Philippe Cognée figures en
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Dossier pédagogique figures envisagées Philippe Cognée Sommaire Ce dossier a été conçu à destination des enseignants et de tous les accompagnateurs de groupes qui souhaitent préparer leur visite de l’exposition. Il propose : Le Radar, Espace d’art actuel Page 4 BiographiesPage 5 Extrait du texte du commissaire pour le catalogue Page 6 Le temps de l’impressionnisme,Pages 7-23 Philippe Cognée, restitution d’impressions Les œuvres présentées dans l’exposition Pages 24-25 Visuels disponiblesPages 26-28 Philippe Cognée, figures envisagées Commissariat de Philippe Piguet Exposition visible du 11 juin au 18 septembre 2016 Au Radar, Espace d’art actuel Dans le cadre du festival Normandie Impressionniste Vernissage le samedi 11 juin 2016 au Radar à 14h30 En présence de l’artiste et du commissaire Le Radar, Espace d’art actuel Parking du Violet de Bayeux 24 rue des Cuisiniers 14 400 Bayeux Tel: 02 31 92 78 19 www.le-radar.fr Contact presse et visuels : [email protected] Justine Richard Horaires d’ouverture de septembre à juin : Du mardi au dimanche de 14h30 à 18h30 Le samedi de 14h à 19h Horaires d’ouverture d’été en juillet et août : Tous les jours de 14h à 19h Entrée libre Le Radar, Espace d’art actuel Depuis 2007, Le RADAR développe, à Bayeux, une politique de diffusion de la création contemporaine. Dans cet espace en perpétuel mouvement, les visiteurs peuvent découvrir tout au long de l’année des expositions et des événements culturels. Le lieu offre également un accès différent et plus intime à l’art contemporain grâce à son artothèque. Le Radar présente une programmation composée d’artistes confirmés et de jeunes plasticiens de talent. L’objectif est de faire découvrir aux visiteurs la diversité des pratiques contemporaines au travers d’expositions qualitatives, insolites et audacieuses. Actions culturelles et médiation Le Radar, Espace d’art actuel, conçoit des rencontres à l’attention de tous les publics. Il propose des visites pensées spéciquement pour les scolaires et les groupes, favorisant un apprentissage du regard et une appropriation des œuvres par le visiteur. Lieu d’échange et d’expérience, le Radar met en place des visites actives qui expérimentent de nouveaux formats de médiation. Ces temps d’échanges font du visiteur le moteur de sa propre découverte et de son appropriation des œuvres d’art. VISITES ACTIVES pour les groupes scolaires toute l’année Réservations au 02-31-92-78-19 ou par mail à [email protected] Le Radar, Espace d’art actuel Parking du Violet de Bayeux 24 rue des Cuisiniers 14 400 Bayeux Tel: 02 31 92 78 19 www.le-radar.fr Horaires d’ouverture de septembre à juin : Du mardi au dimanche de 14h30 à 18h30 Le samedi de 14h à 19h Horaires d’ouverture d’été en juillet et août : Tous les jours de 14h à 19h Entrée libre Biographies Philippe Cognée Né en 1957 à Nantes, Philippe Cognée revient dans sa ville natale dans les années 70 après avoir passé son enfance au Bénin. En 1982, Il y obtient le diplôme de l’école des Beaux-Arts. C’est également aux Beaux-Arts d’Angers qu’il débute en 1989, une carrière d’enseignant, qu’il prolonge aux Beaux-Arts de Paris. En 1990, il devient Lauréat de la Villa Médicis puis obtient le prix de Rome en 1991 avant d’être nominé au prix Marcel Duchamp en 2004. Aujourd’hui, Philippe Cognée expose en France et à l’étranger et s’impose notamment par l’innovation des techniques picturales qui lui sont propres. Philippe Piguet Critique d’art et commissaire d’expositions indépendant, directeur artistique de Drawing Now Paris, le Salon du dessin contemporain, chargé de la programmation de la Chapelle de la Visitation de Thononles-Bains (74), Philippe Piguet collabore régulièrement aux revues L’Oeil et (Art Absolument). Auteur de nombreux textes de catalogues, d’ouvrages sur l’art impressionniste et contemporain et de films sur l’art, il enseigne l’histoire de l’art à l’ICART depuis 1986 et développe une importante activité de conférences. Philippe Cognée, portrait de peinture Extrait du texte de Philippe Piguet pour le catalogue de l’exposition - « Saisi de face, plein cadre sur son visage jusqu’à barrer la ligne de son front, les épaules dénudées, les oreilles écartées, les yeux exorbités, le regard perdu, Philippe Cognée ne s’épargne pas lui-même. D’ailleurs, il n’épargne personne et l’image qu’il nous donne ici n’est ni plus, ni moins vraisemblable que celle de cet autre autoportrait où il s’est peint le cou tendu, la tête relevée en arrière, dans un floutage interdisant toute lisibilité. Qu’il s’en prenne à lui-même, à une figure amie ou à un inconnu, le peintre appréhende son modèle non tel qu’il le voit mais tel qu’il le perçoit au travers du filtre exclusif de la peinture et à l’unique appui d’une image photographique. Au travail du portrait, Philippe Cognée adopte les mêmes principes, use des mêmes protocoles