gions sous leur domination, et le pouvoir impérial des États-Unis ne suffit sans doute pas à lui seul à expliquer la propagation sans précédent de la langue anglaise. Plusieurs linguistes ont évoqué une théorie selon laquelle cet attrait mondial peut être lié à deux facteurs intrinsèques à la langue – à commencer par sa relative simplicité. « Les inflexions de la langue anglaise sont logiques et relativement faciles à apprendre par rapport à des langues beaucoup plus flexionnelles ou qui ont d’autres variations morphologiques, plus complexes », écrit Edward Finegan4, qui poursuit en soulignant qu’aux États-Unis, 88 des cent mots les plus fréquemment écrits sont des monosyllabes. D’autre part, la forte capacité d’absorption du lexique anglais, qui, depuis le début de son histoire, avale en permanence des mots issus de centaines d’autres langues, a également été identifiée comme une source possible de son pouvoir – cette hypothèse pourrait donner à réfléchir à ceux qui cherchent à protéger les autres langues d’une invasion de mots anglais. En outre, plusieurs linguistes ont supposé l’existence d’un lien fondamental entre la structure grammaticale sujet-verbe-complément (SVC) – caractéristique non seulement de l’anglais, mais aussi de nombreuses autres langues largement utilisées, comme le chinois, le français, le russe et l’espagnol – et les mécanismes basiques de traitement du cerveau humain. Selon cette théorie, les langues SVC seraient intrinsèquement plus faciles à traiter pour le cerveau que d’autres types de langues, et par conséquent plus utiles et plus attrayantes pour un plus grand nombre de personnes. Traduction, mondialisation et anglais Il n’en reste pas moins que l’explication la plus évidente de la puissance actuelle de l’anglais est la puissance actuelle des États-Unis. Le linguiste et traducteur Michael Henry Heim a proposé une autre façon d’envisager ce rapport, en partant du postulat que l’attrait mondial pour la langue et la culture américaines est né de l’histoire du pays5. Heim souligne que la culture interne des États-Unis, qui a dû s’adapter depuis la création du pays à la présence de peuples du monde entier – Africains, Indiens d’Amérique, immigrants des quatre coins de l’Europe et de l’Asie –, a fait de ce pays « un précurseur de la culture mondiale, une culture mondialisée avant l’heure ». Afin d’assimiler tous ces peuples, les États-Unis ont dû développer une langue et une culture communes – « communes », déplore Heim, non seulement au sens d’intelligible pour tous, mais même au sens d’intelligible pour le plus faible dénominateur commun. Ostler, en revanche, propose une explication différente, moins spécifique à une nation donnée, en déclarant que, de la Réforme jusqu’à aujourd’hui, historiquement et culturellement, « l’anglais a été associé à une quête de la prospérité, de l’acquisition délibérée de richesses, souvent par des moyens nouveaux et assez imaginatifs. Cette quête était parfois en contradiction avec la conscience religieuse et civique et certains principes patriotiques, mais elle a réussi sans peine à les rallier à sa cause. En règle générale, elle a été l’alliée, plutôt que la rivale, de la liberté individuelle. L’anglais a été et reste, avant tout, une langue matérialiste6. » Dans un article présenté en 2002 lors de la Conférence de la Saint-Jérôme, au Queen Elizabeth Hall à Londres, et dédié à la mémoire de W.G. Sebald, Susan Sontag a évoqué le sort, en Inde, des nombreux jeunes qui travaillent dans des centres d’appels « externalisés » pour IBM, American Express ou d’autres multinationales, répondant en anglais aux questions des consommateurs américains qui ont composé un numéro gratuit et ne se rendent souvent pas compte que leur appel est redirigé vers New Delhi, Bombay ou Bangalore7. Les employés de ces centres d’appels doivent non seulement avoir une maîtrise presque parfaite de l’anglais, mais également devenir des imposteurs expérimentés, capables de simuler n’importe quel aspect de l’identité d’un Américain « normal » susceptible d’être identifié au téléphone. « Ces voix chantantes ont dû subir un entraînement de plusieurs mois, par des instructeurs et des bandes sonores, pour acquérir un accent agréable d’Américain moyen (et non pas instruit) et apprendre l’argot américain de base, les expressions idiomatiques (y compris régionales) et les références élémentaires de la culture de masse (les stars de la télévision, les scénarios et personnages des principales séries télévisées, la dernière superproduction hollywoodienne, les derniers résultats de base-ball et de basket, etc.), de telle sorte que, si la conversation avec le client aux États-Unis se prolonge, ils ne se trahissent pas avec les phrases de tous les jours et aient les moyens de continuer à se faire passer pour des Américains. » Beaucoup d’angoissés chroniques adeptes 20 21 des services d’assistance technique aux États-Unis peuvent témoigner que tous les employés des centres d’appels en Inde ne sont pas passés par cette longue période d’usurpation d’identité : il est tout à fait possible d’appeler un centre d’appels et de se rendre compte que son interlocuteur est Indien. Toujours est-il qu’il est évident que l’utilisation largement répandue de l’anglais en Inde, héritage de son passé colonial, lui a donné une longueur d’avance dans l’économie mondiale actuelle. La prospérité que la connaissance de l’anglais peut apporter n’est pas passée inaperçue dans de nombreuses régions du monde. « Si nous combinons notre savoir académique avec la langue anglaise, nous pourrons faire de l’externalisation ici, tout comme à Bangalore », a déclaré au New York Times Puntsag Tsagaan, ministre mongol de l’Éducation, au début de l’année 2005 – peu après que le nouveau gouvernement mongol ait annoncé qu’il allait se débarrasser de l’alphabet cyrillique hérité de la domination soviétique et faire de la Mongolie un pays bilingue, avec l’anglais comme seconde langue officielle. De même, la Corée du Sud a largement investi pour créer six « villages anglais » essentiellement peuplés d’anglophones, où les étudiants paient pour être en immersion totale. Dans le même temps, prenant exemple sur les Pays-Bas et les pays scandinaves, où pratiquement toute la population parle parfaitement l’anglais, le Chili s’est engagé dans un programme visant à rendre le pays bilingue en une génération8. Intitulé « L’anglais ouvre des portes », le programme du gouvernement chilien, annoncé en 2003, a rendu l’apprentissage de l’anglais obligatoire à partir de l’école primaire et vise à garantir que tous les étudiants aient un niveau de base correct en anglais à l’obtention de leur diplôme9. L’espagnol, comme le chinois, fait partie des cinq langues les plus parlées au monde, et le fait que l’anglais soit devenu nécessaire non seulement pour les personnes qui parlent une langue étroitement diffusée, mais aussi pour ceux qui parlent les principales langues du monde, est un indicateur clé supplémentaire de la méta-domination mondiale de l’anglais. À l’extrême opposé de l’élan chilien en faveur du bilinguisme, le mouvement « English only » rassemble un groupe de nationalistes américains virulents clamant haut et fort que l’anglais est menacé par les communautés minoritaires des États-Unis qui parlent espagnol, chinois ou d’autres langues10. Quoi qu’en disent les nationalistes, le bilinguisme ne représente pas, en soi, une menace pour l’existence d’une langue, comme le démontrent de nombreux exemples de sociétés multilingues dont les membres ont évolué facilement entre plusieurs langues pendant des siècles. Pourtant, quelque chose menace aujourd’hui l’existence des langues du monde entier à un degré sans précédent dans l’histoire humaine. Pour expliquer cette situation, les hypothèses post-coloniales habituelles sur la domination linguistique et politique peuvent s’avérer moins utiles qu’un nouveau paradigme fondé sur le monde naturel. L’écolinguistique, le nouveau domaine d’étude né en réponse à cette crise, tire ses métaphores de la biologie plutôt Traduction, mondialisation et anglais que de la politique, et étudie les communautés linguistiques plutôt que les Étatsnations. Selon les écolinguistes, il vaut mieux considérer le système mondial des langues humaines comme un écosystème – un écosystème gravement menacé, puisque la moitié des espèces y sont en danger. Selon David Crystal, sur les 6 000 langues parlées aujourd’hui, la moitié aura disparu au siècle prochain. « Il s’avère, écrit-il, que 96 % des langues du monde sont parlées par seulement 4 % de la population mondiale11. » Seules 600 langues dans le monde ne sont pas en danger actuellement12. Cette crise a suscité une forte inquiétude dans les communautés où les langues en voie d’extinction sont parlées, parmi les linguistes et au sein de certaines organisations internationales. Le PEN Club international et son Comité de la traduction et des droits linguistiques sont fiers d’avoir été parmi les premières organisations signataires de la « Déclaration universelle des droits linguistiques » de 1996 – également connue sous le nom de « Déclaration de Barcelone », d’après la ville où elle a été signée. Sur le modèle de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la « Déclaration universelle des droits linguistiques » a pour objectif de « favoriser la mise en place d’un cadre politique pour la diversité linguistique, fondé sur le respect mutuel, la cohabitation harmonieuse et la défense de l’intérêt général13 ». Cependant, ces initiatives, aussi louables soient-elles, n’ont eu qu’un faible impact sur le grand public, en particulier dans la population anglophone. Le langage est généralement considéré comme le plus grand accomplissement de l’homme, et chaque langue reflète la perception et l’expérience uniques du monde d’une communauté humaine, lesquelles sont perdues à jamais lorsque cette langue meurt. Néanmoins, les gens s’inquiètent toujours beaucoup plus pour la préservation d’une espèce animale ou de peintures, de statues et de monuments que pour la préserva tion des langues des autres peuples. Les Grecs utilisaient le mot barbaros – qui signifie « barbare » – pour désigner tous ceux qui ne parlaient pas grec et dont les langues étaient considérées par les Grecs comme des sons inarticulés, indifférenciés et incohérents : un « brouhaha ». Depuis toujours, la plupart des gens ont beaucoup de mal à accorder de la valeur aux langues qu’ils ne parlent pas. Le chatoiement infiniment complexe de la logique, de la musique, des allusions, des traditions et des particularités qui constituent une langue pour les personnes qui la parlent n’est, vu de l’extérieur, qu’un charabia ou, pire encore, le code secret indéchiffrable d’un ennemi. Dans de nombreuses civilisations, les mythes considèrent la diversité linguistique en elle-même comme une sorte de punition et décrivent un univers pré-Babel idyllique de monolinguisme et de paix. Ces mythes ont conservé une certaine influence. « La plupart des gens, remarque David Crystal à juste titre, n’ont pas encore développé de conscience linguistique. » On ne peut pas rejeter la responsabilité de l’extinction de la moitié des langues du monde sur le seul essor de l’anglais. En effet, beaucoup d’autres langues largement parlées, notamment l’espagnol, le por- 22 23 tugais, le russe, le chinois et l’arabe, ont supplanté des dialectes locaux plus limités dans le monde entier. Cependant, l’ascendance actuelle de l’anglais est un phénomène sans précédent dans l’histoire linguistique humaine, et Dieu seul sait où elle nous mènera. David Crystal tire la sonnette d’alarme : « L’influence de l’anglais sera-telle assez forte pour altérer de façon permanente le caractère de toutes les autres langues ? L’anglais peut-il anéantir complètement les autres langues ? Le scénario d’un monde où il ne resterait qu’une seule langue – un désastre intellectuel écologique sans précédent – pourrait en théorie se réaliser dans 500 ans. » Ces prévisions ne semblent peut-être pas aussi alarmantes que d’autres menaces plus immédiates pour la planète, comme le réchauffement climatique. Pourtant, si l’on aborde cette question depuis la perspective, non plus du monde entier, mais du monde de la littérature, la contre-utopie monolingue qui effraie ceux qui s’inquiètent de la disparition des langues prend beaucoup plus d’importance. Il est particulièrement douloureux de constater qu’en matière de littérature, la langue mondiale se comporte effectivement plus comme une espèce envahissante que comme une langue véhiculaire, en résistant et en se substituant à tout ce qui n’est pas écrit en anglais, en parlant plus fort que tout le monde sans accorder la moindre attention à tout ce qui est dit dans les autres langues. Le préambule de la Déclaration universelle des droits linguistiques appelle au « respect de l’équilibre écologique des sociétés et à des rapports équitables entre toutes les langues et toutes les cultures ». Mais avec l’essor croissant, d’année en année, du pouvoir de l’anglais à l’échelle mondiale, l’injustice de ses relations avec les autres langues devient de plus en plus problématique. Dans un article récemment présenté lors d’une réunion du PEN Club international, l’écrivain slovène Andrej Blatnik posait la question : « Où exporter ? Au RoyaumeUni, seuls 2 % des livres sur le marché sont des traductions. Aux États-Unis, ils ne sont que 3 %. En revanche, les traductions représentent 40 % du marché en Turquie, et 70 % en Slovénie. Le libre-arbitrecommence lorsque l’on peut entendre une autre voix. Qui sont les perdants de ces statistiques ? Ceux qui n’ont pas le choix ou ceux qui ne peuvent être choisis ?14 » 1.2 La littérature mondiale et l’anglais Les écrivains se sont longtemps battus pour se libérer des contraintes des frontières nationales et linguistiques et prendre part à une conversation mondiale sans limites politiques, linguistiques, géographiques ou temporelles. Pour beaucoup, cette lutte réside au cœur même de la signification du mot « littérature ». En 1827, Goethe faisait remarquer à son jeune assistant Eckermann : « Le terme de littérature nationale a désormais perdu son sens : nous sommes à l’aube de l’ère de la littérature mondiale, et nous devons tous nous efforcer d’accélérer sa venue15. » La pluralité linguistique est un élément essentiel de cette vision de la littérature. Traduction, mondialisation et anglais Les experts en littérature ont toujours du mal à se mettre d’accord, mais s’il y a bien un point sur lequel ils se rejoignent, c’est sur l’importance cruciale de la circulation entre les différentes langues pour la littérature. Le théoricien littéraire russe Mikhaïl Bakhtine considérait ce qu’il appelait la « polyglossie » – à savoir l’interaction entre différentes langues – comme un élément fondamental des origines de la pensée littéraire en elle-même et, surtout, crucial pour le développement du plus hétérogène des genres modernes, le roman : « Seule la polyglossie libère véritablement la conscience de la tyrannie de sa propre langue16. » D’autres critiques, de Raymond Williams à Jorge Luis Borges, l’ont exprimé différemment, mais tous s’accordent pour dire que la circulation entre les différentes langues par le biais de la traduction constitue l’âme véritable de la littérature. « Abandonnée à elle-même, poursuivait Goethe, toute littérature finit par épuiser sa vitalité si l’intérêt et les contributions d’une littérature étrangère ne viennent pas lui apporter une nouvelle fraîcheur17. » Ce mouvement entre les langues dépend de la traduction et du travail des traducteurs. Quel que soit le succès obtenu par un système éducatif donné dans la promotion du multilinguisme, peu de gens parviendront à maîtriser plus de trois ou quatre langues dans leur vie, et encore moins les quelque 600 langues qui ne sont pas actuellement en danger ou les 3 000 qui sont censées survivre à la vague actuelle d’extinction. L’attitude défensive qui consiste à refuser de lire une œuvre littéraire dans une langue autre que celle dans laquelle elle a été initialement écrite est donc complètement injustifiée. Au contraire, l’attitude positive, le soutien et l’intérêt manifestés en faveur de la traduction dans une communauté littéraire donnée sont des indicateurs essentiels de la volonté de cette communauté d’appartenir à ce que Pascale Casanova, dans un ouvrage récent important, a appelé La République mondiale des lettres18. Pascale Casanova utilise des métaphores économiques plutôt que biologiques : selon elle, chaque langue est une sorte de devise, et ces devises ont bien entendu des cours très différents sur le marché littéraire mondial. Elle est l’une des premières critiques littéraires à avoir abordé sans tabous, depuis la perspective de la langue, le statut inégal des joueurs sur l’échiquier de la littérature et les mécanismes spécifiques de domination qui entrent en jeu19. Du fait de sa position en tant que langue mondiale et deuxième langue de choix dans le monde entier, la situation de l’anglais dans cette économie linguistique mondiale, dans cette République mondiale des lettres, n’a rien à voir avec celle des autres langues. La portée d’une œuvre traduite en anglais ne se limite pas aux populations qui ont l’anglais comme langue maternelle, mais touche un public mondial. Par conséquent, une œuvre traduite en anglais a beaucoup plus de chances d’être traduite par la suite dans de nombreuses autres langues. Même sans ces traductions subséquentes, une œuvre initialement écrite ou traduite en anglais a accès au plus grand marché du livre de la planète et peut être lue par davantage de personnes d’origines 24 25 linguistiques, de nationalités et de cultures différentes qu’une œuvre écrite dans n’importe quelle autre langue. L’anglais est la devise linguistique la plus forte du monde. La question de la traduction en anglais affecte donc non seulement le monde anglophone, mais également l’ensemble de la littérature mondiale. Pascale Casanova l’admet elle-même de façon frappante dans l’introduction de la traduction anglaise de son livre : « Je me réjouis que ce livre, qui entend inaugurer une critique littéraire internationale, ait été lui-même internationalisé par une traduction en anglais. Ainsi, ses hypothèses pourront être examinées de façon pratique et ses propositions débattues à un niveau véritablement transnational par les différents acteurs de la scène littéraire internationale20. » Bien qu’elle ne le dise pas en ces termes, le sens est clair : ceux qui cherchent à accéder à un « niveau véritablement transnational » de discours ne peuvent l’atteindre que par le biais de l’anglais. Dans cette perspective, l’incapacité flagrante, souvent critiquée, de l’anglais à accepter les œuvres littéraires des autres langues par le biais de la traduction devient d’autant plus cruciale. L’indifférence de l’anglais face à la traduction n’est pas seulement un problème pour les populations ayant l’anglais comme langue maternelle et qui se privent ainsi du contact avec le monde non anglophone. Elle représente également un obstacle au discours mondial, qui affecte les écrivains de toutes les langues et constitue un moyen de plus pour l’anglais de consolider son pouvoir en s’imposant comme le seul mode de mondialisation. Pour ceux d’entre nous qui se soucient encore de la littérature, la menace que cela représente est alarmante. Si la littérature mondiale, au sens goethien du terme, en vient à se résumer presque entièrement, ou du moins principalement, à la littérature écrite en anglais, peut-on encore parler de littérature mondiale ? Un réflexe anti-mondialisation bien trop souvent rencontré dans les universités du monde anglophone accuse la langue anglaise d’être responsable de cette situation et considère ceux qui traduisent vers l’anglais ou à partir de l’anglais comme des agents de l’hégémonie impériale de la langue. Cette façon de penser est non seulement stupide, mais peut aussi devenir extrêmement dommageable. Le véritable problème ne vient pas de la langue anglaise en soi, ni de sa portée mondiale, mais des forces culturelles au sein de cette langue qui résistent à la traduction. La difficulté de passer d’une langue à l’autre – ce que le président du PEN Club international, Jiří Grǔsa, a appelé « la souffrance de la communication » – est un problème que le monde anglophone a plutôt bien réussi à éviter : en effet, il est beaucoup plus simple et plus pratique de rester monolingue et de laisser le reste du monde apprendre votre langue que de se plier aux difficultés, aux efforts et aux dépenses impliqués par le multilinguisme et la traduction. Loin d’être des agents de l’hégémonie impériale de l’anglais, les traducteurs qui travaillent à partir de l’anglais ou vers l’anglais ont pris sur eux la difficulté de la diversité linguistique, permettant ainsi aux gens de Traduction, mondialisation et anglais lire et d’écrire dans leur propre langue, sans pour autant être privés de l’accès à la part du lion qu’occupe désormais l’anglais dans la conversation mondiale. En utilisant la langue véhiculaire mondiale comme un moyen de connecter les différentes langues, plutôt que comme un substitut de toutes les autres langues, les traducteurs contribuent donc à résoudre le problème de la domination de l’anglais sur le monde, et non à le perpétuer. Les difficultés rencontrées pour trouver des chiffres fiables sur ce qui est traduit de l’anglais et vers l’anglais sont en elles-mêmes symptomatiques des obstacles que la traduction littéraire doit affronter en anglais. Dans la plupart des pays du monde, les librairies et les critiques de livres sont divisées en deux catégories : les œuvres produites nationalement et les œuvres importées d’autres langues et d’autres cultures. De plus, comme l’attestent les diverses études de cas et réponses des PEN Clubs du monde entier présentées dans le présent rapport, de nombreux gouvernements disposent d’agences qui surveillent de près et répertorient précisément le nombre de leurs livres traduits dans d’autres langues et le nombre de livres étrangers traduits dans leur langue. En revanche, la plupart des pays anglophones ont de plus en plus tendance à mépriser ce qui est originellement écrit dans une langue autre que l’anglais. Bowker, la principale source de statistiques sur l’industrie de l’édition aux États-Unis, a arrêté de publier des statistiques sur la traduction à l’occasion d’un changement de base de données en 2000. Concrètement, cette société a continué à publier des chiffres sur les livres d’enfants, l’économie domestique, la religion, le sport et les voyages – mais elle a cessé de tenir le compte des livres initialement écrits dans une autre langue que l’anglais21. Un communiqué de presse publié par Bowker en octobre 2005 faisait allusion à la question de la traduction22. Selon ce rapport, le nombre total de nouveaux livres publiés en anglais dans le monde entier en 2004 était de 375 000 – un chiffre impressionnant, sans doute nettement supérieur au nombre de livres publiés dans n’importe quelle autre langue. « Les pays anglophones restent relativement inhospitaliers pour les traductions d’autres langues vers l’anglais, constatait le rapport. Au total, il y a eu seulement 14 440 nouvelles traductions en 2004, soit un peu plus de 3 % de l’ensemble des livres disponibles à la vente. Aux États-Unis, 4 982 traductions étaient disponibles à la vente, ce qui représentait, certes, le meilleur chiffre dans le monde anglophone, mais moins de la moitié des 12 197 traductions disponibles en Italie en 2002, et à peine 400 de plus que les 4 602 traductions disponibles en République tchèque en 2003. Près des trois quarts des livres traduits d’autres langues vers l’anglais n’étaient pas des romans. » Ces chiffres sont encore plus parlants si l’on se rappelle que le nombre de personnes qui ont l’anglais comme première langue s’élève à près de 400 millions, alors que l’Italie a une population de 55 millions d’habitants et la République tchèque de seulement 10 millions. Le chiffre de 3 % de tous les livres publiés est déjà alarmant en soi, mais la situation 26 27 Romans traduits publiés aux États-Unis, 2000-2006 Pays : langue Albanie : albanais Allemagne/Autriche/Suisse : allemand Argentine : espagnol Belgique : flamand Bosnie-Herzégovine : bosniaque Brésil : portugais Bulgarie : bulgare Chili : espagnol Croatie : croate Cuba : espagnol Danemark : danois Équateur : espagnol Espagne : catalan Espagne : espagnol (castillan) Estonie : estonien Finlande : finnois France : français Grèce : grec Hongrie : hongrois Islande : islandais Italie : italien Lettonie : letton Lituanie : lituanien Macédoine : macédonien Mexique : espagnol Norvège : norvégien Pays-Bas : néerlandais Pérou : espagnol Pologne : polonais Portugal : portugais République tchèque : tchèque Roumanie : roumain Russie : russe Serbie et Monténégro : serbe Slovaquie : slovaque Slovénie : slovène Suède : suédois Turquie : turc Uruguay : espagnol Traduits en anglais dans les 6 dernières années 3 36 5 1 1 7 1 6 6 12 5 1 2 12 1 1 52 8 7 1 39 0 1 1 8 12 18 2 13 6 12 3 29 8 1 2 7 6 4 Moyenne annuelle 0,5 6,0 0,8 0,2 0,2 1,2 0,2 1,0 1,0 2,0 0,8 0,2 0,3 2,0 0,2 0,2 8,7 1,3 1,2 0,2 6,5 0 0,2 0,2 1,3 2,0 3,0 0,3 2,6 1,0 2,0 0,5 4,8 1,3 0,2 0,3 1,2 1,0 0,7 Source : Center for Book Culture, http://www.centerforbookculture.org/context/no19/translations_5.html Traduction, mondialisation et anglais est en réalité encore plus grave que les statistiques ne le montrent. La grande majorité des traductions comprises dans cette catégorie sont des ouvrages non romanesques de nature non littéraire (manuels informatiques, etc.). Même si ces formes d’échange ont une valeur certaine, lorsque l’on étudie séparément les chiffres relatifs au monde littéraire, le tableau qui se dessine est nettement plus sombre. En 2004, le nombre total d’œuvres de littérature pour adultes et de fiction publiées en traduction aux États-Unis n’était que de 87423. Et ce chiffre est lui aussi trompeur. Une étude de 1999 sur la traduction, réalisée par la Fondation nationale pour les arts (National Endowment for the arts – NEA), s’est appuyée sur les critiques publiées dans tous les magazines littéraires du pays, quelle que soit leur importance, pour établir des statistiques. L’étude du NEA a mis en lumière que, sur un total de 12 828 œuvres de fiction et de poésie publiées aux États-Unis en 1999 (selon les chiffres de Bowker), seules 297 étaient des traductions, soit à peine plus de 2 % de l’ensemble des œuvres de fiction et de poésie publiées, et bien moins de 1 % de l’ensemble des livres publiés. Une analyse approfondie de ces 297 titres révèle que la liste comprend beaucoup de nouvelles traductions d’œuvres classiques. Même si ces retraductions sont indubitablement un aspect vital de la culture littéraire, il convient de retirer les nouvelles traductions d’Homère, de Tolstoï ou de Stendhal du nombre total de traductions publiées pour avoir une idée réaliste de l’infime probabilité qu’a un écrivain contempo- rain écrivant dans une autre langue de voir son œuvre publiée en anglais. Dans son ouvrage de 1995 intitulé The Translator’s Invisibility: A History of Translation, Lawrence Venuti constate que, depuis les années 1950, le pourcentage de livres traduits aux États-Unis est, en moyenne, de 2 à 4 % du nombre total de livres publiés chaque année, avec un pic à 6-7 % dans les années 196024. Ce pic confirme la théorie d’Eliot Weinberger, selon laquelle la population des États-Unis a été le plus intéressée par la littérature traduite pendant sa période de formation culturelle post-coloniale au xixe siècle et, plus tard, pendant les périodes de fort mécontentement à l’égard de sa propre culture et de son gouvernement, notamment dans les années 1960 et, peut-être, aujourd’hui. Une étude publiée en juillet 2006 a mis au jour de façon frappante les dimensions alarmantes de ce problème. Cette étude, réalisée par le Centre pour la culture livresque (Center for Book Culture), s’est concentrée uniquement sur les ouvrages de fiction, de la période moderniste à aujourd’hui, en excluant les retraductions et les anthologies, pour rassembler les chiffres des cinq dernières années et les redistribuer par pays. Il apparaît ici clairement que la probabilité pour que les écrivains individuels de pays dont la production littéraire est florissante, tels que l’Argentine, soient traduits en anglais est infime : sur les centaines d’écrivains qui composent le paysage littéraire animé de ce pays, moins d’un auteur par an (et pas nécessairement encore en vie) verra l’un de ses livres traduit en anglais25. 28 29 La source d’information la plus compète sur la traduction littéraire vers l’anglais est la revue Annotated Books Received, consultable en ligne à l’adresse www.literarytranslators.org/abr.html. Publiée par l’Association des traducteurs littéraires américains (American Literary Translators Association – ALTA) et par le Centre pour l’étude de la traduction de l’Université du Texas à Dallas, Annotated Books Received était à l’origine, en 1983, une section de Translation Review, la revue spécialisée de l’ALTA, qui répertoriait les traductions littéraires de toutes sortes, à partir de n’importe quelle langue vers l’anglais, publiées au cours de l’année précédente. En 1994, l’ALTA a commencé à publier cette liste séparément, dans un supplément de la revue. Annotated Books Received a peu à offrir sur le plan de l’analyse statistique, mais elle contient des informations détaillées sur chacune des traductions littéraires d’œuvres complètes publiées dont l’ALTA ait été informée, qu’il s’agisse d’une œuvre de fiction, de théorie littéraire, de poésie, de théâtre, de lettres ou de toute autre forme littéraire. Publiée deux fois par an, Annotated Books Received est de loin la meilleure source d’informations détaillées sur ce qui est traduit en anglais. Un coup d’œil rapide à la dernière édition, volume 11, n° 2, de 2005, confirme les sombres perspectives de traduction en anglais pour l’hypothétique écrivain argentin que nous avons évoqué précédemment. Dans la section « Espagnol », ABR répertorie un total impressionnant de cinq traductions, dont trois d’œuvres d’auteurs classiques, morts depuis longtemps, une d’un volu- me de poésie d’un jeune poète espagnol et, enfin, La Maison en papier, de l’écrivain argentin Carlos María Dominguez, publié par Harcourt. Un point, c’est tout. Une récente étude, fascinante, offre une perspective plus réjouissante. Michele Maczka et Riky Stock, du German Book Office à New York, n’ont pris en compte que les traductions ayant fait l’objet d’une critique dans la revue ayant la plus forte influence dans le milieu américain de l’édition, Publisher’s Weekly, considérée par les auteurs de l’étude comme le reflet le plus juste de « ce qui compte aujourd’hui sur le marché [américain] du livre26 ». La rédactrice en chef de Publisher’s Weekly, Sara Nelson, leur a déclaré que la revue accordait une attention particulière à la traduction, en présentant des critiques pour 60 % de l’ensemble des livres traduits proposés, contre seulement 50 % pour les livres de fiction et 25 % pour les autres ouvrages. « En 2004, ont découvert Maczka et Stock, 132 livres traduits ont fait l’objet d’une critique sur un total de 5 588 critiques, soit environ 2 %. » Cependant, à l’issue d’une évolution surprenante et encourageante, ce chiffre est passé en 2005 à 197 sur 5 727 (environ 3,5 %), soit une augmentation de 50 %27. L’anglais est loin d’être la seule langue à avoir une relation problématique avec la traduction. Un article du Korea Times, un magazine paraissant en anglais, déplorait récemment que la Corée n’ait pas réussi à adopter le « projet interculturel de masse » que le Japon a systématiquement poursuivi pendant la Restauration de Meiji dans les années 1860, prenant Traduction, mondialisation et anglais ainsi une longueur d’avance sur la Corée en termes de progrès vers la modernité28. Dans son dernier ouvrage, Are Translators Traitors?, Park Sang-il, intellectuel et traducteur coréen, déplore la quantité et la qualité « honteuses » des traductions en Corée – deux problèmes dont l’anglais souffre sans doute également. D’autre part, de nombreux documents récents sur le monde arabe, en particulier un rapport de 2002 du Programme des Nations Unies pour le développement, ont insisté sur la pénurie de traduction vers l’arabe et sur le besoin d’en augmenter considérablement la quantité. Cependant, dans le monde arabe, la traduction est largement considérée comme une étape essentielle vers la modernisation, comme en attestent les nombreuses initiatives prises par différents gouvernements arabes en faveur de la traduction, décrites dans un rapport de la fondation Next Page sur la traduction dans le monde arabe29. Pendant ce temps, en Corée, Park Sang-il craint que « l’indifférence face à l’importance de la traduction appauvrisse les fondements culturels [de la Corée] et, à long terme, menace la viabilité de notre langue maternelle ». L’anglais, en revanche, n’est pour le moment pas concerné par cette menace, puisqu’il ignore largement la plupart des autres langues. Comme nous l’avons indiqué, la traduction en anglais permet à un livre d’avoir plus de chances d’être également traduit dans plusieurs autres langues30. C’est pourquoi le problème que nous abordons dans ce rapport est une grande source d’inquiétude pour la part du public littéraire mondial qui souhaite rester liée à autant de groupes linguistiques que possible. Mais que perd ou que risque l’anglais du fait de son incapacité à traduire ? En dehors du danger politique et social évident pour un empire qui refuse de prêter attention au reste du monde, cet accroissement du provincialisme représente également une menace pour la littérature des États-Unis. Au cours d’un débat organisé par le PEN Club américain sur les questions de la traduction et de la mondialisation, Roberto Calasso, célèbre mythographe et directeur de la maison d’édition italienne Adelphi Edizioni, qui publie 50 à 70 % de traductions, a signalé certaines conséquences littéraires très graves de cette indifférence à l’égard de la littérature non écrite en anglais31. Ainsi, l’écrivain autrichien Thomas Bernhard a eu une énorme influence sur des générations d’écrivains du monde entier, y compris des auteurs anglophones. Pourtant, remarque Roberto Calasso, seuls quelques-uns des nombreux livres de Bernhard sont disponibles en anglais, et une grande partie de son œuvre, dont certains de ses ouvrages essentiels, n’a pas encore été traduite. Les auteurs anglophones ne sont donc que superficiellement influencés par un écrivain à l’œuvre duquel ils n’ont qu’un accès limité. Cela nous amène à un aspect fondamental du problème de la traduction vers l’anglais : la dévalorisation par l’université américaine de la traduction en tant que forme de science littéraire. La traduction fait partie des activités savantes fondamentales depuis des millénaires, mais de nombreuses universités américaines 30 31 contemporaines ne la considèrent pas comme une forme d’activité suffisamment significative ou originale. Cette tendance à s’éloigner de la traduction a eu des conséquences particulièrement perverses. En termes de carrière, il est beaucoup plus sûr, pour un universitaire américain, d’écrire une monographie en anglais sur un auteur dont l’œuvre n’a jamais été traduite en anglais, que de traduire l’œuvre de cet auteur en anglais. Les professeurs d’université qui continuent à publier des traductions le font parfois sous un pseudonyme, de crainte de voir leur réputation d’érudit entachée, ou omettent de mentionner dans leur CV les traductions qu’ils ont faites. Les enseignants qui publient « trop de traductions » risquent de ne pas être titularisés ou même de ne pas trouver d’emploi du tout. Au cours d’une conférence intitulée « L’importance de la traduction » donnée à l’Université de Columbia en 1994, Gayatri Spivak, traducteur et critique, a déclaré : « Le grand scandale de la traduction est l’oblitération de la figure du traducteur. » « L’Académie [aux États-Unis] nous a bien fait comprendre que les traductions ne valent quasiment rien lorsqu’il s’agit de titularisation ou de promotion », a récemment déclaré la traductrice Alyson Waters, directrice de la rédaction des Yale French Studies, dans un entretien avec la traductrice française Élisabeth Peellaert32. Elle a ajouté que la situation pourrait changer avec le développement des études de traduction, mais que, pour le moment, il vaut beaucoup mieux, pour un érudit littéraire américain, écrire sur des questions liées à la traduction plutôt que de s’adonner réellement à la traduction littéraire. L’Association des traducteurs littéraires américains a répondu à cette situation en publiant une brochure utile intitulée « Traduction et titularisation », afin d’aider les jeunes professeurs d’université à se faire respecter parmi leurs collègues pour leur travail de traduction littéraire33. Ces dernières années, certaines presses universitaires, qui figuraient parmi les meilleures sources de traductions en lettres et en sciences humaines, ont même annoncé qu’elles ne publieraient plus de traductions, ou qu’elles diminueraient considérablement le nombre de traductions publiées. Cela a non seulement eu un impact sur la traduction littéraire, mais a aussi conduit à une situation particulièrement troublante dans le domaine des sciences humaines. Aux États-Unis comme dans le reste du monde, les spécialistes en sciences humaines sont soumis à une pression de plus en plus forte pour écrire en anglais, quelle que soit leur langue maternelle – cette même pression à laquelle ont succombé il y a quelque temps leurs homologues des sciences « dures ». Préoccupé par la situation, l’American Council of Learned Societies (ACLS) a lancé le Projet pour la traduction des sciences humaines, qui rassemblait des traducteurs, des éditeurs et des spécialistes en sciences humaines pour discuter des problèmes relatifs à la traduction des textes sur les sciences humaines. Ce groupe a maintenant publié une série de recommandations pour la traduction des textes de sciences Traduction, mondialisation et anglais humaines, ainsi qu’un document intitulé « Plaidoyer pour que les spécialistes des sciences humaines puissent écrire dans leur propre langue »34. Notant que « les concepts des sciences humaines et les termes utilisés pour les exprimer sont déterminés par les caractéristiques de la langue dans laquelle ils sont originellement produits et, par conséquent, par l’expérience culturelle et historique des utilisateurs de cette langue », ce plaidoyer déplore « l’homogénéisation et l’appauvrissement croissants du discours des sciences humaines », qui résultent de « l’hégémonie croissante d’une seule langue ». Dans une lettre à l’un des responsables du Projet pour la traduction des sciences humaines de l’ACLS en réponse au « Plaidoyer », Bente Christensen, vice-présidente de la Fédération internationale des traducteurs et membre du PEN Club norvégien, écrit : « Ici, en Norvège, nous nous battons pour avoir des livres de classe écrits en norvégien, et pas seulement en anglais. Les étudiants ne comprennent pas vraiment ce qu’ils lisent. Je l’ai constaté très souvent. Ils répètent les concepts en anglais, mais si je leur demande d’expliquer de quoi il s’agit en norvégien, ils sont perdus. » « Lorsque nous parlons anglais, a déclaré Amin Maalouf au public du Congrès du PEN Club international à Tromso (Norvège) en 2004, nous avons parfois l’impression que nos mots sont superficiels, que leur signification n’est pas très profonde. Pour un écrivain ou toute autre personne qui décide de rédiger un document écrit quelconque, le choix de la langue est profondément personnel et unique ; beaucoup d’auteurs ont choisi de s’exprimer dans une langue autre que leur langue maternelle pour toutes sortes de raisons. Cependant, non seulement les écrivains littéraires, mais de plus en plus de personnes autour du monde sont obligées de mener à bien les aspects les plus importants de leur vie académique et professionnelle dans une langue qui n’est pas complètement la leur, sans quoi leur travail serait tout simplement ignoré35. » Un certain nombre de tendances positives concernant la publication des traductions littéraires aux États-Unis se sont manifestées ces deux ou trois dernières années (comme en témoignent les chiffres récents du Publisher’s Weekly mentionnés dans l’étude du German Book Office que nous avons citée plus haut). Nous en parlerons longuement dans le quatrième chapitre de ce rapport. Mais il existe également une tendance profondément enracinée dans de nombreux secteurs du milieu américain de l’édition qui considère la traduction littéraire comme invendable. « La littérature étrangère fait bâiller d’ennui l’Amérique », tel était le titre d’un article mémorable du New York Times sur l’accueil réservé à la littérature traduite aux États-Unis36. Bien entendu, la littérature elle-même n’est pas non plus au mieux de sa forme aux États-Unis ces temps-ci. Les ouvrages littéraires, de fiction ou non, en particulier la poésie, semblent souvent ne représenter qu’une sorte de mince frange en marge de cette vaste machine qui pond à la chaîne une quantité astronomique d’« objets sous forme de livres » (pour reprendre le terme de Steve Wasserman, 32 33 ancien directeur du Los Angeles Times Book Review) qui n’ont pas ou n’ont que peu de valeur culturelle durable. La traduction littéraire ne représente qu’une infime partie de cette frange et, alors que certaines maisons d’édition ont conservé un degré admirable d’engagement envers la traduction, beaucoup d’autres l’évitent ou, au mieux, la considèrent comme un acte de charité. Un livre traduit qui réussit à être publié doit ensuite affronter le problème de la critique et du marketing. Il est extrêmement rare – sauf dans le cas de Prix Nobel de littérature ou d’écrivains dont la renommée mondiale est déjà solide – que les éditeurs du monde anglophone versent des avances sur recette pour des traductions puis dépensent d’importantes sommes d’argent pour en faire la promotion. Un écrivain rédigeant son premier roman en anglais peut très bien obtenir de son éditeur une avance sur recette d’un demimillion de dollars, suivie d’une tournée de présentation du livre, d’une campagne de publicité et de tous les coups de pouce qui permettront de propulser (ou pas) son livre au rang de best-seller. Mais un écrivain dont l’œuvre paraît en traduction anglaise pour la première fois a très peu de chances de se voir offrir la moindre de ces ressources de marketing et de publicité. De plus, tandis que certains critiques hésitent à parler de livres traduits parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue dans laquelle ils ont été écrits, d’autres n’ont aucun scrupule à exprimer ouvertement leur dédain à l’égard de la pratique de la traduction littéraire en elle-même. Dans un article de la revue littéraire et culturelle très en vue The Atlantic Monthly, intitulé « Pourquoi nous critiquons ces livres-là », Benjamin Schwarz, directeur de la section « Critique de livres » de la revue, déclare que celle-ci publie peu de critiques de livres traduits37. Anticipant une accusation d’« esprit de clocher », il reconnaît que c’est « à moitié légitime » : « Nous nous concentrons généralement sur le style de la prose dans notre évaluation de la fiction. C’est évidemment plus difficile à faire pour les critiques de livres traduits, puisque le critique comme le lecteur d’une œuvre ne retrouvent pas le style de l’auteur mais la façon dont le traducteur l’a rendu. C’est pourquoi nous écrivons moins de critiques sur les œuvres traduites. » Certes, le style de certaines traductions laisse effectivement à désirer, mais c’est aussi le cas pour beaucoup d’œuvres originellement écrites en anglais ; l’utilisation d’un tel prétexte pour justifier le peu d’attention accordé à la littérature mondiale est extrêmement suspect, c’est le moins qu’on puisse dire. Roberto Calasso a décrit une grande partie de la culture américaine contemporaine comme un « mélange explosif de provincialisme et d’impérialisme », et une telle attitude de la part des critiques de livres constitue une excellente illustration de ses propos. Mais nous ne pouvons conclure sur une note aussi sombre. Le monde anglophone, et en particulier ses grandes villes, n’est en aucun cas l’espace monolingue qu’un lecteur sans expérience pourrait imaginer après avoir lu ce rapport. Amanda Hopkinson, directrice du Centre britannique Traduction, mondialisation et anglais de la traduction littéraire, souligne que les enfants qui fréquentent les écoles de Londres parlent plus de 350 langues différentes à la maison. De même, si vous avez déjà pris le métro à New York, vous avez plongé dans l’environnement sans doute le plus multilingue au monde. Mais si, en sortant du métro, vous entrez dans une librairie, vous ne trouverez pas grand-chose pour vous aider à comprendre les langues étrangères qui résonnaient à vos oreilles quelques secondes plus tôt – tout y est écrit en anglais. L’enjeu du monde anglophone n’est pas de devenir multilingue – c’est déjà le cas, bien au-delà des rêves les plus fous de Mikhaïl Bakhtine – mais de transférer la polyglossie de ses écoles, de ses rues et de ses métros sur les rayons de ses bibliothèques et de ses librairies. Beaucoup de traducteurs, de directeurs de rédaction, d’éditeurs, d’agents littéraires, d’enseignants, de professeurs d’université, d’institutions et d’organisations ne ménagent pas leurs efforts pour que la littérature internationale soit traduite en anglais. Il y a beaucoup à faire, mais il y a aussi de bonnes bases de départ. Le niveau de la traduction vers l’anglais semble être descendu tellement bas qu’il ne peut que remonter, et la traduction semble redevenir à la mode à une vitesse surprenante. Un nombre très encourageant de nouvelles initiatives ont émergé ces dernières années de l’extérieur et de l’intérieur du monde anglophone, en particulier aux États-Unis, et les résultats se font déjà sentir. Tant de personnes s’efforcent aujourd’hui de transformer l’espèce linguistique envahissante de la planète en un moyen permettant aux langues de communiquer entre elles que nous pouvons nous attendre à de très bonnes nouvelles. Le PEN Club international et l’Institut Ramon Llull s’engagent à transmettre ce rapport à cette large communauté de bâtisseurs de ponts, en espérant qu’il leur sera utile dans la tâche que nous entreprenons tous ensemble. NOTES 1 David Crystal, The Language Revolution, Cambridge, Polity, 2004, p. 8. 