Ban Ki-moon et le Sahara marocain
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Ban Ki-moon et le Sahara marocain
MAROC diplomatique L’INFORMATION QUI DÉFIE LE TEMPS www.maroc-diplomatique.com 10 DH - 1 € - MENSUEL - 32 pages N° 10 AVRIL 2016 Ban Ki-moon et le Sahara marocain Mbarka Bouaida : Le Plan d’autonomie, seule alternative Le Maroc ne tergiverse pas pour un règlement démocratique avec ses intrêts supérieurs L a tempête diplomatique provoquée par les propos que Ban Ki-moon , secrétaire général des Nations unies, a prononcés lors de sa visite début mars à Tindouf et Alger, l’usage des termes comme « occupation », « autodétermination», le salut au « drapeau » du polisario, la partialité affichée dans son comportement, la grave et volontaire omission des exactions et violences exercées dans les camps de Tindouf contre les citoyens séquestrés et empêchés de regagner le Maroc, son parti pris contre le Maroc, n’en finissent pas de faire couler de l’encre et d’inspirer commentaires et critiques. Une vague d’indignation a frappé à la fois le gouvernement et le peuple du Maroc, qui a massivement dénoncé à l’intérieur du pays comme à l’étranger, une attitude plus que complice avec le gouvernement algérien. H.A. Lire l’entretien en pages 6 et 7 IRAN Il y a quatrante et un ans la Marche verte sur le Sahara. Q uel que soit le contenu du rapport que Ban Ki-moon remet au Conseil de sécurité des Nations unies pour en débattre et le voter, il sera dit devant l’Histoire qu’il a été entaché par une distorsion grave : celle de l’acharnement contre le Maroc et des manquements à l’obligation impérative de neutralité et d’impartialité consubstantielle à sa fonction. On aura compris, en effet, que Ban Ki-moon, élu et réélu à la tête de UN LIVRE, UN AUTEUR POLITIQUES CULTURELLES À L’ÂGE DU NUMÉRIQUE «Sans y perdre son âme, le Maroc devrait intégrer la mondialisation» «L a rigueur, le souci du détail et la modernité qui caractérisent cet ouvrage sur les politiques culturelles en font un instrument précieux pour chacun d’entre nous. Je suis heureux à cet égard que Nabil Bayahya, mon jeune compatriote, m’ait fait l’honneur de me demander de préfacer son ouvrage, m’apportant ainsi l’opportunité d’ajouter une contribution militante à son travail, tout en poursuivant la croisade qui est la mienne depuis bien longtemps, pour faire partager au plus grand nombre l’exceptionnel potentiel du Maroc quand la culture trouve sa place dans l’agenda de la gouvernance». n Lire en page 28 et 29 S.M. l’ONU – achevant en décembre prochain son mandat – n’a résolu aucun de la trentaine de conflits ouverts ou latents qui embrasent la terre. Pas plus qu’il n’a pris la peine de se revendiquer un tant soit peu comme un Juste, visionnaire ou courageux dans celui qui persiste au Sahara. Il a préféré le mensonge à la vérité. Aurait-il eu comme mission d’enterrer le Plan d’autonomie défendu par le Maroc, serait-il devenu le relais d’une Algérie expansionniste qui a DOSSIER DU MOIS jeté son obsessionnel dévolu sur le Sahara ? Les derniers développements du dossier, loin de prendre de court le Maroc, l’ont confirmé dans ses hypothèses : Ban Ki-moon a renié ses engagements et, au motif de quitter son poste sur une note glorieuse, a failli corrompre le litre et la fonction de secrétaire général de l’institution internationale. Hassan Alaoui Lire pages 2, 6 et 7. Réémergence d’une puissance énergétique majeure ? L e 14 juillet 2015, un accord historique a été signé à Vienne, entre le P5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) et la République Islamique d’Iran. Ce plan d’actions conjoint prévoit une restriction à long terme du programme nucléaire iranien ainsi qu’une levée totale des sanctions Mountacir Zian Lire pages 12 et 13 DANS CE NUMÉRO MÉDIAS La qualité, maillon faible des télévisions nationales marocaines ? I l est évident que les médias de masse, particulièrement la télévision, dominent la conscience et les perceptions de la société moderne. D’ailleurs, cette dernière est l’interface par laquelle les gens apprennent ce qu’ils savent du monde et c’est à travers elle qu’on véhicule ce qu’on pense de l’actualité. Aussi cet outil a-til une sorte de monopole de fait sur la manipulation d’une grande partie de la population. De ce fait, il est comme une sorte de miroir qui reflète l’image de la société moderne et trône dans plusieurs endroits stratégiques de la maison à tel point que le son qui en émane est devenu un rituel, dans la majorité des foyers, peu importe qu’on regarde ou non, l’essentiel est qu’il y ait cet écho et ce bruit de fond agréable pour meubler l’espace comme pour rassurer la personne et lui donner l’impression qu’elle n’est pas seule. Par conséquent, la place de la télé- internationales imposées à Téhéran. En mettant fin à un long bras de fer diplomatique ayant opposé Téhéran aux puissances occidentales, cet accord qui s’inscrit dans un contexte international mouvementé, ouvre la voie à des changements géopolitiques majeurs dans la région. EDITORIAL L’Algérie, l’arbre qui cache la forêt Lire en page 2 COUP DE GUEULE Vivre avec le terrorisme et dompter la peur panique Page 4 COP22 La dimension politique et citoyenne interpelle les Etats Pages 8 et 9 BMCE BANK OF AFRICA Othman Benjelloun, des décennies d’engagement et un discours fondateur Page 10 FACE AU JIHADISME Un débat à l’Académie diplomatique internationale à Paris : Islam contre radicalisme : l’approche du Maroc Page 26 PORTRAIT : Bahija Simou, la gardienne d’une mémoire collective Page 27 LIVRES vision dans la vie d’une grande tranche de la société a fait d’elle une sorte de témoin de notre société. Un miroir qui traduit nos craintes, nos priorités, nos préoccupations et nos rêves. Ceci dit, peut-on dire que les télévisions nationales marocaines sont le reflet de la vraie société marocaine? Souad Mekkaoui Lire en pages 18, 19, 20 et 21 - Le Mariage du plaisir de Tahar Ben Jelloun De l’amour, des larmes et du sang - Le Salon du livre de Paris : Une messe culturelle Page 30 PARUTIONS Page 31 2 MAROC diplomatique ????? AVRIL 2016 ÉDITORIAL L’Algérie, l’arbre qui cache la forêt L e mois de mars n’a pas fini de s’inscrire comme ayant été celui d’une mini « guerre ouverte » avec l’ONU que, déjà, celui d’avril nous interpellait gravement. Deux situations se sont présentées, chacune à sa manière, pour mettre à l’épreuve la diplomatie marocaine : le rapport du secrétaire général et le vote du Conseil de sécurité de l’ONU à propos du Sahara, ensuite le recours du Conseil de l’Union européenne contre la décision, prise le 10 décembre 2015, d’annuler l’accord agricole avec le Maroc, signé en 2012. Décision qui, comme on le sait, a soulevé une vague de protestations et l’ire des autorités marocaines. Les situations auxquelles est confronté le Maroc depuis trois mois maintenant ne sont pas antinomiques, loin de là. Elles ont ceci de commun qu’elles sont liées de manière rédhibitoire et consubstantielle au conflit du Sahara. Par quelque biais qu’on les aborde, elles débouchent sur la même affaire et sur l’ahurissante haine que nourrit le pouvoir algérien contre notre intégrité territoriale. C’est peu dire que le Sahara, et depuis le début, n’a jamais été autre chose que l’obsession du pouvoir algérien. A un officiel égyptien tenté de comprendre le dossier, Abdelkader Messahel, ministre délégué des Affaires maghrébines et chargé du problème du Sahara, a rétorqué sur un ton de menace : « L’affaire du Sahara est une question de vie ou de mort pour l’Algérie » ! Tout au début des années soixante-dix, jouant sur une ambiguïté ontologique, les dirigeants algériens affirmaient, sur un mode de « vox clamantis », « qu’ils n’étaient pas concernés, mais intéressés par l’affaire du Sahara ». A telle enseigne que, cynisme oblige, Boumediene déclarait au Sommet arabe de Rabat en 1974 que « l’Algérie combattrait aux côtés du Maroc frère pour libérer le territoire marocain de la décolonisation espagnole » ! La Cour de justice internationale (CIJ) a rendu son verdict le 15 octobre 1975, le Maroc, l’Espagne et la Mauritanie ont signé l’accord tripartite de décolonisation le 14 novembre suivant, l’ONU a entériné le même accord fin décembre suivant. En janvier 1976, le gouvernement algérien, dévoilant son vrai visage, a lancé ses troupes à Amgalla dans des agressions que les Forces Armées Royales ont repoussées, faisant des centaines de prisonniers algériens et dévoilant ainsi les véritables desseins d’Alger. La CIJ, s’adossant à l’esprit de la résolution 1514 de l’ONU relative à la décolonisation et aux territoires non-autonomes, était saisie par le Maroc sur le paragraphe 6 relatif à l’intégrité territoriale, stipulant avec pertinence que « la décolonisation du territoire peut se réaliser à travers la réintégration de la province ( objet du litige) dans le pays d’origine ( Le Maroc) dont l’a détaché le fait colonial » ( L’Espagne). » Maurice Flory, éminent juriste, professeur de droit et de sciences politiques à l’Université de Marseille, spécialiste des pays arabes, observateur en son temps du dossier du Sahara, avait expliqué que « toute tentative à détruite partiellement ou totalement l’unité nationale ou l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations unies ( Vingt ans de MAROC diplomatique SOCIÉTÉ : Maroc diplomatique SARL Tél : 05 22 20 69 19 05 22 20 98 68 16, Avenue Moulay Hassan Ier 3ème étage, Escalier B, N° 9 Gauthier Casablanca Dépôt Légal : 2014/59 jurisprudence de la Cour internationale de justice . Le cas du Sahara, CIJ Rec 1975 ). L’avis de la CIJ avait, grosso modo malgré les finauderies de langage, conclu à l’existence de « liens juridiques et politiques, d’allégeance entre les tribus du Sahara et le Sultan du Maroc », en plus de l’argument que « le Sahara, au moment de sa colonisation par l’Espagne en 1884, n’était pas terra nullius », c’est-à-dire un territoire sans maître ! De mémoire d’homme, nous n’avons jamais assisté à une injustice historique aussi flagrante que celle qui a frappé le Maroc depuis la Conférence d’Algésiras, réunie en 1906, qui a vu notre pays se faire dépecer par plusieurs puissances impérialistes de l’époque, européennes notamment, la France, l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne voire la Russie tsariste. Or, le Maroc a posé sa revendication sur le Sahara au lendemain de son indépendance en 1956, huit ans avant que l’Algérie ne se libère du joug colonial français, dix-huit ans avant qu’elle ne créée le groupe fantoche de polisario, dont les dirigeants sont originaires du Maroc, récupérés et instrumentalisés par les services de renseignements algériens à des fins d’expansionnisme. Le dossier du Sahara marocain a constitué la pierre d’achoppement entre le gouvernement marocain et le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Si tant est que l’on ait pu volontiers créditer jusqu’ici ce dernier d’une « neutralité » intrinsèque à sa fonction, les événements du début du mois de mars sont venus nous contredire, et surtout nous tirer d’une certaine apathie. Le parti-pris affiché désormais par Ban Ki-moon an faveur des thèses séparatistes marque un tournant dans la procédure de règlement à laquelle le Maroc s’est prêté de bonne foi depuis 1981, procédure marquée par des hauts et des bas, et à laquelle il demeure en revanche fort attaché. Autrement dit, sans ambiguïté aucune, il défend « mordicus » la solution politique puisque depuis 2004, et surtout 2007, de l’avis même de la majorité des membres du Conseil de sécurité, le référendum d’autodétermination – langage des années 70 - est devenu caduc et non avenu. Sans doute faudrait-il rappeler que le Maroc, contrairement à ce que la presse algérienne, en mal de haine, a coutume de débiter, n’a jamais craint le principe d’un référendum. Le Roi Hassan II l’avait même proposé au lors de l’homérique XVIIIème Sommet de l’OUA tenu en juin 1981 à Nairobi, désarmant et dépouillant une Algérie hargneuse de son sempiternel argument. Cela dit, le plus paradoxal est que l’Algérie qui a réclamé à cors et à cris le référendum et en a fait son sinistre cheval de bataille contre le Maroc, s’est évertuée à le saboter ellemême, soufflant le chaud et le froid sur son organisation, transgressant la Charte des Nations unies dont elle n’a cessé de piétiner les sacro-saints principes. Sauf schizophrénie, comment en effet expliquer leur violation après que le Maroc eût donné finalement son accord pour un référendum, et que l’OUA en eût pris acte ? C’est dire la manière cavalière, méprisante même du pouvoir algérien de fouler au pied l’esprit de la Charte de l’organisation panafricaine et ses dirigeants. Deux plus tard, en 1982, Edem Kodjo, secrétaire général de la même organisation, COMITÉ D’HONNEUR Assistante de la direction : Fatiha Moujib Othman Cherif Alami Belkacem Boutayeb Directeur Technique et artistique : RÉDACTION : Abdeltif Chakir E-Mail : [email protected] Directeur de la publication : Hassan Alaoui E-Mail : [email protected] Directrice de la rédaction : Souad Mekkaoui E-Mail : [email protected] dévoyé et corrompu, n’avait-il pas foulé au pied les résolutions prises au Sommet de Nairobi, commençant à faire entrer de force la fantoche rasd dans l’OUA, illustrant le jeu machiavélique algérien, provoquant ainsi le départ du Maroc lors du Sommet de l’OUA, organisé en novembre 1984 à Addis Abéba ? Pourtant, dans un discours demeuré retentissant, prononcé le 26 juin 1981 du haut de la tribune de l’OUA, feu Hassan II – dont on dira plus tard qu’il a cédé à des appels de « pays amis » - annonça solennellement la volonté du Maroc d’organiser un « référendum contrôlé » au Sahara. Deux mois plus tard, un Comité « ad-hoc » résultant des recommandations dudit Sommet se réunit à Nairobi pour mettre en œuvre la procédure référendaire. Or, si le Maroc avait accédé aux récurrents desiderata des uns et des autres – des responsables algériens et de leurs affidés -, il n’en demeurait pas moins que le ralliement du Roi Hassan II au principe de référendum, les mettait au pied du mur, les gênait aux entournures. D’autant plus que lorsque la Commission d’identification des originaires du Sahara s’attela à la tache , notamment après l’accord de cessezle-feu de septembre 1991, et la création de la MINURSO, elle se heurta à une série d’entraves, de manipulations et de pressions de la part du polisario et de ses commanditaires, le DRS algérien notamment. Ils ne voulaient voir figurer sur les listes des votants au référendum que les tribus et les chioukhs de leur choix ayant fait allégeance au pouvoir algérien, excluant les centaines de milliers de sahraouis des tribus Reguibat, Dlimiyine , lâaroussyine, les Tekna, les Aït Bâamrane, les Aït Tidrarine, etc…. Un scrutin de dupes quoi ! Le pouvoir algérien a saboté le principe du référendum annoncé dès 1981, relancé en 1991, il ne s’est jamais résolu à un recensement-authentification des véritables populations sahraouies, comme il n’a jamais autorisé le HCR ( Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies) à se rendre dans les camps de Tindouf pour vérifier qui est sahraoui apte à voter et qui ne l’est pas ! Ce blocage est en réalité une volonté de camoufler l’incorporation de force par l’armée algérienne de milliers de touaregs, de nigériens, de maliens, de mauritaniens, de tchadiens dans les camps de Tindouf et d’en faire des « réfugiés » sahraouis, ne parlant ni hassani, ni arabe … Championne d’une thèse dépassée de « l’autodétermination des peuples à disposer d’eux-mêmes », l’Algérie est de ce fait opposée logiquement au principe pertinent de l’ONU de « l’unité et de l’intégrité territoriale » qu’elle avait défendue becs et ongles pour son propre Sahara face à la France. Ce qui est bon pour elle, ne l’est pas pour les autres. Comment n’a-t-elle jamais défendu et reconnu l’indépendance du Kosovo face à la Serbie, la Tchétchénie, le pays basque , la Corse, Chypre ?...Pourquoi ne soutient-elle pas également le droit à l’indépendance des Lapons samis qui se considèrent victimes de la « colonisation » suédoise, norvégienne et finlandaise ? Simples contradictions ? Perfidie ? Ban Ki-moon nous le confirmera à coup sûr dans les prochains jours. Hassan Alaoui Secrétaire de la Rédaction El Hassane Rakou E-Mail : [email protected] Reporter photoghraphe Bachir Annoub Journalistes & Collaborateurs : Hassan Riad, Mohamed Malki, Yassine Ben Ali, Abderrahim Bourkia Fatimazahraa Rabbaj E-Mail : [email protected] CONTACTS E-Mail : [email protected] E-Mail : [email protected] E-Mail : [email protected] E-Mail : [email protected] IMPRESSION (Al Ahdath Al Maghribia) 4 HUMEUR AVRIL 2016 MAROC diplomatique COUP DE GUEULE Vivre avec le terrorisme et dompter la peur panique Q Par Souad Mekkaoui u’y a-t-il d’anormal à voir un hélicoptère survoler le ciel de Casablanca ? Rien en principe. Et pourtant, la semaine dernière, cela n’est pas passé inaperçu et les regards des habitants de la métropole s’y sont suspendus pendant trois jours, leurs mains sur le cœur. Et pour cause, un hélicoptère des «Forces Armées Royales» qui tournoyait à plusieurs reprises dans les hauteurs de la ville. Entre curiosité et panique, les investigations sont allées bon train pour élucider l’intrigue de cet événement que des sites d’info ont surnommé « l’hélicoptère mystérieux ». Loin d’être Kaboul, Casablanca n’a pas l’habitude d’être survolée de la sorte par un appareil et plusieurs fois pendant la journée. Les jours suivants apportèrent la réponse aux questions et aux craintes des Casablancais qui se voyaient déjà assaillis par les terroristes! L’hélicoptère militaire plutôt en tournage «militaire» faisait partie du scénario d’un film américain! Et le soulagement se fit enfin! C’est dire que, de nos jours, la peur se conjugue au pluriel et devient contagieuse. C’est dire à quel point nos entrailles sont assaillies par la panique et tout geste infime soit-il est susceptible d’alerter nos sens et nous plonger dans une terreur qui paralyse les êtres. Depuis quelque temps, nous vivons avec cette peur latente qui ne s’exprime pas mais qui nous suspend à quelque chose qu’on attend, qui annonce son arrivée ou plutôt qui menace de s’abattre sur nous. Cette peur n’a pas de nom mais elle est là. Daech, épée de Damoclès Rappelons-nous que notre confrère Al Massae a relayé une information selon laquelle la police internationale Interpol a prévenu le Maroc des risques imminents d’une invasion de terroristes venant d’Europe. D’ailleurs, ce n’est plus un secret pour personne, le Royaume figure en tête de liste des pays ciblés par les terroristes en raison de ses efforts déployés dans la lutte contre ce fléau, qui fait de son approche globale et de sa détermination en matière de lutte contre l’extrémisme dans toutes ses formes un modèle sollicité par plusieurs pays. Il est vrai que les services marocains sont connus pour leurs compétences et l’excellence de leur travail. Il est vrai qu’on ne doit pas succomber à la peur du terrorisme qui constitue son principal pouvoir. Mais on se dit tout de même que l’ennemi est partout, invisible, il peut frapper n’importe où et à n’importe quel moment avant de se fondre dans la population. Sonnés par les événements, par l’état d’urgence dans le monde, ce climat d’insécurité nourrit et accentue cette phobie qui s’est emparée de nous et que nous transmettons à nos enfants qui grandissent vite et dans la peur. Aujourd’hui, leur insouciance les quitte, ils ont peur d’être tués, craignent un acte de violence contre un membre de leur famille puisque les médias offrent à leurs regards des images horribles de ce qui se passe dans le monde. Et pourtant, comment vivre avec une peur qui se généralise guettant un malheur qui s’annonce ? On ne sait plus de quoi ou de qui a-t-on peur. Mais ce dont on est sûr par contre c’est que ces terroristes ont un pouvoir de nuisance énorme et qu’on a tout à craindre quand on pense à leurs prises d’otages, à leurs attaques qui n’épargnent ni représentations diplomatiques, ni écoles, ni même les lieux de culte. Ceci les médias nous le rappellent tous les jours que Dieu fait. Sommes-nous donc condamnés à vivre dans l’horreur et la peur du pire? La peur nous paralyse et la barbarie nous empoisonne la vie. La quiétude nous quitte à grandes enjambées cédant la place à l’état d’urgence qui gagne du terrain dans le monde! On peut tous se trouver à un moment ou à un autre au mauvais moment et au mauvais endroit si les origines du mal ne sont pas éradiquées. L’islamophobie ou l’autre visage du terrorisme Un peu partout dans le monde, et notamment depuis les attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, on a l’étrange impression que l’islamophobie trouve, enfin, un motif longtemps recherché et convoité. Et un terrain fertile ! C’est un peu sa « légitimité » étalée au grand jour et à visage découvert ou du moins une justification aux agressions répétitives dont font l’objet tous ceux qui ont le malheur d’afficher un faciès « identitaire » ou un quelconque aspect apparent ayant trait à l’islam. Cependant, n’oublions pas que le terrorisme n’a pas épargné les pays musulmans qui en sont les premières victimes d’ailleurs. En revanche, on assiste, depuis quelque temps, à une guerre de religions qui entraîne tout sur son chemin nous faisant trembler devant les prémices d’une troisième guerre mondiale qui s’annonce imminemment et dont les motivations dépassent, et de loin, la pancarte qu’on brandit d’une «religion» instrumentalisée par la politique. Force est de constater que les agressions islamophobes recensées se multiplient de manière inquiétante. Multiples exactions verbales ou attaques physiques ont été dénombrées et les victimes n’étaient, bien entendu, autres que des femmes musulmanes voilées, violentées, principalement, par des hommes blancs. Les actes antimusulmans se propagent se présentant sous forme de menaces, d’humiliation, d’inscriptions haineuses, d’agressions verbales ou physiques quand il ne s’agit pas de dégradations de mosquées. Bref, il est urgent d’être solidaires surtout dans ce contexte trouble où la barbarie gagne du terrain. Lutter contre le radicalisme sous toutes ses formes devient une nécessite. Ces attentats immondes et abjects sont perpétrés par des barbares qui détruisent le monde et le mettent en guerre contre lui-même. Le terrorisme n’a ni couleur, ni religion, ni nationalité, ni visage. Il porte le masque de l’horreur, de la violence, du sang et de la haine. Série noire Depuis les actes terroristes qui ont visé Paris du 7 au 9 janvier 2015, s’attaquant au comité de Rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, puis la supérette Cacher, une avalanche d’attentats s’est abattue sur les quatre coins du monde. Boko Haram attaque la ville de Baga au nord du Nigéria faisant 200 morts et 2000 personnes portées disparues. Un commando de « jihadistes» attaque l’hôtel Corinthia à Tripoli faisant dix morts. Le même mois, une mosquée chiite dans le sud du Pakistan est attaquée par un terroriste faisant au moins 55 morts. Le 3 février, Coulibaly poignarde trois militaires à Nice. La fusillade de Copenhague a lieu le 14 février 2015. Une vingtaine de jours plus tard, Bamako n’échappe pas à l’horreur. Dix jours après, c’est l’attaque du musée du Bardo près de Tunis causant la mort de 24 personnes et 45 blessés. Et depuis, la série noire ne s’arrête plus touchant Sanaa, Kenya, l’aéroport d’Orly, le Curtis Culwell Center au Texas, le Koweït, le consulat d’Italie au Caire, le Cameroun, la Turquie, Beyrouth, Paris, Bruxelles, Tunis, San Bernardino en Californie, le Tchad, Kaboul sans parler de Bagdad, et dernièrement Lahore, la liste s’allonge n’épargnant pas le moindre carré de la Terre. La tension est toujours au pic et la panique est à son paroxysme. Le calme et le sang-froid cèdent la place, aisément, à l’état d’alerte élevé au niveau maximal qui se fait sentir un peu partout dans le monde. La hantise des attaques est de plus en plus installée provoquant une peur panique qui a fait qu’on commence à voir le mal partout. Quand la loi ne protège pas les plus faibles, quand on se substitue aux autorités, quand la rue fait la loi, quand l’être humain se déshumanise et trouve son plaisir dans son machiavélisme, et quand on affiche ostentatoirement ces comportements sadiques, au vu et au su des autorités, c’est que notre société va mal. Très mal! Que reste-t-il de nos repères, de nos valeurs et surtout de notre humanisme? Comment pourrait-on résister - puisque c’est de cela qu’il s’agit - dans un monde en manque d’harmonie et de sécurité quand le moindre pas derrière nous nous fait sursauter, quand on sait que la rue peut s’ameuter au moindre geste, au moindre propos et s’improviser juge et bourreau ? D’ailleurs, plusieurs incidents témoignent de l’obsession et de la nervosité qui règnent, ces derniers jours. A titre d’exemple, des passagers ont été empêchés d’embarquer, à bord de leur vol et pour cause … ils sont musulmans! C’est dire que la peur du terrorisme engendre une autre facette du terrorisme destructeur, celle de la peur et de la haine de l’autre surtout quand il a le faciès qui titille le racisme et l’islamophobie. Descente aux enfers Et comme si cela ne suffit pas à hypothéquer nos vies, on sent comme un vent de folie qui souffle sur le pays. Tel un sirocco, il brûle et opprime les personnes qu’il touche les amputant de leur air de liberté qu’il rase d’un revers, anesthésiant les esprits obscurantistes qu’il égare de telle sorte qu’ils s’improvisent justiciers et dresseurs de tort en s’octroyant le droit de faire la loi. Les libertés individuelles se réduisent en peau de chagrin sous l’effet d’une marée de fanatisme rétrograde, d’intolérance extrémiste et d’obscurantisme ravageur. Lynchage, homophobie, intolérance, haine et rejet de l’autre sont devenus des «faits divers» qui ponctuent notre quotidien nous plongeant dans la hantise de cette Vox Populi qui fait, à présent, la loi. Rappelons-nous l’affaire des deux jeunes filles d’Inezgane encerclées et huées par des «moralisateurs» qui avaient estimé que leurs tenues vestimentaires étaient indécentes. Rappelons-nous . du jeune homosexuel de Fès traqué par une horde de personnes déchaînées. Ces scènes d’humiliation et de violation ont donné un coup dur aux droits de l’homme au Maroc. Or ces derniers jours encore, les réseaux sociaux ont relayé une vidéo horrible de deux homosexuels de Béni-Mellal qui se sont fait battre jusqu’au sang par la foule enragée. Seulement quelques jours après, une autre vidéo circule et cette fois-ci il s’agissait d’un homme pris en flagrant délit d’adultère. Bien sûr son crime est impardonnable ! On lui ligote les mains, le frappe, l’humilie, et … on le filme. Sans parler de la chasse aux sorcières à laquelle on a assisté, à Salé, et là encore via les réseaux sociaux. Au nom de quoi se permet-on la vindicte et la violence contre les autres? Au nom d’une moralité religieuse ? Loin s’en faut ! La religion est avant tout une affaire personnelle intime. Elle n’a besoin de personne pour la défendre. Rien ne peut justifier cette rage et cette violence affichées. Ce qui est grave et inquiétant c’est ce qui se trame dans le silence et l’absence des autorités qui assistent passives au lieu d’arrêter, de manière ferme, ces débordements sociétaux qui veulent nous projeter dans une ère révolue. Des fanatiques qui se constituent en brigades de mœurs répandent l’anarchie et le chaos émerge. Quand la loi ne protège pas les plus faibles, quand on se substitue aux autorités, quand la rue fait la loi, quand l’être humain se déshumanise et trouve son plaisir dans son machiavélisme, et quand on affiche ostentatoirement ces comportements sadiques, au vu et au su des autorités, c’est que notre société va mal. Très mal! Que reste-t-il de nos repères, de nos valeurs et surtout de notre humanisme? Comment pourrait-on résister - puisque c’est de cela qu’il s’agit - dans un monde en manque d’harmonie et de sécurité quand le moindre pas derrière nous nous fait sursauter, quand on sait que la rue peut s’ameuter au moindre geste, au moindre propos et s’improviser juge et bourreau ? n 6 MAROC diplomatique NATION AVRIL 2016 ENTRETIEN AVEC M’BARKA BOUAIDA La mission initiale de la Minurso pour un référendum n’est plus d’actualité L a tempête diplomatique provoquée par les propos que Ban Ki-moon , secrétaire général des Nations unies, a prononcés lors de sa visite, début mars à Tindouf et Alger, l’usage des termes comme « occupation », « autodétermination », le salut au « drapeau » du polisario, la partialité affichée dans son comportement, la grave et volontaire omission des exactions et violences exercées dans les camps de Tindouf contre les citoyens séquestrés et empêchés de regagner le Maroc, son parti pris contre le Maroc, n’en finissent pas de faire couler de l’encre et d’inspirer commentaires et critiques. Une vague d’indignation a frappé à la fois le gouvernement et le peuple du Maroc, qui a massivement dénoncé à l’intérieur du pays comme à l’étranger une attitude plus que La force de notre pays réside dans notre cohésion sociale, notre cohérence politique, notre développement économique, et bien entendu la vision stratégique hors du commun mise en œuvre par Sa Majesté le Roi. C’est ainsi que le Maroc a exprimé, dès le début, son étonnement et demandé aux instances concernées de l’UE de prendre les mesures appropriées en vue de trouver une issue définitive au dossier relatif à l’arrêt du Tribunal européen du 10 décembre 2015. l Maroc diplomatique : Madame la Ministre Déléguée, le Maroc gère depuis quelques semaines maintenant deux grands dossiers conflictuels : le premier avec l’Union européenne suite à la dénonciation, fin décembre dernier, par son tribunal d’une partie des Accords agricoles. L’autre avec Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies qui a offensé notre pays par ses propos, sa partialité avérée, et son parti-pris dans l’affaire de notre intégrité territoriale. Comment expliquez-vous cette étrange conjonction entre les deux affaires ? - Mme M’Barka Bouaida : Tout d’abord, je voudrais vous rappeler que le Maroc est l’un des pays les plus stables et prospères, ce qui en fait un partenaire d’exception dans un contexte régional marqué par l’instabilité sur base de crises politiques. Je tiens également à souligner que le Maroc a su développer des partenariats de qualité avec plusieurs pays et organisations mondiales. Nous avons un partenariat exceptionnel avec l’Union européenne, à travers l’Accord d’association et le Statut avancé, nous avons mis en place un dialogue stratégique de haut niveau avec les Etats-Unis, et surtout avec une feuille de route très ambitieuse, nous développons au quotidien, également, des exemples concrets de coopération Sud-Sud, et bien entendu, nous contribuons activement aux opérations de maintien de paix, à travers le monde, aux côtés des autres forces des Nations unies. Cette vision marocaine, enviée, ainsi que le rôle stabilisateur de notre pays sont dérangeants pour certaines parties. Je vous l’affirme, le Maroc qui se distingue dérange ! Les deux dossiers auxquels vous faites mention, ont finalement les mêmes origines et les mêmes cibles avec un modus operandi similaire, celui de multiplier les attaques contre notre pays par tous les moyens et à tous les niveaux. Néanmoins, comme vous avez pu vous en rendre compte, face à certaines parties malveillantes mais au demeurant très minoritaires, le Maroc ne tergiverse pas avec les intérêts suprêmes de la Nation. Nous rejetterons vigoureusement toute suren- complice avec le gouvernement algérien. Le Maroc avait, par deux fois, invité Ban Ki-moon à se rendre à Rabat. Par deux fois, également, le secrétaire général des Nations unies s’est défaussé, préférant en effet s’aligner sur l’agenda plus que controversé, douteux même du gouvernement algérien. Non content de dénoncer un alignement condamnable qui constitue un manquement au credo des Nations unies, le Maroc a tenu en revanche à préciser solennellement qu’il n’existe pas de crise ou de malentendu avec l’ONU, mais avec son secrétaire général dont le mandat s’achève en décembre prochain. Le Maroc a toutefois exigé le départ du Sahara de 83 membres de la Minurso appartenant à la composante civile et politique de ce corps censé, en vertu de l’accord de cessez-le-feu de 1991, assurer la sécurité et contribuer à l’organisation d’un référendum. Sauf que la composante politique de cette même Minurso s’est employée à embrigader des jeunes dans les rangs du polisario et à attiser les feux.. Comment le gouvernement marocain a géré et gère encore ce tournant ? Quels ont été ses recours face à une dérive manifeste d’un secrétaire général de l’ONU, apparu subitement, comme un potentiel fossoyeur du Plan d’autonomie que le Maroc a proposé et soutenu ? Mme M’Barka Bouaida , ministre déléguée aux Affaires étrangères et à la coopération, qui a suivi attentivement, pas à pas l’évolution de ce dossier, nous en donne la teneur dans l’entretien que nous publions ci-dessous. Mme M’Barka Bouaida, ministre délégué aux Affaires étrangères. chère sur notre intégrité territoriale. La force de notre pays réside dans notre cohésion sociale, notre cohérence politique, notre développement économique, et bien entendu la vision stratégique hors du commun mise en œuvre par Sa Majesté le Roi. C’est ainsi que le Maroc a exprimé, dès le début, son étonnement et demandé aux instances concernées de l’UE de prendre les mesures appropriées en vue de trouver une issue définitive au dossier relatif à l’arrêt du Tribunal européen du 10 décembre 2015. Notre message a été des plus clairs et s’est traduit, pendant une période, par la suspension de tout contact et toute coopération avec l’UE, en attendant des éclaircissements de nos partenaires. L’UE, à l’unanimité, a fait appel, et Mme Federica Mogherini, lors de sa dernière visite à Rabat, a bien exprimé l’appui total et absolu de l’UE au Maroc . Elle a rejeté l’arrêt de la Cour européenne considéré comme non fondé. L’UE nous a fourni les assurances et garanties nécessaires pour mener à bien ce dossier. Nous déployons tous nos efforts pour trouver une solution définitive à ce différend, à travers une mobilisation diplomatique bien coordonnée entre différentes institutions. Au sujet du différend avec le Secrétaire général de l’ONU, il faut savoir que le Maroc a toujours entretenu des relations professionnelles et constructives avec toutes les instances onusiennes, incluses toutes les personnes ayant occupé le poste de secrétaire général. Cependant, nous avons tous été choqués par les propos tenus par l’actuel Secrétaire général de l’ONU lors de sa visite dans la région. Ils sont inadmissibles à plus d’un titre et le Maroc l’a fait savoir de façon ferme et énergique. Bien évidemment, il était clair que la tournée régionale devait être en principe une contribution constructive au processus. Le Maroc est pleinement inscrit dans le processus onusien pour trouver une solution politique. Il a proposé depuis 2007 le Plan d’autonomie que la communauté internationale et le Conseil de sécurité qualifient « d’initiative sérieuse et crédible » pour un règlement politique juste, durable et mutuellement acceptable par les parties. MAROC diplomatique NATION AVRIL 2016 11 Mme Bouaida en compagnie de Mme Federica Mogherini. Mme Bouaida en compagnie de MM. Christopher Ross et Salaheddine Mezouar. Mais malheureusement, les dérapages inacceptables qui ont été constatés ont fait que le responsable onusien s’est départi de deux conditions liées à la fonction d’un secrétaire général de l’ONU à savoir : la neutralité et l’impartialité. Je rappelle que s’agissant de la question de l’intégrité territoriale, les Marocains dans leur ensemble, ne laisseront jamais quiconque leur imposer un diktat qui serait influencé par des considérations contraires à la réalité. Le Maroc continuera à exiger la neutralité et l’impartialité dans la gestion de ce dossier, et évidemment nous ne tolérerons aucun dépassement. lL’annulation plus ou moins officielle de la visite de Ban Kimoon au Maroc prévue initialement en juillet prochain, aura-telle selon vous des conséquences sur l’évolution du dossier du Sahara ? - L’évolution du dossier est entre les mains du Conseil de sécurité. Le Maroc est pleinement inscrit dans le processus onusien pour trouver une solution politique. Il a proposé depuis 2007 le Plan d’autonomie que