et vise les mêmes fins que lorsqu’il traite n’importe quel autre sujet. Quel que soit le médium qu’il emploie, l’image finale procède toujours d’un écrasement, sinon d’un effacement dont la force, voire la violence est en quête d’une essentialité. Rien n’intéresse moins l’artiste que la question de la ressemblance et son art se garde bien de tout souci de représentation. En revanche, il est tout entier dévolu à la question de la présence. La metexis contre la mimesis, en quelque sorte. Un art de l’être-là contre un art de l’apparence. Le portrait est l’un des genres majeurs de l’histoire de l’art. Longtemps considéré comme « l’image d’une personne faite à l’aide de quelqu’un des arts du dessin » (cf. Le Littré), donc de la peinture, il est préférable de ne pas chercher à vouloir le définir d’une formule globale, valable pour tous les temps et pour tous les styles. En effet, suivant la civilisation et le contexte dans lesquels il s’insère, le portrait remplit des fonctions qui diffèrent en même temps que sa nature se modifie suivant l’usage qui en est fait et la destination qui lui est dévolue. S’il fut un temps où les concepts de fidélité et de ressemblance constituaient les canons obligés de toute pratique artistique, l’époque moderne les a largement infirmés par une conception qui prend ses distances par rapport au motif traité. En écho à la fameuse formule de Maurice Denis , on pourrait dire que le sujet n’est jamais que le prétexte du tableau – le pré-texte, donc ce qui est avant le texte - et que la peinture en est le texte, dans ce rapport sémantique avec l’idée de texture, de matière, voire de chair. Pour ce qu’il relève de l’absorption du sujet dans la matière picturale, le travail de Philippe Cognée affiche clairement son objectif : atteindre une forme de dissolution du réel. A propos de portrait, l’artiste ne cache d’ailleurs pas sa détermination : « Il ne faut pas que ce soit trop réaliste. Si c’est trop ressemblant, ce n’est pas bien. » Tout est dit et le résultat est là, sous nos yeux, dans la surprise de toute une galerie de portraits aux visages souvent projetés en gros plan, présentant en surface toutes sortes d’ecchymoses, de tuméfactions, de perclusions ou de trouées. Toute une galerie de portraits qui jouent de brillances et de matités, de fonds clairs et de fonds bouchés, de face-à-face immédiats et d’angles de vue distordus offrant à la peinture l’occasion d’une déclinaison sans fin de figures incarnées comme autant de présences troubles. » Le temps de l’impressionnisme, Philippe Cognée, restitution d’impressions Ce dossier pédagogique est réalisé dans le cadre de l’exposition de Philippe Cognée, figures envisagées visible lors du festival Normandie Impressionniste. Il apparaît donc incontournable de lier cette période importante de l’histoire de l’art avec la pratique contemporaine de l’artiste Nantais. Plus que la rétrospective d’un mouvement et de l’œuvre du peintre, ce support réalise des ponts, tire des fils. Il croise le passé et le présent, met en lumière les dissemblances et les ressemblances dans un jeu de zoom et de dé-zoom permanent. Véritable loupe grossissante, le document ci-dessous, décortique pour une approche globale, un mouvement majeur de l’histoire de l’art ainsi que le processus de création, d’un artiste essentiel de notre temps. Monet Autoportrait, 1917 Philippe Cognée Autoportrait, Histoire de l’impressionnisme On évalue aujourd’hui bien mieux le contexte, institutionnel, social, économique, dans lequel s’inscrit l’impressionnisme. Quant à l’impressionnisme stricto sensu, il se limite à une vingtaine d’années, de 1867, date à laquelle Bazille réfléchit à l’organisation d’une exposition en marge du Salon officiel, et 1886, date de la dernière manifestation du groupe en tant que tel. C’est en effet sous le Second Empire que les membres du groupe se sont réunis, dans un cadre institutionnel qu’ils ont cherché à intégrer avant de le combattre de l’extérieur et, pour certains, de tenter de le réinvestir de nouveau. Fantin-Latour Un atelier aux Batignolles, 1870 Huile sur toile 2,04 x 2, 73 m Avec Otto Scholderer, Manet, Renoir, Zacharie Astruc, Emile Zola, Edmond Maitre, Bazille, Monet. Ce système académique, hérité pour l’essentiel de l’Ancien Régime, déterminait en grande partie la carrière des artistes et n’était alors remis en cause par personne — surtout pas par les artistes eux-mêmes. Il reposait, en ce qui concerne la peinture, sur le primat du sujet, et l’importance du « genre » dans l’appréciation d’une œuvre. Dans ce cadre, la peinture d’histoire, illustrant aussi bien la mythologie, les textes saints ou littéraires que l’histoire proprement dite, était jugée bien supérieure au paysage, à la nature morte ou au portrait. Les rares marchands de peintures contemporaines ne jouaient pas, comme de nos jours, un rôle de découvreurs. Il n’existait pas, ou presque, d’expositions indépendantes. D’où la situation de monopole du Salon. