Ban Ki-moon et le Sahara marocain

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Ban Ki-moon et le Sahara marocain
MAROC
diplomatique
L’INFORMATION QUI DÉFIE LE TEMPS
www.maroc-diplomatique.com
10 DH - 1 € - MENSUEL - 32 pages
N° 10 AVRIL 2016
Ban Ki-moon et le Sahara marocain
Mbarka Bouaida :
Le Plan d’autonomie, seule alternative
Le Maroc ne tergiverse pas
pour un règlement démocratique
avec ses intrêts supérieurs
L
a tempête diplomatique provoquée par
les propos que Ban Ki-moon , secrétaire
général des Nations unies, a prononcés
lors de sa visite début mars à Tindouf et Alger,
l’usage des termes comme « occupation », «
autodétermination», le salut au « drapeau » du
polisario, la partialité affichée dans son comportement, la grave et volontaire omission des
exactions et violences exercées dans les camps
de Tindouf contre les citoyens séquestrés et
empêchés de regagner le Maroc, son parti pris
contre le Maroc, n’en finissent pas de faire couler
de l’encre et d’inspirer commentaires et critiques.
Une vague d’indignation a frappé à la fois le gouvernement et le peuple du Maroc,
qui a massivement dénoncé à l’intérieur du pays comme à l’étranger, une attitude
plus que complice avec le gouvernement algérien.
H.A.
Lire l’entretien en pages 6 et 7
IRAN
Il y a quatrante et un ans la Marche verte sur le Sahara.
Q
uel que soit le contenu du
rapport que Ban Ki-moon
remet au Conseil de sécurité
des Nations unies pour en débattre et
le voter, il sera dit devant l’Histoire
qu’il a été entaché par une distorsion grave : celle de l’acharnement
contre le Maroc et des manquements
à l’obligation impérative de neutralité et d’impartialité consubstantielle à sa fonction.
On aura compris, en effet, que Ban
Ki-moon, élu et réélu à la tête de
UN LIVRE, UN AUTEUR
POLITIQUES
CULTURELLES À L’ÂGE
DU NUMÉRIQUE
«Sans y perdre son
âme, le Maroc
devrait intégrer
la mondialisation»
«L
a rigueur, le souci du détail
et la modernité qui caractérisent cet ouvrage sur les politiques culturelles en font un instrument précieux pour chacun d’entre
nous. Je suis heureux à cet égard
que Nabil Bayahya, mon jeune
compatriote, m’ait fait l’honneur
de me demander de préfacer son
ouvrage, m’apportant ainsi l’opportunité d’ajouter une contribution militante à son travail, tout
en poursuivant la croisade qui est
la mienne depuis bien longtemps,
pour faire partager au plus grand
nombre l’exceptionnel potentiel du
Maroc quand la culture trouve sa
place dans l’agenda de la gouvernance». n
Lire en page 28 et 29
S.M.
l’ONU – achevant en décembre prochain son mandat – n’a résolu aucun
de la trentaine de conflits ouverts ou
latents qui embrasent la terre. Pas
plus qu’il n’a pris la peine de se revendiquer un tant soit peu comme
un Juste, visionnaire ou courageux
dans celui qui persiste au Sahara. Il
a préféré le mensonge à la vérité.
Aurait-il eu comme mission d’enterrer le Plan d’autonomie défendu par
le Maroc, serait-il devenu le relais
d’une Algérie expansionniste qui a
DOSSIER DU MOIS
jeté son obsessionnel dévolu sur le
Sahara ?
Les derniers développements du
dossier, loin de prendre de court le
Maroc, l’ont confirmé dans ses hypothèses : Ban Ki-moon a renié ses
engagements et, au motif de quitter
son poste sur une note glorieuse, a
failli corrompre le litre et la fonction
de secrétaire général de l’institution
internationale.
Hassan Alaoui
Lire pages 2, 6 et 7.
Réémergence d’une puissance
énergétique majeure ?
L
e 14 juillet 2015, un accord historique a été signé
à Vienne, entre le P5+1
(Etats-Unis, Russie, Chine, France,
Royaume-Uni et Allemagne) et la
République Islamique d’Iran. Ce
plan d’actions conjoint prévoit
une restriction à long terme du
programme nucléaire iranien ainsi
qu’une levée totale des sanctions
Mountacir Zian
Lire pages 12 et 13
DANS CE NUMÉRO
MÉDIAS
La qualité, maillon faible des
télévisions nationales marocaines ?
I
l est évident que les médias de
masse, particulièrement la télévision, dominent la conscience et les
perceptions de la société moderne.
D’ailleurs, cette dernière est l’interface par laquelle les gens apprennent
ce qu’ils savent du monde et c’est à
travers elle qu’on véhicule ce qu’on
pense de l’actualité. Aussi cet outil a-til une sorte de monopole de fait sur la
manipulation d’une grande partie de
la population. De ce fait, il est comme
une sorte de miroir qui reflète l’image
de la société moderne et trône dans plusieurs endroits stratégiques de la maison à tel point que le son qui en émane
est devenu un rituel, dans la majorité
des foyers, peu importe qu’on regarde
ou non, l’essentiel est qu’il y ait cet
écho et ce bruit de fond agréable pour
meubler l’espace comme pour rassurer
la personne et lui donner l’impression
qu’elle n’est pas seule.
Par conséquent, la place de la télé-
internationales imposées à Téhéran.
En mettant fin à un long bras de fer
diplomatique ayant opposé Téhéran
aux puissances occidentales, cet accord qui s’inscrit dans un contexte
international mouvementé, ouvre
la voie à des changements géopolitiques majeurs dans la région.
EDITORIAL
L’Algérie, l’arbre
qui cache la forêt
Lire en page 2
COUP DE GUEULE Vivre avec
le terrorisme et dompter
la peur panique
Page 4
COP22 La dimension politique
et citoyenne interpelle les
Etats
Pages 8 et 9
BMCE BANK OF AFRICA
Othman Benjelloun, des décennies d’engagement et un
discours fondateur
Page 10
FACE AU JIHADISME Un débat
à l’Académie diplomatique
internationale à Paris : Islam
contre radicalisme : l’approche
du Maroc
Page 26
PORTRAIT : Bahija Simou,
la gardienne d’une mémoire
collective
Page 27
LIVRES
vision dans la vie d’une grande tranche
de la société a fait d’elle une sorte de
témoin de notre société. Un miroir qui
traduit nos craintes, nos priorités, nos
préoccupations et nos rêves. Ceci dit,
peut-on dire que les télévisions nationales marocaines sont le reflet de la
vraie société marocaine?
Souad Mekkaoui
Lire en pages 18, 19, 20 et 21
- Le Mariage du plaisir de
Tahar Ben Jelloun De l’amour,
des larmes et du sang
- Le Salon du livre de Paris :
Une messe culturelle
Page 30
PARUTIONS
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2
MAROC
diplomatique
?????
AVRIL 2016
ÉDITORIAL
L’Algérie, l’arbre qui cache la forêt
L
e mois de mars n’a pas fini de s’inscrire comme
ayant été celui d’une mini « guerre ouverte » avec
l’ONU que, déjà, celui d’avril nous interpellait
gravement. Deux situations se sont présentées, chacune
à sa manière, pour mettre à l’épreuve la diplomatie marocaine : le rapport du secrétaire général et le vote du
Conseil de sécurité de l’ONU à propos du Sahara, ensuite
le recours du Conseil de l’Union européenne contre la
décision, prise le 10 décembre 2015, d’annuler l’accord
agricole avec le Maroc, signé en 2012. Décision qui,
comme on le sait, a soulevé une vague de protestations et
l’ire des autorités marocaines. Les situations auxquelles
est confronté le Maroc depuis trois mois maintenant ne
sont pas antinomiques, loin de là. Elles ont ceci de commun
qu’elles sont liées de manière rédhibitoire et consubstantielle au conflit du Sahara. Par quelque biais qu’on
les aborde, elles débouchent sur la même affaire et sur
l’ahurissante haine que nourrit le pouvoir algérien contre
notre intégrité territoriale.
C’est peu dire que le Sahara, et depuis le début, n’a jamais
été autre chose que l’obsession du pouvoir algérien. A un
officiel égyptien tenté de comprendre le dossier, Abdelkader Messahel, ministre délégué des Affaires maghrébines
et chargé du problème du Sahara, a rétorqué sur un ton
de menace : « L’affaire du Sahara est une question de vie
ou de mort pour l’Algérie » ! Tout au début des années
soixante-dix, jouant sur une ambiguïté ontologique, les
dirigeants algériens affirmaient, sur un mode de « vox
clamantis », « qu’ils n’étaient pas concernés, mais intéressés par l’affaire du Sahara ». A telle enseigne que,
cynisme oblige, Boumediene déclarait au Sommet arabe
de Rabat en 1974 que « l’Algérie combattrait aux côtés
du Maroc frère pour libérer le territoire marocain de la
décolonisation espagnole » !
La Cour de justice internationale (CIJ) a rendu son verdict le 15 octobre 1975, le Maroc, l’Espagne et la Mauritanie ont signé l’accord tripartite de décolonisation le
14 novembre suivant, l’ONU a entériné le même accord
fin décembre suivant. En janvier 1976, le gouvernement
algérien, dévoilant son vrai visage, a lancé ses troupes
à Amgalla dans des agressions que les Forces Armées
Royales ont repoussées, faisant des centaines de prisonniers algériens et dévoilant ainsi les véritables desseins
d’Alger. La CIJ, s’adossant à l’esprit de la résolution 1514
de l’ONU relative à la décolonisation et aux territoires
non-autonomes, était saisie par le Maroc sur le paragraphe 6 relatif à l’intégrité territoriale, stipulant avec
pertinence que « la décolonisation du territoire peut se
réaliser à travers la réintégration de la province ( objet du
litige) dans le pays d’origine ( Le Maroc) dont l’a détaché
le fait colonial » ( L’Espagne). »
Maurice Flory, éminent juriste, professeur de droit et de
sciences politiques à l’Université de Marseille, spécialiste
des pays arabes, observateur en son temps du dossier du
Sahara, avait expliqué que « toute tentative à détruite
partiellement ou totalement l’unité nationale ou l’intégrité
territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les
principes de la Charte des Nations unies ( Vingt ans de
MAROC
diplomatique
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05 22 20 98 68
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Casablanca
Dépôt Légal : 2014/59
jurisprudence de la Cour internationale de justice . Le
cas du Sahara, CIJ Rec 1975 ). L’avis de la CIJ avait,
grosso modo malgré les finauderies de langage, conclu à
l’existence de « liens juridiques et politiques, d’allégeance
entre les tribus du Sahara et le Sultan du Maroc », en plus
de l’argument que « le Sahara, au moment de sa colonisation par l’Espagne en 1884, n’était pas terra nullius »,
c’est-à-dire un territoire sans maître !
De mémoire d’homme, nous n’avons jamais assisté à une
injustice historique aussi flagrante que celle qui a frappé le
Maroc depuis la Conférence d’Algésiras, réunie en 1906,
qui a vu notre pays se faire dépecer par plusieurs puissances impérialistes de l’époque, européennes notamment,
la France, l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne voire la
Russie tsariste. Or, le Maroc a posé sa revendication sur
le Sahara au lendemain de son indépendance en 1956,
huit ans avant que l’Algérie ne se libère du joug colonial
français, dix-huit ans avant qu’elle ne créée le groupe
fantoche de polisario, dont les dirigeants sont originaires
du Maroc, récupérés et instrumentalisés par les services
de renseignements algériens à des fins d’expansionnisme.
Le dossier du Sahara marocain a constitué la pierre
d’achoppement entre le gouvernement marocain et le
secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Si
tant est que l’on ait pu volontiers créditer jusqu’ici ce
dernier d’une « neutralité » intrinsèque à sa fonction, les
événements du début du mois de mars sont venus nous
contredire, et surtout nous tirer d’une certaine apathie.
Le parti-pris affiché désormais par Ban Ki-moon an faveur des thèses séparatistes marque un tournant dans la
procédure de règlement à laquelle le Maroc s’est prêté
de bonne foi depuis 1981, procédure marquée par des
hauts et des bas, et à laquelle il demeure en revanche fort
attaché. Autrement dit, sans ambiguïté aucune, il défend
« mordicus » la solution politique puisque depuis 2004, et
surtout 2007, de l’avis même de la majorité des membres
du Conseil de sécurité, le référendum d’autodétermination
– langage des années 70 - est devenu caduc et non avenu.
Sans doute faudrait-il rappeler que le Maroc, contrairement à ce que la presse algérienne, en mal de haine,
a coutume de débiter, n’a jamais craint le principe d’un
référendum. Le Roi Hassan II l’avait même proposé au
lors de l’homérique XVIIIème Sommet de l’OUA tenu en
juin 1981 à Nairobi, désarmant et dépouillant une Algérie
hargneuse de son sempiternel argument.
Cela dit, le plus paradoxal est que l’Algérie qui a réclamé
à cors et à cris le référendum et en a fait son sinistre cheval
de bataille contre le Maroc, s’est évertuée à le saboter ellemême, soufflant le chaud et le froid sur son organisation,
transgressant la Charte des Nations unies dont elle n’a
cessé de piétiner les sacro-saints principes. Sauf schizophrénie, comment en effet expliquer leur violation après
que le Maroc eût donné finalement son accord pour un
référendum, et que l’OUA en eût pris acte ? C’est dire la
manière cavalière, méprisante même du pouvoir algérien
de fouler au pied l’esprit de la Charte de l’organisation
panafricaine et ses dirigeants. Deux plus tard, en 1982,
Edem Kodjo, secrétaire général de la même organisation,
COMITÉ D’HONNEUR
Assistante de la direction :
Fatiha Moujib
Othman Cherif Alami
Belkacem Boutayeb
Directeur Technique et artistique :
RÉDACTION :
Abdeltif Chakir
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Directeur de la publication :
Hassan Alaoui
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Directrice de la rédaction :
Souad Mekkaoui
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dévoyé et corrompu, n’avait-il pas foulé au pied les résolutions prises au Sommet de Nairobi, commençant à faire
entrer de force la fantoche rasd dans l’OUA, illustrant le
jeu machiavélique algérien, provoquant ainsi le départ du
Maroc lors du Sommet de l’OUA, organisé en novembre
1984 à Addis Abéba ?
Pourtant, dans un discours demeuré retentissant, prononcé
le 26 juin 1981 du haut de la tribune de l’OUA, feu Hassan II – dont on dira plus tard qu’il a cédé à des appels
de « pays amis » - annonça solennellement la volonté du
Maroc d’organiser un « référendum contrôlé » au Sahara.
Deux mois plus tard, un Comité « ad-hoc » résultant des
recommandations dudit Sommet se réunit à Nairobi pour
mettre en œuvre la procédure référendaire. Or, si le Maroc avait accédé aux récurrents desiderata des uns et des
autres – des responsables algériens et de leurs affidés -, il
n’en demeurait pas moins que le ralliement du Roi Hassan
II au principe de référendum, les mettait au pied du mur,
les gênait aux entournures. D’autant plus que lorsque la
Commission d’identification des originaires du Sahara
s’attela à la tache , notamment après l’accord de cessezle-feu de septembre 1991, et la création de la MINURSO,
elle se heurta à une série d’entraves, de manipulations et
de pressions de la part du polisario et de ses commanditaires, le DRS algérien notamment. Ils ne voulaient voir
figurer sur les listes des votants au référendum que les
tribus et les chioukhs de leur choix ayant fait allégeance
au pouvoir algérien, excluant les centaines de milliers de
sahraouis des tribus Reguibat, Dlimiyine , lâaroussyine,
les Tekna, les Aït Bâamrane, les Aït Tidrarine, etc….
Un scrutin de dupes quoi !
Le pouvoir algérien a saboté le principe du référendum
annoncé dès 1981, relancé en 1991, il ne s’est jamais
résolu à un recensement-authentification des véritables
populations sahraouies, comme il n’a jamais autorisé le
HCR ( Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies)
à se rendre dans les camps de Tindouf pour vérifier qui
est sahraoui apte à voter et qui ne l’est pas ! Ce blocage
est en réalité une volonté de camoufler l’incorporation
de force par l’armée algérienne de milliers de touaregs,
de nigériens, de maliens, de mauritaniens, de tchadiens
dans les camps de Tindouf et d’en faire des « réfugiés »
sahraouis, ne parlant ni hassani, ni arabe …
Championne d’une thèse dépassée de « l’autodétermination des peuples à disposer d’eux-mêmes », l’Algérie est
de ce fait opposée logiquement au principe pertinent de
l’ONU de « l’unité et de l’intégrité territoriale » qu’elle
avait défendue becs et ongles pour son propre Sahara face
à la France. Ce qui est bon pour elle, ne l’est pas pour
les autres. Comment n’a-t-elle jamais défendu et reconnu
l’indépendance du Kosovo face à la Serbie, la Tchétchénie, le pays basque , la Corse, Chypre ?...Pourquoi ne
soutient-elle pas également le droit à l’indépendance des
Lapons samis qui se considèrent victimes de la « colonisation » suédoise, norvégienne et finlandaise ?
Simples contradictions ? Perfidie ? Ban Ki-moon nous le
confirmera à coup sûr dans les prochains jours.
Hassan Alaoui
Secrétaire de la Rédaction
El Hassane Rakou
E-Mail : [email protected]
Reporter photoghraphe
Bachir Annoub
Journalistes & Collaborateurs :
Hassan Riad,
Mohamed Malki,
Yassine Ben Ali,
Abderrahim Bourkia
Fatimazahraa Rabbaj
E-Mail : [email protected]
CONTACTS
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IMPRESSION
(Al Ahdath Al Maghribia)
4
HUMEUR
AVRIL 2016
MAROC
diplomatique
COUP DE GUEULE
Vivre avec le terrorisme
et dompter la peur panique
Q
Par Souad Mekkaoui
u’y a-t-il d’anormal à voir un hélicoptère survoler le
ciel de Casablanca ? Rien en principe. Et pourtant,
la semaine dernière, cela n’est pas passé inaperçu et
les regards des habitants de la métropole s’y sont suspendus pendant trois jours, leurs mains sur le cœur. Et pour
cause, un hélicoptère des «Forces Armées Royales» qui
tournoyait à plusieurs reprises dans les hauteurs de la ville.
Entre curiosité et panique, les investigations sont allées
bon train pour élucider l’intrigue de cet événement que des
sites d’info ont surnommé « l’hélicoptère mystérieux ».
Loin d’être Kaboul, Casablanca n’a pas l’habitude d’être
survolée de la sorte par un appareil et plusieurs fois pendant
la journée. Les jours suivants apportèrent la réponse aux
questions et aux craintes des Casablancais qui se voyaient
déjà assaillis par les terroristes! L’hélicoptère militaire
plutôt en tournage «militaire» faisait partie du scénario
d’un film américain! Et le soulagement se fit enfin!
C’est dire que, de nos jours, la peur se conjugue au
pluriel et devient contagieuse. C’est dire à quel point nos
entrailles sont assaillies par la panique et tout geste infime
soit-il est susceptible d’alerter nos sens et nous plonger
dans une terreur qui paralyse les êtres. Depuis quelque
temps, nous vivons avec cette peur latente qui ne s’exprime
pas mais qui nous suspend à quelque chose qu’on attend,
qui annonce son arrivée ou plutôt qui menace de s’abattre
sur nous. Cette peur n’a pas de nom mais elle est là.
Daech, épée de Damoclès
Rappelons-nous que notre confrère Al Massae a relayé
une information selon laquelle la police internationale Interpol a prévenu le Maroc des risques imminents d’une
invasion de terroristes venant d’Europe. D’ailleurs, ce n’est
plus un secret pour personne, le Royaume figure en tête
de liste des pays ciblés par les terroristes en raison de ses
efforts déployés dans la lutte contre ce fléau, qui fait de
son approche globale et de sa détermination en matière de
lutte contre l’extrémisme dans toutes ses formes un modèle
sollicité par plusieurs pays. Il est vrai que les services marocains sont connus pour leurs compétences et l’excellence
de leur travail. Il est vrai qu’on ne doit pas succomber à
la peur du terrorisme qui constitue son principal pouvoir.
Mais on se dit tout de même que l’ennemi est partout,
invisible, il peut frapper n’importe où et à n’importe quel
moment avant de se fondre dans la population. Sonnés
par les événements, par l’état d’urgence dans le monde,
ce climat d’insécurité nourrit et accentue cette phobie qui
s’est emparée de nous et que nous transmettons à nos enfants qui grandissent vite et dans la peur. Aujourd’hui, leur
insouciance les quitte, ils ont peur d’être tués, craignent un
acte de violence contre un membre de leur famille puisque
les médias offrent à leurs regards des images horribles de
ce qui se passe dans le monde.
Et pourtant, comment vivre avec une peur qui se généralise guettant un malheur qui s’annonce ? On ne sait
plus de quoi ou de qui a-t-on peur. Mais ce dont on est
sûr par contre c’est que ces terroristes ont un pouvoir de
nuisance énorme et qu’on a tout à craindre quand on pense
à leurs prises d’otages, à leurs attaques qui n’épargnent
ni représentations diplomatiques, ni écoles, ni même les
lieux de culte. Ceci les médias nous le rappellent tous les
jours que Dieu fait.
Sommes-nous donc condamnés à vivre dans l’horreur
et la peur du pire? La peur nous paralyse et la barbarie
nous empoisonne la vie. La quiétude nous quitte à grandes
enjambées cédant la place à l’état d’urgence qui gagne du
terrain dans le monde! On peut tous se trouver à un moment
ou à un autre au mauvais moment et au mauvais endroit si
les origines du mal ne sont pas éradiquées.
L’islamophobie ou l’autre visage
du terrorisme
Un peu partout dans le monde, et notamment depuis les
attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, on a l’étrange
impression que l’islamophobie trouve, enfin, un motif
longtemps recherché et convoité. Et un terrain fertile !
C’est un peu sa « légitimité » étalée au grand jour et à
visage découvert ou du moins une justification aux agressions répétitives dont font l’objet tous ceux qui ont le malheur d’afficher un faciès « identitaire » ou un quelconque
aspect apparent ayant trait à l’islam.
Cependant, n’oublions pas que le terrorisme n’a pas
épargné les pays musulmans qui en sont les premières
victimes d’ailleurs. En revanche, on assiste, depuis quelque
temps, à une guerre de religions qui entraîne tout sur son
chemin nous faisant trembler devant les prémices d’une
troisième guerre mondiale qui s’annonce imminemment et
dont les motivations dépassent, et de loin, la pancarte qu’on
brandit d’une «religion» instrumentalisée par la politique.
Force est de constater que les agressions islamophobes
recensées se multiplient de manière inquiétante. Multiples
exactions verbales ou attaques physiques ont été dénombrées et les victimes n’étaient, bien entendu, autres que des
femmes musulmanes voilées, violentées, principalement,
par des hommes blancs.
Les actes antimusulmans se propagent se présentant sous
forme de menaces, d’humiliation, d’inscriptions haineuses,
d’agressions verbales ou physiques quand il ne s’agit pas
de dégradations de mosquées. Bref, il est urgent d’être
solidaires surtout dans ce contexte trouble où la barbarie
gagne du terrain. Lutter contre le radicalisme sous toutes
ses formes devient une nécessite. Ces attentats immondes
et abjects sont perpétrés par des barbares qui détruisent le
monde et le mettent en guerre contre lui-même. Le terrorisme n’a ni couleur, ni religion, ni nationalité, ni visage.
Il porte le masque de l’horreur, de la violence, du sang et
de la haine.
Série noire
Depuis les actes terroristes qui ont visé Paris du 7 au
9 janvier 2015, s’attaquant au comité de Rédaction de
l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, puis la supérette Cacher, une avalanche d’attentats s’est abattue sur
les quatre coins du monde. Boko Haram attaque la ville
de Baga au nord du Nigéria faisant 200 morts et 2000 personnes portées disparues. Un commando de « jihadistes»
attaque l’hôtel Corinthia à Tripoli faisant dix morts. Le
même mois, une mosquée chiite dans le sud du Pakistan
est attaquée par un terroriste faisant au moins 55 morts.
Le 3 février, Coulibaly poignarde trois militaires à Nice.
La fusillade de Copenhague a lieu le 14 février 2015.
Une vingtaine de jours plus tard, Bamako n’échappe pas
à l’horreur. Dix jours après, c’est l’attaque du musée du
Bardo près de Tunis causant la mort de 24 personnes et 45
blessés. Et depuis, la série noire ne s’arrête plus touchant
Sanaa, Kenya, l’aéroport d’Orly, le Curtis Culwell Center au Texas, le Koweït, le consulat d’Italie au Caire, le
Cameroun, la Turquie, Beyrouth, Paris, Bruxelles, Tunis,
San Bernardino en Californie, le Tchad, Kaboul sans parler de Bagdad, et dernièrement Lahore, la liste s’allonge
n’épargnant pas le moindre carré de la Terre.
La tension est toujours au pic et la panique est à son
paroxysme. Le calme et le sang-froid cèdent la place, aisément, à l’état d’alerte élevé au niveau maximal qui se
fait sentir un peu partout dans le monde. La hantise des
attaques est de plus en plus installée provoquant une peur
panique qui a fait qu’on commence à voir le mal partout.
Quand la loi ne protège pas les plus
faibles, quand on se substitue aux
autorités, quand la rue fait la loi, quand
l’être humain se déshumanise et trouve
son plaisir dans son machiavélisme,
et quand on affiche ostentatoirement
ces comportements sadiques, au vu
et au su des autorités, c’est que notre
société va mal. Très mal! Que reste-t-il
de nos repères, de nos valeurs et surtout
de notre humanisme?
Comment pourrait-on résister - puisque
c’est de cela qu’il s’agit - dans un monde
en manque d’harmonie et de sécurité
quand le moindre pas derrière nous nous
fait sursauter, quand on sait que la rue
peut s’ameuter au moindre geste,
au moindre propos et s’improviser juge
et bourreau ?
D’ailleurs, plusieurs incidents témoignent de l’obsession
et de la nervosité qui règnent, ces derniers jours. A titre
d’exemple, des passagers ont été empêchés d’embarquer,
à bord de leur vol et pour cause … ils sont musulmans!
C’est dire que la peur du terrorisme engendre une autre
facette du terrorisme destructeur, celle de la peur et de la
haine de l’autre surtout quand il a le faciès qui titille le
racisme et l’islamophobie.
Descente aux enfers
Et comme si cela ne suffit pas à hypothéquer nos vies,
on sent comme un vent de folie qui souffle sur le pays. Tel
un sirocco, il brûle et opprime les personnes qu’il touche
les amputant de leur air de liberté qu’il rase d’un revers,
anesthésiant les esprits obscurantistes qu’il égare de telle
sorte qu’ils s’improvisent justiciers et dresseurs de tort
en s’octroyant le droit de faire la loi. Les libertés individuelles se réduisent en peau de chagrin sous l’effet d’une
marée de fanatisme rétrograde, d’intolérance extrémiste
et d’obscurantisme ravageur.
Lynchage, homophobie, intolérance, haine et rejet de
l’autre sont devenus des «faits divers» qui ponctuent notre
quotidien nous plongeant dans la hantise de cette Vox
Populi qui fait, à présent, la loi.
Rappelons-nous l’affaire des deux jeunes filles d’Inezgane encerclées et huées par des «moralisateurs» qui
avaient estimé que leurs tenues vestimentaires étaient indécentes. Rappelons-nous . du jeune homosexuel de Fès
traqué par une horde de personnes déchaînées. Ces scènes
d’humiliation et de violation ont donné un coup dur aux
droits de l’homme au Maroc. Or ces derniers jours encore,
les réseaux sociaux ont relayé une vidéo horrible de deux
homosexuels de Béni-Mellal qui se sont fait battre jusqu’au
sang par la foule enragée. Seulement quelques jours après,
une autre vidéo circule et cette fois-ci il s’agissait d’un
homme pris en flagrant délit d’adultère. Bien sûr son crime
est impardonnable ! On lui ligote les mains, le frappe,
l’humilie, et … on le filme. Sans parler de la chasse aux
sorcières à laquelle on a assisté, à Salé, et là encore via
les réseaux sociaux.
Au nom de quoi se permet-on la vindicte et la violence
contre les autres? Au nom d’une moralité religieuse ? Loin
s’en faut ! La religion est avant tout une affaire personnelle
intime. Elle n’a besoin de personne pour la défendre. Rien
ne peut justifier cette rage et cette violence affichées.
Ce qui est grave et inquiétant c’est ce qui se trame dans
le silence et l’absence des autorités qui assistent passives
au lieu d’arrêter, de manière ferme, ces débordements
sociétaux qui veulent nous projeter dans une ère révolue.
Des fanatiques qui se constituent en brigades de mœurs
répandent l’anarchie et le chaos émerge.
Quand la loi ne protège pas les plus faibles, quand on
se substitue aux autorités, quand la rue fait la loi, quand
l’être humain se déshumanise et trouve son plaisir dans
son machiavélisme, et quand on affiche ostentatoirement ces comportements sadiques, au vu et au su des
autorités, c’est que notre société va mal. Très mal! Que
reste-t-il de nos repères, de nos valeurs et surtout de
notre humanisme?
Comment pourrait-on résister - puisque c’est de cela qu’il
s’agit - dans un monde en manque d’harmonie et de sécurité quand le moindre pas derrière nous nous fait sursauter,
quand on sait que la rue peut s’ameuter au moindre geste,
au moindre propos et s’improviser juge et bourreau ? n
6
MAROC
diplomatique
NATION
AVRIL 2016
ENTRETIEN AVEC M’BARKA BOUAIDA
La mission initiale de la Minurso pour
un référendum n’est plus d’actualité
L
a tempête diplomatique provoquée
par les propos que Ban Ki-moon ,
secrétaire général des Nations unies,
a prononcés lors de sa visite, début mars
à Tindouf et Alger, l’usage des termes
comme « occupation », « autodétermination », le salut au « drapeau » du polisario,
la partialité affichée dans son comportement, la grave et volontaire omission des
exactions et violences exercées dans les
camps de Tindouf contre les citoyens séquestrés et empêchés de regagner le Maroc, son parti pris contre le Maroc, n’en
finissent pas de faire couler de l’encre et
d’inspirer commentaires et critiques. Une
vague d’indignation a frappé à la fois le
gouvernement et le peuple du Maroc, qui a
massivement dénoncé à l’intérieur du pays
comme à l’étranger une attitude plus que
La force de notre pays
réside dans notre
cohésion sociale, notre
cohérence politique, notre
développement économique, et bien
entendu la vision
stratégique hors du
commun mise en œuvre
par Sa Majesté le Roi. C’est ainsi que le Maroc a
exprimé, dès le début, son
étonnement et demandé
aux instances concernées
de l’UE de prendre les
mesures appropriées en
vue de trouver une issue
définitive au dossier
relatif à l’arrêt
du Tribunal européen du 10 décembre 2015.
l Maroc diplomatique : Madame la Ministre Déléguée, le
Maroc gère depuis quelques semaines maintenant deux grands
dossiers conflictuels : le premier
avec l’Union européenne suite à
la dénonciation, fin décembre dernier, par son tribunal d’une partie
des Accords agricoles. L’autre avec
Ban Ki-moon, secrétaire général
des Nations unies qui a offensé
notre pays par ses propos, sa partialité avérée, et son parti-pris dans
l’affaire de notre intégrité territoriale. Comment expliquez-vous
cette étrange conjonction entre les
deux affaires ?
- Mme M’Barka Bouaida : Tout
d’abord, je voudrais vous rappeler
que le Maroc est l’un des pays les
plus stables et prospères, ce qui en
fait un partenaire d’exception dans
un contexte régional marqué par
l’instabilité sur base de crises politiques.
Je tiens également à souligner que
le Maroc a su développer des partenariats de qualité avec plusieurs
pays et organisations mondiales. Nous avons un partenariat exceptionnel avec l’Union européenne, à
travers l’Accord d’association et le
Statut avancé, nous avons mis en
place un dialogue stratégique de
haut niveau avec les Etats-Unis, et
surtout avec une feuille de route très
ambitieuse, nous développons au
quotidien, également, des exemples
concrets de coopération Sud-Sud,
et bien entendu, nous contribuons
activement aux opérations de maintien de paix, à travers le monde, aux
côtés des autres forces des Nations
unies. Cette vision marocaine, enviée,
ainsi que le rôle stabilisateur de
notre pays sont dérangeants pour
certaines parties. Je vous l’affirme, le Maroc qui se distingue
dérange !
Les deux dossiers auxquels vous
faites mention, ont finalement
les mêmes origines et les mêmes
cibles avec un modus operandi similaire, celui de multiplier les attaques contre notre pays par tous les
moyens et à tous les niveaux. Néanmoins, comme vous avez pu vous
en rendre compte, face à certaines
parties malveillantes mais au demeurant très minoritaires, le Maroc
ne tergiverse pas avec les intérêts
suprêmes de la Nation. Nous rejetterons vigoureusement toute suren-
complice avec le gouvernement algérien.
Le Maroc avait, par deux fois, invité Ban
Ki-moon à se rendre à Rabat. Par deux
fois, également, le secrétaire général des
Nations unies s’est défaussé, préférant
en effet s’aligner sur l’agenda plus que
controversé, douteux même du gouvernement algérien. Non content de dénoncer un
alignement condamnable qui constitue un
manquement au credo des Nations unies,
le Maroc a tenu en revanche à préciser solennellement qu’il n’existe pas de crise ou
de malentendu avec l’ONU, mais avec son
secrétaire général dont le mandat s’achève
en décembre prochain.
Le Maroc a toutefois exigé le départ du
Sahara de 83 membres de la Minurso appartenant à la composante civile et politique de ce corps censé, en vertu de l’accord
de cessez-le-feu de 1991, assurer la sécurité
et contribuer à l’organisation d’un référendum. Sauf que la composante politique
de cette même Minurso s’est employée à
embrigader des jeunes dans les rangs du
polisario et à attiser les feux..
Comment le gouvernement marocain a
géré et gère encore ce tournant ? Quels ont
été ses recours face à une dérive manifeste
d’un secrétaire général de l’ONU, apparu
subitement, comme un potentiel fossoyeur
du Plan d’autonomie que le Maroc a proposé et soutenu ?
Mme M’Barka Bouaida , ministre déléguée aux Affaires étrangères et à la coopération, qui a suivi attentivement, pas à pas
l’évolution de ce dossier, nous en donne la
teneur dans l’entretien que nous publions
ci-dessous.
Mme M’Barka Bouaida, ministre délégué aux Affaires étrangères.
chère sur notre intégrité territoriale. La force de notre pays réside dans
notre cohésion sociale, notre cohérence politique, notre développement économique, et bien entendu
la vision stratégique hors du commun mise en œuvre par Sa Majesté le Roi. C’est ainsi que le Maroc a exprimé, dès le début, son étonnement
et demandé aux instances concernées de l’UE de prendre les mesures
appropriées en vue de trouver une
issue définitive au dossier relatif à
l’arrêt du Tribunal européen du 10
décembre 2015. Notre message a
été des plus clairs et s’est traduit,
pendant une période, par la suspension de tout contact et toute coopération avec l’UE, en attendant des
éclaircissements de nos partenaires.
L’UE, à l’unanimité, a fait appel, et
Mme Federica Mogherini, lors de sa
dernière visite à Rabat, a bien exprimé l’appui total et absolu de l’UE
au Maroc . Elle a rejeté l’arrêt de la
Cour européenne considéré comme
non fondé. L’UE nous a fourni les
assurances et garanties nécessaires
pour mener à bien ce dossier. Nous déployons tous nos efforts
pour trouver une solution définitive à ce différend, à travers une
mobilisation diplomatique bien
coordonnée entre différentes institutions. Au sujet du différend avec
le Secrétaire général de l’ONU, il
faut savoir que le Maroc a toujours
entretenu des relations professionnelles et constructives avec toutes
les instances onusiennes, incluses
toutes les personnes ayant occupé
le poste de secrétaire général. Cependant, nous avons tous
été choqués par les propos tenus
par l’actuel Secrétaire général de
l’ONU lors de sa visite dans la région. Ils sont inadmissibles à plus
d’un titre et le Maroc l’a fait savoir de façon ferme et énergique.
Bien évidemment, il était clair que
la tournée régionale devait être en
principe une contribution constructive au processus.
Le Maroc est pleinement
inscrit dans le processus
onusien pour trouver
une solution politique.
Il a proposé depuis 2007
le Plan d’autonomie
que la communauté
internationale
et le Conseil de sécurité
qualifient « d’initiative
sérieuse et crédible »
pour un règlement
politique juste,
durable et mutuellement
acceptable
par les parties.
MAROC
diplomatique
NATION
AVRIL 2016
11
Mme Bouaida en compagnie
de Mme Federica Mogherini.
Mme Bouaida en compagnie de MM. Christopher Ross et Salaheddine Mezouar.