2 Rapporté dans : Andrew Yeh, « New Dawn in a Shared Language » in The Financial Times. 3 Cf. Graddol, « The Decline of the Native Speaker » in English in a Changing World, Graddol & Meinhof, Milton Keynes, Catchline, 1999, pp. 57 à 68 ; cité par Ostler, op. cit. p. 516. 4 Cf. son article « English » in The World’s Major Languages, éd. Bernard Comrie, Oxford University Press, 1990, pp. 79 à 82. 5 Dans un discours intitulé « Passive Imperialism » présenté dans le cadre du Global Fellows Program de l’International Institute, à l’Université de Californie à Los Angeles, le 23 novembre 2004. 6 Empires of the Word, p. 517. « The World as India: Translation as a passport within the community of literature », in Times Literary Supplement, 13 juin 2003. 7 8 Toute les informations contenues dans ce paragraphe proviennent de : James Brooke, « For Mongolians, E is for English, and F is for the Future », in New York Times, 15 février 2005. 9 Cf. www.foreigninvestment.cl 10 Pour un exemple manifeste de cette façon de penser, cf. Samuel P. Huntington, Who Are We?, Simon and Schuster, New York, 2004. 11 Language Revolution, p. 50. Le site de la Foundation for Endangered Languages (www.ogmios.org), dont le siège se trouve au Royaume-Uni, et le site de Endangered Language Fund (www.ling.yale. edu/~elf/), dont le siège se trouve aux États-Unis, consti12 34 35 tuent des ressources utiles pour l’obtention de plus amples informations sur les langues en voie d’extinction. 13 Cf. www.linguistic-declaration.org. Cette article d’Andrej Blatnik a été traduit en anglais par Maja Visenjak-Limon. 14 15 Citation tirée de : Eckermann, Gespräche mit Goethe in den letzten Jahren seines Lebens (1835) par David Damrosch, in What is World Literature?, Princeton University Press, 2003, p. 1. Mikhaïl Bakhtine, The Dialogic Imagination, éd. par Michael Holquist, traduction par Caryl Emerson et Michael Holquist, University of Texas Press, Austin, 1992, p. 61. 16 17 Damrosch, op. cit., p. 7. Éditions du Seuil, 1999 ; traduction en anglais : Harvard University Press, 2004. 18 19 Casanova, p. 352. 20 Casanova, p. XIII. 21 Par exemple, cf. les statistiques sur la publication de livres aux États-Unis sur Bookwire, l’un des portails de Bowker : www.bookwire.com/bookwire/decadebookroduction.html. 22 « English-Speaking Countries Published 375,000 New Books Worldwide in 2004 », Bowker News Release. New Providence, New Jersey, 12 octobre 2005. Contact médias : [email protected]. 23 Affirmation d’Andrew Grabois, de Bowker, 9 mars 2005. Routledge, 1995. Pour des statistiques un peu plus récentes, cf. Venuti, The Scandals of Translation: Towards an Ethics of Difference, Routledge, 1998. 24 L’information a été recueillie dans le cinquième commentaire d’une série d’observations par John O’Brien de Dalkey Archive Press, sur la difficulté de financer la traduction en anglais, parue dans : Context: A Forum for Literary Arts and Culture ; http://www.centerforbookculture.org/context/ no19/translations_5.html. cies in the Arab world », un rapport commandé par la Next Page Foundation, à Sofia, en Bulgarie. Ce rapport fournit un contexte extrêmement utile au rapport du PNUD, mentionné précédemment, et offre une analyse approfondie des statistiques qu’il cite. Cf. www.npage.org/news/arabrep. html. Cf., à ce sujet, les commentaires, présentés au chapitre 2 du présent document, qu’ont faits plusieurs PEN Clubs sur l’importance de la traduction en anglais (en réponse au questionnaire sur la traduction et la mondialisation du PEN Club international). 30 La table ronde s’est tenue au mois d’avril 2006, à l’occasion du deuxième festival international littéraire organisé par le PEN Club américain : « PEN World Voices: The New York Festival of International Literature ». On comptait, parmi les participants à la table ronde, Roberto Calasso, des éditions italiennes Adelphi Edizione, Boris Akunin, célèbre écrivain de romans policiers et ancien directeur adjoint du magazine soviétique et post-soviétique Foreign Literature, Amanda Hopkinson, directrice du British Centre for Literary Translation à l’université d’East Anglia, Richard Howard, éminent traducteur français-anglais, Elizabeth Peellaert, éminente traductrice anglais-français, et Raymond Federman, spécialiste et écrivain. Le modérateur de la table ronde était Steve Wasserman, ancien directeur du Los Angeles Times Book Review. 31 32 Paru dans To My American Readers, un magazine gratuit publié par le centre lyonnais d’analyse et de diffusion de la pensée et des arts contemporains la Villa Gillet et par le PEN Club américain, à l’occasion des « PEN World Voices: The New York Festival of International Literature » 2006. Cf. www.frenchbooknews.com. 33 Cf. http://literarytranslators.org/promo.htm. 34 Cf. www.acls.org. 25 26 « Literary Translation in the United States », in Publishing Research Quarterly, juin 2006. L’Index Translationum de l’Unesco fournit des informations d’ordre général et des statistiques complémentaires sur le marché mondial de la traduction et sur la place qu’y occupe l’anglais. Ce document rassemble des informations bibliographiques sur les livres traduits et publiés dans une centaine de pays membres de l’Unesco, depuis 1979. Pour un exposé complet et très utile sur les effets de la mondialisation sur les traducteurs qui travaillent en majeure partie hors des domaines littéraire et académique, avec une attention particulière accordée aux langues minoritaires, cf. Michael Cronin, Translation and Globalization, Routledge, 2003. 35 36 Article de Stephen Kinzer paru le 26 juillet 2003. 37 The Atlantic Monthly, janvier/février 2004. 27 Kim Ki-tae, « Is Korean Language Doomed? », The Korea Times, 20 janvier 2006. 28 29 « Lost or Found in Translation: Translations’ support poli- Traduction, mondialisation et anglais 2. Traduction littéraire : panorama international Simona Škrabec, critique littéraire, traductrice et membre du PEN Club catalan Le chapitre précédent porte sur la situation de la traduction littéraire dans les pays anglophones, particulièrement aux États-Unis. Le présent chapitre, quant à lui, propose une vue d’ensemble des principales tendances de la traduction littéraire au niveau international, et se penche également sur la question débattue au premier chapitre, à savoir le déclin des traductions vers l’anglais. La thèse développée ici est basée sur les réponses à un questionnaire établi par le PEN Club international et fournies par des PEN Clubs du monde entier. Les réponses du Royaume-Uni, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et, dans une certaine mesure, des Philippines fournissent des informations complémentaires sur la situation complexe de l’édition en langue anglaise. En ce qui concerne le marché florissant du livre en Asie, les seules données reçues proviennent du Japon (mis à part le rapport sur la Chine) et sont de portée générale. Les réponses au questionnaire permettent d’établir une comparaison entre les situations de la France, des Pays-Bas et de la Catalogne, grâce aux données fournies par le PEN Club flamand et aux commentaires des pays d’Europe centrale et orientale (Lituanie, Hongrie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine et Macédoine). En outre, certains des commentaires du PEN Club San Miguel de Allende (Mexique) ont éclairé la situation de l’Amérique du Sud, décrite dans le rapport sur l’Argentine. L’intégralité des réponses des PEN Clubs au questionnaire sur la traduction peut être consultée sur le site Internet Diversity (www.diversity.org.mk). 2.1 Rayonnement international Le manque de statistiques L’une des principales différences dans les réponses des PEN Clubs concerne la disponi- 38 39 bilité des données statistiques. Il est surprenant de constater que plusieurs PEN Clubs déclarent ne pas disposer de données fiables sur les ouvrages traduits dans des langues étrangères. Cette question est à prendre en considération, dans la mesure où le manque d’information n’est pas imputable à une éventuelle négligence des personnes ayant répondu au questionnaire. Cette pénurie d’informations est essentiellement due au manque d’organismes adéquats pour la collecte et la publication de ce type de données. Il est compréhensible que certains pays n’aient pas fait l’effort qu’ont fait la plupart des pays européens en ce domaine. Les pays où peu de données ont pu être recueillies sont le Mexique, les Philippines et la NouvelleZélande. La littérature mexicaine est hispanophone, tandis que la littérature néozélandaise est anglophone. La promotion à l’étranger des littératures de ces deux pays n’est pas entreprise par leurs gouvernements car l’anglais et l’espagnol leur permettent d’atteindre un vaste public sans recourir à la traduction. En outre, les auteurs peuvent se faire publier dans un autre pays que le leur. Ainsi, les accords concernant la traduction de leur œuvre peuvent être passés à l’étranger, ce qui complique la collecte des données relatives à la traduction par les pays concernés. Cela soulève un problème épineux. Peut-on dire que le Mexique et la NouvelleZélande ont une culture littéraire qui leur est propre ? Il existe de nombreuses cultures littéraires à travers le monde ayant une langue commune, bien qu’il soit souvent difficile de tracer leurs frontières. Le sujet a une teneur hautement politique et soulève des questions d’identité culturelle. Cela pose également des problèmes pratiques : peut-on dire, par exemple, d’un auteur exilé de longue date en Europe et ayant publié la majeure partie de son œuvre à l’étranger qu’il fait partie de la tradition littéraire de son pays natal ? Il n’est pas surprenant que de nombreux gouvernements éludent la question lorsqu’ils établissent des statistiques. Les réponses précises apportées par les PEN Clubs anglais et australien au sujet du marché des livres en anglais de leur pays, présentées dans la section suivante, permettent de clarifier certains des aspects de cet immense marché monolingue. Aux Philippines, la situation est plus complexe, car ce pays compte plusieurs langues locales et a une production littéraire importante, à la fois en anglais et en espagnol. Dresser des statistiques dans un contexte linguistique si complexe serait un véritable cauchemar pour le gouvernement. Parallèlement, on peut également expliquer le manque de données fiables au Mexique, en Nouvelle-Zélande et aux Philippines par le fait que ces pays participent moins aux échanges littéraires que les pays européens. La promotion de la littérature européenne à l’étranger En Europe, l’attitude envers la promotion de la littérature à l’étranger est complètement différente. Le gouvernement belge fournit des statistiques très détaillées sur la production littéraire en flamand et sur la promotion des ouvrages flamands à l’étranger. La Slovénie adopte une attitude Traduction littéraire : panorama international similaire, et propose sur Internet un catalogue détaillé de tous les ouvrages slovènes publiés à l’étranger. Les réponses des PEN Clubs permettent de dresser une carte de la fréquence des échanges littéraires, que viennent confirmer les six cas étudiés dans la deuxième partie du présent chapitre. L’Europe, qui compte plus de trente langues, est la région du monde la plus tournée vers la littérature mondiale. Ces échanges sont complétés par de nombreuses traductions vers le chinois et le japonais (les deux langues principales en Asie), vers le vietnamien, le malais et le coréen, et vers certaines langues indiennes. Il n’existe pas de traductions vers les langues africaines et, curieusement, aucun PEN Club n’a cité un seul ouvrage traduit en arabe. plupart des traductions littéraires vers l’anglais publiées dans le pays sont réalisées en Lituanie même. Toutes les personnes interrogées ont déclaré qu’elles considéraient la traduction des ouvrages vers l’anglais comme essentielle pour le rayonnement de leur pays à l’étranger, mais que l’accès au marché des livres en anglais était presque impossible. L’expression « intermédiaire utile » utilisée par le critique lituanien Laimantas Jonusys semble donc particulièrement bien trouvée. Les livres sont traduits en anglais en dépit de leurs faibles chances d’atteindre des lecteurs anglophones. Il faudrait donc attirer l’attention d’intermédiaires susceptibles de promouvoir la traduction dans les langues de pays bien plus ouverts aux écrivains étrangers, telles que le français et l’allemand. L’anglais, « un intermédiaire utile » Le manque de traducteurs anglophones La situation est très différente pour les auteurs anglophones, qui n’ont pas besoin de faire traduire leurs livres pour atteindre un marché de masse. Il faut savoir que, dans de nombreux pays où l’anglais n’est pas une langue officielle, un nombre croissant de lecteurs dédaignent les traductions et se procurent les livres directement en anglais. C’est particulièrement le cas aux Pays-Bas et, dans une moindre mesure, dans les pays scandinaves. Néanmoins, un roman à succès en anglais a de bonnes chances d’être traduit en trente langues et, s’il s’agit d’un véritable bestseller, dans des langues non européennes. Le PEN Club lituanien a souligné un fait qui, bien que courant, est rarement aussi bien illustré que par le cas de ce pays. La La pénurie de personnes aptes à traduire vers l’anglais constitue un facteur encore plus déterminant du faible rayonnement de la littérature des petits pays sur la scène internationale. Cette situation est illustrée par le manque de réponses au questionnaire portant sur les langues majeures de la littérature européenne (français, allemand et italien). En des termes plus abrupts, il existe une opposition entre les langues minoritaires et l’omniprésence de l’anglais. Il n’est dès lors pas étonnant que la plainte du PEN Club de Macédoine au sujet du manque de traducteurs fasse écho aux commentaires du PEN Club anglais relatifs au besoin urgent de former des traducteurs dans les langues minoritaires. 40 41 La présence des langues vivantes au Royaume-Uni est si faible qu’Amanda Hop kinson, directrice du Centre britannique pour la traduction littéraire, estime qu’il existe des « langues en danger d’extinction imminent ». Les universités britanniques ont d’ailleurs supprimé plusieurs langues de leurs départements de philologie. Les traducteurs de grec et de latin ont été formés dans des écoles privées, contrairement à la grande majorité des traducteurs ayant une maîtrise suffisante des langues vivantes, qui sont des descendants d’immigrants ou des Britanniques ayant passé une longue période à l’étranger. Selon le PEN Club anglais, il est impossible d’acquérir une bonne maîtrise des langues étrangères dans les écoles et les universités britanniques, ce qui pose un véritable problème. Les déséquilibres entraînés par les subventions Les différences entre les pays européens ayant participé à l’enquête sont considérables. En raison des problèmes économiques rencontrés par la Macédoine, les subventions nécessaires à la promotion de sa littérature à l’étranger font défaut au pays. Les maisons d’édition étrangères s’attendent à ce que les traductions soient financées par le pays d’origine. Les pays européens les plus pauvres ont été contraints d’affronter une vérité dérangeante, celle d’un marché de la traduction littéraire qui reflète le poids économique d’un pays plutôt que ses capacités éditoriales ou les mérites intrinsèques de sa littérature. 2.2 Reconnaissance de la littérature traduite La structure interne des marchés anglophones La proportion des ouvrages traduits par rapport à l’ensemble des ouvrages publiés varie considérablement d’un pays à l’autre. Comme indiqué au premier chapitre, il existe très peu d’ouvrages traduits aux États-Unis. Au Royaume-Uni, les statistiques les plus optimistes indiquent que 6 % des livres sont des traductions, mais ce chiffre englobe les traductions d’essais et les traductions techniques. La traduction littéraire ne représente ainsi que 2 % de la production totale. En Australie, la situation est encore pire. Barbara McGilvray et ses collaborateurs de Sydney indiquent que, sur l’ensemble des livres édités chaque année, moins d’une demi‑douzaine sont des traductions. Selon le président du PEN Club néo-zélandais, les lecteurs – et même les critiques littéraires ! – ignorent souvent qu’ils sont en train de lire une traduction, car cela n’est indiqué clairement nulle part. En outre, un grand nombre des livres vendus dans le pays sont édités au Royaume-Uni, aux États-Unis ou en Australie, et la plupart des ouvrages littéraires présents dans les librairies et les bibliothèques néo-zélandaises ont également été publiés à l’étranger. Les éditeurs néo-zélandais n’ont d’ailleurs pratiquement aucune influence sur les politiques de traduction littéraire. Les Australiens interrogés dans le cadre de l’enquête soulignent également la situation déplorable de l’édition littéraire Traduction littéraire : panorama international dans leur pays. Le marché australien des ouvrages traduits est dominé par les importations des États-Unis et du RoyaumeUni. En outre, l’accord de libre-échange entre l’Australie et les États-Unis représente une porte ouverte au dumping, les libraires américains cédant des invendus à des prix très bas. Ce type de comportement, favorisé par les alliances entre les maisons d’édition et les entreprises multinationales, se retrouve – dans une moindre mesure – dans l’ensemble du monde anglophone. La relation est parfois réciproque, comme c’est le cas pour « Penguin India » ou les éphémères « Africa Series » de Heinemann. Néanmoins, cette approche implique très souvent une impression conjointe, un reconditionnement et une distribution internationale. Le PEN Club anglais confirme l’existence de la pratique consistant à vendre un livre donné à différents prix. Les livres sont vendus à plein tarif dans les pays riches et sont ensuite bradés dans les pays pauvres. En Afrique du Sud, les encyclopédies britanniques sont ainsi liquidées à un dixième ou un centième de leur prix en Grande-Bretagne, dans le but de prévenir l’apparition de versions pirates sur le marché noir. Dans le secteur du livre, les aspects d’édition aussi bien que de vente sont dominés par les conglomérats et les chaînes. Deux multinationales – le groupe allemand Bertelsmann et le groupe français Hachette – se taillent la part du lion dans le marché de l’édition. Tous deux se concentrent sur les best-sellers. Les auteurs perçoivent des sommes considérables pour ce type d’ouvrages. Néanmoins, il existe une nou- velle tendance au Royaume-Uni, celle des best-sellers non signés par leurs véritables auteurs. Même une firme comme Bloomsbury, par exemple, s’est abaissée à publier des autobiographies de footballeurs ou de mannequins rédigées par des nègres. Il s’agit là d’une déferlante de « littérature » de masse et rien ne semble pouvoir arrêter ce rouleau compresseur. Les livres les plus traduits sont des romans policiers ou des récits de nature érotique, ou même pornographique. Il convient de souligner que ces ouvrages ne sont pas considérés comme de la grande littérature, mais comme des variations plutôt exotiques sur un même thème. Les classiques latins et grecs font actuellement l’objet de rééditions en anglais, souvent dans de nouvelles traductions. C’est, par exemple, le cas des séries Macmillan ou des collections éditées par OUP et Penguin. Cet intérêt s’explique en partie par le fait que Platon et Marc Aurèle ne peuvent guère se manifester pour réclamer leurs droits d’auteur, ce qui rend l’édition de ces ouvrages bien meilleur marché. Dans le même temps, l’enseignement du latin et du grec connaît un déclin considérable et il n’existe donc plus de marché pour ces œuvres dans leur langue originale. Selon le PEN Club australien, les lecteurs australiens ont un instinct grégaire prononcé, mais le secteur du livre – en particulier pour les éditeurs indépendants – dépend du comportement individuel des lecteurs, aspect essentiel à prendre en compte. Ainsi, le marché laisse peu de place à la poésie et à la littérature traduites. 42 43 La complexité de la situation des anciennes colonies Les pays anglophones, en particulier ceux du Commonwealth, se caractérisent également par un mélange ethnique complexe. Comme l’a fait remarquer le PEN Club de Nouvelle-Zélande, les immigrants, quelle que soit leur origine, sont censés apprendre l’anglais. Néanmoins, le maori est la langue officielle du pays ; il existe donc des traductions entre l’anglais et le maori. Le gouvernement a aussi entrepris l’édition de manuels en samoan, en maori des îles Cook, en tongien et en niuéen. Néanmoins, seule une petite partie de ce matériel peut être considérée comme étant de nature littéraire. La communauté chinoise vivant en Nouvelle-Zélande édite son propre journal et a récemment publié des traductions anglaises de poésie chinoise. La communauté croate, quant à elle, a publié un petit nombre de textes littéraires en serbo-croate et en anglais. Cette situation, dans laquelle une langue dominante cohabite avec d’autres langues – dont des langues autochtones – dans une société modelée par une immigration constante, se retrouve dans de nombreux pays ayant un passé colonial. En Grande-Bretagne, une situation semblable peut être observée dans les écoles primaires de Londres, où quelque 350 langues sont parlées dans les cours de récréation. L’écriture et l’édition de poésie dans la langue d’origine sont en expansion au sein des communautés immigrées, et l’on observe un regain d’intérêt pour les langues autochtones britanniques, bien que, dans le cas du gaélique écossais, il s’agisse essentiellement d’un intérêt pour la langue orale. Les traductions littéraires du gallois, quant à elles, sont en augmentation, notamment grâce au soutien de la Welsh Language Society (Cymdeithas yr Iaith Gymraeg, société pour la langue galloise), qui prend la forme de subventions versées aux auteurs et aux traducteurs, ainsi qu’aux maisons d’édition publiant des ouvrages uniquement en gallois ou en format bilingue. Dans ce contexte, il faut souligner les commentaires d’Isagani Cruz, secrétaire général du PEN Club philippin. Des textes littéraires en français, allemand, japonais, malais, espagnol, thaï et d’autres langues sont traduits de façon courante dans les langues philippines locales. Néanmoins, il a fallu attendre la fin de la domination coloniale américaine pour que des traductions vers et à partir de l’anglais soient entreprises à grande échelle. De nombreux ouvrages littéraires de premier rang écrits en anglais ont ainsi été traduits dans les langues locales, en particulier en tagalog. Les traductions à partir de l’anglais, quant à elles, connurent un renouveau après la Seconde Guerre mondiale. L’anglais était également la langue relais qui permettait l’accès à d’autres œuvres littéraires, comme l’illustre la traduction en tagalog à partir de l’anglais du Petit Prince de Saint-Exupéry, qui connut un succès retentissant. Les premières traductions vers l’anglais, telles que celle de l’œuvre la plus populaire des Philippines, Noli Me Tangere de Rizal – écrite en espagnol –, furent réalisées par des Américains. Il existe peu de traductions vers l’anglais des œuvres lit- Traduction littéraire : panorama international téraires philippines rédigées dans les langues locales, car très peu de traducteurs anglophones maîtrisent ces langues. Les échanges culturels sont donc, dans leur grande majorité, à sens unique. Alors que les lecteurs philippins ont lu énormément de littérature anglophone, très peu de Britanniques et d’Américains ont lu ne serait-ce qu’un seul ouvrage philippin. Europe : intérêt pour le domaine littéraire L’autre extrémité du spectre de la littérature étrangère peut être observée dans les pays européens de petite taille et de taille moyenne. En Bosnie-Herzégovine, en Flandre, en Hongrie et en Macédoine, près de la moitié des nouveaux ouvrages publiés chaque année sont des traductions. Cette situation se caractérise essentiellement par le fait que la plupart des œuvres traduites le sont par des petites maisons d’édition qui publient moins de 150 titres par an, titres dont le tirage est toujours relativement modeste. En Lituanie, pays qui compte un peu plus de trois millions d’habitants, le tirage moyen pour un ouvrage est de 2 000 exemplaires – bien que certains best-sellers atteignent les 30 000 exemplaires. En Slovénie, pays de deux millions d’habitants, les tirages des livres traduits varient entre 20 (pour les recueils de poèmes) et 25 000 (pour The Da Vinci Code). La plupart des titres de fiction se vendent à entre 1 000 et 1 500 exemplaires, et à entre 400 ou 600 pour les fictions de qualité. Néanmoins, les petits tirages ne sont pas réservés aux petits pays. Lucina Kathmann, secrétaire du PEN Club San Miguel de Allende (Mexique), remarque que, d’une manière générale, très peu d’ouvrages sont vendus et que les tirages dépassent rarement les 3 000 exemplaires. Kata Kulavkova, présidente du Comité de la traduction et des droits linguistiques du PEN Club international pour la Macédoine, met en lumière une caractéristique positive de ces marchés littéraires minuscules. Selon elle, les traductions de la littérature mondiale suivent un plan stratégique visant à remplir les bibliothèques. Cette approche est primordiale pour les éditeurs, car la demande des bibliothèques permet de compenser l’impact des petits tirages sur le prix des livres. L’analyse de Mme Kulavkova s’applique également aux autres pays de petite taille et de taille moyenne, où les politiques de promotion des traductions sont essentielles pour enrichir et faire progresser la langue nationale. Les traductions ouvrent également une fenêtre sur le monde, en favorisant la connaissance des littératures, des cultures et des traditions étrangères. Le rôle éducatif joué par la traduction littéraire explique la pratique consistant à publier des extraits d’œuvres d’écrivains étrangers dans les magazines, la presse et d’autres médias. János Benyhe, secrétaire général du PEN Club hongrois et traducteur littéraire de renom, remarque que son pays a une longue tradition de traductions de grande qualité. La Hongrie est l’illustration parfaite d’un aspect essentiel de toute traduction : le magyar ne faisant pas partie de la famille des langues indo-européennes, traduire vers ou à partir de cette langue 44 45 suppose d’effectuer une re-création littéraire considérable. Le défi pour les traducteurs est donc bien supérieur à celui posé par une traduction de l’anglais vers l’allemand, par exemple, ou du français vers l’italien. Les meilleurs écrivains hongrois ont d’ailleurs consacré beaucoup d’efforts à la traduction des œuvres majeures de la littérature mondiale. La traduction littéraire en Hongrie est actuellement en plein essor, ce dont nous pouvons nous réjouir. La mosaïque linguistique européenne Bien entendu, les pays anglophones ne sont pas les seuls à emprunter aux autres cultures et aux autres langues. Néanmoins, le continent européen est encore plus complexe en la matière et, dans certains cas, les facteurs ethniques peuvent avoir une influence décisive sur les décisions politiques concernant l’importation et l’exportation d’œuvres littéraires. Une fois de plus, le cas de la Macédoine est très instructif. Les subventions du gouvernement sont réparties en fonction de critères ethniques et de divers critères adoptés au préalable, plutôt que sur la base du mérite littéraire. Lorsque la question de la littérature nationale est débattue en Macédoine, elle concerne non seulement les ouvrages en macédonien, mais également ceux qui sont en albanais. Il n’est pas toujours facile de savoir si cela concerne les ouvrages écrits par des albanophones en Macédoine ou si cela inclut les Albanais du Kosovo et d’Albanie. Dans le cadre de la distribution équitable des subventions réalisée par le gouvernement, plus de 25 % du budget est automatiquement destiné à la traduction vers l’albanais et à partir de l’albanais. Par conséquent, les subventions disponibles pour les traductions vers le macédonien et à partir du macédonien sont moindres, ce qui affecte la promotion des ouvrages macédoniens à l’étranger. Le gouvernement belge soutient de la même façon deux littératures. Toutes deux rayonnent hors des frontières de la Belgique – le français intègre l’une des traditions littéraires les plus riches du monde, tandis que le flamand est compris dans l’ensemble du domaine linguistique néerlandophone, qui inclut les Pays-Bas. Selon Isabelle Rossaert, du PEN Club flamand, sans accès au marché néerlandais, l’industrie flamande de l’édition serait limitée à une toute petite région. Même s’il existe des tensions entre les communautés littéraires wallonne (francophone) et flamande, elles sont bien plus modérées qu’en Macédoine, où deux langues se disputent un très maigre budget. D’après Ferida ĐD - urakovićć, la situation du marché du livre en Bosnie-Herzégovine est catastrophique. Le marché est en effet minuscule et publier des livres en tirages limités coûte très cher. En outre, la population n’a guère les moyens d’acheter des manuels scolaires, et donc encore moins des ouvrages littéraires. Les éditeurs ont fait de timides tentatives pour élargir leurs marchés afin de toucher d’autres pays serbo-croatophones (Croatie, Serbie et Monténégro). Néanmoins, dans la mesure où tous ces pays sont peu ou prou dans la même situation économique et politique, les perspectives immédiates d’une telle stratégie ne sont guère favorables. Traduction littéraire : panorama international Avant la guerre civile en Yougoslavie, il existait en Bosnie-Herzégovine une association de traducteurs littéraires qui fonctionnait plutôt bien. Mais elle a été dissoute pendant la guerre et les traducteurs travaillent aujourd’hui de façon individuelle. Il n’existe pas de projet gouvernemental pour mener à bien la traduction d’importantes œuvres littéraires. En outre, la guerre civile a laissé de profondes cicatrices et des traductions – de mauvaise qualité – sont effectuées par des groupes ou des personnes qui prêchent pour leur intérêt ethnique et/ou idéologique. Seules quelques bonnes traductions se distinguent, notamment celles de Miljenko Jergović, Dževad Karahasan, Abdulah Sidran, Meša Selimović et Mak Dizdar. L’État ne fournit aucune aide. Le PEN Club bosniaque soutient que la Bosnie-Herzégovine est une création des accords de paix de Dayton, qui ne furent qu’une simple tentative de construction d’une nation. Ainsi, il est impossible d’attendre du gouvernement une réelle stratégie en matière de langues, de littératures nationales, ou même de libre-échange en ce domaine. Les facteurs politiques font des échanges littéraires avec les pays voisins et le reste du monde une véritable gageure. Le statut des traducteurs littéraires Bien que les œuvres traduites ne soient pas toujours des grands succès de librairie, un excellent réseau de bibliothèques garantit, en Macédoine et dans les pays similaires, la disponibilité de ces ouvrages pour des décennies. De plus, les traductions sont de très grande qualité et les tra- ducteurs jouissent d’un prestige considérable, même si leur travail est souvent peu rémunérateur. Il faut souligner ici que la situation des traducteurs n’est pas si différente au Royaume‑Uni. « Bien que notre situation soit loin d’être bonne, la plupart d’entre nous continuent de traduire correctement », déclare Amanda Hopkinson, qui travaille à Londres. Pourtant, les traducteurs de ce pays sont dans une position enviable si nous la comparons avec celle de leurs collègues australiens. Une des réponses au questionnaire apportées par l’Australie fait ainsi remarquer : « Il est généralement admis que la traduction est nécessaire pour les services aux immigrants. Ainsi, au cours des cinquante dernières années, elle s’est clairement orientée vers les services sociaux. » Dans son étude sur la France, Anne‑Sophie Simenel déclare que les traducteurs peuvent espérer gagner entre 2 925 euros et 3 375 euros€ pour un travail de 150 pages, sans compter les droits d’auteur moyens de 2 %. Le même travail serait payé 4 423 euros€ en Grande-Bretagne et 3 700 euros€ en Australie. D’après les chiffres fournis par Bas Pauw dans son étude de cas, les traducteurs établis aux Pays-Bas peuvent tabler sur une moyenne de 6 712 euros€ pour le même volume, entre la rémunération versée par l’éditeur et la bourse de traduction qui leur est accordée. Les chiffres relatifs aux autres pays sont de 2 100 euros€ pour la Slovénie, de 1 300 euros pour la Macédoine, de 1 000 euros pour la Hongrie et de 945 euros pour la Lituanie. Les chiffres varient donc énormément d’un pays à l’autre. 46 47 Les défis actuels Tous les PEN Clubs ayant répondu au questionnaire reconnaissent que le climat international est aujourd’hui à une plus grande réceptivité vis-à-vis des œuvres littéraires. Certains d’entre eux font remarquer que les organismes de promotion de la littérature nationale à l’étranger ont contribué de façon décisive à l’extension de la sphère d’influence du pays en question. Le PEN Club lituanien souligne que cet élargissement des horizons a joué un rôle important dans le changement de climat politique en Europe, dans la fin de la Guerre froide, dans l’intégration des anciens pays communistes dans l’Union européenne et dans le changement de perception de l’Europe de l’Est. Malgré de sérieux problèmes, les réponses des PEN clubs sont plutôt optimistes. Mais la mondialisation du marché du livre est de mauvais augure pour les œuvres littéraires. Bien trop souvent, l’intérêt pour la production littéraire des pays étrangers n’est rien de plus qu’un goût pour l’exotisme. Des membres du PEN Club australien soulignent sans fioritures que « le Royaume-Uni et les États-Unis font planer une ombre menaçante sur les pâturages australiens » et que c’est la raison pour laquelle les Australiens ne s’intéressent qu’aux ouvrages à « haute teneur en paysage australien ». Un phénomène similaire peut être observé en Europe de l’Est. La plupart des livres publiés aux États-Unis parlent des victimes du communisme, de censure, de répression et de l’effondrement économique qui a suivi la chute du régime soviéti- que. « Il est inutile d’importer des histoires d’amour ou d’autres frivolités de contrées lointaines, quelle que soit leur qualité, car nous avons ce qu’il nous faut à la maison », remarque ironiquement Andrej Blatnik, secrétaire du PEN club slovène. Le PEN Club anglais souligne l’augmentation du nombre de traductions. Mais, dans le domaine de la fiction, elles concernent des best-sellers tels qu’Harry Potter ou la série des Miss Marple. Les traductions d’essais ou de poésie britanniques sont beaucoup plus rares. Les œuvres d’Andrew Motion, un poète contemporain de renom, n’ont, par exemple, jamais été traduites. Quel pays est le mieux loti ? Le Royaume-Uni, avec seulement 2 % de traductions de littératures étrangères, ou la Slovénie, où plus d’un tiers des ouvrages publiés sont des traductions ? Aucun de ces deux extrêmes n’est souhaitable. Les lecteurs britanniques vivent dans un pays où il est très difficile de trouver des œuvres traduites et de découvrir une culture étrangère. Les Slovènes, quant à eux, lisent beaucoup d’auteurs étrangers, mais leurs propres écrivains sont traduits dans peu de langues. En dépit des progrès réalisés, l’ignorance mutuelle semble devoir persister pour de nombreuses années. On peut donc conclure en disant que le besoin de traduction littéraire est plus fort que jamais et que, dans certains cas, il s’agit d’un besoin pressant. PEN Clubs ayant participé à l’enquête : PEN CLUB AUSTRALIEN : Barbara McGilvray (présidente du groupe chargé de répondre au questionnaire, PEN Club de Sydney) ; Ivor Indyk, Nicholas Jose, Andrew Riemer, Chip Rolley et Julie Rose (PEN Club de Sydney) ; Judith Rodriguez (PEN Club de Melbourne) PEN CLUB LITHUANIEN : Laimantas Jonusys PEN CLUB MACÉDONIEN : Kata Kulavkova, présidente du Comité de la traduction et des droits linguistiques, PEN Club International PEN CLUB NÉO-ZÉLANDAIS : John C. Ross, président PEN CLUB BOSNIAQUE : Ferida D - uraković PEN CLUB ANGLAIS : Amanda Hopkinson, directrice du British Center for Literary Translation, Université de East Anglia (UEA) PEN CLUB PHILIPPIN : Isagani Cruz, secrétaire national PEN CLUB DE San Miguel de Allende (MexiQUE) : Lucina Kathmann, secrétaire PEN CLUB FLAMAND : Isabelle Rossaert PEN CLUB HONGROIS : János Benyhe, secrétaire général PEN CLUB JAPONAIS PEN CLUB secrétaire SLOVÈNE : Andrej Blatnik, 48 49 Questionnaire Voici le questionnaire qui a été soumis aux PEN Clubs : 1. Dans quelle mesure les écrivains de votre langue sont-ils traduits vers d’autres langues ? 2. Vers quelles langues sont-ils traduits ? 3. Quelle part des œuvres publiées dans votre pays chaque année sont des traductions littéraires d’ouvrages étrangers ? 4. Comment se porte le secteur de l’édition dans votre pays ? Quelle y est l’importance du marché des ouvrages traduits ? 5. Quelles évolutions le secteur de la traduction a-t-il connues dans votre pays, et quel est son statut à l’heure actuelle ? Le nombre de traductions depuis et vers votre langue a-t-il tendance à augmenter ou à décroître ? 6. Les ouvrages traduits bénéficient-ils d’une meilleure ou d’une moins bonne réputation que les ouvrages dont la langue originale est celle de votre pays ? 7. Les traducteurs sont-ils reconnus dans votre pays ? La traduction littéraire y est-elle considérée comme un art ou comme un exercice mécanique ? 8. Quel est le niveau de rémunération d’un traducteur littéraire dans votre pays ? 9. À quels critères de rémunération les traducteurs de votre pays sont-ils soumis ? Par exemple, les coefficients divergent-ils selon qu’il s’agit d’une traduction entre deux langues parlées dans votre pays ou d’une traduction vers/depuis une langue considérée comme dominante ? 10. Votre gouvernement encourage-t-il la traduction littéraire, aussi bien vers que depuis votre langue nationale ? 11. Existe-t-il une organisation indépendante, telle qu’une fondation, par exemple, qui œuvre à promouvoir la traduction de votre ou vos littératures nationales ? Traduction littéraire : panorama international 12. D’après vous, le contexte international influence-t-il de manière favorable ou de manière défavorable l’accueil réservé à vos écrivains ? 13. Dans quelle mesure la traduction vers l’anglais des œuvres de vos écrivains peut-elle influencer le déroulement de leur carrière ? Quelle proportion est effectivement traduite vers l’anglais ? 14. Veuillez citer des ouvrages de la littérature de votre pays – aussi bien des œuvres classiques que des œuvres contemporaines – qui n’ont pas été traduits vers d’autres langues autant qu’ils le mériteraient selon vous. 15. Veuillez indiquer des exemples de bonnes pratiques ayant trait à la circulation de la littérature en version traduite, que ce soit vers ou depuis votre langue. 16. Existe-t-il dans votre pays un système de prix ou de récompenses visant à encourager le travail des traducteurs littéraires ? 17. La publication bilatérale/multilatérale d’ouvrages traduits à échelle internationale suscite-elle de l’intérêt dans votre pays ? 18. Existe-t-il dans votre pays un système visant à encourager la traduction réciproque avec d’autres pays ? 19. Le secteur de l’édition de votre pays soutient-il la traduction, par exemple par le biais de librairies spécialisées dans la littérature étrangère ou par l’allocation de moyens pour la promotion de la traduction dans les médias et de la critique d’ouvrages traduits ? 20. Combien de membres de votre PEN Club sont traducteurs ? 3. Six études de cas sur la traduction littéraire Ce chapitre décrit et analyse les pratiques en vigueur en matière de traduction littéraire dans six pays (Pays-Bas, Argentine, Catalogne, Allemagne, Chine et France). Il s’agit de cinq États et d’une nation sans État, la Catalogne, dont le cas est similaire à celui de la Flandre dans le questionnaire des PEN Clubs. 