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les débuts des impressionnistes. La plupart, après de solides études classiques, suivirent une formation ou un commencement de formation académique. Certains en avaient réellement ressenti le besoin, mais pour d’autres, ces études leur ont été imposées par des parents soucieux de voir leur enfant suivre une voie « sérieuse » pour débuter dans une carrière qui l’apparaissait beaucoup moins. Que les futurs impressionnistes aient suivi un enseignement traditionnel ne veut pas dire qu’ils l’aient accepté sans réticences. Tous abandonnèrent assez vite les ateliers « officiels » pour se former en autodidactes, dans les académies « libres ». Elles étaient nommées ainsi parce qu’elles ne dépendaient pas de l’École des Beaux-Arts, et surtout par leur travail sur le motif, en particulier dans les environs de Paris. La peinture de paysage allait devenir, pour beaucoup, un moyen d’expression privilégié. L’une des caractéristiques majeures de l’impressionnisme reste cependant la représentation, sans aucune idéalisation, de la vie moderne, c’est-à-dire de la ville, et en particulier de Paris : Monet, Renoir exécutent quelques vues de la capitale, Sisley, Pissarro, d’autres de ses environs. Il faut par ailleurs souligner la dimension collective du travail mené jusque vers 1875 par les membres du groupe. Celui-ci est né, petit à petit, de rencontres, puis de séances communes, de discussions aussi, dans des ateliers parfois partagés, ou dans les cafés du quartier des Batignolles. C’est ainsi que le Guerbois, la Nouvelle Athènes devinrent le point de ralliement de jeunes peintres désireux de s’imposer aux critiques, de conquérir un public, de convaincre des amateurs. Pour cela, on l’a dit, un seul moyen : le Salon. Ce qui signifie « toile à faire », grand format imposé, sujet ambitieux et caractéristique, tels : Le Déjeuner sur l’herbe de Manet en 1863 ou les Femmes au jardin de Monet, vers 1866-1867. Premier obstacle, donc, le jury. Certains le franchiront sans encombre, comme Degas, Monet ou Renoir, d’autres n’y arriveront pas, comme Cézanne. Cézanne Montagne Sainte Victoire, 1885 58 x 72 cm Certes, ils n’ont pas été les premiers à peindre en plein air, ni même à vouloir rendre sur leur toile un moment fugitif. Mais ils ont su profiter des possibilités offertes par le progrès technique : du chemin de fer, qui leur permettait de parcourir facilement les environs de Paris jusqu’à la Normandie, à la peinture en tube, qui leur facilita le travail sur le terrain. Monet, Bazille, Renoir, Sisley suivirent ainsi, en forêt de Fontainebleau, les traces d’autres novateurs qui commençaient enfin à trouver le succès : les peintres dits de Barbizon, au premier rang desquels on pouvait trouver, Théodore Rousseau ou Jean-François Millet. Claude Monet Femmes au jardin, 1866 Huile sur toile 255 × 205 cm Second obstacle : celui des visiteurs et des critiques. Là commencent les vraies difficultés. On aurait pourtant tort de croire que tous les tableaux de ceux qui ne sont pas encore les impressionnistes ont été rejetés avec violence. Le premier envoi de Monet, deux Marines, reçut ainsi, en 1865, un accueil favorable, comme, en 1866, le grand portrait de sa femme, Camille à la robe verte. Mais la plupart de leurs œuvres suscitèrent au mieux des encouragements, au pire de l’indifférence. Monet, Camille à la robe verte, 1866 Huile sur toile, 231 x 151 cm A l’initiative de Pissarro fut créée, à la fin de 1873, une Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, qui se fixait trois buts principaux : l’organisation d’expositions libres, la vente d’œuvres d’art et la fondation, puis la publication rapide, d’un périodique artistique. La rupture, dans les statuts et dans une organisation très démocratique, avec les principes du Salon, était évidente. Aussi Degas, imposa-t-il à ses camarades l’inclusion de peintres ou de sculpteurs plus « sages » ou plus « établis » pour ne pas se couper du monde de l’art, que l’on cherchait après tout non pas à détruire, mais à pénétrer. La première exposition eut lieu dans l’ancien atelier du photographe Nadar, boulevard des Capucines, en plein cœur du Paris haussmannien. Elle ouvrit pour un mois, le 15 avril 1874, quinze jours avant le Salon officiel. Elle présentait comme lui deux cents œuvres de tous genres et de toutes techniques : peintures, sculptures, dessins, gravures. L’écho fut considérable dans la presse, les avis partagés, mais l’audace de l’initiative et les qualités des œuvres présentées reconnues. On s’attacha en particulier à souligner leur « relâché », leur aspect esquissé, comme s’il s’agissait d’études préparatoires plus que de tableaux terminés au regard des canons traditionnels. La touche juxtaposée de couleurs pures ne fut pas systématiquement employée par les membres du groupe. En revanche tous lorsqu’ils l’utilisaient, la