fiche n° 1 : le legitimisme l`ultra- conservatisme.
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fiche n° 1 : le legitimisme l`ultra- conservatisme.
La Faculté de Droit Virtuelle est la plate-forme pédagogique de la Faculté de Droit de Lyon http://fdv.univ-lyon3.fr Fiche à jour au 2 Novembre 2010 FIICCHHEE PEEDDAAG GO OG GIIQ QU UE E VIIR RT TU UE EL LL LE E Matière :Histoire du Droit Auteur :David FRAPET FICHE LIITTTTEERRAATTUURREE PPAAM MP PH HL LE ET TA AIIR RE EE ET TE EC CR RIIT TS S A AP PO OL LO OG GE ET TIIQ QU UE ES SA AU U XIXE E SIIE EC CL LE E. FICHE N° 1 : LE LEGITIMISME EETT L’ULTRA- CONSERVATISME. JAACCQ QU UE ES S CR RE ET TIIN NE EA AU U-JO OL LY YE ET T FR RA AN NC CO OIIS SD DE E GRRO D P OIIS SE EIIL LL LIIE EZ Z, DE ES S PA AM MH HL LE ET TA AIIR RE ES S L LE EG GIIT TIIM MIIS ST TE ES SE ET TU UL LT TR RA A-C CO ON NS SE ER RV VA AT TE EU UR RS S. Date de création du document : année universitaire 2009/2010 Consultez les autres fiches sur le site de la FDV : http://fdv.univ-lyon3.fr 2 I) JAACCQ QU UE ES S CRREETTIINNEEAAUU-JO OLLY Y, V VE EN ND DE EE EN NE ETT LLE EG GIITTIIM MIIS STTE E. H HIIS STTO OR RIIE EN N, A) «« LL’’H HIISSTTO OIIR RE E D DE E LLA A V VEENNDDEEEE M MIILLIITTAAIIRREE »» EETT «« L L’’E EG GLLIIS SE ER RO OM MA AIIN NE EE EN N FFA AC CE ED DE E LLA AR REEVVO OLLU UTTIIO ON N» » :: U UNN AASSSSAAUUTT LLIIVVRREE CCO ON NTTR RE E LLE ES S LLU UM MIIE ER RE ES S D DU U X XV VIIIIIIEE S SIIEECCLLEE.. 11)) L L’’ «« H HIISSTTO OIIR RE ED DE E LLA AV VEENNDDEEEE M MIILLIITTAAIIRREE »»,, UUNNEE Œ ŒU UV VR RE E M MIILLIITTA AN NTTE EP PO OU UR RU UN ND DE EV VO OIIR RD DE EM MEEM MO OIIR RE E A A)) S STTTRRRUUUCCCTTTUUURRREEE E E X T R A T EX XT TR RA AIIIT T.. 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C’est une période absolument unique de notre Histoire au cours de laquelle la France a connu 10 régimes différents (le Consulat ; le Premier Empire ; la Restauration ; les Cents Jours ; la Monarchie de Juillet, la seconde République ; le Second Empire ; le Gouvernement de la Défense Nationale, la Commune de Paris ; la Troisième République) ! Alors qu’ Empires, Monarchies et Républiques se succédaient, le peuple français était aussi soumis au ballet des Constitutions, des Chartes, textes auxquels venaient parfois s’ajouter des « actes additionnels ». Le XIXe Siècle, fut aussi celui de la montée en puissance des idéologies (monarchisme absolu de tendance Légitimiste et ultra montaine ou tempéré d’essence Orléaniste ; République sociale ou conservatrice ; Nationalisme ; Socialisme ; Communisme ; Anarchisme ; Bonapartisme), mais aussi des utopies, incorporant dans leurs doctrines des éléments socialistes et chrétiens (Fouriérisme, Icariens de Cabet, SaintSimoniens, partisans de Gaudin…) . L’Historien ne s’étonnera donc pas de la richesse conceptuelle des théories développées et de la passion avec laquelle les théoriciens et les militants de tous bords répandaient leurs idées dans le corps social. La France connut certes bien d’autres périodes au cours desquelles la vie politique connut de violentes secousses , comme la Fronde (1648-1651) ou bien encore les dernières années du XVIIIe Siècle qui virent fleurir une littérature pamphlétaire violemment hostile à Marie-Antoinette et à Louis XVI, mais l’intérêt des pamphlets et de la littérature apologétique du XIXe Siècle, réside essentiellement dans le fait que ces textes sont éminemment idéologiques et brassent des thèmes véritablement sociétaux comme par exemple celui de savoir s’il vaut mieux vivre dans une République que dans une monarchie. Enfin, les textes du XIXe Siècle parlent aux citoyens du XXIe, car ils ne sont éloignés de nous que d’à peine un siècle et demi et qu’ils traitent de questions encore très actuelles, sur la nature des institutions ou le choix du régime. Les diatribes du Vicomte de Cormenin contre la monarchie de Louis-Philippe et les pamphlets d’auteurs Légitimistes comme Jacques Crétineau-Joly, bien 4 5 qu’appartenant désormais à l’Histoire des idées et des faits sociaux, nous interpellent en 2010 beaucoup plus que les démêlées du Cardinal de Retz avec Mazarin… Dans le cadre de ces deux fiches consacrées aux « pamphlets et écrits apologétiques du XIXe Siècle », nous nous sommes penchés sur des textes émanant des trois familles politiques les plus actives du XIXe Siècle, le Légitimisme, l‘Orléanisme et les Républicains (auxquels on peut adjoindre des écrivains aux limites du Bonapartisme comme par exemple Achille de Vaulabelle). Notre choix s’est porté essentiellement sur des auteurs particulièrement vindicatifs, (Crétineau-Joly, Groiseilliez, Cormenin, Berthezène, Tirel) parce que ces écrivains-pamphlétaires restituent parfaitement les passions qui agitèrent le monde politique français du XIXe Siècle. Toutefois, nous avons également accordé une large place au Comte de Montalivet, apologiste de l’Orléanisme, qui dans le grand orage du XIXe Siècle nous a livré une apologie sans réserve, mais mesurée dans la démonstration, du règne de son champion, Louis-Philippe d’Orléans. Nous avons enfin fait le choix de citer de larges extraits des écrits de ces auteurs, pour familiariser l’étudiant moderne avec des textes rédigés dans un français flamboyant qui soutient en permanence la puissance des idées et des causes défendues. Le Légitimisme et les milieux qui lui furent proches ayant tenu une place prépondérante dans la production de pamphlets et d’œuvres apologétiques, tout particulièrement à propos du règne de Louis-Philippe, cette FICHE N° 1 sera entièrement consacrée à ce courant de pensée. La FICHE N° 2, sera consacrée aux écrits pamphlétaires et apologétiques Républicains et Orléanistes. Ainsi, nous aurons cerné complètement ce sujet important pour la compréhension du débat d’idées au XIXe Siècle. I) Jacques Crétineau-Joly, Historien, Vendéen et Légitimiste. Comme les Républicains, le courant Légitimiste a fourni au XIXe Siècle un fort contingent de polémistes. On pourrait croire que cette famille de pensée, recrutant essentiellement dans les couches aristocratiques de la Société, et implantée 5 6 chez les catholiques et les notables des campagnes, se contenterait d’une opposition de principe, plutôt sage et modérée. Or, il n’en fut rien. Le Légitimisme amena au journalisme et à la littérature pamphlétaire de très grandes plumes dont les ouvrages particulièrement violents, sont demeurés comme des modèles de ce type d’écrits. Jacques Crétineau-Joly représente probablement l’archétype de l’extrémisme Légitimiste. Très connu au XIXe, cet auteur qui a quelque peu sombré dans l’oubli, sauf peut être dans l’Ouest de la France où des maisons d’éditions continuent à éditer ses œuvres, figure l’archétype de l’extrémisme du discours Légitimiste. François de Groiseilliez, moins connu et définitivement oublié, s’est illustré dans la production d’ ouvrages violemment anti-parlementaires. A) L’Histoire de la Vendée Militaire et l’Eglise Romaine en face de la Révolution, un assaut livré contre les Lumières du XVIIIe Siècle. Jacques Crétineau-Joly, né en 1803 à Fontenay le Comte, (décédé le 1er Janvier 1875), journaliste et avocat, deux professions qu’il ne cessa de stigmatiser tout au long de sa vie, est célèbre pour avoir écrit les quatre gros volumes de l’ « Histoire de la Vendée Militaire » et les deux de « l’Histoire de Louis-Philippe d’Orléans et de l’Orléanisme » (publiés à Paris en 1867 chez Henri Aniéré). Le combat Légitimiste de cet auteur est axé autour de deux thèmes : La défense de la mémoire des soldats « Blancs » de la Grande Armée Catholique et Royale vendéenne qui combattit contre la République entre Février 1793 et Septembre 1796 (avec un pic d’activité de Février à Décembre 1793), et la dénonciation en des termes extrêmement violents de l’Orléanisme et de la personne du Roi Louis- Philippe. Sur ce dernier point, il faut bien admettre que Crétineau-Joly a nourri toute sa vie une véritable haine contre le Roi des Français, qu’il qualifiait d’ « usurpateur », de « traître », de « fils du régicide Egalité ». Cette véritable obsession s’est pourtant transformée en une œuvre, très intéressante sur le plan historique (puisque Crétineau travaillait avec des archives et des témoignages de première main), tout à fait remarquable sur le plan littéraire (car le style flamboyant utilisé par l’auteur atteint des sommets 6 7 de lyrisme), mais fondamentalement partisane. Les ouvrages de Jacques Crétineau-Joly sont des réquisitoires prononcés contre la Philosophie des Lumières, la République, les « sociétés secrètes » et l’idéologie « Juste-Milieu » considérée comme un infâme salmigondis d’idées inconciliables. Inversement, les écrits de Jacques Crétineau-Joly sont des plaidoyers en faveur du catholicisme romain, de la Royauté absolue, de la chouannerie et plus généralement de l’ « engagement » en politique, quel qu’en soit d’ailleurs le but, pourvu qu’il soit net et tranché. 1) L’Histoire de la Vendée Militaire, une œuvre militante pour un devoir Mémoire. Jacques Crétineau-Joly a été un auteur particulièrement prolixe. Citons comme œuvres majeures de cet auteur ( hors ses nombreux articles rédigés pour la presse), l’ « Histoire de la Vendée Militaire » (dont la première édition remonte à 1840 –1879 p-) , « l’Eglise Romaine face à la Révolution » ( Editions Pays et Terroirs, en 5 tomes, Cholet, 2005, 1047 p), l’ « Histoire de la Compagnie de Jésus » ( Lyon, Mellier Frères, en 6 tomes 1845/1846 , 2415 p ), l’ « Histoire du Sonderbund » -du nom de la ligue qui regroupa en 1846 les cantons suisses catholiques en guerre civile contre les autres cantons dominés par les libéraux – (Paris, Plon, en deux tomes, 1850, 1076 p) , « les Mémoires du Cardinal Consalvi » (Paris, Plon, 1866, 991 p), et l’« l’Histoire de Louis-Philippe d’Orléans et de l’Orléanisme » (Paris, Henri Aniéré, en deux tomes, 1867, 1059 p) . a) Structure de l’ « Histoire de la Vendée Militaire » et présentation d’un extrait. Pour analyser la structure de cette œuvre, à propos de laquelle Crétineau-Joly disait qu’ « elle avait dévoré les plus belles années de sa vie », nous nous référerons à l’édition en quatre volumes publiée par les éditions « La Librairie Française », Paris, 1979, 1879 pages. Cette œuvre, en quatre tomes, constitue une sorte de Mémorial de la Vendée Militaire, un 7 8 Panthéon littéraire des acteurs, Royalistes et Républicains des Guerres de Vendée. -Au cours du Tome 1, consacré à la « Grande Guerre » Février-Décembre 1793, Jacques Crétineau-Joly présente les idées directrices de l’œuvre à venir : La Vendée, fondamentalement égalitaire a été amenée à se révolter contre la Convention, parce que cette dernière avait nié la liberté du Culte et forcé les jeunes hommes à aller se battre loin de chez eux « aux frontières ». Par ses excès, la Révolution a donc volontairement provoqué les populations de l’Ouest ; elle est donc responsable des Guerres de Vendée, des exactions et des destructions. Crétineau-Joly familiarise aussi le lecteur avec l’idée selon laquelle les Princes de Bourbon n’ont pas assez aidé la Vendée révoltée. Il s’en prend également violemment aux Anglais, accusés d’avoir trahi la Grande Armée Catholique et Royale en empêchant 7000 émigrés français qui étaient stationnés sur l’île de Jersey, de débarquer en France, à Granville, en Octobre 1793. L’auteur , qui ne veut cependant pas laisser croire qu’il attend une aide de l’Angleterre, se reprend très vite en affirmant « qu’une aide anglaise à la France est forcément contre-nature ». Jacques Crétineau-Joly déclare que « le titre de vendéen se conquiert ». (p 407). C’est probablement la raison pour laquelle il consacre le tome 2 aux campagnes militaires. Il regrette les divisions au sein du Grand Conseil de la Vendée et accuse : « la Vendée militaire discute au lieu d’agir », puis cette phrase lourde de sens : « Ce fut plus contre les ambitions vulgaires et les vanités individuelles, que contre les armées de la Convention, que