Mais malheureusement, les
dérapages inacceptables qui ont été
constatés ont fait que le responsable
onusien s’est départi de deux conditions liées à la fonction d’un secrétaire général de l’ONU à savoir : la
neutralité et l’impartialité.
Je rappelle que s’agissant de la
question de l’intégrité territoriale,
les Marocains dans leur ensemble,
ne laisseront jamais quiconque
leur imposer un diktat qui serait influencé par des considérations contraires à la réalité.
Le Maroc continuera
à exiger la neutralité
et l’impartialité
dans la gestion
de ce dossier,
et évidemment nous
ne tolérerons aucun
dépassement.
lL’annulation plus ou moins
officielle de la visite de Ban Kimoon au Maroc prévue initialement en juillet prochain, aura-telle selon vous des conséquences
sur l’évolution du dossier du
Sahara ?
- L’évolution du dossier est entre
les mains du Conseil de sécurité. Le
Maroc est pleinement inscrit dans
le processus onusien pour trouver
une solution politique. Il a proposé
depuis 2007 le Plan d’autonomie
que la communauté internationale
et le Conseil de sécurité qualifient
« d’initiative sérieuse et crédible »
pour un règlement politique juste,
durable et mutuellement acceptable
par les parties.
Depuis, nous travaillons aux cotés des pays amis et partenaires
pour défendre notre position, surtout que le Maroc est connu pour
tenir ses promesses et remplir ses
engagements. Sur le terrain, la régionalisation avancée basée sur le
renforcement des prérogatives régionales et des compétences locales
et régionales, le modèle de développement des Provinces du Sud, et le
programme d’investissement lancé
par SM le Roi à Lâayoune sont des
éléments précis de la vision royale
pour une solution définitive à cette
question. l Dans trois semaines, fin
avril, le Secrétaire général des
Nations-unies soumettra, comme
à l’accoutumée, son rapport sur
cette affaire. Y a-t-il un moyen
de savoir ou de subodorer un tant
soit peu le contenu de ce rapport
? Autrement dit, pensez-vous qu’il
pourrait éventuellement comporter une prise de position hostile au
Maroc, ou inspirée des manœuvres
dilatoires algériennes ?
- Nous avons toujours voulu, pour
des raisons évidentes, un rapport
concis et factuel qui soit en phase
avec la réalité, et non un document orienté politiquement qui ne
serait d’aucune utilité si ce n’est
créer des dissensions et nuire au
processus. D’ailleurs, le Secrétaire
général s’était lui-même engagé
dans ce sens, lors de l’entretien téléphonique avec Sa Majesté le Roi en
janvier 2015. Le Maroc continuera
à exiger la neutralité et l’impartialité dans la gestion de ce dossier,
et évidemment nous ne tolérerons
aucun dépassement.
l Qu’est-ce qui explique, d’après
vous, l’alignement du secrétaire
général des Nations unies sur les
thèses algériennes et notamment
au niveau du langage et des mots
comme « occupation », « colonisation », au niveau de la symbolique
comme le « V » de la « victoire », le
salut du drapeau, en contradiction
totale avec l’éthique qui devrait
présider à son mandat ?
- Nous voudrions croire, qu’un
homme de la posture d’un Secrétaire
Général ne se départirait d’aucune
façon de son impartialité. Néanmoins et malgré les assurances auxquelles il s’est engagé et les justifications présentées, il n’en demeure
pas moins que les termes utilisés et
certains actes, nous le répétons, sont
inadmissibles et même dangereux
selon leurs interprétations.
Je tiens á souligner la gravité que
représente la visite du SG á Bir
Lahlou le 5 Mars dernier. En effet, la visite de cette localité marocaine, constitue un développement
dangereux puisque cela revient à
considérer Bir Lahlou comme une
extension de Tindouf; en procédant
de la sorte, le secrétaire général de
l’ONU a consacré une division du
territoire, et en agissant ainsi, il a
essayé de changer le statut de cette
zone tampon. C’est pourquoi, nous
dénonçons un fait inacceptable et
incompréhensible et même, très
grave et dangereux.
D’autant plus qu’il a commis,
comme je l’ai souligné précédemment, plusieurs omissions : il n’a
pas parlé de la situation de non-droit
qui prévaut dans les camps de Tin-
Il serait judicieux
de dire que le Secrétaire
général méconnaît
ce dossier et ses réalités,
sinon il aurait mesuré
l’ampleur de ses mots
et ses actes et aurait souhaité préserver l’image
légitime de médiation des Nations unies et de
son rôle dans le processus
de négociations entre
les parties.
Le Maroc, sous
le leadership éclairé de
Sa Majesté le Roi,
continuera sans relâche,
à défendre sa première
cause, le Sahara,
par la mobilisation
de toutes les forces vives
du Royaume.
La diplomatie,
à travers ses hommes
et ses femmes et leur
abnégation, s’attelle
à préserver
les intérêts du Maroc et des Marocains dans
le monde.
douf. Il n’a pas non plus évoqué la
question des violations massives
des droits de l’Homme dans les
camps de Tindouf en Algérie, le détournement avéré depuis quatre décennies, de l’aide humanitaire internationale destinée aux populations
de ces camps, ou encore l’impératif
du recensement de ces populations
auquel il a lui-même appelé dans
plusieurs de ses rapports.
Ce fait inédit, avec ses conséquences actuelles, n’enlève rien au
fait que le Maroc est dans son droit
le plus légitime. De par sa proposition pour la résolution de ce différend, à travers le Plan d’autonomie
comme seule solution, il ne laissera
aucune partie entraver ses engagements, son développement et porter
et que soit porté atteinte à son intégrité territoriale et aux sentiments
de sa population.
La réaction du Maroc, populaire
d’abord, ensuite politique par une
série de mesures appliquées immédiatement comme le renvoi de 83
membres civils de la Minurso et
l’arrêt de la contribution financière de 3 millions de dollars à
celle-ci, vous semble-t-elle justifiée et nécessaire, constitue-t-elle
une réponse appropriée ?
Cette réaction, ou plutôt ces réactions, ne sont que le fruit d’une
attitude qui a blessé la sensibilité
de l’ensemble des Marocains. Dès
qu’il s’agit de l’intégrité territoriale, la société civile, les partis
politiques, les syndicats, les élus,
la population et plus généralement
toutes les composantes de la société marocaine mettent en avant leur
marocanité dont ils ne sauraient aucunement se départir.
Plus de 3 millions de marocains
à Rabat, 180.000 à Lâayoune et
des milliers et milliers de personnes
de tout âge et de toute sensibilité
à travers le Royaume et certaines
villes du monde, ont manifesté leur
incompréhension face à ces malheureux dérapages, ressentis comme
des attaques personnelles par chacun de nos concitoyens.
Naturellement, le Maroc a pris
les dispositions qu’il fallait : le
gouvernement a publié un communiqué dans lequel il marque sa dénonciation ferme et son rejet total
des propos inadmissibles et de ses
actions condamnables de M. Ban
Ki-moon au sujet de la question du
Sahara marocain. Ce communiqué
a considéré que de tels agissements
sont incompatibles avec les responsabilités et la mission du Secrétaire
général, qui l’astreignent à un devoir d’objectivité, d’impartialité et
au respect du référentiel établi par
les organes de l’ONU. Etant donné les conséquences
graves de ces dérives dangereuses et la situation actuelle, le
Maroc a répondu également par
une réduction de la composante civile de la Minurso, dont la mission
initiale d’organiser le référendum,
n’est plus d’actualité, et ce, depuis
la proposition soumise par le Maroc au Conseil de sécurité du plan
d’autonomie. Le Maroc a également
décidé l’annulation de la contribution volontaire qu’il accorde au
fonctionnement de la Minurso.
l Comment la diplomatie marocaine envisage-t-elle la défense du
dossier du Sahara et de manière
générale, de nos thèses et de notre
projet de société face à nos détracteurs, notamment algériens ?
- Le Maroc, sous le leadership
éclairé de Sa Majesté le Roi, continuera sans relâche, à défendre sa
première cause, le Sahara, par la
mobilisation de toutes les forces
vives du Royaume. La diplomatie, à
travers ses hommes et ses femmes et
leur abnégation, s’attelle à préserver
les intérêts du Maroc et des Marocains dans le monde, à promouvoir
l’image de notre pays et ses multiples atouts, aussi bien au niveau
bilatéral et multilatéral.
Il conviendrait de souligner que
la diplomatie parlementaire, les
ONG, la Société civile et les
Marocains du monde, ont fait de
nouveau preuve de patriotisme,
d’efficacité et de militantisme et
je les appelle à maintenir leurs efforts pour soutenir la diplomatie officielle dans la défense des intérêts
supérieurs du Royaume. n
Propos receuillis par
Hassan Alaoui
8
MAROC
diplomatique
NATION
AVRIL 2016
COP22 DE MARRAKECH
Quand la dimension politique
et citoyenne interpelle les Etats
L
Mohamed Abdi (*)
a conférence de Paris (COP 21)
s’est achevée le 12 décembre 2015
par un accord international salué
comme historique qui sera formalisé le
22 avril, lors du Sommet de New York.
Si ce texte est en très grande partie non
contraignant, les représentants de 195
pays se sont engagés à partir de 2020
à limiter le réchauffement de la planète
à moins de 2°C, et à tenter de ne pas
dépasser 1,5°C. Mais le succès diplomatique de l’accord de Paris, chef d’œuvre
en matière de compromis historique, a
occulté la faiblesse du texte où de nombreux points restent encore vagues. La
Cop 22, qui aura lieu à Marrakech au
mois de novembre prochain, sera donc
cruciale dans l’implémentation et le
suivi de l’Accord de Paris pour définir
des outils et des mécanismes devant
contraindre les parties à respecter, à
partir de 2020, leurs engagements pris
à Paris. Il faut maintenant préciser les
contours de l’accord, le compléter et
l’améliorer. La COP de Marrakech sera
en cela la COP de la clarification et « le
chemin de l’audace et de l’avenir ».
Les pays développés
doivent continuer à
réduire le volume de leurs
émissions de GES, les
pays en développement
peuvent encore les augmenter, mais devront eux
aussi inverser ensuite, et
rapidement, la tendance
pour qu’à partir du milieu
du siècle les émissions
nettes soient nulles;
autrement dit, à partir
de 2050, les émissions
de GES ne devront pas
dépasser le niveau de ce
que peuvent absorber la
nature et les instruments
de stockage de CO2
conçus par l’homme.
Les trois engagements
majeurs du document
signé le 12 décembre
Dans le chapitre « Atténuation »
(page 6/paragraphe 36) : « Les parties
s’engagent à communiquer d’ici à 2020
leurs stratégies de développement à
faible émission de gaz à effet de serre
à long terme pour le milieu du siècle. »
C’est l’un des points clés qui devrait permettre de savoir en 2020 quels seront les
objectifs espérés en termes de réduction
d’émissions.
«Financement» (page 18/paragraphe
115) : « la COP demande fermement
aux pays développés d’amplifier leur
aide financière en suivant une feuille de
route concrète afin d’atteindre l’objectif consistant à dégager ensemble 100
milliards de dollars par an d’ici 2020. »
C’est un point essentiel que celui de la
contribution financière des pays développés pour aider les pays émergents
et vulnérables à réduire leurs propres
émissions.
Dans l’Annexe (page 23), on relève
aussi que « les parties reconnaissent la
priorité fondamentale consistant à protéger la sécurité alimentaire et à venir
à bout de la faim, et la vulnérabilité
particulière des systèmes de production
alimentaire aux effets néfastes des changements climatiques. Replacer en priorité absolue la satisfaction des besoins
alimentaires de la planète constitue un
rappel important de l’ordre des priorités
qu’il convient de respecter. »
Les avancées de la COP21
Le protocole de Kyoto ne prévoyait
que des engagements pour les pays développés. Maintenant, il est acquis que
tous les pays doivent participer à l’action
avec des «responsabilités communes,
mais différenciées».
La signature d’un accord contraignant
pour 195 États prêts à s’engager sur une
voie vertueuse afin de limiter l’élévation
moyenne des températures de la planète
constitue en soi une performance.
L’objectif de maintenir l’élévation de
température nettement en dessous des
+2°C qui figure dans l’article 2 est un
objectif très ambitieux et les moyens d’y
parvenir restent à mettre en place.
Vouloir réunir 100 milliards de dollars par an pour aider au développement
énergétique vertueux des pays émergents
et vulnérables constitue une vraie avancée.
L’accent est mis sur l’éducation, la
formation, la recherche et l’innovation
ainsi que le transfert de technologie.
Chacun doit apporter sa contribution,
qui sera revue tous les cinq ans, sachant
que chaque contribution devra être meilleure que la précédente.
Reconnaissance des responsabilités
communes mais différenciées des pays :
le texte d’accord grave dans le marbre
l’idée que les efforts à fournir ne sont
pas les mêmes en fonction du degré de
développement et d’industrialisation des
pays.
Les pertes et dommages irréversibles
pour les populations déjà concernées par
le réchauffement climatique sont reconnus. C’est une avancée car ce point était
bloqué par les Etats-Unis depuis le début
des négociations climatiques.
Objectifs
Contenir la hausse de la température moyenne de la planète «nettement
en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant
l’action menée pour limiter l’élévation
des températures à 1,5°C par rapport
aux niveaux préindustriels». Les pays
développés doivent continuer à réduire
le volume de leurs émissions de GES,
les pays en développement peuvent encore les augmenter, mais devront eux
aussi inverser ensuite, et rapidement, la
tendance pour qu’à partir du milieu du
siècle les émissions nettes soient nulles.
Autrement dit, à partir de 2050, les émissions de GES ne devront pas dépasser
le niveau de ce que peuvent absorber la
nature et les instruments de stockage de
CO2 conçus par l’homme.
Chaque pays est incité à ne pas attendre la date d’entrée en vigueur de
l’accord (début 2020 au plus tôt, si suffisamment de pays l’ont ratifié) pour
accélérer ses efforts.
Il est prévu également de coopérer
pour arriver à une mutualisation du
risque face aux «pertes et préjudices»
liés aux effets néfastes des changements
climatiques (beaucoup de choses restent
à préciser en ce domaine). L’accord de
Paris, c’est une somme d’actions à engager dès maintenant qui forment un
ensemble cohérent.
Les faiblesses
de l’accord de Paris
Venons en aux faiblesses de l’accord
de Paris :
L’accord de Paris n’est pas « l’accord
rêvé » parce qu’il ne dit pas explicitement comment faire pour tenir ces objectifs, tant du point de vue des instruments pour réduire les émissions (aller
vers 100% d’énergies renouvelables à
la moitié du siècle notamment) que du
point de vue des financements post-2020
pour les pays les plus vulnérables au
changement climatique.
On sait que la somme de ces contributions conduit, si elles sont vraiment
respectées, à un réchauffement au-dessus de 3°C. On sait également qu’afin
d’atteindre l’objectif des 2°C, il faudrait
diminuer les émissions de 70 % à l’horizon 2050 puis les amener vers zéro à
partir de 2070. L’accord dit simplement
que les parties feront leurs efforts pour
atteindre un pic d’émissions aussitôt que
possible. On renvoie à des réunions ultérieures l’amélioration des valeurs de ces
contributions nationales.
L’accord offre la possibilité de passer de l’irresponsabilité actuelle à une
responsabilité qui nous évite le chaos,
mais sans dire clairement qu’il faut «
décarboniser » l’économie réelle.
Alors que l’idée de la conférence était
de donner au moins quelques points de
repère datés, plus d’un observateur aura
été surpris de voir que la date de 2020
pour le pic des émissions s’est réduit en
un «plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les
meilleurs délais».
Les réductions des émissions relatives
aux engagements des pays notamment
les plus pollueurs ne sont ni identifiées
ni chiffrées et le calendrier prévisionnel
de ces réductions ne sera connu au mieux
qu’en 2020.
Financement imprévisible : L’accord
reprend l’objectif d’un « fonds vert » de
100 milliards de dollars par an à partir de
2020. Il doit servir à financer les projets
des pays en développement en matière
de réduction des émissions et d’adaptation au changement climatique. Mais
l’accord ne détaille pas l’origine ni la
forme de cet argent. Les pays contributeurs et les montants des contributions
financières ne sont pas identifiés et ne le
seront probablement pas avant 2020. Or
sans contribution financière significative
pour aider les pays émergents à aborder
leur transition énergétique, l’accord de
2015 risque de rester inopérant.
La notion de « pertes et dommages » est très limitée car l’accord dit
explicitement que «l’article 8 ne peut
donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation»
des pays pauvres par les principaux pays
responsables du changement climatique.
Parmi les grosses faiblesses de l’accord, beaucoup d’ONG ont relevé la très
grande réussite qu’ont eue les multinationales à faire échapper des pans entiers
de l’économie mondiale à cette cure de
sobriété énergétique.
Nulle trace de taxations sur les transports aériens et maritimes qui sont pourtant responsables de 10% des émissions
de gaz à effet de serre.
De façon plus stupéfiante, le secteur de
l’agrobusiness s’en sort bien avec la disparition de toute mention à la « sécurité
alimentaire » au profit de la « production
alimentaire ».
Les droits de l’homme comme l’importante question de la protection des
déplacés environnementaux ont été relégués dans les préambules. On pourra se
souvenir que le jeudi 10 décembre 2015
(le jour anniversaire de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme)
les délégations russes et saoudiennes
ont réussi à reléguer et déconstruire
ainsi la mention relative aux «droits de
l’homme» clairement définie au départ
dans l’article 5.3. La référence figure désormais dans les préambules d’une façon
beaucoup moins contraignante.
La reconnaissance qui était aussi faite
aux déplacés environnementaux et qui
aurait ouvert une voie à la reconnaissance
de leur statut a notamment disparu dans
le même mouvement avec une simple
référence au mot «migrants» dans un
paragraphe fourre-tout des préambules.
La Cour Suprême américaine a décidé
de suspendre le Clean Power Plan (CPP)
du président Obama imposant aux centrales électriques des réductions draconiennes de leurs émissions de CO2, de
Parmi les grosses
faiblesses de l’accord,
beaucoup d’ONG ont
relevé la très grande
réussite qu’ont eue les
multinationales à faire
échapper des pans
entiers de l’économie
mondiale à cette cure
de sobriété énergétique.
Nulle trace de taxations
sur les transports aériens
et maritimes qui sont
pourtant responsables de
10% des émissions
de gaz à effet de serre.
32% d’ici 2030 par rapport à 2005. Cet
ensemble de mesures fédérales était au
cœur des engagements présentés par
les Etats-Unis au début pour préparer la
conférence climat de Paris et parvenir à
l’accord adopté mi-décembre dernier par
195 pays.
L’accord apparaît comme une succession de bonnes intentions et de déclarations de principe qui reflètent, sans doute,
les difficultés d’obtenir un engagement
ferme des parties dès 2015.
La contribution
du Maroc à la COP21
A l’ouverture de la COP21, le Maroc a
rehaussé les ambitions de sa contribution
nationale.
Le Roi Mohammed VI a confirmé le
passage à 52% de la part des énergies
renouvelables dans le mix énergétique
à partir de 2030, au lieu de 42% comme
c’était prévu. les subventions aux énergies fossiles son levées et la libéralisation du prix à la pompe est acté. Le Maroc parle de «climate chance» et pas de
«climate change». Le Maroc en fait une
cause nationale et construit sa politique
de développement durable autour d’un
facteur qui est structurel et que les Marocains connaissent depuis cinquante ans.
Dans sa contribution nationale, le
Maroc s’engage à réduire de 32% ses
émissions de gaz à effet de serre d’ici
2030, dont 19% sont conditionnés à des
financements internationaux, venant des
pays du Nord.
Les financements n’existent pas encore mais le Maroc pense que l’argent
se trouve dans le secteur privé et dans
les multinationales. La société civile, les
territoires, les entreprises vont plus loin
et plus vite que les Etats. En 2014, les
entreprises privées ont investi 250 milliards de dollars dans les énergies renouvelables. Si on parle des territoires, il y a
des villes maintenant avec des quartiers
à énergie positive. Demain, ils n’auront
plus besoin des Etats.
Déclaration
de Mohammed VI lors
de la COP21 de Paris
Mohammed VI a rappelé la stratégie
en faveur du climat entamée par le Maroc
«depuis plus d’un demi-siècle», et notamment la politique des barrages mise
en œuvre depuis le début des années 60
par Feu Sa Majesté Hassan II.
MAROC
diplomatique
NATION
AVRIL 2016
9
Leader dans le continent
africain, le Maroc est
appelé aussi à fédérer
l’ensemble des pays
africains pour entrer
dans ce cercle vertueux
d’avoir des économies
faibles en carbone voire
décarbonées.
Photo-souvenir des chefs d’Etat
et de gouvernement à la COP21.
Le Maroc défend
également un tourisme
durable, respectueux
de l’environnement
et des valeurs
du développement
durable, à travers
des engagements forts.
Ainsi, aucun golf ne
peut être construit sans
unité de recyclage des
eaux usées ; 23 plages
sont déjà labellisées
«Pavillon Bleu» ;
la médina de Fès
bénéficie d’un ambitieux
programme
de restauration des
monuments historiques ;
l’Écolodge Atlas Kasbah
d’Agadir vient d’être
couronné meilleur hôtel
du monde pour
la valorisation locale.
« Conscient de l’importance de cet
acquis structurel et central pour l’avenir
du Maroc, nous avons veillé à son renforcement, ce qui a permis au royaume de
se doter de 140 grands barrages classés,
dont près du tiers ont été construits au
cours des 15 dernières années ».
Le Maroc a aussi « mis en place et
défendu, non sans difficultés, lors des
négociations avec ses partenaires, une
politique de pêche responsable pour protéger ses ressources halieutiques ».
La Charte de l’Environnement, le Plan
Maroc Vert, le Plan d’Investissement
Vert, l’interdiction des OGM ou encore
la récente loi sur les déchets plastiques,
« sont autant d’expressions de cette mobilisation et de cette cohérence ».
« Le Maroc est devenu plus récemment
l’un des acteurs majeurs de la transition
énergétique dans le monde et plus particulièrement sur le continent africain ».
« Le continent africain mérite une
attention particulière en tant que continent d’avenir ». « Le Maroc est devenu
l’un des acteurs majeurs de la transition
énergétique dans le monde et plus particulièrement sur le continent africain », a
déclaré le roi du Maroc lors de l’ouverture de la COP21. Le pays veut devenir
un chef de file en Afrique et « donner
l’exemple» sur les énergies renouvelables
mais aussi l’interdiction des OGM et des
sacs plastiques. La conférence de Paris
et celle que le Maroc accueillera dans un
an à Marrakech, seront les « conférences
fondatrices du futur que nous avons le
devoir et la responsabilité de léguer à
nos enfants ».
Le défi de la COP22
à Marrakech
Après la COP 21 de Paris, la COP 22 se
réunira à Marrakech en décembre 2016.
En choisissant d’organiser ses retrouvailles annuelles au cœur du Royaume
chérifien, la communauté internationale
a voulu aussi mettre à l’honneur un pays
écologiquement exemplaire, c’est-à-dire
un modèle qu’il faut suivre impérativement si l’on veut assurer une croissance
durable pour les prochaines décennies.
Le Maroc n’a pas attendu qu’on lui
confie l’organisation de la COP 22 pour
se distinguer comme l’un des acteurs
majeurs africains de la lutte contre le
réchauffement climatique et dans la préservation de l’environnement. Déjà organisateur de la COP 7 en 2001, le royaume
s’est engagé bien avant la COP 21 à limiter ses émissions de gaz à effet de serre,
en les réduisant de 13% d’ici 2030, par
rapport à 2010.
Le Plan national de l’Eau initié par le
Maroc en 2013 avait, par exemple, pour
objectif de répondre à cette situation de
stress hydrique préoccupante. Parmi les
actions qu’il préconisait, le dessalement
de l’eau de mer, le captage des eaux de
pluie, la déminéralisation des eaux saumâtres et la réutilisation des eaux usées
épurées, devaient permettre d’y remédier
un minimum.
On notera également que le Maroc fut
le deuxième pays africain, après le Gabon, à s’engager à réduire ses émissions
de gaz à effet de serre. Le pays s’était fixé
l’objectif de réduire ses émissions de gaz
à effet de serre de 13% en 2030, avec une
possibilité de réduction additionnelle de
19% sous réserve d’un appui financier
international, qui porterait ainsi l’effort de
réduction à 32% à l’horizon 2030.
D’après l’ONG Climate Action
Tracker, le Maroc se classe comme
quatrième pays le plus écologique du
monde, derrière le Bhoutan, le Costa
Rica et l’Éthiopie.
Le Maroc peut déjà se prévaloir de
réalisations exemplaires en matière
d’écologie :
- Le plus grand parc éolien d’Afrique
inauguré l’année dernière à Tarfaya ; à
Ouarzazate, mise en service prochaine
de la plus grande ferme solaire au monde
; plus d’1 million de personnes bientôt
logées dans des cités vertes…
- L’ambitieux plan de développement
des énergies renouvelables : construction d’une gigantesque centrale solaire
thermodynamique dans le sud du Maroc
près d’Ouarzazate, baptisée Noor, 7ème
centrale de ce type dans le monde. La
centrale solaire n’est que le début d’un
projet pharaonique géré par l’Agence marocaine de l’énergie solaire. Deux autres
centrales solaires thermodynamiques
(Noor II et III) et une autre photovoltaïque sont incluses dans les plans de
l’Agence marocaine de l’énergie solaire
sur une étendue de 2 500 hectares, soit
une capacité dépassant les 500 MW. A
terme, le projet Noor constituera de loin
le plus grand complexe solaire du monde.
« Le Maroc est en passe de marquer l’histoire lorsque la première phase de l’un
des plus grands parcs solaires du monde
commence à générer de l’électricité », se
réjouit la Banque mondiale.
- La compagnie des eaux de Marrakech
(RADEEMA) récupère le méthane qui se
dégage des eaux usées, et le transforme
pour booster l’alimentation en électricité de l’agglomération. Elle évite ainsi de
rejeter dans l’atmosphère l’équivalent
d’au moins 60 000 tonnes de carbone
par an. Par ailleurs, les eaux ainsi nettoyées servent à arroser les parterres et
terrains de golf qui font la réputation de
Marrakech. Cette performance, reconnue
officiellement par les Nations Unies, illustre, de manière éclatante, le rôle pionnier que joue désormais le Maroc dans
la lutte contre le changement climatique.
Du côté des transports, les préoccupations environnementales se concrétisent.
Les lignes de tramways qui se multiplient : deux entre Rabat et Salé, une à
Casablanca et trois en projet à Marrakech,
Tanger et Fès. Et le programme de TGV
qui verra l’entrée en service de la première ligne, entre Tanger et Casablanca
dès 2017.
En matière d’urbanisme, les villes nouvelles de Tamansourt et Tamesna, ainsi
que les chantiers de Sahel-Lakhiayta et
de Chrafat, programme de cités vertes,
offrent d’ores et déjà, ou vont offrir, avant
2020, des logements écologiques pour
près d’1 200 000 habitants.
Le Maroc défend également un tourisme durable, respectueux de l’environnement et des valeurs du développement
durable, à travers des engagements forts.
Ainsi, aucun golf ne peut être construit
sans unité de recyclage des eaux usées ;
23 plages sont déjà labellisées « Pavillon
Bleu » ; la médina de Fès bénéficie d’un
ambitieux programme de restauration
des monuments historiques ; l’Écolodge
Atlas Kasbah d’Agadir vient d’être couronné meilleur hôtel du monde pour la
valorisation locale.
Ces exemples sont parmi les multiples
réalisations fortes qui positionnent le Maroc à la pointe du Continent africain, et
peut-être même de la planète, en matière
de technologies vertes. Toutes ces innovations « bas carbone » relèvent d’une
stratégie volontaire de développement
durable à laquelle participent tous les secteurs de l’économie du pays, notamment
l’agriculture, le bâtiment, les transports,
l’aménagement du territoire, et bien sûr
le tourisme.
L’objectif est d’assurer l’essor économique grâce à une croissance équilibrée
qui évite autant que possible l’exode rural et les maux qui l’accompagnent : la
généralisation de bidonvilles encombrés
de populations déracinées, foyers de pollutions en tous genres.
L’action et la mobilisation
citoyenne seront
déterminantes pour
engager la transition
Au regard des faiblesses de l’Accord
de Paris, l’ensemble des citoyens et de
la société civile doit se mobiliser pour
le climat à tous les échelons territoriaux,
au sein des associations, ONG, collectifs
ou mouvements écologistes et citoyens
qui, chacun à leur manière et à leur niveau, travaillent au renforcement des
alternatives citoyennes et initiatives de
transition dans les territoires; à la pression sur les entreprises et les États ; à la
construction d’un rapport de force permettant de gagner des batailles décisives
pour le climat dans les années à venir.
On citera comme initiative : la Coalition marocaine pour la justice climatique.
Cette initiative s’inscrit dans le prolongement et la convergence des actions
menées depuis des décennies par les
associations marocaines et internationales de protection de l’environnement,
contre la désertification, la préservation
des ressources en eau, et la protection de
la biodiversité et pour une gestion équitable des ressources naturelles.
Cette coalition met en avant l’importance capitale qui échoit à la COP22 :
l’occasion d’amplifier de manière significative la conscientisation de la société
marocaine aux enjeux environnementaux et changements climatiques et leurs
conséquences pour l’avenir du Maroc.
Leader dans le continent africain, le
Maroc est appelé aussi à fédérer l’ensemble des pays africains pour entrer
dans ce cercle vertueux d’avoir des économies faibles en carbone voire décarbonées.
Le Royaume occupe depuis plus de
50 ans une position de leader au sein du
continent. La coopération entre le Maroc et ses partenaires africains a connu
plusieurs temps forts : celui de la coopération militaire, celui de la coopération
politique, avant d’entrer dans l’ère de la
coopération économique depuis la fin
des années 1990. Aujourd’hui vient le
temps de la coopération en matière de
préservation de l’environnement pour les
générations futures.
L’Afrique détient les meilleures ressources d’énergies renouvelables au
monde. Par-dessus son potentiel considérable en matière de production hydraulique et géothermique, le continent bénéficie d’abondantes radiations solaires
tout au long de l’année. En amont de la
COP 22, qui se tiendra en 2016 à Marrakech, d’autres partenariats, à destination notamment de la Côte d’Ivoire et du
Nigeria, sont en cours pour un transfert
de technologie ou une aide à la construction en Afrique subsaharienne.
En choisissant d’organiser sa prochaine
Conférence des Présidents en novembre
2016 au Maroc, juste à la veille de la
COP 22 (Conférence des Nations-unies
sur les changements climatiques), prévue
dans le Royaume, l’Union des parlementaires africains (UPA) veut signifier toute
sa mobilisation derrière le Maroc en tant
que porte-étendard des préoccupations
environnementales du continent et avocat de ses grandes causes.
Le Maroc, sous l’impulsion et le leadership du Roi Mohammed VI, possède
une importante crédibilité internationale
pour reprendre le relais et le flambeau
de la France, afin de concrétiser et de
viabiliser les espoirs nés de la Cop 21.
Marrakech devra arrêter le chemin, le
consolider et s’assurer que tout le monde
l’emprunte.
La COP22 offre aussi l’occasion de
renforcer le débat public sur l’ensemble
des enjeux liés à l’environnement et au
climat (eau, déchets, préservation de la
biodiversité, désertification, pollutions,
etc.), d’évaluer les politiques publiques
en la matière en vue de donner un nouvel
élan sur une question vitale pour l’avenir des populations, d’autant plus que le
Maroc est engagé dans des programmes
ambitieux dans le domaine des énergies
renouvelables et non fossiles.
La COP22 constitue une opportunité
pour accélérer la prise de conscience des
citoyens, pour faire pression sur les Etats
pollueurs, les autorités publiques et les
entreprises pour des actions et des mesures concrètes, tant sur le plan national
qu’international.
C’est aussi l’occasion pour contribuer
à l’élaboration de propositions sur des
thématiques nouvelles comme genre et
climat, les réfugiés climatiques, la place
et rôle des jeunes dans la protection de
l’environnement.
Eu égard aux éléments ci-dessus, on
comprendra aisément que la cop 22 ne
se résume pas seulement à un événement prestigieux. c’est un rendez crucial à même de faire accéder le Maroc
au niveaux supérieur. Ce rendez-vous
doit donner de l’éclat et des reliefs à
la dynamique en cours au Maroc pour
l’inscrire définitivement dans la bonne
gouvernance, la démocratie et l’Etat
de droit. Dans ce nouveau paradigme
qui s’ouvre à nous tous ; l’éducation
à l’environnement doit être le point
cardinal de la citoyenneté. n
(*) Mohamed Abdi, ancien membre
du Cabinet François Fillon,
ancien Premier ministre
français.
10
MAROC
diplomatique
NATION
AVRIL 2016
EN MARGE DE LA PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DE BMCE BANK OF AFRICA
Othman Benjelloun, des décennies
d’engagement et un discours fondateur
C’est le lundi 28 mars que le management du groupe BMCE a
présenté les résultats financiers au titre de l’exercice 2015. Le RNP
du groupe est de près de 2 milliards de dirhams, résultat d’autant
plus honorable qu’il incline ses dirigeants à dire que les objectifs
du plan stratégique 2012-2015 ont été atteints. Outre l’analyse et
les commentaires accompagnant cette présentation, Othman Benjelloun, Président de BMCE Bank of Africa a prononcé un discours
d’une teneur exceptionnelle, où les mots et le langage ont suscité
émotion et adhésion. Un discours fondateur au magistère inhabituel
qui a constitué une étape significative dans la vie du groupe BMCE
Bank et que nous publions ci-dessous pour son intérêt et sa force.
«B
ismillah Arrahman,
Arrahim.
C’est un réel plaisir de vous retrouver aussi nombreux dans notre Auditorium pour la présentation des résultats
annuels du Groupe BMCE Bank Of
Africa. Comme à l’accoutumée, sont
présents les Cadres de notre Groupe,
les représentants de la Presse et les
Analystes. Permettez que je m’adresse
à ces derniers.
Messieurs les Représentants de la
Presse et les Analystes,
Votre regard aiguisé de l’actualité,
vos analyses et votre opinion comptent
beaucoup à nos yeux. Ils comptent
pour façonner l’opinion publique marocaine et internationale sur la réalité
d’un Groupe Privé de racines marocaines, de vocation internationale et
d’ambition panafricaine.
Votre travail d’analystes compte
pour refléter l’environnement dans
lequel évolue ce Groupe, l’environnement économique et social- je dirai même -politique, ici au Maroc et
dans les régions de nos implantations
à l’étranger. Votre regard compte
pour contribuer à renforcer le climat
de confiance à la base duquel se trouve
tout acte d’entreprendre, tout acte d’investir, qui sont placés au cœur du processus de création de richesses. C’est
par rapport à cette Responsabilité qui
vous échoit que j’ai entrepris d’analyser l’accomplissement de ma Responsabilité envers notre Institution et
envers notre Groupe ces 20 dernières
années.
Vous avez sans doute l’habitude de
m’écouter me livrer à des projections
sur 20, 50 voire 100 ans. Je voudrais,
cette fois-ci, que nous regardions en
arrière, vers les 20 dernières années,
les 20 dernières années d’un Groupe
Bancaire dans l’environnement marocain qui l’a porté et nourri. J’ai souhaité qu’on fixe nos idées par la projection de quelques diapositives évoquant
les principales évolutions enregistrées
au cours de cette période. Vous verrez
alors qu’en définitive, nous avons, en
20 ans, transformé une Banque Publique en une Banque privée universelle puis, en un Groupe multinational.
En 1995, la Banque Publique avait
2700 collaborateurs répartis dans 7
pays. 20 années après, cet effectif
est cinq fois plus important : 12800
personnes travaillent sur 4 continents
dans plus de 30 pays, au service de
plus de 5 millions de clients répartis
à travers 1200 agences. Les agrégats
financiers du groupe BMCE Bank ont
connu des taux de croissance annuels
à deux chiffres.
En 2015, le Total Bilan fut porté à
280 Milliards de Dirhams, soit huit
fois plus le niveau de 1995 ou encore
un taux de croissance annuel de 11%.
En 2015, les capitaux propres ont
crû de 10% l’an durant ces 20 ans. Ils
furent multipliés par 7 pour atteindre
22 Milliards de Dirhams.
Les crédits à l’économie et les dépôts ont, respectivement, été multipliés par 12, connaissant, chacun, un
taux de croissance annuel de 13%.
Le PNB, indicateur de création de
richesse est, en 2015, 9 fois plus important qu’en 1995, enregistrant un
taux de croissance annuel de 11% .
Le Résultat Net fut multiplié par 6,5
pour frôler les deux Milliards, progressant, en moyenne de 10% l’an sur la
même période.