3.1 Les Pays-Bas Bas Pauw, Fondation pour la production et la traduction de la littérature néerlandaise, Amsterdam La traduction de la littérature néerlandaise dans d’autres langues Malgré les importants efforts réalisés ces quinze dernières années pour rétablir la situation, et bien que la situation soit très différente dans un grand nombre de pays, les auteurs néerlandais restent en général relativement invisibles dans la République internationale des lettres. Néanmoins, on peut et doit faire une exception pour quelques auteurs (Cees Nooteboom, Harry Mulisch, Arnon Grunberg sont des auteurs relativement connus à l’échelle internationale) et pour un pays comme l’Allemagne, où la littérature néerlandaise a été importée avec beaucoup de succès, en particulier depuis la Foire du livre de Francfort de 1993, qui mettait à l’honneur la littérature néerlandaise, et depuis la création en 1991 de la Fondation pour la production et la traduction de la littérature néerlandaise, active dans la promotion de la littérature néerlandaise à l’étranger. Même si la littérature néerlandaise fait relativement profil bas dans le monde, le spectre des langues de traduction est assez large. Il est difficile de trouver une des principales langues du monde dans laquelle une œuvre en néerlandais ne soit pas traduite. Le Journal d’Anne Frank est sans doute 52 53 l’un des livres les plus largement traduits au monde. Les philosophes hollandais Érasme et Spinoza sont également connus dans le monde entier, mais ils écrivaient en latin et non en néerlandais. La traduction d’œuvres étrangères en néerlandais Il est difficile de connaître exactement le pourcentage de traductions littéraires d’autres langues vers le néerlandais parmi les livres publiés chaque année dans le pays. Il n’existe pas de chiffres récents exacts en ce domaine. Les derniers chiffres fiables et détaillés datent de l’année 1996. Cette année-là, 651 œuvres de fiction en néerlandais ont été publiées : romans, nouvelles et courts romans. La même année, 774 œuvres de fiction traduites ont été publiées par des éditeurs néerlandais. Les romans policiers et les romans à suspense ne sont pas compris dans ces chiffres. Ces chiffres proviennent de la Stichting Speurwerk betreffende het boek (Fondation pour la recherche sur les livres), basée à Amsterdam (www.speurwerk.nl). On peut en déduire un pourcentage de 45 % de traductions sur le total des œuvres de fiction publiées en néerlandais. Les œuvres traduites peuvent avoir un peu plus de prestige que les œuvres écrites en néerlandais en version originale. Cela peut s’expliquer par le fait que la traduction de littérature étrangère fait office de filtre : seules les meilleures œuvres parviennent sur le marché néerlandais sous forme de traductions. Néanmoins, ces dernières années, les Néerlandais semblent prendre conscience que leur littéra- ture n’est pas forcément de moins bonne qualité que les « grandes » littératures internationales avoisinantes (française, allemande, anglaise ou américaine). La traduction littéraire n’est considérée ni comme un art ni comme une tâche, mais plutôt comme une compétence fortement valorisée et comme une profession. La plupart des traducteurs littéraires aux PaysBas peuvent vivre de leur travail, même si leurs revenus ne sont pas démesurés, alors que, dans d’autres pays, une grande partie des traducteurs littéraires est obligée de cumuler cette activité avec d’autres emplois. Le travail réalisé par le traducteur littéraire n’est pas toujours mentionné dans les critiques d’œuvres traduites, sauf dans une perspective négative. Nos principaux écrivains produisent très peu de traductions littéraires eux-mêmes, comme c’était le cas dans les années 1960 et 1970. Mais certains de nos célèbres poètes réalisent également des traductions de poésie. Le soutien financier à la traduction Le soutien financier à la traduction de la littérature néerlandaise provient de la Fondation pour la production et la traduction de la littérature néerlandaise, mentionnée plus haut, qui est basée à Amsterdam et financée par le ministère de la Culture et de l’Éducation. La Fondation joue un rôle actif dans la promotion de la littérature néerlandaise à l’étranger et offre un soutien financier aux éditeurs étrangers souhaitant publier une œuvre de littérature néerlandaise. Ce soutien financier s’applique aux œu- Six études de cas sur la traduction littéraire vres de fiction, aux autres ouvrages de qualité, à la poésie et à la littérature pour enfants. Sous réserve que certaines conditions soient remplies, la Fondation peut subventionner jusqu’à 70 % des coûts de traduction. Ces conditions portent sur la qualité de l’œuvre littéraire en question, sur la qualité du traducteur et sur la qualité et l’importance de la maison d’édition. Cette politique de traduction est le principal organe de notre programme de financement. Elle s’accompagne de quelques autres « outils » que nous utilisons en lien étroit avec cet objectif : – présence lors de toutes les grandes foires du livre (Francfort, Londres, Bologne), un excellent réseau regroupant tous les éditeurs de littérature du monde entier, et un ferme engagement à maintenir et étendre ce réseau ; – programme Auteurs, qui soutient les auteurs néerlandais publiés à l’étranger (festivals littéraires, stages et tournées de promotion) ; – programme Visiteurs, dans le cadre duquel huit à dix éditeurs sont invités chaque année à venir passer quelques jours à Amsterdam pour rencontrer les éditeurs littéraires néerlandais ; – organisation de manifestations littéraires à l’étranger, afin d’améliorer la visibilité et le profil international des auteurs néerlandais ; – publications en anglais présentant les nouveaux titres de littérature néerlandaise : Books from Holland and Flanders, Quality Non-fiction from Holland et Children’s Books from Holland, qui sont publiés deux fois par an ; – site Internet bien conçu, informatif et mis à jour régulièrement, permettant d’accéder à toutes sortes de renseignements sur la littérature néerlandaise et de consulter une importante base de données répertoriant toutes les traductions de littérature néerlandaise ; – Maison des traducteurs, gérée par la Fondation, où cinq traducteurs de littérature néerlandaise peuvent vivre et travailler pendant une période d’un ou deux mois à l’invitation de la Fondation, et qui organise aussi régulièrement des ateliers pour les traducteurs littéraires, consacrés à une langue cible spécifique et animés par un traducteur chevronné, dans le but de partager des expériences et de promouvoir le contact entre les traducteurs. Vous pouvez consulter le site www.nlpvf.nl pour en savoir plus sur cette politique et sur les activités de la Fondation. En ce qui concerne l’aide à la traduction vers le néerlandais, il n’existe pas de soutien aux éditeurs néerlandais souhaitant publier une œuvre contemporaine de littérature étrangère (à moins qu’ils ne fassent appel à des institutions similaires à l’étranger, telles que le Goethe Institut/ Inter Nationes, le Svenska Institutet, etc.). En revanche, il existe une aide pour les traducteurs traduisant une œuvre littéraire vers le néerlandais : ils peuvent postuler pour obtenir des bourses de traduction ou des bourses de voyage. Les bourses de traduction s’élèvent en moyenne à 2 500 euros pour 30 000 mots, en fonction de la qualité de la traduction et de la qualité de l’œuvre originale. Ces bourses 54 55 servent à compléter la somme payée par l’éditeur au traducteur, qui est basée sur un tarif fixe de 0,059 euros par mot. Ces subventions de traduction proviennent de la Fondation pour la littérature néerlandaise, une autre fondation qui fournit également des bourses aux auteurs. Pour en savoir plus, consultez le site Internet www.fondsvoordeletteren.nl. Acceptation des auteurs néerlandais à l’étranger La prédominance de la littérature anglosaxonne sur le marché international du livre est un fait avéré et ne semble pas cesser de croître. Pour le marché néerlandais, cela signifie que les éditeurs ont plus tendance à publier un énième représentant de la chicklit anglaise qu’un chef-d’œuvre de la littérature allemande. Ce mécanisme est certainement aussi visible dans d’autres pays, ce qui diminue les chances de la littérature néerlandaise d’être traduite à l’étranger. Cependant, nous avons l’impression que l’intérêt pour la littérature néerlandaise à l’étranger continue à croître – sans doute en partie grâce aux efforts réalisés ces douze dernières années. Les principaux éditeurs de pays tels que la France, l’Allemagne, l’Italie et les pays scandinaves sont fiers de publier des auteurs néerlandais – et de publier non pas un seul roman, mais leurs œuvres complètes. Les pays d’Europe de l’Est semblent résister de plus en plus à la domination de l’anglais en traduction littéraire, et certains éditeurs se montrent plus enclins à faire traduire des œuvres issues de littératures européennes de moindre importance. De même, de nouveaux marchés, plus excitants, tels que la Chine et, dans une moindre mesure, l’Inde, font preuve d’un fort intérêt pour l’ensemble de la littérature étrangère, y compris la littérature néerlandaise. On peut avancer sans se tromper que, dans le climat international actuel, il est presque impossible, pour un auteur littéraire écrivant dans une langue à faible rayonnement, de trouver un lectorat international par ses propres moyens – sans un puissant agent littéraire ou sans une institution lui apportant un soutien financier et un certain contexte et attirant l’attention du reste du monde sur le livre ou son auteur dès le départ. L’importance de la traduction vers l’anglais Avec 16 millions de néerlandophones aux Pays-Bas et 6 millions en Flandre (la partie néerlandophone de la Belgique), le néerlandais représente en réalité l’une des plus grandes régions linguistiques d’Europe. Néanmoins, une traduction en allemand d’un roman néerlandais permet presque de multiplier par cinq le lectorat potentiel de son auteur – et cela est d’autant plus valable pour une traduction en anglais. Une traduction en anglais d’un roman néerlandais peut être repérée par d’autres éditeurs internationaux et sert ainsi de relais vers de futures traductions. Outre cela, une traduction anglaise a bien entendu plus de prestige qu’une traduction en lituanien, avec tout le respect que nous devons à cette langue. Elle ouvre les portes de la « République internationale des lettres » à son auteur. Il lui devient Six études de cas sur la traduction littéraire ainsi possible de faire l’objet d’une critique ou d’être cité dans l’une des revues par lesquelles la République des lettres communique : le Times Literary Supplement, le New York Times Review of Books, le New Yorker etc. Un nombre non négligeable de livres en néerlandais ont été traduits au Royaume-Uni et aux États-Unis ces dernières années : des œuvres, entre autres, de Tim Krabbé, Arthur Japin, P. F. Thomése, Peter Verhelst, Renate Dorrestein. De même, les ouvrages non fictionnels de qualité ont également rencontré un grand succès ces dernières années. Mais rares sont les auteurs contemporains importants écrivant en néerlandais qui ont trouvé une « maison », au sens d’un éditeur anglais ou américain prêt à publier leur œuvre et leur futur travail, à la seule exception de Cees Nooteboom, Harry Mulisch, Hugo Claus et Margriet de Moor. Les œuvres littéraires en néerlandais en attente de traduction Comme nous l’avons mentionné plus haut, les œuvres de fiction néerlandaises sont relativement bien traduites dans les autres langues. Mais certains romans classiques néerlandais du xxe siècle seraient certainement aussi devenus des classiques de la littérature mondiale s’ils avaient été écrits en anglais. Max Havelaar, écrit à la fin du xixe siècle par Multatuli, est le grand classique de la littérature néerlandaise par excellence. Ce roman, qui se déroule en Indonésie, ancienne colonie des Pays-Bas, est une féroce mise en accusation de la politique coloniale néerlandaise. Il s’agit également d’un roman extrêmement moderne, qui a changé la forme du roman néerlandais de façon drastique. Malgré sa publication dans la collection Penguin Classics, cette œuvre n’a jamais reçu la reconnaissance internationale qu’elle mérite. Les œuvres des célèbres romanciers néerlandais Louis Couperus (1863-1923) et Simon Vestdijk (1898-1971) ont été très peu traduites dans d’autres langues, et seulement par de petites maisons d’édition. La littérature néerlandaise d’aprèsguerre est dominée par les « trois grands », Willem Frederik Hermans, Gerard Reve et Harry Mulisch, auxquels viennent souvent s’ajouter Cees Nooteboom, Jan Wolkers et Hella Haasse. Parmi ces auteurs, Nooteboom, Mulisch, Wolkers et Haasse ont été plutôt bien traduits. En revanche, les œuvres de Hermans et de Reve ont à peine été traduites, si ce n’est pas du tout. Il ne fait pourtant aucun doute que leur œuvre compte parmi la meilleure littérature écrite au xxe siècle. Ce n’est qu’aujourd’hui, dix ans après sa mort, que les traductions allemande et anglaise de l’œuvre de Hermans sont publiées et rencontrent un succès raisonnable. La prose exquise de Gerard Reve (souvent considérée comme « intraduisible »), qui compte de nombreux adeptes aux Pays-Bas et en Flandre, reste malheureusement un joyau caché aux yeux du reste du monde. La négligence dont souffre la poésie néerlandaise est sans doute encore plus poignante. J. M. Coetzee a récemment traduit et préfacé un volume de poésie néerlandaise, Landscape With Rowers (Princeton University Press, 2003), contenant 56 57 des textes de célèbres poètes néerlandais d’après-guerre, tels que Gerrit Achterberg, Hans Faverey et Rutger Kopland. Mais l’œuvre des poètes d’avant-guerre Martinus Nijhoff (1894-1953) et J. H. Leopold (1865-1925) reste à découvrir par les lecteurs de poésie du monde entier. Joseph Brodsky, qui a découvert l’œuvre de Martinus Nijhoff grâce à un ami proche néerlandais, a été très impressionné et a inclus, dans son cours sur la poésie internationale à lire absolument, l’un des plus longs poèmes de Nijhoff, le superbe Awater. Il est un peu plus rassurant que Leopold soit à peine traduit, étant donné que sa poésie semble impossible à traduire – à tel point que le principe un peu exagéré de Robert Frost selon lequel « la poésie est ce qui se perd dans la traduction » semble soudain vrai. En effet, la poésie de Leopold joue presque exclusivement avec les possibilités et les limites de la langue néerlandaise, un peu de la même façon que James Joyce le fit avec la langue anglaise dans Finnegan’s Wake. 3.2 L’Argentine Gabriela Adamo, éditrice et directrice de la Foire du livre de Buenos Aires « Publisher’s Week », Fondation Typa, Buenos Aires Édition et traduction L’édition à Buenos Aires, comme à Mexico, a eu son âge d’or entre la fin des années 1940 et le début des années 1960. En effet, la dictature de Franco a obligé les meilleurs éditeurs espagnols à chercher refuge de l’autre côté de l’Atlantique, où ils ont créé des maisons d’édition et commencé à in- troduire dans le pays les plus éminents écrivains en langue espagnole ainsi que les principaux auteurs d’Europe et des ÉtatsUnis. Faulkner, Baudelaire, Malraux, Virginia Woolf, Genet, Greene, Henry James et bien d’autres ont été traduits en Amérique latine avant d’être traduits en Espagne1. Ce phénomène serait impensable aujourd’hui. Les dictatures militaires et les crises économiques qui ont dévasté l’Amérique latine pendant des décennies ont finalement causé la ruine des éditeurs locaux, tandis que la reconstruction de l’Espagne et son adhésion à la Communauté économique européenne comme membre à part entière en ont fait un nouveau chef de file – du moins en termes commerciaux – dans le monde du livre en espagnol. Dans le domaine de la traduction, la concurrence est très inégale étant donné que les sociétés espagnoles bénéficient non seulement de moyens plus importants (les devises dévaluées de plusieurs pays d’Amérique latine doivent affronter l’euro dans les enchères pour les droits de traduction), mais aussi d’une position géographique et « psychologique » plus proche de leurs homologues anglais, français et allemands. Ces conditions sont également valables en sens inverse. En effet, lorsqu’ils évaluent quels livres écrits à l’origine en espagnol pourraient être traduits, la plupart des grands éditeurs mondiaux se tournent vers les catalogues et les critiques d’Espagne. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les auteurs latino-américains cherchent désespérément à faire publier leurs œuvres en Espagne, pays qu’ils considèrent Six études de cas sur la traduction littéraire comme la seule véritable porte d’entrée vers le monde littéraire international. Sans la moindre considération pour son niveau de culture, un grand nombre de personnalités du milieu international de l’édition ne voient en l’Amérique latine qu’une grande arrière-cour de l’Espagne. Il n’y a pas lieu ici de retourner la question dans tous les sens et d’évaluer le degré de responsabilité de chaque partie dans la création de cette situation. Il ne fait aucun doute que les faibles normes professionnelles qui ont été à l’ordre du jour pendant plusieurs années dans les maisons d’édition d’Amérique latine et, en particulier, l’indifférence des gouvernements de ces pays à l’égard des affaires culturelles sont pour beaucoup dans la transformation drastique qu’a subie l’âge d’or évoqué plus haut. Cependant, il convient peut-être d’affirmer ici que tout n’est pas perdu. La littérature et le monde de l’édition en Argentine font toujours preuve d’une grande vitalité, et ceci aussi bien en termes de qualité que de degré de sensibilité. Certes, beaucoup de travail et de soutien à des projets intelligents pensés sur le long terme reste nécessaire, mais il est toujours temps pour que de telles mesures d’encouragement portent leurs fruits. Le marché argentin de l’édition se compose de quelques grosses maisons d’édition transnationales et d’un nombre croissant d’entreprises indépendantes qui ont des perspectives d’avenir variables. Il reste également quelques sociétés de taille moyenne qui, comme cela a déjà été le cas en Europe et aux États-Unis, sont destinées à être absorbées, tôt ou tard, par l’un des « gros poissons ». Les « gros poissons » dominent le marché ; c’est pourquoi leurs politiques commerciales ont une énorme influence sur l’offre actuelle. Jusqu’en 2001, avant la dévaluation, il était très facile pour eux d’importer des livres venus d’Espagne. Pour cette raison, l’offre était abondante et variée (même si, bien sûr, les librairies étaient inondées d’invendus de toutes sortes impossibles à écouler dans les grandes villes). Après la dévaluation, et donc avec l’apparition de nouveaux taux de change, ces livres sont devenus extrêmement chers et les importations ont immédiatement cessé. Cela a débouché sur un protectionnisme « naturel » permettant une présence accrue de petits éditeurs (auxquels il était auparavant pratiquement impossible de se faire une place pour présenter leurs livres) et obligeant les « gros poissons » à se concentrer davantage sur la production littéraire locale (en signant des contrats avec plus d’auteurs, de traducteurs, de relecteurs, etc.). Dans ce contexte, acquérir des droits de traduction et traduire en Argentine est redevenu une option attractive, comme le montrent les statistiques. Sur les 16 638 titres publiés en 2004, 2 318 étaient des traductions, ce qui représente environ 14 % du total. La langue la plus traduite est bien évidemment l’anglais (avec 1 139 titres), suivi loin derrière par le français (331), l’allemand (207) et le japonais (147). Il est étonnant que le japonais soit devant l’italien (avec seulement 116 titres) si l’on se souvient du lien culturel étroit qui a toujours existé entre l’Argentine et l’Italie. 58 59 Néanmoins, en règle générale, il s’agit d’un domaine riche et varié étant donné que la longue liste des langues traduites comprend le danois, l’hindi, le basque, l’hébreu, le tchèque et même le chinois2. Les traducteurs, entre prestige et invisibilité Le lectorat argentin ne fait pas la moue devant les traductions. Au contraire, il a toujours admiré et s’est toujours senti proche de la littérature étrangère, en particulier de la littérature européenne. En effet, comme l’a fait remarquer l’écrivain et traducteur Marcelo Cohen, « le fait que certains auteurs internationaux de premier rang réalisent de meilleures ventes en Argentine qu’en Espagne (Ian McEwan et Bernhard Schlink, par exemple) montre que la tradition d’indépendance des lecteurs argentins à l’égard des diktats internationaux est toujours bien vivante ». On peut imaginer que ce phénomène est étroitement lié au fait que la population argentine est en grande partie composée d’immigrants qui ont gardé le contact avec leur langue d’origine pendant plusieurs générations au lieu de se fondre à la hâte dans un melting pot à l’américaine. En Argentine, les différents groupes de population chérissent leurs traditions et entretiennent leurs coutumes depuis longtemps, en formant des clubs, des écoles et même leurs propres hôpitaux, favorisant ainsi le respect et la curiosité pour ce qui est pensé et écrit dans leur pays d’origine. Grâce à ces lecteurs qui, du fait de leur situation familiale, ont pris en grandissant l’habitude de lire dans deux langues – ou, tout au moins de les entendre dans leur environnement quotidien –, le pays a vu apparaître nombre de bons traducteurs. L’Argentine a une liste considérable d’auteurs qui, à un certain moment de leur carrière, ont également fait de la traduction. Jorge Luis Borges est sans conteste le plus célèbre d’entre eux. C’est notamment à lui que nous devons de pouvoir lire Les Palmiers sauvages de Faulkner et La Métamorphose de Kafka en castillan. José Bianco, Victoria Ocampo et María Rosa Oliver appartiennent à la même génération. Cette tradition est toujours vivante aujourd’hui, avec des auteurs comme César Aira, Marcelo Cohen et Esther Cross, entre autres. L’importance d’avoir des traducteurs qui sont en même temps des références majeures dans le domaine culturel – et qui suscitent par conséquent un intérêt pour les auteurs qu’ils traduisent – est très bien décrite dans l’ouvrage La Constelación del Sur de Patricia Willson. Il existe également une relation forte entre la traduction, la critique littéraire et les milieux universitaires. Presque tous les traducteurs actuels d’œuvres littéraires ou d’essais sont hautement qualifiés et passent une bonne partie de leur temps à l’université ou plongés dans leurs propres recherches. Il est évident que personne ne considère la traduction comme une activité mécanique. Dans ces conditions, il peut sembler logique de penser que les traducteurs occupent une position privilégiée dans le milieu culturel argentin. Or, c’est loin d’être le cas. Les traducteurs remplissent ici leur mission à la lettre : se rendre invisibles, ne pas exister et ne pas réclamer. Ils sont à peine Six études de cas sur la traduction littéraire cités dans les remerciements (et jamais en couverture), et rares sont les notes bibliographiques qui mentionnent leur nom. Les critiques n’incluent pas non plus dans leurs textes la moindre évaluation ou observation sur la qualité de la traduction3. La situation est encore plus grave en ce qui concerne les conditions de travail. En général, les traducteurs sont très mal payés, ils ne signent pas de contrats avec leur éditeur ou, s’ils le font, ils doivent accepter des conditions très contraignantes, notamment la cession des droits d’auteur. Cela signifie que l’éditeur peut réimprimer la traduction autant de fois qu’il l’estime nécessaire ou la vendre pour une utilisation dans d’autres pays ou sous d’autres formats, sans que le traducteur ne reçoive le moindre centime. Il n’existe pas en Argentine de syndicat ou d’association de traducteurs susceptible de lutter pour ces droits. Les espoirs sont donc bien minces quant à une évolution de la situation dans un avenir proche. Selon Marcelo Cohen, les traducteurs « ont toujours été assez mal traités ». La situation a empiré dans les années 1980 et 1990, lorsque « les mauvais traitements et la négligence sont devenus monnaie courante sous le prétexte de problèmes économiques, avec la complicité des journalistes et des critiques de livres, qui fermaient les yeux sur l’importance réelle, matérielle de la traduction ». Le manque de soutien de la part de l’État À cela vient s’ajouter l’absence quasi-totale de soutien aux activités d’édition de la part de l’État, qui se limite à accorder de rares subventions réservées aux auteurs et aux éditeurs, sans la moindre considération pour les traducteurs. Il n’existe pas non plus de prix ou de concours, de quelque sorte que ce soit, susceptible de représenter une forme d’encouragement, ne serait-ce que « moral ». Certains ont avancé à titre d’explication que la traduction implique un long processus, alors que les politiques publiques locales et les stratégies de marketing ont pour objectif d’avoir un fort impact en le moins de temps possible. Cette explication n’a évidemment rien à voir avec une évaluation véritablement culturelle. Ce manque de soutien est confirmé par le peu d’efforts réalisés pour faire connaître les auteurs argentins à l’extérieur du pays. Tout d’abord, il n’existe pas de statistiques sur le nombre de livres d’écrivains argentins traduits dans d’autres langues. Seules quelques listes incomplètes produites par des personnes ou des institutions concernées sont disponibles, et elles se limitent toujours à des contacts plus ou moins directs. Apparemment, sur les quelques œuvres argentines qui ont été traduites, la majorité ont été publiées en français et en portugais (au Brésil) puis, peut-être, en allemand ou en italien. L’impression générale qui se dégage est qu’il est très difficile pour un livre argentin de percer sur le marché anglophone, même si tout le monde s’accorde bien sûr à dire que c’est le but ultime, puisque toutes les portes s’ouvriraient alors pour les autres langues. Pour un auteur, quel qu’il soit, la traduction de son œuvre est extrêmement 60 61 importante. Elle lui permet notamment de se faire connaître à l’extérieur du pays, lui rapporte des revenus supplémentaires, lui confère un certain prestige et une confiance pour continuer à écrire et à se faire publier, et lui permet de voyager et d’avoir des contacts en dehors du pays. Si tout ceci est essentiel pour tous les auteurs, cela l’est encore plus pour ceux qui travaillent dans un pays « périphérique » comme l’est l’Argentine. Pour illustrer les difficultés à réaliser ces traductions, il suffit de constater que les maisons d’édition latino-américaines n’ont pas de départements de droits étrangers. En d’autres termes, personne n’est responsable en permanence de la promotion internationale dans les maisons d’édition. Il n’existe pas non plus d’agents littéraires vraiment influents dans la région. Les principaux agents se trouvent en Espagne. En général, cela s’explique par le coût astronomique des frais liés à ce travail par rapport aux résultats minimes obtenus. Il est possible qu’une « question culturelle » soit également en jeu ici, parce que nous n’avons pas coutume de faire la promotion de nos produits sérieusement et sur une longue période. Il est inutile de préciser qu’il n’existe pas en Argentine d’activité systématique, gérée par l’État, de promotion internationale, comparable avec les programmes mis en place au Brésil et au Mexique (subventions de traduction, bourses de voyage pour les auteurs, etc.). Nouvelles initiatives J’aimerais mentionner deux exceptions, sous la forme de nouvelles initiatives appa- rues ces dernières années, qui nous donnent des raisons d’être un peu plus optimistes : 1) Le travail d’un groupe de maisons d’édition qui ont créé un bureau commun de droits étrangers appelé Letras Argentinas. Ces éditeurs ont publié leur premier catalogue à l’intention des éditeurs d’autres pays, ont participé à la Foire du livre de Francfort et sont en train de mettre en place d’autres stratégies promotionnelles. 2) Le programme « Semana de Editores » (Semaine des éditeurs), qui est organisé par la Fondation TyPA. Depuis quatre ans, cette fondation invite chaque année dix éditeurs étrangers à Buenos Aires afin de leur faire connaître de première main la vie littéraire en Argentine, dans l’espoir que, de retour dans leur pays, ils feraient activement la promotion de la traduction des œuvres argentines. Ces deux initiatives sont des paris à long terme, semés de difficultés, mais il ne fait aucun doute que les activités spécifiques de ce genre sont les seuls moyens vraiment efficaces de faire connaître la littérature d’un pays au reste du monde. Nous nous efforçons d’atteindre cet objectif, dans l’espoir de voir bientôt plus de traductions des auteurs argentins classiques du xxe siècle – Roberto Arlt, Rodolfo Walsh, Leopoldo Marechal, Silvina Ocampo, Antonio Di Benedetto, Juan José Saer, pour n’en citer que quelques-uns – et des écrivains qui sont aujourd’hui à l’apogée de leur production – Marcelo Cohen, Rodolfo Six études de cas sur la traduction littéraire Fogwill, Abelardo Castillo, Hebe Uhart, Eduardo Belgrano Rawson, entre autres. Quant aux jeunes auteurs, il y a parmi eux de nombreux talents prometteurs. La meilleure façon de s’en convaincre est d’aller flâner dans les librairies toujours bien fournies de Buenos Aires. 3.3 La Catalogne Carme Arenas et Simona Škrabec, traductrices et membres du PEN Club catalan La Catalogne dispose de son propre gouvernement autonome au sein de l’État espagnol. La langue de ce territoire comptant près de sept millions d’habitants jouit désormais d’un statut officiel. Le catalan, une langue romane qui joua un grand rôle dans la construction de l’imaginaire européen, cohabite donc aujourd’hui dans un système bilingue avec la langue officielle de l’Espagne, le castillan4. Malgré la population réduite de la Catalogne, le catalan est la langue minoritaire la plus parlée en Europe, avec plus de douze millions de catalanophones potentiels si l’on compte la population de la région de Valence et celle des îles Baléares (en Espagne), la population de la Catalogne du Nord (dans les Pyrénées-Orientales, en France), celle d’Alghero (en Sardaigne) et celle de l’Andorre (pays indépendant ayant le catalan comme seule langue officielle). Les habitants de la Catalogne connaissent les deux langues, en particulier depuis le nouveau statut officiel du catalan, mis en place dans les écoles ces dernières années, grâce auquel tous les plus jeunes habitants du pays possèdent des compétences lin- guistiques à l’oral et à l’écrit dans cette langue. Cela signifie également que les deux langues s’influencent entre elles. Cependant, le fait que la langue officielle de l’État espagnol soit le castillan (appelé aussi « espagnol ») assure à cette dernière langue une énorme influence dans tous les domaines. Il est significatif, au regard de la situation du livre en catalan, que le secteur de l’édition, aussi bien en catalan qu’en espagnol, soit traditionnellement concentré en Catalogne, et plus particulièrement à Barcelone. Barcelone est la capitale de l’édition en espagnol, tout en étant, bien entendu, également celle de l’édition en catalan. La traduction de la littérature catalane en espagnol Il n’y a donc rien de surprenant à ce qu’une grande partie des ouvrages en catalan finissent par être traduits en espagnol. Selon l’Index Translationum, sur le total des traductions à partir du catalan, 91 % sont faites vers l’espagnol. Selon les dossiers de TRAC5, un peu plus de 200 titres de tous les genres ont été traduits du catalan à l’espagnol entre 1998 et 2003. Il y a plus d’œuvres littéraires traduites vers l’espagnol que vers toutes les autres langues réunies. La majorité – de loin – des œuvres de prose traduites en espagnol sont publiées en Catalogne. Cependant, seule une partie du canon littéraire catalan est représentée dans les traductions vers l’espagnol. En effet, les traductions d’auteurs classiques sont très rares, tandis que les classiques modernes ne représentent que 23 % des traductions vers l’espagnol. Par conséquent, la plus grande partie des traductions vers l’espagnol por- 62 63 tent sur des œuvres d’écrivains vivants (77 %). Dans de nombreux cas, il s’agit d’auteurs de livres pour enfants, de romanciers ou de personnalités très médiatisées. Mais il existe également des auteurs qui s’engagent simultanément dans les deux littératures et qui publient généralement leurs nouveaux livres en catalan et en espagnol. En outre, dans les années 1990, certains éditeurs qui ne publiaient auparavant qu’en catalan ont commencé à faire paraître simultanément des versions en catalan et en espagnol des œuvres de leurs auteurs. Seuls quelques écrivains catalans contemporains, parmi ceux qui sont les plus traduits en espagnol, ont également une présence internationale, comme Mercè Rodoreda. En effet, apparaître sur la scène littéraire espagnole n’est pas une garantie de renommée internationale. L’inverse n’est pas toujours vrai non plus, puisqu’il arrive qu’une œuvre catalane soit traduite dans d’autres langues qui n’ont pas ou peu de résonance dans les autres langues d’Espagne (comme c’est le cas pour Baltasar Porcel et Jaume Cabré). Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, l’espagnol ne fonctionne pas comme un tremplin pour l’introduction d’un livre sur les marchés d’autres langues. La traduction en espagnol ne garantit pas non plus qu’une œuvre écrite à l’origine en catalan sera nécessairement acceptée comme appartenant au système littéraire espagnol. La traduction de la littérature catalane dans d’autres langues Entre 1998 et 2003, des livres écrits en catalan ont été traduits en vingt-quatre langues différentes. Si nous nous limitons aux traductions d’œuvres de littérature catalane qui sont répertoriées dans les archives de TRAC, il convient de remarquer que l’anglais arrive de justesse en troisième place derrière le français et l’allemand. De plus, parmi les traductions littéraires récentes se trouve un nombre relativement important de livres en anglais, bien qu’ils aient été publiés en Catalogne. Le but est d’utiliser l’anglais comme langue relais, mais il n’y a aucune raison de croire que les livres traduits en anglais ont suscité le moindre intérêt pour la littérature catalane dans les autres langues, comme le confirme l’exemple de la traduction de Tirant lo Blanc en anglais. Bien que la traduction en anglais de ce roman de chevalerie classique ait mené à une traduction indirecte en finnois, aucun autre écrivain catalan n’a été traduit en Finlande. Toutes les autres traductions de Tirant lo Blanc ont été réalisées par des personnes connaissant bien la langue et la littérature catalanes, qui n’ont pas eu besoin de travailler à partir d’une version relais dans une autre langue. En revanche, les traductions françaises et allemandes d’œuvres littéraires catalanes, publiées par d’importantes maisons d’édition, ont donné un élan considérable à la promotion de la littérature catalane dans les autres langues. De nombreux traducteurs d’œuvres écrites en catalan sont devenus des ambassadeurs de la littérature catalane dans leurs propres pays. Grâce à leur travail en tant que traducteurs ou en tant que professeurs d’université, ils ont contribué de façon décisive au rayonnement de la littérature catalane dans d’autres pays. Ces Six études de cas sur la traduction littéraire traducteurs travaillent presque toujours directement à partir du catalan, et leurs traductions sont diffusées dans de plus en plus de pays à mesure que de nouveaux spécialistes découvrent le patrimoine littéraire catalan. Une évolution des stratégies promotionnelles est cependant clairement visible en ce qui concerne les œuvres narratives. Les maisons d’édition, aussi bien publiques que privées, lancent sur la scène internationale des œuvres littéraires spécifiques, des romans ou, parfois, des recueils de nouvelles, qui sont assez solides pour fonctionner sans connaître le contexte culturel dans lequel elles ont été créées. Dans ce cas, les œuvres littéraires jouent véritablement un rôle d’ambassadeurs. Les romans de Mercè Rodoreda ont été les premiers à offrir une nouvelle image, différente, de l’Espagne à de nombreux lecteurs du monde entier, mais beaucoup d’autres œuvres emblématiques ont suivi le même chemin – notamment la description de la guerre civile par Jesús Moncada dans Les Bateliers de l’Èbre, traduit en près de quinze langues, ou les nouvelles de Quim Monzó qui dénoncent la déshumanisation de la vie dans les grandes villes. Dans le domaine de la littérature destinée à un public plus large, des stratégies commerciales efficaces ont été mises en œuvre, en particulier lorsque les éditeurs étrangers acquièrent les droits de traduction pour une œuvre considérée comme un best-seller dans les foires du livre ou annoncée comme telle par les agents littéraires – comme dans le cas de La Peau froide d’Albert Sánchez Piñol. Au-delà de ces deux modèles d’exportation, nous avons également assisté ces dernières années à un exemple de promotion à l’étranger basé sur l’exportation simultanée de sélections anthologiques dans un certain nombre de langues, mais cette stratégie a apparemment eu peu d’effet. Les canaux de distribution dont disposent ces éditeurs sont trop limités pour susciter un intérêt dans le grand public et, dans le cas de la poésie, les anthologies peuvent même constituer une barrière supplémentaire à la réception globale du poète. Quoi qu’il en soit, ces tentatives servent plus à prouver l’existence d’une culture qu’à faciliter la découverte d’une littérature. La littérature universelle sur la scène catalane Après la mort du dictateur Franco en 1975, le nombre de titres publiés en catalan a progressivement augmenté, en même temps que le nombre de maisons d’édition qui publiaient des œuvres dans cette langue. Dans les années 1960, de rares éditeurs publiaient des livres en catalan, tandis que tous les autres ne publiaient qu’en espagnol. La transition vers la démocratie a progressivement rétabli, non sans difficultés, une situation de normalité dans laquelle on peut dire que le catalan a consolidé sa niche sur le marché espagnol du livre. En ce qui concerne le secteur de l’édition en Catalogne, les livres en catalan représentent 27 % de l’ensemble des livres publiés, 15 % du nombre total d’exemplaires produits et 15 % du chiffre d’affaires total, selon l’Informe de comercio interior (Rapport sur le commerce intérieur) de 2004 du Gre- 64 65 mi d’Editors de Catalunya, l’association des éditeurs de Catalogne. L’un des principaux facteurs expliquant la hausse du nombre de livres publiés en catalan est l’introduction de cette langue dans le système scolaire, aussi bien comme matière à étudier que comme langue d’enseignement. La littérature représente environ 20 % de l’ensemble des publications en catalan, ce qui est comparable à la situation de la plupart des autres langues disposant d’un secteur de l’édition consolidé. Cependant, il est nécessaire d’avoir accès à des statistiques pour pouvoir évaluer l’étendue de la présence de la littérature universelle en catalan. Or, le catalogue de TRAC fournit des chiffres relatifs aux œuvres catalanes traduites dans les autres langues, mais il n’existe aucun projet visant à fournir un compte détaillé des traductions vers le catalan. L’accueil des œuvres traduites en Catalogne En Espagne, les auteurs traduits sont très bien accueillis par les lecteurs et ont un grand prestige auprès des gens cultivés. À cela vient s’ajouter le battage médiatique qui accompagne la plupart des auteurs de best-sellers dans le contexte actuel de la mondialisation. L’importance de l’héritage littéraire d’autres cultures pour l’enrichissement de leur propre culture est un sujet auquel sont très sensibles les traducteurs et les érudits, ainsi que les journaux quotidiens, qui publient régulièrement des articles sur les nouveaux livres étrangers qui font leur entrée sur la scène littéraire. Même si cela a permis d’élargir l’horizon vers de nombreuses langues, grâce aux traducteurs qui n’ont pas besoin de langue relais, certaines langues et cultures restent absentes en traduction catalane. Si les œuvres de fiction étrangère, ou même de poésie, bénéficient d’une présence assez large en catalan, on ne peut pas en dire autant des œuvres plus philosophiques ou des essais, que les lecteurs catalans continuent à lire en espagnol, faute de les trouver en traduction catalane. La traduction littéraire jouit d’un grand prestige dans le monde des lettres car, dans ce milieu, il est de notoriété publique que les auteurs étrangers offrent le matériel de base pour l’évolution de la langue catalane. Les traducteurs littéraires6 « Le marché catalan du livre, écrit Peter Bush, a toujours été traditionnellement très ouvert aux traductions. Ce fait dissimule néanmoins les conditions qui ont permis à un nombre considérable de traducteurs de travailler pour des éditeurs se consacrant à la publication de nombreuses traductions. Cette tradition est fondée sur des délais serrés, de bas salaires, sans la moindre augmentation, et des contrats horribles (voire, dans certains cas, pas de contrat du tout), le tout dans une économie où le coût de la vie a fortement augmenté en raison de l’intégration croissante de l’Espagne dans l’économie mondiale7. » Aujourd’hui encore, ces mauvaises conditions de travail font toujours partie de la réalité quotidienne des traducteurs en Catalogne. Six études de cas sur la traduction littéraire Cela ne signifie pas que la traduction en général n’est plus considérée comme prestigieuse, mais qu’il existe deux façons de travailler comme traducteur. Certaines traductions sont considérées comme mécaniques, tandis que d’autres sont mises au même niveau que le travail de création et considérées comme telles par le grand public. La Catalogne possède depuis toujours un vivier de très bons traducteurs littéraires, qui sont principalement des écrivains ou des professeurs d’université. Depuis les années 1980 et 1990, avec la création des diplômes de traduction, de nombreux diplômés ayant reçu une formation théorique ont rejoint les rangs des traducteurs littéraires. La traduction est devenue de plus en plus professionnelle, provoquant une standardisation de ce domaine, bien qu’il n’existe toujours pas d’association professionnelle de traducteurs et que les quelques associations existantes ne soient pas très solidement établies. Depuis l’apparition de la loi sur la propriété intellectuelle en 1987, des droits de traduction ont été fixés et les éditeurs ont désormais tendance à respecter plus ou moins sérieusement les contrats qu’ils signent avec les traducteurs. En temps normal, le traducteur apparaît dans les remerciements. Dans le cas où il s’agit d’un écrivain connu, son nom peut même apparaître sur la couverture. Les traductions font généralement l’objet de critiques dans les médias, en