la Vendée échoua » (t 1 p 240). Enfin, l’Abbé Bernier, qui était l’âme du Conseil Supérieur de Châtillon sur Sèvre, (actuellement Mauléon), est présenté comme un fauteur de division. L’auteur affirme par ailleurs que ne pas avoir pris Rennes , lui semble avoir constitué une erreur stratégique majeure. Cependant, Jacques CrétineauJoly, au cœur même du récit des événements d’une Guerre épouvantable, rend de nombreux hommages à des Généraux républicains, soit pour leur bravoure, soit pour leur aptitude militaire, soit enfin pour leurs qualités humaines. Il en va ainsi de Kléber, (p 217) ; de Canclaux , que Crétineau respecte pour 8 9 avoir accordé, même après sa destitution, toute son aide au Général Léchelle, son successeur (p 245) ; de Moulins ( p 403). Il en ira de même dans le tome 2, avec le Général Dumas « honneur de la République » (p 231), ou de Hoche dans le Tome 3 (p 322). Ce tome premier, s’achève sur un hommage à la Grande Armée Catholique et Royale « qui a vaincu dans 60 combats » (p 409) . -Dans le tome 2, Crétineau-Joly émet l’idée que « les Révolutions font sortir les individus de leur sphère et les jettent au milieu des tempêtes sans autre frein que leurs passions surexcitées », puis « que les Révolutions corrompent les natures les moins cruelles » (p 74) . Auparavant (p 72), Crétineau-Joly a évoqué « la puissance du ridicule démocratique » . Ce tome 2 relate avec force détails les exactions des Colonnes Infernales de Turreau, Cordelier, Amey, Grignon, Crouzat… Face à l’échec des Colonnes Infernales, Crétineau s’attarde sur le Général Travot, qui succède à Turreau et organise la politique défensive de l’occupation de places fortes réputées inexpugnables. (p 200) . Enfin, le tome 2 montre tout autant un Bonaparte désireux d’offrir une paix dans l’honneur à la Vendée, qu’un Crétineau –Joly plutôt conciliant avec l’Empereur. A propos de Bonaparte, Crétineau écrit (p 462) : « Cet homme dont le regard était si pénétrant, appréciait la portée et les conséquences morales du grand fait de l’insurrection monarchique. Afin d’être tranquille sur le Trône qu’il réservait à son ambition et d’arracher aux mains de la Vendée les armes que les pacifications précédentes n’avaient pu faire tomber, il osa lui donner complète satisfaction ». (p 462). Les vendéens, qualifiés de « peuple de géants » se sont, selon l’auteur, « sacrifiés pour le bien de tous ». Ce tome est aussi l’occasion pour l’auteur de développer ses sentiments antiparlementaires et de déclarer tout son mépris pour « les surprises de Tribune, ainsi qu’on en rencontre mille autres dans les fastes parlementaires » (p 292). -Le Tome 3 , dès sa première ligne, annonce que : « le récit des événements qui, pendant la période révolutionnaire agitèrent la Bretagne, le Maine et la Normandie, n’a pas encore été publié ». Il ajoute : « jusqu’à présent la guerre de la Chouannerie n’a rencontré que des panégyristes ou des accusateurs ». L’objectif que se fixe donc Crétineau-Joly dans cette partie de son « Histoire de la Vendée Militaire », c’est de 9 10 rendre un compte impartial des phénomènes de résistance à la Révolution qui agitèrent ces régions périphériques à la Grande Vendée Militaire, ne serait-ce que parce que « la Bretagne est une terre à part » (p 3). Il s’agit, pour l’auteur Légitimiste, d’honorer la mémoire des grands résistants de la Bretagne et de la Normandie : Cadoudal, Frotté, Tinténiac, de Scepeaux, de Bourmont, Rochecotte, d’Andigné, Jean Chouan, « Jambe d’Argent », « Saint-Paul »… ; mais il s’agit aussi de montrer la spécificité de la chouannerie bretonne en prenant bien soin de la distinguer de la Grande Armée Catholique et Royale en Vendée. Bien que l’intensité du Tome 3 dans sa dénonciation de l’ « Inquisition Révolutionnaire » ne baisse pas, CrétineauJoly sait parfois rendre un hommage éclatant à des Révolutionnaires, même membres des « Clubs » que l’auteur voue pourtant aux gémonies et à l’exécration publique, pour autant que ces derniers aient su faire preuve d’humanité et de réalisme. C’est aussi dans ce tome 3 que Crétineau-Joly développe sa théorie de la « Guerre Civile Juste ». Cet éloge de la Guerre Civile peut paraître incompréhensible pour un Français du XXIe Siècle. Voici donc comment Crétineau-Joly justifie et accorde des lettres de noblesses à la Guerre Civile : « Aux yeux du philosophe spéculatif, la Guerre Civile sera une calamité ; aux yeux de l’Historien, elle n’est et ne doit être qu’un mal relatif, lorsque ceux qui l’entreprennent tendent à renverser une usurpation heureuse que le temps n’a pas consacré, ou à étouffer l’Anarchie. C’est le citoyen paisible osant, pour défendre sa personne, sa liberté ou sa vie, se précipiter contre une fraction d’ambitieux ou de fanatiques, qui après avoir brisé un Trône et détruit le culte de tous, remplacent ces objets de la vénération publique par des doctrines athées ou par le pillage, transformés en lois. La résistance à une semblable anarchie est toujours de droit naturel ». Il ajoute, pour légitimer la Chouannerie (et la résistance royaliste à la Révolution en général) : « Ceux qui n’ont pas voulu se laisser piller ou massacrer sans vengeance, ceux qui coururent aux armes pour écarter de leurs châteaux ou de leurs chaumières les attentats que la Révolution y commettait, ceux là agirent comme doivent agir en pareil cas les hommes honnêtes et les citoyens indépendants. Ils repoussèrent de leur sol la tyrannie qui s’y implantait sous le nom de l’Egalité et de la Fraternité, et ils firent bien. On les 10 11 forçait à renoncer à leur foi, on incendiait leurs demeures, on tuait leurs pères, on égorgeait leurs mères, on violait leurs épouses, leurs filles et leurs sœurs, et par une dérision féroce on venait à la même heure les contraindre à se dire libres et satisfaits. Leur révolte fut un droit, le plus sacré de tous » (p 167/168) . C’est également dans cette partie de l’ « Histoire de la Vendée Militaire », que Crétineau-Joly dénonce (encore…) la perfidie des Anglais dans l’affaire du débarquement manqué des émigrés Français à Quiberon en Juillet 1795 . Il implique aussi dans ce désastre politico-militaire, la responsabilité de l’ Agence Royaliste de Paris dirigée par l’Abbé Brottier « avec ses complots et ses manigances » (p 290/291). L’auteur Légitimiste montre la faiblesse de cet organisme « en contact avec les rêveurs de systèmes impossibles et les utopistes ». L’Agence Royaliste parisienne aurait calomnié les authentiques royalistes engagés dans l’ « Action ». Toutefois, le principal défaut de cette « Agence » résidait, nous dit Crétineau, « dans son goût funeste pour les élections » ( p 439). En parlant des Monarchistes, Crétineau-Joly dira toujours « qu’ils ne savaient ni conspirer, ni rester unis » ( p 450). En fait c’est la « discipline révolutionnaire » et son organisation politique qui manquèrent aux Royalistes de cette époque ( p 301). Notons une définition choc de la Révolution dont Crétineau-Joly a le secret : la Révolution, dit-il , c’est « la philanthropie à main armée ». -Les débuts du Tome 4, sont à nouveau consacrés à une critique violente du comportement de Louis XVIII entre 1793 et 1800, « qui aimait mieux parlementer que combattre » (p 57) et de l’Agence Royaliste de Paris qui « ne se croit forte que lorsqu’elle a placé ses espérances sur une tête ennemie » (p 57). C’est aussi dans ce Tome IV que Crétineau-Joly évoque le soulèvement de la Vendée en 1815 contre le retour de Bonaparte au Pouvoir (période dite de « Cents Jours –20 Mars/19 Juin 1815) et la mort de son Généralissime Louis de la Rochejaquelein au « champ des Mathes » le 4 Juin 1815. Le Tome IV consacre de larges développements à la « dernière Guerre de Vendée », menée par des résistants royalistes contre « l’usurpateur » Louis-Philippe d’Orléans .Crétineau-Joly n’a pas de mots assez durs pour qualifier les opportunistes qui furent Révolutionnaires, puis Bonapartistes, enfin Libéraux sous Louis-Philippe pour garder la propriété des Biens 11 12 Nationaux qu’ils avaient achetés à vil prix durant la Révolution. Sa haine de l’Orléanisme apparaît dans cette partie de l’ « Histoire de la Vendée Militaire ». La lutte contre les Orléans et l’Orléanisme sera le fil conducteur de l’œuvre de Crétineau-Joly ; il y consacrera sa vie ; ce sera sa croisade. Les « exactions » des troupes de Louis-Philippe (appelées à l’époque les « culottes rouges ») sont décrites avec la plus grande précision, de même que l’épopée en 1832 de la Duchesse de Berry, (mère d’Henri V, petit fils de Charles X et futur comte de Chambord) à travers la Vendée, pour provoquer un soulèvement contre Louis-Philippe (à partir de la 370). A ce propos, Crétineau-Joly, même s’il rend un hommage appuyé au courage de la femme, juge assez sévèrement cette tentative d’insurrection, vouée à l’échec dès le départ et qui ne conduisit-selon lui- qu’à « faire tuer de pauvres gens ». Pour illustrer son opinion, il évoquera le « massacre » de la famille De la Roberie à La Mouchetière par une compagnie du 17ème Léger. Ces sympathisants de la cause Légitimiste avaient hébergé la Duchesse de Berry. - L’ « Histoire de la Vendée Militaire » s’achève par le récit de la dernière « guerre » de Vendée contre la Monarchie de Juillet au Printemps de 1832, qui se résuma plutôt à une succession d’escarmouches et de coups de mains des derniers partisans des Bourbons contre les autorités Orléanistes. LouisPhilippe et sa Monarchie de Juillet y sont copieusement injuriés : Louis-Philippe aurait été élevé « au milieu des orgies du Palais Royal », il est question des « saturnales de la licence constitutionnelle » ( pp 342/344). Après avoir insisté sur le saccage des monuments Légitimistes vendéens par les troupes de Louis- Philippe, qualifiées de « nouveaux Bleus de Vendée » ( les colonnes de Torfou, de Saint Florent le Vieil, de Maulévrier, de Charrette à Légé, mais aussi le monument commémoratif à la mémoire de Jacques Cathelineau au Pin en Mauges et ceux de Savenay et de Quiberon ), Jacques Crétineau-Joly raconte, en des termes grandiloquents, la prise du château de la Pénissière le 6 Juin 1832 par un millier d’hommes des Troupes de ligne opposés à quelques 42 résistants qui refuseront de se rendre et périront dans les flammes de l’incendie du château. C’est cet épisode que nous avons sélectionné comme extrait représentatif de l’ « Histoire de la Vendée Militaire » de Crétineau-Joly : 12 13 EXTRAIT CHOISI : - « Histoire de la Vendée Militaire », Tome IV, pp 456/457/458/459/460/461/462 : « Tandis que du côté de Vieille-Vigne, Charette combattait au Chêne, et que le vieux La Roberie à ses côtés cherchait, les armes à la main, à venger la mort de sa fille, 42 royalistes du corps de La Rochejaquelein venaient le 5 Juin (1832) chercher un abri contre l’orage au manoir de La Penissière…La nuit se passa pour eux dans le repos qui leur était si nécessaire après de longues marches sous la pluie. Le lendemain 6 Juin, cette petite troupe, ne voyant pas paraître l’ennemi annoncé, se décidait à continuer son mouvement, lorsque le cris ‘’Aux Armes !’’ retentit. Ce cri est précédé d’une décharge faite par les Rouges (les hommes de LouisPhilippe) sur la sentinelle avancée. Le Commandant Georges, du 29ème de Ligne cernait le manoir avec son bataillon ; à cette vue, les vendéens barricadent les portes et les fenêtres et ils se disposent à faire résistance. ( Là, Crétineau énumère tous les noms des combattants vendéens –moins six inconnuset les définit comme une « héroïque phalange » de laboureurs, de paysans, de vieillards, de séminaristes et de jeunes gens de toute condition). La Pénissière est une veille maison à un seul étage et percé de quinze ouvertures de forme irrégulière. La chapelle est adossée à un coin de l’habitation ; plus loin, et joignant le vallon, s’étend une prairie entrecoupée de haies vives et que l’abondance des pluies avait transformée en lac. A cette attaque imprévue, les Blancs ne sont point déconcertés. Ils allaient chercher l’ennemi ; l’ennemi venait à eux : Ils se décident à le recevoir en braves. Le Commandant Georges avait ordonné une décharge générale, ils y répondent ; mais leurs coups sont si assurés que les grenadiers du 29ème ne crurent pas devoir rester à découvert, exposés à une fusillade aussi meurtrière. Ils reculèrent et attendirent le renfort qui leur était envoyé. La Garde Nationale demeurait spectatrice de l’affaire. Le renfort arrive, les grenadiers se jettent vers la maison aux cris de ‘’ Mort aux Chouans’’ ! ‘’Vive Henri V, Vive Madame’’ est le signal de ralliement des Royalistes. Les grenadiers sont encore obligés de reculer. Les plus adroits tireurs s’étaient embusqués derrière les fenêtres. A chaque seconde ils déchargeaient sur les assiégeants les 13 14 lourdes espingoles que leurs camarades rechargeaient, et que de main en main on se passait pour ne pas laisser languir le feu. Chaque espingole portait au moins 25 balles ; les vendéens en tiraient 9 ou 10 à la fois : On eût dit une batterie de canons chargée à mitraille. Ce fut une belle journée que celle là, une journée où, esprit de parti, désastres de guerre civile mis de côté, il se fit des prodiges de valeur tels que Plutarque n’en aurait jamais autant demandé pour immortaliser ses héros. Tandis que le 6 Juin 1832, la République, plus heureuse, agonisait sous la mitraille dans le cloître Saint-Méry, (allusion aux émeutes républicaines qui éclatèrent à l’occasion des obsèques du Général Lamarque) et qu’elle agonisait en tournant son dernier regard sur des Princes et des Maréchaux de France qui mettaient l’épée à la main contre elle, ici, à la même heure, dans un coin ignoré du bocage, un drame plus magnifique se jouait. Sans autres témoins que les balles dont ils sont frappés, sans autres regards pour admirer ou plaindre leur incompréhensible audace que des regards ennemis, les quarante-deux de la Pénissière jouent leur vie sur le plus incertain des enjeux. Presque inconnus les uns aux autres, aboutissant là de plusieurs points à la fois, ils n’ont eu ni le temps, ni la précaution de se pourvoir de vivres. Cernés dans des murs s’ébranlant sous l’effort des balles, ils font feu comme si le plomb et la poudre ne devaient jamais leur manquer, comme si au bout de ces Thermopyles il n’y avait pas une mort assurée, mort terrible, même dans leur glorieuse intrépidité, car ils la portaient à des compatriotes, et ils ne pouvaient la recevoir que d’eux…Les Blancs entendaient les Rouges se dire entre eux : ‘’ Ce ne sont pas des Hommes, mais des Diables que nous avons à combattre, et cet éloge militaire leur donnait encore une nouvelle ardeur…Les Rouges avancent cependant sous cette tempête de plomb, que chaque fenêtre vomit , sous cette pluie de balles qui s’échappe de chaque pierre de la muraille. Georges n’avait pu les effrayer ; il se détermine à les brûler. Il était maître de la maison attenante au château : Cette maison n’avait pu être comprise dans le système de défense des assiégés. Les voltigeurs et les sapeurs se glissent le long du mur qui sépare ces deux bâtiments…Ils y introduisent furtivement des fagots ; puis en se servant d’un grand morceau de bois enflammé, ils propagent l’incendie . A la vue des flammes qui s’élèvent, les 14 15 assaillants poussent des hurlements de joie, tandis que dans la Pénissière, dont la toiture est embrasée, on n’entend que les cris de ‘’Vive Henri V !’’, mêlés au bruit du clairon de Monnier qui sonne la charge. Le Commandant George fait de son côté battre des roulements de tambours pour animer les siens, et il se précipite sur les portes de la Pénissière. Les sapeurs les enfoncent à coups de hache ; ils sont maîtres du rez de chaussée ; mais les Blancs avaient prévu ce plan audacieux ; ils se sont réfugiés au premier étage. Les uns décarrèlent le parquet couvert de briques ; les autres, à travers les poutres, fraient un passage à leur œil, une petite place aux canons de leurs espingoles et debout, ils font sans cesse feu sur les assaillants…Les Quarante-deux ont l’incendie au dessus de leurs têtes et sous leurs pieds. Ils combattent encore…Personne ne songeait à demander ou à offrir une capitulation honorable. Personne dans les deux partis ne reculait devant la nécessité de mourir. Cependant il fallut à la fin que l’ivresse même du combat fît place à la raison. Les Royalistes sentent le besoin de se séparer ; on décide qu’une sortie du côté du jardin sera tentée…Sur les Quarante deux, seuls trente-quatre exécutent l’ordre. Les huit derniers, qui défendaient un poste séparé, furent oubliés, et protégèrent par la continuité de leurs décharges la retraite de leurs frères d’armes. A la vue des Chouans qui se sont jetés dans le verger et qui ont à leur tête les quatre frères Girardin, le Commandant George ordonne de faire feu et de les envelopper. Les Blancs ripostent. Ils renversent tout ce qui s’oppose à leur passage : Cinq périssent sur la place même…Il en reste huit dans la Pénissière, commandés par Lévêque……………… » b) Objectifs poursuivis dans cet ouvrage. Cette œuvre est à la fois apologétique et pamphlétaire. Elle défend la cause de la royauté « légitime », celle des Bourbons et flétrit l’action de Louis-Philippe d’Orléans, « fils de la Révolution », accusé d’avoir « usurpé le Trône ». Son but premier, c’est tout de même de montrer que la Révolution Française a « martyrisé la France entière », mais que c’est seulement « dans la Vendée » qu’elle s’est heurtée à une opposition de type militaire. C’est la Vendée Militaire qui a 15 16 pris sur ses épaules tous les péchés de la Révolution et s’est sacrifiée pour l’intérêt commun. Jacques Crétineau-Joly, pendant des centaines de pages, évoque « la passion des vendéens », les exterminations, les tentatives de génocide par incendies, empoisonnements des puits, massacres du bétail, la destruction des villages, la déchristianisation forcée, la déportation des populations. Il relie toujours ces exactions à des ordres reçus des Autorités Républicaines de Paris, affirmant en cela que la destruction de la Vendée s’inscrivait dans un plan concerté, pensé et mis en œuvre par le Gouvernement français, pour éradiquer les dernières traces de la Société d’Ancien Régime ( cette « Société de nos pères » dont parle toujours l’auteur). Crétineau, tout au long de cette épopée de la Vendée Militaire, n’épargne à son lecteur aucun détail, aucun descriptif des exactions commises en Vendée par les troupes et les soutiens locaux de la Convention. Il compense ces récits difficiles à supporter, éprouvants pour les cœurs sensibles, par de longues descriptions très ironiques des grands leaders de la Convention Nationale et des fonctionnaires républicains détachés dans l’Ouest. Crétineau – Joly restitue une ambiance, ressuscite les vieilles histoires que se racontaient les anciens combattants de la Vendée Militaire, les soirs devant un bon feu de cheminée. Souvent enjolivés, parfois mythifiés, les « événements de la Vendée » sont couchés sur le papier, à la fois par devoir mémoriel et dans une perspective d’édification des générations futures. « Anathème est la Révolution Française », tel est le message premier délivré aux lecteurs de l’ « Histoire de la Vendée Militaire » par l’auteur Légitimiste. Toutefois, une lecture attentive de l’ « Histoire de la Vendée Militaire », réserve quelques surprises. En effet, si le ton antiRévolutionnaire et anti- Louis-Philippe ne faiblit jamais, la défense de la monarchie des Bourbons, bien qu’omniprésente, subit parfois quelques exceptions notables. -L’ « Histoire de la Vendée Militaire » constitue d’abord et avant tout un récit précis des Guerres de Vendée. Le moindre événement est rapporté, les descriptions sont saisissantes de réalisme. L’auteur offre au lecteur plusieurs dizaines de mini biographies des protagonistes de ce conflit, cite un très grand nombre de dates, décrit avec précision les lieux de batailles ; par ailleurs, l’auteur qui a travaillé sur des archives et des témoignages de première main, publie des tracts, des 16 17 Proclamations, des Procès Verbaux des délibérations des Conseils ou des Etats Majors royaux et républicains. L’ Histoire de la Vendée Militaire de Crétineau-Joly constitue donc une remarquable banque de données pour le chercheur qui s’intéresse à cet épisode de l’Histoire révolutionnaire. Tous les historiens qui écrivent sur les Guerres de Vendée puisent l’essentiel de leurs sources dans cette « Histoire de la Vendée Militaire », qu’ils recoupent avec l’ouvrage du Républicain Savary : ( Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République Française, Jean-Julien Savary –Officier Supérieur des Armées de la République habitant dans la Vendée avant les troubles-, (réédition en 6 tomes), Cholet, Editions Pays et Terroirs, 2008.) La lecture attentive de l’ « Histoire de la Vendée Militaire » de Crétineau-Joly, présente au moins trois surprises de taille : -Tout d’abord, l’auteur commence son travail en affirmant que les habitants de la Vendée –et notamment les paysans et les nobles-, se seraient volontiers satisfaits de la Révolution Française si cette dernière n’avait pas persécuté la religion catholique en imposant la Constitution Civile du Clergé (12 Juillet 1790), mais également ne s’était pas livrée à un certain nombre de vexations à l’égard des populations rurales qui rejetaient la conscription (autrement appelée « la loi du recrutement »). -D’autre part, l’auteur insiste sur le fait que la Vendée « aurait pu être révolutionnaire », parce que les paysans vendéens, qui avaient toujours vécu avec leurs seigneurs, mangé à la même table, chassé sur les mêmes terres et prié dans les mêmes églises, avaient pratiqué l’ « Egalité » bien avant que les Philosophes des Lumières n‘assurent la promotion de cette idée. Fier, le paysan du bocage n’aurait jamais supporté que l’aristocratie mette en cause le Principe d’Egalité. L’idée selon laquelle la Vendée « porte en elle l’idée d’Egalité » est une constante dans l’œuvre de Crétineau-Joly. -Enfin, l’auteur Légitimiste, condamne fermement l’ingratitude des Rois de la Restauration (Louis XVIII et Charles X) envers les anciens combattants de la Vendée Militaire. Privés de pensions décentes, désarmés honteusement par un pouvoir qu’ils avaient défendu les armes à la main, écartés des emplois publics, les anciens « brigands » de la Vendée auraient été victimes d’arrangements politiques conclu 17 18 entre la royauté de retour au Pouvoir et les « forces politiques issues de la Révolution » sous l’influence desquelles se serait volontairement placés les nouveaux Rois (affirmation surtout valable pour Louis XVIII). Elle est un des thèmes majeurs développé dans l’Histoire de la Vendée Militaire. CrétineauJoly (comme Napoléon Bonaparte d’ailleurs), critique le Comte d’Artois (futur Charles X), qui n’est pas revenu en France pour se placer à la tête des armées catholiques de la Vendée royaliste, dès le début de l’insurrection. Dans le Tome 3, aux pages 376 et 377, Crétineau-Joly écrit : « Le Conseil des Princes ne voulut pas voir que la Vendée n’avait été grande que parce qu’elle avait pris ses Généraux sans distinction de rang, tantôt parmi les villageois, tantôt parmi les Gentilshommes ». Ainsi, le chef de file idéologique du Légitimisme estime que c’est l’application du Principe d’Egalité dans son sens strictement révolutionnaire qui aurait pu sauver la Vendée ! Dans le Tome 4, Crétineau-Joly s’en prend violemment à Louis XVIII « dont une fausse science de l’art de régner avait presque altéré les instincts généreux des Bourbons » (p 166). On le voit, le « Légitimisme » de Crétineau-Joly s’accompagnait aussi d’une vision lucide de ce qu’était la Royauté de l’après-Révolution Française. L’auteur Légitimiste rappelle à ses lecteurs que « lorsque Napoléon offrait 12 000 francs annuels à la veuve du chef royaliste vendéen Bonchamps, Louis XVIII n’accordait que 400 francs par an à la veuve de De Guerry de Beauregard, tué pour le Roi à Aizenay, mère de six orphelins, sœur des La Rochejaquelein, belle sœur des deux Beauregard fusillés à Quiberon en 1795…( tome 4 p 310). Révolté contre cette injustice, Crétineau-Joly s’exclame : « La Restauration prodiguait l’or et les honneurs à ceux qui avaient porté le bonnet rouge de Robespierre et la livrée de Bonaparte, mais elle refusait du pain aux paysans qui s’étaient faits les soldats du drapeau blanc et qui avaient vu brûler leurs chaumières et leurs moissons . Le Roi, qui était ainsi que la France à la merci des apostats et des traîtres de tous les régimes, savait toutes les iniquités contre la Vendée et cela entrait dans ses théories gouvernementales» ( T 4 pp 314/ 315/ 324). L’ « Histoire de la Vendée Militaire » de Crétineau-Joly, reste encore de nos jours un monument de la littérature ContreRévolutionnaire et un drapeau autour duquel se rallient les historiens ultra-conservateurs. Toutefois, même si cette œuvre 18 19 demeure essentiellement un violent réquisitoire contre la Révolution et les pratiques militaires de la Convention dans l’Ouest de la France en 1793 et 1794 que d’aucun qualifieront non sans une certaine justesse de réactionnaire ou de propagandiste, il n’en demeure pas moins qu’elle relève indéniablement du domaine de la recherche historique. Elle réserve par ailleurs des surprises de taille, la critique de la Restauration par l’auteur se révélant souvent féroce. 