Nous avons, Mesdames, Messieurs,
indubitablement créé de la valeur actionnariale puisque plus de 8 Milliards
de Dirhams de dividendes furent distribués en 20 ans, le cours boursier de
BMCE se trouvant 6 fois plus élevé
qu’au début de la période.
Enfin, nous sommes fiers de représenter l’un des plus importants
contributeurs fiscaux du Royaume
avec plus de 5 Milliards de Dirhams
servis à l’Etat marocain depuis 20 ans.
Nous considérons légitimement avoir
contribué à « porter haut les couleurs
de notre pays ». En ce qui me concerne
en tant que Président de ce Groupe,
j’estime avoir honorablement assumé ma responsabilité. Cependant, je
voudrais insister sur le fait que rien
de ce que nous entreprenons n’aurait
pu réussir sans le climat de paix et de
stabilité dont jouit notre pays.
Nous nous devons, quels que
soient les accords ou désaccords sur
les orientations politiques ou économiques qui font naturellement débat
en démocratie, ne jamais oublier cet
élément explicatif fondamental qui
singularise notre pays sur l’échiquier
régional, africain et, au-delà, international. Nous avons porté haut les
couleurs de notre pays grâce aux réalisations dont je vous ai rappelé l’essentiel. Nous l’avons fait, également,
grâce aux actions résolument menées
dans le domaine de la Responsabilité Sociétale d’Entreprise, celles qui
ont véhiculé l’image d’un Groupe
exemplaire. Ce sont de nombreuses
distinctions dont le Groupe BMCE
Bank s’est honoré de recevoir pour
les actions emblématiques qui font
notre fierté, que ce soit dans le domaine de l’Education dans le monde
rural, grâce à l’action de la Fondation
BMCE Bank au Maroc et en Afrique
Subsaharienne ou que ce soit à travers la promotion de l’Entreprenariat,
à travers l’African Entrepreneurship
Award.
Ce Bilan éloquent est, Mesdames,
Messieurs, le fruit du travail d’une
communauté humaine, cimentée par
une forte culture d’entreprise qui transcende les frontières géographiques, les
frontières juridiques, organisationnelles ou opérationnelles. Ce bilan éloquent est le résultat d’un soutien sans
faille du Conseil d’Administration de
notre banque ainsi que de l’ensemble
Othman Benjelloun
prenant part
à l’ovation
qui a accompagné
ses propos.
des actionnaires. Il est également le
fruit de l’intelligence des rapports et
de l’étroite concertation ayant prévalu entre notre Groupe bancaire et les
Pouvoirs Publics, en premier lieu, la
Banque Centrale.
Ce bilan, je le soulignais au début,
n’aurait pas été celui-là, n’était-ce
l’environnement porteur de prospérité, fondateur d’optimisme qui règne
au Maroc, grâce à la vision et le leadership de notre Souverain.
Aussi, Mesdames, Messieurs, je
voudrais que vous preniez le temps
de « contextualiser » ce bilan, en procédant à une analyse de tout ce qui a
été réalisé dans notre pays au cours
de ces 20 dernières années et qui
explique alors pourquoi et comment
l’environnement au Maroc fut porteur
et conducteur de cette prospérité partagée.
Rappelons –là encore– quelques réalisations en chiffres au cours de ces
20 dernières années.
La richesse nationale, mesurée par
le PIB, a été multipliée par 3 pour atteindre près de 1000 Milliards de Dirhams courants, la richesse par habitant, pour sa part, ayant été multipliée
par 2,3,
L’attractivité du Maroc en tant que
terre d’investissement n’a jamais été
aussi forte, avec les Investissements
Directs Etrangers- IDE- 10 fois supérieurs à leurs niveaux d’il y a vingt ans
jusqu’à représenter plus de 3% du PIB.
Le Maroc est, désormais, un pays classé Investment grade par les marchés
internationaux. Il bénéficie du Statut
Avancé de l’Union Européenne et appartient au Club de l’Investissement
de l’OCDE.
Lorsqu’on regarde, plus attentivement, les avancées considérables du
Maroc, nous vient en tête le développement de ses infrastructures :
Les autoroutes, dont le nombre de
kilomètres réalisés a été multiplié par
8. La téléphonie mobile, une véritable
Success story mondiale, enregistre
un taux de pénétration dépassant les
100%, avec plus 43 Millions d’abonnés mobiles en 2015. L’électrification
rurale est 3 fois plus dense. Le nombre
de passagers dans l’Aérien a été multiplié par plus de 4. Le secteur bancaire fut un acteur majeur au service
de cette dynamique de développement
bi-décennale : Le taux de bancarisation a presque triplé passant de 24% en
1995 à 66% vingt ans plus tard ; Les
volumes des dépôts et crédits sont de
5 à 7 fois supérieurs à leurs niveaux
de 1995, les bilans bancaires sont près
de 6 fois plus importants, le maillage
du territoire s’est densifié, le nombre
d’agences étant 5 fois et demie plus
important, les cartes bancaires ont
exponentiellement augmenté, leur
nombre est 30 fois plus élevé.
Oui, en effet, en 20 ans et, plus particulièrement, à l’ère de Sa Majesté
Mohammed VI, le Royaume se trouve
dans une position incomparable parmi
les pays de la région en termes de développement. Le visage économique du
Maroc a changé. Il a ciblé des métiers
mondiaux pour développer son tissu
productif grâce à des stratégies sectorielles dans l’Agriculture, l’Industrie,
le Tourisme, les Energies Renouvelables, la pêche, le numérique ou la
logistique.
En 20 ans, il a enregistré une élévation très significative du niveau de
vie de ses populations et a réduit drastiquement la pauvreté, la précarité et
l’analphabétisme. Nous sommes fiers,
en tant que citoyens marocains et citoyens africains, de telles réalisations
économiques, sociales et politiques.
Nous sommes fiers en tant que Groupe
Bancaire et financier d’avoir apporté
toute notre contribution.Cette contribution, Mesdames et Messieurs, nous
comptons bien, pour les années à venir, la hisser à des niveaux encore plus
significatifs.
A cet effet, nous consolidons les
structures de notre Groupe, œuvrons
à en mutualiser les ressources, moyens
et organisations et renforçons davantage sa Gouvernance. C’est le sens
à donner à la nomination, vendredi
dernier, au sein du Conseil d’Administration de notre Banque, de Quatre
Nouveaux Administrateurs qualifiés
‘’d’Indépendants’’. Ce sont quatre
compétences internationales qui procèdent d’horizons géographiques et
professionnels diversifiés, ce qui positionne, plus avantageusement encore,
BMCE Bank et son Groupe, dans un
nouvel élan de développement pour les
prochaines années.
Il s’agit de :
M. François Henrot, Vice-Président
de Rothschild, Enarque, co-auteur de
plusieurs ouvrages, personnalité marquante du monde de la Finance internationale et membre actif d’Institutions
Culturelles de renom.
M. Brian Henderson, citoyen Américain, Banquier international, diplômé des Universités de Georgetown,
d’Edinbourg et de Barcelone, polyglotte ayant mené une brillante carrière
au sein de Chase Manhattan Banketde
Merril Lynch à travers le monde.
M. Philippe de Fontaine Vive,
jusqu’à récemment, Vice-Président de
la Banque Européenne d’Investissement, personnalité ayant une connaissance approfondie des environnements
politique, économique et financier de
plusieurs pays émergents de la Méditerranée et d’Afrique.
M. Christian de Boissieu, Professeur
Emérite, Agrégé de la Sorbonne, Economiste auteur de plusieurs ouvrages
monétaires et financiers, précédemment Conseiller des Gouvernements
Français et consultant des Organismes
financiers multilatéraux.
C’est à l’aune de l’ensemble de ces
considérations que je vous invite à
analyser le bilan des institutions financières comme la nôtre.
C’est par ailleurs tout le sens à
conférer à cette contribution « monumentale » que notre Groupe a souhaité donner à la Capitale du Royaume,
à travers celle qui sera, avec ses 250
mètres de hauteur et ses 45 étages,
la plus haute Tour de l’Afrique. Le 9
mars dernier, Sa Majesté le Roi nous
a fait l’immense honneur de procéder
à la pose de la première pierre de ce
qu’il a, selon ses propres termes, qualifié de « Tour emblématique » et qu’il
baptisera lui-même.
Cette Tour sera élancée sur un terrain de 3 hectares et intègrera, dans
sa conception, des technologies de
nouvelle génération orientées performances environnementales, permettant, notamment, une meilleure
efficacité énergétique pour satisfaire
ses besoins en électricité. Cette Tour offrira une mixité d’usage : Auditorium, commerces, bureaux dont ceux
des Directions Régionales de BMCE
Bank Of Africa et de notre Compagnie
d’Assurance RMA, une partie résidentielle puis, aux étages supérieurs, un
hôtel de très haut standing. En offrant
cette ‘’Tour emblématique’’ à la
Capitale du Maroc nous avons voulu, Mesdames et Messieurs, en tant
qu’institution financière, née en 1959 à
Rabat par décret Royal, exprimer notre
reconnaissance et rendre hommage à
tout ce que ce pays a apporté à l’essor
d’un Groupe comme BMCE Bank Of
Africa.
C’est également un témoignage
vibrant de notre foi inébranlable dans
l’avenir du Maroc, notre mère-patrie
et dans les orientations et la guidance
de son Souverain, Sa Majesté le Roi
Mohammed VI. » n
12
MAROC
diplomatique
INTERNATIONAL
AVRIL 2016
IRAN
Réémergence d’une puissance
énergétique majeure ?
L
Mountacir Zian
e 14 juillet 2015, un accord historique a été signé à Vienne,
entre le P5+1 (Etats-Unis,
Russie, Chine, France, RoyaumeUni et Allemagne) et la République
Islamique d’Iran. Ce plan d’actions
conjoint prévoit une restriction à long
terme du programme nucléaire iranien
ainsi qu’une levée totale des sanctions
internationales imposées à Téhéran.
En mettant fin à un long bras de fer
diplomatique ayant opposé Téhéran
aux puissances occidentales, cet accord qui s’inscrit dans un contexte
international mouvementé, ouvre la
voie à des changements géopolitiques
majeurs dans la région.
Retour de l’Iran
et bouleversements
géopolitiques majeurs
en vue
Outre les énormes
réserves en hydrocarbures
que recèle le sous-sol
iranien, l’Iran dispose
d’un autre atout majeur,
celui d’une position
géographique
stratégique.
Elle lui permet d’avoir
une influence et un
contrôle direct sur l’un
des principaux carrefours
du trafic mondial de
pétrole et de gaz naturel :
le détroit d’Ormuz.
En effet, les cours du baril de pétrole sont à leurs plus bas niveaux historiques depuis fin 2003, en grande
partie en raison d’une offre mondiale
largement excédentaire et par un ralentissement de la croissance économique mondiale, notamment celle
de la Chine, qui représente 10% de
la demande mondiale de pétrole. Si
cet effondrement des cours a permis
à certains pays non producteurs de
réduire leur facture énergétique et de
rééquilibrer leurs comptes extérieurs,
il risque cependant de fortement fragiliser les équilibres macro-économiques de plusieurs pays producteurs
de pétrole (Arabie Saoudite, Venezuela, Algérie, Russie …).
Dans ce contexte, le retour attendu
de l’Iran sur le marché des hydrocarbures doit faire l’objet d’une attention particulière, puisque la levée des
sanctions économiques imposées par
les pays occidentaux et par l’ONU va
peser très lourdement sur la baisse des
cours des hydrocarbures, aggravant
ainsi le climat de tension générale
dans la région MENA (Middle East
- NorthAfrica). L’Iran a déjà affirmé,
par le biais de son ministre du pétrole
Bijan Namdar Zanghaneh, pouvoir
augmenter sa production de pétrole
(actuellement 3 millions de barils/
jour) de 500.000 barils/jour dès la levée des sanctions, puis d’un million de
barils/jour après quelques mois.
Cette nouvelle donne économique
fait de l’Iran un nouvel acteur incontournable sur le marché des hydrocarbures, lui offrant les moyens de
traduire sur un plan géopolitique, les
futurs acquis de son nouveau statut
de « puissance énergétique », sachant
que l’Arabie Saoudite, principal rival
régional de l’Iran, risque de faire face
à des difficultés économiques difficilement surmontables, si le cours du
baril de pétrole continue de baisser.
Le déficit budgétaire du Royaume
saoudien a déjà atteint un record de
98 milliards de dollars en 2015, soit
l’équivalent de 15% du PIB.
De même, l’enlisement de l’Arabie
Saoudite dans sa guerre au Yémen qui
coûte de plus en plus cher économiquement, son incapacité à venir à bout des
miliciens Houtis (soutenus officieusement par l’Iran), et la levée de l’embargo sur l’Iran pourraient aboutir à d’importantes reconfigurations régionales.
Ainsi plusieurs scénarios sont envisageables. Une hypothèse serait
que l’objectif stratégique de Washington avec cet accord, viserait à
rétablir l’Iran dans le rôle qu’il exerçait sous le régime du Shah avant la
révolution islamique, à savoir celui
de gendarme régional. Cela permettra d’isoler davantage la Russie de
l’Europe en faisant de l’Iran une
alternative énergétique viable pour
les pays européens, réduisant ainsi
leur dépendance vis-à-vis de Moscou, sur fond d’une crise ukrainienne
toujours latente et d’une implication
militaire russe désormais directe dans
le conflit syrien.
L’Iran : les atouts d’une
puissance énergétique,
10% des réserves
mondiales prouvées
de pétrole
L’Iran dispose de réserves d’hydrocarbures parmi les plus importantes de la
planète. Selon le « Oil&Gas Journal», le
pays disposerait en 2014 d’une réserve
prouvée de pétrole de 158 milliards de
barils, soit 10% des réserves mondiales
prouvées de pétrole. Cependant, selon
un rapport de « Clyde & Co », environ
80% des réserves iraniennes de pétrole
ont été découvertes avant 1965, ce qui
laisse entrevoir la forte probabilité de
découvrir de nouveaux champs pétrolifère dans le cas de nouvelles prospections, tel que celui d’Azadegan qui a été
découvert en 1999, et qui constitue l’un
des plus importants d’Iran.
Selon le FGE (Facts Global Energy), un groupe international de
consulting dans le domaine de l’énergie et des marchés des hydrocarbures,
approximativement 70% des réserves
iraniennes de pétrole sont situées en
«onshore », tandis que tout le reste est
situé en « offshore », en majorité dans
le Golfe Arabo-Persique.
La plus importante
réserve mondiale
de gaz naturel
Longtemps considéré comme disposant de la deuxième plus importante
réserve mondiale de gaz naturel derrière la Russie, la British Petroleum
(BP) annonce, en 2013, qu’il faudrait
en réalité considérer l’Iran comme
le pays possédant les plus grandes
réserves de gaz naturel au monde.
A partir de 2013, British Petroleum
a attribué 33.600 milliards de m³ de
réserves de gaz naturel à l’Iran, et a
ramené les réserves russes de 44.600
milliards de m³ à 32.900 milliards de
m³. Cet important changement est
dû à la prise en compte du fait que
les pays de l’ex-URSS utilisent des
critères différents du reste de la communauté internationale pour estimer
leurs réserves de gaz, et que suivant la
méthode internationale d’estimation,
l’Iran disposerait de la plus importante
réserve mondiale de gaz naturel devant la Russie.
Le champ d’exploitation de gaz
naturel le plus important d’Iran est
le « South Pars », situé en offshore
au centre du Golfe Arabo-Persique.
Les réserves de gaz naturel de «South Pars » représentent près de 40%
du total des réserves de gaz naturel
de l’Iran.
Une position stratégique
et une zone de transit
énergétique
incontournable
Outre les énormes réserves en hydrocarbures que recèle le sous-sol iranien, l’Iran dispose d’un autre atout
majeur, celui d’une position géographique stratégique. Elle lui permet
d’avoir une influence et un contrôle
direct sur l’un des principaux carrefours du trafic mondial de pétrole et
de gaz naturel : le détroit d’Ormuz.
Le détroit d’Ormuz constitue un
étroit passage stratégique pour le
transit énergétique. Entre 30% et
40% du trafic maritime de pétrole
transite par ce couloir. Le détroit est
parsemé d’îles désertiques ou peu habitées mais d’une grande importance
stratégique : les îles iraniennes d’Ormuz et celles de Qeshm et de Larak,
face au rivage iranien de Bandar Abbas. La rive omanaise, la péninsule
du Musandam, forme un index qui
pointe vers l’Iran, séparée du reste
du sultanat par des terres appartenant
aux Émirats Arabes Unis. Sur un plan
régional, on distingue dans le détroit
trois catégories d’États riverains : au
nord, l’on trouve l’Irak, le Koweït, le
Qatar et le Bahreïn dans la mesure où
le détroit apparaît comme leur principale porte d’entrée et voie majeure
de transit pour leur commerce ; au
sud se situent, d’une part, l’Arabie
saoudite pour qui le détroit constitue
la seule voie de sortie pour ses côtes
orientales ; de l’autre, l’Iran, Oman,
et les Émirats arabes unis qui se partagent la sortie du détroit. Sur le plan
militaire, l’Iran a renforcé sa ligne de
défense avec le port militaire de Bandar Abbas situé à l’entrée du détroit
et des bases militaires protégeant les
îles de Tomb et Abu Musa.
Les pipelines
(gazoducs et oléoducs) :
Instruments d’influence
géopolitique
Le potentiel énergétique de l’Iran ne
pourra pleinement s’exprimer sans un
important accès aux principaux marchés
à savoir l’Union Européenne, l’Inde, le
Pakistan et la Chine. Mais les sanctions
contre l’Iran et les pressions effectuées
par Washington sur plusieurs pays
convoitant le gaz iranien, ont longtemps
entravé la réalisation d’importants projets
de pipelines impliquant l’Iran.
Les Etats-Unis voient dans ces projets de pipelines un vecteur et un instrument d’influence géopolitique et de
pénétration économique, qui pourrait
permettre à Téhéran de sortir de son
isolement et de renforcer sa position
de puissance régionale. Cependant,
avec la levée des sanctions internationales, la situation risque de profondément changer en faveur de l’Iran.
Le projet de pipeline
Nabucco
Le pipeline Nabucco était censé disposer d’une capacité de 31 milliards
de mètres cubes de gaz annuellement.
Le projet consistait à faire venir le gaz
naturel de la mer Caspienne vers l’Europe Centrale à travers un pipeline
d’une longueur de 1 326 kilomètres.
Initialement, l’Iran était inclus dans
le projet en tant que source principale
de gaz naturel, mais les sanctions
américaines ont écarté toute possibilité d’inclure Téhéran dans le projet.
Si les pressions américaines ont réussi
à exclure l’Iran de ce projet et à l’isoler
davantage, elles ont par contre conforté
la Russie dans sa position de principal
fournisseur de gaz à l’Europe, accentuant davantage le niveau de dépendance de l’UE vis-à-vis de la Russie.
Mais le changement de paradigme
consécutif à la levée des sanctions
économiques contre l’Iran, pourrait
permettre à Téhéran de se positionner
auprès de l’Europe en tant qu’alternative énergétique à Moscou, profitant
du froid diplomatique et du climat de
tension existant entre l’UE et la Russie suite à la crise ukrainienne.
Hassan Rohani saluant des foules d’Iraniens après l’accord historique en juillet 2015.
MAROC
diplomatique
INTERNATIONAL
AVRIL 2016
13
L’Iran avec
ses importantes
réserves, pourrait
rivaliser avec la Russie
sur le marché européen.
Le projet de pipeline
Iran-Irak-Syrie
(dit Pipeline Islamique)
Ce projet fut pressenti
par les américains comme
une menace pour leurs
intérêts régionaux,
puisqu’ils considèrent
qu’il risque de donner à
l’Iran une influence
décisive sur le souscontinent indien,
et surtout sur l’Asie
du Sud, qui représente
le nouveau champ de
la rivalité sino-américaine
dans la région.
Les pressions exercées par
Washington sur
Islamabad ont été
particulièrement fortes.
L’objectif étant de pousser
le Pakistan à abandonner
le projet.
Là encore, la signature
du « Plan d’action
conjoint »laisse entrevoir
la possibilité d’une relance
de ce projet.
L’émirat du Qatar avait envisagé, en
2009, le tracé d’un gazoduc allant du
Golfe Arabo-Persique jusqu’en Turquie et transitant par l’Arabie Saoudite, la Jordanie et la Syrie. L’un des
objectifs de ce projet était de raccrocher ce gazoduc à l’ambitieux projet
Nabucco afin d’exporter le gaz qatari
vers l’Europe. Cependant, Damas refusa de signer le projet, privilégiant
un accord avec l’Iran, mais aussi pour
ménager les intérêts, entre autres énergétiques, de la Russie, principal allié
de la Syrie.
En juin 2011, un protocole a été formalisé entre l’Iran, l’Irak et la Syrie
en vue de mettre en place un gazoduc,
baptisé IGS (Islamique Gas Pipeline)
à l’horizon 2016.
Ce facteur énergétique pourrait en
partie expliquer la forte implication
diplomatique,,financière mais aussi
logistique de la Turquie, du Qatar et
de l’Arabie Saoudite dans le dossier
syrien au côté de l’opposition syrienne
(modérée et radicale) en vue de renverser le régime de Bachar Al-Assad.
Car dans l’éventualité de la chute du
régime Syrien, le nouveau pouvoir
sera disposé à signer le projet Qatari,
au détriment de l’Iran.
Le projet « Corridor
Gazier du Sud »
(TANAP-TAP)
L’objectif de ce projet est la mise
en place d’un gazoduc, qui fera la
jonction entre le champ gazier de
Shah Deniz II situé en Azerbaïdjan
et la Grèce, via la Turquie, par le pipeline trans-anatolien (TANAP). De
la Grèce, le gaz transitera vers l’Italie via le pipeline trans-adriatique
(TAP). Bien qu’ambitieux, ce projet
n’est, pour des raisons de capacité,
pas suffisant pour réduire de manière
importante le niveau de dépendance
énergétique de l’Europe vis- à-vis de
la Russie. Par contre, si l’Iran est intégré à ce projet, et si dans le même
temps le projet « Nabucco » est réactivé, la Russie risque dans ce scénario
de perdre des parts de marché importantes au profit de l’Iran, réduisant du
coup le niveau de dépendance européenne au gaz russe.
Le projet IP
( Iran - Pakistan )
Lancé en 2010, ce projet vise à relier sur 1.800 km les champs gaziers
de South Pars en Iran, à Nawabshah,
ville située près de la métropole éco-
nomique du Pakistan, géant de près
de 200 millions d’habitants affecté
par une crise énergétique qui freine
sa croissance.
En 2013, l’Iran avait célébré la fin
de la construction du pipeline de son
côté de la frontière, mais le Pakistan,
lui, avait tergiversé avant d’affirmer
ne pas pouvoir aller de l’avant avec
ce projet en raison des sanctions américaines et européennes imposées à
Téhéran en lien avec son programme
nucléaire. Le ministre pakistanais du
pétrole, Shahid,Khaqan,Abbasi, avait
ouvertement déclaré à l’AFP que «la
concrétisation du gazoduc entre le
Pakistan et l’Iran n’est pas possible
en raison des sanctions imposées
par les États-Unis et l’Union européenne».
Avec l’accord sur le nucléaire iranien, le projet IP pourra être relancé,
notamment du côté pakistanais.
Le projet IPI
( Iran - Pakistan - Inde )
L’objectif initial de ce projet de
pipeline, surnommé « pipeline de
la paix » était de pouvoir alimenter
les énormes besoins énergétiques de
l’Inde en gaz iranien. Mais le pipeline
est aussi essentiel pour le Pakistan,
qui y voit l’occasion de couvrir une
part non négligeable de leurs besoins
énergétiques
Cependant, ce projet fut pressenti
par les américains comme une menace pour leurs intérêts régionaux,
puisqu’ils considèrent qu’il risque
de donner à l’Iran une influence décisive sur le sous-continent indien, et
surtout sur l’Asie du Sud, qui représente le nouveau champ de la rivalité
sino-américaine dans la région. Les
pressions exercées par Washington
sur Islamabad ont été particulièrement
fortes. L’objectif étant de pousser le
Pakistan à abandonner le projet.
Là encore, la signature du « Plan
d’action conjoint » laisse entrevoir la
possibilité d’une relance de ce projet.
Le projet MEIDP
« Middle East to India
Deep Water Pipeline »
Le projet MEIDP représente une
alternative au projet IPI (Iran-Pakistan-Inde) aussi bien pour l’Inde que
pour l’Iran. Car bien que la diplomatie indienne ait présenté leprojet IPI
comme une opportunité de rapprochement entre l’Inde et le Pakistan et
comme une occasion de paix, il n’en
demeure pas moins que l’Inde préfère
ne pas se mettre en position de vulnérabilité vis-à-vis de son « ennemi »
historique, alors qu’il existe une alternative viable. Le pipeline partirait ain-
si d’Oman pour arriver en Inde dans
l’Etat du Gujarat, et serait alimenté,
en partie par le gaz iranien.
L’Inde voit l’Iran comme une solution stratégique incontournable dans
la réalisation de sa sécurité énergétique. Ainsi, la levée des sanctions
est vue par New Delhi comme un
changement de paradigme dans lequel il compte s’intégrer pleinement,
en se positionnant au plus vite sur le
marché énergétique iranien, avant son
ouverture complète à la concurrence
mondiale.
Pluralité des scénarios
et possibles basculements
géostratégiques
L’Iran dispose incontestablement
de tous les atouts stratégiques indispensables à son émergence en tant
que puissance énergétique majeure.
Les énormes réserves iraniennes de
gaz et de pétrole sont encore largement sous-exploitées et représentent
un potentiel considérable de croissance
économique et d’attraction d’investissements étrangers, notamment en
provenance des pays et des firmes européennes qui voient en l’Iran une alternative viable à la Russie en tant que
principal fournisseur d’hydrocarbures.
Situé entre les deux grands pôles
consommateurs d’hydrocarbures
que sont l’Europe (via la Turquie)
et l’Asie (Chine, Pakistan, Inde,…),
ce positionnement stratégique place
l’Iran au centre du grand jeu énergétique mondial. En effet, cela lui permettra à termes, dès la levée définitive
des sanctions, d’étendre progressivement son influence économique et politique au-delà de son pré-carré (Irak,
Sud Liban, Syrie et Yémen) et ainsi
d’accroître son poids géopolitique sur
la scène mondiale. Cela pourra se faire
à travers la réactivation (Nabucco,…)
ou la création de futurs pipelines à
destination de l’Europe et de l’axe
Pakistan-Inde-Chine, créant ainsi des
schémas de dépendance énergétique.
A ces facteurs s’ajoute le contrôle partiel par l’Iran de deux verrous stratégiques majeurs, à savoir le détroit
d’Ormuz et la mer Caspienne.
Dans ce contexte, deux scénarios
paraissent fortement plausibles.
Premier scénario :
Emergence de l’Iran
et isolement de la Russie
La levée des sanctions contre l’Iran
pourrait permettre la réactivation
d’importants projets de pipelines
visant à réduire la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la
Russie grâce au gaz iranien.
Cependant, vu les limites techniques
et logistiques actuelles, mais aussi
pour ne pas se mettre à dos la Russie, allié majeur de l’Iran, le président
iranien Hassan Rouhani a déclaré que
«l’Iran ne pourrait véritablement
remplacer la Russie comme principal fournisseur de gaz de l’Europe».
Il n’en demeure pas moins que d’importants investissements occidentaux
et éventuellement chinois dans les infrastructures iraniennes, pourraient à
termes permettre à l’Iran d’atteindre
des volumes largement plus importants, capables dans 20 ou 30 ans de
rivaliser avec le Russie sur le marché
européen. Cependant, la principale
crainte de Moscou à moyen-terme
est que la levée des sanctions contre
l’Iran se traduise par une baisse accrue
et surtout durable des cours du pétrole
dont dépend partiellement la Russie
pour équilibrer son budget.
Second scénario :
Rapprochement plus
important de l’Iran
avec la Russie et le bloc
eurasiatique
L’Iran pourrait tout aussi bien jouer
sur les deux tableaux. D’un côté, la
levée des sanctions lui permettra de
pénétrer le marché européen, tout en
attirant les investissements étrangers
qui contribueront à moderniser son
infrastructure gazifière et pétrolifère,
et son tissu productif au sens large.
De l’autre, cela permettra à Téhéran
de renforcer sa souveraineté à travers
un partenariat stratégique plus poussé
avec la Russie et le bloc eurasiatique
naissant. Cela prendra certainement
la forme d’importants transferts de
technologies, notamment dans le secteur militaro-industriel, d’une possible modernisation de l’infrastructure pétrolière et gazière par des
compagnies russes comme le géant
russe Gazprom, par la future intégration de l’Iran dans l’OCS (l’Organisation de Coopération de Shanghai)
et dans le CIPS (China International Payments System Iran) qui est
l’alternative chinoise au SWIFT
(Society for Worldwide Interbank
Financial Telecommunication).
Ainsi, au lieu de devenir un rival
énergétique de la Russie, l’Iran pourrait devenir un partenaire majeur de
Moscou, tout en mettant en place des
partenariats économiques avec les
pays occidentaux, acquérant ainsi
progressivement le statut d’une puissance régionale et énergétique souveraine, mais fortement ancrée de par
sa position géographique et sa proximité culturelle et idéologique dans le
nouveau bloc eurasiatique, incarné à
l’heure actuel par l’OCS.n
14
MAROC
diplomatique
INTERNATIONAL
AVRIL 2016
CHRONIQUE
Iran : l’accord nucléaire a ouvert
la boîte de Pandore
Par Gabriel Banon
D
Quand la culture
américaine n’est pas
au bout des fusils,
mais seulement par
Internet, elle
s’implante beaucoup
mieux en Orient.
Les deux mandats
d’Ahmadinejad, avec ses
outrances et les fraudes
aux élections,
ont réveillé le peuple, dont
les manifestations ont été
réprimées avec violence.
epuis la révolution, les Mollahs au pouvoir ont veillé
jalousement sur leur régime.
Les pendaisons, les bastonnades et
les emprisonnements arbitraires, ont
été légions, au milieu d’une société
civile médusée et réduite au silence.
Mais l’Iran est une grande Nation,
avec une grande Histoire, qui a forgé un peuple fier et épris de liberté.
La classe moyenne est nombreuse et
éduquée. Une société où les femmes
ont pris leur essor depuis longtemps. La jeunesse issue des classes
moyennes, se caractérise par des
jeunes filles qui étudient autant que
les garçons. Cette jeunesse estmieux
instruite que les jeunes des autres
pays du Moyen-Orient; elle est majoritairement pro-occidentale. Quand
la culture américaine n’est pas au
bout des fusils, mais seulement par
Internet, elle s’implante beaucoup
mieux en Orient.
Les deux mandats d’Ahmadinejad,
avec ses outrances et les fraudes aux
élections, ont réveillé le peuple, dont
les manifestations ont été réprimées
avec violence.
L’élection du président Rohani,
« modéré », a démontré que le citoyen iranien tenait à exprimer sa
volonté de changement.
Les relations avec les Etats-Unis
ont été conflictuelles depuis l’arrivée de Rouhollah Khomeini au
pouvoir, et la prise d’otages à l’Ambassade américaine de Téhéran. Le
programme nucléaire iranien va
offrir aux Américains, l’occasion
de contrecarrer les velléités de leadership de Téhéran dans le monde
musulman. Les sanctions ont eu raison de l’économie iranienne. Infla-
tion, dévaluation catastrophique du
Rial, pénurie, vont marquer la vie
des habitants.
Après une négociation réussie pour
la libération des otages américains,
on pensait que des négociations sérieuses concernant le programme nucléaire iranien, allaient pouvoir se
tenir. On se heurta au véto du Guide
suprême, Ali Khamenei. Ce dernier
était convaincu que Washington
recherchait, en fait, la chute du Régime. (Vraisemblable au début).
Après avoir eu des assurances,
l’Iran entre dans un cycle de négociations dont on connaît le résultat. Un
accord nucléaire équilibré qui préserve l’avenir pour les deux parties.
Le basculement des alliances américaines, le retrait de Washington du
Moyen-Orient au profit du Pacifique,
vont donner à l’Iran, avec la bénédiction du Pentagone, une position
d’acteur incontournable en Irak, en
Syrie et ailleurs.
Mais la levée des sanctions, et le
retour des investisseurs, non seulement redonne à Téhéran les moyens
de ses ambitions, mais va remettre en
route le développement économique,
avec une plus grande liberté de circulation des uns et des autres.
L’ouverture, inévitable vers le
monde occidental, va ranimer une
américanisation qui avait été mise
entre parenthèse, depuis la révolu
tion. Le pouvoir n’est jamais parvenu
à éradiquer la fascination exercée par
le modèle américain sur les jeunes et
les moins jeunes. Près d’un million
d’iraniens vivent aux Etats-Unis.
Le 26 février dernier, les Iraniens
ont été appelés aux urnes. Ils avaient
à élire les 290 membres du Majlis,
le parlement iranien, et les membres
de l’assemblée des experts, qui a le
pouvoir de nommer et de révoquer
le Guide suprême. Les résultats ont
humilié les ultras-conservateurs. Le
peuple a pu se débarrasser de conservateurs comme l’ayatollah YazdiMesbah, inspirateur spirituel de l’ancien
président Ahmadinejad, connu pour
ses théories sur un Islam qui cautionne
la violence, présumé inspirateur de
la vague d’assassinats qui décapita la communauté intellectuelle de
l’époque. C’est lui qui encouragea les
miliciens à étouffer par la force, les
manifestations estudiantines de 1999.
Les mollahs ayant été pris la main
dans le sac de la corruption, la population des villes rejette, avec la
discrétion qui s’impose sous un tel
régime, le système du velayt-e faqih
(le gouvernement des clercs). Elle
aspire à un retour de la religion dans
la seule sphère privée.
Cette percée des modérés consacre
la victoire de la société civile iranienne et sa courageuse obstination
à marcher vers la démocratie.
L’ouverture, inévitable vers
le monde
occidental, va ranimer
une américanisation
qui avait été mise entre
parenthèse,
depuis la révolution.
Le pouvoir n’est jamais
parvenu à éradiquer la fascination
exercée par le modèle
américain sur les jeunes et
les moins jeunes.
Près d’un million d’iraniens
vivent aux Etats-Unis.
C’est un changement progressif du
régime que souhaite la population.
Elle se méfie désormais des révolutions. Elle connaît leur coût considérable sur l’économie du pays et sur
leurs conditions de vie.
Le paradoxe est que le régime ne
voulait pas négocier, convaincu que
les Occidentaux voulaient sa chute.
C’est le succès de cette négociation
qui va changer le régime de l’intérieur.
Un coin de voile se lève sur l’Iran,
lentement, discrètement mais surement. n
L’accord historique de Vienne est censé réintégrer l’Iran dans la communauté mondiale et ouvrir son économie aux
investisseurs étrangers.
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MAROC
diplomatique
INTERNATIONAL
AVRIL 2016
15
CRISE MIGRATOIRE
Le retour des murs et le forcing
de la «jungle»
Paris - De notre correspondant
Abderrahim Bourkia
L
a crise migratoire montre le morcellement de l’Europe dans la
gestion des flux importants de
migrants que nous n’avions plus vus
depuis la deuxième Guerre Mondiale.
En France, le Ministre de l’Intérieur
s’est expliqué davantage devant l’Assemblée Nationale sur les conséquences
de ce phénomène en Hexagone et en
Europe, tandis que le ministre de l’Economie Macron menace les Britanniques
laissant entendre, le 2 mars dernier, au
Financial Times que si le Royaume-Uni
quittait l’Europe, la France laisserait
passer les migrants de Calais au côté
britannique. Le bras de fer qui a commencé entre l’Italie et les autres Etats
au sujet des quotas - chaque pays de
l’Union devant prendre une partie des
arrivants sur les côtes italiennes - se prolonge outre-Manche, perçue comme la
destination finale des candidats à l’asile.
L’Europe affronte une nouvelle
En 2015, plus d’un million
de migrants ont risqué
leur vie pour se réfugier
sur les rives européennes.
Ainsi 120.000 personnes
ont accosté en Grèce
ou en Italie. Ces deux
pays sont les plus touchés
par l’arrivée des migrants
après la Turquie.
épreuve. Elle n’arrive pas à trouver de réponses décentes à la crise migratoire. Les
Etats de l’Union avancent des solutions
sécuritaires improvisées et repoussent
les mouvements migratoires en fermant
leurs portes. D’autres pays ont déjà emboîé le pas à la Hongrie, la Pologne, la
Croatie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie ou encore l’Autriche. Les ONG
déplorent l’absence d’une politique migratoire commune qui laisse malheureusement le champ libre aux discours de
l’extrême droite.