particulier si le livre traduit est une des œuvres canoniques de la littérature universelle ou si l’auteur est célèbre. Les critiques mentionnent souvent le nom du traduc- teur dans les renseignements fournis sur le livre, mais ils font rarement allusion à la qualité (ou à la médiocrité) de la traduction. Les traducteurs considèrent cela comme un signe de manque de reconnaissance de leur travail. Les subventions et les autres formes de soutien La politique du gouvernement catalan prévoit des mesures visant à renforcer la présence de la langue catalane et à encourager la publication, la distribution et la diffusion des livres en catalan (loi sur la normalisation linguistique de 1986). En vertu de cette loi, le ministère catalan de la Culture a mis en place différents programmes de soutien financier à l’édition en catalan dans le cadre du dialogue et de la coopération avec les représentants du secteur de l’édition. En 2004, ce soutien financier a porté sur près de 1 500 titres, soit un peu moins de 20 % de l’ensemble des livres publiés en catalan. En plus de ce soutien financier, le ministère catalan de la Culture offre des bourses pour les publications en catalan présentant un intérêt culturel particulier et accorde un soutien financier aux organismes exerçant des activités en lien avec le livre, organisant des salons du livre ou participant aux foires du livre internationales. L’Institut des lettres catalanes (ILC), créé en 1987, est un organe autonome chapeauté par le ministère catalan de la Culture. Dans le but de faire connaître les œuvres en catalan et leurs auteurs, l’ILC organise des campagnes de promotion et des expositions et a créé plusieurs 66 67 bourses pour les créateurs littéraires, les scénaristes et les érudits. Depuis 1993, il annonce chaque année des bourses pour les traductions vers le catalan, aussi bien pour les éditeurs que pour les traducteurs. En 2002, l’Institut Ramon Llull (IRL) a été créé avec pour mission de promouvoir la littérature catalane dans les autres pays. L’IRL accorde chaque année des bourses aux éditeurs étrangers pour la traduction d’œuvres catalanes et pour des initiatives visant à faire la promotion de la littérature catalane et à la faire connaître en dehors des frontières de la région catalanophone – participation aux principales foires internationales du livre, soutien aux auteurs catalans pour financer leurs voyages à l’étranger (festivals, colloques, stages), organisation d’événements littéraires à l’étranger, publications en anglais pour la promotion des œuvres et des auteurs catalans, etc. Le canon littéraire catalan vu de l’étranger La critique littéraire et, en général, l’attention théorique au patrimoine littéraire du pays figurent parmi les domaines les moins développés dans le système littéraire catalan. Certes, le corps universitaire est solide, mais les résultats de ses recherches ne parviennent pratiquement jamais jusqu’au grand public. À l’autre bout de l’échelle, les auteurs des critiques qui apparaissent tous les jours dans les médias doivent se confiner à un espace qui dépasse rarement deux pages écrites dans un style facile à lire. L’attention des critiques se concentre exclusivement sur les dernières parutions, et la vision d’ensemble brille par son absence. Un autre facteur significatif à garder à l’esprit est l’influence des tendances générales du marché littéraire international. Comme c’est le cas pour les autres littératures, les principales exportations catalanes dans ce domaine sont les romans. Les œuvres les plus représentatives des poètes catalans sont encore loin d’être connues dans les autres pays. Les essais catalans sont quasiment inconnus à l’étranger, tout comme les textes de référence sur des œuvres traduites du catalan. Les pièces de théâtre ne peuvent pas être prises en considération à cet égard car leur diffusion internationale dépend plus des représentations théâtrales que des textes écrits. D’ailleurs, les dramaturges catalans contemporains ont réussi à occuper une place non négligeable dans le paysage théâtral des autres pays. En règle générale, la plupart des œuvres exportées sont des livres d’auteurs contemporains ainsi que certains classiques du xxe siècle. Un nombre considérable de traductions d’œuvres de la période classique de la littérature catalane ont également été exportées, en particulier le roman Tirant lo Blanc, qui peut être considéré comme une œuvre majeure dans le contexte européen de l’époque. Quoi qu’il en soit, il est bon de garder à l’esprit une caractéristique des échanges entre les littératures à faible rayonnement : on leur offre rarement une seconde chance. Une œuvre de Shakespeare médiocrement traduite sera vite remplacée aux Six études de cas sur la traduction littéraire quatre coins du monde, mais une mauvaise traduction de Mercè Rodoreda a très peu de chances d’être corrigée un jour. Il est par conséquent très important que les traducteurs puissent travailler dans des conditions décentes, adaptées à la difficulté de leur tâche, et qu’ils puissent disposer des moyens dont ils ont besoin. La présence de la Catalogne dans le contexte international Ce n’est que depuis les vingt-cinq dernières années, grâce au retour du gouvernement autonome avec le rétablissement de la Generalitat de Catalunya en 1980, que la culture catalane a également pu commencer à se faire connaître à l’étranger, malgré la tendance traditionnelle – et toujours actuelle – de l’État espagnol à ne montrer en dehors du pays que la culture et la littérature en langue espagnole. Ces dernières années, certains grands salons de l’édition ont exprimé un intérêt pour la culture et l’édition catalanes et invité expressément la Catalogne à y être représentée (Guadalajara en 2004 et Francfort en 2007). Ces salons sont extrêmement importants car ils ouvrent des possibilités à l’étranger et constituent une plate-forme permettant de faire mieux connaître la littérature catalane. Depuis leur création, l’Institut des lettres catalanes (Institució de les Lletres Catalanes, ILC) et l’Institut Ramon Llull (IRL) ont été présents lors de tous les événements culturels et littéraires en dehors du pays, agissant ainsi comme un outil de promotion de la littérature catalane tout en recevant les influences d’autres pays. 3.4 L’Allemagne Riky Stock, directeur du German Book Office à New York Introduction En Europe, l’allemand est parlé principalement en Allemagne, en Autriche et dans la partie germanophone de la Suisse. Avec 95 millions de locuteurs en Europe et 120 millions dans le monde entier, l’allemand dépasse toutes les autres langues sur le continent européen (à l’exception du russe) en nombre de locuteurs natifs. L’allemand est la langue maternelle d’environ 24 % des habitants de l’UE8. Étant donné que la plupart des maisons d’édition (en particulier que toutes les plus grandes) sont situées en Allemagne et que, par conséquent, la plupart des auteurs germanophones (y compris les écrivains autrichiens et suisses) sont publiés en Allemagne, nous nous concentrerons dans ce rapport sur le marché allemand du livre et ferons souvent référence aux livres écrits en allemand, qu’ils proviennent d’Allemagne, d’Autriche ou de Suisse, en employant le terme de « livres allemands ». En Allemagne, avec 89 869 nouveaux titres publiés et un chiffre d’affaires estimé à 9,16 milliards d’euros en 2005, la lecture se place au huitième rang des activités de loisir, après écouter de la musique, regarder la télévision, lire les journaux, aller au restaurant, être avec ses amis, organiser des barbecues et conduire sa voiture9. L’Allemagne compte une population de 82,5 millions d’habitants10. Environ 500 millions d’exemplaires sont imprimés chaque année, soit une moyenne d’environ 6,5 livres par habitant par an11. 68 69 Ce rapport fournit des informations sur le degré auquel les auteurs allemands sont traduits dans les autres langues et s’intéresse à la mesure dans laquelle les traductions littéraires à partir d’autres langues pénètrent sur le marché allemand du livre. Il explore la perception de la traduction et des traducteurs, les formes de financement de la traduction et la promotion des livres allemands. Il étudie en quoi le climat international a influencé l’accueil des auteurs allemands et à quel point il est important mais difficile de traduire en anglais. Il montre également des exemples d’auteurs allemands remarquables n’ayant pas été traduits en anglais. Les traductions sur le marché allemand du livre L’Allemagne est le pays qui réalise le plus de traductions au monde12. L’année précédant la rédaction de ce rapport, 6 132 traductions avaient été publiées, soit une hausse de 13,4 % par rapport à l’année 2004. Les traductions représentaient seulement 7,9 % de l’ensemble des nouveaux titres. En 2004, ce chiffre n’était que de 7,3 %. En 1995, les traductions représentaient environ 14,2 % des titres publiés, l’impact des traductions a donc considérablement diminué au cours des dix dernières années. Cependant, la progression mondiale de l’anglais ne peut être endiguée, et encore moins par les traductions sur le marché allemand du livre. Plus de 60 % de l’ensemble des titres traduits proviennent de l’anglais. En 2004, ce chiffre s’élevait à 56,8 %. Le français est la deuxième langue la plus traduite. Il occupe cette place depuis des années, même s’il reste loin derrière l’anglais, avec seulement 9,4 %. Tandis que l’anglais et le français caracolent depuis longtemps en tête du classement des vingt langues les plus souvent traduites, le reste du classement varie d’année en année. L’italien arrivait en troisième place en 2005 avec 2,7 %, ce qui représentait déjà une baisse par rapport aux 3,3 % de 2004. Le néerlandais, l’espagnol et le suédois arrivaient derrière avec un peu plus de 2 % chacun. Le russe, à la septième place, ne représentait que 1,8 %, suivi par le latin, le grec et le danois, qui représentaient moins de 1 % chacun. Les traductions de littérature pour enfants et de littérature de jeunesse occupent toujours une place importante. 17,2 % du total des livres pour enfants et adolescents sont des traductions d’autres langues, contre 17,7 % en 2004. Avec une proportion de 25,1 %, la fiction représente la plus grande part des traductions. Néanmoins, ce chiffre était nettement plus élevé en 2004, avec 40,5 %. Au total, 13,8 % de l’ensemble des livres de fiction sont des traductions, contre 20,7 % l’année précédente. Le rôle que les traductions ont joué jusqu’à aujourd’hui dans la fiction a nettement diminué, et ce en partie à cause du conflit juridique sur les honoraires entre les éditeurs et les traducteurs littéraires, qui ont traîné l’affaire devant les tribunaux. Les traductions impliquent un certain risque pour les éditeurs, et la question des royalties n’est toujours pas résolue. Le nombre de traductions n’a augmenté que pour les traductions à partir de l’anglais13. Six études de cas sur la traduction littéraire Tradition et prestige des traductions et des œuvres originales allemandes Les traductions apparaissent dans l’histoire allemande de la littérature et de l’édition dès le Moyen Âge et, depuis le xviiie siècle, l’Allemagne a toujours été connue comme le pays de la traduction par excellence14. Les Allemands sont bien conscients qu’il n’existerait pas de communauté littéraire internationale sans les traductions, et les traductions vers l’allemand ont même permis à certains écrivains d’Europe de l’Est d’attirer l’attention du reste du monde. Par exemple, l’auteur hongrois Imre Kertész n’aurait pas reçu le prix Nobel sans la traduction allemande de son œuvre, qui a permis aux autres pays d’y avoir accès. En raison du rôle important que jouent les traductions dans la culture littéraire en Allemagne, toutes les librairies, y compris les grandes chaînes, ont des œuvres traduites en stock et en rayon. Les revues et les journaux font également la promotion des traductions auprès d’un large lectorat en publiant régulièrement des articles et des critiques sur les derniers titres parus. Une enquête menée en 2004 auprès des lecteurs allemands a montré que Le Seigneur des anneaux et Harry Potter à l’école des sorciers faisaient partie des dix livres préférés de tous les temps dans la population allemande. Un seul livre allemand, Les Buddenbrook de Thomas Mann, faisait partie des dix premiers. De même, la liste des cent livres préférés des Allemands comprenait principalement des titres étrangers. Cette enquête montre clairement à quel point les livres en anglais jouent un rôle dominant en Allemagne. Néanmoins, l’atmosphère des années 1990, lorsque les éditeurs surenchérissaient et payaient des sommes astronomiques pour s’assurer les droits du dernier livre de John Grisham ou d’un autre auteur américain moins connu, est terminée. En 2000, les titres anglais représentaient 72 % des nouveaux titres, mais en 2005, ce chiffre était tombé à 61 %. Ce changement s’explique par la difficulté de faire des bénéfices en payant des avances aussi importantes, ainsi que par une chute générale des ventes sur le marché allemand du livre. Afin de compenser, les éditeurs allemands ont préféré chercher de nouveaux talents allemands et parier sur leur succès15. Au cours des deux dernières années, le rôle des auteurs allemands s’est accru. Un aperçu des listes de best-sellers en Allemagne montre que les livres des jeunes auteurs allemands se vendent mieux que ceux des jeunes auteurs américains ou les talonnent de près, et pas seulement en termes de mérite littéraire16. Il y a quelques années, les livres en anglais prédominaient largement dans la liste des œuvres de fiction en Allemagne. En 2003, seulement 25 % des cent meilleures ventes de titres de fiction étaient des livres allemands17. Aujourd’hui, entre 30 et 60 % des listes de best-sellers de fiction sont des livres d’auteurs écrivant en anglais, et environ le même nombre, entre 30 et 50 %, sont des livres d’auteurs allemands. Entre 10 et 25 % sont des traductions d’autres langues18. Afin d’assurer cette diversité de livres, la communauté de l’édition allemande organise régulièrement des événements de portée internationale tels que des lectures 70 71 ou des conférences d’auteurs étrangers. De nombreuses organisations culturelles font également la promotion de la littérature étrangère en offrant un financement pour les traductions. Ces mesures contribuent à faire augmenter le nombre de titres étrangers qui pénètrent sur le marché allemand du livre, en insistant particulièrement, ces derniers temps, sur la littérature d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe de l’Est19. De plus, le prix fixe des livres en Allemagne permet également de garantir cette variété en atténuant la pression de la concurrence et en permettant aux petites maisons d’édition de prendre plus de risques. Les principaux traducteurs et l’art de la traduction Dès le xviiie siècle, des auteurs éminents tels que Johann Wolfgang von Goethe, Johann Gottfried Herder et Rainer Maria Rilke ont fait de la scène littéraire allemande un espace ouvert aux livres des autres langues, et cette tradition se perpétue aujourd’hui. Dans la continuité de la tradition consistant à produire des traductions de qualité, certains des meilleurs écrivains allemands ont relevé le défi de traduire des œuvres de littérature, de réécrire en grande partie les livres d’autres auteurs pour les faire connaître à un plus large public. Ces auteurs traducteurs ont ainsi influencé et fait avancer la scène littéraire à double titre et contribué à changer l’image de la traduction. En Allemagne, les traductions littéraires sont considérées comme une forme d’art, et non comme une tâche mécanique. Dans le domaine de la littérature contemporaine, certains des principaux auteurs allemands produisent des traductions littéraires, notamment Paul Celan (qui traduit vers l’allemand à partir de sept langues), Peter Handke (œuvres de Shakespeare, Walker Percy, etc.), Hans Magnus Enzensberger (poèmes de divers auteurs et œuvres de Federico García Lorca), et le lauréat du prix Nobel Elfriede Jelinek (L’Arc-en-ciel de la gravité de Thomas Pynchon). Il est également intéressant de remarquer que c’est W. G. Sebald, qui n’est pas lui-même traducteur mais qui a toujours été un promoteur de la littérature allemande dans le monde anglophone, qui a fondé le British Centre for Literary Translation (Centre britannique pour la traduction littéraire). Aujourd’hui, une nouvelle génération émergente d’auteurs allemands poursuit le travail de ses prédécesseurs en introduisant les livres influents sur le marché allemand du livre. Ainsi, la jeune (et très appréciée) auteure Antje Strubel s’est bâti une solide réputation en tant que traductrice pour son travail sur L’Année de la pensée magique de Joan Didion, de même que la lauréate du prix Ingeborg Bachmann, Terézia Mora, née en Hongrie, pour sa traduction de Péter Esterházy. Les auteurs de tous les genres participent à la traduction ou traduisent souvent les mêmes genres que ceux qu’ils produisent eux-mêmes. Mirjam Pressler, auteur largement connue de livres pour enfants et pour la jeunesse, a également traduit plus de trois cents œuvres pour enfants et pour la jeunesse, dont le Journal d’Anne Frank. Il n’est pas rare non plus que les poètes se traduisent entre eux. Le poète al- Six études de cas sur la traduction littéraire lemand Ulrike Draesner, qui traduit de la poésie à partir de l’anglais, est également un traducteur professionnel. Les traductions inspirent même parfois l’écriture de nouveaux livres, comme ce fut le cas pour Ralf Dutli, qui, après avoir traduit Ossip Mandelstam, s’est mis à écrire une biographie complète de Mandelstam. Dans le domaine de la fiction populaire, l’auteure de best-sellers de fiction historique qui écrit sous son pseudonyme Rebecca Gablé utilise son vrai nom, Ingrid Krane-Müschen, pour traduire des livres d’auteurs tels qu’Elizabeth George et Patricia Shaw. Il est également intéressant de noter que certains éditeurs allemands, notamment Michael Krüger chez Hanser Verlag, Alexander Fest chez Rowohlt Verlag et Joachim Unseld chez Frankfurter Verlagsanstalt, ont aussi traduit des livres ou des poèmes. Actuellement, les éditeurs et les traducteurs sont engagés dans un débat permanent sur le déséquilibre entre la formation nécessaire pour les traducteurs en Allemagne et les honoraires qu’ils reçoivent des maisons d’édition. Le traducteur littéraire moyen ne gagne pas assez d’argent pour en vivre. Il gagne rarement plus de 15 à 20 euros bruts par page, avec une moyenne d’une centaine de pages traduites par mois20. L’ancien président allemand Roman Herzog est allé dans le sens des revendications des traducteurs dans un discours : « Le fait que ceux qui font l’un des métiers les plus importants pour la vie culturelle du pays ne puissent généralement pas gagner leur vie correctement est absolument honteux21. » Dans un récent effort pour améliorer la situation des traducteurs littéraires, un procès a été intenté au nom des traducteurs contre les éditeurs. Les traducteurs impliqués dans ce procès en cours réclament une part des revenus des ventes des livres qu’ils ont traduits, une part à laquelle ils estiment avoir droit indépendamment de l’édition du livre. Dans le passé, les éditeurs n’ont accordé aux traducteurs une part des bénéfices des ventes que dans les cas où le livre était un best-seller. Les traducteurs ont obtenu une petite victoire lorsque la Cour fédérale de Munich a décidé qu’en plus des honoraires qu’ils perçoivent pour la traduction d’un livre, ils avaient droit à un certain pourcentage des revenus tirés des ventes, à compter du premier exemplaire vendu. Cette part représente entre 0,5 et 2 % des revenus des ventes22. Certains éditeurs ont critiqué cette décision judiciaire, qui contribue à leurs yeux à amoindrir la variété du marché allemand du livre. Les éditeurs allemands arguent que le fait de les forcer à payer aux traducteurs un pourcentage des bénéfices va réduire les ressources qu’ils auraient pu utiliser pour publier d’autres livres. Par conséquent, certains livres qui le mériteraient ne seront ni publiés ni traduits. L’existence d’un débat public montre cependant que les traducteurs commencent à être reconnus. Dans l’ensemble, la situation des traducteurs s’est améliorée, et certains éditeurs ont commencé à présenter des biographies des traducteurs dans leurs catalogues et à imprimer le nom du traducteur sur la couverture des livres. 72 73 Le soutien financier à la traduction et à la promotion des livres allemands Il existe deux modes de financement de la traduction : les bourses auxquelles peuvent postuler les éditeurs et les bourses spécifiques pour les traducteurs. Pour les traductions vers l’allemand, il existe, dans les pays dont proviennent les œuvres originales, des organisations et des instances dépendant des ministères de la Culture qui fournissent un financement. On peut citer, comme exemples d’organisations de ce type, le Ireland Literature Exchange en Irlande, l’Institut polonais du livre en Pologne et le Centre finlandais d’information sur la littérature (FILI) en Finlande. Ces bourses ne sont généralement offertes qu’aux éditeurs pour la traduction d’un titre spécifique. L’Autriche, l’Allemagne et la Suisse disposent toutes de programmes pour financer la publication des livres en allemand dans des langues étrangères. Le programme de bourses du Goethe-Institut a pour objectif de faire connaître à un lectorat non germanophone les écrits intellectuels importants, les œuvres de fiction de haute qualité, la littérature pour enfants et pour la jeunesse ainsi qu’une sélection d’ouvrages de nonfiction. Le soutien financier est fourni sous formes de subventions destinées à couvrir les frais de traduction de l’éditeur. Dans le cadre de ce programme, qui existe depuis près de trente ans, le Goethe-Institut a apporté un soutien financier pour la publication d’environ 4 000 livres en 45 langues23. En Suisse, Pro Helvetia, la Fondation suisse pour la culture, fondée en 1939, subventionne l’édition ou la traduction de publications relatives à la culture suisse ou aux relations culturelles de la Suisse avec d’autres pays24. En Autriche, le ministère de la Culture de la Chancellerie fédérale autrichienne offre un soutien financier pour les traductions25. Il existe également des programmes spéciaux pour les éditeurs qui subventionnent la littérature de certaines régions, tels que le Gesellschaft zur Förderung der Literatur aus Afrika, Asien und Lateinamerika e. V. (Société pour la promotion des littératures africaines, asiatiques et latino-américaines). Ce programme encourage la traduction en allemand de textes littéraires d’information culturelle en provenance de diverses régions du tiers-monde et améliore la compréhension culturelle de sociétés qui reçoivent souvent une faible attention internationale. Les titres financés par ce programme ne sont parus que de façon limitée ou pas du tout en allemand, et proviennent de pays qui sont sous-représentés sur le marché allemand26. Il convient de mentionner, en raison de son influence considérable dans le domaine de la traduction, le Literarisches Colloquium Berlin (LCB – Colloque littéraire de Berlin). Le LCB fait la promotion de la littérature allemande, gère un programme d’auteurs et de traducteurs en résidence et sert de point de rencontre et de facilitateur pour les traducteurs. L’un des programmes du LCB offre une bourse de traduction pour les éditeurs intéressés par la fiction d’Europe centrale et orientale. Le LCB a pour objectif de diversifier la sélection des livres disponibles pour les lecteurs allemands en donnant aux livres moins connus une chance d’être lus. Depuis 1993, le LCB a subventionné plus de 250 titres27. Six études de cas sur la traduction littéraire En plus des programmes disponibles pour les éditeurs, il existe des organisations qui aident les traducteurs à se faire entendre sur la scène littéraire d’Allemagne, de Suisse et d’Autriche. Plusieurs associations et organisations à but non lucratif soutiennent ceux qui traduisent de et vers l’allemand, notamment le Verband deutschs-prachiger Übersetzer (VdÜ) literarischer und wissenschaftlicher Werke e.V. (Association des traducteurs d’ouvrages littéraires et scientifiques). Le VdÜ est une association de traducteurs germanophones qui a été fondée en 1954 pour défendre les intérêts des traducteurs28. La principale organisation de soutien aux traducteurs littéraires en Allemagne est le Deutscher Übersetzerfonds (DÜF – Fonds des traducteurs allemands), une organisation à but non lucratif basée au LCB qui offre des bourses universitaires et des bourses de voyage aux traducteurs et organise des ateliers de travail et des séminaires29. Le LCB, le VdÜ et d’autres institutions telles que la Foire du livre de Francfort, la Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung (Académie allemande de langue et de poésie), le Deutscher Literaturfonds e.V. (Fonds pour la littérature allemande), le Europäisches Übersetzer-Kollegium Nordrhein-Westfalen in Straelen e.V. (Collège européen des traducteurs à Straelen) et le Dialogwerkstatt Zug (Atelier de dialogue de Zug), entre autres, offrent aux traducteurs des bourses universitaires, des prix de traduction et des programmes d’échanges. Les pratiques les plus efficaces pour la promotion de la littérature allemande consistent à établir des contacts personnels, à mettre en place des réseaux et à maintenir une présence permanente dans le milieu de l’édition d’un autre pays. Cela permet de comprendre le marché, d’échanger des informations, de rapprocher les personnes et de faciliter les ventes de livres. Se contenter de présenter le livre parfait à un bon éditeur ne suffit pas. Les livres se vendent mieux lorsque les éditeurs ont confiance en l’opinion de quelqu’un d’autre et sont convaincus qu’ils continueront à être soutenus après la publication du livre. Il existe plusieurs initiatives qui font la promotion des livres allemands à l’étranger. La Foire du livre de Francfort La Foire du livre de Francfort – organisatrice du plus important événement commercial international de l’industrie du livre – est une société affiliée au Börsenverein des Deutschen Buchhandels, l’Union centrale de la librairie allemande. La Foire du livre de Francfort possède également un département international chargé de faire la promotion des livres allemands afin d’inciter à leur traduction et de contribuer à la création de réseaux dans d’autres régions du monde. Ses activités internationales sont financées par le ministère allemand des Affaires étrangères. La Foire du livre de Francfort organise des présentations de livres allemands dans des stands collectifs dans plus de vingt pays, et elle a créé plusieurs Centres d’information du livre dans le monde entier. En plus du German Book Office (GBO – Bureau du livre allemand) à New York, il existe des bureaux à Pékin, Bucarest, Moscou et Varsovie. Chaque bureau sert 74 75 d’intermédiaire et de médiateur culturel entre le secteur allemand du livre et celui du pays d’accueil du bureau30. Le GBO, par exemple, est une organisation à but non lucratif qui a été fondée en 1998 pour faire la promotion des livres allemands aux États-Unis. Le GBO est basé à New York, où il entretient des réseaux actifs et des contacts personnels31. Il fournit également des informations sur les titres allemands susceptibles de présenter un intérêt spécifique pour le marché nord-américain. Le Goethe-Institut Le Goethe-Institut e.V. est le plus important partenaire opérationnel de la République fédérale d’Allemagne pour l’élaboration et la mise en œuvre de la politique culturelle étrangère. Le Goethe-Institut gère non seulement un programme de financement de la traduction, mais est également la principale institution d’enseignement et de promotion de la langue et de la culture allemandes dans le monde entier. Il est représenté partout dans le monde par un réseau d’instituts, de centres Goethe, d’associations culturelles et de salles de lecture. Certains instituts possèdent des bibliothèques de livres en langue allemande et d’autres ouvrages relatifs à l’allemand. Les 128 Goethe-Instituts situés hors des frontières de l’Allemagne proposent une sélection de critiques de livres sur leur site Internet et organisent des lectures, des séminaires, des ateliers de travail et des expositions. Parmi les partenaires des Goethe-Instituts figurent des institutions culturelles publiques et privées, les Lands, des autorités locales et le monde des affaires. Le Goethe-Institut travaille en étroite collaboration avec des traducteurs et d’autres médiateurs culturels. Une grande partie de son budget provient des ministères allemands des Affaires étrangères et de la Communication32. Le Prix allemand du livre Afin de promouvoir les auteurs éminents et célèbres aussi bien que les écrivains allemands relativement inconnus mais talentueux en Allemagne et à l’étranger, le Börsenverein des Deutschen Buchhandels (Union centrale de la librairie allemande) a créé le Prix allemand du livre, sur le modèle du Man Booker Prize au RoyaumeUni. Ce prix, qui récompense le meilleur roman en allemand, a été décerné pour la première fois en 2005 à Arno Geiger pour son roman Es geht uns gut. Le lauréat du prix en 2006 était Katharina Hacker pour Die Habenichtse33. De nombreux autres projets, initiatives et sites Internet font la promotion de la traduction. New Books in German est une revue basée à Londres, qui présente une sélection de livres allemands importants en version imprimée et sur son site web deux fois par an. Trois mille exemplaires de la revue sont distribués dans le monde entier34. Litrix. de présente des critiques et des extraits de traductions de littérature contemporaine allemande sur son site web. Au cours des trois dernières années, Litrix.de a également mis en œuvre des programmes spéciaux de financement de traductions vers l’arabe et vers le chinois35. Le LCB, dont nous avons parlé plus haut, joue également un rôle important dans la promotion de la littérature Six études de cas sur la traduction littéraire allemande dans le monde entier. Parmi les autres projets du même type, on peut citer www.lyrikline.org, une plate-forme en ligne qui publie des poèmes et des traductions en plusieurs langues aux formats texte et audio, ainsi que www.signandsight.com, la version anglaise de la revue électronique culturelle allemande Perlentaucher, qui propose un contenu culturel et intellectuel issu des principales publications en Allemagne. La rubrique « Books this Season » est une sélection de la nouvelle littérature la plus intéressante et la plus médiatisée. La littérature allemande à l’étranger Depuis que, dans les années 1980, les éditeurs de toute l’Europe ont découvert que la cession de droits pouvait être une nouvelle source de revenus, l’Allemagne a toujours réussi à vendre des titres à l’étranger, en partie grâce au climat politique en évolution permanente, avec l’ouverture de la Russie et de la Chine vers l’Ouest et avec l’essor économique de la Corée. Lorsqu’un marché est saturé de titres allemands, un autre marché émerge. Les éditeurs allemands sont extrêmement attentifs à ces tendances et s’efforcent de vendre leurs droits conformément à ces changements. Les cessions de droits de traduction pour des œuvres écrites en allemand ont suivi une hausse modeste mais constante au cours des dix dernières années. Des marchés tels que la Corée du Sud, la Chine et Taiwan ont manifesté un énorme intérêt pour la littérature allemande et font désormais partie des plus importants acheteurs. Les marchés européens, comme les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie, ont historiquement toujours été ouverts à la littérature allemande. De plus, ce qui peut paraître le plus surprenant de tous ces changements, c’est que le Royaume-Uni et les États-Unis aient eux aussi commencé à ouvrir leurs portes littéraires à certains titres allemands. Parallèlement à la voie à sens unique des littératures anglaise et américaine, qui existe depuis trop longtemps, un petit sentier en sens inverse s’est matérialisé. Certes, la littérature traduite de l’anglais occupe toujours une place centrale sur le marché allemand du livre et dans les listes de best-sellers en Allemagne. Mais, même si la littérature allemande est encore loin d’avoir le même impact au Royaume-Uni et aux États-Unis, un flux constant de titres en allemand se fraie un chemin vers ces marchés anglophones. Cette augmentation est en partie due à quelques titres à succès qui ont réussi à attirer l’attention et à faire connaître la littérature contemporaine allemande aux lecteurs anglophones. Parmi ces titres, on compte notamment Le Liseur de Bernhard Schlink, grâce à l’éloge enthousiaste d’Oprah Winfrey, et Les Émigrants de W. G. Sebald36. L’intérêt croissant pour la littérature allemande peut aussi s’expliquer par l’évolution de l’écriture. L’année 1989 a marqué la fin de la littérature d’Allemagne de l’Est, mais les perturbations politiques ont également constitué un tournant pour la littérature d’Allemagne de l’Ouest. La fin de la littérature d’après-guerre était proche, un genre dominé par des auteurs tels que Heinrich Böll, Uwe Johnson et Günter Grass. Leur écriture avait été modelée par la guerre, par la lutte contre le passé nazi 76 77 et par un fort élan moral37. La remise du prix Nobel de littérature à Günter Grass en 1999 a constitué une aubaine qui a favorisé l’apparition d’une nouvelle génération d’auteurs, appelés par les critiques « les petits-fils et petites-filles de Grass38 ». Cette nouvelle génération d’écrivains allemands a tourné le dos à l’écriture de la génération d’après-guerre, ainsi qu’à l’écriture expérimentale, post-moderne et psychanalytique des années 1970 et 1980. Avant cette nouvelle forme de renaissance de la littérature allemande, les éditeurs allemands gardent de leurs tentatives pour vendre les droits sur les œuvres de leurs auteurs le souvenir d’une « expérience humiliante ». À cette époque, l’écriture allemande était considérée comme académique, trop sérieuse et indigeste39. Le nouveau roman allemand, selon le New York Times, est « moins lourd, plus facile à exporter ». Cette génération est représentée par Daniel Kehlmann, Julie Zeh, Jenny Erpenbeck et Ingo Schulze, qui ont tous été influencés par la présence substantielle de la littérature et de la culture américaines en Allemagne aujourd’hui. Cette génération défend le récit narratif, un genre qui a longtemps fait défaut dans la littérature allemande et qui doit beaucoup aux auteurs américains. Cette évolution a suscité davantage de curiosité et d’échanges dans les deux sens, comme le démontre le remarquable succès des livres de Cornelia Funke40. « Les jeunes Allemands, qui écrivent dans les principaux journaux du pays, ont infiltré leurs rangs et sont devenus des intermédiaires indispensables pour les nouveaux livres. […] À la tête du suc- cès à l’étranger se dressent les auteurs. Eux qui se contentaient autrefois d’écrire pour un cercle limité de lecteurs dans leur pays, ils se sont connectés au reste du monde et testent leurs idées sur les éditeurs en prévision d’éventuelles ventes à l’étranger » (New York Times, 20 décembre 2005). L’internationalisation croissante du climat en Europe et en Allemagne a provoqué l’émergence d’une sorte de littérature multiculturelle qui reflète l’évolution des influences culturelles en Allemagne. Certains auteurs en allemand écrivent depuis la perspective d’une identité mixte particulière, tels que Terézia Mora, Zsuzsa Bánk, Rafik Schami et, très récemment, Saša Stanišić. Ces auteurs ont été découverts et adoptés par les éditeurs anglophones41. Actuellement, les perspectives nationales et internationales pour la littérature en allemand ambitieuse sont bonnes, surtout depuis que nombre de jeunes auteurs n’écrivent plus pour le marché limité de leur pays d’origine, mais veulent réussir à l’étranger. Dès le départ, ils pensent à l’exportabilité de leurs projets de livres42. Les auteurs allemands en traduction Avec 7 491 contrats signés l’année dernière, les éditeurs allemands ont battu leur record de cessions de licences. La Pologne, avec 604 titres (8,1 % du total des licences vendues), est le premier acheteur de droits allemands, suivie par la République tchèque, avec 557 titres (7,4 % de l’ensemble des licences vendues). L’anglais, qui occupait souvent la deuxième place dans les années 1990, ar- Six études de cas sur la traduction littéraire rive en septième position seulement dans le classement des dix premières langues, avec 6,2 % du total des licences vendues. Les autres langues européennes de la liste des dix premières langues sont le russe (4ème), l’espagnol (6ème), l’italien (8ème), le néerlandais (9ème) et le français (10ème). Le chinois se classe en 3ème position et le coréen occupe la 5ème place dans le classement. Les livres pour enfants, qui représentent environ 24 % de l’ensemble des licences vendues, arrivent en tête, avec une forte demande dans les pays d’Asie. Derrière les livres pour enfants, la meilleure catégorie pour les cessions de licences à l’étranger est les livres pour autodidactes, qui représentent environ 22 % des cessions de licences. Ces livres ont suscité un intérêt particulièrement important en Europe du Sud, notamment en Espagne. En revanche, la demande de fiction a diminué, et cette catégorie arrive en troisième position avec environ 12 % des contrats de licence. La majorité des licences littéraires ont été vendues aux Pays-Bas et en Italie43. Récemment, la littérature allemande a suscité un intérêt croissant, renforcé par des succès tels que Les Arpenteurs du monde, de Daniel Kehlmann, et le roman Es geht uns gut, d’Arno Geiger. De nombreux éditeurs ont confirmé ce léger renversement de la tendance dans la sphère anglophone, qui reste à prouver dans les statistiques de l’année prochaine44. La littérature allemande en anglais Au cours des vingt-cinq dernières années, l’anglais est devenu la lingua franca de la civilisation occidentale. L’expansion mas- sive d’Internet au milieu des années 1990 et l’essor des start-up à la fin des années 1990 ont accéléré ce changement déjà rapide. Récemment, aucune autre langue que l’anglais américain ne s’est étendue aussi vite tout en absorbant aussi peu des autres langues. Malheureusement, le marché de l’anglais est le plus difficile à conquérir. Seulement 3 % environ des nouvelles parutions sont des traductions, comme le montre une analyse de l’ensemble des titres ayant fait l’objet d’une critique dans Publishers Weekly en 2004 et 200545. Néanmoins, l’allemand figure toujours parmi les trois premières langues traduites en anglais et, en 2006, il était même en tête en termes de nombre de titres traduits ayant fait l’objet d’une critique dans Publishers’ World, devant le français et l’espagnol. En dépit des difficultés pour trouver une maison d’édition américaine pour leurs livres, les éditeurs allemands partagent un intérêt croissant pour placer leurs titres sur le marché anglophone du livre, à juste titre. La traduction des titres allemands en anglais permet d’attirer davantage l’attention sur un auteur, bien plus que les contrats de licence sur n’importe quel autre marché. Cette traduction permet aux éditeurs d’avoir presque 100 % de chances de vendre des licences sur d’autres marchés, et elle constitue la condition sine qua non pour qu’un titre de fiction attire l’attention des studios cinématographiques d’Hollywood. Jutta Willand, directrice des droits chez Eichborn AG, confirme l’importance des traductions en anglais pour les auteurs 78 79 allemands : « Il est très important pour les auteurs allemands que leurs livres soient traduits en anglais. Cela leur permet non seulement de pénétrer sur le marché anglophone influent et d’atteindre un lectorat beaucoup plus large, mais aussi de faire partie de l’avant-garde littéraire mondiale, qui utilise l’anglais comme langue commune46. » Les œuvres littéraires allemandes dignes d’attention mais non traduites La plupart des auteurs allemands de fiction ont été traduits en au moins une autre langue. Cependant, de nombreux auteurs allemands remarquables n’ont jamais été traduits en anglais ou n’ont pas trouvé d’éditeur aux États-Unis, tels que John von Düffel, Martin Mosebach, Matthias Politycki, Ralf Rothmann, Feridun Zaimoğlu ou Ernst Augustin. Le site du PEN Club américain recommande des titres que les traducteurs à partir de l’allemand tiennent en haute estime mais qui ne sont actuellement pas disponibles en anglais aux États-Unis. Parmi ces suggestions, on trouve notamment Les Frères de Saint-Sérapion, de E.T.A. Hoffman, Troisième nuit de Walpurgis, de Karl Kraus, et Promenades dans Berlin, de Franz Hessel47. Certains joyaux littéraires oubliés, qui ont été redécouverts en Allemagne, vaudraient également la peine d’être traduits, selon Rebecca Morrison, éditrice de New Books in German. Elle recommande notamment Une ascension, de l’écrivain suisse Ludwig Hohl48. En plus des titres qui n’ont jamais été traduits, il existe un grand nombre de li- vres qui ont été traduits et publiés aux États-Unis, mais qui sont désormais épuisés. Ainsi, des classiques, comme Le Silence de l’ange, le premier roman de Heinrich Böll, ne sont plus disponibles dans les librairies. Il arrive parfois, lorsqu’un auteur allemand réussit à trouver un éditeur américain, que les livres ne se vendent pas à suffisamment d’exemplaires (en partie parce que les éditeurs américains n’investissent que très peu d’argent dans la promotion de nombreuses traductions) et que l’auteur soit mis à l’écart. Malheureusement, ce faible niveau de ventes poursuit le livre, qui n’a alors plus aucune chance de retrouver une maison d’édition. Comme nous l’avons remarqué précédemment, la nouvelle littérature allemande et certains classiques, comme les livres de Hans Fallada ou Der Siebente Brunnen de Fred Wander, qui ont été découverts par des éditeurs américains spécialisés, suscitent un intérêt croissant. Les livres allemands ont plus que jamais une influence sur la vie culturelle dans le monde entier et parviennent même à pénétrer dans des pays aussi difficiles à séduire que les États-Unis. 3.5 La Chine Chen Maiping, auteur et traducteur, membre fondateur du PEN Club chinois indépendant (ICPC), Stockholm La littérature chinoise traduite dans les autres langues Selon les statistiques officielles, la Chine a produit environ 110 000 nouveaux titres en 2003 et 112 857 en 2005. Parmi les Six études de cas sur la traduction littéraire nouveaux titres, seuls 10 000 étaient de nouvelles créations littéraires en 2003, et 10 842 en 200549. Mais le nombre de nouveaux titres traduits dans d’autres langues, pour autant que l’on puisse en juger par une recherche extensive sur Internet, n’était que de 100 en 2003, et environ le même nombre en 2005, même s’il s’agissait principalement d’œuvres littéraires. Cela signifie qu’environ 0,01 % des livres chinois ont été traduits dans d’autres langues, et ce chiffre est d’environ 0,01 % pour les œuvres littéraires. Ce chiffre ne prend pas en compte Hong Kong, Macao et Taiwan, qui appartiennent également à la littérature chinoise au sens