la communauté internationale et le Conseil de sécurité qualifient « d’initiative sérieuse et crédible » pour un règlement politique juste, durable et mutuellement acceptable par les parties. Depuis, nous travaillons aux cotés des pays amis et partenaires pour défendre notre position, surtout que le Maroc est connu pour tenir ses promesses et remplir ses engagements. Sur le terrain, la régionalisation avancée basée sur le renforcement des prérogatives régionales et des compétences locales et régionales, le modèle de développement des Provinces du Sud, et le programme d’investissement lancé par SM le Roi à Lâayoune sont des éléments précis de la vision royale pour une solution définitive à cette question. l Dans trois semaines, fin avril, le Secrétaire général des Nations-unies soumettra, comme à l’accoutumée, son rapport sur cette affaire. Y a-t-il un moyen de savoir ou de subodorer un tant soit peu le contenu de ce rapport ? Autrement dit, pensez-vous qu’il pourrait éventuellement comporter une prise de position hostile au Maroc, ou inspirée des manœuvres dilatoires algériennes ? - Nous avons toujours voulu, pour des raisons évidentes, un rapport concis et factuel qui soit en phase avec la réalité, et non un document orienté politiquement qui ne serait d’aucune utilité si ce n’est créer des dissensions et nuire au processus. D’ailleurs, le Secrétaire général s’était lui-même engagé dans ce sens, lors de l’entretien téléphonique avec Sa Majesté le Roi en janvier 2015. Le Maroc continuera à exiger la neutralité et l’impartialité dans la gestion de ce dossier, et évidemment nous ne tolérerons aucun dépassement. l Qu’est-ce qui explique, d’après vous, l’alignement du secrétaire général des Nations unies sur les thèses algériennes et notamment au niveau du langage et des mots comme « occupation », « colonisation », au niveau de la symbolique comme le « V » de la « victoire », le salut du drapeau, en contradiction totale avec l’éthique qui devrait présider à son mandat ? - Nous voudrions croire, qu’un homme de la posture d’un Secrétaire Général ne se départirait d’aucune façon de son impartialité. Néanmoins et malgré les assurances auxquelles il s’est engagé et les justifications présentées, il n’en demeure pas moins que les termes utilisés et certains actes, nous le répétons, sont inadmissibles et même dangereux selon leurs interprétations. Je tiens á souligner la gravité que représente la visite du SG á Bir Lahlou le 5 Mars dernier. En effet, la visite de cette localité marocaine, constitue un développement dangereux puisque cela revient à considérer Bir Lahlou comme une extension de Tindouf; en procédant de la sorte, le secrétaire général de l’ONU a consacré une division du territoire, et en agissant ainsi, il a essayé de changer le statut de cette zone tampon. C’est pourquoi, nous dénonçons un fait inacceptable et incompréhensible et même, très grave et dangereux. D’autant plus qu’il a commis, comme je l’ai souligné précédemment, plusieurs omissions : il n’a pas parlé de la situation de non-droit qui prévaut dans les camps de Tin- Il serait judicieux de dire que le Secrétaire général méconnaît ce dossier et ses réalités, sinon il aurait mesuré l’ampleur de ses mots et ses actes et aurait souhaité préserver l’image légitime de médiation des Nations unies et de son rôle dans le processus de négociations entre les parties. Le Maroc, sous le leadership éclairé de Sa Majesté le Roi, continuera sans relâche, à défendre sa première cause, le Sahara, par la mobilisation de toutes les forces vives du Royaume. La diplomatie, à travers ses hommes et ses femmes et leur abnégation, s’attelle à préserver les intérêts du Maroc et des Marocains dans le monde. douf. Il n’a pas non plus évoqué la question des violations massives des droits de l’Homme dans les camps de Tindouf en Algérie, le détournement avéré depuis quatre décennies, de l’aide humanitaire internationale destinée aux populations de ces camps, ou encore l’impératif du recensement de ces populations auquel il a lui-même appelé dans plusieurs de ses rapports. Ce fait inédit, avec ses conséquences actuelles, n’enlève rien au fait que le Maroc est dans son droit le plus légitime. De par sa proposition pour la résolution de ce différend, à travers le Plan d’autonomie comme seule solution, il ne laissera aucune partie entraver ses engagements, son développement et porter et que soit porté atteinte à son intégrité territoriale et aux sentiments de sa population. La réaction du Maroc, populaire d’abord, ensuite politique par une série de mesures appliquées immédiatement comme le renvoi de 83 membres civils de la Minurso et l’arrêt de la contribution financière de 3 millions de dollars à celle-ci, vous semble-t-elle justifiée et nécessaire, constitue-t-elle une réponse appropriée ? Cette réaction, ou plutôt ces réactions, ne sont que le fruit d’une attitude qui a blessé la sensibilité de l’ensemble des Marocains. Dès qu’il s’agit de l’intégrité territoriale, la société civile, les partis politiques, les syndicats, les élus, la population et plus généralement toutes les composantes de la société marocaine mettent en avant leur marocanité dont ils ne sauraient aucunement se départir. Plus de 3 millions de marocains à Rabat, 180.000 à Lâayoune et des milliers et milliers de personnes de tout âge et de toute sensibilité à travers le Royaume et certaines villes du monde, ont manifesté leur incompréhension face à ces malheureux dérapages, ressentis comme des attaques personnelles par chacun de nos concitoyens. Naturellement, le Maroc a pris les dispositions qu’il fallait : le gouvernement a publié un communiqué dans lequel il marque sa dénonciation ferme et son rejet total des propos inadmissibles et de ses actions condamnables de M. Ban Ki-moon au sujet de la question du Sahara marocain. Ce communiqué a considéré que de tels agissements sont incompatibles avec les responsabilités et la mission du Secrétaire général, qui l’astreignent à un devoir d’objectivité, d’impartialité et au respect du référentiel établi par les organes de l’ONU. Etant donné les conséquences graves de ces dérives dangereuses et la situation actuelle, le Maroc a répondu également par une réduction de la composante civile de la Minurso, dont la mission initiale d’organiser le référendum, n’est plus d’actualité, et ce, depuis la proposition soumise par le Maroc au Conseil de sécurité du plan d’autonomie. Le Maroc a également décidé l’annulation de la contribution volontaire qu’il accorde au fonctionnement de la Minurso. l Comment la diplomatie marocaine envisage-t-elle la défense du dossier du Sahara et de manière générale, de nos thèses et de notre projet de société face à nos détracteurs, notamment algériens ? - Le Maroc, sous le leadership éclairé de Sa Majesté le Roi, continuera sans relâche, à défendre sa première cause, le Sahara, par la mobilisation de toutes les forces vives du Royaume. La diplomatie, à travers ses hommes et ses femmes et leur abnégation, s’attelle à préserver les intérêts du Maroc et des Marocains dans le monde, à promouvoir l’image de notre pays et ses multiples atouts, aussi bien au niveau bilatéral et multilatéral. Il conviendrait de souligner que la diplomatie parlementaire, les ONG, la Société civile et les Marocains du monde, ont fait de nouveau preuve de patriotisme, d’efficacité et de militantisme et je les appelle à maintenir leurs efforts pour soutenir la diplomatie officielle dans la défense des intérêts supérieurs du Royaume. n Propos receuillis par Hassan Alaoui 8 MAROC diplomatique NATION AVRIL 2016 COP22 DE MARRAKECH Quand la dimension politique et citoyenne interpelle les Etats L Mohamed Abdi (*) a conférence de Paris (COP 21) s’est achevée le 12 décembre 2015 par un accord international salué comme historique qui sera formalisé le 22 avril, lors du Sommet de New York. Si ce texte est en très grande partie non contraignant, les représentants de 195 pays se sont engagés à partir de 2020 à limiter le réchauffement de la planète à moins de 2°C, et à tenter de ne pas dépasser 1,5°C. Mais le succès diplomatique de l’accord de Paris, chef d’œuvre en matière de compromis historique, a occulté la faiblesse du texte où de nombreux points restent encore vagues. La Cop 22, qui aura lieu à Marrakech au mois de novembre prochain, sera donc cruciale dans l’implémentation et le suivi de l’Accord de Paris pour définir des outils et des mécanismes devant contraindre les parties à respecter, à partir de 2020, leurs engagements pris à Paris. Il faut maintenant préciser les contours de l’accord, le compléter et l’améliorer. La COP de Marrakech sera en cela la COP de la clarification et « le chemin de l’audace et de l’avenir ». Les pays développés doivent continuer à réduire le volume de leurs émissions de GES, les pays en développement peuvent encore les augmenter, mais devront eux aussi inverser ensuite, et rapidement, la tendance pour qu’à partir du milieu du siècle les émissions nettes soient nulles; autrement dit, à partir de 2050, les émissions de GES ne devront pas dépasser le niveau de ce que peuvent absorber la nature et les instruments de stockage de CO2 conçus par l’homme. Les trois engagements majeurs du document signé le 12 décembre Dans le chapitre « Atténuation » (page 6/paragraphe 36) : « Les parties s’engagent à communiquer d’ici à 2020 leurs stratégies de développement à faible émission de gaz à effet de serre à long terme pour le milieu du siècle. » C’est l’un des points clés qui devrait permettre de savoir en 2020 quels seront les objectifs espérés en termes de réduction d’émissions. «Financement» (page 18/paragraphe 115) : « la COP demande fermement aux pays développés d’amplifier leur aide financière en suivant une feuille de route concrète afin d’atteindre l’objectif consistant à dégager ensemble 100 milliards de dollars par an d’ici 2020. » C’est un point essentiel que celui de la contribution financière des pays développés pour aider les pays émergents et vulnérables à réduire leurs propres émissions. Dans l’Annexe (page 23), on relève aussi que « les parties reconnaissent la priorité fondamentale consistant à protéger la sécurité alimentaire et à venir à bout de la faim, et la vulnérabilité particulière des systèmes de production alimentaire aux effets néfastes des changements climatiques. Replacer en priorité absolue la satisfaction des besoins alimentaires de la planète constitue un rappel important de l’ordre des priorités qu’il convient de respecter. » Les avancées de la COP21 Le protocole de Kyoto ne prévoyait que des engagements pour les pays développés. Maintenant, il est acquis que tous les pays doivent participer à l’action avec des «responsabilités communes, mais différenciées». La signature d’un accord contraignant pour 195 États prêts à s’engager sur une voie vertueuse afin de limiter l’élévation moyenne des températures de la planète constitue en soi une performance. L’objectif de maintenir l’élévation de température nettement en dessous des +2°C qui figure dans l’article 2 est un objectif très ambitieux et les moyens d’y parvenir restent à mettre en place. Vouloir réunir 100 milliards de dollars par an pour aider au développement énergétique vertueux des pays émergents et vulnérables constitue une vraie avancée. L’accent est mis sur l’éducation, la formation, la recherche et l’innovation ainsi que le transfert de technologie. Chacun doit apporter sa contribution, qui sera revue tous les cinq ans, sachant que chaque contribution devra être meilleure que la précédente. Reconnaissance des responsabilités communes mais différenciées des pays : le texte d’accord grave dans le marbre l’idée que les efforts à fournir ne sont pas les mêmes en fonction du degré de développement et d’industrialisation des pays. Les pertes et dommages irréversibles pour les populations déjà concernées par le réchauffement climatique sont reconnus. C’est une avancée car ce point était bloqué par les Etats-Unis depuis le début des négociations climatiques. Objectifs Contenir la hausse de la température moyenne de la planète «nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels». Les pays développés doivent continuer à réduire le volume de leurs émissions de GES, les pays en développement peuvent encore les augmenter, mais devront eux aussi inverser ensuite, et rapidement, la tendance pour qu’à partir du milieu du siècle les émissions nettes soient nulles. Autrement dit, à partir de 2050, les émissions de GES ne devront pas dépasser le niveau de ce que peuvent absorber la nature et les instruments de stockage de CO2 conçus par l’homme. Chaque pays est incité à ne pas attendre la date d’entrée en vigueur de l’accord (début 2020 au plus tôt, si suffisamment de pays l’ont ratifié) pour accélérer ses efforts. Il est prévu également de coopérer pour arriver à une mutualisation du risque face aux «pertes et préjudices» liés aux effets néfastes des changements climatiques (beaucoup de choses restent à préciser en ce domaine). L’accord de Paris, c’est une somme d’actions à engager dès maintenant qui forment un ensemble cohérent. Les faiblesses de l’accord de Paris Venons en aux faiblesses de l’accord de Paris : L’accord de Paris n’est pas « l’accord rêvé » parce qu’il ne dit pas explicitement comment faire pour tenir ces objectifs, tant du point de vue des instruments pour réduire les émissions (aller vers 100% d’énergies renouvelables à la moitié du siècle notamment) que du point de vue des financements post-2020 pour les pays les plus vulnérables au changement climatique. On sait que la somme de ces contributions conduit, si elles sont vraiment respectées, à un réchauffement au-dessus de 3°C. On sait également qu’afin d’atteindre l’objectif des 2°C, il faudrait diminuer les émissions de 70 % à l’horizon 2050 puis les amener vers zéro à partir de 2070. L’accord dit simplement que les parties feront leurs efforts pour atteindre un pic d’émissions aussitôt que possible. On renvoie à des réunions ultérieures l’amélioration des valeurs de ces contributions nationales. L’accord offre la possibilité de passer de l’irresponsabilité actuelle à une responsabilité qui nous évite le chaos, mais sans dire clairement qu’il faut « décarboniser » l’économie réelle. Alors que l’idée de la conférence était de donner au moins quelques points de repère datés, plus d’un observateur aura été surpris de voir que la date de 2020 pour le pic des émissions s’est réduit en un «plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais». Les réductions des émissions relatives aux engagements des pays notamment les plus pollueurs ne sont ni identifiées ni chiffrées et le calendrier prévisionnel de ces réductions ne sera connu au mieux qu’en 2020. Financement imprévisible : L’accord reprend l’objectif d’un « fonds vert » de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Il doit servir à financer les projets des pays en développement en matière de réduction des émissions et d’adaptation au changement climatique. Mais l’accord ne détaille pas l’origine ni la forme de cet argent. Les pays contributeurs et les montants des contributions financières ne sont pas identifiés et ne le seront probablement pas avant 2020. Or sans contribution financière significative pour aider les pays émergents à aborder leur transition énergétique, l’accord de 2015 risque de rester inopérant. La notion de « pertes et dommages » est très limitée car l’accord dit explicitement que «l’article 8 ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation» des pays pauvres par les principaux pays responsables du changement climatique. Parmi les grosses faiblesses de l’accord, beaucoup d’ONG ont relevé la très grande réussite qu’ont eue les multinationales à faire échapper des pans entiers de l’économie mondiale à cette cure de sobriété énergétique. Nulle trace de taxations sur les transports aériens et maritimes qui sont pourtant responsables de 10% des émissions de gaz à effet de serre. De façon plus stupéfiante, le secteur de l’agrobusiness s’en sort bien avec la disparition de toute mention à la « sécurité alimentaire » au profit de la « production alimentaire ». Les droits de l’homme comme l’importante question de la protection des déplacés environnementaux ont été relégués dans les préambules. On pourra se souvenir que le jeudi 10 décembre 2015 (le jour anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme) les délégations russes et saoudiennes ont réussi à reléguer et déconstruire ainsi la mention relative aux «droits de l’homme» clairement définie au départ dans l’article 5.3. La référence figure désormais dans les préambules d’une façon beaucoup moins contraignante. La reconnaissance qui était aussi faite aux déplacés environnementaux et qui aurait ouvert une voie à la reconnaissance de leur statut a notamment disparu dans le même mouvement avec une simple référence au mot «migrants» dans un paragraphe fourre-tout des préambules. La Cour Suprême américaine a décidé de suspendre le Clean Power Plan (CPP) du président Obama imposant aux centrales électriques des réductions draconiennes de leurs émissions de CO2, de Parmi les grosses faiblesses de l’accord, beaucoup d’ONG ont relevé la très grande réussite qu’ont eue les multinationales à faire échapper des pans entiers de l’économie mondiale à cette cure de sobriété énergétique. Nulle trace de taxations sur les transports aériens et maritimes qui sont pourtant responsables de 10% des émissions de gaz à effet de serre. 32% d’ici 2030 par rapport à 2005. Cet ensemble de mesures fédérales était au cœur des engagements présentés par les Etats-Unis au début pour préparer la conférence climat de Paris et parvenir à l’accord adopté mi-décembre dernier par 195 pays. L’accord apparaît comme une succession de bonnes intentions et de déclarations de principe qui reflètent, sans doute, les difficultés d’obtenir un engagement ferme des parties dès 2015. La contribution du Maroc à la COP21 A l’ouverture de la COP21, le Maroc a rehaussé les ambitions de sa contribution nationale. Le Roi Mohammed VI a confirmé le passage à 52% de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique à partir de 2030, au lieu de 42% comme c’était prévu. les subventions aux énergies fossiles son levées et la libéralisation du prix à la pompe est acté. Le Maroc parle de «climate chance» et pas de «climate change». Le Maroc en fait une cause nationale et construit sa politique de développement durable autour d’un facteur qui est structurel et que les Marocains connaissent depuis cinquante ans. Dans sa contribution nationale, le Maroc s’engage à réduire de 32% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dont 19% sont conditionnés à des financements internationaux, venant des pays du Nord. Les financements n’existent pas encore mais le Maroc pense que l’argent se trouve dans le secteur privé et dans les multinationales. La société civile, les territoires, les entreprises vont plus loin et plus vite que les Etats. En 2014, les entreprises privées ont investi 250 milliards de dollars dans les énergies renouvelables. Si on parle des territoires, il y a des villes maintenant avec des quartiers à énergie positive. Demain, ils n’auront plus besoin des Etats. Déclaration de Mohammed VI lors de la COP21 de Paris Mohammed VI a rappelé la stratégie en faveur du climat entamée par le Maroc «depuis plus d’un demi-siècle», et notamment la politique des barrages mise en œuvre depuis le début des années 60 par Feu Sa Majesté Hassan II. MAROC diplomatique NATION AVRIL 2016 9 Leader dans le continent africain, le Maroc est appelé aussi à fédérer l’ensemble des pays africains pour entrer dans ce cercle vertueux d’avoir des économies faibles en carbone voire décarbonées. Photo-souvenir des chefs d’Etat et de gouvernement à la COP21. Le Maroc défend également un tourisme durable, respectueux de l’environnement et des valeurs du développement durable, à travers des engagements forts. Ainsi, aucun golf ne peut être construit sans unité de recyclage des eaux usées ; 23 plages sont déjà labellisées «Pavillon Bleu» ; la médina de Fès bénéficie d’un ambitieux programme de restauration des monuments historiques ; l’Écolodge Atlas Kasbah d’Agadir vient d’être couronné meilleur hôtel du monde pour la valorisation locale. « Conscient de l’importance de cet acquis structurel et central pour l’avenir du Maroc, nous avons veillé à son renforcement, ce qui a permis au royaume de se doter de 140 grands barrages classés, dont près du tiers ont été construits au cours des 15 dernières années ». Le Maroc a aussi « mis en place et défendu, non sans difficultés, lors des négociations avec ses partenaires, une politique de pêche responsable pour protéger ses ressources halieutiques ». La Charte de l’Environnement, le Plan Maroc Vert, le Plan d’Investissement Vert, l’interdiction des OGM ou encore la récente loi sur les déchets plastiques, « sont autant d’expressions de cette mobilisation et de cette cohérence ». « Le Maroc est devenu plus récemment l’un des acteurs majeurs de la transition énergétique dans le monde et plus particulièrement sur le continent africain ». « Le continent africain mérite une attention particulière en tant que continent d’avenir ». « Le Maroc est devenu l’un des acteurs majeurs de la transition énergétique dans le monde et plus particulièrement sur le continent africain », a déclaré le roi du Maroc lors de l’ouverture de la COP21. Le pays veut devenir un chef de file en Afrique et « donner l’exemple» sur les énergies renouvelables mais aussi l’interdiction des OGM et des sacs plastiques. La conférence de Paris et celle que le Maroc accueillera dans un an à Marrakech, seront les « conférences fondatrices du futur que nous avons le devoir et la responsabilité de léguer à nos enfants ». Le défi de la COP22 à Marrakech Après la COP 21 de Paris, la COP 22 se réunira à Marrakech en décembre 2016. En choisissant d’organiser ses retrouvailles annuelles au cœur du Royaume chérifien, la communauté internationale a voulu aussi mettre à l’honneur un pays écologiquement exemplaire, c’est-à-dire un modèle qu’il faut suivre impérativement si l’on veut assurer une croissance durable pour les prochaines décennies. Le Maroc n’a pas attendu qu’on lui confie l’organisation de la COP 22 pour se distinguer comme l’un des acteurs majeurs africains de la lutte contre le réchauffement climatique et dans la préservation de l’environnement. Déjà organisateur de la COP 7 en 2001, le royaume s’est engagé bien avant la COP 21 à limiter ses émissions de gaz à effet de serre, en les réduisant de 13% d’ici 2030, par rapport à 2010. Le Plan national de l’Eau initié par le Maroc en 2013 avait, par exemple, pour objectif de répondre à cette situation de stress hydrique préoccupante. Parmi les actions qu’il préconisait, le dessalement de l’eau de mer, le captage des eaux de pluie, la déminéralisation des eaux saumâtres et la réutilisation des eaux usées épurées, devaient permettre d’y remédier un minimum. On notera également que le Maroc fut le deuxième pays africain, après le Gabon, à s’engager à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Le pays s’était fixé l’objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 13% en 2030, avec une possibilité de réduction additionnelle de 19% sous réserve d’un appui financier international, qui porterait ainsi l’effort de réduction à 32% à l’horizon 2030. D’après l’ONG Climate Action Tracker, le Maroc se classe comme quatrième pays le plus écologique du monde, derrière le Bhoutan, le Costa Rica et l’Éthiopie. Le Maroc peut déjà se prévaloir de réalisations exemplaires en matière d’écologie : - Le plus grand parc éolien d’Afrique inauguré l’année dernière à Tarfaya ; à Ouarzazate, mise en service prochaine de la plus grande ferme solaire au monde ; plus d’1 million de personnes bientôt logées dans des cités vertes… - L’ambitieux plan de développement des énergies renouvelables : construction d’une gigantesque centrale solaire thermodynamique dans le sud du Maroc près d’Ouarzazate, baptisée Noor, 7ème centrale de ce type dans le monde. La centrale solaire n’est que le début d’un projet pharaonique géré par l’Agence marocaine de l’énergie solaire. Deux autres centrales solaires thermodynamiques (Noor II et III) et une autre photovoltaïque sont incluses dans les plans de l’Agence marocaine de l’énergie solaire sur une étendue de 2 500 hectares, soit une capacité dépassant les 500 MW. A terme, le projet Noor constituera de loin le plus grand complexe solaire du monde. « Le Maroc est en passe de marquer l’histoire lorsque la première phase de l’un des plus grands parcs solaires du monde commence à générer de l’électricité », se réjouit la Banque mondiale. - La compagnie des eaux de Marrakech (RADEEMA) récupère le méthane qui se dégage des eaux usées, et le transforme pour booster l’alimentation en électricité de l’agglomération. Elle évite ainsi de rejeter dans l’atmosphère l’équivalent d’au moins 60 000 tonnes de carbone par an. Par ailleurs, les eaux ainsi nettoyées servent à arroser les parterres et terrains de golf qui font la réputation de Marrakech. Cette performance, reconnue officiellement par les Nations Unies, illustre, de manière éclatante, le rôle pionnier que joue désormais le Maroc dans la lutte contre le changement climatique. Du côté des transports, les préoccupations environnementales se concrétisent. Les lignes de tramways qui se multiplient : deux entre Rabat et Salé, une à Casablanca et trois en projet à Marrakech, Tanger et Fès. Et le programme de TGV qui verra l’entrée en service de la première ligne, entre Tanger et Casablanca dès 2017. En matière d’urbanisme, les villes nouvelles de Tamansourt et Tamesna, ainsi que les chantiers de Sahel-Lakhiayta et de Chrafat, programme de cités vertes, offrent d’ores et déjà, ou vont offrir, avant 2020, des logements écologiques pour près d’1 200 000 habitants. Le Maroc défend également un tourisme durable, respectueux de l’environnement et des valeurs du développement durable, à travers des engagements forts. Ainsi, aucun golf ne peut être construit sans unité de recyclage des eaux usées ; 23 plages sont déjà labellisées « Pavillon Bleu » ; la médina de Fès bénéficie d’un ambitieux programme de restauration des monuments historiques ; l’Écolodge Atlas Kasbah d’Agadir vient d’être couronné meilleur hôtel du monde pour la valorisation locale. Ces exemples sont parmi les multiples réalisations fortes qui positionnent le Maroc à la pointe du Continent africain, et peut-être même de la planète, en matière de technologies vertes. Toutes ces innovations « bas carbone » relèvent d’une stratégie volontaire de développement durable à laquelle participent tous les secteurs de l’économie du pays, notamment l’agriculture, le bâtiment, les transports, l’aménagement du territoire, et bien sûr le tourisme. L’objectif est d’assurer l’essor économique grâce à une croissance équilibrée qui évite autant que possible l’exode rural et les maux qui l’accompagnent : la généralisation de bidonvilles encombrés de populations déracinées, foyers de pollutions en tous genres. L’action et la mobilisation citoyenne seront déterminantes pour engager la transition Au regard des faiblesses de l’Accord de Paris, l’ensemble des citoyens et de la société civile doit se mobiliser pour le climat à tous les échelons territoriaux, au sein des associations, ONG, collectifs ou mouvements écologistes et citoyens qui, chacun à leur manière et à leur niveau, travaillent au renforcement des alternatives citoyennes et initiatives de transition dans les territoires; à la pression sur les entreprises et les États ; à la construction d’un rapport de force permettant de gagner des batailles décisives pour le climat dans les années à venir. On citera comme initiative : la Coalition marocaine pour la justice climatique. Cette initiative s’inscrit dans le prolongement et la convergence des actions menées depuis des décennies par les associations marocaines et internationales de protection de l’environnement, contre la désertification, la préservation des ressources en eau, et la protection de la biodiversité et pour une gestion équitable des ressources naturelles. Cette coalition met en avant l’importance capitale qui échoit à la COP22 : l’occasion d’amplifier de manière significative la conscientisation de la société marocaine aux enjeux environnementaux et changements climatiques et leurs conséquences pour l’avenir du Maroc. Leader dans le continent africain, le Maroc est appelé aussi à fédérer l’ensemble des pays africains pour entrer dans ce cercle vertueux d’avoir des économies faibles en carbone voire décarbonées. Le Royaume occupe depuis plus de 50 ans une position de leader au sein du continent. La coopération entre le Maroc et ses partenaires africains a connu plusieurs temps forts : celui de la coopération militaire, celui de la coopération politique, avant d’entrer dans l’ère de la coopération économique depuis la fin des années 1990. Aujourd’hui vient le temps de la coopération en matière de préservation de l’environnement pour les générations futures. L’Afrique détient les meilleures ressources d’énergies renouvelables au monde. Par-dessus son potentiel considérable en matière de production hydraulique et géothermique, le continent bénéficie d’abondantes radiations solaires tout au long de l’année. En amont de la COP 22, qui se tiendra en 2016 à Marrakech, d’autres partenariats, à destination notamment de la Côte d’Ivoire et du Nigeria, sont en cours pour un transfert de technologie ou une aide à la construction en Afrique subsaharienne. En choisissant d’organiser sa prochaine Conférence des Présidents en novembre 2016 au Maroc, juste à la veille de la COP 22 (Conférence des Nations-unies sur les changements climatiques), prévue dans le Royaume, l’Union des parlementaires africains (UPA) veut signifier toute sa mobilisation derrière le Maroc en tant que porte-étendard des préoccupations environnementales du continent et avocat de ses grandes causes. Le Maroc, sous l’impulsion et le leadership du Roi Mohammed VI, possède une importante crédibilité internationale pour reprendre le relais et le flambeau de la France, afin de concrétiser et de viabiliser les espoirs nés de la Cop 21. Marrakech devra arrêter le chemin, le consolider et s’assurer que tout le monde l’emprunte. La COP22 offre aussi l’occasion de renforcer le débat public sur l’ensemble des enjeux liés à l’environnement et au climat (eau, déchets, préservation de la biodiversité, désertification, pollutions, etc.), d’évaluer les politiques publiques en la matière en vue de donner un nouvel élan sur une question vitale pour l’avenir des populations, d’autant plus que le Maroc est engagé dans des programmes ambitieux dans le domaine des énergies renouvelables et non fossiles. La COP22 constitue une opportunité pour accélérer la prise de conscience des citoyens, pour faire pression sur les Etats pollueurs, les autorités publiques et les entreprises pour des actions et des mesures concrètes, tant sur le plan national qu’international. C’est aussi l’occasion pour contribuer à l’élaboration de propositions sur des thématiques nouvelles comme genre et climat, les réfugiés climatiques, la place et rôle des jeunes dans la protection de l’environnement. Eu égard aux éléments ci-dessus, on comprendra aisément que la cop 22 ne se résume pas seulement à un événement prestigieux. c’est un rendez crucial à même de faire accéder le Maroc au niveaux supérieur. Ce rendez-vous doit donner de l’éclat et des reliefs à la dynamique en cours au Maroc pour l’inscrire définitivement dans la bonne gouvernance, la démocratie et l’Etat de droit. Dans ce nouveau paradigme qui s’ouvre à nous tous ; l’éducation à l’environnement doit être le point cardinal de la citoyenneté. n (*) Mohamed Abdi, ancien membre du Cabinet François Fillon, ancien Premier ministre français. 