laissait plus ou moins apparente, dédaignant de donner à leurs toiles, le « fini » lisse si important dans la peinture académique. En 1877, Cézanne, provocateur, ira jusqu’à intituler une de ses peintures, dans le livret, Les Baigneurs : étude, projet de tableau. Cézanne, Les Baigneuses, études, projet de tableau 1877 45,5 x 55 cm Ce fut bien l’un des principaux éléments de rupture, celui qui fit vraiment scandale. Le tableau de Monet, Impression, soleil levant, exécuté en 1872, fut ainsi pris à partie par le critique Louis Leroy dans Le Charivari : « Impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans. Et quelle liberté, quelle aisance dans la facture ! Le papier peint à l’état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là ! » « Impressionniste », le mot était né. Sobriquet à l’origine, il fut très vite revendiqué par Monet et ses amis, même si les autres expositions du groupe ne l’utilisèrent qu’exceptionnellement. Quant à la critique, aussi bien favorable qu’hostile, elle ne l’employa par la suite qu’en concurrence avec d’autres dénominations tout aussi révélatrices, « indépendants », « intransigeants », « révoltés », et l’usage ne s’en imposa donc que très progressivement. Tous les éléments du débat qui va scinder la critique sont alors en place : nouveauté des sujets, le paysage prenant une place prépondérante et la peinture d’histoire laissant la place à la représentation de la vie moderne. Nouveauté formelle avec la question du fini mais aussi celle de l’emploi d’une gamme très colorée, à une époque où les teintes sombres avaient la faveur de nombreux amateurs. Monet Impression, soleil levant, 1872 48 x 63 cm C’est que les impressionnistes manifestaient un intérêt tout particulier pour les effets de la lumière sur différents sujets à certaines heures de la journée. Peu importait que le sujet soit un arbre, une pomme ou un être humain. Ils étaient trop occupés à observer que ce qui était vert le matin pouvait devenir jaune, voire rouge, l’après-midi, en fonction de l’intensité et de la position du soleil. Les impressionnistes avaient pris conscience que la couleur était partout. Une ombre n’était pas seulement grise ; elle pouvait posséder de superbes nuances de violet ou de bleu.. C’est ce que souligne un an plus tard le critique Philippe Burty, assez bien disposé envers ces tendances novatrices. Il accepte de préfaçer le catalogue d’une vente publique de leurs œuvres organisée par Renoir, Monet, Sisley et Berthe Morisot : « Combien ces œuvres méritaient plus que l’attention, la sympathie, par le désir d’éveiller le souvenir de sensations de nature vives et franches, la préférence pour les tons clairs et hardis, la suppression des détails au profit des masses ! Nous avons fait des réserves et nous les maintenons sur les rudesses de la touche, le sommaire du dessin, le précieux de certaines indications ». Le soutien apporté ne fut pas seulement financier mais aussi moral, ce qu’on ne saurait sous-estimer tant les impressionnistes eurent à soutenir une lutte incessante pour s’imposer. C’est que le groupe fut traversé de tensions parfois très vives, qui finirent par aboutir à son éclatement. Manet,, Émile Zola, 1868, 146 x 114 cm L’arrivée de nouveaux sociétaires a cependant pu être aussi un facteur de renforcement, comme celle de Caillebotte en 1877. Mais elle a également entraîné des divisions : Vont être intégrés au groupe, des peintres plus jeunes et encore plus audacieux : Gauguin en 1879, Seurat, Signac et Odilon Redon amenés par Guillaumin en 1886. Malgré tout, le succès se fait encore attendre. Il y eut des années difficiles, en particulier autour de 1878-1880 : les amateurs ne se renouvelant pas, les marchands, en difficulté, achetant moins ou plus du tout, une partie de la critique se montrant toujours hostile. Zola, sévère, pouvait ainsi écrire en 1878 que « tous les impressionnistes sont de pauvres techniciens » . La reconnaissance, puis la réussite commerciale se dessinèrent et s'affirmèrent tout au long des années 1890. Les étapes en sont bien connues : la conquête de nouveaux amateurs, en particulier outre-Atlantique, l'envol parallèle de la cote, et enfin la consécration officielle par l'entrée dans les musées français et étrangers. Tous les impressionnistes n'atteignirent pas ces sommets de leur vivant. Il n'empêche qu'après 1890 ils ne connaissaient plus de difficultés financières et pouvaient enfin se consacrer en toute liberté à leur travail. Philippe Cognée, peinture matière-couleur Comme chez les impressionnistes la peinture de Philippe Cognée n’est que matière et couleur. Elle intervient comme moyen d’expression où la couleur fait office de substance et de lumière, elle est à la fois matérielle et immatérielle. Chez lui, la couleur introduit des notions d’épaisseur, d’opacité et de translucidité, de fini et de non fini. « J’ai besoin de passer du temps par rapport au sujet que je traite ; il faut que je l’ingère, qu’il se décante. Il me faut l’intérioriser pour pouvoir lui donner vie en peinture. (…) J’ai besoin d’un temps d’incarnation (…) ». Georges Seurat Une baignade à Asnières, 1884 Huile sur toile 200 x 300 cm Il ne faut donc pas sous-estimer la portée subversive que ce soit par le naturalisme des sujets ou l’audace de la facture de la peinture impressionniste autour de 1910, en un mot sa rupture manifeste avec la tradition établie. Ce n’est qu’après la disparition de ses derniers représentants « historiques » Degas en 1917, Renoir en 1919, Monet en 1926 que sa place sera définitivement assurée et enfin reconnue par les instances officielles. Encore subira-t-elle bien des fluctuations, au gré de son influence, plus ou moins évidente sur l’évolution des arts visuels au XXe siècle, du cubisme à l’expressionnisme abstrait. Avant d’entrer, après plus d’un siècle, dans une histoire apaisée. P. Cognée, Portraits de Y.T., 22014-016 Cette appréhension si particulière du sujet traité, le réel au sens large tel que le décrit ici l’artiste, est au cœur du langage pictural qu’il développe depuis le début des années 90. Philippe Cognée instille à l’œuvre un état de mutation permanent qui altère les codes de perception traditionnelle de la réalité. « Chaque fois que je peins, je pense quasiment en terme d’abstraction, même si ça passe par une image figurative. Il me faut une mise à distance du sujet lui même pour être pleinement dans la peinture (…) ». La mélancolie paraît traverser toute l’œuvre de Philippe Cognée. Elle s’insinue dans ces objets orphelins de leurs utilisateurs (chaise, frigo…), dans ces instantanés de vacances, pourtant reflets de moments de bonheur, dans ces paysages sans horizon, dans ces HLM aux silhouettes fantomatiques… Elle habite ce monde désert des banlieues et mégalopoles. La ville : le sujet s’est imposé au fil du temps et il est devenu en soi, un emblème de la mélancolie moderne qui s’attache aux alignements trop réguliers des immeubles des cités ou au sortir des villes, autour des gares… Dans le regard du peintre, on lit moins la puissance des sociétés qui les ont édifiées que la solitude, l’anonymat, la déréliction des hommes qui doivent y vivre. A l’instar des peintres impressionnistes, Philippe Cognée par sa touche, matière vibrante par les stries, les taches, les bavures, les éclats… détruit pour construire et créer un monde instable, flottant, qui ne cesse de se mouvoir entre des forces contraires. C’est le présent, évident et énigmatique, lisible et indéchiffrable, qui se consume dans ses œuvres. P. Cognée, Portraits de P.P., 2016 & G.F. 2014-2015 L’environnement impressionniste : un monde en changement Repères chronologiques 1769-85 Machines à vapeur de Watt 1784 Puddlage de la fonte [Obtention de l’acier peu chargé en carbone] 1792 Gaz d’éclairage (Murdock) 1800 Banque de France (franc germinal 1803) 1809-1814 Premier bateau à vapeur première locomotive à vapeur (Stephenson) 1817 Principes de l’économie politique et de l’impôt (Ricardo) 1822-26 Premières photographies (Niepce) 1835-40 Premières machines-outils automatiques 1839 L’Organisation du travail (Louis Blanc) 1840 Qu’est-ce que la propriété ? (Proudhon) 1844 Télégraphe électrique (Morse) 1848 Manifeste du parti communiste (Marx, Engels) 1851 Exposition universelle à Londres (1855, 1867, 1878 : Paris) 1864 Droit de grève en France - création 1869 Ouverture du canal de Suez 1876-90 Mise au point du moteur à explosion 1876 Téléphone de Bell 1979 Premier chemin de fer électrique (Siemens) 1881 Premières centrales électriques 1884 Autorisation des syndicats en France (loi Waldeck-Rousseau) 1889 Exposition universelle à Paris (tour Eiffel) 1891 Création de l’Office du Travail 1896 Premier salon de l’automobile 1898 Loi sur les accidents du travail en France 1900 Exposition universelle de Paris (gare d’Orsay, métropolitain ...) 1900 Réduction progressive de la journée de travail à dix heures 1908 Débuts de l’introduction du système Taylor aux usines Renault 1910 Loi sur les premières retraites ouvrières et paysannes Art et société La place de l’art dans l’Histoire et ses liens avec la société repose sur une confrontation entre les œuvres et l’histoire. L’artiste n’utilise pas seulement l’anecdote, l’événement, le paysage, pour en rendre compte. Lorsqu’il créait une œuvre d’art, il s’inscrit dans une recherche personnelle ou collective et dépasse la seule représentation du sujet choisi. Ce chapitre se concentre sur les œuvres impressionnistes qui mettent en lumière un phénomène majeur de la période en histoire : l’industrialisation croissante de la France et des autres pays d’Europe occidentale, ainsi que ses liens avec les transformations sociales, politiques et culturelles. Monet, les déchargeurs de charbon, 1875 La première révolution industrielle (fin du XVIIIe siècle en Grande-Bretagne, première moitié du XIXe en Europe