du chinois comme langue. La Chine compte la plus nombreuse population du monde et possède une longue tradition littéraire. Par conséquent, elle abrite beaucoup d’auteurs qui produisent de nombreuses œuvres littéraires chaque année. L’Association officielle des écrivains chinois comptait 6 128 membres en 200550. Mais moins de 300 de ces auteurs ont vu leur œuvre traduite dans une autre langue, soit moins de 5 %. La plupart des écrivains chinois qui sont aujourd’hui publiés en anglais aux ÉtatsUnis ou en Europe dans d’autres langues européennes, tels que Mo Yan, Su Tong et Yu Hua, sont membres de l’association officielle des écrivains. Néanmoins, il existe des milliers d’autres écrivains qui ne sont pas membres de cette association officielle, notamment des écrivains dissidents qui ont peu de chances, voire aucune, d’être publiés en Chine. L’œuvre de ces auteurs a donc encore moins de chances d’atteindre les traducteurs vers d’autres langues. Il n’empêche que certains de ces dissidents ont réussi à faire publier leurs œuvres à l’étranger, à Taiwan ou à Hong Kong, et même à être traduits dans d’autres langues. Leurs œuvres attirent souvent davantage l’attention car elles décrivent la véritable histoire et la réalité de la Chine et peuvent donc être encore plus intéressantes dans une perspective politique. Ainsi, le membre de l’ICPC Liao Yiwu, auteur de L’Empire des bas-fonds, est l’un des écrivains dissidents qui touchent aujourd’hui de nouveaux lecteurs grâce aux traductions de leurs livres, notamment en français et en japonais. Une traduction anglaise de plusieurs passages de L’Empire des bas-fonds a également été publiée dans la revue américaine The Paris Review en 2005, et une traduction anglaise complète de ce livre par Wen Huang doit bientôt paraître aux éditions Pantheon. En ce qui concerne les membres de l’ICPC, environ 10 % d’entre eux ont été traduits. Sur les 190 membres que compte aujourd’hui l’ICPC, une vingtaine ont vu leurs œuvres littéraires traduites dans d’autres langues. Étant donné que, pour la plupart, nous vivons en exil à l’étranger, nos œuvres sont plus fréquemment traduites que celles de la majorité des autres écrivains chinois. Parmi les membres de l’ICPC se trouvent d’excellents poètes et écrivains, dont les œuvres ont été traduites, notamment Liu Binyan (décédé en 2005) et Zheng Yi (aux États-Unis), Yang Lian, Yo Yo et Ma Jian (au Royaume-Uni), Liao Yiwu, Shu Yang et Wu Chenjun (en Chine), Zeng Zheng et Ouyang Yu (en Australie), Wan Zhi (sous le 80 81 nom de Chen Maiping en Suède), Jimbut (sous le nom de Feng Jun au Danemark), pour n’en citer que quelques-uns. La principale langue de traduction de leurs œuvres est l’anglais, mais ils ont également été traduits en français, en allemand, en suédois, en danois et en japonais, entre autres. Certaines de leurs œuvres ont remporté des prix internationaux prestigieux et ont été classées parmi les œuvres chinoises les plus importantes par le New York Times ainsi que par d’autres revues importantes en Europe. Le lauréat du prix Nobel Gao Xingjian est membre honoraire de l’ICPC. Il vit en exil depuis 1987 mais continue à écrire en chinois. Ses livres sont toujours interdits en Chine mais largement traduits dans d’autres langues, surtout depuis qu’il a reçu le prix Nobel en 2000. La littérature chinoise suscite un intérêt croissant, sans doute en raison du développement économique rapide de la Chine au cours des dix dernières années. La maison d’édition Penguin a récemment ouvert une filiale à Pékin afin de prendre directement contact avec les écrivains chinois. Selon un rapport officiel, les exportations de livres chinois continuent à augmenter. Entre 1997 et 2003, le volume national d’exportations de livres est passé de 2,2 millions à 4,65 millions d’exemplaires, et le chiffre d’affaires a grimpé de 9,27 millions de dollars à 18,67 millions de dollars. Les exportations de journaux sont passées de 200 000 à 800 000 exemplaires, soit une augmentation en valeur de 150 000 dollars à 980 000 dollars. Même les exportations de publications électroniques sont passées de 907 à 37 534 exemplaires, soit une hausse en valeur de 30 000 dollars à 270 000 dollars. Bien que le volume des exportations de périodiques ait diminué de 2,56 millions à 2,21 millions d’exemplaires, la valeur de ces exportations a augmenté, passant de 2,68 millions à 3,65 millions de dollars51. L’accueil de la littérature étrangère en Chine En ce qui concerne la littérature internationale, ou plus exactement la littérature occidentale, elle est toujours liée au contexte historique chinois, à la situation politique, aux changements sociaux du pays et à sa propre tradition littéraire. Dans l’histoire culturelle chinoise, la littérature a toujours servi des objectifs politiques, et il en va de même de la traduction littéraire. Depuis la Guerre de l’opium, perdue par la Chine, le pays a toujours manifesté un fervent intérêt pour l’apprentissage de la culture occidentale, et la littérature occidentale a été introduite dans le pays comme outil pour l’étude de la culture occidentale et la transmission des valeurs occidentales. Par exemple, avec l’introduction du marxisme-léninisme en Chine dans les années 1920-1930, de nombreuses œuvres littéraires soviétiques ou à teneur sociale ont été traduites en chinois. À l’inverse, la Révolution culturelle de 1966 à 1976 a été marquée par un arrêt complet de la traduction de la littérature occidentale. Par la suite, dans les années 1980, beaucoup d’œuvres littéraires récentes ont été traduites dans le cadre de la politique de réforme et d’ouverture et du projet de modernisation. Aujourd’hui, la Chine fait plus Six études de cas sur la traduction littéraire de traduction commerciale suite à la politique d’économie de marché des autorités. Le gouvernement chinois a également subventionné la traduction de la littérature chinoise relevant de la propagande politique. Par conséquent, la Chine importe chaque année un grand nombre de livres de langues occidentales, même si tous ne sont pas traduits. En 2005, la Chine a importé toutes sortes de livres ou de périodiques étrangers (553 644 titres, dont 90 189 œuvres littéraires et artistiques), dont la plupart n’ont pas été traduits en chinois. Néanmoins, les différentes sources consultées s’accordent sur le fait que plus de mille livres ont été traduits52. La littérature étrangère a toujours été plus populaire que la littérature locale en Chine, et elle se vend mieux. Cela est particulièrement vrai maintenant que la Chine a mis en œuvre des réformes politiques et s’est ouverte au monde extérieur pour essayer de rattraper le développement international. Néanmoins, bien que la Chine ait signé les accords internationaux sur l’exploitation des droits d’auteur, les copies pirates restent un problème très courant53. Pékin accueille depuis plus de dix ans des foires internationales du livre, qui suscitent de plus en plus d’intérêt au niveau international. Selon les rapports officiels du gouvernement, le ratio entre les livres chinois achetés à la Foire du livre de Francfort (c’est-à-dire les livres chinois qui vont être traduits dans d’autres langues) et les livres étrangers achetés lors de cette Foire pour être traduits en chinois, est passé de 1 pour 10 dans les années 1980 à 4 pour 5 ces dernières années. Cependant, il s’agit d’un rapport officiel basé uniquement sur les contrats signés lors de la Foire du livre de Francfort54. En général, toujours selon les mêmes sources, le ratio reste de 1 pour 10 si l’on prend en compte le nombre total de livres chinois traduits dans d’autres langues et de livres étrangers traduits en chinois chaque année. L’attitude envers la traduction et les traducteurs littéraires L’attitude générale envers la traduction littéraire a considérablement évolué en Chine au cours des décennies qui ont suivi la Révolution culturelle de 1966 à 1976. Auparavant, surtout après que le Parti communiste eût pris le pouvoir en Chine continentale en 1949, les traducteurs littéraires étaient extrêmement respectés. Il y avait deux raisons à cela : tout d’abord, la plupart des bons écrivains et des érudits de l’époque, en particulier ceux qui avaient reçu une haute éducation et savaient lire les langues étrangères, n’osaient pas écrire leurs propres œuvres littéraires, par crainte de la persécution politique. Afin de rester fidèle à leur intérêt pour la littérature, ils se tournaient vers la traduction d’œuvres de littérature étrangère, qui étaient relativement sûres, surtout s’ils traduisaient les œuvres de Shakespeare, Balzac, Pouchkine, etc., louées et approuvées par Marx ou Lénine. À cette époque, la plupart des traducteurs étaient des professeurs de langue ou avaient été eux-mêmes écrivains ou poètes, comme Yang Jiang et Sheng Congwen. La seconde raison est 82 83 que les traductions étaient généralement de meilleure qualité que les traductions d’aujourd’hui. Les traducteurs de l’époque étaient de bons écrivains ou des éditeurs qui pouvaient lire l’original et qui avaient en général reçu une excellente éducation. Par exemple, Balzac a été traduit par le célèbre traducteur Fu Lei et très bien accueilli en Chine, et certains experts franco-chinois assurent que la traduction chinoise de Balzac est encore meilleure que le texte original en français. À l’issue de la Révolution culturelle, à la fin des années 1970, avec l’ouverture de la Chine au monde extérieur grâce à la réforme économique, le climat général est devenu beaucoup plus favorable à l’écriture littéraire. L’intérêt pour la littérature occidentale s’est particulièrement développé chez les jeunes générations. En revanche, la traduction littéraire n’est plus aussi prestigieuse de nos jours. Il y a apparemment de nouveau deux raisons à cela. Premièrement, la traduction est devenue beaucoup trop commerciale. De nombreux livres ne sont pas traduits pour leur valeur littéraire, mais parce que ce sont des best-sellers dans les pays occidentaux. Par exemple, le Da Vinci Code est paru en traduction chinoise avant sa sortie dans de nombreuses langues occidentales. De même, la série des livres d’Harry Potter est publiée en Chine presque en même temps que leur publication dans les pays occidentaux. Deuxièmement, les traducteurs et les éditeurs n’ont pas toujours la même maîtrise de la langue chinoise ni la même éducation qu’auparavant. Ils travaillent plus pour des raisons commerciales que par intérêt littéraire. Cependant, certains traducteurs sont très professionnels et leurs traductions font montre d’une indéniable qualité littéraire, en particulier celles qui sont publiées par des maisons d’édition traditionnellement réputées pour leur qualité, notamment Shanghai Foreign Literature Press. Ainsi, tous les ans, le lauréat du prix Nobel de littérature est généralement très médiatisé en Chine et est immédiatement publié en chinois. Malheureusement, la qualité des traductions littéraires est très inégale aujourd’hui. Certaines peuvent être très mauvaises. J’ai vu beaucoup de mauvais exemples dans ma lecture assez large de la littérature étrangère en traduction chinoise. Par conséquent, rares sont les traducteurs d’œuvres littéraires qui ont une réputation nationale d’écrivains littéraires de nos jours. Si la traduction était autrefois considérée comme un art, elle constitue plutôt une activité commerciale aujourd’hui. Peu d’auteurs littéraires ou de poètes célèbres choisissent de s’engager dans la traduction littéraire. D’un autre côté, ceux qui ont moins de succès dans l’écriture littéraire peuvent faire du bon travail en traduction. Par exemple, Li Li, un poète vivant en Suède, également membre de l’ICPC, n’est pas du tout connu comme poète chinois, mais sa traduction du poète suédois Tomas Transströmer a eu beaucoup de succès et a remporté un prix de traduction en 2005. Étant donné que le Parti communiste prêtait attention à la propagande, il existait un institut officiel à Pékin dès les années 1950. Le Bureau des langues étrangè- Six études de cas sur la traduction littéraire res (BLE) employait des experts étrangers pour traduire la littérature chinoise dans d’autres langues en une forme de propagande. Seules les œuvres approuvées par le gouvernement pouvaient être traduites. Le BLE publiait également une revue littéraire trimestrielle intitulée Littérature chinoise dans plusieurs langues étrangères. D’autre part, plusieurs revues littéraires officielles ainsi que des maisons d’édition ont aussi beaucoup contribué à la publication d’œuvres littéraires étrangères en traduction chinoise. Récemment, le gouvernement chinois a également mis en place une fondation offrant des bourses visant à soutenir les intellectuels étrangers qui traduisent des œuvres littéraires chinoises dans leur langue. À Taiwan, il existe également une fondation qui soutient la traduction de la littérature chinoise de Taiwan dans d’autres langues. Dans le cadre du processus de réforme économique, le gouvernement subventionne moins la traduction en chinois de la littérature étrangère, étant donné que la littérature étrangère a déjà beaucoup de succès sur le marché chinois et que les maisons d’édition gagnent généralement de l’argent en publiant des livres étrangers. En revanche, le gouvernement insiste sur la promotion d’un certain type de littérature chinoise dans le reste du monde. Comme nous l’avons dit précédemment, le gouvernement chinois a envoyé une importante délégation à la Foire du livre de Francfort en 2005 et, selon des sources gouvernementales, le ratio de littérature chinoise achetée pour être traduite dans d’autres langues par rapport aux livres étrangers achetés pour être traduits en chinois lors de cette Foire était de 4 pour 555. Pour les écrivains en chinois, il est évident que le climat international est bien meilleur aujourd’hui en ce qui concerne leurs chances d’être traduits dans d’autres langues. La littérature chinoise et les autres types de livres chinois suscitent un intérêt croissant dans le monde entier, tout comme d’autres aspects de la culture chinoise, tels que le cinéma et les beaux-arts. Il convient de mentionner également que le chinois est une des cinq langues officielles de l’ONU et que sa portée mondiale incite plus de gens à chercher à apprendre le chinois. Ainsi, aux États-Unis, de plus en plus de bons traducteurs sont capables de traduire du chinois vers l’anglais en conservant une bonne qualité littéraire. En Europe, presque toutes les langues de moindre importance, telles que le suédois, le danois ou le norvégien, disposent de traducteurs qui font du bon travail avec la littérature chinoise, bien que certains d’entre eux travaillent à partir de la traduction anglaise. Il est toujours important d’avoir de bonnes œuvres littéraires traduites dans d’autres langues, et plus particulièrement en anglais. L’amélioration de la compréhension mutuelle entre les différentes cultures et littératures est la mission du PEN Club international, telle qu’elle est définie dans sa charte. Pour les membres de l’ICPC, il est encore plus important de voir leurs œuvres traduites dans d’autres langues. En effet, les membres de l’ICPC sont, pour la plupart, des dissidents en Chine, dont les œuvres sont interdites pour des raisons politiques, bien que certaines de 84 85 ces œuvres fassent preuve d’une excellente qualité littéraire et d’une signification de la plus haute importance. Si ces œuvres sont traduites dans d’autres langues, en particulier en anglais, et reçoivent une reconnaissance internationale, cela permettra alors d’influencer les lecteurs chinois. Cette influence est un effet spécifique de la traduction d’une œuvre littéraire dans le contexte chinois. L’écrivain Liao Yiwu, membre de l’ICPC, en est un bon exemple : après la traduction de son œuvre dans d’autres langues, notamment en anglais et en français, son influence parmi les lecteurs chinois et sur la littérature chinoise augmentera également. Quelques observations complémentaires Le cas du chinois montre que la traduction de la littérature peut transmettre des valeurs et des intérêts différents. Le choix de ces différentes valeurs peut être culturel ou littéraire, mais aussi social, politique ou commercial. On peut décider de réaliser une traduction en fonction de valeurs ou d’intérêts personnels, qui feront que tel ou tel type de littérature sera traduite et, par conséquent, voyagera. La question qui se pose alors est la suivante : quel type de littérature doit-on « faire voyager » ? Dans le contexte de la mondialisation, les différences de valeurs suscitent des débats. Certains prônent les valeurs universelles, tandis que d’autres prônent des valeurs différentes, les « valeurs asiatiques » par exemple. Dans la perspective post-colonialiste, dans la perspective de la soi-disant hégémonie culturelle de l’Occident ou, selon les termes d’Edward Saïd, de l’impérialisme culturel, ou dans la perspective de ce que j’ai appelé les « vases communicants culturels », certaines valeurs tirent parti de leur position élevée, tout comme l’eau coule vers le bas. Ce phénomène se reflète souvent dans la traduction littéraire, en particulier au niveau quantitatif. Cependant, ce n’est à mon avis pas forcément négatif. Le PEN Club international prône des valeurs universelles liées aux droits de l’homme, telles que la liberté d’expression, mais insiste également sur la diversité des différentes cultures. Nous devons identifier la littérature dans l’espace (horizontal), mais aussi dans le temps (vertical). En effet, toutes les cultures se développent généralement en évoluant de la tradition vers la modernité. Par conséquent, la traduction littéraire n’est pas seulement un effort pour faire se croiser différentes cultures horizontalement, mais également un effort pour faire évoluer toutes les sociétés traditionnelles vers des sociétés modernes. Dans ce sens, cette eau qui coule du haut vers le bas ne crée pas un déséquilibre, mais plutôt un nouvel équilibre. La traduction littéraire suit aussi l’évolution de la société et les besoins de la population. Il est également important de conserver une diversité de cultures. La diversité signifie que nous devons laisser une pluralité de valeurs circuler librement entre les différentes régions du monde dans le cadre de la coordination que j’ai décrite précédemment. Grâce à un soutien international, nous devons essayer de briser les barrières entre elles, que ces Six études de cas sur la traduction littéraire barrières soient naturelles (d’un point de vue linguistique) ou artificielles (pour des raisons politiques). Internet contribuera à surmonter ces barrières. 3.6 La France Anne-Sophie Simenel, directrice de programme, Services culturels de l’Ambassade de France à New York Depuis quelque temps maintenant, les sections de littérature française et de littérature étrangère se côtoient en proportions presque égales sur les rayons des librairies françaises. Elles révèlent une diversité et un éclectisme qui témoignent, année après année, de l’ouverture au monde de l’édition française. Cette image est renforcée par le fait que, depuis plus de vingt ans, il existe des maisons d’édition plus ou moins importantes qui proposent un catalogue essentiellement étranger, notamment les éditions Actes Sud et les éditions Philippe Picquier – qui publient principalement des œuvres traduites des langues asiatiques. Pourtant, le coût d’une traduction reste élevé, et son succès n’est jamais garanti. Alors, comment expliquer ce succès français ? Et la réciproque existe-t-elle dans les autres pays du monde, et en particulier aux États-Unis ? La littérature étrangère en France L’état de l’art Le contexte est assez facile à déterminer. Il suffit de consulter les catalogues des dif- férents éditeurs français, des grands groupes aux petites maisons d’édition, pour voir clairement quelle est la situation de la littérature étrangère en France : environ un tiers des œuvres littéraires parues en France sont traduites d’une autre langue. Depuis 1996, à chaque nouvelle saison littéraire (de fin août à fin octobre), la proportion de romans traduits d’une langue étrangère vers le français était d’entre 39,5 % (en 1996) et 32,2 % (en 2005)56. L’anglais (l’ensemble des pays anglophones) arrive en tête du classement avec, pour toute l’année 2004, 240 titres littéraires achetés sur un total de 430 – autrement dit, plus de la moitié –, avec une prédominance des titres américains (153, soit un tiers des acquisitions d’œuvres de littérature, toutes langues confondues) sur les titres britanniques (66)57. Loin derrière l’anglais arrivent l’allemand, avec 41 titres achetés, suivi de l’espagnol et de l’italien, avec 24 et 23 acquisitions respectivement, le russe (19 titres), le suédois et le chinois (11 et 10 titres, respectivement) et, enfin, dans le peloton de queue, le japonais et le néerlandais (7 titres chacun), le norvégien (6 titres) et le portugais (5 titres). L’accueil des œuvres traduites en France Cependant, une traduction constitue un lourd fardeau financier et exige un investissement important en termes de temps. En effet, si l’on prend le tarif moyen d’un traducteur, soit 20 euros par page de 1 500 signes (nous reviendrons à cela plus en détail par la suite), il faut calculer une avance de plus de 2 500 euros pour la traduction 86 87 d’une œuvre de 200 000 signes (environ 150 pages), ce qui fait considérablement augmenter le prix de vente au détail final du livre. En outre, la traduction s’étale sur de longues périodes de temps, et il peut s’écouler plusieurs années entre la signature d’un contrat pour la cession des droits et la parution de l’œuvre. Mais, comme le montrent les chiffres cidessus, les éditeurs prennent le risque malgré tout. Ces résultats sont dus à une combinaison de plusieurs facteurs : l’intérêt égal que manifestent les lecteurs français pour la littérature française et étrangère est sans aucun doute lié à la qualité des auteurs et des œuvres choisis, à la qualité de la traduction et à la médiatisation considérable des œuvres publiées. Laissons de côté les deux premiers facteurs, sur lesquels nous reviendrons plus tard, pour mentionner, en ce qui concerne le troisième facteur, l’existence de colonnes consacrées à la littérature étrangère dans toutes les revues littéraires, telles que LIRE, Le Magazine Littéraire, Livres Hebdo ou Le Monde des Livres. Il va sans dire que les auteurs étrangers jouissent d’un prestige considérable et d’une certaine aura en France, peut-être même plus que dans leur propre pays. Dans Livres Hebdo du 1er juillet 2005, par exemple, Claude Combet fait remarquer que le dernier livre de Paul Auster, Brooklyn Follies, a été publié par Actes Sud en France avant même sa parution aux ÉtatsUnis en janvier 2006. En règle générale, les éditeurs français, surtout lorsqu’il s’agit de littérature américaine, ont tendance à être à l’affût plutôt qu’en attente. Les raisons de la réussite de l’ouverture au monde du secteur français de l’édition Les éditeurs et les lecteurs spécialisés Bien que les maisons d’édition ne fonctionnent pas toutes sur le même modèle, il est intéressant d’analyser brièvement le fonctionnement de la maison d’édition Actes Sud, qui a récemment gagné le prix Goncourt, la récompense littéraire française la plus prestigieuse, et compte parmi ses auteurs un lauréat du prix Nobel, l’écrivain hongrois Imre Kertesz, qu’elle a contribué à faire découvrir. En effet, la politique de cette maison, qui a basé son catalogue sur les œuvres étrangères, consiste à confier la publication des œuvres traduites d’une autre langue à des directeurs de collection qui sont d’excellents connaisseurs de la langue de l’auteur. La maison d’édition fournit les œuvres, les éditeurs et les correcteurs de la traduction si nécessaire. Il ne fait aucun doute que le succès de cette maison d’édition repose sur sa capacité à lire les auteurs dans le texte. Ce modèle s’applique à beaucoup d’autres maisons d’édition, dans une moindre mesure en fonction des langues traduites. En effet, s’il va sans dire que la plupart des éditeurs français peuvent lire en anglais, c’est loin d’être le cas pour les langues moins courantes. Celles-ci n’en sont pas négligées pour autant, grâce au travail de lecteurs compétents, des conclusions et des conseils desquels dépendent les éditeurs. Les traducteurs Le premier point est donc la qualité des œuvres choisies. Le deuxième, et non des Six études de cas sur la traduction littéraire moindres, est la qualité des traducteurs et de leur travail. En France, cette qualité est attestée par le statut du traducteur, qu’il soit littéraire ou technique, qui est considéré comme un auteur, comme un professionnel dont les droits et les obligations sont garantis par plusieurs associations et syndicats. En ce qui concerne la rémunération des traducteurs, les dispositions du Code des usages de la traduction littéraire, signé en mars 1993 entre, d’une part, l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF), la Société des gens de lettres (SGDL) et la Société française des traducteurs (SFT), et, d’autre part, le Syndicat national de l’édition (SNE), sont les suivantes : le paiement des traductions littéraires doit faire l’objet d’un « à-valoir sur droits d’auteur proportionnels, dont le montant […] dépend notamment de la longueur et de la difficulté de la traduction, ainsi que de la compétence et de la notoriété du traducteur ». L’unité de calcul est la page de 25 lignes de 60 signes, payée en moyenne entre 19,50 euros et 21,50 euros pour les traductions de l’anglais, entre 21,50 euros et 22,50 euros pour les traductions de l’allemand, de l’italien et de l’espagnol, et entre 21,50 euros et 23,50 euros pour les autres langues58. Cet à-valoir est déduit des futurs droits d’auteur dont bénéficie le traducteur. L’objectif de ce cadre, qui reconnaît le travail du traducteur comme une profession spécifique autonome, est d’améliorer sa situation matérielle et sociale et de promouvoir la qualité de la traduction des œuvres étrangères publiées en France, afin de soutenir le développement de la littérature étrangère dans le paysage éditorial français. Les aides financières du CNL Depuis de nombreuses années, le programme d’aide à la traduction du Centre national du livre (CNL) est ouvert aux éditeurs français souhaitant publier des œuvres traduites. La subvention accordée finance entre 50 % et 60 % du prix total de la traduction. Pour être éligible, l’éditeur doit soumettre un dossier comprenant un échantillon de traduction représentant environ 20 % de l’œuvre, et le dossier est évalué, entre autres, sur la qualité de la traduction. Il est également stipulé que le contrat entre le traducteur et l’éditeur (qui doit être présenté dans le dossier) doit être « conforme au Code des usages » que nous avons mentionné plus haut. En d’autres termes, si le traducteur est payé moins de 17 euros par page, aucune subvention ne sera accordée à l’éditeur. Si le tarif est compris entre 17 et 20 euros, l’éditeur recevra 50 % du coût de la traduction, et 60 % si le tarif est supérieur à 20 euros. Ce programme de subventions du CNL offre donc une aide à double titre au développement de la publication de littérature étrangère en France, en soutenant à la fois l’éditeur et le traducteur. La littérature française à l’étranger L’état de l’art : les chiffres dans le monde et les pays acheteurs Selon l’enquête Échange de droits (88 éditeurs) réalisée par la Centrale de l’édition et le SNE en 2002, 4 698 titres (tous do- 88 89 maines confondus) ont fait l’objet d’une cession de droits aux éditeurs étrangers à des fins de traduction. Le chiffre d’affaires pour ces droits s’élevait à 106 millions, soit une hausse de 7,5 % par rapport à l’année précédente. Deux ans après, selon les statistiques extérieures 2004 du Syndicat national de l’édition (SNE), le nombre de titres vendus était monté à 6 077, dont près d’un tiers (1 817) étaient des œuvres de littérature. La comparaison entre les acquisitions et les cessions de droits en 2004 est éloquente : la France vend beaucoup plus de livres qu’elle n’en achète, avec un ratio d’un titre acheté pour 4,2 titres vendus. Si l’on analyse ces chiffres plus en détail, il apparaît que les pays les plus adeptes de la littérature française sont les voisins de la France : l’Italie (157 titres achetés), l’Espagne (148 titres achetés, sur 165 pour l’ensemble des pays hispanophones) et l’Allemagne (117 pour la langue allemande en général). Parmi les autres pays présentant des chiffres élevés figurent la Grèce (91), la Roumanie (91), la Turquie (75) et le Portugal (74, plus 44 pour le Brésil). L’Europe de l’Est manifeste également un fort intérêt pour la production littéraire française : la Pologne se place en bonne position avec 72 titres, suivie par la République tchèque avec 63 titres et, dans une moindre mesure, la Yougoslavie, la Bulgarie, la Hongrie, la Lituanie et la Slovénie, avec 48, 38, 34, 31 et 25 ouvrages achetés, respectivement. Enfin, il faut noter que les pays d’Asie sont également de bons acheteurs, avec 72 titres vendus à la Corée du Sud, 49 à la Chine et 48 au Japon. En ce qui concerne les échanges de droits avec ces pays, on constate que la balance pèse lourdement en faveur de la France. Cependant, l’équilibre s’inverse lorsqu’il s’agit des pays anglophones. En effet, pour 240 titres en anglais achetés, seulement 90 titres français ont été vendus en 2004, avec le même nombre pour le Royaume-Uni et pour les États-Unis (42 titres chacun). On constate ainsi un très grave déséquilibre dans les échanges de droits avec les ÉtatsUnis, qui restent pour les éditeurs et pour les auteurs français un Eldorado de l’édition, tout comme du cinéma. L’accueil des auteurs français dans le monde et aux États-Unis Si nous trouvons, parmi les auteurs français les plus traduits dans le monde, de nombreux écrivains du milieu du xxe siècle, tels que Sartre, Camus, Malraux ou Gide, nous ne devons pas sous-estimer pour autant l’importance des auteurs contemporains. En effet, selon Lucinda Karter, directrice de France Édition, Inc. – antenne permanente du Bureau international de l’édition française (BIEF) à New York, qui représente plusieurs éditeurs français aux États-Unis –, les éditeurs américains « étaient plutôt preneurs des grands noms de la littérature, de la critique littéraire, de la philosophie, de l’histoire, de la sociologie59 ». Et de citer certains de ces grands noms : Althusser, Bataille, Baudrillard, Breton, Char, Deleuze, Duras, Ernaux, Furet, Glissant, Klossowski, Kristeva, Leiris, Le Roy Ladurie, Levinas, Michaux, Nora, Perec, Queneau, Ricoeur, Sagan, Serres, Sollers ou Todorov. Mais Mme Karter remarque aussi une déviation de l’intérêt Six études de cas sur la traduction littéraire vers des œuvres de fiction d’auteurs plus contemporains, tels qu’Emmanuel Carrère, François Cheng, Assia Djebar, Anna Gavalda, Camille Laurens, Amélie Nothomb ou Jean-Christophe Ruffin, et même un intérêt pour des auteurs peu connus en France, notamment Laurent Graf et Thomas Gunzig. Depuis peu, cette tendance s’applique également aux auteurs français vivant outre-atlantique (notamment Alain Mabanckou, dont le roman African Psycho a été publié en 2007 par SoftSkull Press), aux descendants d’immigrants (comme le montre, par exemple, la récente parution de Kiffe kiffe demain de Faïza Guène, publié chez Harcourt) et aux exilés ou aux étrangers vivant en France (Les Mots étrangers de Vassilis Alexakis, auteur grec vivant en France et écrivant en français, a été publié au printemps 2006 par Autumn Hill Books). Aux États-Unis, bien que la balance commerciale soit défavorable à la France et qu’il reste encore des efforts considérables à faire, la production française dans le monde de l’édition est en bonne position, avec 0,8 % du total de la production américaine, qui ne compte que 2,8 % d’œuvres traduites. Autrement dit, environ 30 % des ouvrages publiés en traduction aux États-Unis proviennent de sources francophones. La promotion de la littérature française à l’étranger Si, à l’exception des États-Unis, les chiffres des ventes de littérature française sont éloquents, il ne faut pas oublier qu’ils sont le fruit des nombreuses initiatives lancées, d’une part, par les éditeurs et, d’autre part, par les différentes instances travaillant dans le monde du livre à l’étranger, telles que le BIEF, le CNL et les Services du livre des ambassades de France, en particulier à New York. Parmi ces initiatives figurent un certain nombre d’aides, destinées aussi bien aux éditeurs étrangers souhaitant publier des œuvres françaises qu’aux traducteurs travaillant du français vers une langue étrangère, proposées par le ministère de la Culture et le ministère des Affaires étrangères. Par exemple, au travers de la Direction du livre et de la lecture et du Centre national du livre, le ministère de la Culture affecte un budget de près de dix millions d’euros à l’aide au développement et à l’exportation des publications françaises et à la cession des droits de titres français aux éditeurs étrangers. Le Bureau international de l’édition française (BIEF) Le BIEF est une structure associative qui fait la promotion de l’édition française à l’étranger en participant aux principaux événements, mais qui est également engagée dans l’étude, la prospection de marchés, la documentation et la formation de professionnels étrangers. Le BIEF, qui compte 250 membres et bénéficie du soutien du ministère français de la Culture et de la Communication et du ministère des Affaires étrangères, existe depuis 130 ans. Il travaille également en étroite collaboration avec le Syndicat national de l’édition (SNE), le Centre d’exportation du livre français (CELF) et la Centrale de l’édition. Chaque année, avec plus de 70 actions, le BIEF assure la présence collective des 90 91 ouvrages des éditeurs français dans les foires ou salons du livre du monde entier, manifestations généralistes comme Francfort ou spécialisées comme Bologne, dans les congrès internationaux mais aussi au travers d’expositions d’ouvrages par domaine éditorial, expositions qui fréquemment sont présentées dans plusieurs villes d’un même pays. Le BIEF assure également des séminaires d’échanges professionnels et des formations de professionnels du livre à l’étranger. L’accueil en France de certains d’entre eux au moment du Salon du livre de Paris comme dans des maisons d’édition françaises pendant plusieurs mois participe de la volonté du BIEF d’être au cœur des rencontres entre libraires, éditeurs, et plus généralement acteurs de la chaîne du livre qui souhaitent coopérer avec l’édition française. En appui et en complément à ces activités, le BIEF met à la disposition de ses adhérents des études sur les marchés du livre à l’étranger, sur la place qu’y occupe le livre français – en termes de cessions de droits et d’exportations – et sur son potentiel de développement, à travers la publication trimestrielle d’une Lettre et de dossiers spéciaux et la production de synthèses. Le site Internet www.bief.org est un outil d’information complémentaire sur les activités et synthèses réalisées, ainsi que sur l’actualité du secteur. En matière de cessions de droits, l’Europe (au sens le plus large), l’Asie, mais aussi l’Amérique latine constituent les zones prioritaires actuelles. France Édition Inc., qui est les yeux et les oreilles du BIEF à New York, propose à tous ses adhérents les services d’une agence de droits pour la langue anglaise et, à Hanoi, France Édition Viêt-nam a pour mission de développer les échanges franco-vietnamiens dans le domaine du livre, tant en matière d’exportation que d’échanges de droits ou de coéditions. Les aides financières Le gouvernement français subventionne également les initiatives de traduction dans le cadre de différents programmes, destinés aussi bien aux éditeurs qu’aux traducteurs étrangers. Les aides pour les éditeurs Le Centre national du livre (CNL) Le Centre national du livre apporte un soutien aux éditeurs français pour la cession des droits de traduction de leurs livres à leurs homologues étrangers et assume une partie du coût de la traduction. Il prête une attention particulière aux marchés considérés comme « difficiles » et aux domaines littéraires pour lesquels la promotion à l’étranger est pratiquement indispensable (sciences humaines et sociales, théâtre, littérature pour la jeunesse, etc.). Environ 500 titres par an bénéficient de l’aide du CNL pour être traduits dans une langue étrangère. Pour être éligible, le dossier doit être soumis par l’éditeur français qui détient les droits de vente de l’ouvrage. Les dossiers sont examinés par une commission composée de représentants des administrations concernées, de professionnels de l’édition et de personnes qualifiées. Les dossiers sont Six études de cas sur la traduction littéraire sélectionnés en fonction de plusieurs critères, notamment la qualité de l’ouvrage, la politique éditoriale de l’éditeur étranger ainsi que le respect de ses engagements envers les éditeurs français, le risque éditorial encouru, la rémunération du traducteur et le montant de l’à-valoir. Les aides – versées à l’éditeur français, qui doit, à son tour, les reverser aux éditeurs étrangers – sont calculées à partir des honoraires du ou des traducteurs, à l’exclusion de tout autre frais lié à la fabrication ou à la promotion de l’ouvrage. Le montant accordé peut représenter de 20 % à 50 % du coût de traduction présenté dans le dossier de demande. La Direction générale de la coopération internationale et du développement (ministère des Affaires étrangères) De plus, le ministère des Affaires étrangères propose depuis plusieurs années un programme d’aide aux éditeurs étrangers : le Programme d’aide à la publication (PAP), destiné à soutenir les livres revêtant une grande importance culturelle. Un programme à moyen et long termes pour la publication des auteurs français est mis en place par les éditeurs locaux en collaboration avec les services culturels des ambassades de France. Pour les États-Unis, cette aide, appelée bourse Hemingway, est remise aux éditeurs américains par l’intermédiaire des services culturels de l’ambassade de France aux États-Unis. Elle ne peut être cumulée avec une aide du CNL, et son montant varie entre 1 000 et 6 000 dollars. Dans son dossier de demande, l’éditeur améri- cain doit présenter, entre autres, un budget prévisionnel justifiant le montant de l’aide demandée. Les aides pour les traducteurs En plus de l’aide accordée aux éditeurs étrangers, le CNL et le ministère des Affaires étrangères offrent aux traducteurs travaillant du français vers d’autres langues plusieurs types d’aides destinées à soutenir leur travail. L’aide à la traduction Le CNL accorde, à certaines conditions, une aide pour la traduction d’un ouvrage. Cette aide est destinée à soutenir la traduction des œuvres françaises dans d’autres langues, à l’exception des livres relevant du domaine public, des livres scolaires, des guides pratiques et des revues. Le montant de l’aide, qui est versée directement aux traducteurs, peut représenter entre 20 % et 50 % du coût de la traduction. Il existe deux types d’aide. L’un, les bourses, s’applique à tous les domaines de traduction et sert à financer des projets personnels à long terme. Pour être éligible, le traducteur doit avoir traduit trois ouvrages publiés et prendre un congé complet ou partiel. Le second type d’aide, les crédits de traduction, consiste en un montant forfaitaire accordé pour la traduction d’une œuvre difficile à des fins de protection du patrimoine. Le dossier de demande doit être déposé par le traducteur, accompagné d’une lettre présentant les problèmes (difficultés stylistiques, différents niveaux de langue, recherche documentaire, etc.) et l’intérêt de 92 93 l’ouvrage. La commission décide de l’attribution des crédits en fonction de la qualité du texte original et d’un échantillon de la traduction, et évalue le degré de difficulté de la traduction. Le traducteur doit présenter un contrat de traduction, et l’aide vient s’ajouter à la rémunération versée par l’éditeur. Les bourses de séjour pour les traducteurs étrangers Le CNL accorde également des bourses aux traducteurs étrangers désireux de séjourner en France pour y mener un projet de traduction. Pour obtenir ces bourses, les candidats doivent faire parvenir un dossier au CNL par l’intermédiaire des services culturels de l’ambassade de France de leur pays de résidence. Les décisions sont prises par le président du CNL après consultation d’une commission composée de traducteurs, d’éditeurs et de représentants des administrations concernées. Cette commission ne se réunit qu’une fois par an et accorde une centaine de bourses, d’un montant de 1 525 euros par mois pour un séjour de un à trois mois, à l’exclusion des frais de voyage. Les traducteurs doivent justifier d’un projet de traduction d’un ouvrage français faisant l’objet d’un contrat avec un éditeur étranger. Ils doivent résider à l’étranger. Tous les genres sont concernés (littérature, poésie, jeunesse, sciences humaines et sociales) et toutes les œuvres, y compris celles tombées dans le domaine public. Depuis 2005, par l’intermédiaire du Service du livre de l’ambassade de France à New York, le ministère des Affaires étrangères gère son propre programme de sé- jours pour les traducteurs du français à l’anglais (États-Unis et Royaume-Uni), en partenariat avec la Villa Gillet, une institution culturelle située à Lyon. Ce programme permet à des traducteurs étrangers travaillant sur un projet de traduction d’une œuvre française contemporaine de passer six semaines à Lyon (l’aide inclut le transport, le logement et une indemnité) afin de prendre part à la vie culturelle de la ville. Les traducteurs sélectionnés participent toujours aux ateliers de travail de la Villa Gillet. Pour être éligibles, les traducteurs ne doivent pas nécessairement justifier d’un contrat avec un éditeur étranger, puisque le but de ces séjours est d’introduire de nouveaux projets dans les paysages éditoriaux américain et anglais. Les actions des services de coopération culturelle à New York Créé en 2004, le Service du livre de l’ambassade de France à New York s’est engagé à promouvoir les titres français aux ÉtatsUnis. Pour mener cette tâche à bien, il dispose d’une gamme d’outils variée : la campagne de la bourse Hemingway et les résidences de traduction à la Villa Gillet, mais aussi un nouveau programme de soutien à la traduction des titres français publiés depuis 2000. Ce programme, intitulé French Voices, comprend un programme de visites d’auteurs francophones aux États-Unis et d’invitations d’auteurs et d’éditeurs américains en France, ainsi qu’un site Internet destiné aux professionnels du livre américains, qui se veut un filtre pour l’édition française. French Voices En partenariat avec le PEN Club américain, le Service du livre a mis en place en 2006 French Voices, un nouveau programme de traduction conçu pour venir en aide à la publication aux États-Unis de livres écrits en français et publiés après 2000. D’ici à la fin 2008, trente livres – parmi lesquels autant d’œuvres littéraires que d’essais – auront été sélectionnés par une commission de professionnels français et américains du secteur du livre. La série, reconnaissable grâce à un logo dessiné par le célèbre artiste français Serge Bloch, offrira aux lecteurs anglophones une nouvelle perspective francophone sur notre environnement marqué par la mondialisation. Chaque livre sera introduit par une courte préface écrite par un auteur célèbre, et un guide de lecture sera disponible gratuitement sur le site www. frenchbooknews.com. Afin de compenser les risques financiers liés à la distribution de textes traduits sur le marché américain, l’éditeur de chaque projet sélectionné recevra 6 000 dollars pour la rémunération du traducteur. Si un projet ne disposant pas d’éditeur américain est sélectionné, le Service du livre fera de son mieux pour le soutenir en recherchant un partenaire convenable et en lui faisant des propositions. Les visites et les invitations En outre, le Service du livre organise environ trente visites d’auteurs par an : le but est d’inviter des auteurs francophones à venir prendre part à des conférences dans les universités, faire des lectures dans les librairies et les Alliances françaises ou assurer le suivi promotionnel d’une œuvre traduite aux États-Unis. Ces visites constituent également une occasion pour les auteurs qui n’ont pas encore été traduits de rencontrer des éditeurs et des agents littéraires américains. Dans le cadre d’un projet d’une durée de trois ans, le Service du livre offre également une subvention au PEN Club américain pour financer la visite d’une délégation de dix auteurs au festival littéraire World Voices. Enfin, le Service du livre propose une série d’invitations en France à l’intention d’auteurs et, plus particulièrement, d’éditeurs américains. Ces invitations permettront aux éditeurs des deux pays de se rencontrer, de découvrir leurs catalogues respectifs et d’établir des relations commerciales à long terme. www.frenchbooknews.com C’est ainsi que le Service du livre peut prêter assistance aux éditeurs américains à des étapes décisives : en établissant un lien avec les éditeurs français, en finançant des projets de traduction et en assurant le suivi après la publication d’une œuvre. Le site web www.frenchbooknews.com, créé en association avec le Bureau du livre de l’ambassade de France à Londres, joue un quatrième rôle, non moins décisif : proposer une offre intéressante en sélectionnant chaque mois une douzaine d’ouvrages récemment parus en France et en les présentant aux éditeurs sous la forme d’un résumé critique. Le site fournit également aux professionnels américains et anglais une liste de 94 95 contacts des personnes chargées des cessions de droits dans les maisons d’édition françaises, une liste des aides accordées aux éditeurs et aux traducteurs par le CNL et par le ministère des Affaires étrangères, et une base de données répertoriant tous les textes traduits en anglais depuis 1990, qui entrera en service à l’automne 2007. Toutes ces initiatives du gouvernement français à l’intention des éditeurs étrangers permettent la diffusion non seulement de la littérature, mais de l’ensemble des publications françaises à l’étranger – et cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les États-Unis. C’est grâce au regroupement de ces initiatives que les chiffres des cessions de droits français à l’étranger sont si bons. Pour ce qui est des États-Unis, nous pouvons (avec optimisme) percevoir un changement d’atmosphère, qui laisserait plus de place à la traduction dans son ensemble, et en particulier à la traduction du français. Cette perspective est confirmée par l’immense succès d’auteurs français ou francophones, notamment Bernard-Henri Lévy (en dépit et sans doute en raison de la controverse qu’il suscite), Marjane Satrapi pour la bande dessinée, ou Irène Némirovsky, dont le roman posthume Suite française a été publié au printemps 2006 chez Knopf. De plus, certaines maisons d’édition françaises et européennes, telles qu’Assouline ou Europa Editions (Italie), se sont embarquées dans l’aventure américaine, et six agents littéraires français jouent un rôle de plus en plus important sur le marché américain de l’édition. En conclusion, revenons sur l’état de la traduction à partir du français et vers le français en France. Dans l’ensemble, la situation est très positive pour les traductions du français vers une autre langue. Il existe un grand nombre de pays acheteurs, les chiffres de vente sont très bons, et la diffusion de la littérature française est excellente dans une large majorité de pays. Pour la traduction des langues étrangères vers le français, notre évaluation doit être plus nuancée, mais les traductions sont de bonne qualité, et les immenses efforts réalisés en faveur des traducteurs sont enfin récompensés. Néanmoins, on constate un fort déséquilibre entre les cessions et les acquisitions de droits, en particulier au détriment de nos voisins européens, auxquels nous devrions prêter davantage attention. Au final, le bilan a beau être positif dans l’ensemble, il n’en reste pas moins relativement négatif, malgré tout, si l’on prend en compte la traduction en anglais des œuvres de littérature française, en particulier aux États-Unis. Il reste beaucoup de mesures à prendre, dont la principale est de convaincre les éditeurs américains de considérer le travail du traducteur comme un art, digne d’être payé à sa juste valeur et de recevoir un statut protecteur. En effet, il ne fait aucun doute que la promotion de la littérature étrangère dans un pays dépend avant tout de la traduction, de sa qualité, et de l’appréciation et de la reconnaissance accordées aux traducteurs. Six études de cas sur la traduction littéraire NOTES L’Allemagne L’Argentine 8 Goethe-Institut, http://www.goethe.de ; EUROPA, le portail de l’Union européenne, http://www.europa.eu. Voir, à ce sujet, l’excellente étude de Patricia WILLSON, La Constelación del Sur. Traductores y traducciones en la literatura argentina del Siglo XX, Buenos Aires, Siglo XXI Editores, Argentine, 2004. 