10 MAROC diplomatique NATION AVRIL 2016 EN MARGE DE LA PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DE BMCE BANK OF AFRICA Othman Benjelloun, des décennies d’engagement et un discours fondateur C’est le lundi 28 mars que le management du groupe BMCE a présenté les résultats financiers au titre de l’exercice 2015. Le RNP du groupe est de près de 2 milliards de dirhams, résultat d’autant plus honorable qu’il incline ses dirigeants à dire que les objectifs du plan stratégique 2012-2015 ont été atteints. Outre l’analyse et les commentaires accompagnant cette présentation, Othman Benjelloun, Président de BMCE Bank of Africa a prononcé un discours d’une teneur exceptionnelle, où les mots et le langage ont suscité émotion et adhésion. Un discours fondateur au magistère inhabituel qui a constitué une étape significative dans la vie du groupe BMCE Bank et que nous publions ci-dessous pour son intérêt et sa force. «B ismillah Arrahman, Arrahim. C’est un réel plaisir de vous retrouver aussi nombreux dans notre Auditorium pour la présentation des résultats annuels du Groupe BMCE Bank Of Africa. Comme à l’accoutumée, sont présents les Cadres de notre Groupe, les représentants de la Presse et les Analystes. Permettez que je m’adresse à ces derniers. Messieurs les Représentants de la Presse et les Analystes, Votre regard aiguisé de l’actualité, vos analyses et votre opinion comptent beaucoup à nos yeux. Ils comptent pour façonner l’opinion publique marocaine et internationale sur la réalité d’un Groupe Privé de racines marocaines, de vocation internationale et d’ambition panafricaine. Votre travail d’analystes compte pour refléter l’environnement dans lequel évolue ce Groupe, l’environnement économique et social- je dirai même -politique, ici au Maroc et dans les régions de nos implantations à l’étranger. Votre regard compte pour contribuer à renforcer le climat de confiance à la base duquel se trouve tout acte d’entreprendre, tout acte d’investir, qui sont placés au cœur du processus de création de richesses. C’est par rapport à cette Responsabilité qui vous échoit que j’ai entrepris d’analyser l’accomplissement de ma Responsabilité envers notre Institution et envers notre Groupe ces 20 dernières années. Vous avez sans doute l’habitude de m’écouter me livrer à des projections sur 20, 50 voire 100 ans. Je voudrais, cette fois-ci, que nous regardions en arrière, vers les 20 dernières années, les 20 dernières années d’un Groupe Bancaire dans l’environnement marocain qui l’a porté et nourri. J’ai souhaité qu’on fixe nos idées par la projection de quelques diapositives évoquant les principales évolutions enregistrées au cours de cette période. Vous verrez alors qu’en définitive, nous avons, en 20 ans, transformé une Banque Publique en une Banque privée universelle puis, en un Groupe multinational. En 1995, la Banque Publique avait 2700 collaborateurs répartis dans 7 pays. 20 années après, cet effectif est cinq fois plus important : 12800 personnes travaillent sur 4 continents dans plus de 30 pays, au service de plus de 5 millions de clients répartis à travers 1200 agences. Les agrégats financiers du groupe BMCE Bank ont connu des taux de croissance annuels à deux chiffres. En 2015, le Total Bilan fut porté à 280 Milliards de Dirhams, soit huit fois plus le niveau de 1995 ou encore un taux de croissance annuel de 11%. En 2015, les capitaux propres ont crû de 10% l’an durant ces 20 ans. Ils furent multipliés par 7 pour atteindre 22 Milliards de Dirhams. Les crédits à l’économie et les dépôts ont, respectivement, été multipliés par 12, connaissant, chacun, un taux de croissance annuel de 13%. Le PNB, indicateur de création de richesse est, en 2015, 9 fois plus important qu’en 1995, enregistrant un taux de croissance annuel de 11% . Le Résultat Net fut multiplié par 6,5 pour frôler les deux Milliards, progressant, en moyenne de 10% l’an sur la même période. Nous avons, Mesdames, Messieurs, indubitablement créé de la valeur actionnariale puisque plus de 8 Milliards de Dirhams de dividendes furent distribués en 20 ans, le cours boursier de BMCE se trouvant 6 fois plus élevé qu’au début de la période. Enfin, nous sommes fiers de représenter l’un des plus importants contributeurs fiscaux du Royaume avec plus de 5 Milliards de Dirhams servis à l’Etat marocain depuis 20 ans. Nous considérons légitimement avoir contribué à « porter haut les couleurs de notre pays ». En ce qui me concerne en tant que Président de ce Groupe, j’estime avoir honorablement assumé ma responsabilité. Cependant, je voudrais insister sur le fait que rien de ce que nous entreprenons n’aurait pu réussir sans le climat de paix et de stabilité dont jouit notre pays. Nous nous devons, quels que soient les accords ou désaccords sur les orientations politiques ou économiques qui font naturellement débat en démocratie, ne jamais oublier cet élément explicatif fondamental qui singularise notre pays sur l’échiquier régional, africain et, au-delà, international. Nous avons porté haut les couleurs de notre pays grâce aux réalisations dont je vous ai rappelé l’essentiel. Nous l’avons fait, également, grâce aux actions résolument menées dans le domaine de la Responsabilité Sociétale d’Entreprise, celles qui ont véhiculé l’image d’un Groupe exemplaire. Ce sont de nombreuses distinctions dont le Groupe BMCE Bank s’est honoré de recevoir pour les actions emblématiques qui font notre fierté, que ce soit dans le domaine de l’Education dans le monde rural, grâce à l’action de la Fondation BMCE Bank au Maroc et en Afrique Subsaharienne ou que ce soit à travers la promotion de l’Entreprenariat, à travers l’African Entrepreneurship Award. Ce Bilan éloquent est, Mesdames, Messieurs, le fruit du travail d’une communauté humaine, cimentée par une forte culture d’entreprise qui transcende les frontières géographiques, les frontières juridiques, organisationnelles ou opérationnelles. Ce bilan éloquent est le résultat d’un soutien sans faille du Conseil d’Administration de notre banque ainsi que de l’ensemble Othman Benjelloun prenant part à l’ovation qui a accompagné ses propos. des actionnaires. Il est également le fruit de l’intelligence des rapports et de l’étroite concertation ayant prévalu entre notre Groupe bancaire et les Pouvoirs Publics, en premier lieu, la Banque Centrale. Ce bilan, je le soulignais au début, n’aurait pas été celui-là, n’était-ce l’environnement porteur de prospérité, fondateur d’optimisme qui règne au Maroc, grâce à la vision et le leadership de notre Souverain. Aussi, Mesdames, Messieurs, je voudrais que vous preniez le temps de « contextualiser » ce bilan, en procédant à une analyse de tout ce qui a été réalisé dans notre pays au cours de ces 20 dernières années et qui explique alors pourquoi et comment l’environnement au Maroc fut porteur et conducteur de cette prospérité partagée. Rappelons –là encore– quelques réalisations en chiffres au cours de ces 20 dernières années. La richesse nationale, mesurée par le PIB, a été multipliée par 3 pour atteindre près de 1000 Milliards de Dirhams courants, la richesse par habitant, pour sa part, ayant été multipliée par 2,3, L’attractivité du Maroc en tant que terre d’investissement n’a jamais été aussi forte, avec les Investissements Directs Etrangers- IDE- 10 fois supérieurs à leurs niveaux d’il y a vingt ans jusqu’à représenter plus de 3% du PIB. Le Maroc est, désormais, un pays classé Investment grade par les marchés internationaux. Il bénéficie du Statut Avancé de l’Union Européenne et appartient au Club de l’Investissement de l’OCDE. Lorsqu’on regarde, plus attentivement, les avancées considérables du Maroc, nous vient en tête le développement de ses infrastructures : Les autoroutes, dont le nombre de kilomètres réalisés a été multiplié par 8. La téléphonie mobile, une véritable Success story mondiale, enregistre un taux de pénétration dépassant les 100%, avec plus 43 Millions d’abonnés mobiles en 2015. L’électrification rurale est 3 fois plus dense. Le nombre de passagers dans l’Aérien a été multiplié par plus de 4. Le secteur bancaire fut un acteur majeur au service de cette dynamique de développement bi-décennale : Le taux de bancarisation a presque triplé passant de 24% en 1995 à 66% vingt ans plus tard ; Les volumes des dépôts et crédits sont de 5 à 7 fois supérieurs à leurs niveaux de 1995, les bilans bancaires sont près de 6 fois plus importants, le maillage du territoire s’est densifié, le nombre d’agences étant 5 fois et demie plus important, les cartes bancaires ont exponentiellement augmenté, leur nombre est 30 fois plus élevé. Oui, en effet, en 20 ans et, plus particulièrement, à l’ère de Sa Majesté Mohammed VI, le Royaume se trouve dans une position incomparable parmi les pays de la région en termes de développement. Le visage économique du Maroc a changé. Il a ciblé des métiers mondiaux pour développer son tissu productif grâce à des stratégies sectorielles dans l’Agriculture, l’Industrie, le Tourisme, les Energies Renouvelables, la pêche, le numérique ou la logistique. En 20 ans, il a enregistré une élévation très significative du niveau de vie de ses populations et a réduit drastiquement la pauvreté, la précarité et l’analphabétisme. Nous sommes fiers, en tant que citoyens marocains et citoyens africains, de telles réalisations économiques, sociales et politiques. Nous sommes fiers en tant que Groupe Bancaire et financier d’avoir apporté toute notre contribution.Cette contribution, Mesdames et Messieurs, nous comptons bien, pour les années à venir, la hisser à des niveaux encore plus significatifs. A cet effet, nous consolidons les structures de notre Groupe, œuvrons à en mutualiser les ressources, moyens et organisations et renforçons davantage sa Gouvernance. C’est le sens à donner à la nomination, vendredi dernier, au sein du Conseil d’Administration de notre Banque, de Quatre Nouveaux Administrateurs qualifiés ‘’d’Indépendants’’. Ce sont quatre compétences internationales qui procèdent d’horizons géographiques et professionnels diversifiés, ce qui positionne, plus avantageusement encore, BMCE Bank et son Groupe, dans un nouvel élan de développement pour les prochaines années. Il s’agit de : M. François Henrot, Vice-Président de Rothschild, Enarque, co-auteur de plusieurs ouvrages, personnalité marquante du monde de la Finance internationale et membre actif d’Institutions Culturelles de renom. M. Brian Henderson, citoyen Américain, Banquier international, diplômé des Universités de Georgetown, d’Edinbourg et de Barcelone, polyglotte ayant mené une brillante carrière au sein de Chase Manhattan Banketde Merril Lynch à travers le monde. M. Philippe de Fontaine Vive, jusqu’à récemment, Vice-Président de la Banque Européenne d’Investissement, personnalité ayant une connaissance approfondie des environnements politique, économique et financier de plusieurs pays émergents de la Méditerranée et d’Afrique. M. Christian de Boissieu, Professeur Emérite, Agrégé de la Sorbonne, Economiste auteur de plusieurs ouvrages monétaires et financiers, précédemment Conseiller des Gouvernements Français et consultant des Organismes financiers multilatéraux. C’est à l’aune de l’ensemble de ces considérations que je vous invite à analyser le bilan des institutions financières comme la nôtre. C’est par ailleurs tout le sens à conférer à cette contribution « monumentale » que notre Groupe a souhaité donner à la Capitale du Royaume, à travers celle qui sera, avec ses 250 mètres de hauteur et ses 45 étages, la plus haute Tour de l’Afrique. Le 9 mars dernier, Sa Majesté le Roi nous a fait l’immense honneur de procéder à la pose de la première pierre de ce qu’il a, selon ses propres termes, qualifié de « Tour emblématique » et qu’il baptisera lui-même. Cette Tour sera élancée sur un terrain de 3 hectares et intègrera, dans sa conception, des technologies de nouvelle génération orientées performances environnementales, permettant, notamment, une meilleure efficacité énergétique pour satisfaire ses besoins en électricité. Cette Tour offrira une mixité d’usage : Auditorium, commerces, bureaux dont ceux des Directions Régionales de BMCE Bank Of Africa et de notre Compagnie d’Assurance RMA, une partie résidentielle puis, aux étages supérieurs, un hôtel de très haut standing. En offrant cette ‘’Tour emblématique’’ à la Capitale du Maroc nous avons voulu, Mesdames et Messieurs, en tant qu’institution financière, née en 1959 à Rabat par décret Royal, exprimer notre reconnaissance et rendre hommage à tout ce que ce pays a apporté à l’essor d’un Groupe comme BMCE Bank Of Africa. C’est également un témoignage vibrant de notre foi inébranlable dans l’avenir du Maroc, notre mère-patrie et dans les orientations et la guidance de son Souverain, Sa Majesté le Roi Mohammed VI. » n 12 MAROC diplomatique INTERNATIONAL AVRIL 2016 IRAN Réémergence d’une puissance énergétique majeure ? L Mountacir Zian e 14 juillet 2015, un accord historique a été signé à Vienne, entre le P5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, RoyaumeUni et Allemagne) et la République Islamique d’Iran. Ce plan d’actions conjoint prévoit une restriction à long terme du programme nucléaire iranien ainsi qu’une levée totale des sanctions internationales imposées à Téhéran. En mettant fin à un long bras de fer diplomatique ayant opposé Téhéran aux puissances occidentales, cet accord qui s’inscrit dans un contexte international mouvementé, ouvre la voie à des changements géopolitiques majeurs dans la région. Retour de l’Iran et bouleversements géopolitiques majeurs en vue Outre les énormes réserves en hydrocarbures que recèle le sous-sol iranien, l’Iran dispose d’un autre atout majeur, celui d’une position géographique stratégique. Elle lui permet d’avoir une influence et un contrôle direct sur l’un des principaux carrefours du trafic mondial de pétrole et de gaz naturel : le détroit d’Ormuz. En effet, les cours du baril de pétrole sont à leurs plus bas niveaux historiques depuis fin 2003, en grande partie en raison d’une offre mondiale largement excédentaire et par un ralentissement de la croissance économique mondiale, notamment celle de la Chine, qui représente 10% de la demande mondiale de pétrole. Si cet effondrement des cours a permis à certains pays non producteurs de réduire leur facture énergétique et de rééquilibrer leurs comptes extérieurs, il risque cependant de fortement fragiliser les équilibres macro-économiques de plusieurs pays producteurs de pétrole (Arabie Saoudite, Venezuela, Algérie, Russie …). Dans ce contexte, le retour attendu de l’Iran sur le marché des hydrocarbures doit faire l’objet d’une attention particulière, puisque la levée des sanctions économiques imposées par les pays occidentaux et par l’ONU va peser très lourdement sur la baisse des cours des hydrocarbures, aggravant ainsi le climat de tension générale dans la région MENA (Middle East - NorthAfrica). L’Iran a déjà affirmé, par le biais de son ministre du pétrole Bijan Namdar Zanghaneh, pouvoir augmenter sa production de pétrole (actuellement 3 millions de barils/ jour) de 500.000 barils/jour dès la levée des sanctions, puis d’un million de barils/jour après quelques mois. Cette nouvelle donne économique fait de l’Iran un nouvel acteur incontournable sur le marché des hydrocarbures, lui offrant les moyens de traduire sur un plan géopolitique, les futurs acquis de son nouveau statut de « puissance énergétique », sachant que l’Arabie Saoudite, principal rival régional de l’Iran, risque de faire face à des difficultés économiques difficilement surmontables, si le cours du baril de pétrole continue de baisser. Le déficit budgétaire du Royaume saoudien a déjà atteint un record de 98 milliards de dollars en 2015, soit l’équivalent de 15% du PIB. De même, l’enlisement de l’Arabie Saoudite dans sa guerre au Yémen qui coûte de plus en plus cher économiquement, son incapacité à venir à bout des miliciens Houtis (soutenus officieusement par l’Iran), et la levée de l’embargo sur l’Iran pourraient aboutir à d’importantes reconfigurations régionales. Ainsi plusieurs scénarios sont envisageables. Une hypothèse serait que l’objectif stratégique de Washington avec cet accord, viserait à rétablir l’Iran dans le rôle qu’il exerçait sous le régime du Shah avant la révolution islamique, à savoir celui de gendarme régional. Cela permettra d’isoler davantage la Russie de l’Europe en faisant de l’Iran une alternative énergétique viable pour les pays européens, réduisant ainsi leur dépendance vis-à-vis de Moscou, sur fond d’une crise ukrainienne toujours latente et d’une implication militaire russe désormais directe dans le conflit syrien. L’Iran : les atouts d’une puissance énergétique, 10% des réserves mondiales prouvées de pétrole L’Iran dispose de réserves d’hydrocarbures parmi les plus importantes de la planète. Selon le « Oil&Gas Journal», le pays disposerait en 2014 d’une réserve prouvée de pétrole de 158 milliards de barils, soit 10% des réserves mondiales prouvées de pétrole. Cependant, selon un rapport de « Clyde & Co », environ 80% des réserves iraniennes de pétrole ont été découvertes avant 1965, ce qui laisse entrevoir la forte probabilité de découvrir de nouveaux champs pétrolifère dans le cas de nouvelles prospections, tel que celui d’Azadegan qui a été découvert en 1999, et qui constitue l’un des plus importants d’Iran. Selon le FGE (Facts Global Energy), un groupe international de consulting dans le domaine de l’énergie et des marchés des hydrocarbures, approximativement 70% des réserves iraniennes de pétrole sont situées en «onshore », tandis que tout le reste est situé en « offshore », en majorité dans le Golfe Arabo-Persique. La plus importante réserve mondiale de gaz naturel Longtemps considéré comme disposant de la deuxième plus importante réserve mondiale de gaz naturel derrière la Russie, la British Petroleum (BP) annonce, en 2013, qu’il faudrait en réalité considérer l’Iran comme le pays possédant les plus grandes réserves de gaz naturel au monde. A partir de 2013, British Petroleum a attribué 33.600 milliards de m³ de réserves de gaz naturel à l’Iran, et a ramené les réserves russes de 44.600 milliards de m³ à 32.900 milliards de m³. Cet important changement est dû à la prise en compte du fait que les pays de l’ex-URSS utilisent des critères différents du reste de la communauté internationale pour estimer leurs réserves de gaz, et que suivant la méthode internationale d’estimation, l’Iran disposerait de la plus importante réserve mondiale de gaz naturel devant la Russie. Le champ d’exploitation de gaz naturel le plus important d’Iran est le « South Pars », situé en offshore au centre du Golfe Arabo-Persique. Les réserves de gaz naturel de «South Pars » représentent près de 40% du total des réserves de gaz naturel de l’Iran. Une position stratégique et une zone de transit énergétique incontournable Outre les énormes réserves en hydrocarbures que recèle le sous-sol iranien, l’Iran dispose d’un autre atout majeur, celui d’une position géographique stratégique. Elle lui permet d’avoir une influence et un contrôle direct sur l’un des principaux carrefours du trafic mondial de pétrole et de gaz naturel : le détroit d’Ormuz. Le détroit d’Ormuz constitue un étroit passage stratégique pour le transit énergétique. Entre 30% et 40% du trafic maritime de pétrole transite par ce couloir. Le détroit est parsemé d’îles désertiques ou peu habitées mais d’une grande importance stratégique : les îles iraniennes d’Ormuz et celles de Qeshm et de Larak, face au rivage iranien de Bandar Abbas. La rive omanaise, la péninsule du Musandam, forme un index qui pointe vers l’Iran, séparée du reste du sultanat par des terres appartenant aux Émirats Arabes Unis. Sur un plan régional, on distingue dans le détroit trois catégories d’États riverains : au nord, l’on trouve l’Irak, le Koweït, le Qatar et le Bahreïn dans la mesure où le détroit apparaît comme leur principale porte d’entrée et voie majeure de transit pour leur commerce ; au sud se situent, d’une part, l’Arabie saoudite pour qui le détroit constitue la seule voie de sortie pour ses côtes orientales ; de l’autre, l’Iran, Oman, et les Émirats arabes unis qui se partagent la sortie du détroit. Sur le plan militaire, l’Iran a renforcé sa ligne de défense avec le port militaire de Bandar Abbas situé à l’entrée du détroit et des bases militaires protégeant les îles de Tomb et Abu Musa. Les pipelines (gazoducs et oléoducs) : Instruments d’influence géopolitique Le potentiel énergétique de l’Iran ne pourra pleinement s’exprimer sans un important accès aux principaux marchés à savoir l’Union Européenne, l’Inde, le Pakistan et la Chine. Mais les sanctions contre l’Iran et les pressions effectuées par Washington sur plusieurs pays convoitant le gaz iranien, ont longtemps entravé la réalisation d’importants projets de pipelines impliquant l’Iran. Les Etats-Unis voient dans ces projets de pipelines un vecteur et un instrument d’influence géopolitique et de pénétration économique, qui pourrait permettre à Téhéran de sortir de son isolement et de renforcer sa position de puissance régionale. Cependant, avec la levée des sanctions internationales, la situation risque de profondément changer en faveur de l’Iran. Le projet de pipeline Nabucco Le pipeline Nabucco était censé disposer d’une capacité de 31 milliards de mètres cubes de gaz annuellement. Le projet consistait à faire venir le gaz naturel de la mer Caspienne vers l’Europe Centrale à travers un pipeline d’une longueur de 1 326 kilomètres. Initialement, l’Iran était inclus dans le projet en tant que source principale de gaz naturel, mais les sanctions américaines ont écarté toute possibilité d’inclure Téhéran dans le projet. Si les pressions américaines ont réussi à exclure l’Iran de ce projet et à l’isoler davantage, elles ont par contre conforté la Russie dans sa position de principal fournisseur de gaz à l’Europe, accentuant davantage le niveau de dépendance de l’UE vis-à-vis de la Russie. Mais le changement de paradigme consécutif à la levée des sanctions économiques contre l’Iran, pourrait permettre à Téhéran de se positionner auprès de l’Europe en tant qu’alternative énergétique à Moscou, profitant du froid diplomatique et du climat de tension existant entre l’UE et la Russie suite à la crise ukrainienne. Hassan Rohani saluant des foules d’Iraniens après l’accord historique en juillet 2015. MAROC diplomatique INTERNATIONAL AVRIL 2016 13 L’Iran avec ses importantes réserves, pourrait rivaliser avec la Russie sur le marché européen. Le projet de pipeline Iran-Irak-Syrie (dit Pipeline Islamique) Ce projet fut pressenti par les américains comme une menace pour leurs intérêts régionaux, puisqu’ils considèrent qu’il risque de donner à l’Iran une influence décisive sur le souscontinent indien, et surtout sur l’Asie du Sud, qui représente le nouveau champ de la rivalité sino-américaine dans la région. Les pressions exercées par Washington sur Islamabad ont été particulièrement fortes. L’objectif étant de pousser le Pakistan à abandonner le projet. Là encore, la signature du « Plan d’action conjoint »laisse entrevoir la possibilité d’une relance de ce projet. L’émirat du Qatar avait envisagé, en 2009, le tracé d’un gazoduc allant du Golfe Arabo-Persique jusqu’en Turquie et transitant par l’Arabie Saoudite, la Jordanie et la Syrie. L’un des objectifs de ce projet était de raccrocher ce gazoduc à l’ambitieux projet Nabucco afin d’exporter le gaz qatari vers l’Europe. Cependant, Damas refusa de signer le projet, privilégiant un accord avec l’Iran, mais aussi pour ménager les intérêts, entre autres énergétiques, de la Russie, principal allié de la Syrie. En juin 2011, un protocole a été formalisé entre l’Iran, l’Irak et la Syrie en vue de mettre en place un gazoduc, baptisé IGS (Islamique Gas Pipeline) à l’horizon 2016. Ce facteur énergétique pourrait en partie expliquer la forte implication diplomatique,,financière mais aussi logistique de la Turquie, du Qatar et de l’Arabie Saoudite dans le dossier syrien au côté de l’opposition syrienne (modérée et radicale) en vue de renverser le régime de Bachar Al-Assad. Car dans l’éventualité de la chute du régime Syrien, le nouveau pouvoir sera disposé à signer le projet Qatari, au détriment de l’Iran. Le projet « Corridor Gazier du Sud » (TANAP-TAP) L’objectif de ce projet est la mise en place d’un gazoduc, qui fera la jonction entre le champ gazier de Shah Deniz II situé en Azerbaïdjan et la Grèce, via la Turquie, par le pipeline trans-anatolien (TANAP). De la Grèce, le gaz transitera vers l’Italie via le pipeline trans-adriatique (TAP). Bien qu’ambitieux, ce projet n’est, pour des raisons de capacité, pas suffisant pour réduire de manière importante le niveau de dépendance énergétique de l’Europe vis- à-vis de la Russie. Par contre, si l’Iran est intégré à ce projet, et si dans le même temps le projet « Nabucco » est réactivé, la Russie risque dans ce scénario de perdre des parts de marché importantes au profit de l’Iran, réduisant du coup le niveau de dépendance européenne au gaz russe. Le projet IP ( Iran - Pakistan ) Lancé en 2010, ce projet vise à relier sur 1.800 km les champs gaziers de South Pars en Iran, à Nawabshah, ville située près de la métropole éco- nomique du Pakistan, géant de près de 200 millions d’habitants affecté par une crise énergétique qui freine sa croissance. En 2013, l’Iran avait célébré la fin de la construction du pipeline de son côté de la frontière, mais le Pakistan, lui, avait tergiversé avant d’affirmer ne pas pouvoir aller de l’avant avec ce projet en raison des sanctions américaines et européennes imposées à Téhéran en lien avec son programme nucléaire. Le ministre pakistanais du pétrole, Shahid,Khaqan,Abbasi, avait ouvertement déclaré à l’AFP que «la concrétisation du gazoduc entre le Pakistan et l’Iran n’est pas possible en raison des sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne». Avec l’accord sur le nucléaire iranien, le projet IP pourra être relancé, notamment du côté pakistanais. Le projet IPI ( Iran - Pakistan - Inde ) L’objectif initial de ce projet de pipeline, surnommé « pipeline de la paix » était de pouvoir alimenter les énormes besoins énergétiques de l’Inde en gaz iranien. Mais le pipeline est aussi essentiel pour le Pakistan, qui y voit l’occasion de couvrir une part non négligeable de leurs besoins énergétiques Cependant, ce projet fut pressenti par les américains comme une menace pour leurs intérêts régionaux, puisqu’ils considèrent qu’il risque de donner à l’Iran une influence décisive sur le sous-continent indien, et surtout sur l’Asie du Sud, qui représente le nouveau champ de la rivalité sino-américaine dans la région. Les pressions exercées par Washington sur Islamabad ont été particulièrement fortes. L’objectif étant de pousser le Pakistan à abandonner le projet. Là encore, la signature du « Plan d’action conjoint » laisse entrevoir la possibilité d’une relance de ce projet. Le projet MEIDP « Middle East to India Deep Water Pipeline » Le projet MEIDP représente une alternative au projet IPI (Iran-Pakistan-Inde) aussi bien pour l’Inde que pour l’Iran. Car bien que la diplomatie indienne ait présenté leprojet IPI comme une opportunité de rapprochement entre l’Inde et le Pakistan et comme une occasion de paix, il n’en demeure pas moins que l’Inde préfère ne pas se mettre en position de vulnérabilité vis-à-vis de son « ennemi » historique, alors qu’il existe une alternative viable. Le pipeline partirait ain- si d’Oman pour arriver en Inde dans l’Etat du Gujarat, et serait alimenté, en partie par le gaz iranien. L’Inde voit l’Iran comme une solution stratégique incontournable dans la réalisation de sa sécurité énergétique. Ainsi, la levée des sanctions est vue par New Delhi comme un changement de paradigme dans lequel il compte s’intégrer pleinement, en se positionnant au plus vite sur le marché énergétique iranien, avant son ouverture complète à la concurrence mondiale. Pluralité des scénarios et possibles basculements géostratégiques L’Iran dispose incontestablement de tous les atouts stratégiques indispensables à son émergence en tant que puissance énergétique majeure. Les énormes réserves iraniennes de gaz et de pétrole sont encore largement sous-exploitées et représentent un potentiel considérable de croissance économique et d’attraction d’investissements étrangers, notamment en provenance des pays et des firmes européennes qui voient en l’Iran une alternative viable à la Russie en tant que principal fournisseur d’hydrocarbures. Situé entre les deux grands pôles consommateurs d’hydrocarbures que sont l’Europe (via la Turquie) et l’Asie (Chine, Pakistan, Inde,…), ce positionnement stratégique place l’Iran au centre du grand jeu énergétique mondial. En effet, cela lui permettra à termes, dès la levée définitive des sanctions, d’étendre progressivement son influence économique et politique au-delà de son pré-carré (Irak, Sud Liban, Syrie et Yémen) et ainsi d’accroître son poids géopolitique sur la scène mondiale. Cela pourra se faire à travers la réactivation (Nabucco,…) ou la création de futurs pipelines à destination de l’Europe et de l’axe Pakistan-Inde-Chine, créant ainsi des schémas de dépendance énergétique. A ces facteurs s’ajoute le contrôle partiel par l’Iran de deux verrous stratégiques majeurs, à savoir le détroit d’Ormuz et la mer Caspienne. Dans ce contexte, deux scénarios paraissent fortement plausibles. Premier scénario : Emergence de l’Iran et isolement de la Russie La levée des sanctions contre l’Iran pourrait permettre la réactivation d’importants projets de pipelines visant à réduire la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie grâce au gaz iranien. Cependant, vu les limites techniques et logistiques actuelles, mais aussi pour ne pas se mettre à dos la Russie, allié majeur de l’Iran, le président iranien Hassan Rouhani a déclaré que «l’Iran ne pourrait véritablement remplacer la Russie comme principal fournisseur de gaz de l’Europe». Il n’en demeure pas moins que d’importants investissements occidentaux et éventuellement chinois dans les infrastructures iraniennes, pourraient à termes permettre à l’Iran d’atteindre des volumes largement plus importants, capables dans 20 ou 30 ans de rivaliser avec le Russie sur le marché européen. Cependant, la principale crainte de Moscou à moyen-terme est que la levée des sanctions contre l’Iran se traduise par une baisse accrue et surtout durable des cours du pétrole dont dépend partiellement la Russie pour équilibrer son budget. Second scénario : Rapprochement plus important de l’Iran avec la Russie et le bloc eurasiatique L’Iran pourrait tout aussi bien jouer sur les deux tableaux. D’un côté, la levée des sanctions lui permettra de pénétrer le marché européen, tout en attirant les investissements étrangers qui contribueront à moderniser son infrastructure gazifière et pétrolifère, et son tissu productif au sens large. De l’autre, cela permettra à Téhéran de renforcer sa souveraineté à travers un partenariat stratégique plus poussé avec la Russie et le bloc eurasiatique naissant. Cela prendra certainement la forme d’importants transferts de technologies, notamment dans le secteur militaro-industriel, d’une possible modernisation de l’infrastructure pétrolière et gazière par des compagnies russes comme le géant russe Gazprom, par la future intégration de l’Iran dans l’OCS (l’Organisation de Coopération de Shanghai) et dans le CIPS (China International Payments System Iran) qui est l’alternative chinoise au SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). Ainsi, au lieu de devenir un rival énergétique de la Russie, l’Iran pourrait devenir un partenaire majeur de Moscou, tout en mettant en place des partenariats économiques avec les pays occidentaux, acquérant ainsi progressivement le statut d’une puissance régionale et énergétique souveraine, mais fortement ancrée de par sa position géographique et sa proximité culturelle et idéologique dans le nouveau bloc eurasiatique, incarné à l’heure actuel par l’OCS.n 14 MAROC diplomatique INTERNATIONAL AVRIL 2016 CHRONIQUE Iran : l’accord nucléaire a ouvert la boîte de Pandore Par Gabriel Banon D Quand la culture américaine n’est pas au bout des fusils, mais seulement par Internet, elle s’implante beaucoup mieux en Orient. Les deux mandats d’Ahmadinejad, avec ses outrances et les fraudes aux élections, ont réveillé le peuple, dont les manifestations ont été réprimées avec violence. epuis la révolution, les Mollahs au pouvoir ont veillé jalousement sur leur régime. Les pendaisons, les bastonnades et les emprisonnements arbitraires, ont été légions, au milieu d’une société civile médusée et réduite au silence. Mais l’Iran est une grande Nation, avec une grande Histoire, qui a forgé un peuple fier et épris de liberté. La classe moyenne est nombreuse et éduquée. Une société où les femmes ont pris leur essor depuis longtemps. La jeunesse issue des classes moyennes, se caractérise par des jeunes filles qui étudient autant que les garçons. Cette jeunesse estmieux instruite que les jeunes des autres pays du Moyen-Orient; elle est majoritairement pro-occidentale. Quand la culture américaine n’est pas au bout des fusils, mais seulement par Internet, elle s’implante beaucoup mieux en Orient. Les deux mandats d’Ahmadinejad, avec ses outrances et les fraudes aux élections, ont réveillé le peuple, dont les manifestations ont été réprimées avec violence. L’élection du président Rohani, « modéré », a démontré que le citoyen iranien tenait à exprimer sa volonté de changement. Les relations avec les Etats-Unis ont été conflictuelles depuis l’arrivée de Rouhollah Khomeini au pouvoir, et la prise d’otages à l’Ambassade américaine de Téhéran. Le programme nucléaire iranien va offrir aux Américains, l’occasion de contrecarrer les velléités de leadership de Téhéran dans le monde musulman. Les sanctions ont eu raison de l’économie iranienne. Infla- tion, dévaluation catastrophique du Rial, pénurie, vont marquer la vie des habitants. Après une négociation réussie pour la libération des otages américains, on pensait que des négociations sérieuses concernant le programme nucléaire iranien, allaient pouvoir se tenir. On se heurta au véto du Guide suprême, Ali Khamenei. Ce dernier était convaincu que Washington recherchait, en fait, la chute du Régime. (Vraisemblable au début). Après avoir eu des assurances, l’Iran entre dans un cycle de négociations dont on connaît le résultat. Un accord nucléaire équilibré qui préserve l’avenir pour les deux parties. Le basculement des alliances américaines, le retrait de Washington du Moyen-Orient au profit du Pacifique, vont donner à l’Iran, avec la bénédiction du Pentagone, une position d’acteur incontournable en Irak, en Syrie et ailleurs. Mais la levée des sanctions, et le retour des investisseurs, non seulement redonne à Téhéran les moyens de ses ambitions, mais va remettre en route le développement économique, avec une plus grande liberté de circulation des uns et des autres. L’ouverture, inévitable vers le monde occidental, va ranimer une américanisation qui avait été mise entre parenthèse, depuis la révolu tion. Le pouvoir n’est jamais parvenu à éradiquer la fascination exercée par le modèle américain sur les jeunes et les moins jeunes. Près d’un million d’iraniens vivent aux Etats-Unis. Le 26 février dernier, les Iraniens ont été appelés aux urnes. Ils avaient à élire les 290 membres du Majlis, le parlement iranien, et les membres de l’assemblée des experts, qui a le pouvoir de nommer et de révoquer le Guide suprême. Les résultats ont humilié les ultras-conservateurs. Le peuple a pu se débarrasser de conservateurs comme l’ayatollah YazdiMesbah, inspirateur spirituel de l’ancien président Ahmadinejad, connu pour ses théories sur un Islam qui cautionne la violence, présumé inspirateur de la vague d’assassinats qui décapita la communauté intellectuelle de l’époque. C’est lui qui encouragea les miliciens à étouffer par la force, les manifestations estudiantines de 1999. Les mollahs ayant été pris la main dans le sac de la corruption, la population des villes rejette, avec la discrétion qui s’impose sous un tel régime, le système du velayt-e faqih (le gouvernement des clercs). Elle aspire à un retour de la religion dans la seule sphère privée. Cette percée des modérés consacre la victoire de la société civile iranienne et sa courageuse obstination à marcher vers la démocratie. L’ouverture, inévitable vers le monde occidental, va ranimer une américanisation qui avait été mise entre parenthèse, depuis la révolution. Le pouvoir n’est jamais parvenu à éradiquer la fascination exercée par le modèle américain sur les jeunes et les moins jeunes. Près d’un million d’iraniens vivent aux Etats-Unis. C’est un changement progressif du régime que souhaite la population. Elle se méfie désormais des révolutions. Elle connaît leur coût considérable sur l’économie du pays et sur leurs conditions de vie. Le paradoxe est que le régime ne voulait pas négocier, convaincu que les Occidentaux voulaient sa chute. C’est le succès de cette négociation qui va changer le régime de l’intérieur. Un coin de voile se lève sur l’Iran, lentement, discrètement mais surement. n L’accord historique de Vienne est censé réintégrer l’Iran dans la communauté mondiale et ouvrir son économie aux investisseurs étrangers. Abonnez-vous ! o Casablanca o Rabat Coordonnées M. o Nom : ........................................................... Prénom : ...................................................... Société : ....................................................... Adresse : ..................................................... ..................................................................... Mme o Code postal : ................................................ Ville : ............................................................ Tél. : ............................................................ Fax : ............................................................ E-mail:......................................................... Règlement 12 mois : 100 DH. Mode de paiement : chèque bancaire à l’ordre de Maroc diplomatique Veuillez renvoyer ce bulletin sous enveloppe, accompagné de votre règlement à l’adresse suivante : 16 Avenue Moulay Hassan 1er. 3ème étage. Escalier B. N° 9. Gauthier. Casablanca. Retrouvez cette offre sur notre site : www.maroc-diplomatique.net ou téléphonez au : 05 22 20 69 16 - 05 22 20 98 68 MAROC diplomatique INTERNATIONAL AVRIL 2016 15 CRISE MIGRATOIRE Le retour des murs et le forcing de la «jungle» Paris - De notre correspondant Abderrahim Bourkia L a crise migratoire montre le morcellement de l’Europe dans la gestion des flux importants de migrants que nous n’avions plus vus depuis la deuxième Guerre Mondiale. En France, le Ministre de l’Intérieur s’est expliqué davantage devant l’Assemblée Nationale sur les conséquences de ce phénomène en Hexagone et en Europe, tandis que le ministre de l’Economie Macron menace les Britanniques laissant entendre, le 2 mars dernier, au Financial Times que si le Royaume-Uni quittait l’Europe, la France laisserait passer les migrants de Calais au côté britannique. Le bras de fer qui a commencé entre l’Italie et les autres Etats au sujet des quotas - chaque pays de l’Union devant prendre une partie des arrivants sur les côtes italiennes - se prolonge outre-Manche, perçue comme la destination finale des candidats à l’asile. L’Europe affronte une nouvelle En 2015, plus d’un million de migrants ont risqué leur vie pour se réfugier sur les rives européennes. Ainsi 120.000 personnes ont accosté en Grèce ou en Italie. Ces deux pays sont les plus touchés par l’arrivée des migrants après la Turquie. épreuve. Elle n’arrive pas à trouver de réponses décentes à la crise migratoire. Les Etats de l’Union avancent des solutions sécuritaires improvisées et repoussent les mouvements migratoires en fermant leurs portes. D’autres pays ont déjà emboîé le pas à la Hongrie, la Pologne, la Croatie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie ou encore l’Autriche. Les ONG déplorent l’absence d’une politique migratoire commune qui laisse malheureusement le champ libre aux discours de l’extrême droite. Amnesty International dénonce, dans son dernier rapport, la gestion désastreuse des flux migratoires : « L’UE qui compte plus de 500 millions d’habitants et constitue l’ensemble politique le plus riche de la planète s’est singulièrement Vue aérienne du camp de la Lande, le plus grand bidonville d'Europe, baptisé la «jungle». montrée incapable d’apporter une réponse cohérente, humaine et respectueuse des droits humains ». En 2015, plus d’un million de migrants ont risqué leur vie pour se réfugier sur les rives européennes. Ainsi 120.000 personnes ont accosté en Grèce ou en Italie. Ces deux pays sont les plus touchés par l’arrivée des migrants après la Turquie. Le phénomène était observable depuis des années déjà. Néanmoins, l’état d’alerte a été sonné après l’installation de crises généralisées dans les pays concernés dont, entre autres, le Soudan, la Libye, la Syrie et l’Erythrée - tous secoués par des guerres civiles, transformant la vie de centaines de milliers d’habitants en tragédies. Ceux qui ravivent les rivalités ethniques, rallument les conflits communautaires et soutiennent l’hégémonie des antagonistes et les chefs de guerre au sein de ses Etats devraient assumer leur choix… L’amère odyssée des migrants se poursuit chaque jour. Chaque semaine, des dizaines d’embarcations transportant chacune des dizaines voire des centaines de personnes, se dirigent vers les rives nord de la Méditerranée, qu’elles atteignent… du moins pour certaines. Chiffres - 6000 personnes étaient présentes dans le camp de Calais lors du pic d’octobre 2015 Plus d’un million de migrants ont risqué leur vie pour se réfugier sur les rives européennes en 2015. 