occidentale) se fonde sur l’exploitation du charbon comme source d’énergie, la métallurgie et le textile comme industries de base. La seconde, qui se déploie entre 1880 et 1914 environ, s’appuie sur l’énergie électrique, le pétrole, le moteur à explosion et la production d’acier (sidérurgie). Ces données économiques ne se transforment pas automatiquement en sujets ou en source d’inspiration pour les artistes ! Même chez les héritiers de l’école réaliste, la représentation du travail industriel reste exceptionnelle. La vie rurale, les travaux des champs conservent une écrasante prédominance parmi les thèmes “sociaux”, quelle que soit la période choisie, ou le courant artistique en cause. Mais une visite sur le “monde industriel” n’a toutefois aucune raison de se limiter à la seule représentation d’ouvriers au travail ou de grandes usines... Le monde industriel intègre les questions du logement ouvrier, du travail à domicile, si importantes au siècle dernier, des grandes voies de communication nécessaires aux échanges, caractéristique primordiale de la révolution industrielle, des travailleurs, mais aussi des capitaines d’industrie, des banquiers et des “capitalistes”... Pierre-Auguste Renoir (1841- 1919) Chalands sur la Seine, 1869 Renoir peignit ce tableau à 28 ans, lorsqu’il était déjà sorti de l’anonymat, mais qu’il n’avait pas encore reçu la grande consécration officielle. La Seine est son véritable sujet. “Fleuve national”, elle a acquis au XVIIIe le statut d’élément essentiel du paysage contemporain français. Les impressionnistes représentèrent avec prédilection les paysages humanisés : champs, cultures, rivières et coteaux modérés, tels que pouvait les découvrir dans sa marche un promeneur. Le tableau est tout entier consacré au thème du passage : le courant de la rivière, la voie ferrée, le pont, le train lui-même représentent le mouvement, qui se déploie dans l’espace, mais aussi le temps qui s’écoule et le changement d’époques. Monet Le pont du chemin de fer à Argenteuil, vers 1873-1874 Renoir Chalands sur la Seine, 1869 Le paysage impressionniste s’intéresse aux liaisons et aux voies de communication qui donnent l’image d’une France dynamique, marquée par l’essor commercial et industriel du second Empire. Claude Monet (1840-1926) : Le pont du chemin de fer à Argenteuil, vers 1873-1874 Deux éléments fondamentaux de l’industrialisation de la France apparaissent ici : le pont et le chemin de fer. Ils dominent le reste du paysage comme le regard du spectateur. Le train ne semble pas avancer très vite si on en juge par le sens de la fumée contraire au sens de marche de la locomotive. La représentation du chemin de fer est ancienne chez Monet : encore l’aborde-t-il prudemment, privilégiant les wagons pittoresques aux formes traditionnelles, au détriment de la locomotive, plus moderne, évoquée par la fumée de sa cheminée (Un train dans la campagne) : c’est également le cas dans cette toile, alors que le pont occupe tout l’espace. Claude Monet La gare Saint-Lazare, 1877 Comme Manet ou Caillebotte, Monet s’intéresse aux paysages ferroviaires, cherchant à exprimer “la poésie des gares” (Zola, Salon de 1877). Il peint onze vues différentes des quais de la gare Saint-Lazare, qu’il connaît bien puisqu’il partage sa vie entre Argenteuil et Paris et se rend souvent en Normandie. Ce tableau représente l’ancienne partie de la gare, construite en 1841-1843 et couverte d’une nouvelle charpente métallique en 1855, inaugurée officiellement en 1867 à l’occasion de l’Exposition universelle. Mais le souci de Monet est évidemment plus vaste : il donne une vision optimiste et presque enjouée de l’industrialisation, avec l’harmonie bleue et rose des fumées de locomotive. Il opère également une synthèse entre deux tendances de l’impressionnisme : le paysage et la vie moderne. Monet La gare Saint-Lazare, 1877 Philippe Cognée, portrait de son environnement Réalisation de tableaux tremblotant et lumineux. Philippe Cognée présente des maisons, un sujet anodin comme il les aime. Quoi de plus commun que cette maison blanche à Saint-Denis, près de Paris. Plus le sujet est banal, plus c’est la technique picturale qui fait l’œuvre. Et dans le cas de Philippe Cognée, la technique est primordiale. Première étape, il capture une vue de Google Street View ou prend une photo de la rue. Deuxième étape, il projette l’image sur une toile. Troisième étape, il réalise un dessin à partir de la projection et parfois sur la photographie elle-même. Quatrième étape, il mélange pigments de couleurs et cire, puis il chauffe le tout. Cinquième étape, il place un film plastique Rhodoid sur le tableau et va chercher son fer à repasser. Il repasse sa toile comme on repasserait une chemise, en fondant la cire il déforme les contours. Finalement, il décolle la feuille plastique pour découvrir l’œuvre, si l’alchimie picturale a raté, il doit tout recommencer. Le résultat, grâce à la cire