Amnesty International dénonce, dans
son dernier rapport, la gestion désastreuse des flux migratoires : « L’UE qui
compte plus de 500 millions d’habitants
et constitue l’ensemble politique le plus
riche de la planète s’est singulièrement
Vue aérienne du camp de la Lande, le plus grand bidonville d'Europe, baptisé la «jungle».
montrée incapable d’apporter une réponse cohérente, humaine et respectueuse des droits humains ».
En 2015, plus d’un million de migrants
ont risqué leur vie pour se réfugier sur les
rives européennes. Ainsi 120.000 personnes ont accosté en Grèce ou en Italie.
Ces deux pays sont les plus touchés par
l’arrivée des migrants après la Turquie.
Le phénomène était observable depuis des années déjà. Néanmoins, l’état
d’alerte a été sonné après l’installation de
crises généralisées dans les pays concernés dont, entre autres, le Soudan, la Libye, la Syrie et l’Erythrée - tous secoués
par des guerres civiles, transformant la
vie de centaines de milliers d’habitants
en tragédies. Ceux qui ravivent les rivalités ethniques, rallument les conflits communautaires et soutiennent l’hégémonie
des antagonistes et les chefs de guerre
au sein de ses Etats devraient assumer
leur choix…
L’amère odyssée des migrants se
poursuit chaque jour. Chaque semaine,
des dizaines d’embarcations transportant chacune des dizaines voire des centaines de personnes, se dirigent vers les
rives nord de la Méditerranée, qu’elles
atteignent… du moins pour certaines.
Chiffres
- 6000 personnes étaient présentes dans le camp de Calais lors
du pic d’octobre 2015
Plus d’un million de migrants
ont risqué leur vie pour se réfugier
sur les rives européennes en 2015.
120.000 personnes ont accosté
en Grèce ou en Italie.
Chronologie
Calais, un grand bidonville au cœur de l’Europe
En 1986, Amnesty International
alerte l’opinion sur des étrangers errants dans la région de Calais.
En 2014, nouvel afflux de migrants
venant principalement du MoyenOrient et de la Corne de l’Afrique.
En mai 2014, trois campements de
550 migrants sont démantelés
Septembre 2014 : accord entre la
France et le Royaume-Uni sur la
gestion de la pression migratoire à
Calais.
Juin 2015 : estimation à 3000 le
nombre de migrants se trouvant à
Calais
Juillet 20015 : plusieurs centaines
de tentatives d’intrusion sont constatées sur le site du tunnel sous la
manche
Le 25 janvier 2016, des migrants
investissent un ferry et l’occupent
pendant quelques heures.
Les côtes touristiques sont aujourd’hui
devenues un véritable « cimetière marin». Les migrants qui fuient les guerres
et la misère se heurtent à des pays aux
politiques tiraillées entre le devoir humanitaire et l’approche sécuritaire. Les Etats
frontaliers comme la Grèce, l’Italie et la
Turquie, sont appelés à jouer un nouveau
rôle dans la gestion et le filtrage des flux
migratoires.
Mais, combien sont ces migrants ?
Comment peut-on connaître leur
nombre ? Qui des pays accueillent plus
que les autres ?
Plan migrant
Des centaines de candidats à l’asile arrivent chaque mois à Calais… alors que
l’Etat a déjà entamé le démantèlement
progressif du camp des futurs réfugiés. Le
choix leur est donné entre être hébergés
dans les centres d’accueil provisoires - des
conteneurs chauffés inaugurés en janvier
dernier – ou se rendre dans l’un des CAO
(centres d’accueil et d’orientation) dispatchés sur l’ensemble du territoire et qui
pour certains ne sont ouverts que temporairement (3 mois) alors que l’accompagnement social et médical des migrants
demanderait des dispositifs plus conséquents et au moins sur du moyen terme.
La solution apportée par Manuel Valls
en août 2015, qui consistait à héberger
provisoirement 1500 personnes fin 2015
(dont 300 aujourd’hui disponibles) n’a
pas eu le succès escompté. Les conteneurs ont été installés dans une zone sécurisée, en janvier dernier et n’attirent pas
les sans-logis, qui voient ce camp comme
un lieu de privation de liberté. Les ONG
jugent les conditions inhumaines et où
l’intimité n’est pas respectée.
Sous couvert de montrer la volonté
d’une prise en charge adaptée à chacun, l’Etat est intervenu dans le but de
désengorger Calais en éloignant les migrants. Cette action est appelée « Plan
Migrants », plan qui comme son nom ne
l’indique pas, a été fait dans l’urgence.
Cela ne fait que déplacer le problème
ailleurs. Certains migrants se sont portés
volontaires car il leur aurait été dit que
leur demande d’asile serait traitée plus
rapidement ou que leur statut Dublin serait annulé (règlementation qui impose
à l’individu de faire sa demande d’asile
dans le premier pays européen où il a
posé le pied).
Les personnes sont acheminées par car
ou par avion vers des villes de province,
et pour certains dans des lieux très reculés. Si certains se retrouvent dans ces
solutions, d’autres sont déjà retournés à
Calais ou se sont retrouvés en centre de
rétention et leur expulsion a été demandée, alors même qu’ils n’ont pas encore
entamé la procédure de demande d’asile.
Ainsi 20% des personnes orientées vers
un CAO sortent du système sans donner
de nouvelles.
A savoir aussi qu’alors que l’Etat se
couvre de ne vouloir faire le tri parmi les
candidats à l’asile, il a été clairement défini par l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) que
la priorité serait d’accueillir les syriens,
les irakiens et les érythréens. Ethiopiens,
afghans et soudanais passant après…
L’impasse de Calais
Pour ceux qui rêvent du Royaume-Uni,
la frontière se situe dans la sous-préfecture du Pas-de-Calais. Une ville de passage paisible qui s’est transformée en
forteresse encerclée de barbelés et gardée par environ 2000 policiers. On parle
ici de femmes, d’enfants et d’hommes
livrés au froid, à la faim et à la survie...
Calais est devenue synonyme de honte en
raison des conditions de vie déplorables
qui y sont observées. Et la situation perdure depuis juin dernier. Sachant que les
températures hivernales basses rendent la
survie de plus en plus difficile.
Cette ville s’est convertie en une véritable impasse. Il y a toutefois certains
candidats qui arrivent à pénétrer le tunnel
et à passer outre-Manche comme Taher.
Originaire du Soudan, il est arrivé des
côtes libyennes en bateau avant d’échouer
avec d’autres candidats à l’asile sur une
île italienne qui jouxte Lampedusa. « Je
suis en Angleterre depuis le mois de juillet. Une association qui propose l’accompagnement juridique et administratif suit
mon dossier de demandeur d’asile », souligne-t-il avant que nous lui demandions
de raconter la partie française de son long
voyage : « le plus dur est derrière moi.
J’ai toujours une pensée triste pour ceux
qui sont encore à Calais surtout avec ce
froid glacial. Je suis toujours en contact
avec des personnes que j’ai rencontrées
en Italie et qui sont encore coincées làbas. Nous sommes arrivés en France via
l’Italie, en plein été. Il faisait très beau,
nous avons installé un camp de fortune à
la frontière franco-italienne à Vintimille
à l’aide des militants d’un collectif qui
s’appelle No Borders. A Calais, la situation était plus dure. Nous étions plus
nombreux, sans cuisine, sans douche et
sans dortoir. Ces conditions ont accéléré
mon départ. J’ai appris que le nombre ne
cessait d’augmenter depuis. Au début,
nous étions environ 1500. Quelques mois
après mon départ, le nombre a doublé ».
Effectivement, le chiffre est passé à
plus de 5000 personnes à Calais selon
les dernières données de ce mois de février. Mais personne ne sait exactement.
Depuis, une solidarité locale et une présence humanitaire se sont mises en place.
Notamment, la présence, entre autres, de
la Croix Rouge et de Médecins du Monde
qui apportent des soins et essayent de
réconforter les « locataires passagers ».
Les riverains amènent des vêtements et
des couvertures, vu la rudesse de l’hiver.
A l’heure de l’écriture de ces lignes, six
migrants sont jugés à Boulogne-sur-Mer
pour être montés en janvier sur un ferry
dans le port de Calais en forçant un barrage. La France durcit son attitude et les
mesures apportées inquiètent les réfugiés.
Ce problème humanitaire n’échappe
pas par ailleurs à la surenchère politique
que ce soit en France ou au RoyaumeUni. Les déclarations et les contre-déclarations fusent de partout à l’image du duel
entre le maire de Londres Boris Johnson
et le chef du gouvernement David Cameron.
Les propos de Macron pour dissuader la Grande-Bretagne de quitter l’UE
ressemblent à du chantage. Cette mise
en garde dépréciée outre-Manche vise à
rompre les accords entre la Grande-Bretagne et la France au sujet du contrôle
frontalier, signés en 2003 par Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l’Intérieur,
afin d’endiguer le passage des migrants
clandestins qui tentent de passer par l’Eurotunnel. n
16
MAROC
diplomatique
INTERNATIONAL
AVRIL 2016
«Share versus Shale»
la nouvelle géopolitique du pétrole
Par Bichara Khader
D
epuis le mois d’août 2014 , le
prix du baril n’arrête pas de
s’effondrer. D’un sommet de
148 $ en 2008, le prix s’est momentanément stabilisé à 100-120 $ entre
2009 et juillet 2014, avant sa chute vertigineuse à près de 30$ fin décembre
2015, probablement son dernier seuil
de résistance. Avec une baisse de
l’ordre de 70 à 75% , il s’agit bel et
bien d’un contre-choc pétrolier, du
Tableau n° 1
* élaboration personnelle
Production non-OPEP et OPEP ( en m/b/j)
et consommation*
°2
Tableau n
* différentes sources : OCDE et OPEP
Production des Etats-Unis et d’Arabie Saoudite
(en millions de b/j) 2008-2015 et prix moyen (en $)*
Tableau n° 3
* Energy Information Administration , Etats-Unis
Tableau n° 4
Exportations saoudiennes de pétrole
(2008-2014) m/b/j) *
* Tableau complet in Naser Al-Tammimi : article cité, p.88
même ordre que ceux de 1982 et 1986.
Les facteurs explicatifs d’un contrechoc pétrolier varient d’une crise à
l’autre. Mais généralement un effondrement des prix résulte d’un déséquilibre entre une offre excédentaire
et une demande atone. En revanche,
un choc pétrolier se produit quand la
demande excède l’offre : cela a été le
cas en 1973, 1979 et 2008, poussant
les prix à la hausse souvent d’ailleurs
de manière exagérée car la spéculation ou / et les secousses géopolitiques
(comme la guerre d’octobre 1973, la
révolution iranienne de 1979, ou la
guerre du Golfe 1991) amplifient le
mouvement haussier.
L’effondrement du prix du baril
en 2014-2015 ressemble aux précédents contre-chocs par sa logique et
s’en différencie par la stratégie des
grands acteurs de la scène pétrolière.
Je ne fais pas référence aux théories
conspirationnistes tout à fait infondées
qui ont inondé les réseaux sociaux et
qui attribuent cette crise à une sorte
de machination américaine pour affaiblir la Russie , ou une manœuvre
saoudienne visant à punir son rival
iranien, ou encore un « complot occidental» dont l’objectif serait de briser
l’OPEP et son emprise sur le marché
pétrolier. Ce sont des élucubrations
sans fondement . En réalité , il s’agit
, sur fond d’un déséquilibre de l’offre
et de la demande- en raison de la mise
sur le marché de 4 millions de barils
de pétrole de schiste aux Etats-Unis
et d’une demande chinoise en berned’une compétition entre l’Arabie Saoudite et son allié américain autour des
parts de marché. C’est ce que le titre de
cet article suggère : share versus share.
1. Une crise paradoxale
Comme les précédentes crises,
celle-ci a été précédée par 5 années
de stabilité relative des prix . Le paradoxe est que ces prix étaient anormalement élevés que ne justifiait nullement l’état de l’économie mondiale
frappée d’anémie à la suite de la crise
du «Suprime». En outre, même avec
une offre excédentaire de prés d’ un
million voire de deux millions de barils par rapport à la demande au cours
des 3 premiers trimestres de 2014, les
prix demeuraient soutenus comme le
montre le tableau n°1.
C’est à partir du mois d’août 2014
que les prix initient leur mouvement
baissier. Il serait donc erroné de penser que le maintien des prix élevés
entre 2008 et 2014 s’explique par les
seuls facteurs économiques (l’économie mondiale était en berne) ou par
des raisons géopolitiques liées aux
crises du Moyen-Orient. C’est faire
l’impasse sur le rôle de la spéculation
dans la hausse exagérée des prix mais
surtout le développement spectaculaire de la production des pétroles
non-conventionnels durant la période
de 2009 et 2014.
En effet, l’exploitation du pétrole
de schiste a bouleversé la géopolitique pétrolière mondiale. En peu de
temps, les Etats-Unis ont mis sur le
marché plus de 4 millions de barils,
grâce à un prix de baril exagérément
élevé qui permettait aux producteurs
de pétrole non-conventionnel d’investir massivement et de gagner de
l’argent. Il est en effet estimé que le
coût de production moyen des nouveaux forages oscillait entre 45 et 70
$ et que le seuil de rentabilité se situait dans une fourchette de 50 à 80
dollars le baril. En peu de temps , des
milliards de dollars d’investissement
ont été injectés dans la nouvelle production et près de 250.000 emplois y
ont été créés.
Ces développements ont suscité
l’inquiétude des pays de l’OPEP et
à leur tête l’Arabie Saoudite . Alors
que la production des pays non-OPEP
passait de 52.76 millions de barils/
Bichara KHADER est Professeur Emérite de l’Université Catholique de
Louvain et Fondateur du Centre d’Etudes et de Recherches sur le Monde
Arabe Contemporain. Il a été membre du Groupe des Hauts Experts sur
la Politique Etrangère Européenne (Commission Européenne) et Membre
du Groupe des Sages pour le dialogue culturel en Méditerranée (Présidence
Européenne). Actuellement, il est professeur visiteur dans différentes universités arabes et européennes. Il a publié et édité 30 livres sur le Monde
Arabe et sur les relations euro-arabes, euro-méditerranéennes et euro-palestiniennes. Les derniers s’intitulent :
1. Le Monde Arabe Expliqué à l’Europe (2010)
2. Le Printemps arabe : un premier bilan (2012)
3. Europa y Mundo Arabe : una evaluacion critica de las politicas europeas
(1957-2015)
Professeur Bichara KHADER
Université Catholique de Louvain
[email protected]
jour en 2012 à 56.98 m/b/j en 2015
(soit une hausse de 4.22 m/b/j), celle
des pays l’OPEP diminuait d’un
sommet de 37.00 m/b/j à seulement
35.93 m/b/j au cours de la même période (soit une baisse de 1.07 m/b/j)
comme le démontre le tableau n°2.
- L’Arabie Saoudite, le plus gros
producteur des pays de l’OPEP, se
trouve fragilisée. Non seulement elle
est concurrencée sur ses marchés traditionnels, notamment en Asie, par
les autres producteurs, elle est désormais mise à mal par la mise sur le
marché de millions de barils de pétrole non conventionnel. Or avec ses
16 % de réserves mondiales , seule
l’Arabie Saoudite pouvait jouer le
rôle de « swing producer» ou producteur d’équilibre. Cela lui valait
les compliments du Fonds Monétaire
qui estimait qu’en jouant le rôle de
«producteur d’équilibre», l’Arabie
contribuait à la stabilité du marché
du pétrole et donc à la croissance
mondiale1».
Or lors de la réunion de l’OPEP ,
en novembre 2014, l’Arabie Saoudite
persuade les autres membres degeler le plafond de production en dépit
d’une offre excédant la demande.
Ce faisant, l’Arabie Saoudite décide
de ne plus jouer son rôle traditionnel de « producteur d’équilibre» ,
renonçant , de ce fait, à maintenir des
prix élevés car ils permettaient aux
producteurs de pétrole de schiste de
grignoter des parts de marché.
Certes les prix élevés entre 2008
et 2014 ont permis à l’Arabie Saoudite et autres producteurs d’engranger
des revenus plantureux gonflant leurs
Fonds Souverains. Mais ce gain temporaire annonçait une perte future en
termes de parts de marché. « Temporary gain but future pain» , la formule anglaise est ici appropriée. C’est
parce que le prix du baril a dépassé
les 100 $ que l’exploitation du pétrole de schiste a été rendue possible.
L’Arabie Saoudite a eu le sentiment
qu’indirectement elle « subsidiait « la
concurrence, à son propre détriment.
En effet, alors que la production
américaine augmentait de 4.2 m/b/j
entre 2008 et 2015, celle de l’Arabie
Saoudite n’augmentait que d’un million b/j. (Voir tableau n°3)
Ce bond spectaculaire de la production américaine a permis de réduire les importations de pétrole de
9.8 m/b/j en 2008 à seulement 6.8
fin 2015, soit une baisse de 3 m/b/j.
Cela n’ a pas été sans impact sur les
exportations de pétrole de l’Arabie
Saoudite vers les Etats-Unis qui ont
chuté de près de 350.000 b/j entre
2008 et 2014 .
Mais ce qui a accru l’inquiétude
des Saoudiens c’est la baisse de
leurs exportations dans 4 de leurs 7
principaux marchés d’exportations,
en raison de la concurrence d’autres
producteurs comme le montre le tableau n°4.
Ces évolutions nous éclairent sur
la stratégie saoudienne de reconquête
des marchés par la baisse des prix.
Avec un coût de production d’un
baril de pétrole saoudien inférieur
à 10 $ et avec des fonds souverains
estimés à 750 milliards de dollars,
l’Arabie Saoudite peut se permettre
de vivre pendant 7 ans avec un baril à 30 $. Peu d’autres producteurs
, à part les autres Émirats du Golfe,
peuvent se permettre un tel « choix
coûteux».
Mais l’Arabie Saoudite ne se
contente pas de reconquérir le marché du brut , elle s’oriente aussi vers
la conquête du marché du raffinage.
En multipliant les raffineries sur son
territoire, et les joint-ventures hors
de son territoire en s’alliant à de
grosses societies (Sinopec, Total,
Royal Dutch Shell, Exxon mobil et
d’autres) , l’Arabie Saoudite dispose
déjà d’une capacité de raffinage estimée, fin 2015, à 3.373 millions de
barils. Aramco, la compagnie saoudienne, compte porter cette capacité
à 8 millions de barils dans les prochaines années.
MAROC
diplomatique
INTERNATIONAL
AVRIL 2016
17
Le prix du baril a atteint son
seuil de résistance fin 2015.
Il serait fort improbable, voire
préjudiciable à l’économie
mondiale qu’il baisse
davantage.
Ce serait une catastrophe pour
tous les producteurs qui ne
disposent pas d’amortisseurs
financiers. L’effet d’aubaine
pour les consommateurs
pourrait être de courte durée
car la demande pétrolière
devrait repartir à la hausse
tandis que les investissements
dans les énergies alternatives
seront freinés ou reportés.
Cette stratégie orientée vers le raffinage est couplée à une politique très
avisée du développement des industries
pétrochimiques qui enregistre, aujourd’hui, des succès impressionnants.
2. Une baisse
programmée plus
qu’un simple
contre-choc pétrolier
Lors de la réunion de
l’OPEP , en novembre
2014, l’Arabie Saoudite
persuade les autres
membres degeler
le plafond de production
en dépit d’une offre
excédant la demande.
Ce faisant, l’Arabie
Saoudite décide
de ne plus jouer
son rôle traditionnel
de «producteur
d’équilibre», renonçant,
de ce fait, à maintenir
des prix élevés car ils
permettaient aux
producteurs de pétrole
de schiste de grignoter
des parts de marché.
De ce qui précède, il apparaît clairement que la seule équation offre-demande n’explique pas , à elle seule,
l’effondrement des prix pétroliers. La
baisse actuelle des prix résulte surtout
d›une double compétition:
a) Une compétition entre l’Arabie
Saoudite et les Etats-Unis portant sur
le pétrole non-conventionnel et les parts
de marché .
b) Une compétition entre l’Arabie
Saoudite et les autres producteurs sur
les marchés asiatiques;
Que les Saoudiens aient été mécontents de leur allié américain accusés
de lâcher leurs alliés arabes , tel que
le Président Moubarak d’Egypte, ou
d’avoir remis l’Iran sur selle après des
années de sanctions ou d’avoir lâché
le peuple syrien à son triste sort , tout
cela est un secret de polichinelle : les
Saoudiens le disent publiquement et
en catimini . Mais cette mésentente
n’explique pas la nouvelle stratégie
pétrolière de l’Arabie Saoudite visant
à éjecter du marché le pétrole américain de schiste.
L’explication de la baisse des prix
par la compétition géopolitique entre
l’Arabie Saoudite et l’Iran n’est guère
pertinente non plus. Bien sûr que les
deux pays sont engagés dans un bras de
fer dans un Moyen-Orient en convulsion. Mais cela n’a pas grand chose à
voir avec les stratégies pétrolières mais
davantage avec des rivalités pour l’hégémonie régionale.
En revanche, cette rivalité peut faire
voler en éclats les accords de gel de
production entre les pays de l’OPEP et
la Russie. En effet, le ministre iranien
du pétrole , Pijan Namadan Zanjanal,
fait valoir que son pays vient à peine
de sortir d’un embargo qui a durement
fragilisé son économie et qu’il a besoin
de relancer ses exportations pétrolières
pour remettre son économie sur les
rails. Par conséquent, pour le ministre
iranien du pétrole, le gel de la production au niveau de 2015 est « une plaisanterie» . « Pourquoi devrions-nous
accepter de geler notre production à
un million de barils alors que d’autres
( visant l’Arabie Saoudite) produisent
quotidiennement 10 millions» s’inter-
roge-t-il sans ambages ?
Le raisonnement iranien n’est pas
dénué de fondement. Il rencontre un
certain écho parmi les autres pays producteurs de l’OPEP qui demandent la
fixation de nouveaux quotas qui soient
en adéquation avec les besoins des pays
membres. L’Arabie Saoudite qui fait
office de locomotive pétrolière estime
pour sa part que grâce à la baisse des
prix , la production pétrolière va nécessairement s’adapter à la réalité du
marché, la demande de pétrole augmentera et les pays de l’OPEP en sortiront
revigorés.
3. En attendant,
la baisse des prix
fait quelques gagnants
et beaucoup de dégâts
Bien sûr que la baisse a été une bouffée d’oxygène pour les consommateurs,
pour certains pays importateurs, voire
pour certaines entreprises . Un litre de
diesel à moins d’un euro en Belgique
et un gallon d’essence aux Etats-Unis
en baisse à 2 $ (décembre 2015) au
lieu de 3.85 $ cinq ans auparavant, ce
sont plutôt de bonnes nouvelles. Les
entreprises paient moins cher leur fuel,
les ménages voient leurs factures de
mazout diminuer, les raffineries voient
leurs marges augmenter, et même les
compagnies de transport aérien sortent
du rouge . En 2015 , une compagnie
comme Air-France-KLM a réalisé un
bénéfice de plus de 800 millions d’euros dont au moins un tiers est dû à la
baisse du prix pétrolier.
Les pays importateurs voient aussi la
facture pétrolière s’alléger, se répercutant sur leur solde commercial, leur PIB
et leur croissance. La France a vu son
déficit commercial baisser de 74 milliards d’euros en 2014 à 48 milliards en
2015. C’est également le cas de la Belgique et de l’Italie. L’Inde , qui importe
85 % du pétrole qu’elle consomme, a
vu son taux d’inflation baisser à 6.5 %
fin 2015 , alors qu’il frôlait les 10-12 %
les années précédentes. La Tunisie et le
Maroc , deux pays méditerranéens importateurs, ont réalisé de substantielles
économies.
En gros, si on estime qu’une baisse
de 70 $ le baril signifie un transfert de
plus de 2000 milliards de $ des pays
producteurs aux pays consommateurs,
alors force est de constater que la crise
pétrolière depuis août 2014 a été une
restitution de pouvoir d’achat à l’ensemble de l’économie mondiale soit 2
% du PIB mondial.
Mais il y a le revers de la médaille.
Les premiers perdants sont les pays
producteurs eux-mêmes. La dégringolade des prix exacerbe leurs fragilités,
freine leur croissance, accroî leurs déficits, peut provoquer -si elle dure- une
rupture des contrats sociaux. Mais tous
les pays ne sont pas logés à la même enseigne. La Russie où le gaz est mécaniquement lié au pétrole, la baisse réduit
les recettes d’exportation et affecte le
taux de change : le rouble qui s’échangeait à 30 roubles contre un dollar en
2010 s’échange aujourd’hui à près de
70. Cependant la Russie a une position forte : les réserves de change représentent 11 % du PIB début 2015, la
dette publique est faible (9 % du PIB)
et seule une petite proportion (moins de
3 % du PIB) est en monnaie étrangère.
Et globalement le système bancaire
russe est plus créancier que débiteur
vis-à-vis du monde. En somme, la
Russie peut braver la tempête si elle
est passagère.
L’Arabie Saoudite enregistre des déficits importants dépassant les 90 milliards de $ en 2015. Les autres Emirats
ne sont pas mieux lotis. Mais tous ces
pays du Golfe ont une population totale de près de 40 millions et disposent
d’un pare-choc de près de 2000 milliards de $. qui peut amortir les effets
de la baisse pour quelques années. Ils
n’empêche que tous ces pays doivent
rationnaliser la consommation d’énergie, augmenter les prix de l’essence
et introduire des taxes sur la valeur
ajoutée
Le cas de l’Iran, de l’Indonésie, du
Nigéria, du Venezuela ou de l’Algérie est plus problématique. Ce sont
des pays plus peuplés où le pétrole
constitue l’essentiel de leurs recettes
d’exportation et une part importante
de leur PIB. Si la baisse devait durer
un an de plus, il y aurait un risque réel
de défaut souverain et de troubles
sociaux . Le Venezuela , à titre
d’exemple, où le pétrole représente
90 % des exportations et 40 % des
recettes publiques est aujourd’hui au
bord du gouffre avec une inflation
de 145 %. L’Algérie qui a profité de
l’embellie des prix pétroliers entre
2008 et 2014 pour liquider sa dette ,
est aujourd’hui sur le fil du rasoir et
se voit contrainte de se serrer la ceinture en reportant des travaux d’infrastructure et en rognant les aides
sociales. Bref, tous ces pays producteurs peinent à boucler leurs budgets
et à maintenir leurs économies à flot.
Toutes les entreprises pétrolières
sont en difficulté . N’oublions pas que
ces entreprises réalisent d’importants
investissements qui représentent près
d’un tiers des dépenses d’investissement de toutes les entreprises du S/P
500 et réalisent 10 % des bénéfices
du S/P 500 et 8 % de la capitalisation
boursière. Une baisse des prix pétroliers de cette ampleur ne peut qu’affecter leurs dépenses d’investissement,
leur chiffre d’affaires, leurs bénéfices,
leurs dividendes et leur valorisation
boursière. Toutes les sociétés sont
contraintes de réduire la voilure et
procèdent à des licenciements. Les
sociétés engagées dans l’exploitation
du pétrole non-conventionnel sont frappées de plein fouet avec un risque réel
de défaut affectant, par un effet de cascade, les banques prêteuses.
Peut-être l’impact négatif sur la
croissance économique des EtatsUnis en raison de la réduction des investissements sera compensé par une
augmentation de la consommation,
mais l’éviction du marché du pétrole
non-conventionnel se fera sentir en
termes de nouvelle dépendance énergétique.
4. Scénarios du Futur
Le prix du baril a atteint son seuil de
résistance fin 2015. Il serait fort improbable , voire préjudiciable à l’économie
mondiale qu’il baisse davantage. Ce serait une catastrophe pour tous les producteurs qui ne disposent pas d’amortisseurs financiers. L’effet d’aubaine
pour les consommateurs pourrait être
de courte durée car la demande pétrolière devrait repartir à la hausse tandis
que les investissements dans les énergies
alternatives seront freinés ou reportés. A
terme ce n’est pas seulement la sécurité énergétique qui sera menacée , mais
également la sécurité écologique.
Lorsque l’excédent de l’offre aura
été résorbé par la croissance de la demande et la sortie du «pétrole cher»,
les prix entameront une courbe ascendante. Cette tendance sera en dents de
scie en raison de l’instabilité dans les
régions exportatrices. Personne ne
peut prévoir avec certitude le prix
du baril pour les années à venir. Une
chose est certaine : il va osciller entre
30 et 45 $ jusqu’à fin 2016 . Mais un
baril à 100 voire à 120 $ restera hors
de portée pour plusieurs années, sauf
cataclysme géopolitique. n
(Endnotes)
1 “... This enables Saudi Arabia to play
a systemic and stabilising role in the global oil market and contribute positively to
global economic growth”, cité par Naser
Al-Tammimi :” Saudi Oil Policy : to swing
or not to swing : what is the problem ? in
Valérie Talbot ( ed.) : The rising Gulf :
the new ambitions of the Gulf Monarchies,
ISPI, Milan,2015, p.81
2 Al-Shark Al-Awsat , 24.2.2016
18
AVRIL 2016
DOSSIER DU MOIS
MAROC
diplomatique
MÉDIAS
La qualité, maillon faible
des télévisions nationales marocaines ?
I
Souad Mekkaoui
l est évident que les médias de masse, particulièrement la télévision, dominent la conscience
et les perceptions de la société moderne. D’ailleurs, cette dernière est l’interface par laquelle
les gens apprennent ce qu’ils savent du monde
et c’est à travers elle qu’on véhicule ce qu’on
pense de l’actualité. Aussi cet outil a-t-il une sorte
de monopole de fait sur la manipulation d’une
grande partie de la population. De ce fait, il est
comme une sorte de miroir qui reflète l’image de
la société moderne et trône dans plusieurs endroits
stratégiques de la maison à tel point que le son qui
en émane est devenu un rituel, dans la majorité
des foyers, peu importe qu’on regarde ou non,
l’essentiel est qu’il y ait cet écho et ce bruit de
fond agréable pour meubler l’espace comme pour
rassurer la personne et lui donner l’impression
qu’elle n’est pas seule.
Par conséquent, la place de la télévision dans
la vie d’une grande tranche de la société a fait
d’elle une sorte de témoin de notre société. Un
miroir qui traduit nos craintes, nos priorités, nos
préoccupations et nos rêves. Ceci dit, peut-on dire
que les télévisions nationales marocaines sont le
reflet de la vraie société marocaine?
Il était une fois la TVM
Force est de rappeler que le Maroc était pionnier dans le domaine de l’audiovisuel puisque
déjà, dans les années 50, la société française TELMA qui voyait en la communauté européenne un
public potentiel avait obtenu le permis d’exploitation et de diffusion qui ne commençait qu’en
1954. Toutefois, l’expérience a dû s’interrompre
suite aux événements politiques houleux provoqués par le mouvement nationaliste qui secouaient
le pays à cette époque-là. Suivant l’évolution
politique et historique du Royaume, la chaîne
publique marocaine devait débuter le jour de la
célébration de la première année du règne de Feu
le Roi Hassan II, le 3 mars 1962, émettant en noir
et blanc (la couleur n’étant introduite qu’en 1972).
Le statut de la TVM est passé successivement
du régime de la capacité juridique et de l’autonomie financière à celui de l’établissement public,
puis à son intégration à l’Administration centrale
du Ministère de l’Information (aujourd’hui ministère de la Communication), avec un budget
annexe. La TVM assure alors son équilibre financier moyennant une subvention de l’Etat en
plus d’une contribution indexée sur la consommation d’énergie des foyers. A partir, du 3 mars
1993, la télévision marocaine passe au numérique
et les programmes sont transmis par le satellite
européen Eutelsat2F3 pour permettre à la communauté marocaine à l’étranger une certaine
proximité avec le pays et donner l’image d’un
Maroc moderne sur le plan international. Le 3
avril 2005, la Radio Télévision Marocaine devient
société anonyme sous le nom de la SNRT. Une
transformation de taille qui fait naître l’espoir
chez les Marocains qui espéraient une télévision
indépendante, responsable et de proximité.
2M : première chaîne privée
dans le monde arabe
L’expérience de 2M est pionnière en son
genre. Elle acte donc sa présence édifiante par
son démarrage le 4 mars 1989 en diffusant des
émissions en crypté avec deux plages en clair
et en sélectionnant, de prime abord, son public
via un abonnement mensuel. 2M était gérée par
l’ONA (Omnium Nord Africain, aujourd’hui SNI
) premier groupe industriel privé d’Afrique en
association avec la chaîne française TF1, la SOFIRAD, le groupe canadien VIDEORON et les
institutionnels marocains. L’élite médiatique découvre, avec joie, une nouvelle alternative pour
fuir le conformisme de la première chaîne et les
téléspectateurs, tels des moustiques attirés par la
lumière, étaient épatés par cette chaîne thématique et ses programmes élitistes et de haut niveau.
Seulement et après quelques années, souffrant
de piratage et de concurrence déloyale, elle se
travestit en chaîne de proximité et se généralise.
Pourtant, face aux difficultés financières,
l’ONA, l’actionnaire principal, préfère se retirer
de la gestion de la chaîne qui fait vite faillite et
c’est l’Etat qui vient à la rescousse. Il prend le
contrôle de 2M, en juin 1996, avec une participation de 68% dans le capital pour la placer sous son
giron. C’est alors que la deuxième chaîne passe à
la diffusion en clair, en janvier 1997. Désormais
reçue par près de 70% de la population, 2M se
repositionne et constitue une fenêtre du Maroc
sur le monde extérieur.
Par ailleurs, la SNRT, se dote d’un bouquet de
chaînes qui enrichit le paysage audiovisuel marocain à savoir Al Maghribia, Arriyadia, Arrabiâ,
Assadissa, Aflam TV, Tamazight et Laayoune.
Plusieurs chaînes mais a-t-on
une vraie télévision ?
Il est bien regrettable qu’on parle des télévisions nationales marocaines avec beaucoup
d’amertume et surtout de nostalgie. Si elles sont
critiquées voire décriées aujourd’hui, il faut bien
avouer qu’elles ont connu leur heure de gloire.
Eh oui, les téléspectateurs se sont bien délectés de
nombreuses émissions et séries de grande facture.
Il fut un temps où le public guettait « Wajh wa
hadat » de la regrettée Malika Malak, « Emergence » de Réda Benjelloun, « Entretien » de Touria Souaf, « L’homme en question » de Samira
Sitail et de Fatima Loukili dans sa version arabe,
Arts et Lettres de Omar Salim, « Polémiques »
de Fedwa El Hassani, « Rihanat moujtamaâ » de
Meriem El Faraji, « Namadij » de Maria Latifi,
« Marocains du monde » de Mustapha Bouazzaoui. La télévision marocaine avait aussi ses
animateurs et ses programmes prestigieux et de
vrais débats sociaux, économiques et politiques
qui maintenaient le téléspectateur en haleine,
l’instruisaient et le grandissaient.
Aujourd’hui, comme au lendemain d’un
changement radical, les choses ne sont plus ce
qu’elles étaient. Les deux télévisions publiques
sont aspirées par la médiocrité comme par des
sables mouvants. 2M perd son identité de chaîne
de débats avant-gardiste et prend le ton et le
même son de cloche que la RTM, assoupissant
et conformiste. A part des programmes qui se
comptent sur le bout des doigts, les chaînes
marocaines rivalisent dans les clichés, la platitude et la banalité et font montre de manque de
professionnalisme, de véracité et de réalisme.
Médias de la superficialité par excellence, elles
sont incontestablement les productrices de débats simplistes et stériles (à quelques exceptions
près). Ce qui nous fait dire que finalement avoir
une panoplie de chaînes ne veut pas dire ipso
facto qu’on a une vraie télévision qui réponde
aux attentes des gens.
De facto, et dans un contexte où l’information
s’accélère et se multiplie grâce aux nouvelles
technologies, les chaînes marocaines font fuir un
public qui a besoin de voir au-delà du décor et de
son simple regard. Depuis qu’elles se sont lancées
dans une course effrénée pour avoir un maximum
d’audimat, l’intelligence, la qualité et la sélection
sont jetées au fond du tiroir. Et c’est la course, pas
au scoop mais à l’abrutissement où le spectateur
n’est qu’une part de marché.
Paradoxalement, Maroc Métrie, l’organe spécialisé dans la mesure d’audience des médias
audiovisuels au Maroc, publie toujours des taux
d’audience estimés satisfaisants par les responsables. Mais il n’y a pas lieu de s’étonner quand
on sait que les séries turques doublées en darija
viennent en tête du podium, suivies par un large
public puis des programmes tels que « Akhtar
al moujrimine » ! C’est dire que les émissions
traitant de crime sont très suivies par les jeunes
téléspectateurs, d’après la Haute autorité de la
communication audiovisuelle (HACA). Tant et
si bien qu’elle a appelé dans son rapport à la mise
en œuvre de « commissions déontologiques dont
la mission est le visionnement et l’évaluation de
cette catégorie d’émissions, ainsi que leur diffusion à des plages horaires adaptées avec le changement des signalétiques d’âge sur l’écran qui
passe de -12 ans à -16 ans pour les émissions de
reconstitution de crimes ».