120.000 personnes ont accosté en Grèce ou en Italie. Chronologie Calais, un grand bidonville au cœur de l’Europe En 1986, Amnesty International alerte l’opinion sur des étrangers errants dans la région de Calais. En 2014, nouvel afflux de migrants venant principalement du MoyenOrient et de la Corne de l’Afrique. En mai 2014, trois campements de 550 migrants sont démantelés Septembre 2014 : accord entre la France et le Royaume-Uni sur la gestion de la pression migratoire à Calais. Juin 2015 : estimation à 3000 le nombre de migrants se trouvant à Calais Juillet 20015 : plusieurs centaines de tentatives d’intrusion sont constatées sur le site du tunnel sous la manche Le 25 janvier 2016, des migrants investissent un ferry et l’occupent pendant quelques heures. Les côtes touristiques sont aujourd’hui devenues un véritable « cimetière marin». Les migrants qui fuient les guerres et la misère se heurtent à des pays aux politiques tiraillées entre le devoir humanitaire et l’approche sécuritaire. Les Etats frontaliers comme la Grèce, l’Italie et la Turquie, sont appelés à jouer un nouveau rôle dans la gestion et le filtrage des flux migratoires. Mais, combien sont ces migrants ? Comment peut-on connaître leur nombre ? Qui des pays accueillent plus que les autres ? Plan migrant Des centaines de candidats à l’asile arrivent chaque mois à Calais… alors que l’Etat a déjà entamé le démantèlement progressif du camp des futurs réfugiés. Le choix leur est donné entre être hébergés dans les centres d’accueil provisoires - des conteneurs chauffés inaugurés en janvier dernier – ou se rendre dans l’un des CAO (centres d’accueil et d’orientation) dispatchés sur l’ensemble du territoire et qui pour certains ne sont ouverts que temporairement (3 mois) alors que l’accompagnement social et médical des migrants demanderait des dispositifs plus conséquents et au moins sur du moyen terme. La solution apportée par Manuel Valls en août 2015, qui consistait à héberger provisoirement 1500 personnes fin 2015 (dont 300 aujourd’hui disponibles) n’a pas eu le succès escompté. Les conteneurs ont été installés dans une zone sécurisée, en janvier dernier et n’attirent pas les sans-logis, qui voient ce camp comme un lieu de privation de liberté. Les ONG jugent les conditions inhumaines et où l’intimité n’est pas respectée. Sous couvert de montrer la volonté d’une prise en charge adaptée à chacun, l’Etat est intervenu dans le but de désengorger Calais en éloignant les migrants. Cette action est appelée « Plan Migrants », plan qui comme son nom ne l’indique pas, a été fait dans l’urgence. Cela ne fait que déplacer le problème ailleurs. Certains migrants se sont portés volontaires car il leur aurait été dit que leur demande d’asile serait traitée plus rapidement ou que leur statut Dublin serait annulé (règlementation qui impose à l’individu de faire sa demande d’asile dans le premier pays européen où il a posé le pied). Les personnes sont acheminées par car ou par avion vers des villes de province, et pour certains dans des lieux très reculés. Si certains se retrouvent dans ces solutions, d’autres sont déjà retournés à Calais ou se sont retrouvés en centre de rétention et leur expulsion a été demandée, alors même qu’ils n’ont pas encore entamé la procédure de demande d’asile. Ainsi 20% des personnes orientées vers un CAO sortent du système sans donner de nouvelles. A savoir aussi qu’alors que l’Etat se couvre de ne vouloir faire le tri parmi les candidats à l’asile, il a été clairement défini par l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) que la priorité serait d’accueillir les syriens, les irakiens et les érythréens. Ethiopiens, afghans et soudanais passant après… L’impasse de Calais Pour ceux qui rêvent du Royaume-Uni, la frontière se situe dans la sous-préfecture du Pas-de-Calais. Une ville de passage paisible qui s’est transformée en forteresse encerclée de barbelés et gardée par environ 2000 policiers. On parle ici de femmes, d’enfants et d’hommes livrés au froid, à la faim et à la survie... Calais est devenue synonyme de honte en raison des conditions de vie déplorables qui y sont observées. Et la situation perdure depuis juin dernier. Sachant que les températures hivernales basses rendent la survie de plus en plus difficile. Cette ville s’est convertie en une véritable impasse. Il y a toutefois certains candidats qui arrivent à pénétrer le tunnel et à passer outre-Manche comme Taher. Originaire du Soudan, il est arrivé des côtes libyennes en bateau avant d’échouer avec d’autres candidats à l’asile sur une île italienne qui jouxte Lampedusa. « Je suis en Angleterre depuis le mois de juillet. Une association qui propose l’accompagnement juridique et administratif suit mon dossier de demandeur d’asile », souligne-t-il avant que nous lui demandions de raconter la partie française de son long voyage : « le plus dur est derrière moi. J’ai toujours une pensée triste pour ceux qui sont encore à Calais surtout avec ce froid glacial. Je suis toujours en contact avec des personnes que j’ai rencontrées en Italie et qui sont encore coincées làbas. Nous sommes arrivés en France via l’Italie, en plein été. Il faisait très beau, nous avons installé un camp de fortune à la frontière franco-italienne à Vintimille à l’aide des militants d’un collectif qui s’appelle No Borders. A Calais, la situation était plus dure. Nous étions plus nombreux, sans cuisine, sans douche et sans dortoir. Ces conditions ont accéléré mon départ. J’ai appris que le nombre ne cessait d’augmenter depuis. Au début, nous étions environ 1500. Quelques mois après mon départ, le nombre a doublé ». Effectivement, le chiffre est passé à plus de 5000 personnes à Calais selon les dernières données de ce mois de février. Mais personne ne sait exactement. Depuis, une solidarité locale et une présence humanitaire se sont mises en place. Notamment, la présence, entre autres, de la Croix Rouge et de Médecins du Monde qui apportent des soins et essayent de réconforter les « locataires passagers ». Les riverains amènent des vêtements et des couvertures, vu la rudesse de l’hiver. A l’heure de l’écriture de ces lignes, six migrants sont jugés à Boulogne-sur-Mer pour être montés en janvier sur un ferry dans le port de Calais en forçant un barrage. La France durcit son attitude et les mesures apportées inquiètent les réfugiés. Ce problème humanitaire n’échappe pas par ailleurs à la surenchère politique que ce soit en France ou au RoyaumeUni. Les déclarations et les contre-déclarations fusent de partout à l’image du duel entre le maire de Londres Boris Johnson et le chef du gouvernement David Cameron. Les propos de Macron pour dissuader la Grande-Bretagne de quitter l’UE ressemblent à du chantage. Cette mise en garde dépréciée outre-Manche vise à rompre les accords entre la Grande-Bretagne et la France au sujet du contrôle frontalier, signés en 2003 par Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l’Intérieur, afin d’endiguer le passage des migrants clandestins qui tentent de passer par l’Eurotunnel. n 16 MAROC diplomatique INTERNATIONAL AVRIL 2016 «Share versus Shale» la nouvelle géopolitique du pétrole Par Bichara Khader D epuis le mois d’août 2014 , le prix du baril n’arrête pas de s’effondrer. D’un sommet de 148 $ en 2008, le prix s’est momentanément stabilisé à 100-120 $ entre 2009 et juillet 2014, avant sa chute vertigineuse à près de 30$ fin décembre 2015, probablement son dernier seuil de résistance. Avec une baisse de l’ordre de 70 à 75% , il s’agit bel et bien d’un contre-choc pétrolier, du Tableau n° 1 * élaboration personnelle Production non-OPEP et OPEP ( en m/b/j) et consommation* °2 Tableau n * différentes sources : OCDE et OPEP Production des Etats-Unis et d’Arabie Saoudite (en millions de b/j) 2008-2015 et prix moyen (en $)* Tableau n° 3 * Energy Information Administration , Etats-Unis Tableau n° 4 Exportations saoudiennes de pétrole (2008-2014) m/b/j) * * Tableau complet in Naser Al-Tammimi : article cité, p.88 même ordre que ceux de 1982 et 1986. Les facteurs explicatifs d’un contrechoc pétrolier varient d’une crise à l’autre. Mais généralement un effondrement des prix résulte d’un déséquilibre entre une offre excédentaire et une demande atone. En revanche, un choc pétrolier se produit quand la demande excède l’offre : cela a été le cas en 1973, 1979 et 2008, poussant les prix à la hausse souvent d’ailleurs de manière exagérée car la spéculation ou / et les secousses géopolitiques (comme la guerre d’octobre 1973, la révolution iranienne de 1979, ou la guerre du Golfe 1991) amplifient le mouvement haussier. L’effondrement du prix du baril en 2014-2015 ressemble aux précédents contre-chocs par sa logique et s’en différencie par la stratégie des grands acteurs de la scène pétrolière. Je ne fais pas référence aux théories conspirationnistes tout à fait infondées qui ont inondé les réseaux sociaux et qui attribuent cette crise à une sorte de machination américaine pour affaiblir la Russie , ou une manœuvre saoudienne visant à punir son rival iranien, ou encore un « complot occidental» dont l’objectif serait de briser l’OPEP et son emprise sur le marché pétrolier. Ce sont des élucubrations sans fondement . En réalité , il s’agit , sur fond d’un déséquilibre de l’offre et de la demande- en raison de la mise sur le marché de 4 millions de barils de pétrole de schiste aux Etats-Unis et d’une demande chinoise en berned’une compétition entre l’Arabie Saoudite et son allié américain autour des parts de marché. C’est ce que le titre de cet article suggère : share versus share. 1. Une crise paradoxale Comme les précédentes crises, celle-ci a été précédée par 5 années de stabilité relative des prix . Le paradoxe est que ces prix étaient anormalement élevés que ne justifiait nullement l’état de l’économie mondiale frappée d’anémie à la suite de la crise du «Suprime». En outre, même avec une offre excédentaire de prés d’ un million voire de deux millions de barils par rapport à la demande au cours des 3 premiers trimestres de 2014, les prix demeuraient soutenus comme le montre le tableau n°1. C’est à partir du mois d’août 2014 que les prix initient leur mouvement baissier. Il serait donc erroné de penser que le maintien des prix élevés entre 2008 et 2014 s’explique par les seuls facteurs économiques (l’économie mondiale était en berne) ou par des raisons géopolitiques liées aux crises du Moyen-Orient. C’est faire l’impasse sur le rôle de la spéculation dans la hausse exagérée des prix mais surtout le développement spectaculaire de la production des pétroles non-conventionnels durant la période de 2009 et 2014. En effet, l’exploitation du pétrole de schiste a bouleversé la géopolitique pétrolière mondiale. En peu de temps, les Etats-Unis ont mis sur le marché plus de 4 millions de barils, grâce à un prix de baril exagérément élevé qui permettait aux producteurs de pétrole non-conventionnel d’investir massivement et de gagner de l’argent. Il est en effet estimé que le coût de production moyen des nouveaux forages oscillait entre 45 et 70 $ et que le seuil de rentabilité se situait dans une fourchette de 50 à 80 dollars le baril. En peu de temps , des milliards de dollars d’investissement ont été injectés dans la nouvelle production et près de 250.000 emplois y ont été créés. Ces développements ont suscité l’inquiétude des pays de l’OPEP et à leur tête l’Arabie Saoudite . Alors que la production des pays non-OPEP passait de 52.76 millions de barils/ Bichara KHADER est Professeur Emérite de l’Université Catholique de Louvain et Fondateur du Centre d’Etudes et de Recherches sur le Monde Arabe Contemporain. Il a été membre du Groupe des Hauts Experts sur la Politique Etrangère Européenne (Commission Européenne) et Membre du Groupe des Sages pour le dialogue culturel en Méditerranée (Présidence Européenne). Actuellement, il est professeur visiteur dans différentes universités arabes et européennes. Il a publié et édité 30 livres sur le Monde Arabe et sur les relations euro-arabes, euro-méditerranéennes et euro-palestiniennes. Les derniers s’intitulent : 1. Le Monde Arabe Expliqué à l’Europe (2010) 2. Le Printemps arabe : un premier bilan (2012) 3. Europa y Mundo Arabe : una evaluacion critica de las politicas europeas (1957-2015) Professeur Bichara KHADER Université Catholique de Louvain [email protected] jour en 2012 à 56.98 m/b/j en 2015 (soit une hausse de 4.22 m/b/j), celle des pays l’OPEP diminuait d’un sommet de 37.00 m/b/j à seulement 35.93 m/b/j au cours de la même période (soit une baisse de 1.07 m/b/j) comme le démontre le tableau n°2. - L’Arabie Saoudite, le plus gros producteur des pays de l’OPEP, se trouve fragilisée. Non seulement elle est concurrencée sur ses marchés traditionnels, notamment en Asie, par les autres producteurs, elle est désormais mise à mal par la mise sur le marché de millions de barils de pétrole non conventionnel. Or avec ses 16 % de réserves mondiales , seule l’Arabie Saoudite pouvait jouer le rôle de « swing producer» ou producteur d’équilibre. Cela lui valait les compliments du Fonds Monétaire qui estimait qu’en jouant le rôle de «producteur d’équilibre», l’Arabie contribuait à la stabilité du marché du pétrole et donc à la croissance mondiale1». Or lors de la réunion de l’OPEP , en novembre 2014, l’Arabie Saoudite persuade les autres membres degeler le plafond de production en dépit d’une offre excédant la demande. Ce faisant, l’Arabie Saoudite décide de ne plus jouer son rôle traditionnel de « producteur d’équilibre» , renonçant , de ce fait, à maintenir des prix élevés car ils permettaient aux producteurs de pétrole de schiste de grignoter des parts de marché. Certes les prix élevés entre 2008 et 2014 ont permis à l’Arabie Saoudite et autres producteurs d’engranger des revenus plantureux gonflant leurs Fonds Souverains. Mais ce gain temporaire annonçait une perte future en termes de parts de marché. « Temporary gain but future pain» , la formule anglaise est ici appropriée. C’est parce que le prix du baril a dépassé les 100 $ que l’exploitation du pétrole de schiste a été rendue possible. L’Arabie Saoudite a eu le sentiment qu’indirectement elle « subsidiait « la concurrence, à son propre détriment. En effet, alors que la production américaine augmentait de 4.2 m/b/j entre 2008 et 2015, celle de l’Arabie Saoudite n’augmentait que d’un million b/j. (Voir tableau n°3) Ce bond spectaculaire de la production américaine a permis de réduire les importations de pétrole de 9.8 m/b/j en 2008 à seulement 6.8 fin 2015, soit une baisse de 3 m/b/j. Cela n’ a pas été sans impact sur les exportations de pétrole de l’Arabie Saoudite vers les Etats-Unis qui ont chuté de près de 350.000 b/j entre 2008 et 2014 . Mais ce qui a accru l’inquiétude des Saoudiens c’est la baisse de leurs exportations dans 4 de leurs 7 principaux marchés d’exportations, en raison de la concurrence d’autres producteurs comme le montre le tableau n°4. Ces évolutions nous éclairent sur la stratégie saoudienne de reconquête des marchés par la baisse des prix. Avec un coût de production d’un baril de pétrole saoudien inférieur à 10 $ et avec des fonds souverains estimés à 750 milliards de dollars, l’Arabie Saoudite peut se permettre de vivre pendant 7 ans avec un baril à 30 $. Peu d’autres producteurs , à part les autres Émirats du Golfe, peuvent se permettre un tel « choix coûteux». Mais l’Arabie Saoudite ne se contente pas de reconquérir le marché du brut , elle s’oriente aussi vers la conquête du marché du raffinage. En multipliant les raffineries sur son territoire, et les joint-ventures hors de son territoire en s’alliant à de grosses societies (Sinopec, Total, Royal Dutch Shell, Exxon mobil et d’autres) , l’Arabie Saoudite dispose déjà d’une capacité de raffinage estimée, fin 2015, à 3.373 millions de barils. Aramco, la compagnie saoudienne, compte porter cette capacité à 8 millions de barils dans les prochaines années. MAROC diplomatique INTERNATIONAL AVRIL 2016 17 Le prix du baril a atteint son seuil de résistance fin 2015. Il serait fort improbable, voire préjudiciable à l’économie mondiale qu’il baisse davantage. Ce serait une catastrophe pour tous les producteurs qui ne disposent pas d’amortisseurs financiers. L’effet d’aubaine pour les consommateurs pourrait être de courte durée car la demande pétrolière devrait repartir à la hausse tandis que les investissements dans les énergies alternatives seront freinés ou reportés. Cette stratégie orientée vers le raffinage est couplée à une politique très avisée du développement des industries pétrochimiques qui enregistre, aujourd’hui, des succès impressionnants. 2. Une baisse programmée plus qu’un simple contre-choc pétrolier Lors de la réunion de l’OPEP , en novembre 2014, l’Arabie Saoudite persuade les autres membres degeler le plafond de production en dépit d’une offre excédant la demande. Ce faisant, l’Arabie Saoudite décide de ne plus jouer son rôle traditionnel de «producteur d’équilibre», renonçant, de ce fait, à maintenir des prix élevés car ils permettaient aux producteurs de pétrole de schiste de grignoter des parts de marché. De ce qui précède, il apparaît clairement que la seule équation offre-demande n’explique pas , à elle seule, l’effondrement des prix pétroliers. La baisse actuelle des prix résulte surtout d›une double compétition: a) Une compétition entre l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis portant sur le pétrole non-conventionnel et les parts de marché . b) Une compétition entre l’Arabie Saoudite et les autres producteurs sur les marchés asiatiques; Que les Saoudiens aient été mécontents de leur allié américain accusés de lâcher leurs alliés arabes , tel que le Président Moubarak d’Egypte, ou d’avoir remis l’Iran sur selle après des années de sanctions ou d’avoir lâché le peuple syrien à son triste sort , tout cela est un secret de polichinelle : les Saoudiens le disent publiquement et en catimini . Mais cette mésentente n’explique pas la nouvelle stratégie pétrolière de l’Arabie Saoudite visant à éjecter du marché le pétrole américain de schiste. L’explication de la baisse des prix par la compétition géopolitique entre l’Arabie Saoudite et l’Iran n’est guère pertinente non plus. Bien sûr que les deux pays sont engagés dans un bras de fer dans un Moyen-Orient en convulsion. Mais cela n’a pas grand chose à voir avec les stratégies pétrolières mais davantage avec des rivalités pour l’hégémonie régionale. En revanche, cette rivalité peut faire voler en éclats les accords de gel de production entre les pays de l’OPEP et la Russie. En effet, le ministre iranien du pétrole , Pijan Namadan Zanjanal, fait valoir que son pays vient à peine de sortir d’un embargo qui a durement fragilisé son économie et qu’il a besoin de relancer ses exportations pétrolières pour remettre son économie sur les rails. Par conséquent, pour le ministre iranien du pétrole, le gel de la production au niveau de 2015 est « une plaisanterie» . « Pourquoi devrions-nous accepter de geler notre production à un million de barils alors que d’autres ( visant l’Arabie Saoudite) produisent quotidiennement 10 millions» s’inter- roge-t-il sans ambages ? Le raisonnement iranien n’est pas dénué de fondement. Il rencontre un certain écho parmi les autres pays producteurs de l’OPEP qui demandent la fixation de nouveaux quotas qui soient en adéquation avec les besoins des pays membres. L’Arabie Saoudite qui fait office de locomotive pétrolière estime pour sa part que grâce à la baisse des prix , la production pétrolière va nécessairement s’adapter à la réalité du marché, la demande de pétrole augmentera et les pays de l’OPEP en sortiront revigorés. 3. En attendant, la baisse des prix fait quelques gagnants et beaucoup de dégâts Bien sûr que la baisse a été une bouffée d’oxygène pour les consommateurs, pour certains pays importateurs, voire pour certaines entreprises . Un litre de diesel à moins d’un euro en Belgique et un gallon d’essence aux Etats-Unis en baisse à 2 $ (décembre 2015) au lieu de 3.85 $ cinq ans auparavant, ce sont plutôt de bonnes nouvelles. Les entreprises paient moins cher leur fuel, les ménages voient leurs factures de mazout diminuer, les raffineries voient leurs marges augmenter, et même les compagnies de transport aérien sortent du rouge . En 2015 , une compagnie comme Air-France-KLM a réalisé un bénéfice de plus de 800 millions d’euros dont au moins un tiers est dû à la baisse du prix pétrolier. Les pays importateurs voient aussi la facture pétrolière s’alléger, se répercutant sur leur solde commercial, leur PIB et leur croissance. La France a vu son déficit commercial baisser de 74 milliards d’euros en 2014 à 48 milliards en 2015. C’est également le cas de la Belgique et de l’Italie. L’Inde , qui importe 85 % du pétrole qu’elle consomme, a vu son taux d’inflation baisser à 6.5 % fin 2015 , alors qu’il frôlait les 10-12 % les années précédentes. La Tunisie et le Maroc , deux pays méditerranéens importateurs, ont réalisé de substantielles économies. En gros, si on estime qu’une baisse de 70 $ le baril signifie un transfert de plus de 2000 milliards de $ des pays producteurs aux pays consommateurs, alors force est de constater que la crise pétrolière depuis août 2014 a été une restitution de pouvoir d’achat à l’ensemble de l’économie mondiale soit 2 % du PIB mondial. Mais il y a le revers de la médaille. Les premiers perdants sont les pays producteurs eux-mêmes. La dégringolade des prix exacerbe leurs fragilités, freine leur croissance, accroî leurs déficits, peut provoquer -si elle dure- une rupture des contrats sociaux. Mais tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. La Russie où le gaz est mécaniquement lié au pétrole, la baisse réduit les recettes d’exportation et affecte le taux de change : le rouble qui s’échangeait à 30 roubles contre un dollar en 2010 s’échange aujourd’hui à près de 70. Cependant la Russie a une position forte : les réserves de change représentent 11 % du PIB début 2015, la dette publique est faible (9 % du PIB) et seule une petite proportion (moins de 3 % du PIB) est en monnaie étrangère. Et globalement le système bancaire russe est plus créancier que débiteur vis-à-vis du monde. En somme, la Russie peut braver la tempête si elle est passagère. L’Arabie Saoudite enregistre des déficits importants dépassant les 90 milliards de $ en 2015. Les autres Emirats ne sont pas mieux lotis. Mais tous ces pays du Golfe ont une population totale de près de 40 millions et disposent d’un pare-choc de près de 2000 milliards de $. qui peut amortir les effets de la baisse pour quelques années. Ils n’empêche que tous ces pays doivent rationnaliser la consommation d’énergie, augmenter les prix de l’essence et introduire des taxes sur la valeur ajoutée Le cas de l’Iran, de l’Indonésie, du Nigéria, du Venezuela ou de l’Algérie est plus problématique. Ce sont des pays plus peuplés où le pétrole constitue l’essentiel de leurs recettes d’exportation et une part importante de leur PIB. Si la baisse devait durer un an de plus, il y aurait un risque réel de défaut souverain et de troubles sociaux . Le Venezuela , à titre d’exemple, où le pétrole représente 90 % des exportations et 40 % des recettes publiques est aujourd’hui au bord du gouffre avec une inflation de 145 %. L’Algérie qui a profité de l’embellie des prix pétroliers entre 2008 et 2014 pour liquider sa dette , est aujourd’hui sur le fil du rasoir et se voit contrainte de se serrer la ceinture en reportant des travaux d’infrastructure et en rognant les aides sociales. Bref, tous ces pays producteurs peinent à boucler leurs budgets et à maintenir leurs économies à flot. Toutes les entreprises pétrolières sont en difficulté . N’oublions pas que ces entreprises réalisent d’importants investissements qui représentent près d’un tiers des dépenses d’investissement de toutes les entreprises du S/P 500 et réalisent 10 % des bénéfices du S/P 500 et 8 % de la capitalisation boursière. Une baisse des prix pétroliers de cette ampleur ne peut qu’affecter leurs dépenses d’investissement, leur chiffre d’affaires, leurs bénéfices, leurs dividendes et leur valorisation boursière. Toutes les sociétés sont contraintes de réduire la voilure et procèdent à des licenciements. Les sociétés engagées dans l’exploitation du pétrole non-conventionnel sont frappées de plein fouet avec un risque réel de défaut affectant, par un effet de cascade, les banques prêteuses. Peut-être l’impact négatif sur la croissance économique des EtatsUnis en raison de la réduction des investissements sera compensé par une augmentation de la consommation, mais l’éviction du marché du pétrole non-conventionnel se fera sentir en termes de nouvelle dépendance énergétique. 4. Scénarios du Futur Le prix du baril a atteint son seuil de résistance fin 2015. Il serait fort improbable , voire préjudiciable à l’économie mondiale qu’il baisse davantage. Ce serait une catastrophe pour tous les producteurs qui ne disposent pas d’amortisseurs financiers. L’effet d’aubaine pour les consommateurs pourrait être de courte durée car la demande pétrolière devrait repartir à la hausse tandis que les investissements dans les énergies alternatives seront freinés ou reportés. A terme ce n’est pas seulement la sécurité énergétique qui sera menacée , mais également la sécurité écologique. Lorsque l’excédent de l’offre aura été résorbé par la croissance de la demande et la sortie du «pétrole cher», les prix entameront une courbe ascendante. Cette tendance sera en dents de scie en raison de l’instabilité dans les régions exportatrices. Personne ne peut prévoir avec certitude le prix du baril pour les années à venir. Une chose est certaine : il va osciller entre 30 et 45 $ jusqu’à fin 2016 . Mais un baril à 100 voire à 120 $ restera hors de portée pour plusieurs années, sauf cataclysme géopolitique. n (Endnotes) 1 “... This enables Saudi Arabia to play a systemic and stabilising role in the global oil market and contribute positively to global economic growth”, cité par Naser Al-Tammimi :” Saudi Oil Policy : to swing or not to swing : what is the problem ? in Valérie Talbot ( ed.) : The rising Gulf : the new ambitions of the Gulf Monarchies, ISPI, Milan,2015, p.81 2 Al-Shark Al-Awsat , 24.2.2016 18 AVRIL 2016 DOSSIER DU MOIS MAROC diplomatique MÉDIAS La qualité, maillon faible des télévisions nationales marocaines ? I Souad Mekkaoui l est évident que les médias de masse, particulièrement la télévision, dominent la conscience et les perceptions de la société moderne. D’ailleurs, cette dernière est l’interface par laquelle les gens apprennent ce qu’ils savent du monde et c’est à travers elle qu’on véhicule ce qu’on pense de l’actualité. Aussi cet outil a-t-il une sorte de monopole de fait sur la manipulation d’une grande partie de la population. De ce fait, il est comme une sorte de miroir qui reflète l’image de la société moderne et trône dans plusieurs endroits stratégiques de la maison à tel point que le son qui en émane est devenu un rituel, dans la majorité des foyers, peu importe qu’on regarde ou non, l’essentiel est qu’il y ait cet écho et ce bruit de fond agréable pour meubler l’espace comme pour rassurer la personne et lui donner l’impression qu’elle n’est pas seule. Par conséquent, la place de la télévision dans la vie d’une grande tranche de la société a fait d’elle une sorte de témoin de notre société. Un miroir qui traduit nos craintes, nos priorités, nos préoccupations et nos rêves. Ceci dit, peut-on dire que les télévisions nationales marocaines sont le reflet de la vraie société marocaine? Il était une fois la TVM Force est de rappeler que le Maroc était pionnier dans le domaine de l’audiovisuel puisque déjà, dans les années 50, la société française TELMA qui voyait en la communauté européenne un public potentiel avait obtenu le permis d’exploitation et de diffusion qui ne commençait qu’en 1954. Toutefois, l’expérience a dû s’interrompre suite aux événements politiques houleux provoqués par le mouvement nationaliste qui secouaient le pays à cette époque-là. Suivant l’évolution politique et historique du Royaume, la chaîne publique marocaine devait débuter le jour de la célébration de la première année du règne de Feu le Roi Hassan II, le 3 mars 1962, émettant en noir et blanc (la couleur n’étant introduite qu’en 1972). Le statut de la TVM est passé successivement du régime de la capacité juridique et de l’autonomie financière à celui de l’établissement public, puis à son intégration à l’Administration centrale du Ministère de l’Information (aujourd’hui ministère de la Communication), avec un budget annexe. La TVM assure alors son équilibre financier moyennant une subvention de l’Etat en plus d’une contribution indexée sur la consommation d’énergie des foyers. A partir, du 3 mars 1993, la télévision marocaine passe au numérique et les programmes sont transmis par le satellite européen Eutelsat2F3 pour permettre à la communauté marocaine à l’étranger une certaine proximité avec le pays et donner l’image d’un Maroc moderne sur le plan international. Le 3 avril 2005, la Radio Télévision Marocaine devient société anonyme sous le nom de la SNRT. Une transformation de taille qui fait naître l’espoir chez les Marocains qui espéraient une télévision indépendante, responsable et de proximité. 2M : première chaîne privée dans le monde arabe L’expérience de 2M est pionnière en son genre. Elle acte donc sa présence édifiante par son démarrage le 4 mars 1989 en diffusant des émissions en crypté avec deux plages en clair et en sélectionnant, de prime abord, son public via un abonnement mensuel. 2M était gérée par l’ONA (Omnium Nord Africain, aujourd’hui SNI ) premier groupe industriel privé d’Afrique en association avec la chaîne française TF1, la SOFIRAD, le groupe canadien VIDEORON et les institutionnels marocains. L’élite médiatique découvre, avec joie, une nouvelle alternative pour fuir le conformisme de la première chaîne et les téléspectateurs, tels des moustiques attirés par la lumière, étaient épatés par cette chaîne thématique et ses programmes élitistes et de haut niveau. Seulement et après quelques années, souffrant de piratage et de concurrence déloyale, elle se travestit en chaîne de proximité et se généralise. Pourtant, face aux difficultés financières, l’ONA, l’actionnaire principal, préfère se retirer de la gestion de la chaîne qui fait vite faillite et c’est l’Etat qui vient à la rescousse. Il prend le contrôle de 2M, en juin 1996, avec une participation de 68% dans le capital pour la placer sous son giron. C’est alors que la deuxième chaîne passe à la diffusion en clair, en janvier 1997. Désormais reçue par près de 70% de la population, 2M se repositionne et constitue une fenêtre du Maroc sur le monde extérieur. Par ailleurs, la SNRT, se dote d’un bouquet de chaînes qui enrichit le paysage audiovisuel marocain à savoir Al Maghribia, Arriyadia, Arrabiâ, Assadissa, Aflam TV, Tamazight et Laayoune. Plusieurs chaînes mais a-t-on une vraie télévision ? Il est bien regrettable qu’on parle des télévisions nationales marocaines avec beaucoup d’amertume et surtout de nostalgie. Si elles sont critiquées voire décriées aujourd’hui, il faut bien avouer qu’elles ont connu leur heure de gloire. Eh oui, les téléspectateurs se sont bien délectés de nombreuses émissions et séries de grande facture. Il fut un temps où le public guettait « Wajh wa hadat » de la regrettée Malika Malak, « Emergence » de Réda Benjelloun, « Entretien » de Touria Souaf, « L’homme en question » de Samira Sitail et de Fatima Loukili dans sa version arabe, Arts et Lettres de Omar Salim, « Polémiques » de Fedwa El Hassani, « Rihanat moujtamaâ » de Meriem El Faraji, « Namadij » de Maria Latifi, « Marocains du monde » de Mustapha Bouazzaoui. La télévision marocaine avait aussi ses animateurs et ses programmes prestigieux et de vrais débats sociaux, économiques et politiques qui maintenaient le téléspectateur en haleine, l’instruisaient et le grandissaient. Aujourd’hui, comme au lendemain d’un changement radical, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient. Les deux télévisions publiques sont aspirées par la médiocrité comme par des sables mouvants. 