Stars vieillissantes et identités de genre

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Stars vieillissantes et identités de genre
Stars vieillissantes et identités de genre
Journée dʼétude
Vendredi 6 juin 2014 ! Université de Lausanne (UNIL)
Unithèque (salle 4215)
Programme
9h15 ! Introduction ! Les stars et le temps du vieillissement
Charles-Antoine Courcoux (Université de Lausanne)
Il sʼagira ici dʼexposer, à titre liminaire, certaines des questions que soulève le
phénomène du vieillissement dès lors quʼon lʼenvisage pour les stars de cinéma et au
prisme de leurs identifications de genre (gender). Compte tenu du caractère pionnier
de lʼorientation de recherche de la journée, quelques aspects des perspectives de
recherche à la croisée desquelles se situent les réflexions seront évoqués.
9h45 ! Stars vieillissantes dans le cinéma français : un double standard qui
sʼatténue ?
Geneviève Sellier (Université Bordeaux Montaigne)
Depuis la figure dominante du « couple incestueux » des années 1930 (un homme
dʼâge mûr face à une (très) jeune femme), le cinéma français sʼest fait une spécialité
du double standard genré en matière dʼâge des acteurs : seuls les hommes ont le
droit de vieillir à lʼécran.
Si après-guerre, certains actrices conservent les faveurs du public dans leur maturité
(Feuillère, Morgan, Darrieux dans les années 50, Girardot dans les années 70), les
têtes dʼaffiche vieillissantes sont masculines : Fernandel et Gabin dans les années
50 et 60, de Funès dans les années 60 et 70, Montand et Ventura dans les années
70 et 80, Belmondo dans les années 80, Noiret et Serrault dans les années 90,
Depardieu dans les années 2000.
Ce sont les réalisatrices qui vont sinon changer la donne, tout au moins la faire
évoluer : en donnant le premier rôle à des actrices de plus de 50 ans – Deneuve en
1998 dans Place Vendôme, Nathalie Baye en 1999 dans Vénus Beauté (Institut) –,
elles font une brèche dans ce double standard, et proposent des représentations
filmiques plus en phase avec la réalité sociale. Peut-on pour autant aujourdʼhui parler
dʼun changement de paradigme ?
10h45 ! Guest stars : de la stratégie has been au second souffle des stars de
cinéma
Gwénaëlle Le Gras (Université Bordeaux Montaigne)
Il y a toujours eu des échanges entre le cinéma et la télévision depuis les années
1950 et 1960, mais depuis le tournant des années 2000, on constate des transferts
plus fréquents dʼacteurs de cinéma sous la forme de guest star, cʼest-à-dire dʼinvité
dans un, ou parfois plusieurs épisodes dʼune série télévisée, ce qui est une tradition
principalement américaine jusquʼà présent. Ce phénomène sʼest institutionnalisé au
tournant des années 1990, avec la création en 1989 aux Emmy Awards dʼune
nouvelle catégorie « best guest », déclinée entre acteur et actrice et comédie et
dramatique. Lʼemploi de guest star, de plus en plus dévolu aux stars de cinéma
vieillissantes – sans forcément les rendre has been puisque certaines deviennent
des héroïnes centrales de séries suite au succès dʼun rôle de guest star (Jeremy
Irons, Glenn Close, Kathy Bates) –, leur permet dʼagir en « reaction-shots » à leur
image publique (Catherine Deneuve dans Nip Tuck) ou cinématographique (Julia
Roberts dans New York District ou Robin Williams dans New York unité spéciale),
qui leur offre souvent moins de visibilité et moins de liberté pour renouveler leur
carrière. Le passage par la case guest star peut donc être une phase dʼévaluation à
un âge charnière entre deux emplois, deux registres, pour négocier un transfert
dépassant le rôle dʼinvité dʼune star de cinéma vers la télévision. Cependant, si le
bénéfice est évident dans certains cas tant pour les séries que pour les stars, on
pourra sʼinterroger sur les limites du phénomène de guest star qui sʼétend à tout type
de célébrité au point dʼêtre un marronnier à la télévision, reposant souvent sur du
name dropping masquant les faiblesses scénaristiques dʼune série, devenue véhicule
marketing pour star en manque dʼaudience.