Au nom de la proximité, les programmes sont de
plus en plus insipides, lourds et abrutissants. Des
séries supposées drôles sont plutôt pathétiques,
manquent cruellement de consistance avec toujours les mêmes acteurs, les mêmes histoires et le
même humour. Et le fait est que la responsabilité de
cette médiocrité ambiante est partagée entre ceux
qui font la télévision et ceux qui la regardent. On
critique la qualité des programmes et pourtant l’audience de certaines émissions décriées a de quoi
étonner plus d’un. Dans son illusion de regarder
la télé, le téléspectateur est mis sous la loupe. Tout
compte fait, c’est lui qui est scruté et recensé. Et
la télévision, pour mieux vendre, abaisse davantage le niveau pour se mettre au même diapason
de la masse qu’elle fidélise et manipule. Ainsi,
les télévisions nationales marocaines ne reflètent
pas la réalité sociale mais plutôt l’idée que se font
d’elle les responsables de l’audiovisuel, ceux qui
croient deviner les attentes d’un public qu’ils
sous-estiment pensant qu’ils lui offrent ainsi ce
qui l’intéresse et ce qu’il est prêt à recevoir. Les
programmes sont creux et sans aucune consistance émanant de sociétés de productions qui
monopolisent le marché parce qu’elles sont bien
introduites. Celles auxquelles profitent les budgets
des chaînes publiques et auxquelles des sommes
faramineuses sont consenties pour des programmes
qui ne méritent pas, et ce grâce à leur complicité
interne. Ce qui ferme toutes les portes devant de
jeunes sociétés qui pourraient apporter un plus à
la qualité de production par un esprit neuf et vif et
qui puisse développer le concept de la créativité
et de l’innovation..
Non-assistance
à une télévision en danger
Bien que la télé soit en concurrence avec d’autres
médias, la compétition n’élève, malheureusement,
pas le niveau et l’acculturation transcende au moment où, même à l’heure de l’internet, le seul instrument qui puisse aider dans l’éducation de la jeunesse
avec le peu de temps qui nous reste est la télévision.
C’est plutôt grave quand on compare les chiffres
enregistrés avec ceux des téléspectateurs qui suivent
«Mais encore», «Eclairage» ou encore «Annaqid»,
«Des Histoires et des Hommes», «Macharif »,
«Marhabane bikoum», «Kadaya wa ara’e» et
ce sur les deux chaînes «Sada l’ibdaa», «45 minutes», «Macharif», pour ne citer que ces cas, des
programmes qui méritent d’être regardés. De quoi
désespérer de l’intelligence du public marocain. Et
pourtant, Ce n’est pas la créativité qui manque ni
les compétences. Le problème réside surtout dans
la gouvernance.
Il y a quelques années de cela, Feu Larbi Messari,
ancien ministre de la Communication, avait dit que
les Marocains étaient des « immigrés audiovisuels »
qui passaient leur temps à regarder les télévisions
étrangères. Aujourd’hui, les Marocains ou plutôt la
grande majorité, ont quitté leur télévision pour de
bon et ne répriment plus leur mépris à l’encontre des
télévisions publiques non seulement pour la médiocrité des produits mais parce qu’ils estiment qu’elle
porte atteinte à leur intelligence et à leur dignité.
En somme, loin de jeter l’anathème total, c’est
devenu une urgence de ressusciter le paysage audiovisuel marocain qui se blottit dans la banalité et
dans la décadence surtout que les performances sont
là mais étonnamment marginalisées.
Or vu les gros budgets mis à sa disposition, en
plus de la redevance prélevée et des recettes publicitaires engrangées, le citoyen lambda a droit à une
télévision publique de qualité. Toujours est-il qu’il
faudrait avoir une politique télévisuelle et une vision
stratégique claire.
Heureusement qu’il reste encore quelques programmes qui méritent d’être vus mais là encore ils
sont recalés à des plages horaires où l’audience est
en baisse pour une raison que seuls les responsables
saisissent. Seulement dimanche dernier au grand
bonheur des téléspectateurs, un vent de fraîcheur
sembleavoir soufflé sur la deuxième chaîne qui nous
a, agréablement surpris par une nouvelle émission
«Confidences de presse» à la hauteur de nos attentes.
In fine, comme tout outil, la télévision n’est que
l’usage qu’on en fait. Peut-on alors aspirer un jour,
à l’apport de la télévision marocaine, à l’évolution
de la société, à la formation des esprits, à l’accompagnement des jeunes, à l’éducation populaire, à
la culture ? Espérer qu’une nouvelle politique
médiatique sera mise en oeuvre et appeler à
la maturité des médias serait utopique dans le
contexte actuel où, dans le dilemme entre télévision commerciale et télévision éducative, la
première l’emporte sans conteste. n
MAROC
diplomatique
DOSSIER DU MOIS
AVRIL 2016
19
Des experts nous livrent leur avis
L
a télévision joue-t-elle aujourd’hui son rôle comme il se
doit ? A-t-elle suffisamment de
moyens pour rivaliser de compétence
avec la concurrence ? Occupe-t-elle son
espace d’expression dans le total respect
des valeurs de la société ? Remplit-elle
sa mission au diapason des prouesses
technologiques et autres contraintes financières grandissantes qui imposent,
même aux chaînes nationales publiques,
une inlassable récurrence dans le live et
une présence tangible sur le terrain ?
Il va sans dire que notre télévision
est le reflet de notre société. Quoique
l’évolution de l’une ou de l’autre ne
roule pas à la même vitesse. Exposée
comme elle est à des milliers de lucarnes
ouvertes sur le monde, notre société, y
compris l’infime partie conservatrice
qui la compose, ne peut que constater
les dégâts de la rude compétition qui
oppose les chaînes privées (cryptées, câblées, ou claires) aux chaînes publiques
et vice-versa.
L’explosion des moyens investis dans
la fabrication d’images est sans commune mesure. Son intrusion dans les
espaces les plus intimes et réservés du
citoyen fait de la télévision un compagnon incontournable à toute opération
de mobilisation des masses, y compris
leur manipulation lors des phases critiques des nations (comme en temps de
guerre).
Or, le phénomène qui déstabilise ce
climat paisible est sans nul doute la
nouvelle industrie culturelle qui écrabouille l’ancienne à l’aune de l’explosion des nouveaux médias et emprunte
la voie royale des nouvelles traditions
de consommation. Du coup, on fait du
neuf (forme) avec de l’ancien (contenu)
et on renvoie aux calendes grecques le
modèle de consommation traditionnel
dont le legs historique demeure cantonné dans l’écran cathodique.
Une perte conséquente de millions
de jeunes consommateurs (et même
de vieux) en découle systématiquement. Elle provoque une désaffection
d’une génération entière aux habitudes
de consommation du produit culturel
obéissant à un modèle robotisé et substantiellement sophistiqué.
Voilà ce qui altère profondément le
rôle de la télévision en tant que mobilisateur de masse et moyen d’information
à l’influence jadis considérable. Il faudrait sans doute envisager le relâchement de sa puissance mobilisatrice tant
et si bien qu’elle cède manifestement du
terrain aux nouvelles formes de communication galopantes.
Le constat fondamental à émettre, de
prime abord, est le cantonnement de la
télévision dans une mentalité de gestion
vieillotte par une ère de compétitivité et
d’intelligence de marché. La passivité
avérée de la télévision se vérifie dans
le rythme de son management qui est
en-deçà de la cadence d’il y a encore 15
à 20 ans. C’est à croire que tout bouge
sauf le secteur de l’audiovisuel qui, lui,
recule substantiellement. Le peu de cas
qu’il fait des questions névralgiques de
société, ainsi que l’égard peu regardant
sur l’intérêt immédiat des publics, au
même titre que l’insouciance dont il
entoure la qualité du rendu, jouent défavorablement contre l’adhésion du téléspectateur au contenu, même lorsqu’il
arrive, par miracle, à être exceptionnel.
Dans ce cas de figure, il faut
souligner que les attentes ressenties à
l’orée de la libéralisation du secteur de
l’audiovisuel en ce début du nouveau
millénaire sont restées non satisfaites.
La cruelle ressemblance des produits
d’information aussi bien que de fiction
Fouad Souiba, auteur-réalisateur
diffusés par le triptyque constitutif du
paysage audiovisuel marocain (SNRT,
Soread 2M et Médi 1 tv), habitué à
s’allaiter au même sein nourricier, en
fait une fratrie siamoise, incapable
d’enfanter de petits génies. De quoi
renforcer l’indigence de la télévision à
créer des vedettes appréciées et adulées
et qui tiennent les rênes de programmes
phares. Au contraire, elle continue sur
sa politique de servilité envers les uns et
de complaisance envers les autres, empêchant l’émergence de toute empathie
avec une audience désemparée. Même
les quelques produits, ô combien rares,
auxquels le public aurait visiblement
adhéré disparaissent curieusement, du
jour au lendemain, de la carte de la programmation sans bonne raison. Ceci ne
manque pas de vérifier un constat fort
traumatisant ; il admet que le combat
contre le succès est la seule vraie bataille
engagée par la télévision.
Un autre constat et non des moindres
c’est de se rendre compte que nul directoire ne s’assigne la moindre stratégie
visant à définir des objectifs propres
identifiant la personnalité du médium
et œuvrant pour une démarcation vis-àvis de la concurrence. Bien au contraire,
ce qui donne le tournis c’est que le top
management se contente de livrer une
piètre copie d’un labeur consistant à
expédier les affaires courantes, sans jamais se soucier du créatif, de l’inventif,
qui rappelle un soupçon d’évocation du
génie artistique local. Admettons que
des générations antérieures ont failli à
leur responsabilité en négligeant la formation à ces disciplines. Une lacune
profondément ressentie aujourd’hui et
dont le bilan est peu flatteur. Mais, estce que cette faiblesse ne peut se rattraper
autrement ?
Nul ne peut continuer à ignorer la
morosité du secteur en matière de cadres
supérieurs hautement qualifiés. Cette
hallucinante réalité se révèle dès que le
besoin en encadrement devient hyper
urgent. Puisque en dehors de quelques
universitaires rôdés depuis à un enseignement supérieur en audiovisuel et cinéma, et qui se comptent sur les bouts
des doigts des deux mains, la triste réalité est là pour afficher un visage de souffrance. Léthargique, l’enseignement
manque cruellement de formateurs
attitrés, et par voie de conséquence,
de managers susceptibles de gérer à la
pointe de la profession un tel secteur.
En contrepartie, la relative réussite de
quelques initiatives en radios indépendantes me semble pertinente en ce sens
où la formation qu’impose le secteur,
beaucoup moins lourde, tout aussi bien
que l’investissement, moins coûteux
que jamais auparavant, permettent
d’emprunter une tout autre tangente.
Le succès de certains programmes, si
succès il y a, est à chercher dans l’écoute
de l’auditeur, auquel on ouvre l’espace
pour s’exprimer sur des sujets sensibles.
Du coup, on se trouve à la lisière d’une
attente qui n’a que trop duré. A l’opposé, à la télévision, où le live constitue
l’arme fatale, et probablement l’ultime
recours, il semble loin d’être d’actualité dans nos télévisions. Ce qui retarde
toute velléité de changement ou de grignotement de nouveaux publics. Ceci
étant, le public compare et voit ce qui se
passe dans les pays de la concurrence :
Golfe, Europe ou d’ailleurs !
Je suis porté à constater que la société
a beaucoup plus évolué que l’offre de la
télévision. Ce qui semble être une indigence à produire du bon cru, de la qualité, est un indicateur sur l’inégalité du
produit local et du produit étranger. La
différence est flagrante à tout point de
vue. La vitrine internationale a particulièrement changé les habitudes d’écoute
chez-nous, au point où on ne sait plus où
donner des yeux et des oreilles.
Hyper hallucinant encore, l’impression que laissent émerger les managers
c’est que la qualité du produit n’est
pas une fin en soi. En lieu et place, on
assiste à une espèce de laisser-faire et
de laisser-aller. Ce qui compte c’est de
remplir l’antenne, quitte à puiser indéfiniment dans le frigo. Cette situation
de lutte contre le vide : le blanc à la
radio et le noir à la télévision, vient de
cette impression de sur-débordement et
d’insuffisance de moyens à faire valoir
devant la demande de l’ogre insatiable
qui est la diffusion. Ce qui est à mon
sens une cruelle aberration.
Les moyens mobilisés aujourd’hui
pour et par la télévision sont si importants que la précédente génération des
années quatre-vingt-dix en rougirait, et
l’avant-dernière génération encore plus,
si elle venait à prendre connaissance des
chiffres actuels.
La transformation de la RTM en
SNRT suite à la libéralisation du secteur
audiovisuel a transité, dans son volet
financier, par l’arbitrage de l’ex-Premier ministre, Driss Jettou. Il fallait se
prononcer, en toute âme et conscience,
sur la requête de la SNRT qui exigeait
un budget conséquent face aux mesures restrictives du département des
Finances, à sa tête Fathallah Oualaâlou
à l’époque, pour trancher cette question.
Se penchant du côté de la société nationale naissante, le Premier ministre
avait conscience du rôle capital du nerf
de la guerre dans le fonctionnement de
la télévision. Maintenant, est-ce que la
télévision a réagi conformément au souhait des pouvoirs publics qui croyaient
si bien faire en ordonnant de débloquer
suffisamment de moyens, et même un
peu plus?
Lorsque nous évaluons la situation,
aujourd’hui, nous en concluons qu’un
autre élément est intervenu depuis janvier 2013, et qui aurait probablement
mis du sable dans un engrenage pas
encore entièrement huilé. Il s’agit de
ces fameux Cahiers des charges auxquels se soumettent depuis les sociétés
nationales à chaque entame de nouvelle
saison de production. Un marché public
garantissant la transparence est alors
lancé via un appel d’offres. Il définit
les projets souhaités par les chaînes et
ouvre une concurrence « loyale » entre
sociétés concurrentes. Cette initiative
prise par le gouvernement est reçue
comme une épée de Damoclès dressée
au-dessus de la tête des managers de
la télévision. Nul n’apprécie l’étendue
de la probité qu’entend consacrer un tel
texte. Résultat des courses : une guéguerre éclate et impose un nouvel arbitrage dirigé par l’ancien ministre de la
Communication, Mohamed Nabil Benabdallah, pour débloquer la situation.
Si, aujourd’hui, la situation n’est plus
au point zéro, elle n’en est pas très loin.
Hallucinant !
Pourtant « informer, divertir, éduquer » telles sont les fonctions fondamentales de la télévision. Nos médias
audiovisuels les rempliraient-elles ? La
bonne question à poser est-ce qu’elles
les rempliraient bien ? C’est selon !
La réponse pourrait sembler évasive !
Mais la réalité est là ! Les principaux
commanditaires et diffuseurs des programmes du PAM, y compris les antennes de radios privées, ne sont pas loin
de répondre au sacro-saint triptyque :
informer, divertir, éduquer. En même
temps, le bénéfice n’est pas démocratique, en ce sens où la radio et la télévi-
sion ne contentent pas tous les publics.
La bonne foi y est, mais la manière n’y
est pas ! D’où la migration massive vers
les chaînes satellitaires afin d’assouvir
sa soif. Avant, lorsqu’il n’y avait qu’une
seule et unique chaîne, nul n’avait le
droit de comparer. Présentement, la
comparaison est cruelle. Des milliers
d’offres débordent la lucarne et proposent des choix multiples qui satisfont
les plus récalcitrants. Hier encore toute
la population regardait le JT ou encore la
fiction de la RTM. Aujourd’hui, moins
de 10% de la population sont friands
du JT ou de la fiction télé locale, contre
une migration massive vers le produit
du Golfe ou d’Europe.
Le tout est de savoir si on veut fabriquer un média audiovisuel qui constituerait un moment névralgique pour la
communion de la population, et l’épanouissement des talents du pays, au
lieu d’aller les chercher ailleurs, chez
la concurrence, ou, si la priorité est de
s’attacher à traîner cet héritage du passé.
Un héritage qui sacralise la télévision
au point d’en faire un outil servile, à
l’usage iconoclaste, qui ne préfigure
nullement la transfiguration de la société
et sa nette évolution.
La grande bataille à engager immédiatement est celle du Web. En panne,
nos médias audiovisuels cèdent l’espace
et donnent toute latitude à leur audience
d’aller se servir ailleurs. Investir dans
la grande toile n’est pas de l’argent jeté
par la fenêtre, si bien que l’identification
numérique passe par cette contrainte
technologique à la compétitivité plus
accentuée. Attention ! Ceci ne signifie
absolument pas que la migration de
notre télévision sur la toile ferait avancer les choses. Beaucoup reste à faire
avant de franchir le pas. Or, ce qu’il
faut constater c’est qu’à la concurrence
classique vient s’ajouter celle du Net,
contre laquelle les armes de nos médias
audiovisuels manquent sérieusement de
munitions. A peine une barrière se lève,
qu’une autre se dresse pour peser de tout
son poids.
Une multitude de fenêtres au ton libre
trouve refuge dans la toile. On trouve
pêle-mêle des journaux, des embryons
de télévision actifs irrégulièrement mais
présents sur la durée. Ils donnent la parole aux sans-parole et proposent une
carte au menu tranchant avec le passé.
Le ton libre de ces organes accentue le
ressentiment éprouvé face aux anciens
médias. Loin de consacrer quelque
embrouille d’usage, le web offre une
nouvelle opportunité de comparer les
produits et la qualité du contenu. A la
différence flagrante de l’alternative crédible proposée sur le web s’ajoute la
célérité, l’aisance de l’accès. Des privilèges qui rendent justice à l’audience
et démocratise l’accès à la bonne information, mais aussi à d’autres contenus
inaccessibles à la télévision et à la radio.
Aussi l’audience trouve-t-elle dans sa
quête de la vérité son bonheur dans la
navigation sur la toile. Un élément qui
vient décrédibiliser davantage l’audiovisuel classique écrasé par les privilèges
proposés par le Web.
N’oublions pas que toute une génération née dans l’ère de l’Internet a,
aujourd’hui, du mal à apprivoiser les
moyens d’information et de divertissement classiques. Elle a accès directement à toute cette panoplie de contenus,
très rapidement aux programmes qui
satisfont ses attentes dans la toile. Pourquoi irait-elle se casser la tête devant un
poste de télévision qui doit envisager de
contenter tout le monde par un menu
généraliste ?
Par ailleurs, nul n’a le droit de monopole sur les images qui engagent l’intégrité des gens, ni de diffuser des images
atroces sans consulter la victime, ses
parents ou ses tuteurs. L’intégrité de
l’individu passe au-dessus de tous les
intérêts mercantiles. Les organes à
sensation sont tenus de prendre leurs
précautions avant la diffusion de toute
image qui porterait préjudice à un être
humain.
Ce n’est pas cette flambée de violence
que connaît le monde qui va changer
quoi que ce soit à cet idéal. L’Homme
doit être respectueux de son semblable,
au moins dans des situations de cette
trempe.
La télévision doit être l’ultime recours
pour préserver la mémoire des victimes
de guerre, de catastrophes naturelles ou
de tout autre calamité.
En contrepartie, le consentement des
familles doit être acquis avant toute diffusion d’images violentes quand elles
ne sont pas jugées non diffusables. n
20
MAROC
diplomatique
DOSSIER DU MOIS
AVRIL 2016
Abdelhak Najib,
L
Redouan Mfaddel,
Ecrivain, journaliste, présentateur-télé
a télévision, depuis sa création, a toujours été
un excellent outil d’information et de communication. À travers les décennies, elle a
indéniablement rempli un rôle majeur dans la société. Il ne faut pas se leurrer, la télévision est une
immense révolution dans le monde, à son apparition.
Puis, très vite, elle est devenue indispensable, plus
que la radio, à un moment de l’histoire où le petit
écran est devenu une réelle fenêtre sur le monde.
Ce rôle s’est maintenu, avec plus ou moins de sérieux et de professionnalisme, jusqu’à il y a quinze
ans. Puis la télé-réalité a fait son apparition. Et là,
on a versé dans le voyeurisme le plus plat. Reste
que de très nombreuses chaînes offrent encore une
programmation sérieuse: des films de très bonne
facture, des documentaires, des enquêtes approfondies, des reportages bien ficelés. Pour les pôles
publics, partout dans le monde, la télévision est en
baisse de régime. Les chaînes à thèmes, les chaînes
spécialisées ont repris le relais pour l’éducation, la
formation, la connaissance et la diffusion du savoir.
Aujourd’hui, le constat que je fais, en tant que téléphage, avant d’être présentateur-télé, est que le
petit écran traverse sa période la plus floue, la plus
insipide pour ainsi dire. Mais il y a des éclaircies,
il y a beaucoup d’espoir.
D’ailleurs, le monde est un petit village aujourd’hui. N’importe quel citoyen marocain a aujourd’hui accès à presque toutes les chaînes de télévision qu’il veut regarder. Forcément, il compare.
Evidemment, le téléspectateur n’est pas stupide ou
dupe. Il sait ce qui l’amuse, ce qui lui plaît, ce qui
correspond à ses attentes d’amateur du petit écran.
Il a toujours le dernier mot et le dernier choix. Je
pense qu’aujourd’hui, aucun pôle audiovisuel au
monde ne peut faire l’impasse sur cette ouverture sur
les autres télévisions quelles que puissent être leurs
origines, via les satellites. Alors, il faut connaître
les différents publics, faire des études approfondies
sur ce qui les touche vraiment, ce qui nourrit leurs
curiosités, tout en gardant à l’esprit que la télévision
doit d’abord élever les goûts, éduquer, apporter du
savoir tout en remplissant son rôle de divertissement.
L’un n’empêche pas l’autre. Tout est question de
bon équilibre, de bon dosage, entre fictions, documentaires, divertissements, jeux…
On peut être très nostalgique et dire que la télévision et la radio d’antan étaient meilleures. On peut
aussi constater que beaucoup de chemin a été fait et
que ce n’est pas si mal que cela, malgré le fait qu’il
reste une bonne marge de progression. Vous savez,
il y a du bon et du moins bon sur les télévisions et
les radios marocaines. Il y a aussi des programmes
qui méritent qu’on les applaudisse parce qu’il y a
un réel travail de recherche, un traitement sérieux et
beaucoup d’interaction avec les différents publics.
Je ne peux pas balayer d’un revers de la main tout
le travail accompli par les hommes et les femmes
à la télé ou dans les différentes radios. Encore une
fois, je crois que c’est une affaire d’audience et de
choix de cible. Est-ce que c’est suffisant? Bien sûr
que non. Est-ce que nous sommes satisfaits des programmes? Bien sûr que non. Mais je pense pour ma
part, qu’il y a une grande volonté de donner aux
télévisions et aux radios du Maroc plus de clarté,
plus de sérieux, plus de professionnalisme. On y
arrivera sûrement.
Pour moi, la télévision peut remplir le meilleur
des rôles. Elle a une mission éducative et pédagogique importante. Dans le monde où l’on vit, avec
les différents clivages, la culture de partage et de
tolérance, l’élan d’ouverture vers les autres, tous
les autres, est une urgence. La télévision peut être
un excellent allié culturel et humain pour faire véhiculer d’autres idées sur l’humain, sur la paix, sur
le rapprochement des cultures du monde. Le Maroc,
à ce niveau, a toujours été respectueux des autres
cultures. C’est indéniable. Mais comment peut-on ressentir l’apparition et le
développement vertigineux du Net et de la presse
numérique par rapport à une télévision qui demeure
« verrouillée » et encadrée dans ses libertés, alors
que les sites commencent à mettre en ligne un contenu concurrentiel en images? C’est l’inconnue de
l’équation. Pourtant celle-ci est au premier degré.
Le Net, les réseaux sociaux et l’ouverture satellitaire
ont fait que tout le monde a accès à tout. Plus rien
ne peut se cacher. Aucun verrouillage n’est plus
efficace. Je suis pour cette ouverture contre toutes
les censures et tous les verrouillages. Je suis pour
la liberté des uns et des autres à accéder à toutes les
informations, à donner leurs opinions, mais dans le
respect des autres, sans faire dans les provocations
primaires, le prosélytisme béat et autres dérapages
de la toile. On le voit tous les jours, le Net n’est
pas une balade de santé. Loin de là, il y a là aussi
de tout, et souvent beaucoup de mauvais et de médiocre. Le Net et les réseaux sociaux ne véhiculent
pas que du savoir et ne servent pas à partager les
cultures des autres, à rapprocher les peuples. On y
trouve même des choses qui relèvent du pénal et du
criminel. Face à cette percée terrible, qui a de bons
côtés, la télévision et la radio, ont toujours une place
très importante. Il faut leur trouver le bon tempo,
la bonne réactivité, pour ne pas céder trop de place
face à l’hégémonie grandissante de la toile, qui se
tisse à grande vitesse.
Tout peut être dit et véhiculé avec responsabilité et sérieux via la radio et
la télévision. Evidemment,
j’insiste grandement sur le
fait d’éviter la provocation,
le choc pour le choc, le sensationnel pour faire recette.
C’est du racolage de bas
étage. Mais il faut informer
dans la dignité en respectant
les vies humaines, la sensibilité des uns et des autres.
La guerre, les morts, les catastrophes font partie de ce
monde fou où l’on vit. Il faut
savoir ce qui se passe, mais
pas de matraquage à longueur de journée où il n’y
a plus de place que pour la
mort et la haine des humains
les uns pour les autres. Non,
il y a encore du beau dans ce
monde, il faut aussi nous le
faire aimer. Reste la question des enfants face à tout
cela ? Là, il faut redoubler
de vigilance. Là, tout n’est
pas bon à montrer. C’est le
rôle des organismes spécialisés de veiller au respect des
âges des téléspectateurs. Les
parents doivent aujourd’hui,
plus que jamais, faire très attention. Entre pornographie,
pédophilie, sexe à tout va,
guerres, violences de tous
genres… et devant un écran
de télé, sur le Net, sur les
réseaux sociaux, il faut veiller au grain et ne pas laisser
passer n’importe quoi. n Chef d’entreprise & chroniqueur
L
a TV est un média en pleine
mutation déstabilisée par
les critiques qui pointent sa
médiocrité mais aussi remise en
cause par les nouveaux médias tels
que le Web, les réseaux sociaux,
plus directs et plus participatifs où
chacun peut faire «son marché»
en fonction de ses attentes et de
ses besoins. Considérée souvent
comme pilotée ou non indépendante
des forces économiques et des annonceurs, elle n’est plus l’outil de
«connexion, d’information, de communication et de distraction»... Le
smartphone concurrence gravement
la TV au Maroc comme ailleurs.
Force est de constater que les
chaînes marocaines sont faibles: le
format et le contenu des journaux
TV est «has been», les marocains
leur accordent peu de crédit, la présentation et les sujets traités sont
désuets. Il y a un manque évident
d’objectivité et de pluralisme.
Le niveau des journalistes est faible
et en voulant être le reflet de la société (qu’elle considère comme
médiocre), la TV s’est nivelée vers
le bas du fait aussi du copinage et
du clientélisme en ayant recours,
toujours, aux mêmes formats et
aux mêmes sociétés de production.
La TV considère que le divertissement et la détente passent par le rire
«bas de gamme», or les marocains
ont muri, ils sont informés, curieux,
critiques.
Si la TV marocaine a eu son
heure de gloire, ce n’est plus le
cas alors que la TV satellitaire et
l’offre de contenu se sont multipliés et sont plus accessibles. De
même, la nouvelle concurrence des
médias modernes liés aux NTIC
a été rapide et non suffisamment
prise en compte.
En ne prenant pas suffisamment
en considération les attentes et les
besoins des téléspectateurs dans
une démarche marketing moderne,
la TV marocaine a laissé se creuser une distance forte entre les programmes et son public qui évalue,
compare plus facilement désormais.
Si les émissions diffusées devraient, en principe, jouer un rôle
pédagogique, éducatif, une mission
de rapprochement, de tolérance et
d’éclairage, eh bien, non, elles
ne jouent aucun de ces rôles. Les
rares émissions sont des débats
politiques alors que la politique a
perdu toute crédibilité et n’intéresse
pas les marocains dans les formats
actuels. Il faudrait développer les
débats de société (non misérabilistes et voyeuristes) à connotation
économique et sociale qui fassent
intervenir non pas des béni oui oui
mais des esprits critiques, libres qui
puissent débattre sans langue de
bois.... Le débat libre existe sur les
réseaux sociaux et certaines radios
mais pas à la TV, il est trop convenu
et prévisible.
La TV est en grave danger... Les
réseaux sociaux, la presse électronique la menacent car ils comportent une forme d’instantanéité et
de pluralité au niveau des sources
et du contenu. Désormais avec les
SMART TV on peut relier sa TV
aux nouveaux outils (Web, You
Tube) et créer sa propre TV et son
propre contenu et zapper sur des
millions de programmes.
D’un autre côté, si les images
de guerre, de conflits sont déjà sur
les réseaux sociaux, la presse électronique, le WEB... à mon avis,
la TV peut les diffuser tout en se
gardant de diffuser les images les
plus choquantes et en prévenant les
téléspectateurs par des signes sur
l’écran. La TV se doit de montrer la
réalité du monde tout en ayant une
position éthique quant aux images
les plus choquantes qui peuvent
traumatiser les plus fragiles et les
plus jeunes.
La violence fait déjà partie du
quotidien de nombreux marocains...
Ils ne vivent pas dans une bulle et
côtoient la misère et la tragédie soit
dans leur vie quotidienne et dans
leur environnement proche soit via
les réseaux sociaux et le WEB. La
carapace du marocain d’aujourd’hui
est plus épaisse qu’hier. n
MAROC
diplomatique
L
DOSSIER DU MOIS
e rôle de la télévision telle qu’on la connaissait est nettement amoindri aujourd’hui à
cause de l’émergence de tous ces nouveaux
médias et réseaux de communications présents sur
le web et par satellite. En fait la télévision existe et
continuera d’exister. Elle a simplement pris d’autres
formes pour devenir une sorte de supermarché où
l’on se sert à sa guise. L’arrivée des chaînes spécialisées, la télé à la carte, les émissions sur le web et
la possibilité de ne plus avoir de contraintes d’horaire pour regarder le programme de son choix a
complètement transformé les habitudes. Le nombre
de téléspectateurs a connu une chute vertigineuse
partout dans le monde entraînant une forte baisse de
revenus. Il s’agit d’un véritable séisme qui a déstabilisé la plupart des grands réseaux comme la BBC
qui a dû licencier des milliers d’employés et abandonné la production de certains reportages et de
documentaires qui faisaient sa notoriété. Au Maroc,
la télévision n’a jamais pu remplir son rôle éducatif,
rassembleur faute de moyens bien sûr, mais aussi
à cause d’erreurs disons-le plus politiques. Il y a
longtemps qu’on aurait dû se rendre compte que
pour faire passer efficacement un message, il fallait
le faire dans la langue comprise par la majorité.
C’est pour cela que je salue aujourd’hui l’utilisation,
de plus en plus, de la Darija. Mais à mon humble
avis, ce n’est pas encore suffisant. Il faut oser davantage. Lorsqu’on persiste encore à s’adresser aux marocains en arabe classique, le message ne parvient
pas à la majorité. Et puis il y a encore la censure, les
tabous, les contraintes et orientations imposées au
nom de la religion. Quand va-t-on comprendre que
la foi est une affaire personnelle et qu’elle ne doit
pas devenir une entrave à la liberté individuelle ?
Mais je m’arrête là au risque de me retrouver sur
un terrain glissant.....
L
AVRIL 2016
Ahmed Malki, journaliste TV & animateur radio
Que les Marocains accèdent aux chaînes satellitaires ou sur le web ne peut être que bénéfique. Il
faut reconnaître que 2M ou la première chaîne n’ont
pas les moyens d’Al Jazirah ou de CNN. Il faudra
du temps et de l’argent pour que des chaînes marocaines émergent de la toile ou des satellites pour
les concurrencer. Personnellement, je suis absent
du paysage médiatique marocain depuis longtemps
mais je dois saluer l’évolution du cinéma au Maroc,
qui était moribond, il y a 25 ou 30 ans. La radio et
la télévision n’ont, malheureusement, pas connu
la même accélération à part quelques programmes
qui se sont démarqués, depuis quelques années,
en donnant la possibilité d’une plus grande liberté
d’expression et d’un esprit plus critique. N’oublions
pas la période de grande censure il n’y a pas si longtemps, lorsque la première chaîne de télévision et de
radio, la RTM, était gérée par le ministère de l’intérieur à la manière d’un poste de police alors que
Médi 1 et 2M, à leurs débuts, jouissaient d’une plus
grande liberté et disposaient de plus gros moyens.
Ce genre de situation a entraîné la fuite de cerveaux
dans bien des domaines.
Il est vrai que la radio et la télévision ont
connu leur heure de gloire à une époque où elles
étaient les seuls à nous divertir et à nous informer.
Mais, aujourd’hui, le public est plus exigeant parce
qu’il dispose d’un choix presqu’infini. Et les médias
sociaux, devenus un fantastique outil d’échange
d’informations continuent de nous surprendre à la
vitesse de l’éclair. Le fait d’avoir accès à d’autres
véhicules d’information et de divertissement
permettra, je l’espère, une plus grande ouverture
d’esprit à une époque où l’islamisme et le fondamentalisme font peur et nuisent à l’islam, en plus
d’être un obstacle à une programmation culturelle
et pédagogique émancipatrice.
Il est certain que la télévision,
quelle que soit sa forme, a un rôle
pédagogique à remplir, et l’utilisation d’un dialecte compris par tous et
toutes en est le maillon essentiel. Il en
est de même pour la réforme de l’enseignement, il y a plus de 40 ans et qui
a été, on est nombreux à le reconnaître,
un échec total qu’on tente heureusement, aujourd’hui, de corriger. Et la
télévision marocaine pourrait combler
en partie cet échec, grâce notamment
à des émissions d’utilité publique, qui
adressent sans tabous ni dogme les
problèmes de la société. Elle pourrait
jouer un rôle éducatif pour diminuer
le nombre anormalement élevé d’accidents de la route, mettre en garde
contre les ravages causés par la cigarette et j’en passe. Si nous avons vu
apparaître des émissions de sensibilisation aux problèmes des déchets domestiques ou des plages, les questions
telles l’alcoolisme, la prostitution, les violences et
discriminations envers les femmes, la maltraitance
des enfants et la radicalisation d’une grande partie
de la société restent boudées ou traitées superficiellement. Ce ne sont là que quelques exemples
des grands maux de la société marocaine qui n’ont
pas l’attention nécessaire à cause de la censure et
des tabous. Par ailleurs, l’évolution extraordinaire d’internet et des médias sociaux est telle que la télévision
traditionnelle se retrouve à la traîne et tente d’embarquer à bord d’un train à pleine vitesse. Tout le
monde semble dépassé. C’est extraordinaire la rapidité à laquelle l’information circule. L’accès facile
aux nouveaux médias et la liberté relative qu’ils
procurent permettent de compenser, à bien des
égards, le mutisme et la censure qui gangrènent
l’information à la télévision marocaine. Mais peut-on tout dire et tout diffuser ? Pensez-vous qu’on ait d’autre choix que de tout dire, de
tout montrer? Pas pour l’instant en tous cas, car le
public a les moyens d’aller s’informer là où il veut,
quand il veut. Et en ce moment, nous n’arrivons pas
à contrôler tout ce qui est publié sur internet et qui
contribue à une grande déstabilisation de nos sociétés. Ce n’est pas l’information qu’il faut réduire
ou «adapter», ce sont les mentalités et intelligences
populaires qu’il faut faire progresser pour que le
public sache faire la part des choses. n
Allal Sahbi Bouchikhi, ancien cadre de production à France Télévision
a télévision n’est pas seulement,
depuis 60 ans, un phénomène
de masse, mais de société. Son
développement planétaire en fait un vecteur d’information, de culture, d’éducation, de distraction, de communication
et de rapprochement. Pourtant, elle n’est
pas épargnée par la critique, notamment
au Maroc où elle est boudée par le public qui se tourne vers les télés satellitaires. Malgré la libéralisation relative
du secteur audio-visuel et l’émergence
de quelques chaînes de radios. Alors,
comment expliquer ce désengouement
du public envers les programmes de la
Radio et de la télévision marocaines
sachant qu’elles ont connu leur heure
de gloire? Les raisons sont multiples,
mais la plus impotente, à mon sens, c’est
l’abandon de la mission de service public.
Les pionniers du concept du média
télévisuel comme service public, appliquaient à la télévision trois buts fondamentaux : informer, divertir et éduquer.
Or, Les marocains n’accordent aucune
crédibilité aux journaux télévisés ou radiophoniques. Ils ne se reconnaissent pas
dans les programmes de divertissement.
Quant à la culture et l’éducation, qui
doivent offrir à la société la possibilité
de s’élever et de mieux vivre ensemble,
elles leur semblent totalement absentes
des chaînes publiques ou privées.