2) « L’Eglise Romaine en face de la Révolution » -« L’Eglise romaine en face la Révolution » : Avec cette œuvre, nous entrons dans ce qui pourrait être défini comme le « manichéisme historique » de Jacques Crétineau-Joly. Toute l’œuvre repose en effet sur l’idée selon laquelle, de tous temps, les Principes Révolutionnaires et Conservateurs se sont livrés une lutte à mort. La Révolution Française représenterait un moment paroxystique de cette lutte. Crétineau-Joly identifie le Principe Conservateur avec Dieu et l’Ordre, alors que le Principe Révolutionnaire est assimilé à Satan et au chaos. Il serait animé par les Sociétés secrètes en lutte contre Rome ; cette œuvre est un modèle de « théorie du complot ». a) Structure et finalité de l’œuvre. Globalement, si l‘on prend comme source les cinq tomes de l’ « Eglise Romaine en face de la Révolution » dernièrement réédités par les éditions « Pays et Terroirs » à Cholet, il est possible de distinguer les mouvements suivants dans la réflexion de Crétineau-Joly. Dans le Tome 1, qui couvre la période 1775-1799, l’auteur dénonce dans des termes d’une violence inouïe la Révolution Française, décrite comme la « fille du Philosophisme, des Lumières, des Jansénistes et des Gallicans ». Une conspiration s’est formée entre les anciens jansénistes et « le parti des Philosophes ». Des grands hommes du temps sont durement critiqués, qu’il s’agisse de grands personnages comme Joseph II d’Autriche, fils de l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche décédée le 29/11/1781 ou de Kaunitz, grand seigneur du XVIIIe Siècle, pour avoir au pire pactisé avec la Révolution, au mieux fait preuve d’indifférence 19 20 devant elle. A propos de la Philosophie des Lumières, Crétineau-Joly parle de « la guerre d’extermination que nos pères déclarèrent au passé ». -Le Tome second (de Pie VII à Louis XVIII –1800-1823), est essentiellement consacré à l’Empire et au Concordat de 1801. Après une courte biographie du Cardinal Hercule Consalvi (le négociateur du Vatican), Crétineau se livre à un éloge de Napoléon Bonaparte ,dont il définit ainsi le règne (p 22) « En détruisant de ses propres mains les idoles de sang et de boue qu’on la força d’élever aux abjections civiques et aux sacrilèges constitutionnels, la France se montre heureuse… » . Ce tome second insiste tout particulièrement sur l’enlèvement du Pape Pie VII par les agents de Napoléon, et son transfert à Savone. Les deux formules choc de ce Tome 2 pourraient être les suivantes : « le Philosophisme crée des impies, l’impiété engendre des rebelles » (p 131) et « la démagogie vaincue mais non convertie s’agenouille, mais ne se repent point » (p 137). -Le Tome 3 traite de la Restauration (1815-1829) et du Pape Léon XII. Après une violente critique de la liberté de la Presse, Crétineau-Joly renouvelle son idée première selon laquelle ce sont les Princes (et non le Peuple) qui sont « les premiers vecteurs de transmission de la Révolution ». Il attaque ensuite la « vile bourgeoisie » et les loges maçonniques « haras et dépôts de la Haute Vente » (p 127), entendons par là de la Grande Loge Suprême de Nubius, composée selon Crétineau-Joly de « Patriciens ruinés avant leur naissance et qui ne demanderaient pas mieux que d’avoir la faculté de ruiner d’avance leurs descendants » (p 123). Les journées insurrectionnelles de Juillet 1830 qui provoquent l’arrivée au Pouvoir de la Dynastie d’Orléans, sont décrites comme « des journées de cannibales ». Quant à Louis-Philippe d’Orléans, l’auteur Légitimiste (p 177) condescend à le définir comme « le meilleur des Hommes méchants » . -Le Tome IV est consacré au Pape Grégoire XVI et à l’insurrection de Juillet 1830. Crétineau-Joly cloue au piloris les Libéraux Français et Anglais : « Ils sont négrophiles, bibliques et libre-échangistes. Ils prêchent l’émancipation des Peuples en opprimant l’Irlande…Ils font de la propagande sociale en empoisonnant la Chine d’opium frelaté » (p 19). Le Chancelier autrichien de Metternich est décrit comme un hypocrite-vaniteux : « Il ne lui répugnait pas, par un reste de 20 21 tradition Josephiste, de chercher au Saint-Siège une mauvaise querelle, qu’à peine ébauchée il se mettait à la torture d’apaiser pieusement » (p 35). Quant à Louis-Philippe, « dernier Voltairien de son Siècle, il a incliné devant la tiare, sa couronne ramassée sous un tas de pavés » ( p 60). A propos de la situation politique en France, Crétineau-Joly estime que : « lorsque Dieu veut punir un peuple, ce peuple change souvent de maître ». L’écrivain Légitimiste se livre surtout à une subtile distinction entre le concept d’Autorité ( qui ne vient que de Dieu et est donc inaliénable) et celui de Pouvoir, qui n’est que l’exercice sur Terre de cette même Autorité. Autrement dit, s’il ne peut exister qu’une seule Autorité, il peut exister plusieurs sortes de Pouvoir. Toutefois, lorsque le Pouvoir n’a pas reçu directement une sanction providentielle, il est dépourvu de tout prestige et ne peut se prévaloir d’aucune légitimité. Pour Crétineau-Joly, « le Philosophisme amène à l’athéisme, puis à l’affairisme ». Le Saint-Simonisme, le fouriérisme sont qualifiés de « délires conçus par des esprits malades ». Le Libéralisme est comparé aux sauterelles de l’Apocalypse de Jean et le Socialisme à une chenille visqueuse. Le Communisme est qualifié de système arbitraire et brutal, à l’opposé de l’Evangile où « on offre librement sa fortune, sans jamais songer à s’emparer de celle des autres ». (p 125). A ce propos, Crétineau nous présente une « filiation du communisme », qui selon lui est celle ci : « Catilina à Rome ; les deux Gracchus romains de la Réforme agraire ; Pierre Valdo au Moyen Âge (fondateur des Vaudois et des « pauvres de Lyon ») ; Martin Luther ; Thomas Münzer ; Jean de Leyde (un moment Chef des Anabaptistes de Münster au XVIe Siècle) ; Weishaupt et les Illuminés de Bavière (là, on rentre dans la critique des « Sociétés secrètes ») ; Robespierre ; Gracchus Babeuf (1795) . Jacques CrétineauJoly se livre aussi à une charge contre les Rois constitutionnels de la Restauration, ce qui est assez surprenant de la part d’un Légitimiste qui luttait contre l’ « usurpation d’Orléans ». On lit ainsi sous la plume de Crétineau-Joly les phrases suivantes : « La Charte de Louis XVIII octroyait au tout- venant la liberté de ne rien croire et celle de tout dire. La Révolution enrayée par Bonaparte, reprenait son essor sous la Restauration ». (p 97). L’auteur conclut son Tome IV en estimant que : « la mine était chargée de tant de poudre démagogique, que la moindre étincelle devait la faire éclater. Le 6 Mai 1846, un premier éclair, parti de Turin, annonce l’orage. Ce jour là, Charles 21 22 Albert, qui s’est proclamé in petto Roi d’Italie, s’éloigne de ses conseillers pour courir les aventures révolutionnaires ». (p 216). Le Tome IV s’achève sur la mort de Grégoire XVI le 1er Juin 1846. La formule choc de ce Tome 4 se trouve à la page 119 : « les Révolutionnaires se lèvent rebelles et s’endorment despotes ». -Dans le Tome V, consacrée au Pape Pie IX, et à la « Révolution européenne », Crétineau-Joly s’en prend une nouvelle fois au « cosmopolitisme de la Révolution », « aux écrivains mercenaires attachés à la glèbe périodique ; aux publicistes ambulants dont la mémoire nomade recueille un principe à Berlin, un sentiment à Vienne, un axiome philosophique à Paris, une pensée à Francfort et une bannière partout » (p 23) . Pour lui, « une Constitution trop libérale, c’est le Protestantisme transporté dans la politique ». Pour conclusion du Tome V et de l’intégralité de l’ « Eglise romaine en face de la Révolution », nous dirons que Crétineau-Joly a posé les postulats de départs de sa théorie dans le Tome I et que tout s’achève dans le Tome V. La grande lutte qui oppose « cette Sion bénie du Ciel » (l’Eglise Catholique) à qui Dieu promit une vieillesse sans déclin et un Empire sans limites, aux « blasphémateurs de toute majesté divine et humaine, réunis dans l’unanimité d’un vœu sacrilège » (les Révolutionnaires de toute l’Europe), a tourné sous Pie IX au bénéfice provisoire de l’Eglise –grâce notamment à l’action décisive de Napoléon III, pourtant ancien membre des Carbonari-. Chez Crétineau-Joly, l’échec de la Révolution qui n’est pas parvenue à détruire l’Eglise, est à rapprocher de la victoire remportée par les défenseurs de l’Agneau sur la Bête d’Apocalypse 13 et le règne sans fin des 144 000 élus. L’ « Eglise Romaine en face de la Révolution », est donc une allégorie de l’Apocalypse de Saint Jean transposée dans le domaine politique. Mais le combat qui oppose l’Eglise Catholique à la Révolution et à l’Hérésie depuis 18 Siècles, n’est pas pour autant achevé, car, nous dit Crétineau-Joly, « La puissance de nuire sera à nouveau donnée aux Révolutionnaires pour un espace de quelques années ». La victoire finale demeurera cependant à l’Eglise. b) Extrait choisi : 22 23 -« L’Eglise Romaine en face de la Révolution » :Tome III, pp 15/16/17 « Depuis un Siècle, la Révolution a le secret des vanités patriotiques et des moqueries antichrétiennes. Elle sait, pour nous servir d’un des sarcasmes les plus amers du duc de Saint-Simon, que ‘’le long règne de la vile bourgeoisie’’ va commencer ; elle l’inaugure en ouvrant dans chaque ville une loge de Francs-Maçons. A cette Loge est annexée une succursale où se multiplient les mauvais livres et les mauvais journaux qui doivent servir de précurseurs aux révoltes. Louis XVIII a rendu la France libre ; la France tourne contre les Bourbons la liberté qu’ils lui donnèrent. On fit de la conspiration militaire et civile un art ou un métier. Les habiles compromirent les niais ; le sang toucha le sang. Lorsque le Libéralisme, qui avait enfin des martyrs s’aperçut que les dupes commençaient à devenir rares, il voulut jouer à coup sûr une autre partie. Ses complots, secrètement organisés par des Tribuns ambitieux, et mis à exécution par de jeunes fous qui manquaient d’expérience ou par de vieux insensés qui perdaient la mémoire, ses complots n’aboutissaient à aucun résultat. Il sentit qu’une nouvelle direction était nécessaire ; il l’imposa. C’est à dater de cette ère néfaste que le Libéralisme entre véritablement en lutte contre l’Eglise, car jusqu’à présent il n’aiguisa ses plumes et ses poignards que sur le Trône. Il a confondu ses deux ennemis dans la même haine ; il va les attaquer avec les mêmes armes. Le Libéralisme, ayant pour principe de ne faire que ce qu’il ne promet pas, dispose de tous les moyens d’influence et d’action. Il a le retentissement de la