11h30 ! Glenn Close, Patty Hewes et la mère infanticide
Mireille Berton (Université de Lausanne)
Considérée comme une des premières actrices hollywoodiennes à passer le cap des
séries télévisées avec The Shield (2002-2008, FX) et Damages (2007-2010 : FX ;
Audience Network, 2011-2012), Glenn Close représente cette tendance récente qui
voit la carrière de nombreux acteurs, scénaristes et réalisateurs se développer
toujours plus à cheval entre cinéma et télévision. Il est ainsi fréquent de lire dans la
réception des séries télévisées le postulat selon lequel ces dernières sont devenues
une terre dʼaccueil, non seulement des cinéastes indépendants en quête de liberté
créative, mais également des stars vieillissantes dont Hollywood ne veut plus.
Connue depuis les années 1980 pour incarner à lʼécran des femmes sulfureuses,
tyranniques et manipulatrices, Glenn Close trouverait dans Damages un rôle à la
mesure de sa réputation, celui de Patty Hewes, une redoutable avocate new-yorkaise
prête à tout pour remporter ses procès. Si son vieillissement en tant quʼactrice
(dʼailleurs peu commenté par la critique ou alors de manière indirecte via son statut
dʼactrice émérite) permet à la série Damages dʼexploiter son aura cinématographique
dʼimpitoyable gorgone, il est surtout mis au service dʼune représentation où prime sa
fonction de mentor auprès dʼune jeune et ambitieuse avocate, Ellen Parsons (Rose
Byrne). À partir dʼune analyse de la série et de sa réception critique, on propose de
montrer de quelle manière Damages négocie le vieillissement de Glenn Close au
sein dʼune relation symbolique mère-fille fondée sur la rivalité et les jeux de pouvoir
qui culminent avec une tentative dʼinfanticide.
14h ! Sous le signe de lʼexcès : le « troisième âge » de Depardieu entre
déchéance et rejuvénilisation
Raphaëlle Moine (Université Sorbonne Nouvelle ! Paris 3)
Dans son étude consacrée à Gérard Depardieu (Stars and Stardom in French
Cinema, 2001), Ginette Vincendeau identifie deux moments dans la carrière de
lʼacteur : une première période où ses prestations de « loubard comique », plutôt
dans le cinéma populaire, alternent avec celles de « macho fragile » dans le cinéma
dʼauteur ; une seconde, qui commence à la fin des années 1980, où la star campe
des « grands hommes » dans des productions patrimoniales qui lui donnent une forte
valeur nationale. Cʼest à un « troisième âge » de la carrière de Depardieu que cette
communication sera consacrée : à lʼorée du XXIe siècle, le vieillissement de lʼacteur,
né en 1948, est effectivement partie prenante de sa persona, via les appréciations
portées sur ses performances et via des rôles (Les Temps qui changent, Quand
jʼétais chanteur, Mammuth, Je nʼai rien oublié, etc.), qui le thématisent de manière
extrêmement ambivalente en ressuscitant par exemple les fantômes du passé
derrière lʼhomme vieillissant du présent. A ces formes de réflexivité, assez
coutumières aux longues carrières de star, féminine comme masculine, sʼajoute,
dans le cas de Depardieu, une conversion du vieillissement en différentes formes
dʼexcès, cohérentes avec la persona préalable de lʼacteur, mais qui sʼappuie aussi
sur des dynamiques genrées.