2M perd son identité de chaîne de débats avant-gardiste et prend le ton et le même son de cloche que la RTM, assoupissant et conformiste. A part des programmes qui se comptent sur le bout des doigts, les chaînes marocaines rivalisent dans les clichés, la platitude et la banalité et font montre de manque de professionnalisme, de véracité et de réalisme. Médias de la superficialité par excellence, elles sont incontestablement les productrices de débats simplistes et stériles (à quelques exceptions près). Ce qui nous fait dire que finalement avoir une panoplie de chaînes ne veut pas dire ipso facto qu’on a une vraie télévision qui réponde aux attentes des gens. De facto, et dans un contexte où l’information s’accélère et se multiplie grâce aux nouvelles technologies, les chaînes marocaines font fuir un public qui a besoin de voir au-delà du décor et de son simple regard. Depuis qu’elles se sont lancées dans une course effrénée pour avoir un maximum d’audimat, l’intelligence, la qualité et la sélection sont jetées au fond du tiroir. Et c’est la course, pas au scoop mais à l’abrutissement où le spectateur n’est qu’une part de marché. Paradoxalement, Maroc Métrie, l’organe spécialisé dans la mesure d’audience des médias audiovisuels au Maroc, publie toujours des taux d’audience estimés satisfaisants par les responsables. Mais il n’y a pas lieu de s’étonner quand on sait que les séries turques doublées en darija viennent en tête du podium, suivies par un large public puis des programmes tels que « Akhtar al moujrimine » ! C’est dire que les émissions traitant de crime sont très suivies par les jeunes téléspectateurs, d’après la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA). Tant et si bien qu’elle a appelé dans son rapport à la mise en œuvre de « commissions déontologiques dont la mission est le visionnement et l’évaluation de cette catégorie d’émissions, ainsi que leur diffusion à des plages horaires adaptées avec le changement des signalétiques d’âge sur l’écran qui passe de -12 ans à -16 ans pour les émissions de reconstitution de crimes ». Au nom de la proximité, les programmes sont de plus en plus insipides, lourds et abrutissants. Des séries supposées drôles sont plutôt pathétiques, manquent cruellement de consistance avec toujours les mêmes acteurs, les mêmes histoires et le même humour. Et le fait est que la responsabilité de cette médiocrité ambiante est partagée entre ceux qui font la télévision et ceux qui la regardent. On critique la qualité des programmes et pourtant l’audience de certaines émissions décriées a de quoi étonner plus d’un. Dans son illusion de regarder la télé, le téléspectateur est mis sous la loupe. Tout compte fait, c’est lui qui est scruté et recensé. Et la télévision, pour mieux vendre, abaisse davantage le niveau pour se mettre au même diapason de la masse qu’elle fidélise et manipule. Ainsi, les télévisions nationales marocaines ne reflètent pas la réalité sociale mais plutôt l’idée que se font d’elle les responsables de l’audiovisuel, ceux qui croient deviner les attentes d’un public qu’ils sous-estiment pensant qu’ils lui offrent ainsi ce qui l’intéresse et ce qu’il est prêt à recevoir. Les programmes sont creux et sans aucune consistance émanant de sociétés de productions qui monopolisent le marché parce qu’elles sont bien introduites. Celles auxquelles profitent les budgets des chaînes publiques et auxquelles des sommes faramineuses sont consenties pour des programmes qui ne méritent pas, et ce grâce à leur complicité interne. Ce qui ferme toutes les portes devant de jeunes sociétés qui pourraient apporter un plus à la qualité de production par un esprit neuf et vif et qui puisse développer le concept de la créativité et de l’innovation.. Non-assistance à une télévision en danger Bien que la télé soit en concurrence avec d’autres médias, la compétition n’élève, malheureusement, pas le niveau et l’acculturation transcende au moment où, même à l’heure de l’internet, le seul instrument qui puisse aider dans l’éducation de la jeunesse avec le peu de temps qui nous reste est la télévision. C’est plutôt grave quand on compare les chiffres enregistrés avec ceux des téléspectateurs qui suivent «Mais encore», «Eclairage» ou encore «Annaqid», «Des Histoires et des Hommes», «Macharif », «Marhabane bikoum», «Kadaya wa ara’e» et ce sur les deux chaînes «Sada l’ibdaa», «45 minutes», «Macharif», pour ne citer que ces cas, des programmes qui méritent d’être regardés. De quoi désespérer de l’intelligence du public marocain. Et pourtant, Ce n’est pas la créativité qui manque ni les compétences. Le problème réside surtout dans la gouvernance. Il y a quelques années de cela, Feu Larbi Messari, ancien ministre de la Communication, avait dit que les Marocains étaient des « immigrés audiovisuels » qui passaient leur temps à regarder les télévisions étrangères. Aujourd’hui, les Marocains ou plutôt la grande majorité, ont quitté leur télévision pour de bon et ne répriment plus leur mépris à l’encontre des télévisions publiques non seulement pour la médiocrité des produits mais parce qu’ils estiment qu’elle porte atteinte à leur intelligence et à leur dignité. En somme, loin de jeter l’anathème total, c’est devenu une urgence de ressusciter le paysage audiovisuel marocain qui se blottit dans la banalité et dans la décadence surtout que les performances sont là mais étonnamment marginalisées. Or vu les gros budgets mis à sa disposition, en plus de la redevance prélevée et des recettes publicitaires engrangées, le citoyen lambda a droit à une télévision publique de qualité. Toujours est-il qu’il faudrait avoir une politique télévisuelle et une vision stratégique claire. Heureusement qu’il reste encore quelques programmes qui méritent d’être vus mais là encore ils sont recalés à des plages horaires où l’audience est en baisse pour une raison que seuls les responsables saisissent. Seulement dimanche dernier au grand bonheur des téléspectateurs, un vent de fraîcheur sembleavoir soufflé sur la deuxième chaîne qui nous a, agréablement surpris par une nouvelle émission «Confidences de presse» à la hauteur de nos attentes. In fine, comme tout outil, la télévision n’est que l’usage qu’on en fait. Peut-on alors aspirer un jour, à l’apport de la télévision marocaine, à l’évolution de la société, à la formation des esprits, à l’accompagnement des jeunes, à l’éducation populaire, à la culture ? Espérer qu’une nouvelle politique médiatique sera mise en oeuvre et appeler à la maturité des médias serait utopique dans le contexte actuel où, dans le dilemme entre télévision commerciale et télévision éducative, la première l’emporte sans conteste. n MAROC diplomatique DOSSIER DU MOIS AVRIL 2016 19 Des experts nous livrent leur avis L a télévision joue-t-elle aujourd’hui son rôle comme il se doit ? A-t-elle suffisamment de moyens pour rivaliser de compétence avec la concurrence ? Occupe-t-elle son espace d’expression dans le total respect des valeurs de la société ? Remplit-elle sa mission au diapason des prouesses technologiques et autres contraintes financières grandissantes qui imposent, même aux chaînes nationales publiques, une inlassable récurrence dans le live et une présence tangible sur le terrain ? Il va sans dire que notre télévision est le reflet de notre société. Quoique l’évolution de l’une ou de l’autre ne roule pas à la même vitesse. Exposée comme elle est à des milliers de lucarnes ouvertes sur le monde, notre société, y compris l’infime partie conservatrice qui la compose, ne peut que constater les dégâts de la rude compétition qui oppose les chaînes privées (cryptées, câblées, ou claires) aux chaînes publiques et vice-versa. L’explosion des moyens investis dans la fabrication d’images est sans commune mesure. Son intrusion dans les espaces les plus intimes et réservés du citoyen fait de la télévision un compagnon incontournable à toute opération de mobilisation des masses, y compris leur manipulation lors des phases critiques des nations (comme en temps de guerre). Or, le phénomène qui déstabilise ce climat paisible est sans nul doute la nouvelle industrie culturelle qui écrabouille l’ancienne à l’aune de l’explosion des nouveaux médias et emprunte la voie royale des nouvelles traditions de consommation. Du coup, on fait du neuf (forme) avec de l’ancien (contenu) et on renvoie aux calendes grecques le modèle de consommation traditionnel dont le legs historique demeure cantonné dans l’écran cathodique. Une perte conséquente de millions de jeunes consommateurs (et même de vieux) en découle systématiquement. Elle provoque une désaffection d’une génération entière aux habitudes de consommation du produit culturel obéissant à un modèle robotisé et substantiellement sophistiqué. Voilà ce qui altère profondément le rôle de la télévision en tant que mobilisateur de masse et moyen d’information à l’influence jadis considérable. Il faudrait sans doute envisager le relâchement de sa puissance mobilisatrice tant et si bien qu’elle cède manifestement du terrain aux nouvelles formes de communication galopantes. Le constat fondamental à émettre, de prime abord, est le cantonnement de la télévision dans une mentalité de gestion vieillotte par une ère de compétitivité et d’intelligence de marché. La passivité avérée de la télévision se vérifie dans le rythme de son management qui est en-deçà de la cadence d’il y a encore 15 à 20 ans. C’est à croire que tout bouge sauf le secteur de l’audiovisuel qui, lui, recule substantiellement. Le peu de cas qu’il fait des questions névralgiques de société, ainsi que l’égard peu regardant sur l’intérêt immédiat des publics, au même titre que l’insouciance dont il entoure la qualité du rendu, jouent défavorablement contre l’adhésion du téléspectateur au contenu, même lorsqu’il arrive, par miracle, à être exceptionnel. Dans ce cas de figure, il faut souligner que les attentes ressenties à l’orée de la libéralisation du secteur de l’audiovisuel en ce début du nouveau millénaire sont restées non satisfaites. La cruelle ressemblance des produits d’information aussi bien que de fiction Fouad Souiba, auteur-réalisateur diffusés par le triptyque constitutif du paysage audiovisuel marocain (SNRT, Soread 2M et Médi 1 tv), habitué à s’allaiter au même sein nourricier, en fait une fratrie siamoise, incapable d’enfanter de petits génies. De quoi renforcer l’indigence de la télévision à créer des vedettes appréciées et adulées et qui tiennent les rênes de programmes phares. Au contraire, elle continue sur sa politique de servilité envers les uns et de complaisance envers les autres, empêchant l’émergence de toute empathie avec une audience désemparée. Même les quelques produits, ô combien rares, auxquels le public aurait visiblement adhéré disparaissent curieusement, du jour au lendemain, de la carte de la programmation sans bonne raison. Ceci ne manque pas de vérifier un constat fort traumatisant ; il admet que le combat contre le succès est la seule vraie bataille engagée par la télévision. Un autre constat et non des moindres c’est de se rendre compte que nul directoire ne s’assigne la moindre stratégie visant à définir des objectifs propres identifiant la personnalité du médium et œuvrant pour une démarcation vis-àvis de la concurrence. Bien au contraire, ce qui donne le tournis c’est que le top management se contente de livrer une piètre copie d’un labeur consistant à expédier les affaires courantes, sans jamais se soucier du créatif, de l’inventif, qui rappelle un soupçon d’évocation du génie artistique local. Admettons que des générations antérieures ont failli à leur responsabilité en négligeant la formation à ces disciplines. Une lacune profondément ressentie aujourd’hui et dont le bilan est peu flatteur. Mais, estce que cette faiblesse ne peut se rattraper autrement ? Nul ne peut continuer à ignorer la morosité du secteur en matière de cadres supérieurs hautement qualifiés. Cette hallucinante réalité se révèle dès que le besoin en encadrement devient hyper urgent. Puisque en dehors de quelques universitaires rôdés depuis à un enseignement supérieur en audiovisuel et cinéma, et qui se comptent sur les bouts des doigts des deux mains, la triste réalité est là pour afficher un visage de souffrance. Léthargique, l’enseignement manque cruellement de formateurs attitrés, et par voie de conséquence, de managers susceptibles de gérer à la pointe de la profession un tel secteur. En contrepartie, la relative réussite de quelques initiatives en radios indépendantes me semble pertinente en ce sens où la formation qu’impose le secteur, beaucoup moins lourde, tout aussi bien que l’investissement, moins coûteux que jamais auparavant, permettent d’emprunter une tout autre tangente. Le succès de certains programmes, si succès il y a, est à chercher dans l’écoute de l’auditeur, auquel on ouvre l’espace pour s’exprimer sur des sujets sensibles. Du coup, on se trouve à la lisière d’une attente qui n’a que trop duré. A l’opposé, à la télévision, où le live constitue l’arme fatale, et probablement l’ultime recours, il semble loin d’être d’actualité dans nos télévisions. Ce qui retarde toute velléité de changement ou de grignotement de nouveaux publics. Ceci étant, le public compare et voit ce qui se passe dans les pays de la concurrence : Golfe, Europe ou d’ailleurs ! Je suis porté à constater que la société a beaucoup plus évolué que l’offre de la télévision. Ce qui semble être une indigence à produire du bon cru, de la qualité, est un indicateur sur l’inégalité du produit local et du produit étranger. La différence est flagrante à tout point de vue. La vitrine internationale a particulièrement changé les habitudes d’écoute chez-nous, au point où on ne sait plus où donner des yeux et des oreilles. Hyper hallucinant encore, l’impression que laissent émerger les managers c’est que la qualité du produit n’est pas une fin en soi. En lieu et place, on assiste à une espèce de laisser-faire et de laisser-aller. Ce qui compte c’est de remplir l’antenne, quitte à puiser indéfiniment dans le frigo. Cette situation de lutte contre le vide : le blanc à la radio et le noir à la télévision, vient de cette impression de sur-débordement et d’insuffisance de moyens à faire valoir devant la demande de l’ogre insatiable qui est la diffusion. Ce qui est à mon sens une cruelle aberration. Les moyens mobilisés aujourd’hui pour et par la télévision sont si importants que la précédente génération des années quatre-vingt-dix en rougirait, et l’avant-dernière génération encore plus, si elle venait à prendre connaissance des chiffres actuels. La transformation de la RTM en SNRT suite à la libéralisation du secteur audiovisuel a transité, dans son volet financier, par l’arbitrage de l’ex-Premier ministre, Driss Jettou. Il fallait se prononcer, en toute âme et conscience, sur la requête de la SNRT qui exigeait un budget conséquent face aux mesures restrictives du département des Finances, à sa tête Fathallah Oualaâlou à l’époque, pour trancher cette question. Se penchant du côté de la société nationale naissante, le Premier ministre avait conscience du rôle capital du nerf de la guerre dans le fonctionnement de la télévision. Maintenant, est-ce que la télévision a réagi conformément au souhait des pouvoirs publics qui croyaient si bien faire en ordonnant de débloquer suffisamment de moyens, et même un peu plus? Lorsque nous évaluons la situation, aujourd’hui, nous en concluons qu’un autre élément est intervenu depuis janvier 2013, et qui aurait probablement mis du sable dans un engrenage pas encore entièrement huilé. Il s’agit de ces fameux Cahiers des charges auxquels se soumettent depuis les sociétés nationales à chaque entame de nouvelle saison de production. Un marché public garantissant la transparence est alors lancé via un appel d’offres. Il définit les projets souhaités par les chaînes et ouvre une concurrence « loyale » entre sociétés concurrentes. Cette initiative prise par le gouvernement est reçue comme une épée de Damoclès dressée au-dessus de la tête des managers de la télévision. Nul n’apprécie l’étendue de la probité qu’entend consacrer un tel texte. Résultat des courses : une guéguerre éclate et impose un nouvel arbitrage dirigé par l’ancien ministre de la Communication, Mohamed Nabil Benabdallah, pour débloquer la situation. Si, aujourd’hui, la situation n’est plus au point zéro, elle n’en est pas très loin. Hallucinant ! Pourtant « informer, divertir, éduquer » telles sont les fonctions fondamentales de la télévision. Nos médias audiovisuels les rempliraient-elles ? La bonne question à poser est-ce qu’elles les rempliraient bien ? C’est selon ! La réponse pourrait sembler évasive ! Mais la réalité est là ! Les principaux commanditaires et diffuseurs des programmes du PAM, y compris les antennes de radios privées, ne sont pas loin de répondre au sacro-saint triptyque : informer, divertir, éduquer. En même temps, le bénéfice n’est pas démocratique, en ce sens où la radio et la télévi- sion ne contentent pas tous les publics. La bonne foi y est, mais la manière n’y est pas ! D’où la migration massive vers les chaînes satellitaires afin d’assouvir sa soif. Avant, lorsqu’il n’y avait qu’une seule et unique chaîne, nul n’avait le droit de comparer. Présentement, la comparaison est cruelle. Des milliers d’offres débordent la lucarne et proposent des choix multiples qui satisfont les plus récalcitrants. Hier encore toute la population regardait le JT ou encore la fiction de la RTM. Aujourd’hui, moins de 10% de la population sont friands du JT ou de la fiction télé locale, contre une migration massive vers le produit du Golfe ou d’Europe. Le tout est de savoir si on veut fabriquer un média audiovisuel qui constituerait un moment névralgique pour la communion de la population, et l’épanouissement des talents du pays, au lieu d’aller les chercher ailleurs, chez la concurrence, ou, si la priorité est de s’attacher à traîner cet héritage du passé. Un héritage qui sacralise la télévision au point d’en faire un outil servile, à l’usage iconoclaste, qui ne préfigure nullement la transfiguration de la société et sa nette évolution. La grande bataille à engager immédiatement est celle du Web. En panne, nos médias audiovisuels cèdent l’espace et donnent toute latitude à leur audience d’aller se servir ailleurs. Investir dans la grande toile n’est pas de l’argent jeté par la fenêtre, si bien que l’identification numérique passe par cette contrainte technologique à la compétitivité plus accentuée. Attention ! Ceci ne signifie absolument pas que la migration de notre télévision sur la toile ferait avancer les choses. Beaucoup reste à faire avant de franchir le pas. Or, ce qu’il faut constater c’est qu’à la concurrence classique vient s’ajouter celle du Net, contre laquelle les armes de nos médias audiovisuels manquent sérieusement de munitions. A peine une barrière se lève, qu’une autre se dresse pour peser de tout son poids. Une multitude de fenêtres au ton libre trouve refuge dans la toile. On trouve pêle-mêle des journaux, des embryons de télévision actifs irrégulièrement mais présents sur la durée. Ils donnent la parole aux sans-parole et proposent une carte au menu tranchant avec le passé. Le ton libre de ces organes accentue le ressentiment éprouvé face aux anciens médias. Loin de consacrer quelque embrouille d’usage, le web offre une nouvelle opportunité de comparer les produits et la qualité du contenu. A la différence flagrante de l’alternative crédible proposée sur le web s’ajoute la célérité, l’aisance de l’accès. Des privilèges qui rendent justice à l’audience et démocratise l’accès à la bonne information, mais aussi à d’autres contenus inaccessibles à la télévision et à la radio. Aussi l’audience trouve-t-elle dans sa quête de la vérité son bonheur dans la navigation sur la toile. Un élément qui vient décrédibiliser davantage l’audiovisuel classique écrasé par les privilèges proposés par le Web. N’oublions pas que toute une génération née dans l’ère de l’Internet a, aujourd’hui, du mal à apprivoiser les moyens d’information et de divertissement classiques. Elle a accès directement à toute cette panoplie de contenus, très rapidement aux programmes qui satisfont ses attentes dans la toile. Pourquoi irait-elle se casser la tête devant un poste de télévision qui doit envisager de contenter tout le monde par un menu généraliste ? Par ailleurs, nul n’a le droit de monopole sur les images qui engagent l’intégrité des gens, ni de diffuser des images atroces sans consulter la victime, ses parents ou ses tuteurs. L’intégrité de l’individu passe au-dessus de tous les intérêts mercantiles. Les organes à sensation sont tenus de prendre leurs précautions avant la diffusion de toute image qui porterait préjudice à un être humain. Ce n’est pas cette flambée de violence que connaît le monde qui va changer quoi que ce soit à cet idéal. L’Homme doit être respectueux de son semblable, au moins dans des situations de cette trempe. La télévision doit être l’ultime recours pour préserver la mémoire des victimes de guerre, de catastrophes naturelles ou de tout autre calamité. En contrepartie, le consentement des familles doit être acquis avant toute diffusion d’images violentes quand elles ne sont pas jugées non diffusables. n 20 MAROC diplomatique DOSSIER DU MOIS AVRIL 2016 Abdelhak Najib, L Redouan Mfaddel, Ecrivain, journaliste, présentateur-télé a télévision, depuis sa création, a toujours été un excellent outil d’information et de communication. À travers les décennies, elle a indéniablement rempli un rôle majeur dans la société. Il ne faut pas se leurrer, la télévision est une immense révolution dans le monde, à son apparition. Puis, très vite, elle est devenue indispensable, plus que la radio, à un moment de l’histoire où le petit écran est devenu une réelle fenêtre sur le monde. Ce rôle s’est maintenu, avec plus ou moins de sérieux et de professionnalisme, jusqu’à il y a quinze ans. Puis la télé-réalité a fait son apparition. Et là, on a versé dans le voyeurisme le plus plat. Reste que de très nombreuses chaînes offrent encore une programmation sérieuse: des films de très bonne facture, des documentaires, des enquêtes approfondies, des reportages bien ficelés. Pour les pôles publics, partout dans le monde, la télévision est en baisse de régime. Les chaînes à thèmes, les chaînes spécialisées ont repris le relais pour l’éducation, la formation, la connaissance et la diffusion du savoir. Aujourd’hui, le constat que je fais, en tant que téléphage, avant d’être présentateur-télé, est que le petit écran traverse sa période la plus floue, la plus insipide pour ainsi dire. Mais il y a des éclaircies, il y a beaucoup d’espoir. D’ailleurs, le monde est un petit village aujourd’hui. N’importe quel citoyen marocain a aujourd’hui accès à presque toutes les chaînes de télévision qu’il veut regarder. Forcément, il compare. Evidemment, le téléspectateur n’est pas stupide ou dupe. Il sait ce qui l’amuse, ce qui lui plaît, ce qui correspond à ses attentes d’amateur du petit écran. Il a toujours le dernier mot et le dernier choix. Je pense qu’aujourd’hui, aucun pôle audiovisuel au monde ne peut faire l’impasse sur cette ouverture sur les autres télévisions quelles que puissent être leurs origines, via les satellites. Alors, il faut connaître les différents publics, faire des études approfondies sur ce qui les touche vraiment, ce qui nourrit leurs curiosités, tout en gardant à l’esprit que la télévision doit d’abord élever les goûts, éduquer, apporter du savoir tout en remplissant son rôle de divertissement. L’un n’empêche pas l’autre. Tout est question de bon équilibre, de bon dosage, entre fictions, documentaires, divertissements, jeux… On peut être très nostalgique et dire que la télévision et la radio d’antan étaient meilleures. On peut aussi constater que beaucoup de chemin a été fait et que ce n’est pas si mal que cela, malgré le fait qu’il reste une bonne marge de progression. Vous savez, il y a du bon et du moins bon sur les télévisions et les radios marocaines. Il y a aussi des programmes qui méritent qu’on les applaudisse parce qu’il y a un réel travail de recherche, un traitement sérieux et beaucoup d’interaction avec les différents publics. Je ne peux pas balayer d’un revers de la main tout le travail accompli par les hommes et les femmes à la télé ou dans les différentes radios. Encore une fois, je crois que c’est une affaire d’audience et de choix de cible. Est-ce que c’est suffisant? Bien sûr que non. Est-ce que nous sommes satisfaits des programmes? Bien sûr que non. Mais je pense pour ma part, qu’il y a une grande volonté de donner aux télévisions et aux radios du Maroc plus de clarté, plus de sérieux, plus de professionnalisme. On y arrivera sûrement. Pour moi, la télévision peut remplir le meilleur des rôles. Elle a une mission éducative et pédagogique importante. Dans le monde où l’on vit, avec les différents clivages, la culture de partage et de tolérance, l’élan d’ouverture vers les autres, tous les autres, est une urgence. La télévision peut être un excellent allié culturel et humain pour faire véhiculer d’autres idées sur l’humain, sur la paix, sur le rapprochement des cultures du monde. Le Maroc, à ce niveau, a toujours été respectueux des autres cultures. C’est indéniable. Mais comment peut-on ressentir l’apparition et le développement vertigineux du Net et de la presse numérique par rapport à une télévision qui demeure « verrouillée » et encadrée dans ses libertés, alors que les sites commencent à mettre en ligne un contenu concurrentiel en images? C’est l’inconnue de l’équation. Pourtant celle-ci est au premier degré. Le Net, les réseaux sociaux et l’ouverture satellitaire ont fait que tout le monde a accès à tout. Plus rien ne peut se cacher. Aucun verrouillage n’est plus efficace. Je suis pour cette ouverture contre toutes les censures et tous les verrouillages. Je suis pour la liberté des uns et des autres à accéder à toutes les informations, à donner leurs opinions, mais dans le respect des autres, sans faire dans les provocations primaires, le prosélytisme béat et autres dérapages de la toile. On le voit tous les jours, le Net n’est pas une balade de santé. Loin de là, il y a là aussi de tout, et souvent beaucoup de mauvais et de médiocre. Le Net et les réseaux sociaux ne véhiculent pas que du savoir et ne servent pas à partager les cultures des autres, à rapprocher les peuples. On y trouve même des choses qui relèvent du pénal et du criminel. Face à cette percée terrible, qui a de bons côtés, la télévision et la radio, ont toujours une place très importante. Il faut leur trouver le bon tempo, la bonne réactivité, pour ne pas céder trop de place face à l’hégémonie grandissante de la toile, qui se tisse à grande vitesse. Tout peut être dit et véhiculé avec responsabilité et sérieux via la radio et la télévision. Evidemment, j’insiste grandement sur le fait d’éviter la provocation, le choc pour le choc, le sensationnel pour faire recette. C’est du racolage de bas étage. Mais il faut informer dans la dignité en respectant les vies humaines, la sensibilité des uns et des autres. La guerre, les morts, les catastrophes font partie de ce monde fou où l’on vit. Il faut savoir ce qui se passe, mais pas de matraquage à longueur de journée où il n’y a plus de place que pour la mort et la haine des humains les uns pour les autres. Non, il y a encore du beau dans ce monde, il faut aussi nous le faire aimer. Reste la question des enfants face à tout cela ? Là, il faut redoubler de vigilance. Là, tout n’est pas bon à montrer. C’est le rôle des organismes spécialisés de veiller au respect des âges des téléspectateurs. Les parents doivent aujourd’hui, plus que jamais, faire très attention. Entre pornographie, pédophilie, sexe à tout va, guerres, violences de tous genres… et devant un écran de télé, sur le Net, sur les réseaux sociaux, il faut veiller au grain et ne pas laisser passer n’importe quoi. n Chef d’entreprise & chroniqueur L a TV est un média en pleine mutation déstabilisée par les critiques qui pointent sa médiocrité mais aussi remise en cause par les nouveaux médias tels que le Web, les réseaux sociaux, plus directs et plus participatifs où chacun peut faire «son marché» en fonction de ses attentes et de ses besoins. Considérée souvent comme pilotée ou non indépendante des forces économiques et des annonceurs, elle n’est plus l’outil de «connexion, d’information, de communication et de distraction»... Le smartphone concurrence gravement la TV au Maroc comme ailleurs. Force est de constater que les chaînes marocaines sont faibles: le format et le contenu des journaux TV est «has been», les marocains leur accordent peu de crédit, la présentation et les sujets traités sont désuets. Il y a un manque évident d’objectivité et de pluralisme. Le niveau des journalistes est faible et en voulant être le reflet de la société (qu’elle considère comme médiocre), la TV s’est nivelée vers le bas du fait aussi du copinage et du clientélisme en ayant recours, toujours, aux mêmes formats et aux mêmes sociétés de production. La TV considère que le divertissement et la détente passent par le rire «bas de gamme», or les marocains ont muri, ils sont informés, curieux, critiques. Si la TV marocaine a eu son heure de gloire, ce n’est plus le cas alors que la TV satellitaire et l’offre de contenu se sont multipliés et sont plus accessibles. De même, la nouvelle concurrence des médias modernes liés aux NTIC a été rapide et non suffisamment prise en compte. En ne prenant pas suffisamment en considération les attentes et les besoins des téléspectateurs dans une démarche marketing moderne, la TV marocaine a laissé se creuser une distance forte entre les programmes et son public qui évalue, compare plus facilement désormais. Si les émissions diffusées devraient, en principe, jouer un rôle pédagogique, éducatif, une mission de rapprochement, de tolérance et d’éclairage, eh bien, non, elles ne jouent aucun de ces rôles. Les rares émissions sont des débats politiques alors que la politique a perdu toute crédibilité et n’intéresse pas les marocains dans les formats actuels. Il faudrait développer les débats de société (non misérabilistes et voyeuristes) à connotation économique et sociale qui fassent intervenir non pas des béni oui oui mais des esprits critiques, libres qui puissent débattre sans langue de bois.... Le débat libre existe sur les réseaux sociaux et certaines radios mais pas à la TV, il est trop convenu et prévisible. La TV est en grave danger... Les réseaux sociaux, la presse électronique la menacent car ils comportent une forme d’instantanéité et de pluralité au niveau des sources et du contenu. Désormais avec les SMART TV on peut relier sa TV aux nouveaux outils (Web, You Tube) et créer sa propre TV et son propre contenu et zapper sur des millions de programmes. D’un autre côté, si les images de guerre, de conflits sont déjà sur les réseaux sociaux, la presse électronique, le WEB... à mon avis, la TV peut les diffuser tout en se gardant de diffuser les images les plus choquantes et en prévenant les téléspectateurs par des signes sur l’écran. La TV se doit de montrer la réalité du monde tout en ayant une position éthique quant aux images les plus choquantes qui peuvent traumatiser les plus fragiles et les plus jeunes. La violence fait déjà partie du quotidien de nombreux marocains... Ils ne vivent pas dans une bulle et côtoient la misère et la tragédie soit dans leur vie quotidienne et dans leur environnement proche soit via les réseaux sociaux et le WEB. La carapace du marocain d’aujourd’hui est plus épaisse qu’hier. n MAROC diplomatique L DOSSIER DU MOIS e rôle de la télévision telle qu’on la connaissait est nettement amoindri aujourd’hui à cause de l’émergence de tous ces nouveaux médias et réseaux de communications présents sur le web et par satellite. En fait la télévision existe et continuera d’exister. Elle a simplement pris d’autres formes pour devenir une sorte de supermarché où l’on se sert à sa guise. L’arrivée des chaînes spécialisées, la télé à la carte, les émissions sur le web et la possibilité de ne plus avoir de contraintes d’horaire pour regarder le programme de son choix a complètement transformé les habitudes. Le nombre de téléspectateurs a connu une chute vertigineuse partout dans le monde entraînant une forte baisse de revenus. Il s’agit d’un véritable séisme qui a déstabilisé la plupart des grands réseaux comme la BBC qui a dû licencier des milliers d’employés et abandonné la production de certains reportages et de documentaires qui faisaient sa notoriété. Au Maroc, la télévision n’a jamais pu remplir son rôle éducatif, rassembleur faute de moyens bien sûr, mais aussi à cause d’erreurs disons-le plus politiques. Il y a longtemps qu’on aurait dû se rendre compte que pour faire passer efficacement un message, il fallait le faire dans la langue comprise par la majorité. C’est pour cela que je salue aujourd’hui l’utilisation, de plus en plus, de la Darija. Mais à mon humble avis, ce n’est pas encore suffisant. Il faut oser davantage. Lorsqu’on persiste encore à s’adresser aux marocains en arabe classique, le message ne parvient pas à la majorité. Et puis il y a encore la censure, les tabous, les contraintes et orientations imposées au nom de la religion. Quand va-t-on comprendre que la foi est une affaire personnelle et qu’elle ne doit pas devenir une entrave à la liberté individuelle ? Mais je m’arrête là au risque de me retrouver sur un terrain glissant..... L AVRIL 2016 Ahmed Malki, journaliste TV & animateur radio Que les Marocains accèdent aux chaînes satellitaires ou sur le web ne peut être que bénéfique. Il faut reconnaître que 2M ou la première chaîne n’ont pas les moyens d’Al Jazirah ou de CNN. Il faudra du temps et de l’argent pour que des chaînes marocaines émergent de la toile ou des satellites pour les concurrencer. Personnellement, je suis absent du paysage médiatique marocain depuis longtemps mais je dois saluer l’évolution du cinéma au Maroc, qui était moribond, il y a 25 ou 30 ans. La radio et la télévision n’ont, malheureusement, pas connu la même accélération à part quelques programmes qui se sont démarqués, depuis quelques années, en donnant la possibilité d’une plus grande liberté d’expression et d’un esprit plus critique. N’oublions pas la période de grande censure il n’y a pas si longtemps, lorsque la première chaîne de télévision et de radio, la RTM, était gérée par le ministère de l’intérieur à la manière d’un poste de police alors que Médi 1 et 2M, à leurs débuts, jouissaient d’une plus grande liberté et disposaient de plus gros moyens. Ce genre de situation a entraîné la fuite de cerveaux dans bien des domaines. Il est vrai que la radio et la télévision ont connu leur heure de gloire à une époque où elles étaient les seuls à nous divertir et à nous informer. Mais, aujourd’hui, le public est plus exigeant parce qu’il dispose d’un choix presqu’infini. Et les médias sociaux, devenus un fantastique outil d’échange d’informations continuent de nous surprendre à la vitesse de l’éclair. Le fait d’avoir accès à d’autres véhicules d’information et de divertissement permettra, je l’espère, une plus grande ouverture d’esprit à une époque où l’islamisme et le fondamentalisme font peur et nuisent à l’islam, en plus d’être un obstacle à une programmation culturelle et pédagogique émancipatrice. Il est certain que la télévision, quelle que soit sa forme, a un rôle pédagogique à remplir, et l’utilisation d’un dialecte compris par tous et toutes en est le maillon essentiel. Il en est de même pour la réforme de l’enseignement, il y a plus de 40 ans et qui a été, on est nombreux à le reconnaître, un échec total qu’on tente heureusement, aujourd’hui, de corriger. Et la télévision marocaine pourrait combler en partie cet échec, grâce notamment à des émissions d’utilité publique, qui adressent sans tabous ni dogme les problèmes de la société. Elle pourrait jouer un rôle éducatif pour diminuer le nombre anormalement élevé d’accidents de la route, mettre en garde contre les ravages causés par la cigarette et j’en passe. Si nous avons vu apparaître des émissions de sensibilisation aux problèmes des déchets domestiques ou des plages, les questions telles l’alcoolisme, la prostitution, les violences et discriminations envers les femmes, la maltraitance des enfants et la radicalisation d’une grande partie de la société restent boudées ou traitées superficiellement. Ce ne sont là que quelques exemples des grands maux de la société marocaine qui n’ont pas l’attention nécessaire à cause de la censure et des tabous. Par ailleurs, l’évolution extraordinaire d’internet et des médias sociaux est telle que la télévision traditionnelle se retrouve à la traîne et tente d’embarquer à bord d’un train à pleine vitesse. Tout le monde semble dépassé. C’est extraordinaire la rapidité à laquelle l’information circule. L’accès facile aux nouveaux médias et la liberté relative qu’ils procurent permettent de compenser, à bien des égards, le mutisme et la censure qui gangrènent l’information à la télévision marocaine. Mais peut-on tout dire et tout diffuser ? Pensez-vous qu’on ait d’autre choix que de tout dire, de tout montrer? Pas pour l’instant en tous cas, car le public a les moyens d’aller s’informer là où il veut, quand il veut. Et en ce moment, nous n’arrivons pas à contrôler tout ce qui est publié sur internet et qui contribue à une grande déstabilisation de nos sociétés. Ce n’est pas l’information qu’il faut réduire ou «adapter», ce sont les mentalités et intelligences populaires qu’il faut faire progresser pour que le public sache faire la part des choses. n Allal Sahbi Bouchikhi, ancien cadre de production à France Télévision a télévision n’est pas seulement, depuis 60 ans, un phénomène de masse, mais de société. Son développement planétaire en fait un vecteur d’information, de culture, d’éducation, de distraction, de communication et de rapprochement. Pourtant, elle n’est pas épargnée par la critique, notamment au Maroc où elle est boudée par le public qui se tourne vers les télés satellitaires. Malgré la libéralisation relative du secteur audio-visuel et l’émergence de quelques chaînes de radios. Alors, comment expliquer ce désengouement du public envers les programmes de la Radio et de la télévision marocaines sachant qu’elles ont connu leur heure de gloire? Les raisons sont multiples, mais la plus impotente, à mon sens, c’est l’abandon de la mission de service public. Les pionniers du concept du média télévisuel comme service public, appliquaient à la télévision trois buts fondamentaux : informer, divertir et éduquer. Or, Les marocains n’accordent aucune crédibilité aux journaux télévisés ou radiophoniques. Ils ne se reconnaissent pas dans les programmes de divertissement. Quant à la culture et l’éducation, qui doivent offrir à la société la possibilité de s’élever et de mieux vivre ensemble, elles leur semblent totalement absentes des chaînes publiques ou privées. Aujourd’hui, si l’on considère les grilles de programme des diverses chaînes, on remarque que le divertissement occupe une place prépondérante. L’information vient ensuite, cependant que l’espace accordé à l’éducation est assez restreint. Le média prépondérant qu’est la télévision s’est donc quelque peu éloigné de son but fondamental à savoir : informer, divertir et éduquer. Concernant le plan économique , la publicité a fait de la télévision un média de consommation plutôt que de culture véritable. Dans le service public , les programmes, diffusés à tous les niveaux , outre leur mission informative et