fondue, donne des formes moins lisibles ; obligeant l’observateur à parcourir une partie du chemin figuratif. Ce flou, cette peinture du tremblement de terre est la spécificité de Philippe Cognée. L’artiste introduit dans son répertoire dès 1995, des containers et cabanes de chantier dans une série qu’il nomme « Proliférations ». Techniquement l’écrasement du dessin répond à la fonte forcée de la peinture. La composition au crayon graphite et fusain, sur fond épais d’acrylique blanche encore humide, est pressée sous un rouleau que l’artiste passe à la surface. Les morceaux de fusain éclatent, le trait se fragmente. On devine aisément la composition photographique initiale : un container, cadré au plus près, isolé dans un paysage privé d’horizon. Ce sujet banal apparemment neutre, d’une frontalité que ne renieraient pas Bernd et Hilla Becher, bouche l’espace. Si la sphère industrielle est effectivement convoquée, son traitement met cependant en péril toute neutralité. Par l’emploi du fusain, le container paraît calciné dès son report sur le papier. La désagrégation du trait, dans un flou brumeux et sombre assouplit les lignes de construction de l’objet figuré. Est-ce là un container ou le vestige d’un temple antique ? Confusion chronologique d’un temps qui n’est pas arrêté. Le monument vibre, s ‘ébroue, son inquiétant contenu vrombit sourdement des grains du fusain. La méthode de Cognée relève d’un équilibre entre destruction et construction ; le brouillage de l’image en convoquant immédiatement une autre. Absorbé par le fond de l’acrylique, le sujet se renouvelle simultanément à sa surface. Il est souvenir, un souvenir façonné par l’érosion de l’oubli. Ainsi, plus qu’un container flou, plus qu’un souvenir de container, Philippe Cognée rejoue, voire représente le processus même de la mémoire. P. Cognée, Saint-Denis, 2012 Ces formes fantomatiques, parlent de notre monde contemporain. Pour le conservateur du musée de Grenoble : « C’est une œuvre mélancolique ». Qu’il travaille sur une barre d’immeuble, une cabane, l’artiste propose toujours un regard distancié qui interroge l’observateur sur la fragilité de toute chose sur cette terre. Pour l’artiste même lorsqu’il réalise ces façades de maisons ce sont des « portraits » . Elles ont eu un passé, une histoire, une vie… Les bâtiments tremblotants de Philippe Cogné sont sensibles, d’autant que ce technicien-peintre et vice versa, irradie ses toiles, d’une lumière blanche qui semble venue d’ailleurs. Cognée, Cabane de chantier, 1996. Lorsque l’artiste fait fondre la matière, il produit le flou qui invite le spectateur à un regard plus lent et plus perçant de l’œuvre. Avec cette technique, la matière est répandue, comme arrachée du sujet donné à voir. Le spectateur est forcé de constater que «repasser», c’est aussi bien : évoquer, remémorer mais aussi faire passer de nouveau, rendre lisse et net, enfin donner l’aspect voulu... Par analogie, il s’agit bien de tout cela chez Philippe Cognée. Les images peintes proviennent de photographies ou de captations de vidéo qu’il a faites au préalable. Ce sont des souvenirs. Ici il faut faire passer de nouveau quelque chose : repeignant la vision photographique, il redonne à voir, mieux voir ou voir autrement. Il lisse également : repassant avec le fer chaud l’encaustique, il écrase la matière. Inversion ici d’un geste : la matière est plus lisse, mais le sujet devient plus flou. Philippe Cognée repasse donc tout : des containers, des immeubles, des foules de gens, des bibliothèques, des chaises. Il repasse, lisse et produit des évocations du monde, il les donne de nouveau à lire. En somme, c’est une peinture ménagère que propose l’artiste. Celle-ci n’arrange pas la vision, mais lui donne une certaine forme. Celle de l’aspect qu’a choisi le peintre. « Philippe Cognée, en véritable anthropologue, s’est dès le début évertué à associer l’homme à son paysage et aux lieux qu’il habite » rappelle l’éditeur et critique d’art Djamel Meskache. Dans cette nouvelle série, l’artiste réinterprète en toute liberté le thème du portrait : confrontant figure humaine et architecture, il dresse le portrait du familier. A partir de promenades virtuelles sur Google Street View, Philippe Cognée transforme des façades anonymes et pixelisées en paysages poétiques. P. Cognée, Sao Paulo, 2013 P. Cognée, Supermarché, 2005 Pour l’artiste, ses «portraits de maisons» sont réalisés sous la «contrainte» de l’outil «google street». Si l’artiste avait été présent sur place, il aurait été de biais, se serait probablement reculé afin de trouver un angle de vue intéressant. Cela implique d’utiliser des images avec des points de vue pré-enregistrés, standardisés. Ici, l’artiste est obligé d’avoir un point de vue unique. L’image est frontale, elle est toujours prise à peu près à la même distance. Le portrait Qui dit portrait dit spontanément photographie, et même le plus souvent photo d’identité