1 Ces chiffres proviennent du site officiel de la Chambre argentine du livre : www.editores.org.ar. 2 Il suffit d’un coup d’œil aux suppléments culturels des principaux journaux argentins – La Nación, Clarín ou Página/12 – pour le vérifier. 3 La Catalogne 4 En Espagne, le terme castellano (castillan) est généralement employé lorsque le contexte fait référence aux différentes langues de l’État espagnol, tandis que le terme español (espagnol) est généralement utilisé par rapport aux langues des autres pays. Selon certains philologues, le terme « castillan » désigne exclusivement la langue parlée en Castille au Moyen Âge ou, en termes modernes, un sous-dialecte de l’espagnol, parlé en Castille et différent de l’espagnol parlé dans les autres régions d’Espagne, en Andalousie et en Aragon (dont les écrivains sont des auteurs espagnols, et non des auteurs « castillans »), par exemple. Étant donné que « espagnol » est le terme générique (dénué de connotations idéologiques, politiques et territoriales) qui est normalement utilisé en français, je l’utiliserai tout au long de ce texte (sauf lorsque la précision requiert l’emploi de « castillan ») pour désigner la langue de l’État espagnol. [note du traducteur] 9 Analyse de consommation 2004, Bauer Media KG : http:// www.bauermedia.com. bfai - Bundesagentur fuer Aussenwirtschaft (Agence fédérale des affaires économiques extérieures), http://www. bfai.de. 10 11 Börsenverein des Deutschen Buchhandels (Union centrale de la librairie allemande), http://www.boersenverein.de/. Becker, Jürgen Jakob, Traduction, in Schütz, Erhard (Éditeur), Das BuchMarktBuch. Der Literaturbetrieb in Grundbegriffen. Reinbek bei Hamburg, Rowholts Enzyklopaedie im Rowohlt Taschenbuch Verlag, 2005. 12 13 Börsenverein des Deutschen Buchhandels (Union centrale de la librairie allemande) (Éd.), Traductions en allemand, in « Buch und Buchhandel in Zahlen 2006 », Francfort-surle-Main, MVB Marketing- und Verlagsservice des Buchhandels, 2006. Becker, Jürgen Jakob, Traduction, in Schütz, éditions Erhard, Das BuchMarktBuch. Der Literaturbetrieb in Grundbegriffen. Reinbek bei Hamburg, Rowholts Enzyklopaedie im Rowohlt Taschenbuch Verlag, 2005. 14 15 HARRIS, Megan. Foreign Books Dominate German Market, consulté le 2 octobre 2005 à l’adresse http://www.dwworld.de/dw/article/0,2144,1726488,00 html. 16 5 Une base de données créée par l’Institució de Lletres Catalanes (Institut des lettres catalanes) pour recueillir des Informations sur la traduction des œuvres catalanes dans les autres langues. Depuis 2002, l’Institut Ramon Llull est chargé de la mettre à jour. Les archives TRAC ont été converties en base de données informatique et peuvent être consultées gratuitement sur Internet à l’adresse www. llull.cat/llull/biblioteca/trac.jsp. 6 Cette section se base sur une enquête réalisée par courrier électronique auprès d’une cinquantaine de traducteurs et de personnes travaillant dans l’édition. Bien que nous ne les citions pas par leur nom, nous avons essayé d’inclure les opinions les plus fréquentes. 7 Peter Bush, « Reviewing Translations: Barcelona, London and Paris », dans EnterText, une revue électronique inter— active interdisciplinaire pour les études culturelles et historiques et le travail de création, Brunel University of West London (volume 4, n° 3, supplément, hiver 2004/2005). Disponible sur Internet à l’adresse http://www.brunel. ac.uk/4042/entertext4.3sup/ET43SBushEd.doc (consulté pour la dernière fois le 3 juin 2007 [note de l’éditeur]). Foire du livre de Francfort : http://www.book-fair.com. Becker, Jürgen Jakob, Traduction, in Schütz, éditions Erhard, Das BuchMarktBuch. Der Literaturbetrieb in Grundbegriffen. Reinbek bei Hamburg, Rowholts Enzyklopaedie im Rowohlt Taschenbuch Verlag, 2005. 17 18 Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 27-2006, p. 191 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 282006, p. 153 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 29-2006, p. 167 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 34-2006, p. 101 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 36-2006, p. 137 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 38-2006, p. 151 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 42-2006, p. 155 ; Börsenblatt des Deutschen Buchhandels, n° 43-2006, p. 139. 19 Deutsche Kultur International : http://www.deutsche-kultur-international.de/search/index.html?keyword=146§ ion=search&lang=de. 20 KUHN, Eva. Arbeit im Verborgenen, consulté le 22 septembre 2004 à l’adresse http://www.zdf.de/ZDFde/ inhalt/4,01872,2194692,00.html 96 97 21 HERZOG, Roman. Rede anläßlich des Wieland-Übersetzerpreis, consulté le 18 octobre 1997 à l’adresse http://www. fim.musin.de/Cyberlernen/gabi2/Rede.html. 22 SCHERMER-RAUWOLF, Gerlinde. Friß oder Stirb, consulté à l’adresse http://www.literaturuebersetzer.de/. Programme de traduction du Goethe-Institut : http:// www.goethe.de/uun/ang/ueb/uea/enindex.htm. Foire du livre de Francfort : http://www.book-fair.com ; New York Times, 20 décembre 2005 ; Die Welt, 27 décembre 2005 ; Der Spiegel, 24 décembre 2005 ; dpa, 29 novembre 2005. 40 41 STEINHOF, Eirik. « Introduction », tiré de Chicago Review. New Writing in German, Chicago, 2002. 23 24 Pro Helvetia : http://www.prohelvetia.ch/index.cfm?rub=30. 25 Chancellerie fédérale autrichienne : http://www.bundeskanzleramt.at/DesktopDefault.aspx?TabID=3969&Alias-art. Société pour la promotion des littératures africaines, asiatiques et latino-américaines : http://www.litprom.de. 26 27 LCB : http://lcb.de. 28 VdÜ : http://literaturuebersetzer.de. 29 DÜF : http://www.uebersetzerfonds.de. 30 Foire du livre de Francfort : http://www.book-fair.com. 42 Foire du livre de Francfort : http://www.book-fair.com. Börsenverein des Deutschen Buchhandels (Union centrale de la librairie allemande) (Éd.), Traductions en allemand, in « Buch und Buchhandel in Zahlen 2006 », Francfort-surle-Main, MVB Marketing- und Verlagsservice des Buchhandels, 2006. 43 44 Foire du livre de Francfort : http://www.book-fair.com. MACZKA, Michelle, et STOCK, Riky. Literary Translation in the United States: An Analysis of Translated Titles Reviewed by Publishers Weekly, New York, Publishing Research Quarterly, volume 22, n° 2, 2006. 45 WILLAND, Jutta, directrice des droits chez Eichborn AG, au cours d’une conversation téléphonique, 2 novembre 2006. 46 31 German Book Office : http://www.gbo.org. 32 Goethe-Institut : http://www.goethe.de. 47 33 Prix allemand du livre : http://www.germanbookprize.de. 48 Dernières parutions en allemand : http://www.new-bookin-german.com. 34 Dernières parutions en allemand : http://www.new-booksin-german.com. Il est actuellement impossible de prévoir si ce projet se poursuivra en 2007. 35 WILLAND, Jutta, directrice des droits chez Eichborn AG, Documentation of the 17th International Rights Directors Meeting « A Fresh Look at Rights » Recent Changes in the German and French Markets, Foire du livre de Francfort, 7 octobre 2003. 36 37 BECKER, Jürgen Jakob. « The City, Its History, Its Stories. Reflections on the Literature of a New Berlin », tiré de Dimension. Contemporary German-Language Literature, volume 7, n° 1, Nacogdoches. WILLAND, Jutta, directrice des droits chez Eichborn AG, Documentation of the 17th International Rights Directors Meeting « A Fresh Look at Rights » Recent Changes in the German and French Markets, Foire du livre de Francfort, 7 octobre 2003. 38 39 BECKER, Jürgen Jakob. « The City, Its History, Its Stories. Reflections on the Literature of a New Berlin », tiré de Dimension. Contemporary German-Language Literature, volume 7, n° 1, Nacogdoches. PEN Club américain : http://pen.org. La Chine 49 Sur la source des données 2003, consulter le site http:// www.china.org.cn/english/en-sz2005/kj/biao/22-13.htm. Les chiffres pour 2005 proviennent de l’Administration générale de la presse et de la publication de RPC : http://www. gapp.gov.cn/GalaxyPortal/inner/zsww/frame.jsp ou http:// www.cppinfo.com/common/Bulletin/Bulletin_content. aspx?key=50&lmgl_id=508. 50 Consulter le site http://www.chinawriter.com.cn/zuoxe/ zuoxie_jianjie.asp. 51 Sources de la première note. 52 Selon un courrier électronique du professeur Bonnie S. McDougall, directeur du Centre de recherche en traduction à l’Université chinoise de Hong Kong (CUHK), Red Chan a fait une thèse à Oxford il y a quelques années sur la traduction en RPC. Lawrence Wong, qui travaillait auparavant à la CUHK et maintenant à Singapour, a un projet de recherche qui inclut le BLE. Sur la coopération sino-étrangère dans le domaine de l’exploitation des droits d’auteur et de l’édition, la déclaration suivante est publiée sur un site officiel chinois : 53 « Le gouvernement chinois a toujours accordé beaucoup Six études de cas sur la traduction littéraire d’importance à la coopération dans le secteur de l’édition entre la Chine et les autres pays. En vertu du règlement sur l’administration de l’édition et du Catalogue de recommandations pour les secteurs investissant à l’étranger, les éditeurs chinois et les éditeurs étrangers sont autorisés à coopérer dans le domaine de l’exploitation de droits d’auteur et de l’édition. L’exploitation des droits d’auteur est en plein essor. Par exemple, les droits d’auteur du dictionnaire Xinhua en traduction anglaise publié par Commercial Press International Co. Ltd. en 2000 ont été achetés par plusieurs éditeurs, notamment à Singapour, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et au Canada. De même, les droits d’auteur du livre Deng Xiaoping sur le socialisme ont été transférés à une imprimerie japonaise, et 200 000 exemplaires du livre ont été publiés et distribués au Japon en 2000, dont plus de 20 000 exemplaires de la première version et plus de 30 000 exemplaires de la seconde version. La publication d’éditions en anglais, en suédois et en malais de la revue en reprenant la même formule est aussi actuellement à l’étude. Les exportations de droits d’auteur sont devenues un moyen important pour diffuser les publications chinoises à l’échelle mondiale. La coopération dans le domaine de l’édition a aussi été fréquemment adoptée par les maisons d’édition chinoises et étrangères. Le China International Publishing Groupe, en coopération avec l’American Yale University Press, prévoit de publier plus de vingt séries de livres différentes sur la culture et la civilisation chinoises, dont deux sont déjà achevées. Le projet bénéficie d’investissements des deux côtés, aussi bien en termes de main-d’œuvre que de capitaux. Les éditions en chinois et en anglais de ces séries de livres seront distribuées en Chine et aux États-Unis, respectivement. La coopération sino-étrangère en matière d’exploitation des droits d’auteur pour les journaux est la bienvenue. Dans le cadre de cette formule de coopération, les journaux chinois peuvent entretenir une coopération à long terme avec leurs homologues étrangers et utiliser leur contenu. Pendant des années, les journaux chinois qui se sont engagés dans ce type de coopération approuvée ont assisté à des améliorations considérables en termes de qualité. Ils ont beaucoup appris sur la direction des journaux auprès de leurs homologues étrangers, ce qui contribuera à promouvoir le développement du secteur du journalisme en Chine. » 54 Consulter le site http://news.xinhuanet.com/book/200511/04/content_3729442.htm. 55 Consulter le site http://news.xinhuanet.com/book/200511/04/content_3729442.htm. La France 56 Source : Livres Hebdo, n° 608, 1er juillet 2005. Source : SNE, Statistiques extérieures 2004, basées sur un échantillon de 91 éditeurs. 57 58 Source : ATLF, sur la base de 328 réponses obtenues dans un sondage auprès des traducteurs en juin 2004, à partir des contrats signés en 2004-2005. Newsletter 1, septembre 2003 : « Le Bureau de New York a vingt ans : une petite histoire du livre français aux États-Unis ». 59 4. Expériences de traduction littéraire Esther Allen et Simona Škrabec Ce chapitre, divisé en deux parties, expose plusieurs expériences intéressantes de traduction littéraire. Sa première partie s’intéresse à la traduction en anglais, et notamment aux initiatives américaines dans ce domaine. La seconde partie se penche sur les outils de promotion de la traduction dans d’autres langues (anglais y compris) employés par quatre pays d’Europe. 4.1 Quelques expériences menées aux États-Unis Cette partie présente plusieurs approches générales qui, actuellement, semblent particulièrement efficaces pour contribuer à la transposition en anglais d’œuvres d’autres pays du monde. Ce faisant, elle propose un passage en revue d’un grand nombre – mais, bien entendu, pas de leur totalité – de projets liés à la traduc- tion entrepris par les clubs et les comités PEN du monde entier, ainsi que des initiatives dues à des organisations qui travaillent avec les PEN Clubs dans le but de promouvoir la traduction en anglais de textes écrits dans d’autres langues. Nous citerons trois pratiques aujourd’hui particulièrement performantes. Il s’agit des programmes axés sur un thème et conduits de façon transrégionale. Des programmes offrant un soutien spécial aux traducteurs et aux éditeurs de traductions. Et des initiatives qui s’appuient sur Internet, cet extraordinaire nouveau moyen de diffuser la littérature internationale via l’anglais. a] Des sujets précis, abordés de façon transrégionale Les nombreuses agences culturelles qui, depuis des dizaines et des dizaines d’années, font face au problème, n’ignorent rien de la 100 101 difficulté du passage à l’anglais. Ces agences étant habituellement subventionnées par le gouvernement, elles tendent naturellement à s’attacher à la langue, à la région ou à la nation qu’elles sont payées pour représenter. Plus encore, les universités organisant généralement leurs départements par langue, l’approche « région par région » colle parfaitement aux besoins de nombreux programmes universitaires. Par le passé, ce système s’est révélé spectaculairement fructueux. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, c’est grâce à un programme de bourses Rockefeller de soutien à la traduction de la littérature sud-américaine que les romans de Gabriel García Marquez et d’autres auteurs ont été traduits et que, aux États-Unis, un nouveau public s’est ouvert, avec le succès que l’on sait, aux lettres sud-américaines. Ces derniers temps, néanmoins, de nombreuses agences culturelles ont dénoncé le risque inévitable que cette approche renferme, celui de « prêcher des convertis ». Ce risque consiste à ne faire découvrir la littérature internationale qu’au petit sub-segment du public anglophone qui a déjà, d’avance, un intérêt pour la langue ou pour le pays en question. L’initiative de l’Institut Ramon Llull de commander la présente étude est révélatrice d’une approche différente, qui démontre actuellement être très efficace pour atteindre un public plus large. Elle consiste à proposer un sujet précis et d’en confier l’étude à des gens de différentes régions et de différentes langues (voir www.llull.cat). Le PEN Club américain a appliqué cette tactique avec grand succès sous la forme d’une manifestation annuelle lancée en 2005, le festival PEN World Voices de littérature internationale, qui se tient à New York, (voir www.pen.org). Ce « festival des voix du monde », qui a, à chaque occasion, attiré un public nombreux, réunit une grande variété d’écrivains qui travaillent dans les langues les plus diverses pour des débats rarement organisés par région ou par langue, mais traitant plutôt de questions brûlantes, politiques et littéraires, ou prenant la forme d’hommages ou de conversations. Un groupement d’organismes culturels européens ayant des représentations à New York – l’Instituto Cervantes, les services culturels français, l’Istituto Italiano di Cultura et le Centre tchèque – a, lui aussi, commencé à organiser des manifestations littéraires à New York, à d’autres époques de l’année, où des écrivains européens sont invités à débattre ensemble. Le projet Reading the World [Lire le Monde] – issu de la tradition du PEN Club américain de faire du mois de mai le mois mondial de la traduction – est une autre action concernant les ouvrages littéraires traduits par un nombre croissant d’éditeurs, à des fins commerciales ou non. Elle consiste à exposer ces livres de façon très visible chez des libraires indépendants des États-Unis pendant tout le mois de mai. Lancé en 2005 par les propriétaires de deux librairies indépendantes en collaboration avec le Center for Book Culture des Dalkey Archive Press, le programme a pris un essor considérable lors de sa deuxième édition, en 2006. Pour plus d’information, consultez www.reading-the-world.org. Depuis quarante ans, l’International Writing Program [Programme interna- Expériences de traduction littéraire tional pour l’écriture], de l’Université de l’Iowa (voir www.uiowa.edu/~iwp/), actuellement dirigé par Christopher Merrill, invite des écrivains du monde entier à des visites pouvant durer jusqu’à trois mois. Il leur donne ainsi non seulement l’occasion de connaître les États-Unis de première main, mais aussi de faire connaître leur œuvre au public américain en organisant des débats, des lectures et des présentations. Merrill est l’un des principaux auteurs d’une étude récente, commandée par le Département d’État américain, sur la diplomatie culturelle. Cette étude manifeste une inquiétude au sujet de l’absence d’agence culturelle américaine du type du British Council ou de l’Instituto Cervantes. Le Programme international pour l’écriture de l’Université de l’Iowa, qui reçoit des subventions du Département d’État pour plusieurs de ses participants, s’efforce de combler cette lacune. L’Université de l’Oklahoma possède une expérience de soutien de la littérature internationale encore bien plus ancienne. Elle vient en effet de célébrer le quatrevingtième anniversaire de son journal bimensuel, le World Literature Today (www. ou.edu/worldlit/). Ce même journal parraine le Prix international Neustadt de littérature, doté de 50 000 $, qui récompense tous les deux ans un éminent poète, écrivain ou dramaturge de n’importe quel pays. Lancé en 1969, c’est le premier et le seul prix littéraire américain de cette importance destiné indifféremment à des auteurs américains ou étrangers. Le Center for Translation Studies [Centre d’études de la traduction], de l’Uni- versité du Texas, à Dallas, créé en 1980 et dirigé par Rainer Schulte, s’adresse à des étudiants de niveau maîtrise ou doctorat. Il s’inscrit dans le contexte d’un programme interdisciplinaire sur les lettres et promeut la visibilité de la traduction et des traducteurs par le biais de la recherche et de manifestations publiques (voir www.translation.utdallas.edu). Il est aussi le siège de l’Association américaine des traducteurs littéraires (voir plus bas). À San Francisco, le Center for Art in Translation (Centre d’art de la traduction, www.catranslation.org) parraine un programme novateur intitulé Poetry Inside Out, qui consiste à faire venir des traducteurs dans des écoles primaires bilingues dans le but de stimuler les compétences linguistiques des nouvelles générations d’écoliers américains et de leur faire prendre davantage conscience de ce qu’est la traduction. Ce centre organise par ailleurs des forums culturels et des lectures. Il publie en outre TWO LINES: a journal of translation. Ce magazine annuel joue, depuis 1994, le rôle d’un forum axé sur la littérature internationale traduite en anglais et débat de l’art de la traduction. Sous la direction du grand romancier et dramaturge kenyan Ngugi wa Thiong’o, l’International Center for Writing and Translation [Centre international de l’écriture et de la traduction] de l’Université de Californie, à Irvine (www.humanities. uci.edu/icwt/) parraine un grand nombre de manifestations et de congrès sur des questions liées à la traduction. Il offre de plus des émoluments et des bourses à des étudiants diplômés afin qu’ils mènent des 102 103 projets dans le domaine de l’étude de la traduction et a un programme de bourses d’aide à la traduction en anglais d’ouvrages littéraires et théoriques (voir plus bas). En partenariat avec le Centre de l’écriture et de la traduction, l’International Institute of Modern Letters (IIML) – www.modernletters.org – soutient la traduction dans le cadre de son engagement à « faire avancer la cause de la démocratie et du progrès grâce à une littérature libre ». L’IIML s’est donné pour mission d’aider les écrivains menacés à passer outre la censure et de faire connaître leur œuvre au public américain. Basé à Las Vegas, il a fait en 2001 de cette ville une « Ville Refuge pour les écrivains menacés » et travaille désormais en collaboration avec d’autres Villes Refuges qui se sont constituées aux États-Unis (voir www. cityofasylum.org). Le programme Rainmaker Books, une autre action de l’IIML, vise à soutenir la publication de traductions littéraires (voir plus bas). Cofondé à l’automne 2006 par la Writing Division [Division « Écriture »] de la School of Arts de l’Université de Columbia et par le PEN Club américain, le Center for Literary Translation [Centre de traduction littéraire] de l’Université de Columbia – www.centerforliterarytranslation. org – a rassemblé de nombreux collaborateurs, dont les responsables du site web Words Without Borders [Mots sans frontières] (voir plus bas) et de Circumference, journal international de poésie (www. circumferencemag.com), pour créer une nouvelle organisation, particulièrement dynamique, chargée de soutenir la traduction par des subventions mais aussi par l’éducation, des conférences et des manifestations publiques. En Angleterre, le British Centre for Literary Translation [Centre britannique de la traduction littéraire] (BCLT), fondé au sein de l’Université de l’East Anglia en 1989 par feu W.G. Sebald et aujourd’hui dirigé par Amanda Hopkinson (www.uea.ac.uk/ eas/centres/bclt/bcltintro.shtml), propose un programme imaginatif et varié de manifestations, d’activités, de publications, dont In Other Words: The Journal for Literary Translators, et de stages pratiques. En collaboration avec le PEN Club anglais, le BCLT organise tous les ans la conférence Sebald de l’art de la traduction littéraire. Ce grand événement, qui se tient à Londres, comprend une cérémonie de remise de prix visant à récompenser des traductions du néerlandais, du français, de l’allemand, du grec moderne, de l’espagnol et du russe. Chacun de ces six prix avait auparavant sa propre cérémonie, mais Peter Bush, précédent directeur du BCLT, les a réunies en un seul et même événement dans l’idée d’apporter une plus grande reconnaissance à l’effort des traducteurs et à la littérature internationale en général. La conférence Sebald est désormais l’un des grands événements culturels de l’année à Londres et les lauréats font l’objet d’un article dans le supplément littéraire du Times. b] Le soutien apporté aux traducteurs et aux éditeurs de traductions Les traducteurs littéraires de nombreux pays se plaignent de la difficulté de leur Expériences de traduction littéraire profession, des rémunérations insuffisantes, voire inexistantes, et du manque de reconnaissance. Dans le monde anglophone, en particulier, les choses ne sont pas faciles pour les traducteurs. Tout soutien apporté aux traducteurs littéraires, que ce soit sous forme de bourses, de résidences, de prix ou d’aide professionnelle, est donc énormément bienvenu. Il les encourage en effet à persévérer dans leur travail, un travail particulièrement exigeant. Tout soutien sous forme de bourses ou de prix décernés aux jeunes traducteurs s’avère spécialement utile. Mais un autre des problèmes auxquels la publication d’ouvrages littéraires doit faire face dans le monde anglophone est la charge financière que doivent supporter les éditeurs, qui renâclent à financer des projets qui s’avèrent trop souvent peu rentables. Un soutien financier qui aiderait les éditeurs de traductions à couvrir les coûts d’édition et de promotion est donc aussi un moyen sûr de s’assurer de la publication d’un plus grand nombre de traductions. Les associations de traducteurs Cela fait plus de quarante ans que le Comité Traduction du PEN Club américain se bat pour que le travail des traducteurs soit reconnu et récompensé à sa juste valeur. Pour aider les traducteurs dans leurs négociations avec les éditeurs, ce comité a rédigé un contrat type à l’intention des traducteurs (www.pen.org/page.php/ prmID/271). On lui doit aussi d’avoir fait pression sur la Bibliothèque du Congrès américain pour qu’elle fasse figurer le nom des traducteurs dans ses listes, ce qui a permis aux traducteurs d’être mentionnés dans les catalogues des bibliothèques du pays tout entier, la plupart de ces catalogues prenant en effet pour modèle celui de la Bibliothèque du Congrès. Le comité organise en outre le prix de traduction du « livre du mois » du PEN Club, décerné au traducteur d’un livre en prose publié au cours de l’année précédente. Il décerne de plus un prix annuel de traduction de poésie, et la médaille Ralph Manheim, qui récompense l’ensemble de l’œuvre d’un traducteur. À son tour, le PEN Club américain, qui est basé à Los Angeles, attribue un prix annuel à la meilleure traduction de livre (www.penusa.org). Fondée en 1978, l’American Literary Translators Association [Association américaine des traducteurs littéraires] (ALTA – voir www.literarytranslators.org/), une organisation nationale ayant son siège au Center for Translation Study de l’Université du Texas, Dallas, compte quelque 600 adhérents. Elle publie la Translation Review, un journal très pointu d’études de traduction, et les Annotated Books Received, la plus riche source d’informations sur les traductions littéraires jamais publiée aux États-Unis. De plus, l’ALTA organise tous les ans un congrès qui procure aux traducteurs littéraires du pays une occasion précieuse de se rencontrer et d’échanger des idées. Ce congrès a ainsi favorisé la constitution d’une très riche communauté intellectuelle. L’un des sommets de la manifestation est la remise du prix national ALTA de traduction, décerné à la meilleure traduction littéraire de l’année précédente. Le site web de l’ALTA four- 104 105 nit un large éventail de renseignements d’ordre professionnel aux traducteurs, y compris des conseils pour faire publier leurs travaux et une information sur les possibilités de promotion et sur les postes à pourvoir, pour ceux qui travaillent dans le cadre universitaire. Ce site propose également une information détaillée sur les programmes universitaires et sur les départements de traduction littéraire aux États-Unis et ailleurs, ainsi que sur les bourses et les prix destinés aux traducteurs littéraires. Les bourses destinées aux traducteurs En 2003, le PEN Club américain recevait une donation anonyme de 730 000 $ qui lui a permis d’établir le Fonds PEN de traduction – www.centerforliterarytranslation.org – qui, moyennant un processus de sélection annuel extrêmement rigoureux, accorde des bourses à des traducteurs ayant démontré leur compétence et ayant apporté des projets non publiés de haute qualité. Le but de ce fonds est d’accroître le nombre de traductions littéraires en anglais publiées aux États-Unis. Le fonds a jusqu’à présent permis de financer en tout trente-deux traductions, issues de vingt-deux langues. Un bon nombre de ces textes ont été publiés et ont été très favorablement accueillis. Via son National Endowment for the Arts ou NEA [Dotation nationale pour les arts], le gouvernement américain luimême reste le bailleur de fonds le plus généreux du pays en matière de traduction. Il accorde des bourses allant de 10 000 à 20 000 $ aux meilleurs traducteurs et aux meilleurs projets de traduction, sélectionnés moyennant un appel à candidatures extrêmement sélectif. Cela fait de nombreuses années que les bourses NEA de traduction sont une pièce essentielle du programme d’aide à la littérature (voir www.nea.gov/grants/apply/LitTranslation/index.html). De plus, la NEA vient de renforcer encore davantage son engagement vis-à-vis de la traduction en augmentant l’enveloppe destinée aux bourses de traduction (ce qui permet d’en accorder davantage) et en présentant un nouveau programme très ambitieux, les prix internationaux NEA de littérature (voir plus bas le point sur les aides financières destinées aux éditeurs de traductions). L’International Center for Writing and Translation (ICWT) [Centre international de l’écriture et de la traduction] de l’Université de Californie, à Irvine, accorde lui aussi des bourses aux traducteurs (www.humanities. uci.edu/icwt/cfp/cfp.html). Ainsi, cette année, l’ICWT accordera quatre bourses de 5 000 $, dans le souci, notamment, de favoriser les traductions de textes venus de cultures et de langues qui, négligées et ignorées, sont passées au travers des maillons standard du filet anglo-américain. Les traducteurs en résidence La première action du genre en Amérique du Nord, menée par le Banff International Literary Translation Centre [Centre Banff international de traduction littéraire] (www.banffcentre.ca/programs/program. aspx?id=446), consiste en une invitation Expériences de traduction littéraire d’été inspirée de celles proposées par des centres de traduction littéraire européens du même style. Outre qu’il gratifie le traducteur d’un séjour de deux semaines de travail ininterrompu dans le superbe Centre Banff for the Arts, le programme lui donne l’occasion de demander un séjour conjoint avec l’écrivain qu’il ou elle est en train de traduire. Traducteur et écrivain ont ainsi l’occasion unique d’échanger longuement leurs points de vue. Le programme Banff s’adresse à des traducteurs du Canada, du Mexique et des États-Unis, et il travaille en étroite collaboration avec de nombreux traducteurs affiliés au PEN Club canadien. Aux États-Unis, la Ledig House (www. artomi.org/ledig.htm) est une résidence internationale pour écrivains située dans le nord de l’État de New York. Elle encourage les traducteurs à demander des stages d’une semaine à deux mois. Des séjours de partage et d’échange, qui accueillent des participants du monde entier, ont lieu deux fois par an, au printemps et en automne, dans un agréable cadre champêtre. Le soutien apporté à la publication d’œuvres traduites Nombreux sont les PEN Clubs qui, à travers le monde, se sont transformés en éditeurs de revues ou d’anthologies d’œuvres traduites afin de soutenir les efforts de leurs membres et afin de défendre le travail des écrivains censurés dont ils épousent la cause. La revue annuelle du PEN Club international englobe bien sûr un grand nombre de traductions, tout comme PEN America, la revue du PEN Club américain. De plus, le comité pour la liberté de l’écriture de ce club a publié plusieurs anthologies de textes d’écrivains poursuivis ou censurés dans leur pays. Parmi ces anthologies, citons Inked Over, Ripped Out: Burmese Storytellers and the Censors (sous la direction de Anna J. Allott, 1993) et The Roads of the Roma (sous la direction de Ian Hancock, Siobhan Dowd et Rajko Djuric, 1998). Plus récemment, le PEN Club américain s’est constitué partie civile dans un procès contre le gouvernement des États-Unis, intenté dans le but d’obtenir la publication de Strange Times, My Dear: The PEN Anthology of Contemporary Iranian Literature (ouvrage rédigé sous la direction de Nahid Mozaffari et courageusement édité par Arcade en 2005). De leur côté, les PEN Clubs écossais et australien ont chacun publié des anthologies de traductions d’œuvres écrites par des auteurs de divers horizons linguistiques. Mais la plus ambitieuse des actions réalisées par les PEN Clubs en soutien aux éditeurs de traductions littéraires en anglais est le programme Writers in Translation [Traductions d’écrivains] du PEN Club anglais. Lancé en 2004, et soutenu à la fois par le Conseil des arts britannique et par le parrainage financier de l’agence de presse Bloomberg, ce programme accorde aux éditeurs des subventions pouvant aller jusqu’à 4 000 £, cette somme devant être destinée spécifiquement à la promotion et à la commercialisation d’un ouvrage traduit. Ce même programme accorde en outre des subventions pouvant aller jusqu’à 250 £ à des écrivains non anglophones qui n’ont pas trouvé d’éditeur, cette somme étant destinée à payer une 106 107 traduction échantillon et un compte rendu de lecture (voir www.englishpen.org/ writersintranslation). Cela fait presque vingt ans que les bourses littéraires de la fondation Lannan, destinées aux éditeurs, soutiennent des projets de traduction publiés par les meilleurs périodiques américains à but non lucratif (www.lannan.org/lf/lit/ grants/). Plus récemment, l’International Institute of Modern Letters a lancé Rainmaker Translations, un nouveau label qui chapeaute la publication de livres effectuée en collaboration avec un consortium de quatre grandes maisons d’édition (www.modernletters.org/programs/ translations.html). Encore plus récemment, la National Endowment for the Arts a lancé son Prix international de littérature (www.nea. gov/grants/apply/InternationalLiterature. html), qui vise à donner aux lecteurs américains une plus large ouverture sur la littérature européenne. En partenariat avec plusieurs pays européens, à commencer par la Grèce et l’Espagne en 2007, la NEA subventionnera des éditeurs pour la traduction, la publication et la promotion d’ouvrages de ces pays. Ce sont bien entendu les agences culturelles gouvernementales qui restent les plus gros bailleurs des fonds accordés aux éditeurs pour des traductions en anglais. Les services culturels français annonçaient dernièrement un ambitieux programme de financement pour la traduction en anglais de titres français publiés après l’an 2000. Ces aides comprennent des résidences de traduction à la Villa Gillet, à Lyon (voir l’étude de cas sur la France, comprise dans le présent dossier, et voir www.frenchbooknews.com). Bien que généralement à moindre échelle, de nombreux gouvernements accordent ce genre d’aide aux éditeurs. L’Unesco propose une base de données très utile sur les aides et les subventions à la traduction littéraire : http:// portal.unesco.org/culture/en/ev.php-url_ id=1539&url_do=do_p r i n t p a g e & u r l _ section=473&url_pagination=40.html. Enfin, la lettre du Publishing Trends de septembre 2006 fournit à ceux qui travaillent dans le secteur de l’édition et peuvent y accéder une abondante et précieuse information sur un large éventail de subventions accordées aux éditeurs par les gouvernements du monde entier pour aider à la traduction en anglais d’œuvres littéraires (voir www.publishingtrends. com). c] Les actions menées sur Internet Bien que l’anglais ait été un temps la première langue d’Internet, vers 1998 la majorité des sites web récemment créés n’employaient pas cette langue, et, dès 2002, moins de 50 % du Web était en anglais (voir The Language Revolution de David Crystal, cité au premier chapitre de notre étude). Cette tendance est encourageante pour tous ceux qui préfèrent l’idée d’un monde multilingue où l’anglais serait une lingua franca utile et optionnelle plutôt que le seul moyen d’accéder aux technologies mondialisées. C’est dans cette idée que plusieurs sites web européens emploient l’anglais. Ils ne le Expériences de traduction littéraire font pas nécessairement comme un moyen d’accéder au monde anglophone mais plutôt pour créer un terrain commun où les écrivains et les intellectuels européens de différentes langues peuvent se lire les uns les autres. Le Comité de la traduction et des droits linguistiques de PEN Club international, hébergé par le PEN Club macédonien et présidé par Kata Kulavkova, a créé un site de ce type, le www.diversity.org.mk. Chacun des auteurs qui y figure est présenté en au moins trois langues : la langue source, le macédonien et l’une des trois langues du PEN (l’anglais, le français et l’espagnol). Thierry Chervel, de www.signandsight. com (ce nom renvoie à un classique de la philosophie allemande), déclare que l’idée de son site est d’employer l’anglais en Europe tel qu’il l’est en Inde et au Pakistan, autrement dit comme une langue véhiculaire permettant aux intellectuels de différents horizons linguistiques de communiquer entre eux. Signandsight, version anglaise du magazine allemand en ligne Perlentaucher, fournit une vision vivante et informative de la vie intellectuelle et culturelle allemande en résumant les pages culturelles des principaux journaux allemands et en publiant, traduit en anglais, un choix des articles les plus intéressants. Cela dit, le site web le plus audacieux, celui qui s’est lancé dans l’entreprise la plus titanesque dans le but de faire connaître la littérature internationale au public anglophone est le www.wordswithoutborders. org. En partenariat avec le Bard College, le PEN Club américain et le Center for Literary Translation de l’Université de Columbia, wordswithoutborders fait paraître chaque mois un numéro contenant les traductions, expressément commandées, de textes de différents endroits du monde. Tous les anciens numéros sont archivés sur le site, tant et si bien que, en trois ans d’existence, celui-ci est devenu un moyen tentaculaire de présenter en anglais de nouveaux écrivains du monde entier. Le site abrite de plus un nombre croissant de forums et de blogs et parraine des manifestations publiques. Il a fait paraître deux impressionnantes anthologies de littérature mondiale, The Literature of the “Axis of Evil”: Writing from Iran, Iraq, North Korea and Other Enemy Nations (New Press, 2006) et Words Without Borders: The World Through the Eyes of Writers (Anchor, 2007). Au départ, Babelguides.com n’était pas un site web mais une nouvelle sorte de guide pour voyageurs : par opposition aux guides donnant une vision extérieure du pays, l’idée était de familiariser l’étranger avec lui via la traduction d’œuvres d’écrivains locaux. Le succès de ces guides a débouché sur le lancement d’un site web qui propose toutes sortes d’études et d’informations bibliographiques sur la traduction anglaise d’œuvres littéraires du monde entier. Chacun des sites que nous venons de citer propose des liens vers d’autres sites – bien trop nombreux pour être énumérés ici – qui cherchent eux aussi à connecter les littératures du monde entre elles. Le réseau international ainsi formé suscite peut-être l’un des plus gros espoirs de perpétuation d’une vraie littérature internationale, dans toute l’étendue de sa polyglossie. 