Aujourd’hui, si l’on considère les
grilles de programme des diverses
chaînes, on remarque que le divertissement occupe une place prépondérante.
L’information vient ensuite, cependant
que l’espace accordé à l’éducation est
assez restreint. Le média prépondérant
qu’est la télévision s’est donc quelque
peu éloigné de son but fondamental à
savoir : informer, divertir et éduquer.
Concernant le plan économique , la
publicité a fait de la télévision un média
de consommation plutôt que de culture
véritable.
Dans le service public , les programmes, diffusés à tous les niveaux ,
outre leur mission informative et distractive, doivent avoir un rôle pédagogique,
éducatif. Une mission de rapprochement,
21
de tolérance et d’éclairage . Cependant,
on peut soutenir qu’à l’heure actuelle
ni la télévision ni les radios nationales
ne remplissent cette mission de service
public. Elle sont réglées par l’Audimat
qui régit les chaînes privées comme les
chaînes publiques. Il en résulte un alignement général sur la médiocrité, la
vulgarité, le mépris du téléspectateur et
de l’auditeur ; et c’est la politique du pire
qui l’emporte.
Ayant compris les enjeux que la télévision par satellite posait, les téléspectateurs adoptent une position qui manifeste
leur refus de donner une quelconque légitimité à la télévision nationale et, par
delà, au pouvoir qu’elle représente.
« Écœurés » par les silences de la télévision sur leur propre quotidien, (ils
ne se reconnaissent ni dans les informations ni dans les dramatiques ou les
programmes de flux) les marocains se
sont, donc, tournés massivement vers les
programmes offerts par les télévisions
satellitaires, certes par soif d’information
politique, mais aussi pour le sport, les
films, les émissions pour enfants, etc.
Ces télévisions représentent « l’alternative » à une une offre nationale qui ne
cesse de se dégrader.
la médiocrité est devenue la normalité au Maroc. c’est un état d’esprit
que l’on trouve partout :
à l’école, dans les services
publics, dans les rapports
entre les citoyens. Cela
s’explique aujour’hui par
le fait que des médiocres
ou des gens qui ne justifient
d’aucune compétence particulière sont promus à la
place des méritants.
Pire, ils sont maintenus
dans leur poste malgré le
manque de résultats positifs ou même une gestion
calamiteuse. le rendement
n’est plus l’objectif des
cadres qui sont aux postes
de responsabilité, leur seul
souci c’est de proclamer
haut leur allégeance pour
conserver le juteux positionnement...
Pour retrouver sa légitimité et son
public la télévision marocaine doit impérativement changer, et d’abord, commencer par changer les têtes et les soustêtes qui, à l’évidence, ont échoué. Il faut
donner au service public les moyens financiers et humains pour accomplir sa
mission et relever les défis posés par le
développement vertigineux du Net et de
la presse numérique par rapport à une
télévision qui demeure « verrouillée » et
encadrée dans ses libertés, alors que les
sites commencent à mettre en ligne un
contenu concurrentiel en images .
La télévision publique doit relever
le niveau et s’atteler à une mission très
compliquée : « Être crédible, compétitifs tout en respectant l’intelligence du
spectateur et en lui proposant des programmes de qualité ». Pour cela, il faut
que notre paysage audiovisuel s’ouvre
aux intellectuels, aux créateurs, aux producteurs de créateurs, aux éditeurs, directeurs de théâtres ou de musées, bref :
: aux pratiquants de la culture et de l’art
dans la sphère publique afin de mettre
fin à la dégradation des programmes ,
à cette médiocrité ambiante qui est une
insulte à l’intelligence du public marocain .
Oui ! Le secteur public , radios et télévisions, peut relever ce défit à condition
de ne pas être un lieu du mépris : mépris
du téléspectateur considéré comme un
client, mépris du réalisateur et du producteur considérés comme des fournisseurs, mépris du citoyen qu’il faudrait
à tout prix laisser s’assoupir. Il lui faut
être plus proche du citoyen. Profiter de la
régionalisation pour étoffer les stations
régionales et les développer, créer des
radios de proximité tenant compte des
spécificités locales, linguistiques notamment, et surtout, produire des programmes nationaux qui rassemblent tous
les marocains avec l’ambition de les exporter au lieu d’en importer. S’ouvrir sur
le Net en intégrant les nouveaux formats
et les nouvelles technologies qu’il exige.
Enfin, la télévision publique ne doit pas
consacrer les deux-tiers du temps de ses
émissions d’information aux inaugurations de chrysanthèmes et aux péripéties
météorologiques.
Vous demandez si on peut diffuser
les images de guerres, de conflits, de
tragédies et de violences?
Je pense, tout
d’abord que la télévision a un rôle d’information, et pour cela,
elle ne doit pas nous
cacher la vérité. Même
si les images sont violentes, il est normal de
voir , par exemple, les
horreurs de la guerre
, les dégâts catastrophiques causés par
les tsunamis ou les
accidents nucléaires .
Les images sont choquantes, insoutenables
mais elles nous permettent de savoir ce
qui se passe vraiment.
la télévision peut, à
priori, tout montrer à
condition d’avertir à
l’avance le téléspectateur. Ainsi, ce dernier
sera responsable de son choix et regardera le programme en toute âme et
conscience. A l’image des symboles
d’avertissement -12 , -16, -18 ou des
codes parentaux installés sur la plupart
des postes de télévision. Cependant, la
télévision peut avoir un impact négatif
sur notre personnalité, sur notre comportement, ou notre manière de penser. D’ailleurs, certains programmes
risquent de nous influencer et nous
amener à reproduire certaines scènes
: des enfants qui imitent des combats
de catch vus à la télé, et qui se blessent
gravement . Pire encore, le cas de ces
jeunes américains qui ont tué plusieurs personnes à l’université, sous
l’influence de films et de jeux vidéos
violents. Ensuite, certaines images
peuvent nous choquer, nous perturber. C’est le cas par exemple des films
d’horreur qui peuvent nous empêcher
de dormir ou provoquer des cauchemars. Souvent d’ailleurs, ces scènes
ne traduisent pas la réalité. C’est le cas
des films pornographiques qui déforment la relation réelle qu’il y a entre
deux personnes qui s’aiment. De plus,
certains programmes peuvent nous
abrutir et la stupidité des scènes ou
des dialogues sont néfastes pour notre
intelligence. A l’instar des émissions
des télé-réalités stupides et vulgaires
où les «gros mots» sont employés sans
arrêt. Enfin, la télé doit savoir rester
discrète sur certaines informations, ne
pas divulguer certains secrets ou révéler certaines opérations. Citons à titre
d’exemple les opérations militaires «
top secrètes », ou les informations
concernant les systèmes de protection des banques etc... En conclusion,
même si la télévision semble être un
outil incontournable pour s’informer
,se distraire ou se cultiver, il est cependant indispensable d’avoir un regard
critique sur le choix des émissions
et ne pas s’enfermer dans un monde
virtuel et imaginaire. Prenons garde
aux dangers de la télévision et restons libres dans nos jugements, sans
que ne nous fassions influencer par
celle-ci. n
22
MAROC
diplomatique
INTERNATIONAL
AVRIL 2016
XVIÈME COLLOQUE INTERNATIONAL
« Gouvernance et systèmes de contrôle des finances
publiques en Afrique : Défis et enjeux »
Mohamed Harakat
La nécessité
de la vulgarisation
massive des valeurs
de la gouvernance
financière, au regard
de la diversité
et la complexité
des systèmes de
contrôle, en Afrique,
véhiculant un ensemble
de messages
et d’approches
démocratiques portant
sur le budget citoyen,
budget ouvert,
transparence dont
les racines s’alimentent
d’une série
de recommandations et
de déclarations
des organisations
internationales.
La Revue marocaine d’audit
et de Développement (REMA),
Le Centre international des
Etudes Stratégiques et de gouvernance globale (Global Gouvernance Center) , la Faculté des
sciences juridiques économiques
et sociales Souissi, l’Institut des
Etudes africaines - Université Mohammed V- Rabat, ont
organisé, en partenariat avec
l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique (ARGA)
l’Institut Mandela, la Fondation allemande Hanns Seidel et
l’Amlog, le XVIe colloque international «Gouvernance et systèmes de contrôle supérieur des
finances publiques en Afrique :
Défis et enjeux » à Rabat les 25 et
26 mars 2016 auquel a participé
un ensemble d’experts, de magistrats et de chercheurs universitaires maghrébins et africains
provenant de Rwanda,de Djibouti, du Gabon, du Cameroun,
du Sénégal et du Nigéria en plus
des pays du Maghreb (Algérie,
Mauritanie,Tunisie et Maroc) et
de l’Allemagne.
C
e colloque international organisé et dirigé par le Professeur
Mohamed Harakat, Professeur
à l’Université Mohammed V – Rabat
et Directeur fondateur de la REMA et
Président du Global Governance Center a permis, notamment, de faire l’état
des lieux des modèles et systèmes de
contrôle des finances publiques et de
la gouvernance, à l’échelon mondial
et continental, par référence aux
principes de bonnes pratiques, définir les modalités de fonctionnement
et le rôle assigné aux Institutions supérieures de contrôle (ISC) dans les
pays africains (cours des comptes,
contrôleurs généraux, évaluation
par les pairs) dans le processus de
développement de la gouvernance.
Il a permis également de débattre
des contraintes auxquelles se heurte
le développement des ISC et de la
gouvernance et du contrôle interne en
Afrique, de découvrir les institutions
africaines de contrôle et de formation
en gouvernance et leurs rôles dans le
développement des normes, des méthodes et des standards de contrôle.
Par ailleurs, cela donne à constater
la faiblesse de l’enseignement des
finances publiques et des humanités
dans les universités en insistant, plus
particulièrement, sur la nécessité de
développement d’une nouvelle approche sociologique et psychologique
d’étude des phénomènes financiers et
de gouvernance et à analyser les perspectives et les conditions de développement du contrôle financier dans le
cadre d’une bonne gouvernance démocratique globale et partagée tout
en avançant les scénarios de succès
et d’échec et les espoirs que l’on peut
formuler au regard de l’évolution récente.
Cette rencontre scientifique a permis aux différents participants (ISC,
experts, universitaires et gestionnaires
doctorants et ONG) d’approcher les
modèles internationaux et les bonnes
pratiques de contrôle des finances
publiques et de gouvernance dans
toute leur globalité et leur complexité. Ce qui a donné lieu à plusieurs
recommandations comme la prise
Mohamed Harakat.
de conscience de l’état déplorable de
transparence des finances publiques
et le «mal gouvernance» en Afrique,
en période de crise et d’instabilité. En
plus de la lutte contre la corruption
provenant notamment de la prédominance de la culture de la rente dans
ces sociétés et dont les effets et les
impacts psychosociologiques et mentaux sont multiples et complexes(1)
freine le développement économique
et biaise la lutte contre la pauvreté et
les inégalités sociales. La nécessité
de la vulgarisation massive des valeurs de la gouvernance financière,
au regard de la diversité et la complexité des systèmes de contrôle, en
Afrique, véhiculant un ensemble de
messages et d’approches démocratiques portant sur le budget citoyen,
budget ouvert, transparence dont les
racines s’alimentent d’une série de recommandations et de déclarations des
organisations internationales (déclaration française des droits de l’homme
et du citoyen, Nations Unies, OCDE,
INTOSAI, Transparency International, etc.).
L’internationalisation
des problèmes
de transparence, d’audit
et de contrôle exige
l’édification d’un nouveau
système international
de contrôle supérieur
des finances publiques
doté de pouvoir effectif
et réel dans le processus
de lutte contre
la corruption
L’exigence démocratique et les impératifs d’améliorer le niveau de vie
des citoyens, rendent nécessaire une
gestion publique performante consistant à donner un sens à l’action publique africaine, dans le but de rendre
les institutions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, plus
transparentes, plus compréhensibles,
tangibles et plus intelligentes(2).
Il convient de souligner l’apport
enrichissant des organisations internationales au développement du
contrôle. Cette tendance vers l’instauration d’une nouvelle culture de
transparence et de performance devrait se manifester par l’harmonisation, la codification et la démocratisation tant des travaux que des valeurs
de contrôle en Afrique.
L’internationalisation des problèmes de transparence, d’audit et de
contrôle exige l’édification d’un nouveau système international de contrôle
supérieur des finances publiques doté
de pouvoir effectif et réel dans le processus de lutte contre la corruption
(recommandations de Montivedio,
Uraguay) (1998) tout en mettant l’accent sur le rôle des ISC dans la lutte
contre la corruption, compte tenu de
ses méfaits socioéconomiques (altération macroéconomique, baisse de la
qualité des infrastructures et des services publics) et sociologiques de la
corruption sur l’économie et la société
(découragement des idées nouvelles
et innovations, discrimination, inégalité entre les citoyens, émergence de
l’économie du savoir).
Il est aussi impératif d’instaurer
une véritable codification et unification des principes et des techniques
régissant la pratique de l’audit et
de contrôle interne dans le secteur
public et son apport primordial à la
modernisation de l’Etat et à la bonne
gouvernance.
Cogiter la mise en place, un système international de contrôle des
finances publiques destiné à lutter
contre toutes les formes de la corruption (marchés publics, armes clandestines, tourisme sexuel, ventes des
faux médicaments, fuite de capitaux,
finances de terrorisme etc…) dans
une période marquée par la crise et
l’instabilité.
L’élargissement de l’objet du
contrôle des finances publiques.
Ce contrôle, une fois effectif, peut
s’étendre au contrôle des marchés
financiers et économiques et aux
fraudes échappant au contrôle régulateur. Dans cette perspective, les
frontières entre finances publiques et
finances privées seront abolies.
Il faut également évaluer les condi-
tions de fonctionnement de la gouvernance dans toute sa globalité.
Toutefois la prudence reste de mise
puisqu’il faut privilégier surtout la
pertinence de l’information fournie,
l’échange et la coopération dynamique
entre les acteurs de la gouvernance
nationale, régionale et mondiale. Et
créer une cour des comptes internationale dotée de pouvoirs effectifs
de contrôle, à l’image du tribunal
pénal international. C’est une tâche
qui n’est pas aisée, compte tenu de la
mauvaise gouvernance et l’inefficacité qui marquent quelques institutions
internationales déjà mises en place.
En plus de développer des doctrines, des cultures et des traditions de
contrôle et d’évaluation des systèmes
de gouvernance d’une manière plus
large. Les tâches assignées actuellement à l’évaluation sont, de plus en
plus, nombreuses et complexes.
Enfin, il est indispensable de
promouvoir une démarche transdisciplinaire cognitive de contrôle
et d’évaluation des politiques publiques (fondée sur la connaissance
et le savoir), pédagogique, créative,
constructive, interactive. C’est une logique constante d’intelligence collective. Il ne s’agit pas d’une entreprise
de «spectacle public» mais d’intelligence émancipée et partagée. Elle est
au cœur de la nouvelle citoyenneté.
«Evaluer c’est évoluer». n
1) Mohamed Harakat (2015)
«Les paradoxes de la gouvernance
de l’État dans les pays arabes »
préfaces Alexander R. Dawoody
et Michiel S. de Vries l’Harmattan
Collection Histoire et Perspectives
Méditerranéennes, p.27.
2) M. Harakat (2011) «Les finances
publiques et les impératifs de
la performance : cas du Maroc »
l’Harmattan, Paris ,p.177.
(*) Professeur à l’Université
Mohammed V - Rabat ; Directeur fondateur de la Revue marocaine d’audit et de développement (REMA) ; Président du global
gouvernance center.
24
diplomatique
MÉDIAS
AVRIL 2016
Le cinéma est-il une émission
de télévision comme les autres ?
Dominique Parret
I
MAROC
l y a un peu plus qu’un jeu de mot et qu’une
provocation dans cette question. La question se
pose, en effet, de la validité du maintien de ces
deux mots « cinéma » et « télévision » pour désigner deux réalités, deux activités, deux modes de
création artistiques et deux industries distinctes. Ces
deux mots ont-ils cessé d’être des outils opérants ou
les lignes discursives ayant bougé, faut-il recourir à
d’autres concepts ?
Pour mettre les pieds dans le plat :
Y-a-t-il aujourd’hui un Cinéma, d’une part, et
une Télévision, d’autre part ? Répondent-ils à deux
univers techniques différents ? Agissent-ils dans
deux sphères économiques distinctes ? S’agit-il de
deux activités créatives séparées et deux arts indentifiables l’un par rapport à l’autre. Les distinctions
techniques, économiques et artistiques seraient-elles
ailleurs ?
Il ne fait aucun doute que Cinéma et Télévision
ont recouvert des réalités reconnues dans leur altérité
par tout un chacun. Personne, en 1960, n’aurait eu
l’idée d’écrire le présent article. Il y a, aujourd’hui,
une si grande communauté de technologies, de circuits économiques, de techniques artistiques que la
question des définitions et des lignes de partage se
pose effectivement. Nous allons essayer de tracer
quelques-unes des pistes de cette réflexion sachant
qu’il faudra forcément, dans un deuxième temps,
procéder à une analyse chiffrées, des réalités, ici
esquissées.
Qu’est-ce que le cinéma ?
Et qu’est-ce que la télévision ?
On peut au moins être certains d’une chose, Cinéma et Télévision répondent historiquement à deux
démarches scientifiques totalement différentes qui se
déroulent presque simultanément sans, semble-t-il,
avoir eu ni la nécessité, ni l’idée de se rapprocher.
Essayons-nous à deux définitions :
Le cinéma est un mode d’enregistrement et de
projection de photographies animées. La télévision
est constituée de l’ensemble de techniques permettant d’émettre et de recevoir, à distance, des sons
et des images.
L’un enregistre, l’autre transmet. L’un vient
de la photographie, l’autre de la radio et du téléphone. Leurs deux univers techniques sont donc
bien distincts. Immédiatement le Cinéma montre
des réalités extérieures et raconte des histoires. Dès
l’origine la Télévision se fabrique en studio et en
direct. Elle produit du flux. Ceci étant, le cinéma
ne tardera pas à se faire en studio et la télévision
n’aura de cesse d’aller en extérieur et de raconter des
histoires. Quant à l’histoire, il faut bien la raconter
un peu. Ne serait-ce que pour valider l’assertion
précédente comme quoi Cinéma et Télévision sont
des aventures quasi simultanées, il nous faut des
dates. Les réalités, les modes de constitution des
industries correspondantes sont aussi infiniment
éclairants pour le débat qui nous anime.
En 1884,le jeune allemand Paul Nipkow perfectionne le balayage systématique de l’image par l’effet d’un disque perforé. Les signaux sont transmis
par un circuit électrique et l’image reconstruite par
un dispositif semblable à celui du balayage initial.
La persistance rétinienne et l’électricité alternative
sur 50 périodes déterminent le nombre d’images par
seconde : 25. Nipkow dépose son brevet, celui de la
télévision électromécanique[]. C’est en 1900 que le
mot « Télévision » est proposé dans une publication
du Congrès International d’Electricité à l’Exposition
Universelle de Paris.
En 1888, un américain, John Carbutt invente un
support photographique souple – c’est essentiel, la
souplesse du support, pour l’invention du Cinéma
– et transparent – ce qui est également déterminant-.
En 1891, Thomas Edison et Dickson ont l’idée du
film 35mm à perforations. Le Kinétographe et le
Kinotoscope – l’un enregistre, l’autre projette – sont
inventés et avec eux le Cinéma. Ces inventions, chacun l’a à l’esprit, s’inscrivent dans un contexte déjà
très riche en matière d’analyse et de reproduction du
mouvement. Quant à la photographie, il y a longtemps – pratiquement un siècle - qu’elle existe et
se pratique couramment. Jouissons, un instant, de
notre surprise : la télévision a été inventée avant
le cinéma. Pour le plaisir, notons au passage que
le premier dessin animé est dû au français Emile
Reynaud et qu’il date de 1892 ! Rien d’étonnant
à cela, d’ailleurs, les lanternes magiques rotatives
reproduisant des mouvements ont d’abord utilisé
des supports dessinés.
Continuons à nous amuser avec
les dates :
Premier brevet de télévision en couleur : 1889,
en Russie. Les histoires de la photographie ne sont
pas claires sur l’invention de la couleur. Le procédé
« Autochrome » des Frères Lumière date de 1903,
le premier film donnant l’illusion de la couleur est
de 1911, le premier film en technicolor véritable
de 1917. Nous excluons de notre propos les films
colorisés au pinceau, image par image. L’histoire
du Cinéma et celle de la télévision continuent à être
très synchronisées, avec toujours une légère avance
pour la Télévision. Puis l’histoire change de tempo.
Comme elle en a le secret, elle se livre à une puissante accélération. C’est le Cinéma qui en est le
bénéficiaire et, ce, parce qu’il a réuni la condition
essentielle pour que l’histoire se livre à l’un de ses
emballements : concerner les plus larges masses de
la population. Il est devenu un spectacle de masse.
La télévision, elle, demeure un objet de laboratoire. On peut le dire, l’histoire a des ironies cinglantes, si l’on songe à la réalité actuelle, en termes
de public. Ce sont les frères Lumière qui apportent
les quelques avancées technologiques qui facilitent
la prise de vue et la projection et qui, surtout, font
du Cinématographe un spectacle populaire. Il s’agit
d’abord d’un spectacle forain et, dès l’origine, d’un
spectacle payant. Ainsi naît une industrie avec des
studios, des laboratoires, des techniques de trucages,des scénaristes, des réalisateurs, des techniciens et un public, un immense public, enthousiaste
et fidèle. Les acteurs, eux, viennent de la scène et
mettront quelques années à se spécialiser. Le Cinéma sera d’abord documentaire, puis comique,
puis tragique. Il sera d’abord muet, mais très vite
accompagné de musique par un pianiste et commenté par une personne lisant les cartons de dialogues,
directement dans la salle.
Les souvenirs recueillis nous indiquent aussi que
les spectateurs faisaient eux-mêmes des commentaires, insultant le « méchant », prévenant le héros de
ses mauvaises intentions et conduisant le commentateur à adapter et à développer ses interventions.
Le Cinéma, fut donc, dès l’origine « interactif »,
comme l’était, à bien des égards, le Théâtre et, à tous
les égards, le Café-Concert. Puis le cinéma devint
parlant, mais il n’a pas attendu d’avoir la parole pour
connaître le succès.
Entre1905 et1910, le cinéma passe de l’artisanat à l’industrie. C’est extrêmement rapide. En
France, les Pathé et Léon Gaumont sortent,quasiment à la chaîne, des films comiques courts et créent
un réseau de distribution international, mais aussi
des filiales de production. Les premières vedettes
naissent dont Max Linder qui sera la référence de
l’immense Charlie Chaplin. En Amérique, la guerre
des brevets techniques provoque la création de compagnies indépendantes d’où naîtront les futures
«majors» de Hollywood comme la «Universal».
Ainsi, dès 1908, agissent sur le marché la
Biograph avec David Griffith et Mack Sennett en concurrence avec la Vitagraph qui
s’appuie sur le talent de Florence Turner.
Hollywood naîtet se développe très rapidement, pendant la première Guerre mondiale (1914-1918), plus
vite que le cinéma européen.
Et l’art dans tout ça ?
Très vite, dès l’origine, le Cinéma s’affirme
comme un art majeur, une industrie certes, mais aussi un nouveau et gigantesque champ d’expression
et d’investigation artistique. Il doit, aussi, être vu
comme la première chance d’une émotion artistique
communicable - à l’identique - à des centaines de
milliers, voire des millions de personnes.
Le rapport de masse au public est donc, dès
l’origine, constitutif de l’art cinématographique.
Cette réflexion n’est pas indifférente dans notre
problématique des rapports entre Cinéma et Télévision. Georges Méliès est un des précurseursde
l’art cinématographique et de l’affirmation de la
vocation du Cinéma à raconter des histoires. La
fiction et le Cinéma se confondent tellement que
nombreux sont ceux qui les unissent dans la recherche d’une définition du Cinéma par rapport
à la télévision.
Citons des fictions qui ont marqués les débuts
du Cinéma : « L’Assassinat du duc de Guise » de
1908 de Griffith,« le Remords de l’alcoolique » du
même en 1909, « Les Derniers jours de Pompéi »,
de Luigi Maggi en 1908, « Fantomas » de Louis
Feuillade en 1913, Le « Mabuse » de Frityz Lang en
1922, « Le Cuirassé Potemkine » de S.M. Eisenstein
en1925. C’est « Naissance d’une nation » en 1914,
qui marque le début des films de longue durée.
Cette même année 1914, Chaplin débute
avec« Makinga living » (Pour gagner sa vie). Pendant toutes ces années, le Cinéma invente le langage
filmique, le montage, les techniques de prises de
vues. C’est un art nouveau qui se crée et c’est bien
le Cinéma et son industrie qui l’ont inventé et pas la
Télévision. Le son qui s’introduit progressivement
dans l’art cinématographique comme ambiance
d’abord, comme soulignement des effets, aussi,
comme effet en tant que tel dans « Les Lumières
de la ville » en 1931, devient partie intégrante de
cet art dans les années 30. Il y provoque des convulsions économiques et artistiques dramatiques pour
certains, mais immensément fécondes. Comment
définir le Cinéma à la veille de la seconde guerre
mondiale ?
Nous aurions parlé d’un art et d’une industrie
ayant comme objet de fixer, sur une pellicule, des
sons et des images de fiction ou de documentaire, selon un langage artistique qui leur est propre, afin de
les présenter au public dans des projections payantes
organisées dans des salles aménagées d’un écran,
à cet effet.
Et aujourd’hui ? Et la Télévision ?
Jouons un peu.
Quand je vais au Cinéma aujourd’hui, je vais voir
un spectacle issu d’un art et d’une industrie ayant
comme objet de fixer, sur une pellicule, des sons
et des images de fiction ou de documentaire, selon
un langage artistique qui leur est propre, afin de les
présenter au public dans des projections payantes
organisées dans des salles aménagées d’un écran,
à cet effet.
Rien n’a changé, en apparence au moins. Nous
n’avons barré que trois mots : « sur une pellicule ».
On y reviendra. Quand je regarde la télévision j’assiste à un spectacle issu d’un art et d’une industrie
ayant comme objet de fixer des sons et des images
de fiction ou de documentaire, selon un langage
artistique qui leur est propre, afin de les présenter, de
façon onéreuse, au public, en général à son domicile,
grâce à un écran-récepteur conçu à cet effet. Nous
avons remplacé les « salles » par le « domicile »
des spectateurs, et les grands écrans de toile par des
écrans de télévision– parfois très grands -. Nous
avons dit « de façon onéreuse », nous aurions dû dire
de « façons onéreuses » au pluriel. Que la Télévision
soit à péage, à la demande, soumise à une redevance
ou subventionnée par l’état, les spectateurs qui se
confondent de fait avec la totalité de la population
payent, d’une manière ou d’une autre, le spectacle
télévisuel.
Citant la Télévision à la demande, nous faisons
sauter l’un des derniers verrous de la différenciation
fondamentale Cinéma – Télévision : le choix d’un
côté, le flux de l’autre.
C’est essentiel et cela mérite un développement.
« Choix » et « Flux » « Direct » et « Enregistré ».
Nous avons un peu triché dans nos définitions
précédentes.
Si nous nous étions placés au début des années
50, aux temps des balbutiements de la Télévision
et de l’âge d’or du Cinéma qu’aurions-nous écrit ?
Quelques chose plutôt proche de cela :
Quand je vais au Cinéma, je vais voir un spectacle
issu d’un art et d’une industrie ayant comme objet
de fixer, sur une pellicule, des sons et des images
de fiction ou de documentaire, selon un langage
artistique qui leur est propre, afin de les présenter
au public dans des projections payantes organisées
dans des salles aménagées d’un écran, à cet effet.
Et quand je regarde la télévision, je vois un spectacle issu d’un art et d’une industrie ayant comme
objet diffuser en direct des sons et des images de
fiction, de documentaire, de variétés, de théâtre ou
d’actualité, selon un langage artistique qui leur est
propre, afin de les présenter au public en direct, chez
lui, sur un écran cathodique, conçu à cet effet.
Les deux mots essentiels sont « fixer » et « direct ».
Le Cinéma fixe l’objet de son art sur une pellicule,
il redécoupe ce qu’il a filmé et l’assemble selon
un montage, puis procède au tirage de copies en
nombre illimité destinées à être projetées – en fin
de compte – indéfiniment à des groupes restreints
de spectateurs.
La Télévision, à l’origine, saisit, sans pouvoir
le fixer, l’objet de son art en direct et le transmet,
en l’état, instantanément à tous ses spectateurs.
Même quand la télévision disposera du magnétoscope, fin des années 50, elle ne pourra pas monter
ses images. Elle attendra, pour cela, la fin des
années 70. La règle, même pour les fictions est
le direct. Quand la télévision va à l’extérieur et
quand elle veut pouvoir monter ses plans, elle
utilise le Cinéma, même pour les actualités où
le 16mm règne en maître, jusque vers la fin de la
décennie 70. Même le télécinéma qui transforme
le cinéma en signal télévisuel est souvent « lancé » en direct.
La Télévision est donc marquée, par son histoire,
comme étant l’art du direct. Elle est par essence
une activité de luxe. Son langage s’exprime par la
commutation de sources simultanées et non par le
montage de plans tournés successivement.
Il y a donc bien à l’origine deux arts, proches l’un
de l’autre, mais absolument distincts dans leurs technologies et dans les langages que ces technologies
leur autorisent. On saisit bien ce que la dictature du
direct peut comporter comme contraintes, mais aussi
comme sources de talents, pour la fiction. Il y a bien
deux arts distincts mais qui se mêlent très vite. La
Télévision se sert du Cinéma pour créer des fictions,
notamment en extérieur, selon des formats de durée
qui lui sont propres et des modes narratifs qu’elle
revisite ou qu’elle invente comme le feuilleton ou
la série. Il y a bien deux arts, mais qui ne vivent pas
dans des univers clos et totalement distincts l’un de
l’autre. En revanche pendant longtemps, il existe
deux économies, deux professions et deux types de
relations avec le public.
MAROC
diplomatique
Au Cinéma, je « choisis » mon film. A la
Télévision je regarde le « flux » que l’on me diffuse.
Certes… A l’origine.
Cela demeure pour le Cinéma, mais ne devient
plus tout à fait aussi vrai quand cesse l’époque de
la chaîne de Télévision unique. Avec deux chaînes,
j’ai un choix, avec trois plus encore. Avec cinq,
dix, vingt, cent, deux cents, j’en ai largement plus
que dans les salles de Cinéma de l’immense majorité des villes ! Avec la Télévision à la carte, avec
–avant- le magnétoscope enregistreur, avec le replay, avec l’affranchissement à l’égard du temps,
même au sein du flux, la distinction «Cinéma-univers-du-choix » / « Télévision-dictature-du-flux »
a cessé d’exister.
Pellicule et vidéo
Ces derniers temps, outre l’exploitation en salles,
on s’est accroché pour distinguer le Cinéma de la
Télévision à la différence fondamentale de leurs
supports et, donc, de leur matériel, de leurs performances, de leurs nuances, de leurs grains, de leurs
personnels en fin de compte.
Aujourd’hui, tout cela vient de disparaître en
quelques années. Le Cinéma se tourne en vidéo
numérique, se projette en salle par des vidéoprojecteurs qu’alimentent des disques durs chargés
à distance par transfert de fichiers lourds codés et
programmés pour un nombre donné de projections.
Les laboratoires ferment. On ne fabrique quasiment plus de pellicules. Le Cinéma argentique est
mort dans son usage industriel. Il ne demeurera
bientôt plus qu’à l’état de nostalgie où de procédé
spécial, accompagnant une lubie de réalisateur et
de producteur, au même titre que le noir et blanc
ou les disques vinyles.
Nous ne pouvons même pas accrocher nos nostalgies et nos velléités de résistance à tels aspects
de la couleur ou du grain, à tel piqué de l’image
ou imperfection si forte en émotions artistiques. Il
n’y a rien que le numérique qui ne puisse imiter à
la perfection qui ce qu’était l’argentique…rien, au
moins, qui soit perceptible sur un écran, rien qui ne
soit perceptible par le public.
La cause est donc entendue. Il ne faut pas compter
sur la technique pour différencier Cinéma et Télévision. Dotés des mêmes matériels, les professions
tendent à s’unifier, de même que les langages et les
démarches artistiques.
Economie et production. Qui a les spectateurs a
l’argent et le pouvoir. Rappelons-le, en même temps
que des activités artistiques, Cinéma et Télévision
sont des activités industrielles et commerciales.
Sauf à la marge, la création audiovisuelle, au sens
large, met en œuvre des personnels nombreux et
des équipements onéreux sur des temps longs ou
très longs. Sauf à la marge, il n’existe pas de possibilité d’une expression artistique audiovisuelle
compatible avec une origine individuelle des fonds
nécessaires, si l’on exclut la mise à contribution de
grandes fortunes dont le Cinéma qui a, en effet, largement profité pour accoucher de quelques grands
chef-d’œuvres.
Cela implique que, pour l’essentiel, il faut beaucoup d’argent pour faire une œuvre d’art audiovisuelle, parfois énormément, voire plus. Le corolaire de cette affirmation confirmée est qu’il faut
pouvoir placer beaucoup de spectateurs en face
de ces œuvres d’art, souvent énormément, voire
plus. Il existe encore des films dont le nombre de
spectateurs en salles est largement suffisant pour
justifier les budgets engagés et même dégager d’importants bénéfices. Il existe même de tels films dans
des pays, comme la France, qui ne disposent pas
d’une zone de chalandise importante. Il ne semble
pas que cela puisse exister au Maroc, eu égard à
l’équipement en salles et à leur fréquentation. On
suppose que ce n’est ni par hasard ni sans malice
qu’est employé le terme de « zone de chalandise ».
C’est bien une provocation et elle est faite à dessein.
Dans quel dessein, justement ?
Celui de proposer un consensus sur l’idée qu’il ne
MÉDIAS
saurait exister de production variée et nombreuse,
sans un honnête équilibre financier, dans la production audiovisuelle prise dans son ensemble, entre
les dépenses et les recettes.
Certes les Etats peuvent subventionner leur cinéma.
Certes on a inventé des mécanismes qui favorisent une certaine liberté à l’égard des exigences
économiques. Elles sont une chance pour les pays
qui en disposent. Elles sont à défendre et à étendre.
On voit d’ailleurs que les seuls pays - ne disposantpas «d’une zone de chalandise» très importante
ou, dit autrement, d’un public potentiel très nombreux - qui parviennent à faire exister un cinéma
national vigoureux et créatif, sont ceux, justement,
où existent ces mécanismes : Centre National de la
Cinématographie en France ou Centre du CinémaMarocain, par exemple.
Ailleurs, là où la loi et la rigueur du marché
s’appliquent sans régulation, le Cinéma national
ne survit pas ou ne survit qu’appuyé sur la Télévision. Le Cinéma mondial, sinon, ne serait dominé
que par les grands pays à commencer par les USA
et l’Inde, par Hollywood et Bolywood. Il faut bien
cependant se convaincre que les aides de l’état,
comme les mécanismes de péréquation aussi bien
que la loi économique, supposent des spectateurs
devant les œuvres créées. Une fois la part faite des
échecs involontaires et des nécessaires œuvres expérimentales, qui pourrait imaginer une industrie
audiovisuelle fonctionnant sans la caution d’un public assez large pour justifier la mobilisation des
ressources mises à sa disposition par la société?
La société produit des richesses
qu’elle réinvestit, pour une certaine partie, dans la création
d’œuvres d’art audiovisuelles
Pour que ces oeuvres d’art soient considérées
comme effectives par la société, il faut bien qu’elle
ssoient vues. Il y a nécessairement un rapport entre
la quantité du public et la quantité des richesses
mobilisables pour l’art. Sans public, Cinéma et
Télévision procéderaient de l’abus de bien social,
avec tout ce que cela comporte d’opprobre attaché
à cette mauvaise action. Comme il n’est pas juste
de faire payer à tous le plaisir de certains, l’accès à
l’art audiovisuel est payant à l’unité ou au forfait,
mais il est payant. Il n’est donc pas illégitime de
parler de « zone de chalandise » pour l’industrie
audiovisuelle. Où sont les spectateurs ? Dans
les salles ? Oui, heureusement, mais rarement en
nombre suffisant pour amortir le coût des films et
assurer un équilibre économique à une industrie
employant des millions de personnes, à travers le
monde. S’il n’existait que les spectateurs en salle, il
y a longtemps que tous les films exploités seraient
américains ou indiens. La Télévision est un gigantesque exploitant cinématographique. C’est elle qui
procure l’essentiel de ses spectateurs à l’industrie
cinématographique. C’est elle aussi qui apporte à
l’industrie cinématographique les fonds sans lesquels elle serait réduite à quelques films par an.