Tribune, les souvenirs de l’Empire et l’incessante propagande de la presse. La poésie, l’Histoire, et les Beaux Arts popularisent ses Hommes et ses idées. Il ramasse dans les villes tous ceux qui, ne pouvant rien être par eux mêmes, espèrent devenir quelque chose par l’association. Il agglomère dans une Loge improvisée ses superfétations d’orgueil civique, puis à cette Loge d’officiers en demi- solde, de petits propriétaires et de commerçants aisés, le Grand Orient adresse un Vénérable qui a le mot d’ordre des sociétés secrètes. Chaque fête solsticiale doit être une étape vers la pure Lumière qui se lève pour confondre le fanatisme ; chaque banquet fraternel sera un nouvel échelon vers le progrès indéfini. Dans ce monde exceptionnel, peuplé 23 24 de visions humanitaires, de vanités philosophiques et d’éloquences avinées ( !!) , on professera le catéchisme de l’incrédulité. On apprendra aux braves bourgeois qui payent la leçon , à rire du Pape et des évêques ; mais en même temps il faudra que les bourgeois, déguisés en Frères servants ou en orateurs novices, saluent de leurs plus profonds respects l’autel où le Grand Orient, avec sa couronne de carton doré et son manteau de papier peint, trône en roi des coulisses… ». B) L’ « Histoire de Louis-Philippe d’Orléans et de l’Orléanisme », un écrit Légitimiste de combat , publié avec le soutien de Napoléon III . Cette « Histoire de Louis-Philippe d’Orléans et de l’Orléanisme » n’a pas la valeur historique de l’ « Histoire de la Vendée Militaire » ou de l’ « Histoire de la Compagnie de Jésus », deux œuvres historiques du plus haut intérêt. Il ne faut pas espérer comprendre la monarchie de Juillet et appréhender justement la personnalité de Louis-Philippe d’Orléans avec ce livre. On doit le considérer pour ce qu’il est : L’archétype de l’ouvrage à but exclusivement pamphlétaire, qui fait passer les impératifs de la recherche historique après la polémique. Durant les 1057 pages de cette « Histoire de Louis-Philippe », Jacques Crétineau-Joly se répand en imprécations non seulement contre le Roi des Français, mais encore contre la famille d’Orléans dans sa totalité. Il traîne littéralement dans la boue tout ce qui porte le nom d’Orléans depuis 1356 ! C’est dire l’intensité de la haine obsessionnelle que Crétineau-Joly nourrissait à l’égard des Orléans. A propos de ce livre, Guy Antonetti, dans sa biographie de Louis-Philippe, parlera de « Légitimisme qui a sombré dans le délire ». C’est pour la circonstance assez vrai, si ce n’est que la lecture de ce livre parfois nauséabond et obsessionnel s’impose quand même pour bien maîtriser les arcanes du débat d’idées au XIXe Siècle. 1) Structure de l’œuvre et objectifs poursuivis dans les deux Tomes de ce livre : 24 25 Les deux tomes de cette « Histoire de Louis-Philippe et de l’Orléanisme », sont un violent réquisitoire contre LouisPhilippe et la défunte monarchie de Juillet. Subventionnée par les services de Propagande du Gouvernement de Napoléon III, cette « Histoire » n’a pas été rédigée avec le souci de l’exactitude historique, mais uniquement pour satisfaire des haines personnelles et des objectifs politiques communs aux Légitimistes et aux autorités du Second Empire. a) Objectifs poursuivis par l’auteur. Dès sa première ligne, ce livre souffre de ses origines. L’Abbé Maynard , biographe et thuriféraire de Jacques Crétineau-Joly, avoue la genèse de ce livre dans la biographie qu’il a consacrée à Crétineau-Joly (« Jacques Crétineau-Joly, sa vie politique religieuse et littéraire d’après ses Mémoires, sa correspondance et autres documents inédits » , Paris, Firmin Didot et Cie, 1875, 538 p). Les deux tomes de « l’Histoire de Louis-Philippe d’Orléans et de l’Orléanisme » parus pour la première fois en 1862, sont une commande des Bonaparte, passée à Crétineau-Joly par l’intermédiaire de M de la Guéronnière, Directeur Général de la Librairie de Napoléon III. Il s’agissait pour les Autorités du Second Empire, de répondre à la « Lettre sur l’Histoire de France » publiée en Mars 1861 par le Duc d’Aumale (fils de Louis-Philippe), qui ripostait à un discours prononcé quelques jours auparavant au Sénat par le Prince Jérôme Napoléon. Ce dernier avait critiqué en des termes inélégants la famille d’Orléans et développé des considérations très personnelles sur l’Histoire de France. Crétineau-Joly accepta l’offre généreuse du Gouvernement, mais à trois conditions : 1°) Le Gouvernement Français aiderait le Saint-Siège à rentrer dans certaines de ses anciennes possessions territoriales ; 2°) Tous les documents dont il aurait besoin pour ses recherches lui seraient fournis par le Gouvernement ; 3°) On lui laisserait l’indépendance de ses opinions et la libre franchise de ses jugements. De plus, il resterait seul à décider ce qu’il fallait publier ou taire. Le Gouvernement de Napoléon III attachait une telle importance à la production de cette « Histoire » anti-Orléaniste, qu’il accepta toutes les conditions posées par l’écrivain Légitimiste et mit à disposition de Crétineau-Joly, un certain M de Saint25 26 Félix, Chef de Cabinet, chargé d’assurer l’interface entre l’écrivain et les services d’archives des différents Ministères. b) Structure de l’œuvre. -Le Tome 1 s’attaque beaucoup plus à l’ « Orléanisme » qu’à Louis-Philippe considéré en tant que personne. Les injures, qui fuseront dans le second Tome ne sont déjà pourtant pas absentes du Tome 1…Crétineau-Joly englobe dans un même anathème tous les personnages de l‘Histoire de France qui ont porté le nom d’ « Orléans »…depuis 1356 ! Il attache à ce nom –maudit selon lui- toutes les trahisons, tous les complots, toutes les infamies. Le Régent Philippe d’Orléans est un « agioteur », un « décadent » . Sa Régence (1715-1723) « calamiteuse » est ainsi résumée : « Ces sept années sans gloire au dehors, sans bonheur au dedans, ne sont pleines que de souillure. C’est le vice encore spirituel, c’est la folie poudrée et parée qui préside aux dépravations. Elles descendront bientôt dans le Peuple…Plus étourdi que cruel, et flottant au gré des vents comme le navire qui jette sa dernière ancre…le Régent n’osa pas comprendre que semer dans la corruption c’est condamner par soi-même ou par ses héritiers, à récolter dans l’ignominie…C’est à peine si la clémence de quelques cœurs miséricordieux préserve sa mémoire du mépris universel. » (p 71) . La phraséologie hostile aux membres de la Famille d’Orléans confine à l’hystérie lorsque Crétineau-Joly raconte (durant 121 pages –82/203-) l’ Histoire de Louis-Philippe Joseph d’Orléans (père du Roi Louis-Philippe), plus connu sous le nom de « Philippe-Egalité », le Régicide. Avant de qualifier les archives qui permettent de retracer l’histoire de LouisPhilippe Joseph et de ses amis politiques d’« immondices patriotiques » et de « cloaque de l’Orléanisme » ( p 137), Crétineau-Joly avait écrit à propos du père du futur Roi des Français : « Cette vie, commencée dans un Palais , se terminera sur un échafaud mérité, en énumérant les attentats dont il se rendit coupable et ceux que ses lâchetés autorisèrent…Il annonçait Héliogabale enté sur Simon Caboche. L’impudence des choses mauvaises s’appelait chez lui une philosophique grandeur d’âme et il ne lui resta bientôt plus un dernier vestige d’honneur. L’époux se perdit dans des 26 27 orgies, le père s’oublia dans une dépravation dont la Régence elle même n’avait jamais donné l’exemple. Dans son PalaisRoyal, où chaque convive, ivre en y pénétrant , devait boire comme les sables du désert et blasphémer ainsi qu’un damné, Louis-Philippe (Joseph) s’aguerrissait à la honte…Les voluptés ordinaires lui étaient importunes ; il descendit jusqu’à la barbarie. Ses cheveux tombaient, son front se couvrait de pustules accusatrices et de tâches blanchâtres, comme si le libertinage l’empêchait de rougir. Moins le génie, le courage et le bonheur, ce fut Sylla, que les Athéniens comparaient à une mûre recouverte de farine ; au lieu de l’appeler ‘’Philippe d’Orléans –Bourbon’’, le Peuple l’appela ‘’Philippe d’Orléans Bourgeon’’. Son visage altéré par de longues insomnies, se flétrissait sous le coup d’une dissolution sauvage. LouisPhilippe (Joseph) a épuisé toutes les jouissances et tous les scandales… etc…» (p 87). Ce portrait dure ainsi pendant plus de 120 pages, sans jamais faiblir d’intensité ! C’est à la page 267, c’est à dire à la moitié du tome 1 que Crétineau-Joly commence ses attaques en règles contre LouisPhilippe Roi des Français (qu’il nomme avec mépris « EgalitéFils »). Toutefois, Crétineau ne parvient pas à trouver de « vices » au fils du Régicide. D’entrée il en parle donc en ces termes : « Louis- Philippe n’était pas né pour les plaisirs, pour la gloire ou pour les grandes affaires, mais pour le négoce » . -Le Tome 2 est consacré au Règne de l’ « usurpateur ». Les débuts de la monarchie Orléaniste sont longuement évoqués. Le personnel politique de la monarchie de Juillet est violemment critiqué, le Prince Charles-Maurice de Talleyrand concentrant les attaques de Crétineau-Joly les plus virulentes : « ancien satellite de Philippe Egalité » , « l’homme des anglais », « rompu et corrompu dans les affaires », « Scapin mitré de la Diplomatie, faisant le mal avec délices et le bien avec un spirituel étonnement » ( T 2 pp 14/ 15). En direction de Louis-Philippe, les insultes ne tardent pas à fuser dès la page 17 : « Ce Roi de Juillet qu’un guet-apens fit sortir de son tas de pavés » (p 17). Ces injures perdureront tout au long du livre . Aux pages 300 et 302, on relèvera à nouveau ces phrases au vitriol : « Louis-Philippe, qui n’eut jamais le courage du bien et la haine du mal, Roi par une Révolution de rue, aspire à propager son exemple au sein de toutes les familles souveraines d’Europe ». Autre délicatesse à l’adresse 27 28 du Roi des Français : « Perfide sans art et hypocrite sans talent » ( p 391). La Cour Constitutionnelle des Tuileries est vertement décrite par l’auteur Légitimiste : « Louis-Philippe aime à parler de tout et sur tout. On fait de ses harangues, ennuyeuses comme un vieil amendement, des parodies qui sont encore populaires. Jemmapes (6 Octobre 1792) et Valmy (20 Septembre 1792), les deux premières victoires de la Révolution, tombent sous le ridicule ; ses hommes et ses choses éprouvent la même destinée. Depuis le plus infime des employés jusqu’à madame Adélaïde (la sœur du Roi), Automne qui voudrait encore jouer au Printemps, il n’y a pas un être au Palais-Royal ou aux Tuileries qui ne soit blessé par la griffe du lion. C’est la Cour du Roi Pétaud ; la moquerie universelle s’attache à ses invités, à ses comparses, à ses bourgeois gonflés d’une ineffable vanité, et à ses Dames, minaudant la haute ou petite vertu. Le vrai tout simple n’aurait pas eu assez de mordant ; on y mêle un grain de diffamation. La diffamation confond dans un anathème commun la galanterie et l’innocence, la droiture de cœur et l’improbité, l’intelligence et la sottise. » (pp 211/212). Suivent ensuite des moqueries sur les fils du Roi qui sont inscrits dans les mêmes collèges que ceux fréquentés par les bourgeois, puis des insinuations mettant en cause leur bonne moralité. Ils sont ainsi comparés aux jeunes libertins de la Cour d’ Alcinoüs… Dans la droite ligne des critiques républicaines jadis propagées par le Vicomte de Cormenin, Crétineau-Joly accuse LouisPhilippe d’avoir thésaurisé l’argent de sa Liste Civile à des fins personnelles et familiales. Ce Tome 2 contient également des attaques contre les avocats, profession qu’exerçait pourtant l’auteur, mais dont il ne semblait pas apprécier ses confrères : « Niveleurs impitoyables, les avocats ont plus qu’aucun Egalitaire, servi à renverser à coups de motions, la vieille société française. La religion et la Monarchie sombrèrent devant la rhétorique grisâtre du barreau, qui, après avoir déposé au greffe la Couronne de Saint Louis, essaya de s’en fabriquer une toque. Comme le Parlement pendant la Fronde, le Barreau fut infecté de la passion