108 109 4.2 Les expériences menées dans quatre pays européens Pays-Bas, Catalogne, Allemagne et France Nous souhaitons attirer l’attention du lecteur sur un certain nombre d’expériences intéressantes venues des quatre pays indiqués ci-dessus. Nous les avons regroupées en trois catégories : actions destinées à encourager la promotion à l’extérieur des œuvres littéraires, actions destinées à intéresser le public à d’autres cultures, et actions visant à soutenir les traducteurs. a] Les actions destinées à encourager la promotion à l’extérieur des œuvres littéraires Les aides européennes et les aides régionales Outre les actions mises en place par les gouvernements dans chacun des pays, dont nous fournissons la liste plus loin, il faut retenir qu’il existe des aides européennes et des aides régionales à la traduction. • Les aides de l’Union européenne L’Union européenne a développé des programmes pluriannuels de soutien à la traduction. Ces programmes comprennent des subventions destinées à la traduction d’œuvres littéraires ainsi qu’à des projets communs et à des formations spécialisées. De 1995 à 2000, ces efforts s’inscrivaient dans le cadre du programme Ariane, auquel a succédé le programme Cultura 2000 jusqu’en 2006. Ce dernier a lui-même cédé la place à Cultura 2007. Jusqu’à présent, l’Union européenne n’a accordé qu’une aide très limitée à la traduction littéraire au sein de ces programmes. Celle-ci équivaut plus précisément au budget alloué chaque année à la promotion des livres dans un petit pays comme la Slovénie (1,5 million d’euros). Autrement dit, seuls 4 % de l’aide fournie par Cultura 2000 ont été destinés à la traduction littéraire. Sur l’ensemble, ces subventions ont concerné de 55 (2003) à 70 (2005) traductions. Elles sont allouées à trente pays : les 27 membres de l’Union et l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. Elles recouvrent tous les frais de traduction (qui ne peuvent pas dépasser 60 % du coût total d’édition de l’ouvrage). Les œuvres littéraires qui peuvent bénéficier de ces aides à la traduction doivent avoir été écrites par des auteurs européens et avoir été publiées à partir de 1950. La priorité est donnée aux ouvrages écrits et traduits dans des langues minoritaires. Malgré leurs limitations financières, ces programmes comptent parmi les rares sources de financement disponibles destinées aux traductions éditées hors de leurs pays d’origine. Elles sont donc de la plus haute importance. • Les réseaux régionaux de coopération Il convient aussi de noter que plusieurs grandes régions européennes ont veillé à mettre sur pied des réseaux de coopération culturelle dans leur aire d’influence, y englobant la promotion littéraire et les aides à la traduction. Dans ce domaine, la coopération entre les pays scandinaves et les pays baltiques est très étroite. Plusieurs initiatives émanent aussi d’Europe Expériences de traduction littéraire centrale et d’Europe de l’Est (Next Page Foundation, Central and East European Book Project). Les aides nationales à la traduction La plupart des pays européens ont conçu des programmes de dotation de fonds destinés à des traductions de leur littérature dans d’autres langues. Ces programmes comprennent souvent des éléments de promotion extérieure, avec, par exemple des tournées des auteurs à l’étranger. Pour donner plus d’efficacité à ces programmes, ils ont créé des agences indépendantes, spécialisées dans la promotion extérieure de la littérature ou de la culture du pays. Ces agences, plus souples que les organismes gouvernementaux (les ministères), sont des médiateurs efficaces entre les gouvernements et l’environnement commercial. Les Pays-Bas et la Flandre : • http://www.nlpvf.nl/ La Nederlands Literair Productie- en Vertalingenfonds [Fondation pour la production et la traduction de la littérature néerlandaise], basée à Amsterdam, a été créée par le ministère néerlandais de l’Éducation et de la Culture. Elle promeut activement la littérature néerlandaise à l’étranger et soutient financièrement les éditeurs étrangers désireux de publier des ouvrages littéraires néerlandais, lesquels incluent des livres de fiction, des ouvrages documentaires de qualité, des livres de poésie et des livres pour enfants. La fondation peut financer jusqu’à 70 % du coût de la traduction. • http://www.fondsvoordeletteren.be/ detectie/flash/001.htm Le Vlams Fonds voor de Letteren (Fonds littéraire flamand), actif en Belgique depuis 2000, est une institution gouvernementale autonome. Les principales armes de sa politique extérieure sont l’information et la documentation, les aides à la traduction, la subvention pour les tournées d’auteurs et l’aide à la production littéraire. La Catalogne : • http://www.llull.cat/llull/ L’Institut Ramon Llull accorde des subventions à des éditeurs pour la traduction d’ouvrages littéraires, d’ouvrages documentaires et d’ouvrages de recherche. De 2003 à 2007, plus de 250 titres ont ainsi été soutenus financièrement. En outre, un programme de résidence pour les traducteurs littéraires a récemment été lancé. • http://www.mcu.es/ Par le biais de sa Dirección General del Libro, Archivo y Bibliotecas [direction générale pour le livre, les archives et les bibliothèques], le ministère espagnol de la Culture offre des « aides à la promotion de la traduction et de la publication de travaux littéraires et scientifiques d’auteurs espagnols dans toute langue étrangère ». Ces aides, annuelles, s’adressent aux maisons d’édition. Elles concernent non seulement les auteurs écrivant en espagnol, mais aussi ceux s’exprimant en catalan, en basque ou en galicien. 110 111 L’Allemagne et les autres pays germanophones : Les publications promotionnelles en anglais • http://www.goethe.de/uun/ang/ueb/uea/ enindex.htm Le programme « Traduction » du GoetheInstitut existe depuis trente ans. Il a accordé un soutien financier à la traduction de quelque 4 000 livres allemands en 45 autres langues. Dans tous les pays, la traduction en anglais d’une partie d’un ouvrage ou d’ouvrages en entier destinée à attirer l’attention des éditeurs étrangers est une pratique très répandue. La diffusion internationale recherchée par le biais de l’anglais passe aussi par des magazines imprimés, qui contribuent à mettre une littérature nationale en contexte, par des sites web et par des anthologies. Bien souvent, ces programmes ne visent pas uniquement le marché anglophone mais exploitent la langue anglaise comme « intermédiaire utile » leur permettant de s’introduire dans d’autres cultures européennes et dans une grande partie du monde en évitant la barrière de la langue, du moins pour ce qui est du public cultivé. • http://www.prohelvetia.ch/index.cfm? rub=30 Pro Helvetia est un programme de soutien à la promotion des auteurs suisses et des ouvrages concernant la Suisse. • http://www.bundeskanzleramt.at/DesktopDefault.aspx?TabID=3969&Alias-art La Chancellerie fédérale autrichienne a son propre programme d’aide à la traduction. Les Pays-Bas et la Flandre : tion internationale et le développement, rattachée au ministère français des Affaires étrangères, accorde des subventions à des éditeurs étrangers dans le but de soutenir des ouvrages importants du point de vue culturel. • Books from Holland and Flanders, Quality Nonfiction from Holland and Children’s Books from Holland. Ces livres, publiés en anglais, présentent deux fois par an de nouveaux titres en néerlandais. Ils sont édités par la Fondation pour la production et la traduction de la littérature néerlandaise. • http://www.centrenationaldulivre.fr/ La Catalogne : Le Centre national du livre alloue un budget de presque dix millions d’euros pour aider à l’exportation de la production littéraire française et pour céder les droits d’auteurs d’ouvrages français à des éditeurs étrangers. Quelque cinq cents titres profitent de ce financement chaque année. ges écrits en catalan (cinq genres : fiction, poésie, théâtre, classiques et nonfiction) Publiées en anglais, allemand et espagnol, ces brochures font la présentation de titres, nouveaux ou classiques, écrits origi- La France : • La Direction générale pour la coopéra- • Brochures proposant un choix d’ouvra- Expériences de traduction littéraire nellement en catalan. Elles sont éditées par l’Institut Ramon Llull. anglaises d’essais offrant un grand intérêt sont publiées chaque semaine. • Transfer. Journal of Contemporary La France : Culture Revue en anglais, paraissant une fois par an. Éditée par l’Institut Ramon Llull, elle rassemble des articles et des essais parus dans des revues culturelles catalanes. Elle a pour finalité de donner une visibilité aux idées des universitaires et des essayistes catalans sur les grands débats intellectuels actuels. • Catalan Writing De 1992 à 2002, l’Institució de les Lletres Catalanes (Institut des lettres catalanes) a publié le magazine littéraire Catalan Writing, en anglais. Sa publication a été reprise en 2006 grâce au PEN Club catalan et au soutien financier de l’Institut Ramon Llull. L’Allemagne et les autres pays germanophones : • http://www.new-books-in-german.com New Books in German, magazine ayant son siège à Londres, propose deux fois par an un choix de livres en allemand. Trois mille exemplaires de ce magazine sont distribués dans le monde. Son site web dispense également ces informations. • www.frenchbooknews.com Le Bureau du Livre de l’Ambassade de France à Londres possède un site web qui publie tous les mois un compte-rendu de dix ouvrages venant d’être publiés en France. Ce site comprend en outre une liste de contacts des responsables de la cession des droits des maisons d’édition françaises, une liste des subventions accordées aux éditeurs et aux traducteurs par le CNL et le ministère des Affaires étrangères, sans compter une base de données permettant de retrouver tous les textes traduits en anglais depuis 1990. • Best French Writing: 21st Century Ce projet a été lancé en 2006 par le Service du livre de l’ambassade de France aux États-Unis et le PEN Club américain. Quelque cinquante titres publiés après l’an 2000 devraient être sélectionnés pour commencer à constituer une collection. L’éditeur américain qui choisira de publier la traduction recevra une aide de 6 000 $. Tous les ouvrages porteront un logo et seront préfacés par un auteur américain connu. Les efforts promotionnels à l’étranger • www.signandsight.com Version anglaise du magazine en ligne Perlentaucher. Outre une synthèse des actualités culturelles, reprises des journaux, et une information sur les livres qui font parler d’eux, deux ou trois traductions Seuls quelques-uns des grands pays européens travaillent à des programmes en collaboration avec des institutions opérant à l’étranger, ce qui leur permet de développer une stratégie de promotion bien plus efficace. 112 113 L’Allemagne et les autres pays germanophones : • http://www.gbo.org Le German Book Office [Office du livre en allemand] a été créé en 1998 à l’initiative de la Foire du livre de Francfort. Il possède des bureaux à New York, Pékin, Bucarest, Moscou et Varsovie. La principale mission de ces bureaux est de faciliter les contacts commerciaux entre les éditeurs allemands et ceux des pays ou régions hôtes. nement développé d’autres moyens d’action comme de grands salons du livre ou des maisons d’édition multinationales. Les Pays-Bas et la Flandre : • http://www.nlpvf.nl/ La Nederlands Literair Productie- en Vertalingenfonds [Fondation pour la production et la traduction de la littérature néerlandaise] invite dix éditeurs à passer quelques jours à Amsterdam pour leur permettre de rencontrer des éditeurs néerlandais. La France : • Les services du livre des ambassades de France Les ambassades de France ont un programme de soutien de la promotion des livres français. Ce programme prévoit l’accueil des auteurs pendant leur visite, l’organisation de manifestations et la coopération avec les institutions locales. Ainsi, par exemple, l’ambassade de France aux États-Unis accorde des bourses Hemingway pour la traduction de livres français en anglais, organise des résidences de traducteurs à la Villa Gillet, à Lyon, et des tournées promotionnelles d’auteurs français aux États-Unis. Elle invite en outre des écrivains et des éditeurs américains en France. Éditeur invité Il s’agit d’un programme destiné aux éditeurs. Ces derniers sont invités pour un court séjour dans le pays hôte afin de leur permettre de rencontrer des éditeurs, des promoteurs culturels et des auteurs. Ce type d’action est caractéristique des petits ou moyens pays qui n’ont pas encore plei- La Catalogne : La culture catalane étant l’invitée d’honneur de la Foire du livre de Francfort 2007, l’Institut Ramon Llull a contribué à préparer le terrain en invitant des éditeurs étrangers à se rendre à Barcelone. Ces derniers ont rencontré des agents littéraires et des éditeurs locaux, une bonne façon de se familiariser avec la littérature catalane, de fiction ou non. C’est la première fois qu’une telle action est mise en place de cette façon. L’information normalisée : les bases de données et les catalogues L’un des principaux objectifs de la promotion qui s’effectue à l’étranger est d’initier le public des autres pays à la littérature et au contexte national. Outre la production de matériel promotionnel, indispensable dans les salons du livre, il est très important de cibler les professionnels (éditeurs, auteurs et traducteurs) en leur fournissant une information qui soit la plus complète possible, allant de la base de données sur les auteurs aux bibliographies de traduc- Expériences de traduction littéraire tions en passant par les catalogues, mais concernant aussi la cession des droits d’auteur, les éventuelles aides à la traduction, la position du secteur de l’édition, etc. Ce travail est principalement effectué par les agences gouvernementales responsables de la promotion à l’étranger. Seuls les plus grands pays ont des organisations ad hoc avec des bureaux à l’étranger. Les Pays-Bas et la Flandre : • http://www.speurwerk.nl La Stichting Speurwerk betreffende het boek [Fondation pour la recherche sur le livre] est basée à Amsterdam et publie des informations sur les livres néerlandais. Elle s’adresse principalement au marché intérieur, comme en témoigne son site, écrit en néerlandais uniquement. nible sur la version papier annuelle du site. Le fait que ces renseignements soient en espagnol, à l’exclusion de toute autre langue, indique qu’ils visent essentiellement le marché intérieur. L’Allemagne et les autres pays germanophones : • http://www.gbo.org Le German Book Office [Office du livre en allemand] a été fondé en 1998 à l’initiative de la Foire du livre de Francfort. Il possède des bureaux à New York, Pékin, Bucarest, Moscou et Varsovie. La principale mission de ces bureaux est de faciliter les contacts commerciaux entre les éditeurs allemands et ceux des pays ou régions hôtes. La France : • La Catalogne : • http://www.llull.cat/llull/biblioteca/trac.jsp TRAC, un catalogue de toutes les œuvres littéraires traduites du catalan dans d’autres langues, a été compilé par l’Institució de les Lletres Catalanes à partir de 1993. Il est disponible en ligne depuis 2005, grâce au site web de l’Institut Ramon Llull. • http://www.mcu.es/ Un tour d’horizon de l’édition espagnole Les principaux indicateurs concernant le secteur de l’édition espagnol se trouvent sur le site web du ministère espagnol de la Culture (classés comme suit : statistiques, principales statistiques, statistiques de la publication de livres). Une étude plus détaillée (comprenant des informations sur les ouvrages publiés en catalan) est dispo- http://www.culture.gouv.fr/culture/dll/ dll98.htm La Direction du livre et de la lecture, rattachée au ministère français de la Culture et de la Communication, chapeaute la Bibliothèque nationale de France, la Bibliothèque publique d’information et le Centre national du livre. Sur le marché du livre, elle supervise la création, l’édition, la distribution et la promotion des livres en France et à l’étranger. Elle contribue à la création de maisons d’édition et de librairies et met au point des stratégies pour renforcer le marché de l’exportation. Elle effectue de plus des études sur les habitudes de lecture et la vente des livres. • http://www.bief.org Le Bureau international de l’édition française (BIEF) réalise des études sur le 114 115 marché du livre à l’étranger, sur la cession de droits et les exportations des livres français. Il publie de même des dossiers spécialisés et des synthèses. Le BIEF garantit la présence massive des livres des éditeurs français dans les salons du livre et autres événements majeurs partout dans le monde ainsi que dans les congrès internationaux. Il organise aussi des expositions de livres pour le secteur éditorial dans différentes villes d’un pays donné. Le BIEF est une association de 250 adhérents et a le soutien des ministères français de la Culture et de la Communication et des Affaires étrangères. Il existe depuis 130 ans. Cet organisme travaille aussi en étroite collaboration avec le Syndicat national de l’édition (SNE), le CELF et la Centrale de l’édition. • http://frenchpubagency.com/ La French Publisher’s Agency est la délégation new-yorkaise du BIEF. Elle représente plusieurs éditeurs français aux États-Unis. cas du projet développé par le PEN Club macédonien – Diversity (http://www.diversity.org.mk/), qui cherche à constituer un catalogue de traductions littéraires dans un grand nombre de langues – ou encore par Babelmatrix (http://www.babelmatrix. org/), basé en Hongrie. Citons aussi, parmi d’autres, Eurozine, un réseau de magazines culturels européens (http://www.eurozine.com/) dont l’importance réside dans sa capacité à faire prendre conscience de la littérature et de la pensée en général. Les Pays-Bas et la Flandre : • www.nlpvf.nl La Nederlands Literair Productie- en Vertalingenfonds [Fondation pour la production et la traduction de la littérature néerlandaise] propose un site informatif régulièrement mis à jour qui offre une foule de renseignements sur la littérature néerlandaise. Il contient une base de données sur toutes les traductions d’œuvres néerlandaises dans d’autres langues. La Catalogne : Les sites web Ces dernières années, nombreux sont les programmes de promotion extérieure qui s’appuient sur des sites web, tirant parti du fait que ces derniers peuvent offrir un large éventail d’informations en plusieurs langues. On trouve ainsi en ligne des magazines, des catalogues concernant des auteurs ou des œuvres, avec la traduction d’extraits, des critiques et des bibliographies. La plupart de ces sites s’attachent à la littérature de leur pays, mais certains ont une approche internationale. C’est le • www.pencatala.cat/ctdl Pàgines de traducció literària [Pages de traduction littéraire] est une initiative du Comité de la traduction et des droits linguistiques du PEN Club catalan (opérationnel depuis 2004). Cette action a été organisée avec le soutien de l’Institut Ramon Llull et de l’Institució de les Lletres Catalanes. Leur objectif est d’exploiter le potentiel d’Internet pour initier un vaste public – local aussi bien qu’étranger – à la littérature catalane. La présentation des auteurs traduits se fait en deux parties : Expériences de traduction littéraire les traductions du catalan (exportations) et les traductions en catalan (importations). La partie Literatura catalana en traducció [Littérature catalane en traduction] présente des auteurs catalans moyennant un bref article traduit en plusieurs langues et donne la bibliographie de toutes les traductions existantes ainsi que quelques extraits du texte original et leur traduction. La partie Literatura universal en català [Littérature universelle en catalan] s’efforce de dresser la carte des traductions qui arrivent en Catalogne en provenance de différents pays. Ces présentations d’auteurs et de traductions d’ouvrages sont complétées par un troisième volet, réservé aux traducteurs. L’espai del traductor [L’espace du traducteur] donne une information détaillée sur les traducteurs qui ont utilisé le catalan dans leur travail, que ce soit comme langue source ou comme langue cible. L’Allemagne et les autres pays germanophones : • http://www.litrix.de/ Le site Litrix propose des analyses de la littérature allemande contemporaine et des extraits de traductions. • www.lyrikline.org Cette publication en ligne propose des poèmes et leur traduction en différentes langues, par écrit et en audio. • http://www.perlentaucher.de/ Perlentaucher [Le pêcheur de perles] est un magazine en ligne qui donne une infor- mation actualisée sur la scène culturelle et intellectuelle allemande. Il fait tous les jours la synthèse des articles publiés dans les pages culturelles des principaux journaux allemands et renvoie à des articles en ligne. Il informe également sur les livres qui font parler d’eux, que ce soit en raison de leur qualité ou de la polémique qu’ils ont suscitée. Enfin, il comprend un moteur de recherche qui permet de trouver des articles par auteur ou par thème dans la base de données. L’enseignement des langues et les centres culturels à l’étranger La formation de traducteurs et de spécialistes d’une littérature nationale spécifique est la base de toute promotion littéraire à l’étranger. Pour les petits et moyens pays, ce type de formation se fait principalement via l’accueil de lecteurs par les universités étrangères (comme c’est le cas de la centaine de lecteurs de catalan coordonnés par l’Institut Ramon Llull). Les réseaux de lecteurs ont souvent contribué à susciter un intérêt envers une culture donnée. Les lecteurs font généralement plus qu’enseigner leur langue : ils organisent aussi des manifestations culturelles qui s’adressent à un public plus large et qui peuvent prendre la forme de lectures, de conférences, etc. Cela dit, la situation de la poignée de langues vraiment répandues en Europe (l’anglais, l’allemand, le français, l’espagnol et l’italien) est entièrement différente. Toutes les universités européennes proposent des cursus LEA pour ces langues-là et la formation de spécia- 116 117 listes étrangers dans leur littérature est une tradition de longue date. En outre, ces langues peuvent s’appuyer sur de vastes réseaux d’instituts à l’étranger (le British Council, le Goethe-Institut, l’Alliance Française, l’Instituto Cervantes et l’Istituto Italiano di Cultura), dédiés principalement à l’enseignement de la langue mais qui offrent de plus toutes sortes d’événements culturels liés à leurs pays d’origine. Ils viennent aussi parfois de pays soumis à une dictature ou privés de liberté d’expression. Dans ce contexte, il pourrait être intéressant d’analyser le rôle que les communautés d’expatriés ont, ou ont eu, dans la promotion d’une littérature donnée – en la traduisant dans la langue de leur pays d’accueil –, que ce soit dans le cas des quatre pays européens ici mis en exergue ou en général. Les communautés d’expatriés et la promotion de la littérature b] Promouvoir l’intérêt envers les autres cultures En raison des différents flux migratoires s’expliquant par des causes politiques ou économiques, de nombreux pays européens ont dans le monde entier des communautés d’expatriés. Ces communautés cherchent généralement à conserver leurs traits culturels distinctifs ainsi que des liens culturels avec leurs pays d’origine. Les activités culturelles qu’elles organisent sont souvent accueillies par un centre. Elles vont de la publication de magazines et de sites web à l’organisation de manifestations culturelles et de cours de langue. Il y a un nombre considérable de traducteurs littéraires qui proviennent de familles d’émigrants ou d’exilés, notamment pour ce qui est des langues minoritaires qui n’ont pas de dispositifs d’enseignement à l’étranger. Les exilés ont joué un rôle particulièrement important dans la diffusion de la littérature des pays communistes pendant la guerre froide. Il y a ceux qui quittent leur pays en raison de problèmes d’ordre politique et finissent par devenir les écrivains du pays en question les plus célèbres à l’international. Les gouvernements cherchent généralement davantage à exporter leurs auteurs qu’à introduire les littératures étrangères dans leur pays. L’un des indicateurs de cette préférence est la moindre proportion d’aides à la traduction des littératures étrangères dans la langue du pays qu’en sens inverse. On remarque cependant une grande différence entre les grands pays et les autres. Les premiers se dotent d’organisations chargées spécifiquement de repérer et de convertir le legs universel dans leur propre langue, les seconds ne possèdent pas d’organismes de ce type. Néanmoins, les actions visant à promouvoir l’intérêt envers les autres cultures ne se limitent pas à l’aide à la traduction. Il y a d’autres façons, et très diverses, comme les festivals internationaux, les résidences pour auteurs étrangers, les salons du livre... En poussant plus loin, on pourrait aussi inclure tous les moyens visant à enrichir la vie littéraire d’un pays. En effet, quiconque a un véritable intérêt pour la littérature de son propre pays aura une base de départ Expériences de traduction littéraire suffisante pour avoir envie de découvrir les écrivains d’ailleurs. L’une des principales différences entre la situation en Europe et celle des ÉtatsUnis est le manque de coopération entre les universités européennes et les agents chargés de la promotion littéraire (notamment les éditeurs et les organisations gouvernementales). Rares sont les universités européennes ayant une maison d’édition capable de distribuer des livres à travers un circuit commercial normal, et les manifestations qu’elles organisent dépassent rarement le cadre universitaire. En ce qui concerne la traduction littéraire, nul doute que les meilleurs professionnels sont ceux qui possèdent un solide bagage universitaire dans une langue en particulier et une connaissance profonde de sa tradition littéraire. C’est pourquoi il est vraiment dommage que les efforts consentis par les cercles universitaires aient un impact minimum sur le grand public et sur les traductions. S’ils parviennent à se faire publier par les universités, il n’en reste pas moins qu’ils atteignent un lectorat trop restreint. Les aides publiques Les Pays-Bas : Il n’y a pas d’aide aux maisons d’édition néerlandaises désireuses de publier des traductions d’œuvres littéraires étrangères. • www.fondsvoordeletteren.nl La Fonds voor de Letteren [Fondation néerlandaise pour la littérature] a été créée en 1965 en réponse aux protesta- tions contre l’absence de soutien gouvernemental à la littérature. Elle s’est donné pour mission d’élever la qualité et la disponibilité des œuvres littéraires néerlandaises et frisonnes. Elle offre un soutien aux traducteurs travaillant à un ouvrage littéraire dans l’une ou l’autre langue, et aussi aux auteurs écrivant de nouveaux livres. Les traducteurs peuvent demander un complément de paiement à celui reçu de l’éditeur, ce complément allant parfois jusqu’à doubler leur rétribution. Chaque année, quelque 200 écrivains et 100 traducteurs bénéficient de cette aide. La Catalogne : • http://www.cultura.gencat.net/ilc L’Institució de les Lletres Catalanes travaille à promouvoir les ouvrages en catalan et leurs auteurs. Elle organise pour cela des campagnes promotionnelles et des expositions et elle participe à des salons du livre. Elle apporte de plus une aide aux écrivains, aux scénaristes et aux chercheurs. Depuis 1993, elle octroie deux subventions par an pour des traductions en catalan. L’une est destinée aux traducteurs, l’autre aux éditeurs. • http://www10.gencat.net/sac/AppJava/ servei_fitxa.jsp?codi=13101 Le Programa de Suport a l’Edició en Català [Programme de soutien à l’édition en catalan] est un outil de la politique du gouvernement catalan. Il cherche à renforcer la présence de la langue catalane et à augmenter l’édition, la diffusion et la distribution des livres en catalan. 118 119 L’Allemagne et les autres pays germanophones : • http://www.litprom.de La Gesellschaft zur Förderung der Literatur aus Afrika, Asien und Lateinamerika [Société pour la promotion des littératures africaines, asiatiques et latino-américaines] mène un programme de soutien à la traduction en allemand de textes littéraires des pays généralement boudés par le public mondial. • http://lcb.de Le Literarisches Colloquium Berlin octroie des aides dans le cadre de son programme « Übersetzungsförderungsprogramm für Belletristik aus den Ländern Mittel- und Osteuropas » [Programme d’aide à la traduction d’œuvres littéraires d’Europe centrale et d’Europe de l’Est]. Ce programme soutient les ouvrages littéraires de cette région du monde dans le but de permettre au public allemand de diversifier le choix de ses lectures. • http://www.sgdl.org/vieculturelle_prix. asp La Société des gens de lettres concède plusieurs prix de traduction. L’organisation de festivals internationaux Plusieurs pays européens accueillent régulièrement des festivals littéraires auxquels participent des auteurs étrangers. Ces festivals sont souvent l’occasion de publier des catalogues où l’on trouve des extraits, traduits en plusieurs langues, de textes des auteurs invités. Ces rencontres favorisent la prise de conscience de l’existence d’une littérature universelle et rapprochent un vaste public de la littérature. Parmi ces événements, plusieurs ont un long passé derrière eux. La Catalogne : • http://www.bcn.es/barcelonapoesia/ Barcelona poesia, un festival de poésie internationale organisé à Barcelone. L’année 2006 a vu sa vingt-deuxième édition. La France : • http://www.centrenationaldulivre.fr/ Le Centre national du livre accorde depuis de nombreuses années des aides aux éditeurs français désireux de publier des ouvrages traduits. Ces aides vont jusqu’à 50 ou 60 % du coût total de la traduction. • http://www.maison-des-ecrivains.asso.fr/ L’un des objectifs de la Maison des écrivains est de développer sa coopération avec ses homologues européens qui, comme elle, encouragent l’activité littéraire dans leur pays. • http://www.cccb.org/kosmopolis/index. htm Kosmòpolis, un festival organisé par le Centre de Cultura Contemporània de Barcelona. L’Allemagne et les autres pays germanophones : • http://literaturwerkstatt.org/ Literaturwerstatt Berlin accueille le Poesie Festival Berlin, l’un des festivals de poésie les mieux cotés d’Europe. Il organise en outre des ateliers de traduction Expériences de traduction littéraire et diverses actions visant à familiariser les lecteurs allemands aux auteurs étrangers. • http://www.literaturhaeuser.net/ La Literaturhaus [Maison de la littérature] est une véritable institution en Allemagne. Certains de ses centres ont créé un réseau (Berlin, Hambourg, Francfort, Salzbourg, Munich, Cologne, Stuttgart et Leipzig) afin de coordonner leurs actions. Les manifestations qu’ils organisent ont toutes une composante internationale, même si elles sont avant tout destinées à enrichir l’activité littéraire dans la ville où elles se tiennent. L’organisation de salons internationaux Les grands salons ont une influence énorme et attirent des éditeurs du monde entier. De leur côté, les petits salons, parfois renommés au plan international, peuvent eux aussi offrir de bonnes opportunités de dynamiser les relations avec le marché de l’édition. Les salons facilitent l’achat de droits étrangers et donc la publication de livres dans d’autres pays. Il est donc tout à fait naturel que tous les grands salons organisent des activités destinées aux traducteurs. La Catalogne : L’Allemagne et les autres pays germanophones : • http://www.book-fair.com Le Frankfurter Buchmesse [Foire du livre de Francfort] organise la plus importante au monde des manifestations axées sur le marché du livre. Il est rattaché à la Börsenverein des Deutschen Buchhandels, l’association allemande des libraires et des éditeurs. Il est de plus doté d’un département international qui promeut les livres allemands dans le monde entier. • http://www.leipziger-buchmesse.de/ Le Leipziger Buchmesse [Salon du livre de Leipzig] est, par ordre d’importance, le deuxième événement axé sur le marché du livre en Allemagne. Alors que la Foire du livre de Francfort s’adresse aux professionnels, le salon de Leipzig est pensé pour le grand public. La France : • http://www.salondulivreparis.com/ Le Salon du livre de Paris est le plus important du genre en France. Les écrivains étrangers en résidence Pour un écrivain, un séjour à l’étranger est une bonne façon de promouvoir son œuvre et d’augmenter ses chances d’être traduit. • http://www.salollibrebcn.com/ Le Saló del Llibre de Barcelona [Salon du livre de Barcelone] est organisé par l’association des éditeurs de Catalogne et l’association des libraires de Barcelone et de Catalogne. Sa première édition internationale s’est tenue en 2005. Les Pays-Bas : • http://www.fondsvoordeletteren.nl/miniweb.php?mwid=20 La Résidence des écrivains d’Amsterdam est un projet mené conjointement par la Fondation néerlandaise pour la 120 121 littérature, la Fondation pour la production et la traduction de la littérature néerlandaise, l’Université d’Amsterdam et la maison d’édition Atheneum. Ces partenaires proposent une maison en plein cœur de la vieille ville. Les écrivains étrangers invités ont aussi accès à la bibliothèque de l’Université d’Amsterdam, au club universitaire et aux activités littéraires de la ville. • http://www.fondsvoordeletteren.nl/miniweb.php?mwid=10&sid=335 Introductory Portfolio est l’un des programmes les plus plébiscités de la Fondation néerlandaise pour la littérature. Il se compose d’une interview à l’auteur, d’une brève description de son œuvre, d’une information biographique et d’un extrait traduit en néerlandais. Il a été conçu à l’adresse des auteurs de pays non occidentaux non encore publiés aux Pays-Bas et éprouvant des difficultés à faire connaître leur œuvre. Le programme de la Fondation néerlandaise pour la littérature a aussi pour objectif d’accroître les chances des écrivains étrangers vivant aux Pays-Bas de commencer à écrire en néerlandais. Il s’adresse donc en cela aux écrivains vivant aux Pays-Bas mais ne sachant pas écrire dans cette langue. La Catalogne : • http://www.icorn.org/ Barcelone est l’une des Villes Refuges du réseau ICORN international. Elle accueille les écrivains persécutés pour raisons politiques. Le Comité des écrivains en prison du PEN Club catalan gère le programme « Refuge », qui cherche à sensibiliser le public catalan à cette réalité. L’Allemagne et les autres pays germanophones: • http://lcb.de Le Literarisches Colloquium Berlin offre un hébergement et un soutien financier à des écrivains et à des traducteurs étrangers. La France : • http://www.meet.asso.fr/ La Maison des écrivains étrangers et des traducteurs, située à Saint-Nazaire, offre un hébergement à des écrivains étrangers et à leurs traducteurs. Elle organise régulièrement des débats, des lectures et des rencontres entre écrivains. Elle décerne de plus chaque année deux prix littéraires : le prix Laure Bataillon à la meilleure œuvre de fiction traduite en français dans l’année et un prix venant récompenser la jeune littérature latino-américaine. Elle a sa propre maison d’édition, qui publie généralement des textes bilingues, et sa propre revue littéraire, Meet. L’acquisition de traductions pour les bibliothèques Les programmes assurant l’acquisition avec les deniers publics de livres par les bibliothèques jouent un rôle très important pour la présence de livres traduits sur le long terme. Ce type de mesure s’est révélé particulièrement positif dans les petits et moyens pays où les livres ne sont pas toujours réédités lorsqu’ils sont en rupture de stock ou lorsque la situation économi- Expériences de traduction littéraire que générale du pays ne permet pas aux gens d’acheter souvent des livres. c] Les actions de soutien aux traducteurs versitaire de Louvain (Belgique). Les traducteurs ont accès à la bibliothèque de l’université, rencontrent d’autres traducteurs, des écrivains et des gens dont le flamand est la langue maternelle. Ce centre met aussi à leur disposition deux appartements meublés et équipés. Les lieux d’accueil de traducteurs Ces lieux offrent aux traducteurs un hébergement et les conditions requises pour l’exercice de la traduction, la résolution des problèmes qui se présentent au cours du travail de traduction et une meilleure compréhension du contexte littéraire du texte original. Ils s’efforcent généralement aussi de favoriser la rencontre entre le traducteur et l’auteur ou des spécialistes de l’œuvre en cours de traduction. Les Pays-Bas : • http://www.nlpvf.nl/about/translators_ house.php À Amsterdam, la Maison du traducteur, une réalisation de la Fondation pour la production et la traduction de la littérature néerlandaise, accueille cinq traducteurs pour des séjours pouvant durer jusqu’à deux mois. Les traducteurs peuvent également demander une aide financière, même pour des projets non commandés par un éditeur s’ils sont suffisamment bien définis. Ce programme ne s’adresse qu’aux traducteurs ayant le néerlandais comme langue source. • http://www.fondsvoordeletteren.be/detectie/flash/001.htm Le Fonds littéraire flamand gère un centre de traduction situé dans la ville uni- La Catalogne : • Les séminaires de Farrera de Pallars Deux fois par an, depuis 1998, l’Institució de les Lletres Catalanes organise des rencontres entre des écrivains étrangers et des traducteurs catalans à Farrera de Pallars, un petit village des Pyrénées. Au printemps et à l’automne, l’ILC invite deux poètes de même langue à rencontrer dix poètes ou traducteurs catalans. Les auteurs envoient à l’avance des morceaux choisis de leur œuvre et, au cours de la rencontre, deux groupes sont créés de façon à pouvoir discuter de tous les aspects des différentes versions des poèmes sélectionnés. Cette activité est extraordinairement précieuse pour ce qui est des contacts personnels et de la compréhension du travail des uns et des autres. L’Allemagne et les autres pays germanophones : • http://www.uebersetzerfonds.de Le Deutscher Übersetzerfonds a été créé en 1997 et son siège se trouve au Literarisches Colloquium Berlin. Il octroie des bourses de travail et de voyage à des traducteurs. Il subventionne de plus les assistants chargés d’aider les traducteurs et des résidences dans des centres de traduction tels que ceux de Straelen ou Visby (Centre 122 123 balte pour écrivains et traducteurs, Suède). Enfin, il organise des séminaires et des ateliers thématiques. • http://www.euk-straelen.de/ L’Europäisches Übersetzer-Kollegium de Straelen est le plus grand centre de traduction littéraire au monde. Des traducteurs ayant signé un contrat avec une maison d’édition peuvent demander à y résider, quel que soit leur pays d’origine. La bibliothèque du centre a un fonds de 110 000 ouvrages, dont 25 000 sont des dictionnaires dans 275 langues ou dialectes. Elle met à disposition des ordinateurs connectés à Internet. Quant à l’hébergement des résidents, il se fait dans 29 studios indépendants. Le centre se trouve dans une jolie petite ville. • http://www.zug.ch/dialogwerkstatt/ Le Dialogwerkstatt Zug est une initiative des organismes culturels du canton suisse de Zoug. Il promeut l’art et la culture de la traduction depuis 1996, accordant des bourses de traduction et accueillant des rencontres sur la traduction dans son centre. La France : • http://www.atlas-citl.org/es/citl/index.htm À Arles, le Collège international des traducteurs littéraires octroie des bourses d’hébergement et de traduction financées par le Centre national du livre. En accord avec certains pays, les deux partenaires ont mis au point des programmes binationaux qui leur permettent d’organiser des séminaires de formation continue à l’intention des jeunes traducteurs ainsi qu’à celle de leurs collègues plus expérimentés. Des événements culturels, des tables rondes et des débats publics sont ainsi organisés à Arles et dans ses environs. • http://www.villagillet.net/ Les résidences de traduction de la Villa Gillet, à Lyon. Le ministère français des Affaires étrangères propose depuis 2005, par le biais des services du livre de l’ambassade de France aux États-Unis, son propre programme de résidence aux traducteurs travaillant de français en anglais. Il le fait en collaboration avec la Villa Gillet, organisme culturel se trouvant à Lyon. Ce programme consiste en des résidences de six semaines à Lyon (la bourse couvre les frais de déplacement, le loyer et une subvention) et une participation aux activités culturelles de la ville. Il n’est pas indispensable d’avoir signé un contrat avec une maison d’édition puisque la raison d’être de ces résidences est d’apporter de nouveaux projets sur les marchés éditoriaux américain et britannique. Les associations de traducteurs Elles proposent des modèles de contrat, suggèrent des tarifs et se battent pour que le rôle du traducteur soit davantage reconnu, avec, par exemple, des accords pour que le nom du traducteur figure dans les catalogues des bibliothèques et dans les articles des journaux. La Catalogne : Il n’y a pas d’associations des traducteurs littéraires ayant le catalan pour langue Expériences de traduction littéraire source ou cible. Les traducteurs reçoivent un certain soutien de la part des associations d’écrivains et des organisations de protection des droits d’auteur en général. • http://www.escriptors.cat/ L’Associació d’Escriptors en Llengua Catalana (AELC) [Association des écrivains de langue catalane], fondée en 1977 à l’occasion du Congrès de la culture catalane, propose des modèles de contrat ainsi qu’un service de conseil juridique à ses adhérents. • http://www.cedro.org/catalan_inicio.asp Le Centro español de derechos reprográficos (CEDRO) [Centre espagnol des droits de reproduction] a pour mission d’améliorer les conditions de travail en Espagne de tous ceux qui contribuent à la culture sous sa forme écrite. Il protège donc aussi les droits des traducteurs littéraires. L’Allemagne et les autres pays germanophones : • http://literaturuebersetzer.de La Verband deutschsprachiger Übersetzer literarischer und wissenschaftlicher Werke est une association de traducteurs littéraires et scientifique. Elle a été créée en 1954 pour protéger les intérêts des traducteurs. La France : • http://www.fit-ift.org/fr/news-fr.php La Fédération internationale des traducteurs (FIT), créée à Paris en 1953 par PierreFrançois Callé, regroupe les associations de traducteurs d’une cinquantaine de pays et représente quelque 60 000 traducteurs du monde entier. • http://www.sft.fr/ La Société française des traducteurs (SFT) est le syndicat des traducteurs professionnels en France. Elle compte environ un millier de membres. • http://www.atlf.org/ L’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF), fondée en 1973, s’est donné pour mission de protéger les intérêts des traducteurs et de promouvoir la qualité des traductions littéraires publiées en France. Elle compte actuellement plus de 700 adhérents. 