distractive, doivent avoir un rôle pédagogique, éducatif. Une mission de rapprochement, 21 de tolérance et d’éclairage . Cependant, on peut soutenir qu’à l’heure actuelle ni la télévision ni les radios nationales ne remplissent cette mission de service public. Elle sont réglées par l’Audimat qui régit les chaînes privées comme les chaînes publiques. Il en résulte un alignement général sur la médiocrité, la vulgarité, le mépris du téléspectateur et de l’auditeur ; et c’est la politique du pire qui l’emporte. Ayant compris les enjeux que la télévision par satellite posait, les téléspectateurs adoptent une position qui manifeste leur refus de donner une quelconque légitimité à la télévision nationale et, par delà, au pouvoir qu’elle représente. « Écœurés » par les silences de la télévision sur leur propre quotidien, (ils ne se reconnaissent ni dans les informations ni dans les dramatiques ou les programmes de flux) les marocains se sont, donc, tournés massivement vers les programmes offerts par les télévisions satellitaires, certes par soif d’information politique, mais aussi pour le sport, les films, les émissions pour enfants, etc. Ces télévisions représentent « l’alternative » à une une offre nationale qui ne cesse de se dégrader. la médiocrité est devenue la normalité au Maroc. c’est un état d’esprit que l’on trouve partout : à l’école, dans les services publics, dans les rapports entre les citoyens. Cela s’explique aujour’hui par le fait que des médiocres ou des gens qui ne justifient d’aucune compétence particulière sont promus à la place des méritants. Pire, ils sont maintenus dans leur poste malgré le manque de résultats positifs ou même une gestion calamiteuse. le rendement n’est plus l’objectif des cadres qui sont aux postes de responsabilité, leur seul souci c’est de proclamer haut leur allégeance pour conserver le juteux positionnement... Pour retrouver sa légitimité et son public la télévision marocaine doit impérativement changer, et d’abord, commencer par changer les têtes et les soustêtes qui, à l’évidence, ont échoué. Il faut donner au service public les moyens financiers et humains pour accomplir sa mission et relever les défis posés par le développement vertigineux du Net et de la presse numérique par rapport à une télévision qui demeure « verrouillée » et encadrée dans ses libertés, alors que les sites commencent à mettre en ligne un contenu concurrentiel en images . La télévision publique doit relever le niveau et s’atteler à une mission très compliquée : « Être crédible, compétitifs tout en respectant l’intelligence du spectateur et en lui proposant des programmes de qualité ». Pour cela, il faut que notre paysage audiovisuel s’ouvre aux intellectuels, aux créateurs, aux producteurs de créateurs, aux éditeurs, directeurs de théâtres ou de musées, bref : : aux pratiquants de la culture et de l’art dans la sphère publique afin de mettre fin à la dégradation des programmes , à cette médiocrité ambiante qui est une insulte à l’intelligence du public marocain . Oui ! Le secteur public , radios et télévisions, peut relever ce défit à condition de ne pas être un lieu du mépris : mépris du téléspectateur considéré comme un client, mépris du réalisateur et du producteur considérés comme des fournisseurs, mépris du citoyen qu’il faudrait à tout prix laisser s’assoupir. Il lui faut être plus proche du citoyen. Profiter de la régionalisation pour étoffer les stations régionales et les développer, créer des radios de proximité tenant compte des spécificités locales, linguistiques notamment, et surtout, produire des programmes nationaux qui rassemblent tous les marocains avec l’ambition de les exporter au lieu d’en importer. S’ouvrir sur le Net en intégrant les nouveaux formats et les nouvelles technologies qu’il exige. Enfin, la télévision publique ne doit pas consacrer les deux-tiers du temps de ses émissions d’information aux inaugurations de chrysanthèmes et aux péripéties météorologiques. Vous demandez si on peut diffuser les images de guerres, de conflits, de tragédies et de violences? Je pense, tout d’abord que la télévision a un rôle d’information, et pour cela, elle ne doit pas nous cacher la vérité. Même si les images sont violentes, il est normal de voir , par exemple, les horreurs de la guerre , les dégâts catastrophiques causés par les tsunamis ou les accidents nucléaires . Les images sont choquantes, insoutenables mais elles nous permettent de savoir ce qui se passe vraiment. la télévision peut, à priori, tout montrer à condition d’avertir à l’avance le téléspectateur. Ainsi, ce dernier sera responsable de son choix et regardera le programme en toute âme et conscience. A l’image des symboles d’avertissement -12 , -16, -18 ou des codes parentaux installés sur la plupart des postes de télévision. Cependant, la télévision peut avoir un impact négatif sur notre personnalité, sur notre comportement, ou notre manière de penser. D’ailleurs, certains programmes risquent de nous influencer et nous amener à reproduire certaines scènes : des enfants qui imitent des combats de catch vus à la télé, et qui se blessent gravement . Pire encore, le cas de ces jeunes américains qui ont tué plusieurs personnes à l’université, sous l’influence de films et de jeux vidéos violents. Ensuite, certaines images peuvent nous choquer, nous perturber. C’est le cas par exemple des films d’horreur qui peuvent nous empêcher de dormir ou provoquer des cauchemars. Souvent d’ailleurs, ces scènes ne traduisent pas la réalité. C’est le cas des films pornographiques qui déforment la relation réelle qu’il y a entre deux personnes qui s’aiment. De plus, certains programmes peuvent nous abrutir et la stupidité des scènes ou des dialogues sont néfastes pour notre intelligence. A l’instar des émissions des télé-réalités stupides et vulgaires où les «gros mots» sont employés sans arrêt. Enfin, la télé doit savoir rester discrète sur certaines informations, ne pas divulguer certains secrets ou révéler certaines opérations. Citons à titre d’exemple les opérations militaires « top secrètes », ou les informations concernant les systèmes de protection des banques etc... En conclusion, même si la télévision semble être un outil incontournable pour s’informer ,se distraire ou se cultiver, il est cependant indispensable d’avoir un regard critique sur le choix des émissions et ne pas s’enfermer dans un monde virtuel et imaginaire. Prenons garde aux dangers de la télévision et restons libres dans nos jugements, sans que ne nous fassions influencer par celle-ci. n 22 MAROC diplomatique INTERNATIONAL AVRIL 2016 XVIÈME COLLOQUE INTERNATIONAL « Gouvernance et systèmes de contrôle des finances publiques en Afrique : Défis et enjeux » Mohamed Harakat La nécessité de la vulgarisation massive des valeurs de la gouvernance financière, au regard de la diversité et la complexité des systèmes de contrôle, en Afrique, véhiculant un ensemble de messages et d’approches démocratiques portant sur le budget citoyen, budget ouvert, transparence dont les racines s’alimentent d’une série de recommandations et de déclarations des organisations internationales. La Revue marocaine d’audit et de Développement (REMA), Le Centre international des Etudes Stratégiques et de gouvernance globale (Global Gouvernance Center) , la Faculté des sciences juridiques économiques et sociales Souissi, l’Institut des Etudes africaines - Université Mohammed V- Rabat, ont organisé, en partenariat avec l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique (ARGA) l’Institut Mandela, la Fondation allemande Hanns Seidel et l’Amlog, le XVIe colloque international «Gouvernance et systèmes de contrôle supérieur des finances publiques en Afrique : Défis et enjeux » à Rabat les 25 et 26 mars 2016 auquel a participé un ensemble d’experts, de magistrats et de chercheurs universitaires maghrébins et africains provenant de Rwanda,de Djibouti, du Gabon, du Cameroun, du Sénégal et du Nigéria en plus des pays du Maghreb (Algérie, Mauritanie,Tunisie et Maroc) et de l’Allemagne. C e colloque international organisé et dirigé par le Professeur Mohamed Harakat, Professeur à l’Université Mohammed V – Rabat et Directeur fondateur de la REMA et Président du Global Governance Center a permis, notamment, de faire l’état des lieux des modèles et systèmes de contrôle des finances publiques et de la gouvernance, à l’échelon mondial et continental, par référence aux principes de bonnes pratiques, définir les modalités de fonctionnement et le rôle assigné aux Institutions supérieures de contrôle (ISC) dans les pays africains (cours des comptes, contrôleurs généraux, évaluation par les pairs) dans le processus de développement de la gouvernance. Il a permis également de débattre des contraintes auxquelles se heurte le développement des ISC et de la gouvernance et du contrôle interne en Afrique, de découvrir les institutions africaines de contrôle et de formation en gouvernance et leurs rôles dans le développement des normes, des méthodes et des standards de contrôle. Par ailleurs, cela donne à constater la faiblesse de l’enseignement des finances publiques et des humanités dans les universités en insistant, plus particulièrement, sur la nécessité de développement d’une nouvelle approche sociologique et psychologique d’étude des phénomènes financiers et de gouvernance et à analyser les perspectives et les conditions de développement du contrôle financier dans le cadre d’une bonne gouvernance démocratique globale et partagée tout en avançant les scénarios de succès et d’échec et les espoirs que l’on peut formuler au regard de l’évolution récente. Cette rencontre scientifique a permis aux différents participants (ISC, experts, universitaires et gestionnaires doctorants et ONG) d’approcher les modèles internationaux et les bonnes pratiques de contrôle des finances publiques et de gouvernance dans toute leur globalité et leur complexité. Ce qui a donné lieu à plusieurs recommandations comme la prise Mohamed Harakat. de conscience de l’état déplorable de transparence des finances publiques et le «mal gouvernance» en Afrique, en période de crise et d’instabilité. En plus de la lutte contre la corruption provenant notamment de la prédominance de la culture de la rente dans ces sociétés et dont les effets et les impacts psychosociologiques et mentaux sont multiples et complexes(1) freine le développement économique et biaise la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales. La nécessité de la vulgarisation massive des valeurs de la gouvernance financière, au regard de la diversité et la complexité des systèmes de contrôle, en Afrique, véhiculant un ensemble de messages et d’approches démocratiques portant sur le budget citoyen, budget ouvert, transparence dont les racines s’alimentent d’une série de recommandations et de déclarations des organisations internationales (déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, Nations Unies, OCDE, INTOSAI, Transparency International, etc.). L’internationalisation des problèmes de transparence, d’audit et de contrôle exige l’édification d’un nouveau système international de contrôle supérieur des finances publiques doté de pouvoir effectif et réel dans le processus de lutte contre la corruption L’exigence démocratique et les impératifs d’améliorer le niveau de vie des citoyens, rendent nécessaire une gestion publique performante consistant à donner un sens à l’action publique africaine, dans le but de rendre les institutions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, plus transparentes, plus compréhensibles, tangibles et plus intelligentes(2). Il convient de souligner l’apport enrichissant des organisations internationales au développement du contrôle. Cette tendance vers l’instauration d’une nouvelle culture de transparence et de performance devrait se manifester par l’harmonisation, la codification et la démocratisation tant des travaux que des valeurs de contrôle en Afrique. L’internationalisation des problèmes de transparence, d’audit et de contrôle exige l’édification d’un nouveau système international de contrôle supérieur des finances publiques doté de pouvoir effectif et réel dans le processus de lutte contre la corruption (recommandations de Montivedio, Uraguay) (1998) tout en mettant l’accent sur le rôle des ISC dans la lutte contre la corruption, compte tenu de ses méfaits socioéconomiques (altération macroéconomique, baisse de la qualité des infrastructures et des services publics) et sociologiques de la corruption sur l’économie et la société (découragement des idées nouvelles et innovations, discrimination, inégalité entre les citoyens, émergence de l’économie du savoir). Il est aussi impératif d’instaurer une véritable codification et unification des principes et des techniques régissant la pratique de l’audit et de contrôle interne dans le secteur public et son apport primordial à la modernisation de l’Etat et à la bonne gouvernance. Cogiter la mise en place, un système international de contrôle des finances publiques destiné à lutter contre toutes les formes de la corruption (marchés publics, armes clandestines, tourisme sexuel, ventes des faux médicaments, fuite de capitaux, finances de terrorisme etc…) dans une période marquée par la crise et l’instabilité. L’élargissement de l’objet du contrôle des finances publiques. Ce contrôle, une fois effectif, peut s’étendre au contrôle des marchés financiers et économiques et aux fraudes échappant au contrôle régulateur. Dans cette perspective, les frontières entre finances publiques et finances privées seront abolies. Il faut également évaluer les condi- tions de fonctionnement de la gouvernance dans toute sa globalité. Toutefois la prudence reste de mise puisqu’il faut privilégier surtout la pertinence de l’information fournie, l’échange et la coopération dynamique entre les acteurs de la gouvernance nationale, régionale et mondiale. Et créer une cour des comptes internationale dotée de pouvoirs effectifs de contrôle, à l’image du tribunal pénal international. C’est une tâche qui n’est pas aisée, compte tenu de la mauvaise gouvernance et l’inefficacité qui marquent quelques institutions internationales déjà mises en place. En plus de développer des doctrines, des cultures et des traditions de contrôle et d’évaluation des systèmes de gouvernance d’une manière plus large. Les tâches assignées actuellement à l’évaluation sont, de plus en plus, nombreuses et complexes. Enfin, il est indispensable de promouvoir une démarche transdisciplinaire cognitive de contrôle et d’évaluation des politiques publiques (fondée sur la connaissance et le savoir), pédagogique, créative, constructive, interactive. C’est une logique constante d’intelligence collective. Il ne s’agit pas d’une entreprise de «spectacle public» mais d’intelligence émancipée et partagée. Elle est au cœur de la nouvelle citoyenneté. «Evaluer c’est évoluer». n 1) Mohamed Harakat (2015) «Les paradoxes de la gouvernance de l’État dans les pays arabes » préfaces Alexander R. Dawoody et Michiel S. de Vries l’Harmattan Collection Histoire et Perspectives Méditerranéennes, p.27. 2) M. Harakat (2011) «Les finances publiques et les impératifs de la performance : cas du Maroc » l’Harmattan, Paris ,p.177. (*) Professeur à l’Université Mohammed V - Rabat ; Directeur fondateur de la Revue marocaine d’audit et de développement (REMA) ; Président du global gouvernance center. 24 diplomatique MÉDIAS AVRIL 2016 Le cinéma est-il une émission de télévision comme les autres ? Dominique Parret I MAROC l y a un peu plus qu’un jeu de mot et qu’une provocation dans cette question. La question se pose, en effet, de la validité du maintien de ces deux mots « cinéma » et « télévision » pour désigner deux réalités, deux activités, deux modes de création artistiques et deux industries distinctes. Ces deux mots ont-ils cessé d’être des outils opérants ou les lignes discursives ayant bougé, faut-il recourir à d’autres concepts ? Pour mettre les pieds dans le plat : Y-a-t-il aujourd’hui un Cinéma, d’une part, et une Télévision, d’autre part ? Répondent-ils à deux univers techniques différents ? Agissent-ils dans deux sphères économiques distinctes ? S’agit-il de deux activités créatives séparées et deux arts indentifiables l’un par rapport à l’autre. Les distinctions techniques, économiques et artistiques seraient-elles ailleurs ? Il ne fait aucun doute que Cinéma et Télévision ont recouvert des réalités reconnues dans leur altérité par tout un chacun. Personne, en 1960, n’aurait eu l’idée d’écrire le présent article. Il y a, aujourd’hui, une si grande communauté de technologies, de circuits économiques, de techniques artistiques que la question des définitions et des lignes de partage se pose effectivement. Nous allons essayer de tracer quelques-unes des pistes de cette réflexion sachant qu’il faudra forcément, dans un deuxième temps, procéder à une analyse chiffrées, des réalités, ici esquissées. Qu’est-ce que le cinéma ? Et qu’est-ce que la télévision ? On peut au moins être certains d’une chose, Cinéma et Télévision répondent historiquement à deux démarches scientifiques totalement différentes qui se déroulent presque simultanément sans, semble-t-il, avoir eu ni la nécessité, ni l’idée de se rapprocher. Essayons-nous à deux définitions : Le cinéma est un mode d’enregistrement et de projection de photographies animées. La télévision est constituée de l’ensemble de techniques permettant d’émettre et de recevoir, à distance, des sons et des images. L’un enregistre, l’autre transmet. L’un vient de la photographie, l’autre de la radio et du téléphone. Leurs deux univers techniques sont donc bien distincts. Immédiatement le Cinéma montre des réalités extérieures et raconte des histoires. Dès l’origine la Télévision se fabrique en studio et en direct. Elle produit du flux. Ceci étant, le cinéma ne tardera pas à se faire en studio et la télévision n’aura de cesse d’aller en extérieur et de raconter des histoires. Quant à l’histoire, il faut bien la raconter un peu. Ne serait-ce que pour valider l’assertion précédente comme quoi Cinéma et Télévision sont des aventures quasi simultanées, il nous faut des dates. Les réalités, les modes de constitution des industries correspondantes sont aussi infiniment éclairants pour le débat qui nous anime. En 1884,le jeune allemand Paul Nipkow perfectionne le balayage systématique de l’image par l’effet d’un disque perforé. Les signaux sont transmis par un circuit électrique et l’image reconstruite par un dispositif semblable à celui du balayage initial. La persistance rétinienne et l’électricité alternative sur 50 périodes déterminent le nombre d’images par seconde : 25. Nipkow dépose son brevet, celui de la télévision électromécanique[]. C’est en 1900 que le mot « Télévision » est proposé dans une publication du Congrès International d’Electricité à l’Exposition Universelle de Paris. En 1888, un américain, John Carbutt invente un support photographique souple – c’est essentiel, la souplesse du support, pour l’invention du Cinéma – et transparent – ce qui est également déterminant-. En 1891, Thomas Edison et Dickson ont l’idée du film 35mm à perforations. Le Kinétographe et le Kinotoscope – l’un enregistre, l’autre projette – sont inventés et avec eux le Cinéma. Ces inventions, chacun l’a à l’esprit, s’inscrivent dans un contexte déjà très riche en matière d’analyse et de reproduction du mouvement. Quant à la photographie, il y a longtemps – pratiquement un siècle - qu’elle existe et se pratique couramment. Jouissons, un instant, de notre surprise : la télévision a été inventée avant le cinéma. Pour le plaisir, notons au passage que le premier dessin animé est dû au français Emile Reynaud et qu’il date de 1892 ! Rien d’étonnant à cela, d’ailleurs, les lanternes magiques rotatives reproduisant des mouvements ont d’abord utilisé des supports dessinés. Continuons à nous amuser avec les dates : Premier brevet de télévision en couleur : 1889, en Russie. Les histoires de la photographie ne sont pas claires sur l’invention de la couleur. Le procédé « Autochrome » des Frères Lumière date de 1903, le premier film donnant l’illusion de la couleur est de 1911, le premier film en technicolor véritable de 1917. Nous excluons de notre propos les films colorisés au pinceau, image par image. L’histoire du Cinéma et celle de la télévision continuent à être très synchronisées, avec toujours une légère avance pour la Télévision. Puis l’histoire change de tempo. Comme elle en a le secret, elle se livre à une puissante accélération. C’est le Cinéma qui en est le bénéficiaire et, ce, parce qu’il a réuni la condition essentielle pour que l’histoire se livre à l’un de ses emballements : concerner les plus larges masses de la population. Il est devenu un spectacle de masse. La télévision, elle, demeure un objet de laboratoire. On peut le dire, l’histoire a des ironies cinglantes, si l’on songe à la réalité actuelle, en termes de public. Ce sont les frères Lumière qui apportent les quelques avancées technologiques qui facilitent la prise de vue et la projection et qui, surtout, font du Cinématographe un spectacle populaire. Il s’agit d’abord d’un spectacle forain et, dès l’origine, d’un spectacle payant. Ainsi naît une industrie avec des studios, des laboratoires, des techniques de trucages,des scénaristes, des réalisateurs, des techniciens et un public, un immense public, enthousiaste et fidèle. Les acteurs, eux, viennent de la scène et mettront quelques années à se spécialiser. Le Cinéma sera d’abord documentaire, puis comique, puis tragique. Il sera d’abord muet, mais très vite accompagné de musique par un pianiste et commenté par une personne lisant les cartons de dialogues, directement dans la salle. Les souvenirs recueillis nous indiquent aussi que les spectateurs faisaient eux-mêmes des commentaires, insultant le « méchant », prévenant le héros de ses mauvaises intentions et conduisant le commentateur à adapter et à développer ses interventions. Le Cinéma, fut donc, dès l’origine « interactif », comme l’était, à bien des égards, le Théâtre et, à tous les égards, le Café-Concert. Puis le cinéma devint parlant, mais il n’a pas attendu d’avoir la parole pour connaître le succès. Entre1905 et1910, le cinéma passe de l’artisanat à l’industrie. C’est extrêmement rapide. En France, les Pathé et Léon Gaumont sortent,quasiment à la chaîne, des films comiques courts et créent un réseau de distribution international, mais aussi des filiales de production. Les premières vedettes naissent dont Max Linder qui sera la référence de l’immense Charlie Chaplin. En Amérique, la guerre des brevets techniques provoque la création de compagnies indépendantes d’où naîtront les futures «majors» de Hollywood comme la «Universal». Ainsi, dès 1908, agissent sur le marché la Biograph avec David Griffith et Mack Sennett en concurrence avec la Vitagraph qui s’appuie sur le talent de Florence Turner. Hollywood naîtet se développe très rapidement, pendant la première Guerre mondiale (1914-1918), plus vite que le cinéma européen. Et l’art dans tout ça ? Très vite, dès l’origine, le Cinéma s’affirme comme un art majeur, une industrie certes, mais aussi un nouveau et gigantesque champ d’expression et d’investigation artistique. Il doit, aussi, être vu comme la première chance d’une émotion artistique communicable - à l’identique - à des centaines de milliers, voire des millions de personnes. Le rapport de masse au public est donc, dès l’origine, constitutif de l’art cinématographique. Cette réflexion n’est pas indifférente dans notre problématique des rapports entre Cinéma et Télévision. Georges Méliès est un des précurseursde l’art cinématographique et de l’affirmation de la vocation du Cinéma à raconter des histoires. La fiction et le Cinéma se confondent tellement que nombreux sont ceux qui les unissent dans la recherche d’une définition du Cinéma par rapport à la télévision. Citons des fictions qui ont marqués les débuts du Cinéma : « L’Assassinat du duc de Guise » de 1908 de Griffith,« le Remords de l’alcoolique » du même en 1909, « Les Derniers jours de Pompéi », de Luigi Maggi en 1908, « Fantomas » de Louis Feuillade en 1913, Le « Mabuse » de Frityz Lang en 1922, « Le Cuirassé Potemkine » de S.M. Eisenstein en1925. C’est « Naissance d’une nation » en 1914, qui marque le début des films de longue durée. Cette même année 1914, Chaplin débute avec« Makinga living » (Pour gagner sa vie). Pendant toutes ces années, le Cinéma invente le langage filmique, le montage, les techniques de prises de vues. C’est un art nouveau qui se crée et c’est bien le Cinéma et son industrie qui l’ont inventé et pas la Télévision. Le son qui s’introduit progressivement dans l’art cinématographique comme ambiance d’abord, comme soulignement des effets, aussi, comme effet en tant que tel dans « Les Lumières de la ville » en 1931, devient partie intégrante de cet art dans les années 30. Il y provoque des convulsions économiques et artistiques dramatiques pour certains, mais immensément fécondes. Comment définir le Cinéma à la veille de la seconde guerre mondiale ? Nous aurions parlé d’un art et d’une industrie ayant comme objet de fixer, sur une pellicule, des sons et des images de fiction ou de documentaire, selon un langage artistique qui leur est propre, afin de les présenter au public dans des projections payantes organisées dans des salles aménagées d’un écran, à cet effet. Et aujourd’hui ? Et la Télévision ? Jouons un peu. Quand je vais au Cinéma aujourd’hui, je vais voir un spectacle issu d’un art et d’une industrie ayant comme objet de fixer, sur une pellicule, des sons et des images de fiction ou de documentaire, selon un langage artistique qui leur est propre, afin de les présenter au public dans des projections payantes organisées dans des salles aménagées d’un écran, à cet effet. Rien n’a changé, en apparence au moins. Nous n’avons barré que trois mots : « sur une pellicule ». On y reviendra. Quand je regarde la télévision j’assiste à un spectacle issu d’un art et d’une industrie ayant comme objet de fixer des sons et des images de fiction ou de documentaire, selon un langage artistique qui leur est propre, afin de les présenter, de façon onéreuse, au public, en général à son domicile, grâce à un écran-récepteur conçu à cet effet. Nous avons remplacé les « salles » par le « domicile » des spectateurs, et les grands écrans de toile par des écrans de télévision– parfois très grands -. Nous avons dit « de façon onéreuse », nous aurions dû dire de « façons onéreuses » au pluriel. Que la Télévision soit à péage, à la demande, soumise à une redevance ou subventionnée par l’état, les spectateurs qui se confondent de fait avec la totalité de la population payent, d’une manière ou d’une autre, le spectacle télévisuel. Citant la Télévision à la demande, nous faisons sauter l’un des derniers verrous de la différenciation fondamentale Cinéma – Télévision : le choix d’un côté, le flux de l’autre. C’est essentiel et cela mérite un développement. « Choix » et « Flux » « Direct » et « Enregistré ». Nous avons un peu triché dans nos définitions précédentes. Si nous nous étions placés au début des années 50, aux temps des balbutiements de la Télévision et de l’âge d’or du Cinéma qu’aurions-nous écrit ? Quelques chose plutôt proche de cela : Quand je vais au Cinéma, je vais voir un spectacle issu d’un art et d’une industrie ayant comme objet de fixer, sur une pellicule, des sons et des images de fiction ou de documentaire, selon un langage artistique qui leur est propre, afin de les présenter au public dans des projections payantes organisées dans des salles aménagées d’un écran, à cet effet. Et quand je regarde la télévision, je vois un spectacle issu d’un art et d’une industrie ayant comme objet diffuser en direct des sons et des images de fiction, de documentaire, de variétés, de théâtre ou d’actualité, selon un langage artistique qui leur est propre, afin de les présenter au public en direct, chez lui, sur un écran cathodique, conçu à cet effet. Les deux mots essentiels sont « fixer » et « direct ». Le Cinéma fixe l’objet de son art sur une pellicule, il redécoupe ce qu’il a filmé et l’assemble selon un montage, puis procède au tirage de copies en nombre illimité destinées à être projetées – en fin de compte – indéfiniment à des groupes restreints de spectateurs. La Télévision, à l’origine, saisit, sans pouvoir le fixer, l’objet de son art en direct et le transmet, en l’état, instantanément à tous ses spectateurs. Même quand la télévision disposera du magnétoscope, fin des années 50, elle ne pourra pas monter ses images. Elle attendra, pour cela, la fin des années 70. La règle, même pour les fictions est le direct. Quand la télévision va à l’extérieur et quand elle veut pouvoir monter ses plans, elle utilise le Cinéma, même pour les actualités où le 16mm règne en maître, jusque vers la fin de la décennie 70. Même le télécinéma qui transforme le cinéma en signal télévisuel est souvent « lancé » en direct. La Télévision est donc marquée, par son histoire, comme étant l’art du direct. Elle est par essence une activité de luxe. Son langage s’exprime par la commutation de sources simultanées et non par le montage de plans tournés successivement. Il y a donc bien à l’origine deux arts, proches l’un de l’autre, mais absolument distincts dans leurs technologies et dans les langages que ces technologies leur autorisent. On saisit bien ce que la dictature du direct peut comporter comme contraintes, mais aussi comme sources de talents, pour la fiction. Il y a bien deux arts distincts mais qui se mêlent très vite. La Télévision se sert du Cinéma pour créer des fictions, notamment en extérieur, selon des formats de durée qui lui sont propres et des modes narratifs qu’elle revisite ou qu’elle invente comme le feuilleton ou la série. Il y a bien deux arts, mais qui ne vivent pas dans des univers clos et totalement distincts l’un de l’autre. En revanche pendant longtemps, il existe deux économies, deux professions et deux types de relations avec le public. MAROC diplomatique Au Cinéma, je « choisis » mon film. A la Télévision je regarde le « flux » que l’on me diffuse. Certes… A l’origine. Cela demeure pour le Cinéma, mais ne devient plus tout à fait aussi vrai quand cesse l’époque de la chaîne de Télévision unique. Avec deux chaînes, j’ai un choix, avec trois plus encore. Avec cinq, dix, vingt, cent, deux cents, j’en ai largement plus que dans les salles de Cinéma de l’immense majorité des villes ! Avec la Télévision à la carte, avec –avant- le magnétoscope enregistreur, avec le replay, avec l’affranchissement à l’égard du temps, même au sein du flux, la distinction «Cinéma-univers-du-choix » / « Télévision-dictature-du-flux » a cessé d’exister. Pellicule et vidéo Ces derniers temps, outre l’exploitation en salles, on s’est accroché pour distinguer le Cinéma de la Télévision à la différence fondamentale de leurs supports et, donc, de leur matériel, de leurs performances, de leurs nuances, de leurs grains, de leurs personnels en fin de compte. Aujourd’hui, tout cela vient de disparaître en quelques années. Le Cinéma se tourne en vidéo numérique, se projette en salle par des vidéoprojecteurs qu’alimentent des disques durs chargés à distance par transfert de fichiers lourds codés et programmés pour un nombre donné de projections. Les laboratoires ferment. On ne fabrique quasiment plus de pellicules. Le Cinéma argentique est mort dans son usage industriel. Il ne demeurera bientôt plus qu’à l’état de nostalgie où de procédé spécial, accompagnant une lubie de réalisateur et de producteur, au même titre que le noir et blanc ou les disques vinyles. Nous ne pouvons même pas accrocher nos nostalgies et nos velléités de résistance à tels aspects de la couleur ou du grain, à tel piqué de l’image ou imperfection si forte en émotions artistiques. Il n’y a rien que le numérique qui ne puisse imiter à la perfection qui ce qu’était l’argentique…rien, au moins, qui soit perceptible sur un écran, rien qui ne soit perceptible par le public. La cause est donc entendue. Il ne faut pas compter sur la technique pour différencier Cinéma et Télévision. Dotés des mêmes matériels, les professions tendent à s’unifier, de même que les langages et les démarches artistiques. Economie et production. Qui a les spectateurs a l’argent et le pouvoir. Rappelons-le, en même temps que des activités artistiques, Cinéma et Télévision sont des activités industrielles et commerciales. Sauf à la marge, la création audiovisuelle, au sens large, met en œuvre des personnels nombreux et des équipements onéreux sur des temps longs ou très longs. Sauf à la marge, il n’existe pas de possibilité d’une expression artistique audiovisuelle compatible avec une origine individuelle des fonds nécessaires, si l’on exclut la mise à contribution de grandes fortunes dont le Cinéma qui a, en effet, largement profité pour accoucher de quelques grands chef-d’œuvres. Cela implique que, pour l’essentiel, il faut beaucoup d’argent pour faire une œuvre d’art audiovisuelle, parfois énormément, voire plus. Le corolaire de cette affirmation confirmée est qu’il faut pouvoir placer beaucoup de spectateurs en face de ces œuvres d’art, souvent énormément, voire plus. Il existe encore des films dont le nombre de spectateurs en salles est largement suffisant pour justifier les budgets engagés et même dégager d’importants bénéfices. Il existe même de tels films dans des pays, comme la France, qui ne disposent pas d’une zone de chalandise importante. Il ne semble pas que cela puisse exister au Maroc, eu égard à l’équipement en salles et à leur fréquentation. On suppose que ce n’est ni par hasard ni sans malice qu’est employé le terme de « zone de chalandise ». C’est bien une provocation et elle est faite à dessein. Dans quel dessein, justement ? Celui de proposer un consensus sur l’idée qu’il ne MÉDIAS saurait exister de production variée et nombreuse, sans un honnête équilibre financier, dans la production audiovisuelle prise dans son ensemble, entre les dépenses et les recettes. Certes les Etats peuvent subventionner leur cinéma. Certes on a inventé des mécanismes qui favorisent une certaine liberté à l’égard des exigences économiques. Elles sont une chance pour les pays qui en disposent. Elles sont à défendre et à étendre. On voit d’ailleurs que les seuls pays - ne disposantpas «d’une zone de chalandise» très importante ou, dit autrement, d’un public potentiel très nombreux - qui parviennent à faire exister un cinéma national vigoureux et créatif, sont ceux, justement, où existent ces mécanismes : Centre National de la Cinématographie en France ou Centre du CinémaMarocain, par exemple. Ailleurs, là où la loi et la rigueur du marché s’appliquent sans régulation, le Cinéma national ne survit pas ou ne survit qu’appuyé sur la Télévision. Le Cinéma mondial, sinon, ne serait dominé que par les grands pays à commencer par les USA et l’Inde, par Hollywood et Bolywood. Il faut bien cependant se convaincre que les aides de l’état, comme les mécanismes de péréquation aussi bien que la loi économique, supposent des spectateurs devant les œuvres créées. Une fois la part faite des échecs involontaires et des nécessaires œuvres expérimentales, qui pourrait imaginer une industrie audiovisuelle fonctionnant sans la caution d’un public assez large pour justifier la mobilisation des ressources mises à sa disposition par la société? La société produit des richesses qu’elle réinvestit, pour une certaine partie, dans la création d’œuvres d’art audiovisuelles Pour que ces oeuvres d’art soient considérées comme effectives par la société, il faut bien qu’elle ssoient vues. Il y a nécessairement un rapport entre la quantité du public et la quantité des richesses mobilisables pour l’art. Sans public, Cinéma et Télévision procéderaient de l’abus de bien social, avec tout ce que cela comporte d’opprobre attaché à cette mauvaise action. Comme il n’est pas juste de faire payer à tous le plaisir de certains, l’accès à l’art audiovisuel est payant à l’unité ou au forfait, mais il est payant. Il n’est donc pas illégitime de parler de « zone de chalandise » pour l’industrie audiovisuelle. Où sont les spectateurs ? Dans les salles ? Oui, heureusement, mais rarement en nombre suffisant pour amortir le coût des films et assurer un équilibre économique à une industrie employant des millions de