du bien public, et il éleva cet égoïsme aux proportions d’un dévouement rémunéré par sa clientèle et par la Patrie. Table rase faite de tous les droits et de tous les 28 29 Pouvoirs, les avocats-avocassant, sont seuls restés debout sur les débris accumulés par eux » ( p 220). Mais au milieu d’un torrent d’imprécations lancées aux visages de toutes les cibles traditionnelles du Légitimisme, (avocats, Libéraux, Orléanistes, bourgeois, Saint-Simoniens, républicains, Francs-Maçons, agnostiques, etc…), Crétineau n’oublie tout de même pas de flatter son mécène : « LouisNapoléon n’a pas de parti –écrit-il-, encore moins de partisans. On ne lui a même pas appris que la Révolution, qui choisit ses adeptes dans les pourritures du Patriciat, ne saura point anoblir le crime et ne voudra jamais se faire servir par un Grand Homme…Un jour, le 2 Décembre 1851, un nouveau 18 Brumaire vint dégager l’étoile de Louis-Napoléon des nuages qui l’obscurcissaient… » ( p 286). La fin du premier Tome est consacrée à la chute de LouisPhilippe, le 24 Février 1848. La fuite des Tuileries est racontée avec force détails (vrais ou rapportés), non sans des accents romantiques et apocalyptiques. La description de la dernière visite de Louis- Philippe à la chapelle des Orléans de Dreux pendant la nuit du 24 Février, est relatée à la manière des Mémoires d’Outre Tombe de Chateaubriand. Crétineau, (qui n’y était bien sur pas !) décrit Louis-Philippe « seul avec sa conscience » en train de prier et de pleurer sur les tombeaux de ses ancêtres en méditant sur la destinée humaine… Dans les dernières lignes, Philippe- Egalité et Louis-Philippe sont qualifiés d’ « êtres », c’est à dire qu’ils ont quitté la communauté des humains. Crétineau-Joly voit dans cette déchéance la main de Dieu qui punit les apostats et les impies. L’ « Histoire de Louis-Philippe et de l’Orléanisme » est un écrit particulièrement représentatif de la littérature à scandale du XIXe Siècle. Cette « œuvre » Légitimiste, conçue- il est vrai- à partir du dépouillement d’archives et de la compilation de témoignages, ne peut cependant pas raisonnablement être qualifiée d’ « Historique », car le jugement de l’Historien a été contrôlé par une volonté extérieure et trop altéré par la volonté de nuire et l’esprit de parti. Nous avons sélectionné un extrait de l’ « Histoire de LouisPhilippe d’Orléans et de l’Orléanisme » représentatif de l’ensemble de l’œuvre. 29 30 2) Extrait choisi : « Histoire de Louis-Philippe d’Orléans et de l’Orléanisme », T 1, page 2/3/4/5, Paris, Henri Aniéré 1867. « A partir du quatorzième siècle les rois de France prirent l’habitude de donner à leurs fils puînés le titre de Duc d’Orléans, et par une fatalité que les Historiens n’ont pas assez fait ressortir, ce titre a toujours été aussi funeste à la maison régnante qu’au pays lui même. Tous les Princes qui portèrent le titre de Duc d’Orléans furent marqués d’un sceau particulier. Qu’ils appartiennent aux Valois, au ValoisAngoulême, ou aux Bourbons, la différence d’origine ne modifie point leur caractère et leur mauvais génie. Nés sur les marches du Trône et le convoitant toutes les fois qu’ils peuvent souffler sur le royaume l’esprit de désordre et d’anarchie, ils n’apparaissent dans les troubles civils que comme d’infatigables séditieux. Dans les guerres au dehors, ce sont de timides satellites de l’étranger. Ils penchent d’instinct vers la Révolution. C’est par l’Orléanisme qu’elle commence, c’est par l’Orléanisme qu’elle se perpétue. Et ce n’est point à un individu ou à un rameau isolé des diverses branches royales, célèbres sous la dénomination de Ducs d’Orléans, que cette fatalité semblera s’attacher. Elle est l’apanage de tous ; elle leur crée à tous un privilège de mécontentement intérieur ou de révolte patente. Quand ils ne peuvent conspirer à visage découvert, ils essaient de trahir à portes closes. Si, dans cette longue lignée de Princes, il s’en trouve quelques uns par hasard doués de certaines vertus négatives, ne vous étonnez pas de les voir par là même dénués de toute espèce de talents. C’est à ce prix qu’ils eurent la rare prérogative d’annihiler le vice inhérent à leur nom…De ce nom d’Orléans, se dégage avec de lugubres images, d’implacables ambitions et d’incessants complots. C’est le résumé de nos guerres civiles et l’appendice de la Révolution… Plein de faiblesse pour son frère et d’amour pour la Reine, Charles VI plongea dans une noire mélancolie…Sa raison s’égarait par moments ; Louis d’Orléans (son frère) comprit qu’une secousse pouvait le faire disparaître à tous jamais. Dans une fête donnée à l’hôtel Saint-Pol, quelques 30 31 personnages déguisés en satyres et enduits d’étoupes et de poix font leur joyeuse entrée. Au nombre de ces masques se trouve le souverain. Une imprudence, un calcul plutôt, communique le feu aux matières inflammables dont ils étaient couverts. L’incendie se propage et c’est le Duc d’Orléans qui l’alluma et c’est le Roi qui, sa vie durant, en restera le plus triste martyr. L’aliénation mentale se déclare. Le Duc d’Orléans, qui, selon une expression de Mézeray, ‘’profitoit de tout’’, s’empare de la Justice, de l’Autorité et de la Puissance. Il se fait de la spoliation une arme meurtrière et une fortune colossale. A la vue de ce Prince qui accumule crimes sur crimes, et qui, le même jour, passe d’une orgie à une trahison, d’une lâcheté à une félonie, les peuples n’osent plus renfermer leur indignation au fond de leurs âmes. Cette indignation éclate en cris d’horreur, de faim et de honte. D’Orléans sourit à ces misères dont il est l’auteur. La France gémit sous la tyrannie de l’Anglais ; elle est en proie à toutes les rivalités, à tous les opprobres, à toutes les dévastation. Armagnacs et Bourguignons, Ecorcheurs et Cabochiens divisent le royaume en partis et en factions. A chaque heure, le sang coule, à chaque minute la loi est outragée. Louis d’Orléans, sans cesse ivre de voluptés et d’ambitieux projets, n’a pas le temps d’écouter les murmures du Peuple. Déjà fanfaron de vices, comme d’autres qui plus tard jouiront de son héritage (là, c’est une attaque contre Philippe Egalité et son fils le Roi des Français), il se crée de la perversion une sorte d’honneur et de la haine des autres, un plaisir. Il a soulevé contre lui les passions les plus opposées. La multitude le couvre de huées ; les Princes le tiennent en mépris. Sa femme seule, Valentine de Milan, semble vouloir à force de miséricordieux amour, faire naître un saint remords dans les corruptions de ce cœur. Comme auprès de tous les d’Orléans trop gangrenés ( !), il y a déjà une femme légitime cherchant par ses vertus à expier tant de scandales. A cette épouse, à cette mère désolée, d’Orléans prodigue le sarcasme et l’outrage. Il avait un rival en Jean Sans Peur, Duc de Bourgogne ; il s’en fait un implacable adversaire. Parmi les portraits des femmes qu’il a séduites, Louis d’Orléans affiche celui de la Duchesse de Bourgogne. C’est à Jean Sans Peur qu’il montre ce témoignage d’une insolente et menteuse folie. Le vase était plein, il déborda. Le 23 Novembre 1407, d’Orléans périt sous 31 32 les coups de dix-huit assassins dont la vengeance du Duc de Bourgogne avait armé le bras. Dans cette époque de vertiges et d’attentats, les drames se succèdent avec une rapidité inconcevable. On s’égorge ou l’on se pille. On se trahit ou l’on blasphème ; et si l’écusson des d’Orléans se trouve enfin avec Jeanne d’Arc à la peine et à l’honneur pour délivrer la France de la domination anglaise, c’est à un bâtard qu’il devra cette faveur de la fortune, bien rare chez les Princes de ce nom. Jean, illustre dans les annales de la monarchie et de la Chevalerie sous le nom de Comte de Dunois, était l’enfant adultérin de Louis d’Orléans. Frère d’armes des La Trémoille, des Xamtrailles, des Graville et des Lahire, Dunois combattit pour la France, tandis que le Duc Charles d’Orléans, fils légitime de Louis, proposait aux Anglais de leur céder les plus belles provinces du royaume afin de racheter sa liberté… ». II) « L’Histoire de la Chute de Louis Philippe », par François de Groiseilliez, un écrit violemment antiparlementaire publié en 1852 . A) La nature et les vices du Gouvernement Constitutionnel bourgeois. Avant de publier son « Histoire de la Chute de LouisPhilippe », François de Groiseilliez (1807-1887) s’était déjà illustré dans la catégorie des auteurs anti-parlementaires en publiant à Paris chez Dauvin et Fontaine en 1846, « L’Art de devenir député et même Ministre ». Le titre de ce livre était en lui même un étendard. Nous constaterons par ailleurs avec intérêt, que l’ « Histoire de Louis-Philippe d’Orléans et de l’Orléanisme » , comme « l’Histoire de la chute de LouisPhilippe », deux ouvrages anti-parlementaires et violemment hostiles à l’Orléanisme, ont été publiés et largement diffusés sous le Second Empire. La période « Napoléon III » connut une censure impitoyable et ne permit l’impression et la vente d’ouvrages politiques et historiques qu’à partir du moment où ces écrits ne constituaient pas une menace contre le nouveau régime. On objectera à cette remarque (que d’aucun 32 33 qualifieront de perfide à l’égard du Second Empire), que c’est aussi en 1852 que le comte de Montalivet a publié son apologie de Louis-Philippe « Louis-Philippe et sa Liste Civile » (se reporter à la Fiche N° 2). Toutefois, cette complaisance des services de la censure de Napoléon III pour les écrits Légitimistes et anti-Orléanistes, méritait d’être signalée. 1) Organisation et temps forts de l’ « Histoire de la chute de Louis-Philippe ». L’ouvrage de François de Groiseilliez, (314 pages + 70 pages de « notes historiques et critiques ») se compose de 23 chapitres. Il s’agit d’une histoire chronologique de la Monarchie de Juillet, précédée de longs propos introductifs sur la nature et les vices du « Gouvernement Constitutionnel bourgeois ». L’Histoire de la « chute de Louis-Philippe », objet du livre, c’est à dire des événements qui se déroulèrent du 1er Janvier au 24 Février 1848, couvre environ 200 pages et 13 chapitres. Toute la première partie du livre, (120 pages et 10 chapitres), est consacrée à la critique du fonctionnement et de l’état d’esprit des Assemblées délibérantes, considérées comme la véritable source des maux dont souffre la France depuis la Révolution de 1789. Moins virulent que l’ « Histoire de Louis-Philippe d’Orléans et de l’Orléanisme » de Crétineau-Joly, le livre de François de Groiseilliez constitue tout de même un beau spécimen d’ouvrage à vocation pamphlétaire. Cela dit, une lecture attentive de cet ouvrage, permet rapidement de constater que l’auteur tente d’atténuer ses penchants naturels vers le Légitimisme dur, par la recherche d’un minimum d’objectivité historique. Il n’y parvient pas toujours, tant le fonds de sa pensée est animé par des sentiments anti-parlementaires, mais l’ambiance générale qui se dégage de ce livre, est moins lourde que celle constatée dans l’œuvre de Crétineau-Joly. a) L’impossible acclimatation en France du régime parlementaire « à l’anglaise ». 