Economiquement, il n’existe plus, aujourd’hui, de
Cinéma – sauf quelques filières marginales – distinct dans ses mécanismes économiques et, donc,
dans ses décisions de production et dans ses choix
artistiques, indépendamment de la télévision. Ils
fonctionnent ensemble dans un mécanisme vertueux de collaboration entre les producteurs de
« cinéma » et les producteurs de « télévision ».
Penser autre chose relève du refus de réalité.
Mêmes technologies, même langage artistique,
mêmes financements… Tourné avec les mêmes
caméras, monté sur les mêmes machines, financé
par les mêmes producteurs que la Télévision, le
Cinéma ne peut plus revendiquer une totale différence d’avec elle. Les deux activités se rapprochent
à la vitesse de deux comètes promises à une fusion
fértile. Et pourtant nous parlerons encore longtemps
de Cinéma et de Télévision Tant qu’il existe encore des spectateurs se rendant dans une salle de
Cinéma, il existe un mode d’émotion artistique et
une économie qui peut porter le nom de Cinéma,
même si le film vu est co-produit par une chaîne
de télévision qui le projettera plus tard ou qui le
projette en même temps.
Tant qu’il existe d’immenses écrans en toile, il
existe quelque chose qui s’appelle Cinéma, même
si les écrans de Télévision grandissent à l’extrême
et que la taille de l’écran n’a de sens qu’en fonction de la perfection de son image et de la distance
du spectateur à cette image. Tant qu’il existe une
profession avec ses codes, ses habitudes, ses talents, ses logiques, il existe un univers créatif qui
s’appelle le Cinéma, même si cette profession ne
subsiste que grâce à l’apport financier de la Télévision et compte sur elle pour lui apporter ses plus
gros bataillons de spectateurs. Tant qu’il existe des
créations artistiques dont les modes de langages, les
rythmes, les habiletés narratives, les talents d’interprétation, les fulgurances de réalisation proviennent
de ce qui a été inventé, perfectionné et perpétué
par ce qui s’appelait le Cinéma, il existe de plein
droit un art Cinématographique, même si celui-ci
doit être partagé fraternellement avec les créations
que la télévision fait pour elle exclusivement, selon des standards correspondants à ses grilles de
programmes. Ce qui ne peut plus exister, c’est un
cinéma en bonne santé distinct de la Télévision.
Ce qui ne peut exister, c’est un Cinéma en guerre
contre la Télévision. Ce qui ne peut exister, c’est
un Cinéma méprisant à l’égard de la Télévision.
Le Cinéma a su, le premier, s’approprier le grand
public, alors que la Télévision, techniquement née
avant lui s’attardait dans les laboratoires, faute de
disposer d’un récepteur apte techniquement et financièrement à équiper progressivement tous les
foyers du monde. C’est sur cette captation du grand
public que le Cinéma a fait sa fortune et a construit
son art et ses techniques.
Pour que ces oeuvres d’art soient
considérées comme effectives
par la société, il faut bien qu’elle
ssoient vues. Il y a nécessairement un rapport entre la quantité du public et la quantité des
richesses mobilisables pour l’art.
Sans public, Cinéma et Télévision procéderaient de l’abus de
bien social, avec tout ce que cela
comporte d’opprobre attaché à
cette mauvaise action.
Aujourd’hui, la Télévision a récupéré et étendu à l’extrême le grand public. C’est elle qui a, en
conséquence, la légitimité de produire et de diffuser
en masse, le merveilleux spectacle en deux dimensions, de personnages réels ou de fiction dont nous
suivons la vie et les aventures avec une passion
toujours renouvelée. Elle permet au Cinéma de
se perpétuer. Qui s’en plaindra ? Qui choisira les
querelles byzantines et le mépris romain, à l’égard
de ce prodigieux outil de diffusion artistique qu’est
la télévision, sur une étendue géographique et pour
un nombre de spectateurs inimaginable pour les
hommes qui ont inventé le Cinéma.
Il y a quelque chose d’un peu vain à s’accrocher
au pré-carré cinématographique comme à une dignité, en risque d’être perdue par ceux qui se commettraient avec la Télévision. Il y a un risque d’y perdre
plus que sa nostalgie, mais bien sa raison d’être et
les moyens de créer. Quelle différence cela fait-il
que la projection procède d’un support argentique
ou numérique ? Quel réalisateur va renoncer à son
art pour cela ? S’il en est un, tant pis, tout est dit pour
ce qui est de l’équipement des salles de projection.
Elles seront toutes numériques avant cinq ans.
AVRIL 2016
25
Quel déshonneur peut-il y avoir à produire son
art devant des spectateurs parce qu’ils sont assis
dans leur fauteuil personnel bleu, plutôt que dans
le fauteuil rouge d’une salle de Cinéma ? S’il faut
cesser de faire des films pour cela, annonçons notre
dernière bobine, parce que nombre de films n’ont
plus que des fauteuils rouges anecdotiques à opposer à des dizaines de milliers et des millions de
fauteuils multicolores disséminés dans les salons
domestiques de dizaines et de dizaines de milliers
de foyers, à travers le monde.
L’amour du Cinéma, c’est l’amour du langage cinématographique, c’est la passion des geysers d’émotions que fait jaillir une réalité ou une fiction racontée
en deux dimensions, sur un écran quel qu’il soit.
Et après ?
Après, c’est déjà maintenant. Croit-on que la
répétition, dans ce texte, des termes « en deux dimensions » soit une inélégance involontaire ?
Arrive la projection holographique qui placera en
trois dimension réelles – pas l’illusion actuelle proposée par nos lunettes rouges et bleues – la seconde
guerre mondiale sur le tapis de votre salon. Qui peut
imaginer ce qui en résultera d’usages domestiques
ou d’usages collectifs surdimensionnés ? Qui sait
ce qui naîtra de la combinaison de l’interactivité et
de la projection holographique ? On peut ne pas
avoir le sentiment que l’urgence intellectuelle est
ailleurs que dans une querelle Cinéma / télévision.
Et après ? Mais « après » est déjà sur nos bureaux,
sur nos écrans d’ordinateurs. C’est internet l’après
à peine ébauché, commence déjà à bouleverser le
monde audiovisuel. Quelqu’un peut-il raisonnablement croire que le Cinéma pourra rester à l’écart,
protégé, dans une salle obscure ?
Déjà c’est internet qui lui achemine les copies
numériques qu’il projette. Déjà, les producteurs de
Cinéma, comme ceux de la télévision, ré-inventent
« les avances sur recettes » via internet. Ce sont les
spectateurs eux-mêmes qui fournissent les fonds
pour créer Film de fiction de Cinéma ou de Télévision, documentaires ou … ou ce qui s’invente déjà
au carrefour du jeu vidéo et du cinéma d’aventure.
Déjà internet devient Web-TV, déjà ses réalisations
sont interactives. La vie est là réelle et bouillonnante
qui submerge nos réticences, qui nous offre des
opportunités flamboyantes de création.
Dans l’Histoire, jamais ni l’art, ni les artistes n’ont
refusé de se servir des nouvelles techniques qui leur
étaient offertes. L’Histoire a toujours marginalisé
ceux qui s’opposaient à son cours. On tremble à
l’idée des talents qui s’autodétruiraient ou se marginaliseraient par refus d’écrire de nouveaux chapitres
de la création artistique. Quel gâchis ce serait que
de perde un seul des talents qui font notre richesse
aujourd’hui. Quelle erreur ce serait que les structures qui portent, animent, irriguent la création cinématographique –au sens déjà dépassé du terme
– ne procèdent pas, dans leurs missions, dans leurs
structures, dans leurs règlements et dans leurs fonctionnements, aux évolutions nécessaires à l’avenir
de leur rôle d’avant-garde. Ce qui s’annonce est
gigantesque de potentialité.
Ce qui s’annonce mettra le public au centre de
tous les processus de production et de création.
Moins que jamais on ne peut imaginer que l’art
puisse se justifier par le plaisir de ceux qui le créent.
Plus que jamais, il faudra créer pour le public qui
s’impliquera dans tous les mécanismes d’accomplissement de l’œuvre. Vite, vite, vite repensons la
création audiovisuelle de masse et celle d’avantgarde ! Vite, vite, vite rêvons ! Et si on pouvait
échapper, grâce aux voies nouvelles qui s’ouvrent
devant nous, à ce que la logique bassement commerciale a d’inhibant pour une création de qualité
ouverte au plus large public ? Et si le Cinéma des
petits et moyens pays producteurs d’œuvres avait
tout à y gagner ? Vite, ne nous préoccupons plus
que de l’avenir de l’art audiovisuel et cinématographique. Il n’y a pas d’autre moyen de le vivre
aujourd’hui.n
26
MAROC
diplomatique
COHABITATION RELIGIEUSE
AVRIL 2016
UN DÉBAT À L’ACADÉMIE DIPLOMATIQUE INTERNATIONALE À PARIS
Islam contre radicalisme :
l’approche du Maroc
« Pour les adultes,
le Royaume du Maroc
opère, à travers le Conseil
supérieur des oulémas,
les conseils locaux des
oulémas, la Rabbita Mohammedia des oulémas,
l’université
Al Quaraouiyine afin
d’assurer un encadrement
qui permet l’accès à une
connaissance religieuse
non minée, sans oublier
le travail essentiel
de qualité et de fond, qui
s’opère au niveau des
confréries soufies
du Royaume. Pour ce qui
est des outils légaux,
le Royaume du Maroc
dispose, comme tout
autre pays, de son
arsenal juridique qui
intègre des lois prévenant
l’extrémisme, mais dans
le respect des droits de
l’homme, étant conscient
que ces derniers peuvent
être bafoués dans
la mêlée du combat
contre l’extrémisme ».
Le réveil religieux et la résurgence de radicalités avec leurs impacts géopolitiques ont
gravement faussé la perception de l’Islam,
créant un rapport de malaise avec la 3ème
religion monothéiste, voire de fortes tensions.
On reproche aux musulmans de ne pas
prendre en charge l’islamisme et de ne pas
s’opposer à ceux qui font une lecture radicale de cette religion qui instrumentaliserait
la politique. Comment un pays comme le
Maroc a-t-il abordé cette réalité complexe
dans une approche de responsabilité et de
souci du vivre-ensemble ? Quels sont les clefs
de lecture proposées par ce pays et les arguments qu’il avance pour parler aux jeunes et
qui offrent une autre vision de l’islam où la
tolérance, le droit aux minorités religieuses,
L
le droit de cité pour les autres croyances, la
liberté de conscience, le respect de la femme sont garantis… ?
Comment le Maroc s’est-il attelé à déconstruire les discours fanatiques et les pratiques
d’un autre âge de ceux qui se nourrissent de
haine de l’Autre et qui font tout pour attirer
les jeunes et favoriser le passage à la violence ?
Face à l’immense défi - devenu risque potentiel -de certaines organisations terroristes
qui s’inscrit dans le temps, l’approche sécuritaire est certes indispensable mais est-elle
suffisante ? Pour y répondre, le Maroc a engagé un travail de fond, d’explication et de
formation aux réalités de l’Islam qui est en
accord avec les valeurs de l’islam de tolérance
, de paix et de respect des religions comme l’a
mis en évidence la déclaration de Marrakech
de fin janvier sur « les droits des minorités
religieuses ». En travaillant à partir de ce
référentiel qui tient compte du contexte qui
appelle à des révisions courageuses, en interaction et en coopération avec les adeptes des
autres religions, en faisant cohabiter l’héritage
avec la modernité, le Maroc ouvre quelques
pistes de réflexion dans ce sens. Il construit ses
réponses avec des atouts qui sont les siens et
qui reposent sur un magistère moral, celui de
la Commanderie des croyants et une profonde
connaissance des dogmes et de la pratique religieuse de l’islam. A travers cette approche qui
a été décryptée au cours de cette conférence le
Maroc a « quelque chose à dire » qui mérite
d’être entendu.
Intervention de Chakib Benmoussa, ambassadeur du Royaume du Maroc en France :
e Maroc travaille sur le long
terme à partir d’une stratégie
multidimensionnelle :
Cette rencontre se tient à un moment
des plus douloureux marqué par les
derniers événements qui ont touché
plusieurs pays : La France, la Turquie,
la Tunisie, la Côte d’Ivoire, le Mali,
le Burkina Faso, la Syrie , la Lybie, le
Pakistan et bien sûr plus près de nous
la Belgique. Des événements bouleversants qui ravivent le douloureux souvenir du 7 Janvier et 13 Novembre 2015
en France, qui ont provoqué souffrances
et sidération. Ces attentats on le voit,
touchent des régions du monde entier
et installent les sociétés dans un climat
de peur et de guerre de long terme. Ils
nous interpellent tous et exigent une
détermination et une mobilisation sans
faille pour lutter contre ces nouvelles
formes de violence des plus meurtrières.
L’Académie Diplomatique Internationale nous accueille dans ce lieu
prestigieux où nous allons aborder
un thème peu traité jusque là, au sein
de cette institution. Il reste qu’aujourd’hui le « fait religieux » est un
des éléments d’analyse et de compréhension de la diplomatie et des crises
internationales.
On connaît la phrase d’André Malraux
en quête de spiritualité : « Le XXI siècle
sera religieux ou ne sera pas », et l’on
constate le rôle croissant de la religion
dans la vie internationale et dans les
conflits à travers le monde. Le Centre
Pew Research Center, Think-tank de recherche américain reconnu pour la qualité de ses statistiques démographiques
religieuses à l’échelle mondiale, rappelle
dans une récente étude qu’aujourd’hui
plus de 30 pays sont touchés par des
conflits religieux, ce qui a entraîné près
de 20 millions de personnes déplacées
et des milliers de morts. Alors que dans
certaines régions, la tendance est à la
sécularisation et à l’autonomisation par
rapport à la religion. Le fait religieux fait
un retour de plus en plus remarqué en
Afrique et en Méditerranée. Cette dynamique à l’œuvre qui multiplie ici et
là les lignes de fractures et fait exploser
le terrorisme est en grande partie due à
l’instrumentalisation, comme c’est le
cas dans l’Islam. D’où le thème choisi :
« Islam contre radicalisme : l’approche
du Maroc ».
Le Maroc qui a subi les attentats de
Casablanca, en mai 2003, a pris très
tôt la mesure des périls en travaillant
sur le long terme : restructuration et
réforme du champ religieux, investissement dans l’éducation religieuse
qui doit être adossée aux valeurs de
la tolérance , le respect et le droit des
minorités et autres religions, mise en
contexte du texte religieux en accord
avec son message initial … déconstruction du discours radical. Il s’agit
là d’une stratégie multidimensionnelle
mettant également en exergue une politique sécuritaire et une lutte contre
le terrorisme qui fait appel à la coopération internationale.
Toutes ces questions qui ont pris
aujourd’hui dans nos sociétés en quête
de sécurité, une grande importance
sont abordées par nos intervenants
qui ont développé des recherches
fines sur l’islam et la radicalisation,
répondant ainsi à une forte demande
des pouvoirs publics et de la société.
Il s’agit de nous aider à comprendre,
décrypter, analyser, disséquer pour
lutter et agir contre tous les processus de radicalisation et toutes formes
de violence d’inspiration religieuse.
Cinq questions à Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Rabita Mohammadia des Oulémas
Ahmed Abbadi : « Lorsqu’un individu, ou un groupe d’individus, commence
à penser qu’il est l’émanation de la rectitude, de la droiture et de l’islam véritable ;
que le reste de la société n’est plus dans
les normes de l’islam ; qu’il doit remettre
de l’ordre (son ordre) dans ce qu’il perçoit comme un chaos religieux ; qu’il
doit propager de nouveau la charia ; qu’il
commence à évoquer des concepts tels
que la loyauté et la déloyauté (« Al Wa-
Bio-express
Membre du Conseil
économique, social
et environnemental
chérifien, docteur
d’État en études
islamiques de l’université Cadi Ayyad
de Marrakech où
il enseigne l’histoire comparée des
religions et la pensée
islamique, Ahmed
Abbadi assure
également des cours
comme professeur
de sociologie de
l’Afrique du Nord
dans le cadre d’un programme de coopération entre l’université Cadi
Ayyad et l’université De Paul de Chicago. Autant dire que sa parole est
attendue dans le contexte explosif actuel du radicalisme islamique grandissant. Il s’est confié au «Point Afrique».
laa wal Baraa »), ceux de l’appartenance
au domaine de l’islam (Dar el-Islam) ou
à celui de l’hérésie (Dar el-Harb) ; qu’il
puise sa réflexion au coeur d’une lecture
rigide de la codification de la religion ;
et, enfin, qu’il commence à se structurer
pour passer à l’action le radicalismel’emporte.
Le Maroc est un pays symbole de
l’islam modéré. Que fait-il des courants
rigoristes sur son territoire qui semblent
s’inspirer de l’islam wahhabite ou de
même nature ?
Le Royaume du Maroc travaille, à cet
égard, sur trois plans complémentaires.
Le premier plan, c’est de faire connaître
l’islam original, ouvert et modéré dans
ses dimensions doctrinales, rituelles et
spirituelles. Le deuxième plan, c’est de
déconstruire le discours « rigoriste » et
d’offrir un discours alternatif. Celui-ci
doit être porté par des oulémas habilités, ce qui permet un dialogue direct ou
indirect souvent fructueux avec les «
rigoristes ». Le troisième plan, c’est de
structurer le champ religieux, sur le plan
institutionnel et sur le plan de son contenu, afin de ne pas laisser de vide passible
d’être infiltré par l’extrémisme.
Quels sont les outils pédagogiques
mais aussi légaux que déploie le
royaume pour prévenir et contenir les
courants qui mènent à l’extrémisme
religieux ?
Le Royaume du Maroc utilise des outils
pédagogiques tenant compte à la fois de
l’âge, mais aussi de la maturité et de l’engagement sociétal. Comme, des bandes
dessinées, des jeux vidéo et de l’éducation
pratique par le biais de clubs et sur le Net,
des clubs animés par des enfants encadrés.
Pour les jeunes, le Royaume table surtout
sur le développement de capacités permettant aux jeunes leaders d’avoir une
influence positive sur leurs semblables.
Cela au travers d’une certaine sensibilisation dans l’approche des sites et des
blogs spécialisés, mais aussi du travail de
terrain dans les lycées, les universités, les
associations, les mosquées et les maisons
de jeunes. Pour les adultes, le Royaume
du Maroc opère, à travers le Conseil supérieur des oulémas, les conseils locaux
des oulémas, la Rabbita Mohammedia
des oulémas, l’université Al Quaraouiyine
afin d’assurer un encadrement qui permet
l’accès à une connaissance religieuse non
minée, sans oublier le travail essentiel de
qualité et de fond, qui s’opère au niveau
des confréries soufies du Royaume. Pour
ce qui est des outils légaux, le Royaume
du Maroc dispose, comme tout autre pays,
de son arsenal juridique qui intègre des lois
prévenant l’extrémisme, mais dans le respect des droits de l’homme, étant conscient
que ces derniers peuvent être bafoués dans
la mêlée du combat contre l’extrémisme.
Le Maroc a une radio ainsi qu’une
télévision religieuse. Est-il envisagé aujourd’hui de leur trouver ou de donner
des canaux de diffusion dans les pays
subsahariens pour poursuivre sur les
ondes la bataille de la formation ?
Si le Royaume du Maroc est sollicité
pour ce faire, il n’épargnera certainement
aucun effort pour arrêter les meilleures
formes et modalités pour entrer dans un
partenariat médiatique, à cet égard, avec
nos frères et sœurs subsahariens.
Êtes-vous optimiste quant à la victoire
de l’islam modéré dans la zone soudano-sahélienne ? Si oui, pourquoi ? Sinon, pourquoi ?
Vivement oui, parce que le pouvoir de
conviction de la modération est un «soft
power» très efficace prouvé tout au long
de l’histoire de l’humanité. Quatre dossiers d’envergure doivent être instruits
comme des variables lourdes de cette
équation complexe. Le premier est celui des griefs qu’on peut résoudre par le
biais d’un large mouvement international
– très faisable – d’équité, de réconciliation et de réparation de dommages. Le
deuxième dossier réside dans la nécessité de permettre aux États de la région
de développer des projets sociétaux qui
font rêver de manière à surpasser en magnétisme ce qu’offrent les extrémistes
et à favoriser davantage l’engagement
de la jeunesse. Le troisième consiste à
adopter des approches d’évaluation intégrant des indices, des indicateurs et des
critères utiles pour démystifier les prétentions des extrémistes sur « l’islamicité » de leur prétendu État. Le quatrième
dossier touche la formation continue des
ressources humaines religieuses disponibles dans la région (5 millions environ).
Il s’agit de développer leurs capacités et
leur efficacité avec des programmes de
formation à même de faire face aux défis
de la radicalisation. n
Propos recueillis par
Malick Diawara (Point Afrique)
MAROC
diplomatique
PORTRAIT
AVRIL 2016
27
Bahija Simou, la gardienne
d’une mémoire collective
Par Souad Makkaoui
D
e génération en génération, nous
avons besoin de renouer le fil
avec le passé pour pouvoir se
repérer et avancer. Pour cela, nous avons,
avant tout, un devoir d’histoire et de rappel. Tant et si bien que si nous voulons
vraiment être les acteurs de notre propre
avenir et encore plus de notre présent,
nous devons bien commencer par explorer le passé pour que nous puissions
y puiser nos ressources, nous en imprégner, comprendre d’où nous venons et
où nous allons. L’Histoire est le socle de
ce que nous bâtissons. Quand nous comprenons le passé, il nous est plus aisé de
nourrir l’explication du présent et d’agir
sur le cours des événements.
Cela Bahija Simou l’a bien saisi sachant que l’Histoire est, par essence, une
constante et une science de la connaissance et que l’ignorer, nuirait au présent.
Et car comme dirait François Mitterrand
«Un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité», elle en fait sa foi et se jure de rendre
ses droits à l’Histoire en se faisant la
mémoire marocaine pour une Histoire
partagée.
Une femme au cœur
de l’histoire militaire
marocaine
Foisonnant d’Histoire, le parcours de
Bahija Simou, qui n’a pas choisi la facilité, est peu commun pour une femme de
défis qui a pu, non sans peine, s’imposer dans un milieu strictement restreint,
masculin et viril où une place ténue est
faite aux femmes. Après son baccalauréat, elle obtient une licence en Histoire
de la faculté des Lettres et des Sciences
humaines de Fès avant d’obtenir un DEA
de l’Université Franche-Comté Besançon. Titulaire d’un doctorat d’Etat français en Histoire, à la Sorbonne et d’un
deuxième doctorat d’Etat en Histoire à
l’Université Mohammed V de Rabat, elle
est professeur d’Histoire contemporaine
à la Faculté des Lettres et des Sciences
humaines de Mohammedia (1987-1996).
Cette passion pour le livre et le savoir,
Bahija Simou l’a certainement puisée
dans son attachement à sa mère. Cette
femme qui n’a jamais été à l’école mais
qui a rêvé d’un avenir meilleur et lumineux pour sa fille. Un vœu dont la jeune
fille fait le moteur d’un cursus empreint
de savoir et de science. De l’Histoire de
l’Armée marocaine, elle fait une gageure
qu’elle honore avec passion, intelligence
Aujourd’hui, disposant
d’une brillante carrière
dans le domaine de
la recherche universitaire
et dans la promotion
des projets à caractère
culturel et scientifique,
cette historienne
de renom, spécialiste
de l’Histoire militaire
marocaine, occupe
la fonction de directrice
des Archives Royales
entièrement numérisées
depuis qu’elle est
aux commandes.
et talent. Lire, comprendre, analyser deviennent sa devise voire son mode de
vie. Elle publie alors «Les réformes
militaires au Maroc de 1844 à 1912»,
«Frères d’armes, mémoire marocaine
d’une histoire partagée», «L’armée
marocaine, traditions et ouverture».
Aujourd’hui, disposant d’une brillante
carrière dans le domaine de la recherche
universitaire et dans la promotion des
projets à caractère culturel et scientifique,
cette historienne de renom, spécialiste de
l’Histoire militaire marocaine, occupe
la fonction de directrice des archives
Royales entièrement numérisées depuis
qu’elle est aux commandes. L’administration qu’elle dirige depuis 2008 avait
vu le jour en 1975, année de la Marche
Verte et du retour des provinces du Sud
à la mère patrie. Mais Bahija Simou
est également membre permanent de
la Commission marocaine d’Histoire
militaire et membre correspondant de
l’Académie des Sciences d’Outre-mer.
Son passage par la ville lumières et particulièrement le quartier latin imbriquera
son empreinte dans sa vie et sa carrière.
Son ouverture sur ce monde nouveau
orné de peintures, de sculptures et de
musique qui ponctuaient ses journées,
l’inspiraient et la poussaient à découvrir
le patrimoine culturel et civilisationnel
séculaire en citoyenne du monde avide
de connaissance, de valeurs ancestrales
en vue de faire de leur diversité et leur
pluralité une richesse en partage. Elle
explore alors d’autres horizons dont la
muséologie et le domaine archivistique.
Plus tard, au Maroc, elle fera de sa vie, le
prolongement de sa passion et son nom
se fera l’écho du patrimoine. Au Musée
Mohammed V ou à l’exposition «Mohammed V-De Gaulle, compagnons de la
Libération» C’est son nom qui résonne.
Au Musée des Invalides, à Paris, elle est
Commissaire de l’exposition organisée
dans le cadre du Temps du Maroc, sous
le thème «L’Armée marocaine, traditions et ouverture». Par la suite, elle
organise une autre exposition dédiée à
«Leclerc au Maroc» au Musée Leclerc.
«La Dame des Archives» multiplie
missions et titres, elle est chef du groupe
de recherche sur les relations maroco-italiennes à l’Université Hassan II de Mohammedia, membre de l’Association
des historiens de la Méditerranée dont
le siège est à Rome, membre de la bibliographie de la Commission internationale
d’histoire militaire basée à Berne et chef
de département de la recherche scientifique et historique à la Commission marocaine d’histoire militaire, domiciliée
à Rabat.
Ecrire pour une
mémoire historique
commune
Nourrie de savoir et de connaissances
denses et intarissables, puisés dans la
mine d’information où elle évolue, riche
d’études, de recherches et de manuscrits
de valeur qui rythment ses journées, et
armée d’engagement permanent et de
rigueur scientifique, cette femme imbattable sur l’histoire du Maroc , gardienne
d’une mémoire collective de tout un
pays, ne pouvait garder ce trésor pour
elle seule, surtout que l’écriture documentaire est l’une de ses forces multiples.
Ainsi, elle gratifie le champ de l’édition
historique de ses ouvrages, références
phares dans l’Histoire militaire marocaine. Elle fait donc paraître un ouvrage,
d’un millier de pages, en trois tomes haut
de gamme, publié en arabe, intitulé «Le
Bahija Simou.
«La Dame des Archives»
multiplie missions
et titres, elle est chef
du groupe de recherche
sur les relations marocoitaliennes à l’Université
Hassan II de
Mohammedia, membre
de l’Association
des historiens de la
Méditerranée dont le siège
est à Rome, membre
de la bibliographie de
la Commission
internationale d’histoire
militaire basée à Berne
et chef de département de
la recherche scientifique
et historique à la
Commission marocaine
d’histoire militaire,
domiciliée à Rabat.
Sahara marocain à travers les archives
Royales» où elle lègue des témoignages
sans précédent à la valeur inestimable qui
contribuent fortement à sceller la vérité
sur les liens immuables et indissolubles
entre le Maroc et son histoire qui retrouve
ses sources dans les fins fonds des provinces sahariennes. Dans cette œuvre,
outil précieux de référence, l’historienne
ne raconte pas mais explique en apportant des preuves et des éléments historiques qui prouvent que la géographie
et l’histoire sont liées. En caressant ses
précieux documents, elle leur chuchote
ses interrogations, les interpelle, fait parler l’Histoire et c’est ainsi qu’elle produit
son ouvrage colossal. Ce livre apporte
la preuve infrangible par des documents
jamais explorés jusqu’à lors, des manuscrits et autres correspondances inédites
de la marocanité du Sahara.
Ses recherches et travaux font désormais autorité. Ses livres, à la fois
scientifiques, historiques et savants,
comme L’allégeance, un pacte éternel
entre le Roi et le peuple (2011) et Le
Sahara marocain à travers les archives
royales (2012) constituent une matière
scientifique de première importance,
une documentation solennelle et riche
pour les fins partisans de politique, de
diplomatie et les chercheurs férus d’histoire, de droit, de jurisprudence en quête
d’une connaissance complète de sur la
question du Sahara dans sa profondeur, et
documents à l’appui. Traitant de l’étude
historique du Sahara marocain, l’ouvrage
confirme moyennant des preuves documentées et des éléments scientifiques
la marocanité du Sahara comme réalité
géographique et historique établissant
ainsi les liens solides et multiples unissant, à travers les siècles, les provinces
du Sud à l’ensemble du Royaume et
à ses Souverains qui se sont succédés
sur le trône. Et donc le prolongement
du Royaume et sa souveraineté sur les
provinces sahariennes est incontournable
puisque la Dynastie alaouite demeure
attachée aux tribus sahraouies par des
liens familiaux. D’ailleurs, dans «L’Allégeance, un pacte éternel entre le Roi
et le peuple», ce livre, richement documenté, Bahija Simou scrute et analyse
les fondements de la Baïâa, ce pacte
continuellement renouvelé entre le Roi
et le peuple, sa dimension et son évolution à travers le temps, autant historique
que politique. Pour rappel, elle cite les
actes d’allégeance adressés aux sultans
et aux rois par les tribus sahraouies. En
plus de la succession des dahirs relatifs à
la nomination des caïds ou des magistrats
au sein de ces tribus par les sultans. Et
comme l’Histoire n’omet aucun détail,
on ne peut ne pas mentionner les actes
qui concernent l’organisation des campagnes militaires, l’édification de différentes bâtisses, la collecte des impôts, la
sécurisation des routes commerciales et
la commercialisation des marchandises.
Un cheminement
reconnu et récompensé
Son parcours riche et impressionnant
lui a valu de nombreuses distinctions
prestigieuses, notamment au Maroc,
au Portugal, en Italie et en France. En
1997, elle obtient « le Mérite National,
Classe supérieure », en 2002, elle est faite
Chevalier dans l’Ordre des Arts et des
lettres de la République française avant
d’être nommée au grade de «Al Merito
della Republica italiana» en 2003. L’année 2006, lui rapportera le «Wissam Al
Arch de l’Ordre de Chevalier» et quatre
ans après, elle se voit décerner le grade
de Chevalier de l’Ordre National du
Mérite de la République française. Et ce
n’est qu’un échantillon des distinctions
et décorations qui couronnent le cheminement de cette femme grande dans sa
simplicité et sa discrétion et humble dans
sa puissance.
Dotée d’une grande expérience en
matière d’organisation d’activités culturelles, elle a souvent été désignée Com-
missaire de plusieurs manifestations
culturelles, en France et au Maroc, qui
laissent un écho architectural. On ne
peut donc imaginer le cinquantenaire
des Forces Armées Royales sans l’historienne. Entre étude, conception et scénographie, elle monte pas moins de 7 expositions pour retracer les 50 ans des FAR.
Ses nombreuses contributions aux colloques lui font une renommée qui transperce les frontières. Ses publications,
qu’elles soient dans la langue arabe ou
française constituent une référence de
taille dans l’Histoire du Royaume. Maroc médiéval, Sahara marocain, Baïâa,
relations du Maroc avec les autres pays,
réformes militaires, Armée marocaine,
Garde Royale, ces thèmes qui préoccupent les citoyens marocains et toute
personne s’intéressant à l’Histoire du
pays, trouvent leurs réponses chez la
première femme marocaine à être élue
membre de l’Académie des Sciences
d’Outre-mer à Paris et à être nommée
Chevalier de l’Ordre des Arts et des
lettres de la République française, elle
qui interroge les documents.
Consciente de son pouvoir et de son
devoir, celle qui préside aux destinées
des archives Royales, dépoussière
les archives, les remue, feuillette les
pages de l’histoire, la restitue, pose
des questions au passé pour aider à
comprendre le présent, jette son faisceau de lumière sur les zones d’ombre,
rafraîchit les mémoires et nous donne
à voir l’histoire passée. n
Elle fait donc paraître un
ouvrage, d’un millier de
pages, en trois tomes haut
de gamme, publié
en arabe, intitulé
«Le Sahara marocain
à travers les archives
Royales » où elle lègue
des témoignages sans
précédent à la valeur
inestimable qui
contribuent fortement à
sceller la vérité sur
les liens immuables
et indissolubles entre
le Maroc et son histoire
qui retrouve ses sources
dans les fins fonds des
provinces sahariennes.
28
MAROC
diplomatique
UN LIVRE, UN AUTEUR
AVRIL 2016
POLITIQUES CULTURELLES À L’ÂGE DU NUMÉRIQUE : L’EXEMPLE DU MAROC
«Sans y perdre son âme, le Maroc
devrait intégrer la mondialisation»
Propos recueillis par
Souad Mekkaoui
«L
L’identité plurielle
du Maroc aidant, il est
une terre d’ouverture
et de rencontres
interculturelles et donc
en mesure d’adopter et
de gérer une nouvelle
politique culturelle
qui allie tradition et
modernité et qui fait bon
usage des technologies
numériques, outil
de démocratisation
culturelle.
Un livre référence dans le
monde des politiques culturelles.
a rigueur, le souci du détail et la modernité qui
caractérisent cet ouvrage
sur les politiques culturelles en font
un instrument précieux pour chacun
d’entre nous. Je suis heureux à cet
égard que Nabil Bayahya, mon jeune
compatriote, m’ait fait l’honneur de
me demander de préfacer son ouvrage, m’apportant ainsi l’opportunité d’ajouter une contribution militante
à son travail, tout en poursuivant la
croisade qui est la mienne depuis
bien longtemps, pour faire partager
au plus grand nombre l’exceptionnel
potentiel du Maroc quand la culture
trouve sa place dans l’agenda de la
gouvernance».
C’est avec ces propos qu’André
Azoulay, conseiller du Roi Mohammed VI et président de l’Association
Essaouira-Mogador a entamé sa préface de l’ouvrage à grand succès, «Les
politiques culturelles à l’âge du numérique, l’exemple du Maroc », de Nabil
Bayahya, paru aux éditions Descartes
& Cie avec le soutien de Mazars.
Consultant, enseignant, chroniqueur
et écrivain, ce diplômé de Sciences
Po Paris se penche sur les politiques
culturelles et ne se contente pas
d’analyser leur origine et leur mise
en œuvre, mais va au-delà de la
prospection en proposant des pistes
appropriées à l’ère du numérique. Il
est évident que pour toute politique
culturelle, la culture est une richesse
humaine capitale qu’il faudrait exploiter tant pour la réussite personnelle
que pour la cohésion de la Nation,
afin d’en faire le moyen efficient susceptible d’ apporter une réponse aux
grands défis d’un monde contemporain souffrant de fractures profondes
et d’inégalités flagrantes. Or les nouvelles technologies s’en emparent et
faussent la donne à l’Etat qui se voit
écarter du champ.
Retraçant donc le parcours de la
culture et de sa mise en œuvre du
temps de Malraux à Jack Lang, Nabil
Bayahya creuse dans l’exemple ma-
rocain afin de nous procurer un modèle de politique culturelle qui puisse
s’adapter à l’ère de l’Internet. Le
Royaume ayant hérité d’une politique
culturelle décalée par rapport à la société et surtout par rapport aux enjeux
économiques, il est doté d’infrastructures mais les budgets ne suivent pas.
La révolution technologique quant à
elle peut donc la mettre en œuvre
et surtout à grande portée. D’autant
plus que l’identité plurielle du Maroc
aidant, il est une terre d’ouverture et
de rencontres interculturelles et donc
en mesure d’adopter et de gérer une
nouvelle politique culturelle qui allie
tradition et modernité et qui fait bon
usage des technologies numériques,
outil de démocratisation culturelle.
Le lecteur est pris dans une étude
approfondie qui démontre que
« la culture pour tous » prônée par
Malraux ou encore « la culture pour
chacun » préconisée par Lang, l’actuel
président de l’Institut du monde arabe
sont des dispositions appliquées selon
le pays, les circonstances du moment
et surtout l’enjeu politique.
En quoi alors, un pays émergent
comme le Maroc peut-il être un
modèle pour les politiques culturelles ? C’est ce que Nabil Bayahya
nous explique dans cet entretien
qu’il a bien voulu nous accorder.
l Maroc diplomatique : Vous êtes
consultant spécialiste des politiques
publiques, actuellement Exécutive
Partner en charge de la practice
Consulting au sein du cabinet international d’audit et de conseil Mazars.
Vous êtes également chroniqueur et
auteur de plusieurs publications en
France et au Maroc sur les questions
de gouvernance. Pourquoi ce livre et
pourquoi avez-vous choisi le Maroc
comme modèle ?