14h45 ! Rocky Balboa ou la résurrection selon Sylvester Stallone
Achilleas Papakonstantis (Université de Lausanne)
La trajectoire dʼacteurs de renom tels que Arnold Schwarzenegger, Sylvester
Stallone ou Harrison Ford en témoigne, le phénomène du vieillissement pose des
problèmes aigus aux stars masculines que le cinéma américain a érigées en
modèles dès le milieu des années 1970. Parce quʼelles ont fondé leur aura sur la
représentation idéalisée dʼun corps jeune, puissant et viril, à la musculature souvent
hypertrophiée, ces stars ont en effet subi de plein fouet, pendant les années 1990,
les évolutions dʼun corps qui, dans la société américaine, constitue le principal site de
visibilité du vieillissement. Aussi, ajouté à la disparition dʼune bipolarité géopolitique
qui avait favorisé leur émergence, le passage des années a-t-il contribué à mettre au
ban, plus que dʼautres, les stars que Susan Jeffords avait qualifiées de « hard
bodies ». Icône emblématique de cette génération, Sylvester Stallone éprouve
jusqu'au milieu des années 2000 les conséquences statutaires de son incapacité à
adapter ses personnages à un contexte et un corps qui ont changé. Et ce n'est qu'au
seuil de la soixantaine, avec la décision de réincarner pour la sixième fois le
personnage de Rocky que la star parvient à remettre sa carrière en selle en
retrouvant les faveurs du public et de la critique. A travers une analyse de Rocky
Balboa (Sylvester Stallone, 2006), j'entends examiner les stratégies employées par
Stallone afin de retrouver son statut de star de premier plan. Le choix de ce film est
motivé par l'imbrication « extraordinaire » ! au niveau textuel et paratextuel ! entre la
carrière du personnage Rocky et celle de la star Stallone dans la mesure où depuis
les années 1970, le parcours du premier métaphorise systématiquement la carrière
du second. La représentation du corps servira de fil rouge à ma communication qui
sʼattachera en outre à interroger les liens entre masculinité et vieillissement afin de
dégager le discours sociopolitique dans lequel Rocky Balboa sʼinsère.
15h45 ! Odd Couples & Grumpy Old Men : le duo Lemmon-Matthau à lʼépreuve
du temps
Jacqueline Nacache (Université Paris Diderot ! Paris 7)
Le cas spécifique envisagé ici est celui dʼun tandem comique, Jack Lemmon et
Walter Matthau, dont le vieillissement est thématisé à lʼécran avec une cohérence
sans précédent dans le cinéma américain. Quatre films en particulier ponctuent ce
chemin. En 1968, The Odd Couple (réal. Gene Saks) transforme les partenaires de
The Fortune Cookie en un « couple » en bonne et due forme, issu dʼune pièce à
succès de Neil Simon. Trente ans plus tard, The Odd Couple II (réal. Howard
Deutsch) organise les retrouvailles des deux comédiens proches de la grande
vieillesse. Entre temps le tandem sʼest retrouvé en 1993 et 1995 dans le diptyque
comique que forment Grumpy Old Men (réal. Donald Petrie) et Grumpier Old Men
(réal. Howard Deutch), dont le but est cette fois dʼadapter le schéma de la comédie
romantique à des acteurs vieillissants. On dispose avec ces quatre films dʼun
dispositif exceptionnel pour étudier dʼune part un moment de transition entre la
tradition classique et un cinéma contemporain qui en retravaille les stéréotypes;
dʼautre part lʼévolution de la dimension genrée des rôles; enfin, dans les deux
Grumpy, les représentations de la détresse liée à la vieillesse masculine, que la
complicité des acteurs et la virulence comique permettent dʼévoquer sans détour.
16h30 ! La star vieillissante du muet à lʼépoque du film sonore : entre fiction
et documentaire
Mattia Lento (Université de Zurich)
Le cinéma contemporain n'a pas été le premier à être confronté au phénomène de la
star vieillissante. La scène où Nora Desmond/Gloria Swanson descend les escaliers
dans Sunset Boulevard est lʼune des plus célèbres parmi tant dʼautres représentant
une star vieillissante du muet. Ma contribution a pour but de considérer le recours à
la star féminine du muet à lʼépoque du cinéma sonore, et ce aussi bien dans le
domaine de la fiction que du documentaire. Outre le film de fiction qui use de la star
du muet tantôt dans une perspective nostalgique tantôt réflexive (Novecento, The
Whales of August ...), mon analyse portera surtout sur le matériel audiovisuel
documentaire d'après-guerre (Asta Nielsen, L'ultima diva, Lillian Gish: An Actor's Life
for Me, Lillian Gish, Louise Brooks. Looking for Lulu ...). Celui-ci fournit des
documents historiques d'une très grande pertinence, au point de devenir un réel
laboratoire analytique permettant dʼétudier les valeurs esthétiques, réflexives et
genrées de la star vieillissante. L'opposition marquée entre la star vieillissante
(occupée à répondre aux questions des documentaristes) et les images tirées de ses
anciens films, constituera le point central de notre étude. Asta Nielsen, Francesca
Bertini, Lillian Gish, Mary Pickford et Louise Brooks seront quelques-unes des stars
féminines prises en considération dans cette intervention.