33 34 -Dans un premier mouvement de sa réflexion, qui couvre les chapitres 1 à 10 (p 1 à 118), François de Groiseilliez s’emploie surtout à souligner les vices du régime constitutionnel et à prouver que le Libéralisme est une hérésie politique. L’auteur reconnaît que Louis-Philippe a apporté une certaine prospérité à la France et il ne lui refuse pas le surnom de « Napoléon de la Paix » ; il reconnaît même au Roi des Français un rôle éminent dans le domaine des Arts, puisqu’il crédite Louis-Philippe d’avoir investi « 62 millions de francs en achats d’objets d’art, de livres, de tableaux et en entretien, réparations et constructions dans les bâtiments de l’Etat » ( p 50). Toutefois, selon lui, « Louis-Philippe est le Monarque dont la chute a le mieux démontré les errements révolutionnaires », parce que c’est lui qui a donné « le plus de gages à la Révolution » (p 7). Pour François de Groiseilliez, les Français ont voulu le régime parlementaire à l’anglaise, « sans l’avoir ni compris, ni étudié ». Alors que les Anglais « ont l’amour de l’ordre et de la stabilité, l’amour des Arts, du commerce et de l’industrie, les Français adorent avant tout le plaisir et le tapage. Pour eux, une émeute dans la rue, une insurrection aux portes d’un Palais, une Révolution, est un drame joué gratis en plein air, bien plus intéressant que tous ceux joués au théâtre » (pp 15/15). François de Groiseilliez s’en prend ensuite « aux Assemblées délibérantes, nées de la discussion et pour la discussion ». L’auteur donne une définition très haute en couleurs des Assemblées délibérantes : « Elles ont rarement fait le bien ; elles ont souvent fait le mal. L’immensité de leur puissance les rend aveugles sur la portée de leurs actes. Elles ont les passions des natures vulgaires, les talents des petits esprits, l’esprit des talents médiocres, le génie des âmes sans imagination, les vertus des cœurs secs et arides, les instincts de l’homme corrompu avec la brutalité de l’homme sauvage. Amalgame d’apprentis Solon, de Lycurgue de clubs, de Dracons en sevrage, elles font des lois comme Néron faisait des vers et jouait de la flûte ; elles ont l’humeur acariâtre des anciens conciles, sans en avoir ni la foi, ni la grandeur ; elles crient, se querellent se disputent, s’injurient sans cesse, quoiqu’elles n’aient d’amour et de déférence que pour elles mêmes. Toujours ennemies du Pouvoir qui les protège elles voient partout des tyrans dans ceux qui leur sont supérieurs…Elles n’aspirent qu’à régner sans connaître ni le 34 35 poids d’un sceptre, ni les épines d’une couronne. Périsse plutôt le monde qu’une seule de leurs prérogatives ! » ( pp 16/17). Lorsque François de Groiseilliez explique comment le parlementarisme a toujours été l’ennemi juré du Pouvoir Exécutif depuis les débuts de la Révolution Française, il ne manque pas de rappeler que « la Monarchie a duré 8 siècles et la République… 8 ans » ( p 26). François de Groiseilliez considère que la maxime d’Adolphe Thiers « le Roi règne mais ne gouverne pas », constitue l’aboutissement de la pensée parlementaire qui ne peut s’accommoder que d’un « Roi mannequin et oisif ». L’auteur reconnaît que LouisPhilippe et son ministre Casimir Périer tentèrent de gouverner et de limiter –de toutes leurs forces- les empiétements toujours plus grands du pouvoir Législatif sur les compétences de l’Exécutif, (et c’est dans cette reconnaissance d’une certaine résistance de Louis-Philippe au parlementarisme que Groiseilliez se démarque des extrémistes du Légitimisme), mais le Roi des Français finit par devenir la victime de « l’inconstance du peuple Français, qui traite les Constitutions à peu près comme ses maîtresses : D’abord les Français ferraillent pour elles, puis les quittent sans regrets, les remplacent et les oublient… » ( p 44). A partir du Chapitre V François de Groiseilliez entame une attaque en règle contre « la bourgeoisie et son esprit ». Une des institutions les plus nocives de la monarchie libérale, serait la Garde Nationale, «cette camisole de force des Rois constitutionnels » (p 56). Selon l’auteur, Louis-Philippe a commis l’erreur de trop compter sur l’appui des démagogues bourgeois athées, en ignorant que « c’est dans le Tiers-Etat que se recrutent les plus grands éléments de désordre et de désorganisation ». Même Napoléon, « ce très grand Homme », est tombé sous les coups de boutoirs de la bourgeoisie. François de Groiseilliez énumère les 19 Ministères de la Monarchie de Juillet (du 11 Août 1830 au 29 Octobre 1840), soit la moyenne d’un Ministère tous les 215 jours. Les portraits des principaux dirigeants de la Monarchie Orléaniste, sont brossés assez vivement . Molé : Un grand seigneur libéral ; Guizot : Entièrement dévoué au gouvernement de Louis-Philippe, il n’aurait pas servi la Restauration avec loyauté ; Thiers : « n’a servi que le Gouvernement de LouisPhilippe, parce qu’il était trop jeune pour servir les autres ». Mais, l’auteur accuse ces trois dirigeants d’avoir « contribué à 35 36 démolir l’édifice de la légitimité, entraînés par l’esprit du temps qui pousse aux tempêtes politiques » (p 67). Même François Guizot, particulièrement bien considéré par l’auteur, ne pouvait pas affronter « le génie du mal » (entendez le Libéralisme) qui habitait depuis longtemps la société française ( p 73). Dans le chapitre « Fautes et niaiseries » , l’auteur pointe du doigt les fautes commises par l’Exécutif et le Législatif dans trois affaires mal gérées qui ébranlèrent tellement le Trône de Louis-Philippe, qu’elles conduisirent à la République. Tout d’abord, les gesticulations belliqueuses de M Thiers et de la Gauche Dynastique d’Odilon Barrot lors de la conclusion du traité des Détroits entre l’Angleterre, la Russie, l’Autriche, la Prusse et l’Empire Ottoman contre notre allié le Pacha d’Egypte, dans des conditions humiliantes pour la France (notre plénipotentiaire n’avait pas été prévenu de cet accord et le Roi des Français l’ apprit en lisant le journal !), donnèrent à penser à une grande partie du peuple que le Gouvernement Français, en ne déclarant pas une guerre générale contre la Coalition anti-Egyptienne était complice des Anglais. Ensuite, en refusant « le droit de visite mutuel » franco-anglais des navires en mer pour vérifier s’ils ne contenaient pas des esclaves, contre l’avis de M Guizot, la Chambre des députés confirma l’opinion publique dans son idée que le Gouvernement du Roi était vendu à l’Angleterre et que seul le Pouvoir Législatif était en mesure de défendre l’honneur de la France. Enfin, le climat anti-britannique entretenu par les députés dans l’affaire « Pritchard », (du nom de ce prédicateur britannique qui avait été expulsé de Tahiti par la France et qui réclamait à la France une indemnité pour le préjudice qu’il disait avoir subi) conduisit les Français à se diviser en « pritchardistes », ceux qui soutenaient le Ministère dans son intention (réalisée) de payer l’indemnité au sieur Pritchard pour ne pas compromettre les relations avec l’Angleterre, et qui furent de ce fait présentés publiquement par l’opposition de Gauche et en privé par une bonne partie des députés conservateurs comme des capitulards, et en « antipritchardistes », auréolés par une majorité d’élus du prestige de ceux qui refusent l’hégémonie anglaise. François de Groiseilliez accuse enfin les journalistes d’avoir miné l’édifice moral et institutionnel. Selon lui, « le Journaliste » (être malfaisant par nature), « est un homme d’utopie, de contradictions, l’Erostrate de la philosophie des 36 37 carrefours, le Pontife sans foi d’une religion sans croyance, le prophète aux joues gonflées, à la bouche baveuse ( !!!), à l’oeil louche, toujours menaçant, toujours en colère, toujours au milieu de la rue quand il n’est pas en prison, perché sur une borne qui lui sert de trépied pour rendre ses oracles » (p 117). b) L’impensable capitulation de Louis-Philippe devant les forces révolutionnaires. -Dans un second mouvement de son ouvrage, François de Groiseilliez évoque longuement la « chute de LouisPhilippe ». Il la met sur le compte des errements du régime parlementaire, de la duplicité naturelle de la bourgeoisie et de la faiblesse du Roi. Autrement dit François de Groiseilliez est un adepte du volontarisme et de la manière forte en politique. Sous le titre « la conspiration des fourchettes » ( p 119), l’auteur tente d’accréditer l’idée que la conspiration qui aboutit au renversement de la monarchie de Juillet, n’avait aucune force, ne bénéficiait d’aucun soutien populaire et ne fut ourdie que par quelques bourgeois ventripotents guidés bien malgré eux par des Révolutionnaires professionnels. « Les banquets », qui rassemblaient autour de repas bien arrosés les opposants au Ministère et au Roi, furent inaugurés –nous dit l’auteur-, sous les auspices du journalisme et des mânes de Marat et Robespierre . Ledru-Rollin, véritable républicain, et Odilon Barrot, opportuniste de Gauche qui se cantonnait dans une opposition « dynastique », furent les vrais instigateurs de cette campagne autoritaire. Quant à Duvergier de Hauranne, un autre ténor de l’opposition dynastique sous Louis-Philippe, Groiseilliez le définit comme « celui dont la grande qualité était de savoir haïr ceux qu’il avait aimé » (p 137). La Garde Nationale et les étudiants des Ecoles, « excités par la faction républicaine la plus avancée », se croyait maîtresse de la Rue. Toutefois, les organisateurs des banquets reculèrent devant de simples interdictions administratifs et le grondement des Troupes de Lignes ; ce qui fait dire à François de Groiseilliez que les contestataires ne représentaient qu’euxmêmes et étaient faibles politiquement. « La Révolution de 1848 se prépara dans les cafés », déclare l’auteur avec une mou de mépris. Pourtant, les pouvoirs publics n’exploitèrent pas leur avantage et François Guizot, le puissant ministre de 37 38 Louis-Philippe, finit par démissionner devant ces « virtuoses des barricades et Cassius de tragédie » ( p 153). Le Chapitre XV traite de l’insurrection. On trouve à la page 155, une description caricaturale des émeutiers du 24 Février 1848, dont les mouvements dans les rues sont comparés aux scènes de l’Opéra « Robert le Diable ». ( A propos de l’opéra « Robert le Diable », se rapporter à la fiche FDV –rubrique Histoire-, consacrée à cette œuvre) : « Vers neuf heures du soir, de nombreux rassemblements se formèrent. Des bandes d’Hommes en veste et en blouse, les uns sans chapeau, les autres coiffés d’un débris de casquette, d’un morceau de toile ou de peau de loutre, circulaient sur le boulevard d’un pas cadencé et retentissant ; on ne voyait de leur figure qu’une barbe épaisse de couleur grise, noire ou rougeâtre, qui la couvrait presque entièrement. Leurs mains brunes et velues ( !!) étaient armées de cannes et de bâtons ferrés dont quelques- uns étaient ornés de banderoles tricolores. De temps en temps ils s’arrêtaient pour crier ‘’Vive la Réforme !’’, mot d’ordre donné par les habiles et si admirablement répété par des niais. S’ils chantaient, c’était à de longs intervalles et sur un ton lugubre qui rappelait bien plus la musique des morts que celle des vivants. Il y avait dans leur voix, dans leurs gestes, dans leur démarche à la fois grotesque et sauvage, quelque chose de sinistre qui inspirait la terreur et semblait annoncer une prochaine catastrophe. Ils regardaient les illuminations ( = les lampions accrochés aux fenêtres) avec un sourire sardonique, se moquaient de la foule ébahie devant ces étoiles de parade » ( pp 154/155). François de Groiseilliez décrit les émeutes, de la page 160 à 188, non sans s’être livré au passage à un hommage soutenu au Maréchal Bugeaud et à une sévère critique d’Adolphe Thiers, qui aurait empêché le militaire de réprimer l’émeute. Le Chapitre XVII intitulé « Les Tuileries », décrit la confusion provoquée par les émeutes, au plus haut niveau de l’Etat. « Les Hommes dont le devoir était de soutenir et de stimuler le courage du Roi, firent tout au contraire pour l’ébranler » (p 190). Louis-Philippe, qui fut fidèle jusqu’au bout au régime parlementaire, abdiqua en faveur de son petit fils le Comte de Paris. L’auteur pense que Louis- Philippe s’est suicidé d’un trait de plume. La seule à ne pas plier devant les événements a été la Reine Marie-Amélie, parce que « loin de redouter le 38 39 martyr elle en demandait la Gloire ; sa force et sa grandeur étaient dans sa piété » (p 193). Après la fuite de Louis-Philippe, la Duchesse d’Orléans (chapitre XVIII) se présente devant les députés pour faire « valider » la royauté de son fils. Si cette combinaison n’a pas fonctionné, c’est à cause de la lâcheté d’Odilon Barrot, de Thiers, de Rémusat et de Hauranne, mais aussi de la volte-face politique de Lamartine qui se rangea au dernier moment, aux côtés des Républicains. Tout compte fait, François de Groiseilliez considère que le coup de force de l’ Assemblée