- NABIL BAYAHYA : Notre
époque est marquée par une fracture
culturelle profonde entre le nord et
le sud, entre l’Orient et l’Occident,
fracture qui est à l’origine des grands
dangers qui guettent notre planète. La
géographie comme l’histoire ont placé le Maroc à la frontière de ces deux
cultures qui s’affrontent aujourd’hui
plus ou moins ouvertement, ce qui devrait faire de sa politique culturelle un
laboratoire pour construire un monde
plus ouvert, tolérant, et prospère. Je
me suis alors demandé si les différents
gouvernements y étaient insensibles
ou si leurs tentatives avaient échoué
non par incompétence, mais pour des
raisons inhérentes à la nature même de
l’action culturelle.
l Dans votre livre, vous dressez
le tableau des différentes réformes
mises en place par les gouvernements
marocains successifs pour répondre
à des objectifs de démocratisation
culturelle. Aujourd’hui, quels sont
d’après vous les défis que doit relever la politique culturelle du Maroc
sachant que les inégalités sont plus
que flagrantes et que l’hétérogénéité
des classes sociales gênent incontestablement la cohésion nationale ?
- La politique culturelle du Maroc
remonte aux débuts du Protectorat,
lorsque sous l’impulsion de Lyautey
les Français ont délibérément séparé
les sociétés marocaine et européenne,
en cherchant à figer la première dans
un univers orientaliste fantasmé tout
en dotant la seconde de tous les loi-
sirs de la vie moderne,
du théâtre au disque en
passant par l’édition, la
radio et la télévision.
L’action culturelle a
ainsi fonctionné comme
un instrument de domination coloniale. Après
l’Indépendance, les
structures et les politiques sont restées les
mêmes, avec une élite
marocaine qui a remplacé l’élite européenne,
reproduisant la fracture
culturelle entre un Maroc pauvre, rural, et traditionnel, et une bourgeoisie urbaine aisée
et cultivée. Le défi est
donc de repenser les politiques culturelles afin
qu’elles servent à réduire
ces inégalités plutôt qu’à
les creuser.
Nabil Bayahya.
l Dans votre livre, vous parlez de
« la grande culture » et puis de «
culture pour tous », autrement dit,
vous en appelez à une démocratisation culturelle. Comment serait-ce
possible quand on fait de la culture
un outil de domination des élites ?
- C’est tout le problème. Le cycle
des politiques culturelles, analysé sur
une longue période, raconte l’histoire
d’une fuite en avant, où les tentatives
de réduire cette fracture culturelle
se retournent contre leurs auteurs,
quelles que soient leurs qualités ou
leurs bonnes volontés. Pierre Bourdieu a montré comment l’enseignement de la « grande culture » n’était
en fait que la promotion de la culture
de l’élite que cette dernière considère comme la seule vraie culture.
Il en conclut que la démocratisation
culturelle revient à faire accepter aux
classes populaires une échelle de valeurs où elles ne feraient qu’accroître
leur handicap à mesure qu’elles chercheraient à le combler. Mais quand à
l’inverse on a cherché à faire accepter
aux élites une égalité de traitement des
cultures populaires par rapport aux
«grandes cultures » avec le modèle de
la « culture pour chacun », on n’a fait
que maintenir les couches populaires
dans des pratiques culturelles considérées comme dégradantes en les privant
définitivement de l’ascenseur social.
Il n’en demeure pas moins que les
deux modèles ont chacun leurs success stories et qu’ils ont fait entrer des
artistes et intellectuels issus de milieux modestes au Panthéon des classiques. Cela signifie sans doute que la
politique culturelle ne doit pas viser
le nombre mais la qualité, et susciter
les vocations par l’exemple plutôt que
de formater une société tout entière.
Les paradigmes s’étant métamorphosés, quels sont l’apport et l’impact des nouvelles technologies sur
la politique culturelle ?
- La fracture culturelle s’explique par
un double mécanisme économique. En
premier lieu, certaines activités culturelles sont coûteuses et réservées de
ce fait aux élites. En second lieu - et
c’est ce qui explique l’échec des politiques de gratuité - certaines pratiques
culturelles, musées, pièces de théâtre,
musique, peinture, etc, nécessitent une
connaissance qu’il peut être compliqué
et donc coûteux pour certains d’aller
chercher, alors que d’autres l’acquièrent par leur milieu familial. Les
nouvelles technologies ont, en partie,
répondu à ce double défi, puisqu’elles
ont permis à chacun, pour un coût modique voire nul, de pratiquer un loisir
culturel et de s’y former, tant les outils
de création et de diffusion sont devenus
performants, et tant l’information sur
leur utilisation abonde sur le réseau.
D’une certaine manière, les nouvelles
technologies ont ainsi réussi en deux
décennies ce que les politiques culturelles ont cherché en vain à accomplir
en deux siècles.
l La politique culturelle que vous
prônez doit dépasser le cadre des
Etats et des nations qui, tout compte
fait, financent une culture élitiste
pour faire montre de plus d’efficience. Que voulez-vous dire par là?
- La culture se diffuse aujourd’hui
sur Internet, et Internet est transnational. Se limiter au cadre étatique est
alors non pas inefficient mais inefficace, comme le montre l’inadaptation
des lois sur les droits d’auteur, sur la
protection de la vie privée, ou sur celle
des intérêts de la Nation qui sont tout
simplement ignorés des internautes.
Seuls les grands opérateurs d’Internet
ont aujourd’hui cette capacité de mettre
en place des systèmes de régulation,
mais à la différence des Etats ils n’en
ont pas la légitimité. C’est pourquoi
les politiques culturelles de demain se
feront en coopération avec ces multinationales ou ne se feront pas, et pour
peser face à ces géants économiques,
l’entente entre Etats est indispensable.
Cela signifie que sur bien des sujets
il n’est plus possible de faire cavalier
seul. La question pour un pays comme
le Maroc est alors de peser dans ces
discussions qui seront dominées par
les grandes puissances économiques
et culturelles que sont les Etats-Unis,
l’Union européenne, et même la Chine
ou la Russie qui ont chacune leur
propre vue sur la question.
l Pensez-vous que le Maroc devrait prendre la France comme modèle sachant que la politique culturelle du Royaume s’est construite sur
le modèle français, imposé sous le
protectorat ? Quels en sont les selon vous les côtés positifs et les côtés
négatifs
MAROC
diplomatique
UN LIVRE, UN AUTEUR
AVRIL 2016
29
A chaque époque sa politique
culturelle donc, et notre époque
n’est plus celle du Protectorat
plus ou moins bienveillant ou
«civilisateur », ni même celle
des indépendances culturelles.
Ce dont un pays comme
le Maroc a besoin aujourd’hui
est d’intégrer la mondialisation
sans y perdre son âme
Le principal problème
est de définir cet objet
culturel que l’on se donne
pour mission de diffuser
ou promouvoir, c’est à
dire décréter officiellement ce qui est culturel et
ce qui ne l’est pas. C’est
que la culture est à la fois
un socle réputé universel,
celui de la connaissance
au sens métaphysique du
terme, en même temps
que des pratiques, des
références, des images
propres à une société.
La problématique du Maroc est
tout autre. Si le Royaume bénéficie
incontestablement de la francophonie
avec des élites formées à la culture française, il n’en demeure pas moins que
cette proximité reproduit un mécanisme
de domination post coloniale. C’est
pourquoi le Maroc doit surtout assumer et promouvoir son propre héritage
avec pour objectif non seulement d’en
faire le ciment de la cohésion nationale,
mais également d’apporter à son tour sa
pierre au patrimoine commun de l’humanité. Il ne manque pas d’atouts pour
y parvenir.
l Selon vous et après avoir dressé
l’état des lieux, quel serait le modèle de
politique culturel approprié au Maroc
surtout dans une conjoncture mouvementée et complexe?
- Proposer un modèle est une question technique relativement simple
à résoudre, une fois que l’on sait ce
qu’on en attend. Quelle que soit sa
forme, la politique culturelle consiste
en effet à diffuser, partager, et promouvoir la culture considérée comme
un bien public, une activité économique, ou un ensemble de loisirs. Le
principal problème est de définir cet
objet culturel que l’on se donne pour
mission de diffuser ou promouvoir,
c’est à dire décréter officiellement
ce qui est culturel et ce qui ne l’est
pas. C’est que la culture est à la fois
un socle réputé universel, celui de la
connaissance au sens métaphysique
du terme, en même temps que des
pratiques, des références, des images
propres à une société. Le bon modèle
de politique culturelle est donc celui
qui réussit la synthèse entre valeurs
universelles, identité nationale, et diversité culturelle, soit trois échelles
de valeurs potentiellement contradictoires.
l Peut-on dire que les politiques
culturelles ont échoué ?
- Les politiques culturelles ont
deux objectifs : réduire les inégalités sociales d’une part et contribuer à
l’enrichissement collectif d’autre part.
Sur le premier objectif, on ne peut pas
dire qu’elles l’aient atteint dans aucun
pays. Quant au second, on ne peut pas
dire qu’elles n’ont pas eu d’impact,
même s’il est impossible de le chiffrer scientifiquement. En tout état de
cause, si l’on regarde le verre à moitié
plein, on ne peut qu’admirer ses réalisations à travers les nombreux musées ou théâtres nationaux les bibliothèques et les collections publiques,
et même l’audiovisuel public qui est à
l’origine de nos médias d’aujourd’hui.
Quant aux subventions, le volet le plus
critiqué des politiques culturelles, aucun politicien ne songe réellement à
les supprimer tant elles apportent à la
vie locale. Il suffit d’ailleurs d’imaginer ce que serait notre quotidien sans
cet engagement culturel de la puissance publique, aussi modeste ou im-
parfait soit-il, pour se rendre compte
de l’apport des politiques culturelles.
l Quel serait selon vous une vraie
politique culturelle et quelle est son
utilité réelle pour la société ?
- Il n’y a pas de vraie ou de fausse
politique culturelle, mais seulement,
comme toute politique publique, des
administrations qui produisent un service en fonction d’objectifs donnés, lesquels répondent à un besoin identifié de
la société. A chaque époque sa politique
culturelle donc, et notre époque n’est
plus celle du Protectorat plus ou moins
bienveillant ou « civilisateur », ni même
celle des indépendances culturelles. Ce
dont un pays comme le Maroc a besoin
aujourd’hui est d’intégrer la mondialisation sans y perdre son âme, c’est à dire
non seulement pouvoir accéder à toute
l’offre culturelle qu’elle véhicule, mais
également de s’y faire respecter comme
un peuple fier de son identité, de sa spécificité, et de ses valeurs. n
INSTITUT FRANÇAIS DU MAROC
N
Le programme culturel 2016 dévoilé
ouvelle saison et nouveaux projets culturels pour l’Institut Français au Maroc (IFM). L’année 2016 s’annonce riche et prometteuse avec une programmation
qui se veut animée, entre expositions, théâtre, danse, musique et
littérature. C’est une programmation dédiée pour tous les goûts
avec comme leitmotiv de cette saison « changer de dimension ».
« L’Institut français du Maroc mettra la relation exceptionnelle entre la France et le Royaume au service du dialogue euro-méditerranéen. Du Forum des Jeunes Leaders d’Essaouira
aux Nuits des Philosophes en passant par les débats sur le
changement climatique et le dialogue des spiritualités », nous
explique Jean-Marc Berthon Directeur Général de l’IFM.
Le temps fort de cette saison est la grande exposition rétrospective « Giacometti » au Musée Mohammed VI de Rabat qui
aura lieu du 20 avril au 4 septembre 2016.
Cette exposition réunira plus de 100 œuvres majeures de l’artiste dont, « La Cage », « L’Homme qui marche » provenant des
riches collections de la Fondation Giacometti.
Cette exposition permettra aux visiteurs de suivre l’ensemble
de la carrière de l’un des plus grands maîtres de l’art du XXème
siècle depuis sa formation dans l’atelier jusqu’aux chefs-d’œuvre
iconiques de la dernière période.
Pour la première fois, cette saison proposera un Festival du
Film Français. Il prendra ses quartiers à Casablanca, Tanger,
Marrakech, Meknès et Tétouan.
Cette année, l’Institut français du Maroc aura à cœur de croiser
les disciplines et de brouiller les frontières entre les arts avec le
remarquable Kyoto For Ever 2. Le théâtre parlera de changement
climatique et de diplomatie.
La compagnie de danse hip-hop lyonnaise Pockemon Crew,
la plus titrée au monde dans le circuit de la compétition, sera
présente dans différents instituts français du Maroc du 8 octobre
au 2 novembre à savoir Oujda, Fès, Meknès, Casablanca, Marrakech, Rabat, Tanger et Tétouan.
La saison culturelle accueillera également le cirque Matamore.
L’Institut français du Maroc invitera l’art à se projeter dans
l’espace public à la rencontre des plus jeunes et ceux qui ne lui
sont pas familiers. Les nouveaux prodiges de la French Touche
se produiront dans le stade Mohammed V de Casablanca. Le
réalisateur Michel Gondry installera près de l’hippodrome d’El
Jadida une usine de films amateurs, une véritable usine à rêves
qui a voyagé aux quatre coins du monde.
Les nuits du mois sacré seront également rythmées par les
« Nuits du Ramadan » qui vont proposer des concerts de musiciens du pourtour méditerranéen.
Sur le volet de la littérature, l’Institut français du Maroc sera
présent lors de la 23ème édition du « Prix
Grand Atlas 2016 » le 14 octobre 2016 à la
Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc.
Ce prix, mettra à l’honneur la littérature marocaine francophone et la traduction littéraire.
Chaque année, le Salon international de
Tanger des Livres et des Arts s’affirme et se
confirme comme l’un des rendez-vous phares
des amoureux des mots et du livre. C’est dans
cette optique que l’IFM sera présent lors de
la 20ème édition qui se tiendra du 4 au 8 mai
2016, dans la ville du détroit.
Durant trois jours, l’IFM va inviter également 13 artistes du 9ème art issus de la scène
française, africaine et marocaine dans 13 villes
du Royaume. Manga, comics, bande dessinée
belge ou autobiographique, tous les genres seront au rendez-vous !
Les jeunes pourront rencontrer, du 16 au 23
novembre 2016, de Rabat à Khourbiga , d’Oujda à Essaouira, les jeunes talents du Maroc,
du Liban, de France et leurs nouveaux héros !
Notons que la saison culturelle française
précédente aura été une formidable réussite.
Les tournées à guichets fermés de la Comédie-Française et de ballet Preljocaj, la création
d’œuvres dans l’espace public par de grands
artistes contemporains comme Daniel Buren,
plus de 10 000 jeunes ont répondu présents
lors des « Nuits des Philosophes », l’institution d’un rendez-vous annuel autour de la
musique électronique française aura particulièrement marqué le public marocain.
« Cette saison sera un hommage à deux
personnalités marocaines qui nous ont quittés, à savoir l’architecte Amine Benmabarek,
victime des attentats de Paris et la photographe Leila Alaoui »,
nous déclare le Directeur Général de l’IFM Jean-Marc Berthon.
Ainsi, cette saison promet plus de 800 manifestations dans
les 12 villes du Royaume et plus d’une vingtaine d’événements
majeurs. n
Fatimazahraa Rabbaj
30
MAROC
diplomatique
LIVRES
AVRIL 2016
LE MARIAGE DU PLAISIR DE TAHAR BEN JELLOUN
De l’amour, des larmes et du sang
Mariage de plaisir
pour déjouer la tentation
E
crivain d’une plume aussi envoûtante qu’engagée, Tahar Benjelloun nous livre dans son
dernier roman « Le Mariage du plaisir », un
conte où s’entremêlent les aventures, captant la vie
dans tous ses aspects et portant un regard inédit
et poignant sur le Maroc qui englobe le racisme,
la haine et l’exclusion. L’auteur y dépeint, en filigrane, son engagement en faveur de la tolérance
et de la fraternité.
C’est une histoire qui se déroule sur une soixantaine d’années, répartie en deux parties : celle
d’Amir, le père et celle de son petit-fils Salim,
dans les années 2000.
Ce conte tragique nous plonge dans l’univers
d’Amir, un richissime commerçant de Fès, qui
suit les traces de son grand-père en faisant des
échanges commerciaux avec le Sénégal. Lors de
ses déplacements, à Dakar, il avait l’habitude de
contracter un mariage blanc durant la durée de son
séjour. Un mariage de plaisir, de jouissance, sorte
de « M.D.D » (mariage d’une durée déterminée)
pour appeler les choses par leurs vrais noms. Légal
selon les préceptes de l’Islam parce qu’il permet
d’éviter la prostitution. Une forme d’alliance que
les chiites autorisaient et que certains sunnites pratiquaient. Cette pratique se perpétue aujourd’hui,
l’essentiel étant de rester dans les limites de la
décence et du « respect » de la femme.
Cette année-là, en 1950, alors que le Maroc était,
bien entendu, sous le protectorat, Amir quitte Fès,
en compagnie de son dernier, Karim, un enfant
de lumière pas comme les autres, vif, intelligent,
jovial, mais trisomique. Celui-ci avait une place
à part dans la famille qui le choyait tellement il
était aimé. L’écrivain faisait certainement un clin
d’œil à son fils, Amine, handicapé de naissance
en lui rendant hommage à travers le personnage
de Karim.
Q
Quand le cœur dévie les plans
tièrement blanche et évoque
un
vieil adage qui disait
Lors de l’un de ses fréquents voyages à Da« qu’il
faut rendre grâce à
kar, Amir épouse temporairement Nabou, une
Dieu
d’avoir
inventé le chemagnifique Peule, pour ne pas changer ses haval,
sinon,
les
blancs auraient
bitudes. Mais cette fois-ci, et comme la voix
utilisé
les
Noirs
comme mondu cœur est imprévisible, il tombe follement
ture ».
amoureux de cette dernière. C’est le coup de
Après le décès de Lalla
foudre qui le lie à elle pour ne plus pouvoir se
Fatma
et suivant le conseil
séparer d’elle. Aussi décide-t-il de la ramener
avec lui à Fès. Nabou avait quitté le collège de son frère Brahim, Amir
Français après avoir obtenu son brevet et passait regagne Tanger car les afdans sa famille pour celle «qui avait le savoir faires semblaient prospères
dans cette ville frontière. Làdes étrangers».
Tahar Benjelloun avec son art de l’écriture bas, il fait plusieurs métiers,
et son don de faire parler les mots, nous révèle (vente de tissus, appareils
qu’avec cette décision, l’histoire va connaître photo etc…). Quelques mois
passés, Amir est décédé et
des rebondissements et une succession d’évéNabou réussit à gagner sa vie
nements, de drames et de jalousies… de la part
en faisant de la couture et le
de Lalla Fatma la première épouse et de son
ménage chez des familles aientourage à l’égard de celle qui a conquis le
sées de la ville.
cœur du chef de famille.
A cette époque-là, en 2010,
Comblé, Amir l’était par la jeune Nabou, si
la ville avait bien changé
intelligente, si belle et se rend compte qu’il
rien ne subsistait de l’esprit
n’avait pas connu ce sentiment avec Lalla Fatde l’ancienne Tanger, de ses
ma vu que leur mariage s’était déroulé selon
mythes et de ses légendes.
les règles de la tradition. Par conséquent, ils
Et l’arrivée impromptue
ne s’étaient pas choisis et pourtant, ils devaient
de jeunes Subsahariens qui
s’aimer pour pouvoir vivre ensemble.
avaient raté leur traversée
vers l’Europe avait achevé
Un héritage lourd à porter
de modifier le visage et le
Et comme c’était écrit dans l’ordre des socle de cette ville. Certains
choses, Nabou accouche de deux enfants, Has- diraient que cela donne un
san et Houssine, l’un Noir et l’autre Blanc. « effet de charme, d’autres
Deux Noirs dans la famille ! Il y aurait de quoi parleraient d’une âme froissée. Nabou s’occupait d’une grande maison, Hassan et Karim
achever Lalla Fatma » souligne-t-il.
Depuis la naissance des deux jumeaux, Amir l’aidaient, parfois, quant à Salim, il lui donavait pris conscience d’une réalité c’est que nait quelques inquiétudes. Houssine avait sa
le racisme était bien ancré dans les mentalités boutique de parfum qui ne désemplissait pas.
marocaines, riche ou pauvre. Pourtant indique Par contre, Hassan, miné par ses échecs, était
Tahar Benjelloun, la population n’était pas en- devenu, avec les années, un homme très sombre
et très renfermé parce qu’il n’est pas intégré et
n’a pas pu offrir à son fils un meilleur horizon.
Salim, le petit-fils d’Amir, a été rattrapé aussi
par sa couleur de peau. Il subira donc les affres
du racisme, et de haine. Lors d’une rafle, il est
expulsé, manu-militari, vers le Sénégal et c’est
une autre histoire qui commence.
Fatimazahraa Rabbaj
Le Salon du livre de Paris :
Une messe culturelle
uelque 200.000 visiteurs ont été
attendus pour la 36ème édition,
du «Livre Paris » ou du Salon
du livre de Paris qui s’est tenue, du 17
au 20 mars 2016, à Porte de Versailles.
Il a connu la participation de 1.200 éditeurs et 3.000 auteurs venus des quatre
coins du monde.
C’était une occasion exceptionnelle
pour la littérature marocaine qui a dévoilé sa diversité et ses richesses lors
de cette manifestation.
Niché au milieu des éditeurs et des
auteurs de tous continents, un stand de
60 m2 a été mis à la disposition des
éditeurs marocains par le ministère
marocain de la culture, en partenariat
avec le Centre marocain de promotion
des exportations.
Le pavillon national a proposé un
véritable florilège d’ouvrages inédits et
a offert aux visiteurs français et étrangers un catalogue riche de nouveautés
et de rencontres avec les hommes et
femmes de lettres. Le stand a également accueilli les écrivains connus
et les jeunes talents marocains venus
rencontrer le public et dédicacer leurs
œuvres.
«L’inconvénient, cette année, est que
le stand du Maroc n’était pas très bien
situé, il était très loin du centre là où il
y avait plus d’attraction et de monde»,
nous confie Abdelkader Retnani, Président de l’union des éditeurs marocains.
Cette fête culturelle a connu la
participation de nombreux éditeurs
Pendant quatre jours, les amoureux du livre ont pu découvrir une panoplie d’oeuvres.
marocains dont la maison d’édition Bouregreg, la Croisée des
chemins, le Fennec, Malika Editions, les Editions Marsam, Nouiga, Yanboua Al Kitab et Yomad.
En effet, la participation marocaine
à ce grand rendez-vous culturel international a permis de mieux faire
connaître la production marocaine
dans le domaine du livre et des auteurs tout en mettant l’accent sur la
qualité des ouvrages présentés dans
le stand du Maroc, qui touchent à di-
vers sujets culturels, politiques, économiques et sociaux, sans oublier la
fiction et les livres pour la jeunesse
et les enfants.
Parmi les moments forts de cette
participation, figurent les présentations d’ouvrages de référence, dont le
livre «Communautés juives au Sud de
l’Anti-Atlas», un ouvrage collectif paru
aux éditions La croisée des chemins,
ainsi que le livre «Femmes amazighes:
Chants et gestes de travail des femmes
de l’Atlas marocain, à la source du
féminin» de Christine Dumont Léger,
paru chez le même éditeur.
« Ce que j’ai remarqué cette année,
et ce que j’ai trouvé bizarre d’ailleurs
c’est le fait de voir des politiciens
qui étaient là en train de signer leurs
œuvres», nous déclare l’écrivain Abdellah Baïda qui était présent lors de
cette manifestation pour la signature de
son dernier roman « Nom d’un chien ».
Le Salon du livre de Paris avait pour
invité d’honneur, cette année, la Corée
du Sud connue pour avoir l’une des lit-
tératures majeures de l’Asie. Ainsi, une
délégation de 30 écrivains s’illustrant
aussi bien dans le roman, la poésie,
l’essai, le manhwa (le manga coréen)
ou la littérature de jeunesse a ravi les
visiteurs du Salon.
Le public a eu également l’opportunité de découvrir les auteurs et la
culture de deux villes africaines francophones : Brazzaville et Pointe-Noire.
Au total, près de 800 rencontres et
débats ont eu lieu au cours des quatre
jours du salon.
A signaler qu’une scène a été entièrement dédiée à la Bande Dessinée,
mais aussi de nouveaux espaces spécialisés avec, notamment cette année
,un «square» réservé aux religions et
à l’art culinaire avec des animations
autour d’une pléiade de cuisiniers.
Les amoureux du livre ont pu découvrir pendant les quatre jours une
panoplie d’œuvres.
Notons que le Salon du livre de
Paris a enregistré une baisse de fréquentation de 15% par rapport à
l’an dernier, sachant que la dernière
édition du Salon avait attiré environ
180.000 visiteurs. Le prochain Salon
du livre de Paris se tiendra du 23 au
26 mars 2017.
Malgré la résistance des éditeurs
et des libraires, le livre électronique
commence a gagner du terrain. Tourner les pages, sentir l’odeur du papier
et de l’encre marquent-ils la fin d’une
époque ? n
FZ.R.
MAROC
diplomatique
PARUTIONS
«Mots pour maux» de Ahmed Ghayet
A
près son excellent livre « De l’autre côté
du soleil » qui est un acte de militantisme à travers lequel Ahmed Ghayet
a essayé d’insuffler l’espoir, la joie de vivre et
l’amour de l’engagement associatif, l’auteur nous
revient avec un nouvel ouvrage de convictions et
d’aspirations. Fidèle à sa nature, l’écrivain ne se
contente pas de dénoncer et de faire le diagnostic
des maux de la société mais va au-delà et adopte
une attitude constructive qui lui est propre, c’est
bien entendu celle de faire de ses écrits le miroir
qui reflète son expérience universelle dans le
monde social, politique et associatif. Animé par
un amour inégalé pour son pays, il se donne le
devoir d’orienter et d’accompagner une catégorie
de la société et qui n’est pas des moindres, celle
des jeunes qui sont exclus de la vie sociale et
politique. Aussi Ahmed Ghayet, militant associatif et président de l’association « Marocains
pluriels » fait-il de la défense des valeurs universelles, morales et humaines son bâton de pèlerin.
La tolérance, le dialogue, l’ouverture sur l’Autre,
la volonté de contribuer à l’avancement du pays
constituent les maîtres mots de la conduite de
l’auteur dont le travail sur le terrain constitue la
meilleure motivation pour Ahmed Ghayet qui
réunit la jeunesse marocaine autour de lui afin de l’impliquer dans des débats fructueux sur les sujets
d’actualité de la société marocaine comme le vivre-ensemble, la culture, le racisme, l’identité, la
jeunesse, la radicalisation et bien d’autres thèmes de rigueur.
A travers « Mots pour maux », Ahmed Ghayet donne l’image fidèle et parfaite d’un monde en
manque d’harmonie. En effet, en 16 années, le Maroc a changé, beaucoup changé ! Le développement
économique, l’évolution de nos infrastructures, notre place sur la scène internationale…sont autant
d’avancées incontestables. Petit à petit, une classe moyenne émerge et tant bien que mal, les femmes
et les jeunes se frayent un chemin au milieu des obstacles et des (faux) tabous qui encombrent notre
évolution.
Paradoxalement c’est sur le plan sociétal que nous trébuchons : les libertés individuelles continuent
à être vécues comme synonymes de débauche, le rejet de l’Autre a rarement été aussi fort, le racisme
tente de nous gangréner, l’exclusion sociale et / ou territoriale est l’une des plus grandes entraves au
vivre-ensemble et le risque de ghettoïsation urbaine est palpable.
C’est sur ces maux que Ahmed Ghayet a voulu mettre des mots, non pas tant dans un souci de
les recenser en spectateur, mais au contraire, avec le souci de les désigner concrètement afin de leur
proposer –de leur trouver ? - des solutions !
Extrait :
« La question de notre avenir est dépendante de ce que la société fera pour que notre jeunesse
trouve sa place –toute sa place- dans le projet de société que nous devons construire tous ensemble.
La jeunesse a le pouvoir d’appuyer sur l’accélérateur pour contribuer au développement et au progrès du pays si elle est concernée, impliquée, intégrée, elle sera à contrario, l’épine dans le pied de
toute avancée si elle est marginalisée, méprisée, reléguée à un rôle de figurante. »n «Nom d’un chien» de Abdellah Baïda
A
près Les voix de Khair-Eddine (2007), Au fil des livres : chroniques de littéraire marocaine de
langue française (2011) et son roman à grand succès Le dernier salto (Ed. Marsam 2014) qui
a obtenu le prix Grand Atlas dans les catégories «Culturethèque» et «Étudiants », Abdellah
Baida gratifie ses lecteurs avec un autre grand salto que l’auteur effectue par son dernier ouvrage
Nom d’un chien pour explorer les limites de la création romanesque dans tous ses arcanes et replis.
A travers, cet opus, l’écrivain soulève une problématique un peu délicate dont peu se soucient en
dépit de son impact indéfectible sur la personne. Le poids du « nom » qui peut constituer un fardeau
qui nous colle à la peau là où on va quand il est lourd à porter.
Driss Ibn Kalb est le nom du protagoniste de ce roman. Il attend un enfant, alors il décide d’entamer
les démarches pour changer ce patronyme qui est lourd de connotations péjoratives qui se nichent
dans le mot « Kalb/chien ». Il doit toutefois prouver le préjudice. Commence alors son enquête
pour bien saisir la place de cet animal et ses représentations autour de lui et ailleurs. Épaulé par sa
femme Linda, Driss se bat pour se débarrasser de l’ombre canine qui lui colle à la peau ; il mène ses
investigations, en fin limier, pour y voir un peu plus clair dans les inextricables rapports qui relient
le chien et l’homme. C’est un roman sur la représentation que se fait l’homme de la race canine, sur
la transmission de l’héritage et sur le grand pouvoir des mots. Les questions ontologiques les plus sérieuses sont menées et traitées avec humour,
désinvolture et profondeur au gré de situations
sublimes et imprévisibles qu’affrontera Driss
Ibn Kalb aussi bien au Maroc, en France qu’en
Espagne... Un périple aux couleurs d’une
quête à rebondissements multiples servie dans
une écriture sans concession propre au romancier, au chercheur en littérature, au critique et
à l’essayiste de talent Abdellah Baida, décoré
des insignes de Chevalier dans l’Ordre des
Arts et des Lettres en 2012.
Extrait :
« - Madame Charlotte a soixante-dix-neuf
ans et un caniche. C’est ma vieille voisine. Je
t’ai déjà parlé d’elle. C’est la seule Française
qui habite encore dans notre immeuble. Tous
les autres ont déguerpi ; elle, elle est trop
vieille pour déménager. Quand je ne rentre
pas tard, elle me charge de temps à autre de
promener son chien et de le faire pisser. Elle
me paye deux euros pour cette mission. Eh
bien, mon cher Driss, j’aimerais que tu me
voies avec le caniche dans la rue ; on dirait
un Français ! dit-il en s’esclaffant de rire,
tout content. » n
«J’
AVRIL 2016
31
« J’ai tué l’hiver »
de Kamal Benkirane
ai tué l’hiver » est un titre du roman de Kamal Benkirane, professeur, poète et
essayiste, installé au Canada. Il retrace le cheminement d’une famille marocaine
immigrante à Montréal ; elle se trouvera exposée aux affres d’une injustice patente,
personnifiée par l’émission d’un certificat de sécurité à l’encontre de son fils Adam.
C’est une histoire d’amour à travers le Québec, et où interviennent les agréments du parcours
identitaire d’une famille en quête des grands espaces. Adam et Anis Karam quittent leur Maroc
natal pour immigrer au Canada. Les deux frères ont faim de liberté et de découverte d’un mode de
vie occidental qu’Internet diffuse de par le monde. Adam y trouvera très vite sa nouvelle place en
tant que musicien, s’imprégnant des paysages caractéristiques du Québec et des rencontres qu’il y
fait. Mais le soir de son premier concert, il est interpellé par les autorités qui l’accusent de préparer
un attentat terroriste sur un vol régulier. Sa famille va donc intenter un procès public à l’Etat pour
faire jaillir la vérité. Elle luttera contre ce destin Kafkaïen à travers lequel la liberté, l’amour et
l’aventure vont de pair avec l’errance et la quête de soi.
L’écrivain tente, à travers son roman, une certaine indexation du droit à la vie et à la spontanéité
versus le droit à la liberté de conscience et la liberté de religion. Cette dualité est apparente aussi
dans la nuance entre le droit « d’être » et le droit « d’avoir ». Au-delà de toute vision manichéenne
,se dessine alors une vision idéaliste, celle de l’être humain à part entière, capable de basculer à
n’importe quel moment au nom d’une certaine pureté de son être, et d’une certaine transcendance
pour la vie et l’au-delà. La fin imprévue de ce
roman confirme que tout homme est assujetti à la
loi non seulement de la nature mais du « nouvel
ordre universel » aussi.
Extrait :
– « Jusqu’à maintenant mon frère, ce que tu
ignores complètement est qu’un certificat de sécurité, c’est « Big Brother » qui vient de perdre
ses jumelles en plein désert du Sahara. Alors,
essaie de comprendre cela, et n’oublie pas que
c’est toi qui nous as ramenés dans ce pays des
grandes glaces !
Foudroyé, je crus voir des phalènes sanctifier
mes cieux embrigadés.
Encore le même maudite reproche !
Je tentai d’oublier en fermant les yeux. Je
pensais à ce moment-là au mot « terrorisme »
qui pompait ma tête comme une ortie vénéneuse,
ourdissant ses torpeurs sur mes convictions. Ce
mot-valise inspirait « Big Brother », motivait
« Carlos » et confinait « Salman Rushdie » dans
une vie de bohème. N’y avait-il pas d’autre choix
que des pistes ultimes ou quelques détails de pacotille pour dénouer le nœud ? »n
« Sur les pas de Sidi Ahmed Tijani
Voyage dans sa zaouia aux quatre coins
du monde » de Yasmina Sbihi
Y
asmina SBIHI inaugure un genre littéraire qui mêle à la fois le récit, la photo,
l’émotion sur un sujet pas toujours accessible au grand public : le Soufisme. A travers son
ouvrage, elle nous invite à revivre son voyage
initiatique Tijani avec un mélange de sensibilité,
de tolérance et de clairvoyance rares. Sans forcer
le trait, ni tomber dans le voyeurisme, elle pousse
à la découverte sans dévoiler et fait preuve d’une
intelligence spirituelle contagieuse. En cela, elle
invente une nouvelle grammaire du partage, dans
laquelle le libre arbitre est roi.
Mais au-delà du style, elle fait œuvre utile en
des temps si troublés où les extrémismes de tous
bords menacent l’équilibre de nos sociétés par
leur sectarisme et leur intolérance d’un autre âge que l’on croyait révolu. Yasmina a fait le choix
de l’Islam des Lumières en privilégiant l’Amour, la Recherche du Savoir et la Paix. Raconter son
cheminement initiatique n’est que le prétexte à une invitation à l’Amour avec «A» majuscule.
Le grand mérite de Yasmina est de rendre le Soufisme accessible sans jamais le dévoyer, encore
moins le banaliser. Au nivellement par le bas, elle a choisi l’élévation par le haut tout en rendant
possible des «niveaux de lecture» différents. Au fond, Yasmina nous invite à nous réconcilier
avec nous-mêmes. Plus que jamais son ouvrage fait écho à cette réflexion prémonitoire d’André
Malraux «Le XXIème Siècle sera spirituel ou ne sera pas». Bon voyage !
Alioune GUEYE
« Sur les pas de sidi Ahmed Tijani, voyage dans sa Zaouia aux 4 coins du monde» est le résultat
d’un premier périple effectué dans un contexte bien déterminé. La montée des extrémismes et la
démolition de tout un patrimoine témoin de notre civilisation, d’une part, l’expression d’une ferveur
spirituelle et un engagement citoyen, d’autre part. Au-delà d’une quelconque prétention littéraire
ou scientifique, ce livre a été écrit aussi pour toucher les coeurs et éveiller les esprits sur l’intérêt
et l’urgence de la préservation d’un patrimoine menacé, il s’adresse avant tout aux architectes et
artisans du beau.
Extrait :
«La crise est avant tout spirituelle. La «durabilité» dans le contexte soufi est garantie par le fait
qu’avant de vouloir changer le monde on s’évertue d’abord à se changer soi même. Donc quelques
soient les enjeux, l’individu ainsi rééduqué est en mesure de faire face à toute éventualité avec un
esprit sain et clairvoyant.
En fin de compte, c’est ce cheminement qui vise à atteindre l’équilibre entre mon expérience
spirituelle et ma vie d’architecte qui m’a amenée à chercher un lien entre mes deux vocations, la
troisième étant mon engagement citoyen qui me fera réfléchir inévitablement à la question du rôle
du soufisme dans le Développement ... et tenter de répondre à la question qui s’impose aujourd’hui:
Comment ramener de l’espoir là où les esprits se sont égarés, et où les cœurs sont désenchantés ?» n