5. Conclusions Simona Škrabec La traduction littéraire est un très bon indicateur de certains aspects essentiels de notre monde, et son existence même et les conditions qui président à son existence nous en disent beaucoup plus que les chiffres, qu’ils concernent le nombre de traductions réalisées ou la somme qu’un gouvernement est prêt à investir pour promouvoir la littérature de son pays. Avant d’analyser les informations collectées sur le sujet dans des pays très différents, il faut prendre du recul et élargir notre perspective sur ce que l’on peut apprendre de l’existence même de la traduction littéraire. La présence inégale de la culture écrite Il ne suffit pas d’étudier tous les pays dans lesquels se publient des livres traduits pour obtenir une image claire de la situation internationale de la traduction littéraire. Cette radiographie du monde ne montrerait que les pays et les cultures dotés d’un réseau éducatif bien développé et d’un secteur de l’édition bien établi, car une population éduquée est une condition indispensable pour qu’un pays ait des lecteurs et la capacité de produire des livres. Les traducteurs littéraires dépendent de ces deux facteurs : l’existence des livres et d’un public capable de les lire. Cette conclusion n’est pas aussi évidente que l’on pourrait le croire. Certes, les traducteurs littéraires ne traduisent que ce qui est publié, mais de nombreuses cultures du globe sont restées en marge de l’échange des traductions littéraires, car, pour participer, il ne suffit pas d’avoir une maison d’édition et des lecteurs potentiels : il faut également que le langage soit aussi normalisé que possible. Seules les cultures qui disposent d’une langue codifiée et bien consolidée ainsi que d’un réseau complet de ressources 126 127 institutionnelles et culturelles (écoles, universités, librairies, bibliothèques, maisons d’édition, journaux, théâtres, etc.) peuvent espérer participer à cet échange. Ces conditions semblent exclure les langues indigènes d’Amérique du Sud et d’une grande partie du continent africain, où les traductions littéraires sont rares. Mais certaines circonstances spécifiques et graves peuvent également affecter la participation, ou la non-participation, des pays qui ont disposé dans le passé d’un réseau d’édition solide et développé. Avant 1991, la Bosnie était active sur le marché des livres écrits en serbo-croate, qui comprenait des livres provenant de Croatie, de Bosnie, de Serbie et du Monténégro. Aujourd’hui, pourtant, à cause d’une situation économique difficile et de tensions politiques avec les pays voisins, les Bosniaques n’arrivent à acheter que des manuels scolaires. En à peine quinze ans, tout un système bien établi s’est effondré et la Bosnie devra faire beaucoup d’efforts pour qu’il y ait de nouveau sur le marché autant de livres traduits qu’avant la guerre. Il y a donc des inégalités dans le statut des participants à cet échange, et les mécanismes de domination sont faciles à identifier. La traduction littéraire est un bon révélateur de ces énormes différences de développement dans le monde. Au-delà des tensions entre les forts et les faibles et de la lutte pour la visibilité sur la scène mondiale, d’autres facteurs sont déterminants pour participer à l’échange : la volonté de participer, l’ouverture culturelle et une certaine curiosité envers les autres. Un public large, mais pas encore assez Il faut aussi être conscient que le panorama des échanges littéraires présenté dans ce rapport est incomplet. La littérature indienne, la littérature russe et leurs zones d’influence respectives sont les grandes absentes de cette étude. L’Inde est un pays où de nombreuses langues et cultures coexistent, et il ne faut pas oublier que la présence et l’influence de l’anglais y sont importantes. La traduction littéraire y est donc soumise à des conditions bien différentes de celles que l’on rencontre couramment en Europe. La situation linguistique y est complexe et elle ne se laisse pas résumer en quelques mots. Il faut tenir compte de plusieurs points de vue différents pour obtenir une vue d’ensemble de la situation. La région russophone demeure également un mystère presque complet pour le monde occidental. La littérature russe est, sans aucun doute, l’une des littératures les plus importantes et les plus influentes d’Europe. Les textes classiques de ses auteurs du xixe siècle et du début du xxe siècle sont traduits partout et jouent un grand rôle dans la littérature mon diale. Mais, aujourd’hui, les auteurs russes contemporains ont une visibilité relativement faible sur le marché international, si l’on considère le nombre de russophones dans le monde et l’importance de l’histoire de la littérature de ce pays. Dans le même temps, la Russie est l’un des grands marchés littéraires monolingues où un auteur à succès peut s’attendre à vendre sans problème plus d’un million d’exemplaires de son livre. Quoi qu’il en soit, la Russie et l’Inde sont actives sur le marché Conclusions international, ce qui n’est pas tout à fait le cas des pays africains et arabes. Les difficultés économiques dont souffre l’Afrique, combinées à l’influence des langues des anciens empires coloniaux, ont façonné des liens littéraires très spécifiques avec le marché international, surtout dans le cas des pays francophones, étant donné que les auteurs qui écrivent en français ont de bonnes chances de rencontrer un public international. La situation du monde arabe est encore plus complexe. Du fait de la tendance de plusieurs pays arabes à l’isolation, le reste du monde connaît peu de choses de la production littéraire de ces pays, mises à part les œuvres écrites par les auteurs en exil. La perception occidentale du monde arabe est, de façon générale, plutôt négative. Les tensions politiques et le manque de familiarité culturelle engendrent des préjugés et un manque d’intérêt, ce qui complique beaucoup la tâche des auteurs arabes qui souhaitent se faire connaître à l’étranger. L’époque où les classes cultivées de toute l’Europe étaient en admiration devant la sagesse orientale des Mille et une nuits est bien révolue. L’autosuffisance de la région anglophone Lorsque l’on essaie d’expliquer les différences quantitatives dans le domaine de la traduction littéraire dans les différentes régions du globe, les problèmes économiques ou politiques sont mis au jour. Mais la traduction littéraire révèle également un autre facteur : l’attitude envers les autres cultures. Les études réalisées dans les pays anglophones montrent la prépondérance d’une attitude d’autosuffisance. Des informations reçues d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Afrique du Sud montrent que les surplus des maisons d’édition anglaises et nord-américaines y sont vendus à bas prix en librairie, étranglant ainsi les secteurs de l’édition de ces pays, qui restent en dehors des circuits des grandes maisons d’édition. Outre sa position dominante sur le marché intérieur, la langue anglaise tend aussi à ignorer tout ce qui n’est pas écrit en anglais. L’immense influence de l’anglais est souvent perçue, à tort, comme un reflet du monde entier. Cette attitude est le résultat de nombreux facteurs qui remontent aux siècles de l’expansion de l’Empire britannique. Aujourd’hui, on trouve derrière la relative imperméabilité du marché anglophone une réticence à reconnaître qu’il existe d’autres mondes avec lesquels il faudrait établir une communication. Dans le chapitre qui ouvre ce rapport, Esther Allen mentionne cette « souffrance de la communication ». La création d’un environnement clos et autosuffisant exclut toute comparaison avec les autres. Les valeurs internes d’une culture imperméable donnent l’illusion d’être des valeurs absolues. On peut aussi mesurer l’autosuffisance des pays anglophones par le fait qu’ils ne tiennent pas de statistiques fiables sur le nombre de livres traduits en anglais. C’est également le cas en Argentine et au Mexique, où l’on ne dispose d’aucun chiffre sur les auteurs qui ont été traduits en d’autres langues, ni sur les livres traduits disponi- 128 129 bles en librairie. Nous avons appris que le gouvernement catalan n’a pas de statistiques sur la littérature importée des autres pays. Il tient cependant un compte précis des livres traduits du catalan vers d’autres langues. Ce manque de données statistiques n’est probablement pas seulement le résultat d’un manque d’intérêt, mais également d’une tentative d’éviter d’avoir à répondre à certaines questions relevant de l’identité (c’est-à-dire le degré d’ouverture d’un pays donné ou d’une culture précise), comme le montre le questionnaire envoyé aux différents PEN Clubs. En 2004, il y a eu, aux États-Unis, 14 400 nouvelles traductions de livres en anglais, dont seulement 874 ouvrages littéraires. On considère que cela représente environ 3 % de tous les livres en vente. À titre de comparaison, environ 30 % de tous les livres publiés en France sont des traductions. L’Allemagne est elle aussi connue pour accueillir une grande part de littérature internationale dans ses librairies, bien que le pourcentage des œuvres traduites ait chuté spectaculairement ces dix dernières années. Dans les petites et moyennes cultures européennes, ce pourcentage tend à être très élevé et, dans certains cas, représente près de la moitié des nouvelles parutions (notamment en République tchèque, en Estonie, en Lituanie ou en Finlande). Il faut souligner que, dans tous ces pays, la grande majorité de ces textes sont traduits de l’anglais. On a observé que certaines cultures, et particulièrement les plus petites, qui traduisent beaucoup d’ouvrages, publient relativement peu d’œuvres écrites dans leur propre langue. Pourtant, toutes les cultures qui, grandes ou petites, sont ouvertes aux œuvres étrangères disposent d’un bon système d’enseignement des langues étrangères et d’un réseau qui relie les mondes de l’édition, de l’enseignement, des médias et de l’université, ce qui dénote une grande cohésion sociale interne. Dans les pays qui sont ouverts à la littérature internationale, les traductions littéraires jouissent d’une bonne reconnaissance et sont considérées comme un travail créatif et non comme une tâche mécanique. C’est ce que l’on constate dans le cas des excellents auteurs allemands qui, encore aujourd’hui, suivent l’exemple de Goethe et de Herder, et consacrent leur temps non seulement à leurs propres livres, mais aussi à la traduction littéraire. L’exemple allemand n’est pas exceptionnel ; dans de nombreux autres pays, des auteurs reconnus font aussi office d’ambassadeurs des littératures étrangères. Ces éléments d’interconnexion sont absents des cultures qui manquent d’intérêt pour la littérature des autres pays. Aux États-Unis, le concept de diversité culturelle est complètement monolingue. Les scènes et les coutumes décrites dans les livres peuvent être tout à fait exotiques, mais la langue originale dans laquelle ces histoires pittoresques sont narrées est presque toujours l’anglais. Avec un plus grand nombre de textes traduits, peutêtre cette perspective changerait-elle et les Nord-Américains et les Anglais verraientils que leur conception de la diversité culturelle se limite presque entièrement à ce que l’on trouve dans le monde anglophone. Mais nous savons que seulement Conclusions 3 % des livres en vente aux États-Unis sont des traductions, et que beaucoup de ces livres entrent dans la catégorie des œuvres hors contexte et hybrides : en deux mots, de la littérature cosmopolite, conçue et écrite pour un public international sans interlocuteur local propre. La résistance générale du monde anglophone à communiquer avec les autres cultures oblige les traducteurs à porter seuls le fardeau de la diversité linguistique. Une traduction de l’anglais ou vers l’anglais a donc une valeur très spéciale, car elle permet aux locuteurs d’autres langues de continuer à parler et à écrire dans leur propre langue, sans perdre le lien avec l’environnement anglophone. La traduction empêche l’anglais de se substituer purement et simplement aux autres langues. Cette situation est particulièrement préoccupante en ce qui concerne les textes scientifiques. La pression à écrire en anglais est telle que les textes du domaine des sciences exactes, de la physique et de la biomédecine ne sont pratiquement plus rédigés dans d’autres langues. Cette même pression devient de plus en plus visible dans les sciences sociales et humaines. Les livres qui ciblent un public cultivé auront sans doute des lecteurs qui maîtrisent la lingua franca actuelle, mais l’on ne peut pas faire la même supposition pour la littérature destinée à un public plus large. La conséquence de cette tendance à rédiger les textes scientifiques en anglais est que de nombreuses langues se retrouvent sans terminologie scientifique propre et sans textes en version originale écrits par leurs scientifiques les plus éminents. Le livre comme marchandise La littérature qui cible de vastes secteurs du monde anglophone a subi un changement inquiétant. Les livres sont devenus des objets sous forme de livre, sans aucune valeur culturelle clairement définie. La seule chose qui compte est le profit immédiat de la vente. C’est le seul objectif des best-sellers, comme si la littérature ne jouait pas un rôle essentiel dans le système éducatif et dans la vie culturelle de n’importe quel pays. La transformation de l’environnement littéraire en marché a eu des effets très négatifs sur la visibilité des traductions. Il est très difficile de se faire une petite place sur le marché face à des maisons d’édition qui disposent de moyens très importants pour promouvoir leurs auteurs. Pour retenir l’attention du public, les livres originaux et traduits doivent lutter contre des campagnes marketing à grande échelle dans les médias. Aux États-Unis, les maisons d’édition dépensent d’énormes sommes d’argent pour promouvoir les écrivains en qui elles voient d’éventuels auteurs de bestseller. Comment une œuvre traduite peutelle concurrencer ce genre d’ouvrages lorsque, en outre, l’auteur de l’œuvre originale est rarement un auteur contemporain qui peut partir en tournée pour attirer l’attention des médias ? En principe, la traduction littéraire comporte un filtre de contrôle qualité qui opère automatiquement : les livres traduits tendent en général à être ceux qui sont les plus appréciés ou les plus fréquemment lus dans leur langue d’origine. Cela signifie que, pour atteindre un 130 131 public étranger, les grandes œuvres d’une littérature donnée ne peuvent pas passer par les mêmes canaux que les œuvres qui ciblent le grand public. La littérature de divertissement en anglais n’a pas seulement déséquilibré le marché anglophone, mais aussi les marchés des autres pays, car, aujourd’hui, la majorité des traductions concernent une littérature facile et légère originalement écrite en anglais. De plus, ces titres faciles à vendre ne sont pas présentés à l’étranger dans leur contexte original et, une fois que le livre est vendu, aucun spécialiste ne continue à s’y intéresser. Cela contribue également à affaiblir le rôle de pont entre les cultures que la littérature a toujours eu. Un livre traduit n’est pas seulement une histoire intéressante, c’est aussi une source d’informations sur une culture étrangère. La littérature repose sur le secteur de l’édition, mais ce sont les réseaux de librairies et de bibliothèques qui sont responsables d’acheminer les livres jusqu’aux lecteurs. Un livre traduit ne peut pas se faire une place sur le marché dans les mêmes conditions qu’un livre publié dans sa langue originale. La mesure dans laquelle il atteint ou non sa cible dépend des grands canaux de distribution. Aux États-Unis, de nombreuses traductions d’auteurs européens sont publiées par des petites imprimeries indépendantes à but non lucratif. Ces éditeurs sont souvent trop petits pour être des intermédiaires efficaces et pour s’assurer que le livre atteindra les quatre coins du globe. Une traduction, et même une traduction en anglais, ne peut avoir un impact que si elle est vraiment acces- sible au public international. Il ne suffit pas d’exister en tant que livre. Les grandes chaînes qui contrôlent la distribution internationale donnent la priorité aux grands best-sellers qui empêchent littéralement la présence des autres types de livres dans les magasins. On imagine difficilement les mesures que l’on pourrait prendre pour renverser cette tendance ou limiter son impact. Les copies illégales de livres Le rapport sur la Chine révèle un autre problème, qui n’est pas encore tout à fait résolu : les copies pirates. En dehors du fait que cette pratique met en péril les droits d’auteur et cause des dommages économiques évidents (à la fois aux auteurs et aux traducteurs), elle a aussi une autre conséquence que l’on ne peut ignorer. L’existence d’un réseau semiclandestin qui produit et distribue des copies non autorisées porte préjudice à la création de nouvelles maisons d’édition et de nouvelles librairies. Cela est vrai pour n’importe quel pays, mais tout particulièrement pour les pays dont l’économie est fragile. Les réimpressions non autorisées ou même les photocopies de livres publiés en espagnol qui circulent dans des pays comme le Chili ou le Pérou relèvent d’une situation bien différente de celle de l’Europe communiste, où circulaient des éditions clandestines, appelées samizdat. En Europe de l’Est, la littérature a défié la répression en tissant un réseau clandestin d’échanges littéraires. Les livres qui ont circulé grâce à ce réseau ont déchaîné des passions mais n’ont pas généré beaucoup Conclusions de bénéfices. Ce n’était pas leur objectif. C’est cependant l’objectif des copies pirates. Ce commerce illégal fait du tort aux auteurs et fait obstacle à la création de maisons d’édition et de librairies, et, au-delà, il encourage une attitude d’acceptation irréfléchie des modèles étrangers. Comme ces copies sont destinées à une vente facile, les œuvres qui sont mises en circulation sont des livres et des traductions qui ont déjà eu du succès dans d’autres pays. Paradoxalement, les copies pirates finissent par constituer une caisse de résonance pour les tendances imposées par les grandes entreprises sur le marché mondial. La circulation de copies illégales réduit l’autonomie des choix qu’une culture donnée peut faire quant aux livres qu’elle souhaite connaître, traduire et assimiler. Parmi les tendances du marché international de la littérature, l’appauvrissement de la diversité des œuvres traduites est l’une des plus préoccupantes. Le nombre des auteurs qui atteignent une reconnaissance mondiale diminue constamment. La traduction dans l’histoire de la littérature C’est la littérature française qui a eu le plus de succès sur le marché anglophone. Environ 30 % des traductions réalisées aux États-Unis concernent des livres écrits en français. Ce que ce fait a de plus extraordinaire, c’est que les œuvres traduites sont signées par de grands noms de la littérature, de la critique littéraire, de la philosophie et d’autres disciplines des sciences humaines. La littérature française prouve donc qu’avec une bonne politique culturelle il est possible de renverser deux tendances négatives : celle de la substitution de la langue originale par l’anglais dans les textes scientifiques, et celle de l’hégémonie de la littérature légère et facile à vendre. La promotion de la littérature française bénéficie d’un soutien financier, mais des efforts sont également déployés pour organiser des conférences dans les universités étrangères, ainsi que des lectures dans les librairies et les écoles francophones, qui fournissent un environnement propice à une présentation plus en profondeur des auteurs et de leurs livres. Pour se faire une place sur le marché, un livre doit être lu et commenté par les critiques. Pour faire partie des classiques et se frayer un chemin dans le système littéraire d’un pays étranger, il doit également attirer l’attention des historiens et des théoriciens de la littérature. La première étape, attirer l’attention des médias spécialisés, est déjà difficile dans le cas des œuvres traduites. La deuxième étape est, en revanche, pratiquement impossible pour les cultures qui ne disposent pas d’écoles ou d’universités à l’étranger. Les traducteurs ne savent pas toujours à quel point l’efficacité de leur travail dépend des universitaires. Les gouvernements aussi négligent souvent ces étapes fondamentales pour qu’une œuvre et la culture qu’elle représente soient bien accueillies à l’étranger. Trop souvent, les efforts promotionnels réalisés à l’étranger se résument à des événements ponctuels, et un article dans un journal à grand tirage ou de bons chiffres de vente semblent suffisants. 132 133 Seule une culture disposant d’un réseau international de spécialistes est capable de lancer ses auteurs classiques sur la scène internationale. Le roman Max Havelaar, l’un des grands classiques de la littérature néerlandaise, est un bon exemple des difficultés que ce processus peut poser. Bien qu’il ait été publié par une maison d’édition de la stature de Penguin Classics, il n’a pas fait grand bruit en dehors des Pays-Bas. Pour que la traduction ait un effet durable, il faut que le public comprenne l’œuvre dans son contexte d’origine. Malheureusement, en général, peu d’efforts sont faits pour inviter et éduquer les critiques afin qu’ils puissent présenter l’œuvre traduite sous son meilleur jour. La création d’un cadre de référence est également essentielle pour la promotion efficace des genres les plus exigeants, en particulier de la poésie. Les implications politiques de la traduction littéraire La situation dans les grandes régions monolingues est clairement l’un des points les plus intéressants soulevés dans ce rapport. Une autre attitude très inquiétante à propos de la traduction reste cependant à étudier : la peur, et même la paranoïa, ressentie face aux autres. Puisque les données sur lesquelles se base ce rapport ne proviennent que de pays qui traduisent des œuvres dans leur langue et dont des œuvres sont traduites dans d’autres langues, on comprend que personne n’ait mentionné le cas des pays dont les frontières restent presque totalement hermétiques. En Lituanie, des souvenirs lointains subsistent sur la situation qui avait cours pendant l’époque soviétique, lorsque les traductions littéraires en lituanien n’étaient pas les bienvenues. Le PEN Club qui a répondu au questionnaire au nom de la Chine n’est pas situé à l’intérieur des frontières du pays : son attitude ouverte n’y serait pas tolérée. Aujourd’hui encore, le gouvernement chinois ne contrôle pas seulement le choix des livres importés, mais aussi le choix des destinataires d’un éventuel soutien pour les œuvres chinoises traduites ou présentées à l’étranger. Pendant la Guerre froide, ce type de censure idéologique était continuel dans l’Europe communiste, bien qu’il ait été appliqué avec plus ou moins de rigueur selon le régime. À cette époque, la plupart des auteurs qui réussissaient à voir leurs œuvres traduites vivaient en exil. Bloquer ou entraver le libre-échange des livres est un signe clair de répression politique dans une société. Un système de traductions littéraires bien développé démontre surtout une curiosité pour les mondes inconnus, bien que parfois cet intérêt puisse être mêlé d’un certain désir de fuite. La traduction offre à chacun l’opportunité de dépasser les limites de sa propre culture. Certains petits pays importent une quantité presque incroyable de livres : parfois, plus de la moitié de tous les livres publiés sont des traductions. Il y a une grande soif de connaître d’autres mondes, particulièrement dans les pays européens. Cette curiosité peut être accompagnée d’un désir de dépasser les horizons de sa propre culture, surtout lors de périodes Conclusions difficiles. Même aux États-Unis, on peut voir des fluctuations dans le nombre des traductions littéraires. Ce nombre augmente lors des périodes d’opposition aux modèles culturels du pays, comme on a pu le constater dans les années 1960, lors de la guerre du Vietnam. La traduction dépassait aussi les horizons de l’Europe communiste et de l’Espagne lors de la dictature de Franco. En Catalogne, les livres provenant de l’étranger étaient une bouffée d’air frais pendant les années de dictature ; ils véhiculaient une liberté de pensée dont ne disposaient à l’époque ni les auteurs ni l’homme ou la femme de la rue. En Chine aussi, et ce depuis des temps très reculés, c’est la littérature étrangère qui est la plus populaire et qui se vend le mieux. Dans les décennies qui ont suivi la Révolution culturelle, les auteurs qui n’osaient pas écrire leurs propres œuvres par peur d’être persécutés traduisaient les œuvres dont Marx ou Lénine avaient fait l’éloge. Ils arrivaient ainsi à exprimer leur vision du monde et à supporter la pression idéologique à travers les œuvres de Shakespeare ou de Balzac. Dans d’autres cas, la traduction aide même à réduire les distances physiques : en Argentine, où une bonne partie de la population immigrée entretient des liens avec son pays d’origine depuis plusieurs générations, la traduction a toujours été très bien considérée : c’est un moyen de surmonter le sentiment d’isolement. Le soutien des gouvernements à la traduction Le soutien que les administrations publiques accordent à la traduction littéraire est l’un des sujets que les différents rapports ont abordés avec le plus de détails. Après avoir étudié les principales politiques publiques de soutien à la traduction, nous pouvons conclure que celle-ci est bien subventionnée. C’est cependant précisément pour cette raison qu’il s’agit d’une activité vulnérable. Lorsque l’on examine pays par pays les types de soutien apportés à la traduction, on s’aperçoit vite que ce sont ceux qui disposent de peu de moyens qui publient le moins d’œuvres à l’étranger. Cette situation est-elle juste ? L’abondance relative de subventions a, en outre, créé un climat dans lequel les éditeurs ne sont enclins à publier une traduction que si elle est subventionnée par le pays d’origine de l’œuvre. Il nous faut corriger ce déséquilibre. On peut trouver des exemples à suivre dans plusieurs pays. Ainsi, en Allemagne, pays traditionnellement ouvert aux traductions, la Société pour la promotion de la littérature africaine, asiatique et sud-américaine (Gesellschaft zur Förderung der Literatur aus Afrika, Asien und Lateinamerika) et le Colloque littéraire de Berlin (Literarisches Colloquium Berlin) subventionnent des traductions afin de donner aux lecteurs allemands l’occasion de connaître des littératures qui, sans cette aide, éprouveraient des difficultés à se faire une place sur le marché international. Historiquement, la traduction a d’abord pris de l’importance en tant que façon de nourrir une langue avec des informations provenant d’autres cultures. Traduire le texte intégral de la Bible ou de Don Quichotte dans une langue peu ré- 134 135 pandue démontrait qu’une culture, aussi petite soit-elle, pouvait être à la hauteur des critères littéraires les plus exigeants. Mais ce centre de gravité est en train de se déplacer et, en forçant un peu le trait, on pourrait dire qu’aujourd’hui le travail de traduction est exactement à l’opposé. Pour démontrer l’importance d’une culture, les traductions doivent trouver une voie d’entrée dans un environnement littéraire étranger. On considère qu’une littérature a atteint le succès lorsqu’elle produit et exporte un grand nombre d’œuvres. Le nombre d’œuvres étrangères importées ne semble cependant pas avoir le même poids. La traduction a toujours joui d’un certain prestige parce que chacun sait qu’il est important d’élargir l’horizon culturel d’un pays en y faisant venir des œuvres provenant d’autres cultures. Mais l’attention que la littérature d’une culture donnée reçoit à l’étranger ne devrait pas être une excuse pour ignorer d’autres littératures. Les pays d’origine des œuvres offrent de nombreuses possibilités de soutien financier pour leur traduction, mais, ce qui fait défaut, ce sont les moyens d’obtenir un aide pour la traduction et la promotion d’œuvres littéraires auprès du pays qui reçoit la traduction. Il est donc difficile d’éviter le piège qui consiste à ne promouvoir que les auteurs « officiellement » considérés comme les plus importants : dans les pays où la liberté d’expression et la démocratie sont menacées, les subventions officielles ne sont destinées qu’aux auteurs qui entretiennent des relations étroites avec le pouvoir en place. Traduction et liberté d’expression Il est particulièrement important de séparer la traduction d’une œuvre littéraire du mode de soutien économique en vigueur dans son pays d’origine lorsque le pays en question est plongé dans un climat de répression et de contrôle idéologique de tous les aspects de la vie publique. La littérature chinoise qui était traduite dans d’autres langues pendant les années 1950 avait pour seul but de servir la propagande du régime maoïste, et seules les œuvres approuvées par le gouvernement et le Parti communiste pouvaient être traduites. Ce contrôle des subventions et de la promotion des œuvres à l’étranger est toujours en place en Chine aujourd’hui : certaines œuvres sont censurées pour des raisons politiques, et ne peuvent pas être publiées. Pour les dissidents chinois, le seul moyen de voir leurs œuvres publiées est qu’elles soient traduites dans d’autres langues à l’extérieur de leur pays. Dans le cas de la Chine et d’autres pays, la traduction et la reconnaissance internationale des auteurs dissidents ont permis de générer des perceptions différentes du régime, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du pays. La traduction a un grand pouvoir de subversion. Mais pour lui garantir une capacité créative et un véritable pouvoir de subversion, la littérature doit conserver une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Elle doit être un espace de liberté, hors d’atteinte des organes politiques ou des dogmes officiels. Les pays démocratiques oublient souvent le cruel manque de liberté d’expression qui sévit dans certains pays. Si tou- Conclusions tes les œuvres traduites nécessitaient un soutien de la part du gouvernement, ces nombreuses voix qui ne peuvent même pas se faire entendre dans leur propre pays seraient réduites au silence. Les œuvres qui n’ont pas atteint le public de leur pays d’origine mais qui ont retenu l’attention dans un pays étranger sensible aux problèmes des autres sont aussi des indicateurs du degré de liberté d’expression d’un pays. La situation en Europe Facteurs politiques et sociaux mis à part, il est clair qu’une activité de promotion de plus en plus intense encourage la traduction littéraire et l’intérêt pour les autres cultures : festivals internationaux, stages pour les auteurs et les traducteurs, magazines littéraires spécialisés, programmes universitaires pour les étudiants étrangers, etc. Il faut accorder une mention particulière à l’idée de trouver des spécialistes de la langue originale d’une œuvre traduite qui puissent présenter tous les aspects de cette œuvre à un public étranger. La France est un modèle à suivre en ce domaine, aussi bien en termes de littérature étrangère accueillie dans le pays qu’en termes de promotion des auteurs français à l’étranger. Au cours des dernières années, les cultures autonomes existant au sein d’États plus grands, comme dans le cas de la culture catalane, ont gagné en visibilité au niveau international. Cette évolution est le résultat des changements politiques importants qui ont eu lieu en Europe depuis le début des années 1980 et qui ont conduit à la chute du mur de Berlin. Alors que dans l’Europe de l’après-guerre personne ne remettait en question la division de l’Allemagne en deux États distincts et donc en deux littératures « nationales » différentes, et que l’Union soviétique et la Yougoslavie se considéraient comme des États unifiés et donc comme des nations unies, ces règles ont clairement changé après 1989. Une nouvelle perspective s’est répandue, du moins en Europe, qui prend en compte l’importance de chaque culture et le respect de toutes les langues. Actuellement, de nombreux pays membres de l’Union européenne se sont dotés de politiques qui défendent ce point de vue et ont mis en place un système efficace pour préserver les droits linguistiques. La facilité des communications dans un monde globalisé est également un facteur important, qui contribue à l’amélioration du climat international entourant les échanges littéraires. Sous Franco, les Espagnols avaient du mal à obtenir un passeport pour aller dans n’importe quel pays communiste, et les Européens de l’Est devaient rester derrière le rideau de fer. La disparition de ces blocages administratifs dans l’Union européenne actuelle a permis la naissance d’une nouvelle perspective sur la réalité. Si l’on tient compte de la destinée historique des petits pays européens, ou de ceux qui ont fait partie de l’Union soviétique, la lutte pour la préservation de l’identité culturelle n’est plus une anecdote isolée, comme on aurait pu le croire par le passé, lorsque l’horizon le plus éloigné était le pays voisin. La défense de la culture d’une nation n’est plus synonyme de provincialisme, comme elle a pu l’être autrefois. L’idée selon laquelle une culture importante ne peut être que grande et calquée sur les frontières officielles d’un État reconnu internationalement n’est plus un concept généralement accepté en Europe. L’une des conséquences de ce changement d’attitude a été la régénération de l’entrelacs que constitue la littérature européenne : des cultures et des langues qui, autrefois, n’avaient de contact entre elles qu’à travers des traductions réalisées à partir des langues les plus répandues peuvent maintenant communiquer directement sans devoir passer par des éditeurs parisiens. En termes culturels et littéraires, la mondialisation a aussi eu de nombreux effets positifs et revitalisants. Postfaces Traduire et se faire traduire Narcís Comadira, poète, traducteur et peintre catalan J’ai bien conscience que je risque d’agacer plus d’un écrivain et plus d’un lecteur en affirmant qu’être lu et compris – « communiquer », comme l’on dit maintenant – ne constitue en aucun cas l’objectif premier de la littérature. La littérature a pour objectif principal la construction d’une œuvre. Il s’agit d’accéder au besoin obsessionnel de l’écrivain de créer un artéfact, littéraire dans ce cas, qui fonctionne le mieux possible. Il s’agit de prendre plaisir à choisir et à combiner les mots, à soigner la syntaxe, à modeler une forme : concrétiser la construction d’une œuvre d’art. Ensuite, et seulement ensuite, intervient le lecteur. Et ce lecteur est avant tout l’écrivain. L’écrivain construit par plaisir, puis, en partie en tant que lecteur, pour se comprendre lui-même et pour comprendre le monde. L’écrivain donne forme à une expérience intense, qui lui appartient donc objectivement. Une fois toutes ces étapes accomplies, et alors seulement, le lecteur autre que l’écrivain entre en scène ; un lecteur invité, du même milieu linguistique que l’auteur dans un premier temps. Puis le nombre de lecteurs invités va grandissant, et le texte est traduit dans d’autres langues. Il est essentiel de traduire un ouvrage afin d’en optimiser le nombre de lecteurs, mais le rôle de la traduction en littérature va bien au-delà. La traduction intervient avant, dès les prémices en réalité. Écrire, pour un écrivain, c’est traduire une langue qui lui est propre, truffée d’expressions idiosyncrasiques, de tournures familiales, d’écarts sémantiques et d’argot – fruit d’une éducation ou d’une impulsion momentanée – en une langue qui, sans toutefois perdre de la verve et de la chaleur de la langue initiale, puisse être comprise de tous au sein de son milieu linguistique. C’est pourquoi écrire, c’est traduire. Et une fois l’œuvre achevée, c’est au tour du lecteur appartenant au même milieu linguistique de traduire cette langue commune vers sa langue personnelle de manière à donner vie, chaleur et mouvement au texte – c’est ce qui importe réellement. Lire également c’est traduire, traduire dans la même langue. Puis, afin que la forme donnée au texte lors de l’écriture puisse être lue et comprise dans d’autres cadres linguistiques, l’œuvre doit se soumettre au processus de traduction 138 139 à strictement parler. La forme du texte initial doit être transformée de manière à pouvoir fonctionner dans un autre système de signes ; c’est à ce moment que l’intervention d’une personne capable de la transposer dans une autre langue s’avère nécessaire. Il ne suffit pas au traducteur de connaître la langue de départ cependant : il lui faut également connaître le mieux possible la langue personnelle de l’auteur, avec ses particularités idiosyncrasiques, de manière à retranscrire le sens général qui se dégage de la langue commune qu’il a employée pour rédiger son œuvre dans ses plus infimes nuances. Le traducteur se doit bien évidemment de maîtriser aussi la langue vers laquelle est réalisée la traduction et être capable de rendre ce qu’il a intimement compris. Là encore il s’agit d’une double traduction : vers la langue commune du milieu linguistique du traducteur bien sûr, mais vers sa sensibilité littéraire également. Car ce n’est qu’à travers sa propre idiosyncrasie linguistique que le traducteur peut rendre fidèlement compte de la traduction initiale qu’avait effectuée l’auteur par l’acte d’écriture. Présenté ainsi, le processus peut sembler complexe, et pour cause. Traduire avec brio n’est pas chose facile. Le risque vaut pourtant la peine d’être encouru. Et il faut oser désirer être traduit, car, sans traduction, une œuvre serait condamnée à n’être qu’un exercice fermé au sein d’un seul et même système, avec les risques d’essoufflement que cela comporte à long terme. Nous ne sommes pas sans savoir que les langues gagnent en vitalité à être traduites, grâce à l’apport de formes propres à d’autres langues que cet exercice permet. Je crois que le passage d’une langue à une autre met en lumière ses failles intrinsèques, et qu’en prenant conscience de ses faiblesses nous pouvons la pousser à s’enrichir en profondeur, à user d’une flexibilité inventive et de constructions adaptables, à se doter d’expressions permettant un discours plus subtil. Traduire et se faire traduire sont les éléments clés pour qu’une langue évolue sainement et pour que ses locuteurs en acquièrent une connaissance fine, afin qu’elle devienne un instrument toujours plus subtil au service de l’objectif premier de l’écriture mentionné plus haut : la construction d’une forme. Traduire et être traduit permet d’approfondir l’aspect mental, instrumental, sentimental et cognitif de la langue. À long terme, la langue qui traduit et se fait traduire est mieux pourvue, capable d’adopter de nouvelles formes toujours plus subtiles, des formes permettant de lire et de comprendre le monde avec une profondeur croissante. Traduire et se faire traduire, c’est se rapprocher sans cesse d’une compréhension absolue qui ne contourne pas les idiosyncrasies, une compréhension qui ne réduit pas le monde à une langue unique – et donc appauvrie –, ni à un unique mode de pensée sommaire et réducteur. Une telle simplification pourrait sembler pratique, mais seulement parce qu’elle se fonde sur l’ignorance. La langue universelle doit être la traduction. Toute autre option rime avec schématisation, appauvrissement, abjection intellectuelle. Toute autre option revient à gaspiller l’immense richesse que constituent les idiosyncrasies linguistiques et personnelles de la planète, et à en revenir au barbarisme le plus total. La langue des langues Ngu~gı~ wa Thiong’o, écrivain et auteur de théâtre kenyan, directeur de l’International Center for Writing and Translation de l’Université de Californie (Irvine) La traduction vient d’aussi loin que la nature et l’instinct de nutrition. La nature est un environnement multiculturel dans lequel diverses formations, organiques ou non, cohabitent dans un état d’échange continu, même lorsque cet échange est nuisible à certaines espèces. L’instinct de nutrition, nutrure, est une traduction littérale de nature, de la même manière que la cyberréalité actuelle, cyberture, est une traduction de nutrure, l’instinct de nutrition. Certaines religions, tout particulièrement celles qui se sont largement propagées, témoignent de la nécessité et de la force de la traduction. Les littératures nationales qui émergèrent en Europe à la Renaissance se sont inspirées de traductions du grec, du latin et d’ouvrages de leurs rivales contemporaines pour s’inventer et inventer leurs personnages. À travers l’impérialisme, les langues européennes ont donné une visibilité aux cultures colonisées et marginalisées d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud et de la Vieille-Amérique. Mais, ce faisant, elle ont arraché les voix d’indigènes aux cultures et aux langues en question. Il est nécessaire que les langues telles que l’anglais – qui se sont converties en langues protagonistes pour quelque raison que ce soit – se voient assigner un nouveau rôle, celui d’outil permettant à ces voix de se faire entendre, d’échanger même, mais sans les desservir. Adoptons ce nouveau slogan : servir sans desservir. La traduction, en ce qu’elle est dialogue – si l’on entend par dialogue un échange où les intervenants sont sur un pied d’égalité –, est très clairement la langue des langues, la langue que toutes les langues devraient parler. Faisons de notre monde un monde où cette langue commune à toutes les langues soit bien présente et reconnue dans la vie de tous les jours. Traduction entre les langues dominantes et les langues minoritaires, traduction entre langues minoritaires. En tant que langue commune à toutes les langues, la traduction a un rôle important à jouer dans le dialogue entre les cultures de ce monde, qu’elles soient petites ou grandes. Nous pourrions construire un fondement culturel de qualité pour une mondialisation égalitaire, en réponse à la mondialisation autocentrée de l’Ouest.