personnes, à travers le monde. S’il n’existait que les spectateurs en salle, il y a longtemps que tous les films exploités seraient américains ou indiens. La Télévision est un gigantesque exploitant cinématographique. C’est elle qui procure l’essentiel de ses spectateurs à l’industrie cinématographique. C’est elle aussi qui apporte à l’industrie cinématographique les fonds sans lesquels elle serait réduite à quelques films par an. Economiquement, il n’existe plus, aujourd’hui, de Cinéma – sauf quelques filières marginales – distinct dans ses mécanismes économiques et, donc, dans ses décisions de production et dans ses choix artistiques, indépendamment de la télévision. Ils fonctionnent ensemble dans un mécanisme vertueux de collaboration entre les producteurs de « cinéma » et les producteurs de « télévision ». Penser autre chose relève du refus de réalité. Mêmes technologies, même langage artistique, mêmes financements… Tourné avec les mêmes caméras, monté sur les mêmes machines, financé par les mêmes producteurs que la Télévision, le Cinéma ne peut plus revendiquer une totale différence d’avec elle. Les deux activités se rapprochent à la vitesse de deux comètes promises à une fusion fértile. Et pourtant nous parlerons encore longtemps de Cinéma et de Télévision Tant qu’il existe encore des spectateurs se rendant dans une salle de Cinéma, il existe un mode d’émotion artistique et une économie qui peut porter le nom de Cinéma, même si le film vu est co-produit par une chaîne de télévision qui le projettera plus tard ou qui le projette en même temps. Tant qu’il existe d’immenses écrans en toile, il existe quelque chose qui s’appelle Cinéma, même si les écrans de Télévision grandissent à l’extrême et que la taille de l’écran n’a de sens qu’en fonction de la perfection de son image et de la distance du spectateur à cette image. Tant qu’il existe une profession avec ses codes, ses habitudes, ses talents, ses logiques, il existe un univers créatif qui s’appelle le Cinéma, même si cette profession ne subsiste que grâce à l’apport financier de la Télévision et compte sur elle pour lui apporter ses plus gros bataillons de spectateurs. Tant qu’il existe des créations artistiques dont les modes de langages, les rythmes, les habiletés narratives, les talents d’interprétation, les fulgurances de réalisation proviennent de ce qui a été inventé, perfectionné et perpétué par ce qui s’appelait le Cinéma, il existe de plein droit un art Cinématographique, même si celui-ci doit être partagé fraternellement avec les créations que la télévision fait pour elle exclusivement, selon des standards correspondants à ses grilles de programmes. Ce qui ne peut plus exister, c’est un cinéma en bonne santé distinct de la Télévision. Ce qui ne peut exister, c’est un Cinéma en guerre contre la Télévision. Ce qui ne peut exister, c’est un Cinéma méprisant à l’égard de la Télévision. Le Cinéma a su, le premier, s’approprier le grand public, alors que la Télévision, techniquement née avant lui s’attardait dans les laboratoires, faute de disposer d’un récepteur apte techniquement et financièrement à équiper progressivement tous les foyers du monde. C’est sur cette captation du grand public que le Cinéma a fait sa fortune et a construit son art et ses techniques. Pour que ces oeuvres d’art soient considérées comme effectives par la société, il faut bien qu’elle ssoient vues. Il y a nécessairement un rapport entre la quantité du public et la quantité des richesses mobilisables pour l’art. Sans public, Cinéma et Télévision procéderaient de l’abus de bien social, avec tout ce que cela comporte d’opprobre attaché à cette mauvaise action. Aujourd’hui, la Télévision a récupéré et étendu à l’extrême le grand public. C’est elle qui a, en conséquence, la légitimité de produire et de diffuser en masse, le merveilleux spectacle en deux dimensions, de personnages réels ou de fiction dont nous suivons la vie et les aventures avec une passion toujours renouvelée. Elle permet au Cinéma de se perpétuer. Qui s’en plaindra ? Qui choisira les querelles byzantines et le mépris romain, à l’égard de ce prodigieux outil de diffusion artistique qu’est la télévision, sur une étendue géographique et pour un nombre de spectateurs inimaginable pour les hommes qui ont inventé le Cinéma. Il y a quelque chose d’un peu vain à s’accrocher au pré-carré cinématographique comme à une dignité, en risque d’être perdue par ceux qui se commettraient avec la Télévision. Il y a un risque d’y perdre plus que sa nostalgie, mais bien sa raison d’être et les moyens de créer. Quelle différence cela fait-il que la projection procède d’un support argentique ou numérique ? Quel réalisateur va renoncer à son art pour cela ? S’il en est un, tant pis, tout est dit pour ce qui est de l’équipement des salles de projection. Elles seront toutes numériques avant cinq ans. AVRIL 2016 25 Quel déshonneur peut-il y avoir à produire son art devant des spectateurs parce qu’ils sont assis dans leur fauteuil personnel bleu, plutôt que dans le fauteuil rouge d’une salle de Cinéma ? S’il faut cesser de faire des films pour cela, annonçons notre dernière bobine, parce que nombre de films n’ont plus que des fauteuils rouges anecdotiques à opposer à des dizaines de milliers et des millions de fauteuils multicolores disséminés dans les salons domestiques de dizaines et de dizaines de milliers de foyers, à travers le monde. L’amour du Cinéma, c’est l’amour du langage cinématographique, c’est la passion des geysers d’émotions que fait jaillir une réalité ou une fiction racontée en deux dimensions, sur un écran quel qu’il soit. Et après ? Après, c’est déjà maintenant. Croit-on que la répétition, dans ce texte, des termes « en deux dimensions » soit une inélégance involontaire ? Arrive la projection holographique qui placera en trois dimension réelles – pas l’illusion actuelle proposée par nos lunettes rouges et bleues – la seconde guerre mondiale sur le tapis de votre salon. Qui peut imaginer ce qui en résultera d’usages domestiques ou d’usages collectifs surdimensionnés ? Qui sait ce qui naîtra de la combinaison de l’interactivité et de la projection holographique ? On peut ne pas avoir le sentiment que l’urgence intellectuelle est ailleurs que dans une querelle Cinéma / télévision. Et après ? Mais « après » est déjà sur nos bureaux, sur nos écrans d’ordinateurs. C’est internet l’après à peine ébauché, commence déjà à bouleverser le monde audiovisuel. Quelqu’un peut-il raisonnablement croire que le Cinéma pourra rester à l’écart, protégé, dans une salle obscure ? Déjà c’est internet qui lui achemine les copies numériques qu’il projette. Déjà, les producteurs de Cinéma, comme ceux de la télévision, ré-inventent « les avances sur recettes » via internet. Ce sont les spectateurs eux-mêmes qui fournissent les fonds pour créer Film de fiction de Cinéma ou de Télévision, documentaires ou … ou ce qui s’invente déjà au carrefour du jeu vidéo et du cinéma d’aventure. Déjà internet devient Web-TV, déjà ses réalisations sont interactives. La vie est là réelle et bouillonnante qui submerge nos réticences, qui nous offre des opportunités flamboyantes de création. Dans l’Histoire, jamais ni l’art, ni les artistes n’ont refusé de se servir des nouvelles techniques qui leur étaient offertes. L’Histoire a toujours marginalisé ceux qui s’opposaient à son cours. On tremble à l’idée des talents qui s’autodétruiraient ou se marginaliseraient par refus d’écrire de nouveaux chapitres de la création artistique. Quel gâchis ce serait que de perde un seul des talents qui font notre richesse aujourd’hui. Quelle erreur ce serait que les structures qui portent, animent, irriguent la création cinématographique –au sens déjà dépassé du terme – ne procèdent pas, dans leurs missions, dans leurs structures, dans leurs règlements et dans leurs fonctionnements, aux évolutions nécessaires à l’avenir de leur rôle d’avant-garde. Ce qui s’annonce est gigantesque de potentialité. Ce qui s’annonce mettra le public au centre de tous les processus de production et de création. Moins que jamais on ne peut imaginer que l’art puisse se justifier par le plaisir de ceux qui le créent. Plus que jamais, il faudra créer pour le public qui s’impliquera dans tous les mécanismes d’accomplissement de l’œuvre. Vite, vite, vite repensons la création audiovisuelle de masse et celle d’avantgarde ! Vite, vite, vite rêvons ! Et si on pouvait échapper, grâce aux voies nouvelles qui s’ouvrent devant nous, à ce que la logique bassement commerciale a d’inhibant pour une création de qualité ouverte au plus large public ? Et si le Cinéma des petits et moyens pays producteurs d’œuvres avait tout à y gagner ? Vite, ne nous préoccupons plus que de l’avenir de l’art audiovisuel et cinématographique. Il n’y a pas d’autre moyen de le vivre aujourd’hui.n 26 MAROC diplomatique COHABITATION RELIGIEUSE AVRIL 2016 UN DÉBAT À L’ACADÉMIE DIPLOMATIQUE INTERNATIONALE À PARIS Islam contre radicalisme : l’approche du Maroc « Pour les adultes, le Royaume du Maroc opère, à travers le Conseil supérieur des oulémas, les conseils locaux des oulémas, la Rabbita Mohammedia des oulémas, l’université Al Quaraouiyine afin d’assurer un encadrement qui permet l’accès à une connaissance religieuse non minée, sans oublier le travail essentiel de qualité et de fond, qui s’opère au niveau des confréries soufies du Royaume. Pour ce qui est des outils légaux, le Royaume du Maroc dispose, comme tout autre pays, de son arsenal juridique qui intègre des lois prévenant l’extrémisme, mais dans le respect des droits de l’homme, étant conscient que ces derniers peuvent être bafoués dans la mêlée du combat contre l’extrémisme ». Le réveil religieux et la résurgence de radicalités avec leurs impacts géopolitiques ont gravement faussé la perception de l’Islam, créant un rapport de malaise avec la 3ème religion monothéiste, voire de fortes tensions. On reproche aux musulmans de ne pas prendre en charge l’islamisme et de ne pas s’opposer à ceux qui font une lecture radicale de cette religion qui instrumentaliserait la politique. Comment un pays comme le Maroc a-t-il abordé cette réalité complexe dans une approche de responsabilité et de souci du vivre-ensemble ? Quels sont les clefs de lecture proposées par ce pays et les arguments qu’il avance pour parler aux jeunes et qui offrent une autre vision de l’islam où la tolérance, le droit aux minorités religieuses, L le droit de cité pour les autres croyances, la liberté de conscience, le respect de la femme sont garantis… ? Comment le Maroc s’est-il attelé à déconstruire les discours fanatiques et les pratiques d’un autre âge de ceux qui se nourrissent de haine de l’Autre et qui font tout pour attirer les jeunes et favoriser le passage à la violence ? Face à l’immense défi - devenu risque potentiel -de certaines organisations terroristes qui s’inscrit dans le temps, l’approche sécuritaire est certes indispensable mais est-elle suffisante ? Pour y répondre, le Maroc a engagé un travail de fond, d’explication et de formation aux réalités de l’Islam qui est en accord avec les valeurs de l’islam de tolérance , de paix et de respect des religions comme l’a mis en évidence la déclaration de Marrakech de fin janvier sur « les droits des minorités religieuses ». En travaillant à partir de ce référentiel qui tient compte du contexte qui appelle à des révisions courageuses, en interaction et en coopération avec les adeptes des autres religions, en faisant cohabiter l’héritage avec la modernité, le Maroc ouvre quelques pistes de réflexion dans ce sens. Il construit ses réponses avec des atouts qui sont les siens et qui reposent sur un magistère moral, celui de la Commanderie des croyants et une profonde connaissance des dogmes et de la pratique religieuse de l’islam. A travers cette approche qui a été décryptée au cours de cette conférence le Maroc a « quelque chose à dire » qui mérite d’être entendu. Intervention de Chakib Benmoussa, ambassadeur du Royaume du Maroc en France : e Maroc travaille sur le long terme à partir d’une stratégie multidimensionnelle : Cette rencontre se tient à un moment des plus douloureux marqué par les derniers événements qui ont touché plusieurs pays : La France, la Turquie, la Tunisie, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Burkina Faso, la Syrie , la Lybie, le Pakistan et bien sûr plus près de nous la Belgique. Des événements bouleversants qui ravivent le douloureux souvenir du 7 Janvier et 13 Novembre 2015 en France, qui ont provoqué souffrances et sidération. Ces attentats on le voit, touchent des régions du monde entier et installent les sociétés dans un climat de peur et de guerre de long terme. Ils nous interpellent tous et exigent une détermination et une mobilisation sans faille pour lutter contre ces nouvelles formes de violence des plus meurtrières. L’Académie Diplomatique Internationale nous accueille dans ce lieu prestigieux où nous allons aborder un thème peu traité jusque là, au sein de cette institution. Il reste qu’aujourd’hui le « fait religieux » est un des éléments d’analyse et de compréhension de la diplomatie et des crises internationales. On connaît la phrase d’André Malraux en quête de spiritualité : « Le XXI siècle sera religieux ou ne sera pas », et l’on constate le rôle croissant de la religion dans la vie internationale et dans les conflits à travers le monde. Le Centre Pew Research Center, Think-tank de recherche américain reconnu pour la qualité de ses statistiques démographiques religieuses à l’échelle mondiale, rappelle dans une récente étude qu’aujourd’hui plus de 30 pays sont touchés par des conflits religieux, ce qui a entraîné près de 20 millions de personnes déplacées et des milliers de morts. Alors que dans certaines régions, la tendance est à la sécularisation et à l’autonomisation par rapport à la religion. Le fait religieux fait un retour de plus en plus remarqué en Afrique et en Méditerranée. Cette dynamique à l’œuvre qui multiplie ici et là les lignes de fractures et fait exploser le terrorisme est en grande partie due à l’instrumentalisation, comme c’est le cas dans l’Islam. D’où le thème choisi : « Islam contre radicalisme : l’approche du Maroc ». Le Maroc qui a subi les attentats de Casablanca, en mai 2003, a pris très tôt la mesure des périls en travaillant sur le long terme : restructuration et réforme du champ religieux, investissement dans l’éducation religieuse qui doit être adossée aux valeurs de la tolérance , le respect et le droit des minorités et autres religions, mise en contexte du texte religieux en accord avec son message initial … déconstruction du discours radical. Il s’agit là d’une stratégie multidimensionnelle mettant également en exergue une politique sécuritaire et une lutte contre le terrorisme qui fait appel à la coopération internationale. Toutes ces questions qui ont pris aujourd’hui dans nos sociétés en quête de sécurité, une grande importance sont abordées par nos intervenants qui ont développé des recherches fines sur l’islam et la radicalisation, répondant ainsi à une forte demande des pouvoirs publics et de la société. Il s’agit de nous aider à comprendre, décrypter, analyser, disséquer pour lutter et agir contre tous les processus de radicalisation et toutes formes de violence d’inspiration religieuse. Cinq questions à Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Rabita Mohammadia des Oulémas Ahmed Abbadi : « Lorsqu’un individu, ou un groupe d’individus, commence à penser qu’il est l’émanation de la rectitude, de la droiture et de l’islam véritable ; que le reste de la société n’est plus dans les normes de l’islam ; qu’il doit remettre de l’ordre (son ordre) dans ce qu’il perçoit comme un chaos religieux ; qu’il doit propager de nouveau la charia ; qu’il commence à évoquer des concepts tels que la loyauté et la déloyauté (« Al Wa- Bio-express Membre du Conseil économique, social et environnemental chérifien, docteur d’État en études islamiques de l’université Cadi Ayyad de Marrakech où il enseigne l’histoire comparée des religions et la pensée islamique, Ahmed Abbadi assure également des cours comme professeur de sociologie de l’Afrique du Nord dans le cadre d’un programme de coopération entre l’université Cadi Ayyad et l’université De Paul de Chicago. Autant dire que sa parole est attendue dans le contexte explosif actuel du radicalisme islamique grandissant. Il s’est confié au «Point Afrique». laa wal Baraa »), ceux de l’appartenance au domaine de l’islam (Dar el-Islam) ou à celui de l’hérésie (Dar el-Harb) ; qu’il puise sa réflexion au coeur d’une lecture rigide de la codification de la religion ; et, enfin, qu’il commence à se structurer pour passer à l’action le radicalismel’emporte. Le Maroc est un pays symbole de l’islam modéré. Que fait-il des courants rigoristes sur son territoire qui semblent s’inspirer de l’islam wahhabite ou de même nature ? Le Royaume du Maroc travaille, à cet égard, sur trois plans complémentaires. Le premier plan, c’est de faire connaître l’islam original, ouvert et modéré dans ses dimensions doctrinales, rituelles et spirituelles. Le deuxième plan, c’est de déconstruire le discours « rigoriste » et d’offrir un discours alternatif. Celui-ci doit être porté par des oulémas habilités, ce qui permet un dialogue direct ou indirect souvent fructueux avec les « rigoristes ». Le troisième plan, c’est de structurer le champ religieux, sur le plan institutionnel et sur le plan de son contenu, afin de ne pas laisser de vide passible d’être infiltré par l’extrémisme. Quels sont les outils pédagogiques mais aussi légaux que déploie le royaume pour prévenir et contenir les courants qui mènent à l’extrémisme religieux ? Le Royaume du Maroc utilise des outils pédagogiques tenant compte à la fois de l’âge, mais aussi de la maturité et de l’engagement sociétal. Comme, des bandes dessinées, des jeux vidéo et de l’éducation pratique par le biais de clubs et sur le Net, des clubs animés par des enfants encadrés. Pour les jeunes, le Royaume table surtout sur le développement de capacités permettant aux jeunes leaders d’avoir une influence positive sur leurs semblables. Cela au travers d’une certaine sensibilisation dans l’approche des sites et des blogs spécialisés, mais aussi du travail de terrain dans les lycées, les universités, les associations, les mosquées et les maisons de jeunes. Pour les adultes, le Royaume du Maroc opère, à travers le Conseil supérieur des oulémas, les conseils locaux des oulémas, la Rabbita Mohammedia des oulémas, l’université Al Quaraouiyine afin d’assurer un encadrement qui permet l’accès à une connaissance religieuse non minée, sans oublier le travail essentiel de qualité et de fond, qui s’opère au niveau des confréries soufies du Royaume. Pour ce qui est des outils légaux, le Royaume du Maroc dispose, comme tout autre pays, de son arsenal juridique qui intègre des lois prévenant l’extrémisme, mais dans le respect des droits de l’homme, étant conscient que ces derniers peuvent être bafoués dans la mêlée du combat contre l’extrémisme. Le Maroc a une radio ainsi qu’une télévision religieuse. Est-il envisagé aujourd’hui de leur trouver ou de donner des canaux de diffusion dans les pays subsahariens pour poursuivre sur les ondes la bataille de la formation ? Si le Royaume du Maroc est sollicité pour ce faire, il n’épargnera certainement aucun effort pour arrêter les meilleures formes et modalités pour entrer dans un partenariat médiatique, à cet égard, avec nos frères et sœurs subsahariens. Êtes-vous optimiste quant à la victoire de l’islam modéré dans la zone soudano-sahélienne ? Si oui, pourquoi ? Sinon, pourquoi ? Vivement oui, parce que le pouvoir de conviction de la modération est un «soft power» très efficace prouvé tout au long de l’histoire de l’humanité. Quatre dossiers d’envergure doivent être instruits comme des variables lourdes de cette équation complexe. Le premier est celui des griefs qu’on peut résoudre par le biais d’un large mouvement international – très faisable – d’équité, de réconciliation et de réparation de dommages. Le deuxième dossier réside dans la nécessité de permettre aux États de la région de développer des projets sociétaux qui font rêver de manière à surpasser en magnétisme ce qu’offrent les extrémistes et à favoriser davantage l’engagement de la jeunesse. Le troisième consiste à adopter des approches d’évaluation intégrant des indices, des indicateurs et des critères utiles pour démystifier les prétentions des extrémistes sur « l’islamicité » de leur prétendu État. Le quatrième dossier touche la formation continue des ressources humaines religieuses disponibles dans la région (5 millions environ). Il s’agit de développer leurs capacités et leur efficacité avec des programmes de formation à même de faire face aux défis de la radicalisation. n Propos recueillis par Malick Diawara (Point Afrique) MAROC diplomatique PORTRAIT AVRIL 2016 27 Bahija Simou, la gardienne d’une mémoire collective Par Souad Makkaoui D e génération en génération, nous avons besoin de renouer le fil avec le passé pour pouvoir se repérer et avancer. Pour cela, nous avons, avant tout, un devoir d’histoire et de rappel. Tant et si bien que si nous voulons vraiment être les acteurs de notre propre avenir et encore plus de notre présent, nous devons bien commencer par explorer le passé pour que nous puissions y puiser nos ressources, nous en imprégner, comprendre d’où nous venons et où nous allons. L’Histoire est le socle de ce que nous bâtissons. Quand nous comprenons le passé, il nous est plus aisé de nourrir l’explication du présent et d’agir sur le cours des événements. Cela Bahija Simou l’a bien saisi sachant que l’Histoire est, par essence, une constante et une science de la connaissance et que l’ignorer, nuirait au présent. Et car comme dirait François Mitterrand «Un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité», elle en fait sa foi et se jure de rendre ses droits à l’Histoire en se faisant la mémoire marocaine pour une Histoire partagée. Une femme au cœur de l’histoire militaire marocaine Foisonnant d’Histoire, le parcours de Bahija Simou, qui n’a pas choisi la facilité, est peu commun pour une femme de défis qui a pu, non sans peine, s’imposer dans un milieu strictement restreint, masculin et viril où une place ténue est faite aux femmes. Après son baccalauréat, elle obtient une licence en Histoire de la faculté des Lettres et des Sciences humaines de Fès avant d’obtenir un DEA de l’Université Franche-Comté Besançon. Titulaire d’un doctorat d’Etat français en Histoire, à la Sorbonne et d’un deuxième doctorat d’Etat en Histoire à l’Université Mohammed V de Rabat, elle est professeur d’Histoire contemporaine à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Mohammedia (1987-1996). Cette passion pour le livre et le savoir, Bahija Simou l’a certainement puisée dans son attachement à sa mère. Cette femme qui n’a jamais été à l’école mais qui a rêvé d’un avenir meilleur et lumineux pour sa fille. Un vœu dont la jeune fille fait le moteur d’un cursus empreint de savoir et de science. De l’Histoire de l’Armée marocaine, elle fait une gageure qu’elle honore avec passion, intelligence Aujourd’hui, disposant d’une brillante carrière dans le domaine de la recherche universitaire et dans la promotion des projets à caractère culturel et scientifique, cette historienne de renom, spécialiste de l’Histoire militaire marocaine, occupe la fonction de directrice des Archives Royales entièrement numérisées depuis qu’elle est aux commandes. et talent. Lire, comprendre, analyser deviennent sa devise voire son mode de vie. Elle publie alors «Les réformes militaires au Maroc de 1844 à 1912», «Frères d’armes, mémoire marocaine d’une histoire partagée», «L’armée marocaine, traditions et ouverture». Aujourd’hui, disposant d’une brillante carrière dans le domaine de la recherche universitaire et dans la promotion des projets à caractère culturel et scientifique, cette historienne de renom, spécialiste de l’Histoire militaire marocaine, occupe la fonction de directrice des archives Royales entièrement numérisées depuis qu’elle est aux commandes. L’administration qu’elle dirige depuis 2008 avait vu le jour en 1975, année de la Marche Verte et du retour des provinces du Sud à la mère patrie. Mais Bahija Simou est également membre permanent de la Commission marocaine d’Histoire militaire et membre correspondant de l’Académie des Sciences d’Outre-mer. Son passage par la ville lumières et particulièrement le quartier latin imbriquera son empreinte dans sa vie et sa carrière. Son ouverture sur ce monde nouveau orné de peintures, de sculptures et de musique qui ponctuaient ses journées, l’inspiraient et la poussaient à découvrir le patrimoine culturel et civilisationnel séculaire en citoyenne du monde avide de connaissance, de valeurs ancestrales en vue de faire de leur diversité et leur pluralité une richesse en partage. Elle explore alors d’autres horizons dont la muséologie et le domaine archivistique. Plus tard, au Maroc, elle fera de sa vie, le prolongement de sa passion et son nom se fera l’écho du patrimoine. Au Musée Mohammed V ou à l’exposition «Mohammed V-De Gaulle, compagnons de la Libération» C’est son nom qui résonne. Au Musée des Invalides, à Paris, elle est Commissaire de l’exposition organisée dans le cadre du Temps du Maroc, sous le thème «L’Armée marocaine, traditions et ouverture». Par la suite, elle organise une autre exposition dédiée à «Leclerc au Maroc» au Musée Leclerc. «La Dame des Archives» multiplie missions et titres, elle est chef du groupe de recherche sur les relations maroco-italiennes à l’Université Hassan II de Mohammedia, membre de l’Association des historiens de la Méditerranée dont le siège est à Rome, membre de la bibliographie de la Commission internationale d’histoire militaire basée à Berne et chef de département de la recherche scientifique et historique à la Commission marocaine d’histoire militaire, domiciliée à Rabat. Ecrire pour une mémoire historique commune Nourrie de savoir et de connaissances denses et intarissables, puisés dans la mine d’information où elle évolue, riche d’études, de recherches et de manuscrits de valeur qui rythment ses journées, et armée d’engagement permanent et de rigueur scientifique, cette femme imbattable sur l’histoire du Maroc , gardienne d’une mémoire collective de tout un pays, ne pouvait garder ce trésor pour elle seule, surtout que l’écriture documentaire est l’une de ses forces multiples. Ainsi, elle gratifie le champ de l’édition historique de ses ouvrages, références phares dans l’Histoire militaire marocaine. Elle fait donc paraître un ouvrage, d’un millier de pages, en trois tomes haut de gamme, publié en arabe, intitulé «Le Bahija Simou. «La Dame des Archives» multiplie missions et titres, elle est chef du groupe de recherche sur les relations marocoitaliennes à l’Université Hassan II de Mohammedia, membre de l’Association des historiens de la Méditerranée dont le siège est à Rome, membre de la bibliographie de la Commission internationale d’histoire militaire basée à Berne et chef de département de la recherche scientifique et historique à la Commission marocaine d’histoire militaire, domiciliée à Rabat. Sahara marocain à travers les archives Royales» où elle lègue des témoignages sans précédent à la valeur inestimable qui contribuent fortement à sceller la vérité sur les liens immuables et indissolubles entre le Maroc et son histoire qui retrouve ses sources dans les fins fonds des provinces sahariennes. Dans cette œuvre, outil précieux de référence, l’historienne ne raconte pas mais explique en apportant des preuves et des éléments historiques qui prouvent que la géographie et l’histoire sont liées. En caressant ses précieux documents, elle leur chuchote ses interrogations, les interpelle, fait parler l’Histoire et c’est ainsi qu’elle produit son ouvrage colossal. Ce livre apporte la preuve infrangible par des documents jamais explorés jusqu’à lors, des manuscrits et autres correspondances inédites de la marocanité du Sahara. Ses recherches et travaux font désormais autorité. Ses livres, à la fois scientifiques, historiques et savants, comme L’allégeance, un pacte éternel entre le Roi et le peuple (2011) et Le Sahara marocain à travers les archives royales (2012) constituent une matière scientifique de première importance, une documentation solennelle et riche pour les fins partisans de politique, de diplomatie et les chercheurs férus d’histoire, de droit, de jurisprudence en quête d’une connaissance complète de sur la question du Sahara dans sa profondeur, et documents à l’appui. Traitant de l’étude historique du Sahara marocain, l’ouvrage confirme moyennant des preuves documentées et des éléments scientifiques la marocanité du Sahara comme réalité géographique et historique établissant ainsi les liens solides et multiples unissant, à travers les siècles, les provinces du Sud à l’ensemble du Royaume et à ses Souverains qui se sont succédés sur le trône. Et donc le prolongement du Royaume et sa souveraineté sur les provinces sahariennes est incontournable puisque la Dynastie alaouite demeure attachée aux tribus sahraouies par des liens familiaux. D’ailleurs, dans «L’Allégeance, un pacte éternel entre le Roi et le peuple», ce livre, richement documenté, Bahija Simou scrute et analyse les fondements de la Baïâa, ce pacte continuellement renouvelé entre le Roi et le peuple, sa dimension et son évolution à travers le temps, autant historique que politique. Pour rappel, elle cite les actes d’allégeance adressés aux sultans et aux rois par les tribus sahraouies. En plus de la succession des dahirs relatifs à la nomination des caïds ou des magistrats au sein de ces tribus par les sultans. Et comme l’Histoire n’omet aucun détail, on ne peut ne pas mentionner les actes qui concernent l’organisation des campagnes militaires, l’édification de différentes bâtisses, la collecte des impôts, la sécurisation des routes commerciales et la commercialisation des marchandises. Un cheminement reconnu et récompensé Son parcours riche et impressionnant lui a valu de nombreuses distinctions prestigieuses, notamment au Maroc, au Portugal, en Italie et en France. En 1997, elle obtient « le Mérite National, Classe supérieure », en 2002, elle est faite Chevalier dans l’Ordre des Arts et des lettres de la République française avant d’être nommée au grade de «Al Merito della Republica italiana» en 2003. L’année 2006, lui rapportera le «Wissam Al Arch de l’Ordre de Chevalier» et quatre ans après, elle se voit décerner le grade de Chevalier de l’Ordre National du Mérite de la République française. Et ce n’est qu’un échantillon des distinctions et décorations qui couronnent le cheminement de cette femme grande dans sa simplicité et sa discrétion et humble dans sa puissance. Dotée d’une grande expérience en matière d’organisation d’activités culturelles, elle a souvent été désignée Com- missaire de plusieurs manifestations culturelles, en France et au Maroc, qui laissent un écho architectural. On ne peut donc imaginer le cinquantenaire des Forces Armées Royales sans l’historienne. Entre étude, conception et scénographie, elle monte pas moins de 7 expositions pour retracer les 50 ans des FAR. Ses nombreuses contributions aux colloques lui font une renommée qui transperce les frontières. Ses publications, qu’elles soient dans la langue arabe ou française constituent une référence de taille dans l’Histoire du Royaume. Maroc médiéval, Sahara marocain, Baïâa, relations du Maroc avec les autres pays, réformes militaires, Armée marocaine, Garde Royale, ces thèmes qui préoccupent les citoyens marocains et toute personne s’intéressant à l’Histoire du pays, trouvent leurs réponses chez la première femme marocaine à être élue membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer à Paris et à être nommée Chevalier de l’Ordre des Arts et des lettres de la République française, elle qui interroge les documents. Consciente de son pouvoir et de son devoir, celle qui préside aux destinées des archives Royales, dépoussière les archives, les remue, feuillette les pages de l’histoire, la restitue, pose des questions au passé pour aider à comprendre le présent, jette son faisceau de lumière sur les zones d’ombre, rafraîchit les mémoires et nous donne à voir l’histoire passée. n Elle fait donc paraître un ouvrage, d’un millier de pages, en trois tomes haut de gamme, publié en arabe, intitulé «Le Sahara marocain à travers les archives Royales » où elle lègue des témoignages sans précédent à la valeur inestimable qui contribuent fortement à sceller la vérité sur les liens immuables et indissolubles entre le Maroc et son histoire qui retrouve ses sources dans les fins fonds des provinces sahariennes. 