contre la Régence de la Duchesse d’Orléans, s’inscrit dans la longue histoire des « trahisons et de l’infamie parlementaire ». C’est ainsi que tout le chapitre XIX est consacré à Lamartine. Certes, Groiseilliez admire l’auteur des « Méditations Poétiques », mais il regrette que M de Lamartine n’emploie son génie « qu’à des illusions fantastiques et passagères, qu’il fuit partout la vérité comme une entrave à sa marche aventureuse et aime , caresse et orne le mensonge, comme si le mensonge valait mieux que la vérité » ( p 231) . Toujours à propos de Lamartine, François de Groiseilliez ajoute : « Son véritable Dieu, c’est le hasard. C’est à ce Dieu capricieux que la lyre à la main, il livre les destinées de la Patrie » ( p 232). Sa vie serait « un tissu d’incohérences » . Sous la plume de Groiseilliez, Lamartine est donc décrit comme un avatar monstrueux du parlementarisme et du Libéralisme. Les hésitations du député orléaniste Dupin, qui a lui même conduit la Duchesse d’Orléans et le jeune Comte de Paris à la Chambre, puis qui refuse d’abord de prendre la parole à la Tribune pour défendre leur cause, avant soudain de se raviser pour finir par se taire devant l ‘envahissement de la Chambre par des émeutiers républicains, illustre la faiblesse du parlementarisme. Comble du ridicule, c’est le député d’Extrême Gauche Mauguin (avec le général Oudinot) qui fait un rempart de son corps à la Duchesse d’Orléans, menacée par les émeutiers. Pour Groiseilliez, la République l’a emporté parce que la Duchesse d’Orléans n’a pas parlé devant les députés. Elle en aurait été empêchée par le Président de la Chambre, Sauzet. C’est ainsi que Groiseilliez écrit ironiquement que la République « est née par l’absence d’un coup de sonnette » ( p 254). Le Légitimiste Larochejaquelein « dont le nom est à lui seul un programme », est le dernier 39 40 député à pouvoir parler relativement tranquillement à la Tribune, avant l’envahissement final de la Chambre par une « foule de forcenés ». L’ Histoire retiendra qu’il eut le temps de dire aux députés : « Vous n’êtes plus rien » ( p 259). Ensuite, l’Assemblée « est livrée » aux Ledru-Rollin, Marie, Crémieux, Dupont de l’Eure, Arago, sous l’autorité morale de M de Lamartine. La fuite du Roi vers l’Angleterre à travers la France, est racontée en détails, des pages 277 à 308. Groiseilliez, à la différence de Crétineau-Joly, partage sincèrement la peine du Roi des Français pendant ces moments difficiles. Le récit des pérégrinations de Louis-Philippe, devenu en quelques heures un paria dans sa propre patrie, inspire à François de Groiseilliez des réflexions amères sur la versatilité des Français. 2) Buts poursuivis par cet auteur. Pour François de Groiseilliez, « Louis-Philippe a été tué par les avocats, aussi bien par ceux qui le servaient (Dupin), que par ceux qui l’attaquaient (Odilon Barrot). Il n’avait qu’un moyen de triompher, celui qu’il n’a pas employé : résister à l’émeute, à l’insurrection, appesantir son bras sur les Hommes d’anarchie et de verbiage, toujours ensemble pour détruire, les uns par le fer, les autres par la parole, et profiter de la victoire pour les réduire à l‘impuissance et à l’obscurité…Les Institutions étaient caduques, la Charte en très médiocre estime ; un changement de Constitution (dans le sens du conservatisme et du renforcement de l’Exécutif) eût été nécessaire sous les mains victorieuses de Louis-Philippe… » ( p 305). François de Groiseilliez veut en finir avec « la tyrannie bourgeoise » . La véritable Révolution consisterait à fonder un Gouvernement réel et véritable, « en harmonie avec les intérêts populaires, qui ne serait plus un simulacre de gouvernement, une apparence de Pouvoir » ( p 306). Selon l’auteur, il y a peu de Républicains en France (François de Groiseilliez écrit en 1850) et cela s’explique par « l’état de corruption auquel est parvenu le pays » ( p 309) et surtout « en raison du faux patriotisme des gens qui se disent Républicains 40 41 et ne sont que Révolutionnaires ». Pour l’auteur, l’Esprit de Révolution sape les fondements de l’Autorité et de la Morale. La Révolution est une idéologie intrinsèquement perverse qu’il faut abattre : « On a beaucoup parlé de la corruption des Grands sous la Monarchie ; mais la Révolution ne s’est-elle pas chargée de corrompre le reste ? N’a-t-elle pas fait du marchand un homme cupide et de conscience facile, du valet un Figaro sans esprit, de l’ignorant un fat présomptueux, de l’avocat un brouillon politique, du riche un égoïste, du pauvre un envieux, du demi-savant l’apôtre du désordre, de l’incapable un ambitieux, de presque tous des panthéistes et des matérialistes dont le seul Dieu est l’argent ou le pouvoir ? » (p 310). L’auteur réhabilite Nicolas Machiavel et ses théories de gouvernement. Alors que par une injustice inacceptable cet auteur florentin est devenu synonyme de perfidie et de duplicité, François de Groiseilliez préfère rappeler que « loin d’être partisan de la tyrannie, Machiavel, franchement républicain, a toujours défendu les libertés populaires, mais sous l’empire d’un pouvoir régulateur, sous l’autorité d’un gouvernement fortement organisé » (pp 310/311). La conclusion de l’ouvrage est assez inattendue, même si elle semble cohérente par rapport aux idées développées tout au long de cette Histoire de la chute de Louis-Philippe : « Soyez Royalistes, Républicains, ou Socialistes, mais Gouvernez ! » Respect et obéissance à l’Autorité, amour du devoir, vénération pour la religion, culte du mérite tels sont finalement, au delà de toute idéologie de Gouvernement les simples mots d’ordre à mettre en action pour sauver la France. Groiseilliez n’est pas formellement Légitimiste. Ses idées politiques sont ultra-conservatrices et dominées par un antiparlementarisme virulent. Ainsi, dans son « Art de devenir député et même Ministre » publié en 1846, Groiseilliez donne à certains de ses chapitres des titres visant à ridiculiser les pratiques parlementaires : ‘’du Royaume de la Présidence’’ ; ‘’ de la blague parlementaire’’ ; ‘’ de l’interrupteur’’ ; ‘’ des ambitions rentrées’’ ; ‘’des conspirations de salon’’ ; ‘’ du fauteuil’’ ; ‘’de la sonnette’’ ; ‘’de l’urne’’ ; ‘’ du vestiaire’’ ; ‘’ du verre d’eau sucrée’’, etc… François de Groiseilliez prône un Exécutif fort qui assume pleinement son rôle dirigeant en se défiant des corps 41 42 intermédiaires, particulièrement de ceux qui sont des émanations de la classe bourgeoise. François de Groiseilliez a développé des thématiques qui ont toujours été présentes dans le paysage politique français, comme la défense de l’Ordre et des valeurs chrétiennes. Groiseilliez est un auteur à la charnière de l’Orléanisme d’Extrême Droite et du Légitimisme pragmatique qui se serait volontiers accoutumé d’une monarchie de Juillet débarrassée de ses oripeaux bourgeois et pseudo-parlementaires. Contrairement à Crétineau-Joly qui affronte Louis-Philippe et les Orléans en tant que personnes, François de Groiseilliez élève son combat au niveau des idées. L’auteur de « la Chute de Louis-Philippe » ébauche une théorie politique très originale, un Orléanisme dépouillé de son essence parlementaire, un autoritarisme libéral et chrétien sur fonds de République populaire… Peu importe à Groiseilliez que la monarchie soit dirigée par un Bourbon ou un Orléans –voire même un Bonaparte-, pourvu que les rênes du Pouvoir soient placés dans des mains sûres qui ne faiblissent pas au premier danger. L’auteur va même jusqu’à accepter la République, du moment qu’elle est conservatrice. En cela, François de Groiseilliez occupe une place originale dans l’espace politique de son siècle. Il n’est l’agent ni des Bourbons, ni des Orléans, ni des Bonaparte, ni des Révolutionnaires. C’est un Homme d’Ordre. Sa logique (comme d’ailleurs celle de Crétineau-Joly) est binaire : Le monde se divise en deux camps : L’Ordre et le Désordre ; les régimes « forts » et les régimes « parlementaires » ; la Morale et l ‘amoralité. Cette vision plutôt manichéenne du débat politique s’exprime fort logiquement dans un style violent et passionné, toujours ironique, caractéristique de la littérature pamphlétaire de cette époque. Jacques Crétineau-Joly et François de Groiseilliez expriment parfaitement la contestation de Droite de la Société française du XIXe Siècle. Trop méconnus, étrangers à notre monde politique et institutionnel actuel, ces deux auteurs ont incarné à leur époque la littérature pamphlétaire Légitimiste et AntiParlementaire. L’étude de leurs œuvres constitue un passage obligé pour quiconque veut saisir l’essence du combat d’idées au XIXe Siècle. 42 43 B) Extrait choisi. « Histoire de la chute de LouisPhilippe », Paris, Michel Lévy Frères, 1852 ; extraits tirés des « notes historiques et critiques » parues en fin de volume. ( pp 325/326/327) « Le Tiers- Etat a fait la Révolution de 1789, et jusqu’à nos jours a continué ce mouvement d’aventures et de catastrophes. Il est fort regrettable, sans doute, que des esprits conservateurs se voient obligés d’admonester cette classe, déjà fort maltraitée par la démagogie et le Socialisme. Mais à qui la faute ? La bourgeoisie profite -t-elle des leçons de l’expérience ? N’est-elle pas toujours sous l’influence des mêmes passions ? Montre-t-elle au peuple l’exemple du respect et de l’obéissance à la Loi et à l’autorité ? Donne –telle son appui au Pouvoir qui ne cesse d’avoir besoin d’elle ? Et Mon Dieu, Non ! Sans parler de ses votes contre Charles X et contre Louis-Philippe, peut-on rappeler froidement qu’en temps de République, où l’Anarchie a ses flatteurs, elle a nommé pour ses représentants, pour les représentants de Paris, capitale de la France, des gens qui lui avaient tiré des coups de fusil, et qui ne lui en tiraient qu’en vue d’établir leur système, c’est à dire la ruine de tout commerce, de toute industrie ? Les leçons que la bourgeoisie prétend donner au Pouvoir sont des programmes de Révolutions nouvelles. Pour lui dire la vérité en passant, et la lui dire sévèrement, on est bien moins coupable qu’elle. Il y a sans doute de nombreuses exceptions à faire ; tous les soldats de la bourgeoisie n’obéissent pas aux penchants dangereux que je signale ; à eux donc, s’ils le peuvent, d’user de l’autorité ou de l’influence de leurs grandes qualités pour ramener dans un centre commun de bon sens et de raison les esprits égarés ou rebelles… Les Gros Bonnets de la Garde Nationale (la milice bourgeoise des monarchies Constitutionnelles), sont extrêmement susceptibles…Leur uniforme écrasant le manteau royal est une usurpation. L’Armée est tout aussi Nationale que leur Garde. Elle représente le pays comme elle, le défend avec non moins de courage et de dévouement…La Belgique a parfaitement compris l’inconvénient du titre de Garde Nationale et a donné aux réunions armées d’une partie de ses 43 44 habitants, le nom de Garde Civique. Ce petit peuple, depuis quelques temps, s’avise à nous donner des leçons de liberté et de sagesse, de tact et de convenance. Ne pourrions nous, malgré nos parchemins de Civilisation européenne, profiter un peu de ces modestes leçons ? L’insurrection, ou pour parler un langage plus conforme à l’esprit du temps, le peuple rassemblé, armé pour défendre ses droits attaqués, loin de sauver la Constitution existante, l’a toujours laissée périr…Il s’est battu pendant trois jours au nom de la Charte octroyée, et aussitôt cette Charte a été remplacée par la Charte-Vérité. De nouveau ce bon peuple, inquiet du sort de cette sœur cadette, reprend un fusil en criant ‘’Vive la Réforme !’’…La Constitution de 1848 est proclamée…Le caractère de l’insurrection est essentiellement destructeur. Il détruit même ce qu’il aime. Il est d’autant plus à redouter en France, que la divinité souveraine est le caprice, et que l’amour du changement est bien plus grand chez elle que l’amour de la Liberté ! ». 44 45 Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons. 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