28 MAROC diplomatique UN LIVRE, UN AUTEUR AVRIL 2016 POLITIQUES CULTURELLES À L’ÂGE DU NUMÉRIQUE : L’EXEMPLE DU MAROC «Sans y perdre son âme, le Maroc devrait intégrer la mondialisation» Propos recueillis par Souad Mekkaoui «L L’identité plurielle du Maroc aidant, il est une terre d’ouverture et de rencontres interculturelles et donc en mesure d’adopter et de gérer une nouvelle politique culturelle qui allie tradition et modernité et qui fait bon usage des technologies numériques, outil de démocratisation culturelle. Un livre référence dans le monde des politiques culturelles. a rigueur, le souci du détail et la modernité qui caractérisent cet ouvrage sur les politiques culturelles en font un instrument précieux pour chacun d’entre nous. Je suis heureux à cet égard que Nabil Bayahya, mon jeune compatriote, m’ait fait l’honneur de me demander de préfacer son ouvrage, m’apportant ainsi l’opportunité d’ajouter une contribution militante à son travail, tout en poursuivant la croisade qui est la mienne depuis bien longtemps, pour faire partager au plus grand nombre l’exceptionnel potentiel du Maroc quand la culture trouve sa place dans l’agenda de la gouvernance». C’est avec ces propos qu’André Azoulay, conseiller du Roi Mohammed VI et président de l’Association Essaouira-Mogador a entamé sa préface de l’ouvrage à grand succès, «Les politiques culturelles à l’âge du numérique, l’exemple du Maroc », de Nabil Bayahya, paru aux éditions Descartes & Cie avec le soutien de Mazars. Consultant, enseignant, chroniqueur et écrivain, ce diplômé de Sciences Po Paris se penche sur les politiques culturelles et ne se contente pas d’analyser leur origine et leur mise en œuvre, mais va au-delà de la prospection en proposant des pistes appropriées à l’ère du numérique. Il est évident que pour toute politique culturelle, la culture est une richesse humaine capitale qu’il faudrait exploiter tant pour la réussite personnelle que pour la cohésion de la Nation, afin d’en faire le moyen efficient susceptible d’ apporter une réponse aux grands défis d’un monde contemporain souffrant de fractures profondes et d’inégalités flagrantes. Or les nouvelles technologies s’en emparent et faussent la donne à l’Etat qui se voit écarter du champ. Retraçant donc le parcours de la culture et de sa mise en œuvre du temps de Malraux à Jack Lang, Nabil Bayahya creuse dans l’exemple ma- rocain afin de nous procurer un modèle de politique culturelle qui puisse s’adapter à l’ère de l’Internet. Le Royaume ayant hérité d’une politique culturelle décalée par rapport à la société et surtout par rapport aux enjeux économiques, il est doté d’infrastructures mais les budgets ne suivent pas. La révolution technologique quant à elle peut donc la mettre en œuvre et surtout à grande portée. D’autant plus que l’identité plurielle du Maroc aidant, il est une terre d’ouverture et de rencontres interculturelles et donc en mesure d’adopter et de gérer une nouvelle politique culturelle qui allie tradition et modernité et qui fait bon usage des technologies numériques, outil de démocratisation culturelle. Le lecteur est pris dans une étude approfondie qui démontre que « la culture pour tous » prônée par Malraux ou encore « la culture pour chacun » préconisée par Lang, l’actuel président de l’Institut du monde arabe sont des dispositions appliquées selon le pays, les circonstances du moment et surtout l’enjeu politique. En quoi alors, un pays émergent comme le Maroc peut-il être un modèle pour les politiques culturelles ? C’est ce que Nabil Bayahya nous explique dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder. l Maroc diplomatique : Vous êtes consultant spécialiste des politiques publiques, actuellement Exécutive Partner en charge de la practice Consulting au sein du cabinet international d’audit et de conseil Mazars. Vous êtes également chroniqueur et auteur de plusieurs publications en France et au Maroc sur les questions de gouvernance. Pourquoi ce livre et pourquoi avez-vous choisi le Maroc comme modèle ? - NABIL BAYAHYA : Notre époque est marquée par une fracture culturelle profonde entre le nord et le sud, entre l’Orient et l’Occident, fracture qui est à l’origine des grands dangers qui guettent notre planète. La géographie comme l’histoire ont placé le Maroc à la frontière de ces deux cultures qui s’affrontent aujourd’hui plus ou moins ouvertement, ce qui devrait faire de sa politique culturelle un laboratoire pour construire un monde plus ouvert, tolérant, et prospère. Je me suis alors demandé si les différents gouvernements y étaient insensibles ou si leurs tentatives avaient échoué non par incompétence, mais pour des raisons inhérentes à la nature même de l’action culturelle. l Dans votre livre, vous dressez le tableau des différentes réformes mises en place par les gouvernements marocains successifs pour répondre à des objectifs de démocratisation culturelle. Aujourd’hui, quels sont d’après vous les défis que doit relever la politique culturelle du Maroc sachant que les inégalités sont plus que flagrantes et que l’hétérogénéité des classes sociales gênent incontestablement la cohésion nationale ? - La politique culturelle du Maroc remonte aux débuts du Protectorat, lorsque sous l’impulsion de Lyautey les Français ont délibérément séparé les sociétés marocaine et européenne, en cherchant à figer la première dans un univers orientaliste fantasmé tout en dotant la seconde de tous les loi- sirs de la vie moderne, du théâtre au disque en passant par l’édition, la radio et la télévision. L’action culturelle a ainsi fonctionné comme un instrument de domination coloniale. Après l’Indépendance, les structures et les politiques sont restées les mêmes, avec une élite marocaine qui a remplacé l’élite européenne, reproduisant la fracture culturelle entre un Maroc pauvre, rural, et traditionnel, et une bourgeoisie urbaine aisée et cultivée. Le défi est donc de repenser les politiques culturelles afin qu’elles servent à réduire ces inégalités plutôt qu’à les creuser. Nabil Bayahya. l Dans votre livre, vous parlez de « la grande culture » et puis de « culture pour tous », autrement dit, vous en appelez à une démocratisation culturelle. Comment serait-ce possible quand on fait de la culture un outil de domination des élites ? - C’est tout le problème. Le cycle des politiques culturelles, analysé sur une longue période, raconte l’histoire d’une fuite en avant, où les tentatives de réduire cette fracture culturelle se retournent contre leurs auteurs, quelles que soient leurs qualités ou leurs bonnes volontés. Pierre Bourdieu a montré comment l’enseignement de la « grande culture » n’était en fait que la promotion de la culture de l’élite que cette dernière considère comme la seule vraie culture. Il en conclut que la démocratisation culturelle revient à faire accepter aux classes populaires une échelle de valeurs où elles ne feraient qu’accroître leur handicap à mesure qu’elles chercheraient à le combler. Mais quand à l’inverse on a cherché à faire accepter aux élites une égalité de traitement des cultures populaires par rapport aux «grandes cultures » avec le modèle de la « culture pour chacun », on n’a fait que maintenir les couches populaires dans des pratiques culturelles considérées comme dégradantes en les privant définitivement de l’ascenseur social. Il n’en demeure pas moins que les deux modèles ont chacun leurs success stories et qu’ils ont fait entrer des artistes et intellectuels issus de milieux modestes au Panthéon des classiques. Cela signifie sans doute que la politique culturelle ne doit pas viser le nombre mais la qualité, et susciter les vocations par l’exemple plutôt que de formater une société tout entière. Les paradigmes s’étant métamorphosés, quels sont l’apport et l’impact des nouvelles technologies sur la politique culturelle ? - La fracture culturelle s’explique par un double mécanisme économique. En premier lieu, certaines activités culturelles sont coûteuses et réservées de ce fait aux élites. En second lieu - et c’est ce qui explique l’échec des politiques de gratuité - certaines pratiques culturelles, musées, pièces de théâtre, musique, peinture, etc, nécessitent une connaissance qu’il peut être compliqué et donc coûteux pour certains d’aller chercher, alors que d’autres l’acquièrent par leur milieu familial. Les nouvelles technologies ont, en partie, répondu à ce double défi, puisqu’elles ont permis à chacun, pour un coût modique voire nul, de pratiquer un loisir culturel et de s’y former, tant les outils de création et de diffusion sont devenus performants, et tant l’information sur leur utilisation abonde sur le réseau. D’une certaine manière, les nouvelles technologies ont ainsi réussi en deux décennies ce que les politiques culturelles ont cherché en vain à accomplir en deux siècles. l La politique culturelle que vous prônez doit dépasser le cadre des Etats et des nations qui, tout compte fait, financent une culture élitiste pour faire montre de plus d’efficience. Que voulez-vous dire par là? - La culture se diffuse aujourd’hui sur Internet, et Internet est transnational. Se limiter au cadre étatique est alors non pas inefficient mais inefficace, comme le montre l’inadaptation des lois sur les droits d’auteur, sur la protection de la vie privée, ou sur celle des intérêts de la Nation qui sont tout simplement ignorés des internautes. Seuls les grands opérateurs d’Internet ont aujourd’hui cette capacité de mettre en place des systèmes de régulation, mais à la différence des Etats ils n’en ont pas la légitimité. C’est pourquoi les politiques culturelles de demain se feront en coopération avec ces multinationales ou ne se feront pas, et pour peser face à ces géants économiques, l’entente entre Etats est indispensable. Cela signifie que sur bien des sujets il n’est plus possible de faire cavalier seul. La question pour un pays comme le Maroc est alors de peser dans ces discussions qui seront dominées par les grandes puissances économiques et culturelles que sont les Etats-Unis, l’Union européenne, et même la Chine ou la Russie qui ont chacune leur propre vue sur la question. l Pensez-vous que le Maroc devrait prendre la France comme modèle sachant que la politique culturelle du Royaume s’est construite sur le modèle français, imposé sous le protectorat ? Quels en sont les selon vous les côtés positifs et les côtés négatifs MAROC diplomatique UN LIVRE, UN AUTEUR AVRIL 2016 29 A chaque époque sa politique culturelle donc, et notre époque n’est plus celle du Protectorat plus ou moins bienveillant ou «civilisateur », ni même celle des indépendances culturelles. Ce dont un pays comme le Maroc a besoin aujourd’hui est d’intégrer la mondialisation sans y perdre son âme Le principal problème est de définir cet objet culturel que l’on se donne pour mission de diffuser ou promouvoir, c’est à dire décréter officiellement ce qui est culturel et ce qui ne l’est pas. C’est que la culture est à la fois un socle réputé universel, celui de la connaissance au sens métaphysique du terme, en même temps que des pratiques, des références, des images propres à une société. La problématique du Maroc est tout autre. Si le Royaume bénéficie incontestablement de la francophonie avec des élites formées à la culture française, il n’en demeure pas moins que cette proximité reproduit un mécanisme de domination post coloniale. C’est pourquoi le Maroc doit surtout assumer et promouvoir son propre héritage avec pour objectif non seulement d’en faire le ciment de la cohésion nationale, mais également d’apporter à son tour sa pierre au patrimoine commun de l’humanité. Il ne manque pas d’atouts pour y parvenir. l Selon vous et après avoir dressé l’état des lieux, quel serait le modèle de politique culturel approprié au Maroc surtout dans une conjoncture mouvementée et complexe? - Proposer un modèle est une question technique relativement simple à résoudre, une fois que l’on sait ce qu’on en attend. Quelle que soit sa forme, la politique culturelle consiste en effet à diffuser, partager, et promouvoir la culture considérée comme un bien public, une activité économique, ou un ensemble de loisirs. Le principal problème est de définir cet objet culturel que l’on se donne pour mission de diffuser ou promouvoir, c’est à dire décréter officiellement ce qui est culturel et ce qui ne l’est pas. C’est que la culture est à la fois un socle réputé universel, celui de la connaissance au sens métaphysique du terme, en même temps que des pratiques, des références, des images propres à une société. Le bon modèle de politique culturelle est donc celui qui réussit la synthèse entre valeurs universelles, identité nationale, et diversité culturelle, soit trois échelles de valeurs potentiellement contradictoires. l Peut-on dire que les politiques culturelles ont échoué ? - Les politiques culturelles ont deux objectifs : réduire les inégalités sociales d’une part et contribuer à l’enrichissement collectif d’autre part. Sur le premier objectif, on ne peut pas dire qu’elles l’aient atteint dans aucun pays. Quant au second, on ne peut pas dire qu’elles n’ont pas eu d’impact, même s’il est impossible de le chiffrer scientifiquement. En tout état de cause, si l’on regarde le verre à moitié plein, on ne peut qu’admirer ses réalisations à travers les nombreux musées ou théâtres nationaux les bibliothèques et les collections publiques, et même l’audiovisuel public qui est à l’origine de nos médias d’aujourd’hui. Quant aux subventions, le volet le plus critiqué des politiques culturelles, aucun politicien ne songe réellement à les supprimer tant elles apportent à la vie locale. Il suffit d’ailleurs d’imaginer ce que serait notre quotidien sans cet engagement culturel de la puissance publique, aussi modeste ou im- parfait soit-il, pour se rendre compte de l’apport des politiques culturelles. l Quel serait selon vous une vraie politique culturelle et quelle est son utilité réelle pour la société ? - Il n’y a pas de vraie ou de fausse politique culturelle, mais seulement, comme toute politique publique, des administrations qui produisent un service en fonction d’objectifs donnés, lesquels répondent à un besoin identifié de la société. A chaque époque sa politique culturelle donc, et notre époque n’est plus celle du Protectorat plus ou moins bienveillant ou « civilisateur », ni même celle des indépendances culturelles. Ce dont un pays comme le Maroc a besoin aujourd’hui est d’intégrer la mondialisation sans y perdre son âme, c’est à dire non seulement pouvoir accéder à toute l’offre culturelle qu’elle véhicule, mais également de s’y faire respecter comme un peuple fier de son identité, de sa spécificité, et de ses valeurs. n INSTITUT FRANÇAIS DU MAROC N Le programme culturel 2016 dévoilé ouvelle saison et nouveaux projets culturels pour l’Institut Français au Maroc (IFM). L’année 2016 s’annonce riche et prometteuse avec une programmation qui se veut animée, entre expositions, théâtre, danse, musique et littérature. C’est une programmation dédiée pour tous les goûts avec comme leitmotiv de cette saison « changer de dimension ». « L’Institut français du Maroc mettra la relation exceptionnelle entre la France et le Royaume au service du dialogue euro-méditerranéen. Du Forum des Jeunes Leaders d’Essaouira aux Nuits des Philosophes en passant par les débats sur le changement climatique et le dialogue des spiritualités », nous explique Jean-Marc Berthon Directeur Général de l’IFM. Le temps fort de cette saison est la grande exposition rétrospective « Giacometti » au Musée Mohammed VI de Rabat qui aura lieu du 20 avril au 4 septembre 2016. Cette exposition réunira plus de 100 œuvres majeures de l’artiste dont, « La Cage », « L’Homme qui marche » provenant des riches collections de la Fondation Giacometti. Cette exposition permettra aux visiteurs de suivre l’ensemble de la carrière de l’un des plus grands maîtres de l’art du XXème siècle depuis sa formation dans l’atelier jusqu’aux chefs-d’œuvre iconiques de la dernière période. Pour la première fois, cette saison proposera un Festival du Film Français. Il prendra ses quartiers à Casablanca, Tanger, Marrakech, Meknès et Tétouan. Cette année, l’Institut français du Maroc aura à cœur de croiser les disciplines et de brouiller les frontières entre les arts avec le remarquable Kyoto For Ever 2. Le théâtre parlera de changement climatique et de diplomatie. La compagnie de danse hip-hop lyonnaise Pockemon Crew, la plus titrée au monde dans le circuit de la compétition, sera présente dans différents instituts français du Maroc du 8 octobre au 2 novembre à savoir Oujda, Fès, Meknès, Casablanca, Marrakech, Rabat, Tanger et Tétouan. La saison culturelle accueillera également le cirque Matamore. L’Institut français du Maroc invitera l’art à se projeter dans l’espace public à la rencontre des plus jeunes et ceux qui ne lui sont pas familiers. Les nouveaux prodiges de la French Touche se produiront dans le stade Mohammed V de Casablanca. Le réalisateur Michel Gondry installera près de l’hippodrome d’El Jadida une usine de films amateurs, une véritable usine à rêves qui a voyagé aux quatre coins du monde. Les nuits du mois sacré seront également rythmées par les « Nuits du Ramadan » qui vont proposer des concerts de musiciens du pourtour méditerranéen. Sur le volet de la littérature, l’Institut français du Maroc sera présent lors de la 23ème édition du « Prix Grand Atlas 2016 » le 14 octobre 2016 à la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc. Ce prix, mettra à l’honneur la littérature marocaine francophone et la traduction littéraire. Chaque année, le Salon international de Tanger des Livres et des Arts s’affirme et se confirme comme l’un des rendez-vous phares des amoureux des mots et du livre. C’est dans cette optique que l’IFM sera présent lors de la 20ème édition qui se tiendra du 4 au 8 mai 2016, dans la ville du détroit. Durant trois jours, l’IFM va inviter également 13 artistes du 9ème art issus de la scène française, africaine et marocaine dans 13 villes du Royaume. Manga, comics, bande dessinée belge ou autobiographique, tous les genres seront au rendez-vous ! Les jeunes pourront rencontrer, du 16 au 23 novembre 2016, de Rabat à Khourbiga , d’Oujda à Essaouira, les jeunes talents du Maroc, du Liban, de France et leurs nouveaux héros ! Notons que la saison culturelle française précédente aura été une formidable réussite. Les tournées à guichets fermés de la Comédie-Française et de ballet Preljocaj, la création d’œuvres dans l’espace public par de grands artistes contemporains comme Daniel Buren, plus de 10 000 jeunes ont répondu présents lors des « Nuits des Philosophes », l’institution d’un rendez-vous annuel autour de la musique électronique française aura particulièrement marqué le public marocain. « Cette saison sera un hommage à deux personnalités marocaines qui nous ont quittés, à savoir l’architecte Amine Benmabarek, victime des attentats de Paris et la photographe Leila Alaoui », nous déclare le Directeur Général de l’IFM Jean-Marc Berthon. Ainsi, cette saison promet plus de 800 manifestations dans les 12 villes du Royaume et plus d’une vingtaine d’événements majeurs. n Fatimazahraa Rabbaj 30 MAROC diplomatique LIVRES AVRIL 2016 LE MARIAGE DU PLAISIR DE TAHAR BEN JELLOUN De l’amour, des larmes et du sang Mariage de plaisir pour déjouer la tentation E crivain d’une plume aussi envoûtante qu’engagée, Tahar Benjelloun nous livre dans son dernier roman « Le Mariage du plaisir », un conte où s’entremêlent les aventures, captant la vie dans tous ses aspects et portant un regard inédit et poignant sur le Maroc qui englobe le racisme, la haine et l’exclusion. L’auteur y dépeint, en filigrane, son engagement en faveur de la tolérance et de la fraternité. C’est une histoire qui se déroule sur une soixantaine d’années, répartie en deux parties : celle d’Amir, le père et celle de son petit-fils Salim, dans les années 2000. Ce conte tragique nous plonge dans l’univers d’Amir, un richissime commerçant de Fès, qui suit les traces de son grand-père en faisant des échanges commerciaux avec le Sénégal. Lors de ses déplacements, à Dakar, il avait l’habitude de contracter un mariage blanc durant la durée de son séjour. Un mariage de plaisir, de jouissance, sorte de « M.D.D » (mariage d’une durée déterminée) pour appeler les choses par leurs vrais noms. Légal selon les préceptes de l’Islam parce qu’il permet d’éviter la prostitution. Une forme d’alliance que les chiites autorisaient et que certains sunnites pratiquaient. Cette pratique se perpétue aujourd’hui, l’essentiel étant de rester dans les limites de la décence et du « respect » de la femme. Cette année-là, en 1950, alors que le Maroc était, bien entendu, sous le protectorat, Amir quitte Fès, en compagnie de son dernier, Karim, un enfant de lumière pas comme les autres, vif, intelligent, jovial, mais trisomique. Celui-ci avait une place à part dans la famille qui le choyait tellement il était aimé. L’écrivain faisait certainement un clin d’œil à son fils, Amine, handicapé de naissance en lui rendant hommage à travers le personnage de Karim. Q Quand le cœur dévie les plans tièrement blanche et évoque un vieil adage qui disait Lors de l’un de ses fréquents voyages à Da« qu’il faut rendre grâce à kar, Amir épouse temporairement Nabou, une Dieu d’avoir inventé le chemagnifique Peule, pour ne pas changer ses haval, sinon, les blancs auraient bitudes. Mais cette fois-ci, et comme la voix utilisé les Noirs comme mondu cœur est imprévisible, il tombe follement ture ». amoureux de cette dernière. C’est le coup de Après le décès de Lalla foudre qui le lie à elle pour ne plus pouvoir se Fatma et suivant le conseil séparer d’elle. Aussi décide-t-il de la ramener avec lui à Fès. Nabou avait quitté le collège de son frère Brahim, Amir Français après avoir obtenu son brevet et passait regagne Tanger car les afdans sa famille pour celle «qui avait le savoir faires semblaient prospères dans cette ville frontière. Làdes étrangers». Tahar Benjelloun avec son art de l’écriture bas, il fait plusieurs métiers, et son don de faire parler les mots, nous révèle (vente de tissus, appareils qu’avec cette décision, l’histoire va connaître photo etc…). Quelques mois passés, Amir est décédé et des rebondissements et une succession d’évéNabou réussit à gagner sa vie nements, de drames et de jalousies… de la part en faisant de la couture et le de Lalla Fatma la première épouse et de son ménage chez des familles aientourage à l’égard de celle qui a conquis le sées de la ville. cœur du chef de famille. A cette époque-là, en 2010, Comblé, Amir l’était par la jeune Nabou, si la ville avait bien changé intelligente, si belle et se rend compte qu’il rien ne subsistait de l’esprit n’avait pas connu ce sentiment avec Lalla Fatde l’ancienne Tanger, de ses ma vu que leur mariage s’était déroulé selon mythes et de ses légendes. les règles de la tradition. Par conséquent, ils Et l’arrivée impromptue ne s’étaient pas choisis et pourtant, ils devaient de jeunes Subsahariens qui s’aimer pour pouvoir vivre ensemble. avaient raté leur traversée vers l’Europe avait achevé Un héritage lourd à porter de modifier le visage et le Et comme c’était écrit dans l’ordre des socle de cette ville. Certains choses, Nabou accouche de deux enfants, Has- diraient que cela donne un san et Houssine, l’un Noir et l’autre Blanc. « effet de charme, d’autres Deux Noirs dans la famille ! Il y aurait de quoi parleraient d’une âme froissée. Nabou s’occupait d’une grande maison, Hassan et Karim achever Lalla Fatma » souligne-t-il. Depuis la naissance des deux jumeaux, Amir l’aidaient, parfois, quant à Salim, il lui donavait pris conscience d’une réalité c’est que nait quelques inquiétudes. Houssine avait sa le racisme était bien ancré dans les mentalités boutique de parfum qui ne désemplissait pas. marocaines, riche ou pauvre. Pourtant indique Par contre, Hassan, miné par ses échecs, était Tahar Benjelloun, la population n’était pas en- devenu, avec les années, un homme très sombre et très renfermé parce qu’il n’est pas intégré et n’a pas pu offrir à son fils un meilleur horizon. Salim, le petit-fils d’Amir, a été rattrapé aussi par sa couleur de peau. Il subira donc les affres du racisme, et de haine. Lors d’une rafle, il est expulsé, manu-militari, vers le Sénégal et c’est une autre histoire qui commence. Fatimazahraa Rabbaj Le Salon du livre de Paris : Une messe culturelle uelque 200.000 visiteurs ont été attendus pour la 36ème édition, du «Livre Paris » ou du Salon du livre de Paris qui s’est tenue, du 17 au 20 mars 2016, à Porte de Versailles. Il a connu la participation de 1.200 éditeurs et 3.000 auteurs venus des quatre coins du monde. C’était une occasion exceptionnelle pour la littérature marocaine qui a dévoilé sa diversité et ses richesses lors de cette manifestation. Niché au milieu des éditeurs et des auteurs de tous continents, un stand de 60 m2 a été mis à la disposition des éditeurs marocains par le ministère marocain de la culture, en partenariat avec le Centre marocain de promotion des exportations. Le pavillon national a proposé un véritable florilège d’ouvrages inédits et a offert aux visiteurs français et étrangers un catalogue riche de nouveautés et de rencontres avec les hommes et femmes de lettres. Le stand a également accueilli les écrivains connus et les jeunes talents marocains venus rencontrer le public et dédicacer leurs œuvres. «L’inconvénient, cette année, est que le stand du Maroc n’était pas très bien situé, il était très loin du centre là où il y avait plus d’attraction et de monde», nous confie Abdelkader Retnani, Président de l’union des éditeurs marocains. Cette fête culturelle a connu la participation de nombreux éditeurs Pendant quatre jours, les amoureux du livre ont pu découvrir une panoplie d’oeuvres. marocains dont la maison d’édition Bouregreg, la Croisée des chemins, le Fennec, Malika Editions, les Editions Marsam, Nouiga, Yanboua Al Kitab et Yomad. En effet, la participation marocaine à ce grand rendez-vous culturel international a permis de mieux faire connaître la production marocaine dans le domaine du livre et des auteurs tout en mettant l’accent sur la qualité des ouvrages présentés dans le stand du Maroc, qui touchent à di- vers sujets culturels, politiques, économiques et sociaux, sans oublier la fiction et les livres pour la jeunesse et les enfants. Parmi les moments forts de cette participation, figurent les présentations d’ouvrages de référence, dont le livre «Communautés juives au Sud de l’Anti-Atlas», un ouvrage collectif paru aux éditions La croisée des chemins, ainsi que le livre «Femmes amazighes: Chants et gestes de travail des femmes de l’Atlas marocain, à la source du féminin» de Christine Dumont Léger, paru chez le même éditeur. « Ce que j’ai remarqué cette année, et ce que j’ai trouvé bizarre d’ailleurs c’est le fait de voir des politiciens qui étaient là en train de signer leurs œuvres», nous déclare l’écrivain Abdellah Baïda qui était présent lors de cette manifestation pour la signature de son dernier roman « Nom d’un chien ». Le Salon du livre de Paris avait pour invité d’honneur, cette année, la Corée du Sud connue pour avoir l’une des lit- tératures majeures de l’Asie. Ainsi, une délégation de 30 écrivains s’illustrant aussi bien dans le roman, la poésie, l’essai, le manhwa (le manga coréen) ou la littérature de jeunesse a ravi les visiteurs du Salon. Le public a eu également l’opportunité de découvrir les auteurs et la culture de deux villes africaines francophones : Brazzaville et Pointe-Noire. Au total, près de 800 rencontres et débats ont eu lieu au cours des quatre jours du salon. A signaler qu’une scène a été entièrement dédiée à la Bande Dessinée, mais aussi de nouveaux espaces spécialisés avec, notamment cette année ,un «square» réservé aux religions et à l’art culinaire avec des animations autour d’une pléiade de cuisiniers. Les amoureux du livre ont pu découvrir pendant les quatre jours une panoplie d’œuvres. Notons que le Salon du livre de Paris a enregistré une baisse de fréquentation de 15% par rapport à l’an dernier, sachant que la dernière édition du Salon avait attiré environ 180.000 visiteurs. Le prochain Salon du livre de Paris se tiendra du 23 au 26 mars 2017. Malgré la résistance des éditeurs et des libraires, le livre électronique commence a gagner du terrain. Tourner les pages, sentir l’odeur du papier et de l’encre marquent-ils la fin d’une époque ? n FZ.R. MAROC diplomatique PARUTIONS «Mots pour maux» de Ahmed Ghayet A près son excellent livre « De l’autre côté du soleil » qui est un acte de militantisme à travers lequel Ahmed Ghayet a essayé d’insuffler l’espoir, la joie de vivre et l’amour de l’engagement associatif, l’auteur nous revient avec un nouvel ouvrage de convictions et d’aspirations. Fidèle à sa nature, l’écrivain ne se contente pas de dénoncer et de faire le diagnostic des maux de la société mais va au-delà et adopte une attitude constructive qui lui est propre, c’est bien entendu celle de faire de ses écrits le miroir qui reflète son expérience universelle dans le monde social, politique et associatif. Animé par un amour inégalé pour son pays, il se donne le devoir d’orienter et d’accompagner une catégorie de la société et qui n’est pas des moindres, celle des jeunes qui sont exclus de la vie sociale et politique. Aussi Ahmed Ghayet, militant associatif et président de l’association « Marocains pluriels » fait-il de la défense des valeurs universelles, morales et humaines son bâton de pèlerin. La tolérance, le dialogue, l’ouverture sur l’Autre, la volonté de contribuer à l’avancement du pays constituent les maîtres mots de la conduite de l’auteur dont le travail sur le terrain constitue la meilleure motivation pour Ahmed Ghayet qui réunit la jeunesse marocaine autour de lui afin de l’impliquer dans des débats fructueux sur les sujets d’actualité de la société marocaine comme le vivre-ensemble, la culture, le racisme, l’identité, la jeunesse, la radicalisation et bien d’autres thèmes de rigueur. A travers « Mots pour maux », Ahmed Ghayet donne l’image fidèle et parfaite d’un monde en manque d’harmonie. En effet, en 16 années, le Maroc a changé, beaucoup changé ! Le développement économique, l’évolution de nos infrastructures, notre place sur la scène internationale…sont autant d’avancées incontestables. Petit à petit, une classe moyenne émerge et tant bien que mal, les femmes et les jeunes se frayent un chemin au milieu des obstacles et des (faux) tabous qui encombrent notre évolution. Paradoxalement c’est sur le plan sociétal que nous trébuchons : les libertés individuelles continuent à être vécues comme synonymes de débauche, le rejet de l’Autre a rarement été aussi fort, le racisme tente de nous gangréner, l’exclusion sociale et / ou territoriale est l’une des plus grandes entraves au vivre-ensemble et le risque de ghettoïsation urbaine est palpable. C’est sur ces maux que Ahmed Ghayet a voulu mettre des mots, non pas tant dans un souci de les recenser en spectateur, mais au contraire, avec le souci de les désigner concrètement afin de leur proposer –de leur trouver ? - des solutions ! Extrait : « La question de notre avenir est dépendante de ce que la société fera pour que notre jeunesse trouve sa place –toute sa place- dans le projet de société que nous devons construire tous ensemble. La jeunesse a le pouvoir d’appuyer sur l’accélérateur pour contribuer au développement et au progrès du pays si elle est concernée, impliquée, intégrée, elle sera à contrario, l’épine dans le pied de toute avancée si elle est marginalisée, méprisée, reléguée à un rôle de figurante. »n «Nom d’un chien» de Abdellah Baïda A près Les voix de Khair-Eddine (2007), Au fil des livres : chroniques de littéraire marocaine de langue française (2011) et son roman à grand succès Le dernier salto (Ed. Marsam 2014) qui a obtenu le prix Grand Atlas dans les catégories «Culturethèque» et «Étudiants », Abdellah Baida gratifie ses lecteurs avec un autre grand salto que l’auteur effectue par son dernier ouvrage Nom d’un chien pour explorer les limites de la création romanesque dans tous ses arcanes et replis. A travers, cet opus, l’écrivain soulève une problématique un peu délicate dont peu se soucient en dépit de son impact indéfectible sur la personne. Le poids du « nom » qui peut constituer un fardeau qui nous colle à la peau là où on va quand il est lourd à porter. Driss Ibn Kalb est le nom du protagoniste de ce roman. Il attend un enfant, alors il décide d’entamer les démarches pour changer ce patronyme qui est lourd de connotations péjoratives qui se nichent dans le mot « Kalb/chien ». Il doit toutefois prouver le préjudice. Commence alors son enquête pour bien saisir la place de cet animal et ses représentations autour de lui et ailleurs. Épaulé par sa femme Linda, Driss se bat pour se débarrasser de l’ombre canine qui lui colle à la peau ; il mène ses investigations, en fin limier, pour y voir un peu plus clair dans les inextricables rapports qui relient le chien et l’homme. C’est un roman sur la représentation que se fait l’homme de la race canine, sur la transmission de l’héritage et sur le grand pouvoir des mots. Les questions ontologiques les plus sérieuses sont menées et traitées avec humour, désinvolture et profondeur au gré de situations sublimes et imprévisibles qu’affrontera Driss Ibn Kalb aussi bien au Maroc, en France qu’en Espagne... Un périple aux couleurs d’une quête à rebondissements multiples servie dans une écriture sans concession propre au romancier, au chercheur en littérature, au critique et à l’essayiste de talent Abdellah Baida, décoré des insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres en 2012. Extrait : « - Madame Charlotte a soixante-dix-neuf ans et un caniche. C’est ma vieille voisine. Je t’ai déjà parlé d’elle. C’est la seule Française qui habite encore dans notre immeuble. Tous les autres ont déguerpi ; elle, elle est trop vieille pour déménager. Quand je ne rentre pas tard, elle me charge de temps à autre de promener son chien et de le faire pisser. Elle me paye deux euros pour cette mission. Eh bien, mon cher Driss, j’aimerais que tu me voies avec le caniche dans la rue ; on dirait un Français ! dit-il en s’esclaffant de rire, tout content. » n «J’ AVRIL 2016 31 « J’ai tué l’hiver » de Kamal Benkirane ai tué l’hiver » est un titre du roman de Kamal Benkirane, professeur, poète et essayiste, installé au Canada. Il retrace le cheminement d’une famille marocaine immigrante à Montréal ; elle se trouvera exposée aux affres d’une injustice patente, personnifiée par l’émission d’un certificat de sécurité à l’encontre de son fils Adam. C’est une histoire d’amour à travers le Québec, et où interviennent les agréments du parcours identitaire d’une famille en quête des grands espaces. Adam et Anis Karam quittent leur Maroc natal pour immigrer au Canada. Les deux frères ont faim de liberté et de découverte d’un mode de vie occidental qu’Internet diffuse de par le monde. Adam y trouvera très vite sa nouvelle place en tant que musicien, s’imprégnant des paysages caractéristiques du Québec et des rencontres qu’il y fait. Mais le soir de son premier concert, il est interpellé par les autorités qui l’accusent de préparer un attentat terroriste sur un vol régulier. Sa famille va donc intenter un procès public à l’Etat pour faire jaillir la vérité. Elle luttera contre ce destin Kafkaïen à travers lequel la liberté, l’amour et l’aventure vont de pair avec l’errance et la quête de soi. L’écrivain tente, à travers son roman, une certaine indexation du droit à la vie et à la spontanéité versus le droit à la liberté de conscience et la liberté de religion. Cette dualité est apparente aussi dans la nuance entre le droit « d’être » et le droit « d’avoir ». Au-delà de toute vision manichéenne ,se dessine alors une vision idéaliste, celle de l’être humain à part entière, capable de basculer à n’importe quel moment au nom d’une certaine pureté de son être, et d’une certaine transcendance pour la vie et l’au-delà. La fin imprévue de ce roman confirme que tout homme est assujetti à la loi non seulement de la nature mais du « nouvel ordre universel » aussi. Extrait : – « Jusqu’à maintenant mon frère, ce que tu ignores complètement est qu’un certificat de sécurité, c’est « Big Brother » qui vient de perdre ses jumelles en plein désert du Sahara. Alors, essaie de comprendre cela, et n’oublie pas que c’est toi qui nous as ramenés dans ce pays des grandes glaces ! Foudroyé, je crus voir des phalènes sanctifier mes cieux embrigadés. Encore le même maudite reproche ! Je tentai d’oublier en fermant les yeux. Je pensais à ce moment-là au mot « terrorisme » qui pompait ma tête comme une ortie vénéneuse, ourdissant ses torpeurs sur mes convictions. Ce mot-valise inspirait « Big Brother », motivait « Carlos » et confinait « Salman Rushdie » dans une vie de bohème. N’y avait-il pas d’autre choix que des pistes ultimes ou quelques détails de pacotille pour dénouer le nœud ? »n « Sur les pas de Sidi Ahmed Tijani Voyage dans sa zaouia aux quatre coins du monde » de Yasmina Sbihi Y asmina SBIHI inaugure un genre littéraire qui mêle à la fois le récit, la photo, l’émotion sur un sujet pas toujours accessible au grand public : le Soufisme. A travers son ouvrage, elle nous invite à revivre son voyage initiatique Tijani avec un mélange de sensibilité, de tolérance et de clairvoyance rares. Sans forcer le trait, ni tomber dans le voyeurisme, elle pousse à la découverte sans dévoiler et fait preuve d’une intelligence spirituelle contagieuse. En cela, elle invente une nouvelle grammaire du partage, dans laquelle le libre arbitre est roi. Mais au-delà du style, elle fait œuvre utile en des temps si troublés où les extrémismes de tous bords menacent l’équilibre de nos sociétés par leur sectarisme et leur intolérance d’un autre âge que l’on croyait révolu. Yasmina a fait le choix de l’Islam des Lumières en privilégiant l’Amour, la Recherche du Savoir et la Paix. Raconter son cheminement initiatique n’est que le prétexte à une invitation à l’Amour avec «A» majuscule. Le grand mérite de Yasmina est de rendre le Soufisme accessible sans jamais le dévoyer, encore moins le banaliser. Au nivellement par le bas, elle a choisi l’élévation par le haut tout en rendant possible des «niveaux de lecture» différents. Au fond, Yasmina nous invite à nous réconcilier avec nous-mêmes. Plus que jamais son ouvrage fait écho à cette réflexion prémonitoire d’André Malraux «Le XXIème Siècle sera spirituel ou ne sera pas». Bon voyage ! Alioune GUEYE « Sur les pas de sidi Ahmed Tijani, voyage dans sa Zaouia aux 4 coins du monde» est le résultat d’un premier périple effectué dans un contexte bien déterminé. La montée des extrémismes et la démolition de tout un patrimoine témoin de notre civilisation, d’une part, l’expression d’une ferveur spirituelle et un engagement citoyen, d’autre part. Au-delà d’une quelconque prétention littéraire ou scientifique, ce livre a été écrit aussi pour toucher les coeurs et éveiller les esprits sur l’intérêt et l’urgence de la préservation d’un patrimoine menacé, il s’adresse avant tout aux architectes et artisans du beau. Extrait : «La crise est avant tout spirituelle. La «durabilité» dans le contexte soufi est garantie par le fait qu’avant de vouloir changer le monde on s’évertue d’abord à se changer soi même. Donc quelques soient les enjeux, l’individu ainsi rééduqué est en mesure de faire face à toute éventualité avec un esprit sain et clairvoyant. En fin de compte, c’est ce cheminement qui vise à atteindre l’équilibre entre mon expérience spirituelle et ma vie d’architecte qui m’a amenée à chercher un lien entre mes deux vocations, la troisième étant mon engagement citoyen qui me fera réfléchir inévitablement à la question du rôle du soufisme dans le Développement ... et tenter de répondre à la question qui s’impose aujourd’hui: Comment ramener de l’espoir là où les esprits se sont égarés, et où les cœurs sont désenchantés ?» n