au format réduit. Par ailleurs, tenter de dessiner le portrait d’un ami, d’un parent ou de soi-même est une activité connue de l’enfant, depuis l’école. Ces exemples de portraits permettent d’emblée de percevoir deux caractéristiques, apparemment contradictoires, du genre : la ressemblance purement morphologique qui permet d’identifier le modèle et la fonction symbolique de ce type de représentation. Cependant, toute représentation de figure humaine ne peut être considérée comme un portrait. Lorsque le titre de l’œuvre précise “portrait de” ou énonce de manière directe des éléments de l’identité de la ou des personnes figurées, aucune ambiguïté ne subsiste. A l’opposé, certains types de représentation de personnages comme l’allégorie ou le symbole (la Mort, la Justice, l’Abondance...) ne doivent pas être confondues avec le genre du portrait. Mais il existe des cas plus complexes : il arrive qu’un personnage peint sur un tableau, sans que le titre fasse mention de son identité, soit néanmoins identifiable : on peut considérer alors qu’il y a portrait inséré dans un sujet plus vaste, par exemple une composition historique. Mais l’œuvre n’appartient pas alors au genre du portrait. Petit historique du genre du portrait L’art funéraire égyptien comporte d’importants ensembles de figures individualisées, qu’il s’agisse du défunt lui-même ou des personnages qui l’accompagnent dans les scènes diverses qui sont représentées. Le portrait, dans cette conception religieuse de l’art, a pour fonction de fixer l’image du disparu pour lui permettre de continuer à vivre dans l’au-delà. La civilisation romaine, si elle continue d’illustrer ce lien entre la mort et le portrait (présent sur les sarcophages et les cénotaphes), introduit aussi un usage plus banal du portrait. Avec par exemple, les bustes sculptés présents dans les demeures privées. Ils assurent alors la postérité des principaux hommes publics. Néfertiti XIV siècle av. J-C Delacroix, La liberté guidant le peuple, 1830 Huile sur toile, 200 x 300 cm Un portrait est-il nécessairement ressemblant ? On le pense spontanément, mais toute l’histoire du portrait montre que s’opposent deux conceptions, que l’on pourrait appeler pour simplifier la tendance réaliste (qui veut le portrait le plus fidèle possible à son modèle) et la tendance idéaliste (qui ennoblit, voire transcende le modèle) ; elles s’exercent selon de multiples degrés. Durant le Moyen Âge chrétien, le statut du portrait pose à nouveau des problèmes de rapport au sacré. Il est considéré avec la méfiance que lui influencent les religions iconoclastes orientales. . Comme pour conjurer les dangers potentiels, l’effigie de l’homme vivant réapparaît dans l’art par le biais des représentations religieuses. Les papes introduisent leur propre représentation à côté de celles des saints qui accompagnent le Christ ou la Vierge dans les décors de mosaïque du Haut Moyen Âge. Puis, des laïcs même apparaissent sur les fresques ou les retables par le truchement de leur fonction de donateurs. L’œuvre que l’on considère comme le premier portrait individuel à part entière est celui de Jean le Bon, qui fut roi de France de 1350 à 1364. L’œuvre, un petit panneau de bois conservé au musée du Louvre, représente la tête du roi de profil, sur un fond neutre, sans aucun attribut ni accessoire. Puis le portrait connaît au XVe siècle un véritable essor. Flamands, Vénitiens, Florentins du Quattrocento infléchissent le genre chacun selon sa sensibilité : portraits intimes de personnages saisis dans leur cadre quotidien comme les époux Arnolfini de Van Eyck (1434) ou portraits en pied de nobles cavaliers représentés dans toute leur gloire sur des fonds de paysages toscans. Des catégories différentes du genre du portrait se codifient donc peu à peu, le rigide portrait d’apparat n’ayant que peu à voir avec les formules beaucoup plus libres qui s’épanouissent avec l’avènement du portrait psychologique au XVIIIe siècle. Ainsi l’ensemble des accessoires se trouve négligé au profit d’un rendu rapide ou fouillé, désinvolte ou patient, de la tête seule du modèle, dans une technique qui bien souvent rompt avec l’esthétique du “bien fini”. C’est un prélude au portrait romantique, qui quête chez son modèle le sentiment intime, la personnalité vraie, le moi caché. George Romney, Lady Hamilton en Circé, vers 1782, 396 x 430 cm Jean le Bon, Roi de France de 1350 à 1364. 60 x 45 cm Le portrait de cour se développe aux XVIe et XVIIe siècles ; de plus en plus nombreux sont les commanditaires, courtisans mais aussi personnages désireux de reconnaissance sociale, issus de la noblesse de robe et de la grande bourgeoisie, qui constituent la clientèle de peintres qui se spécialisent dans ce genre. Contre l’abâtardissement qui le menace, une nouvelle catégorie apparaît : celle du portrait allégorique ou mythologique, qui élève le modèle jusqu’aux plus hautes sphères de la peinture d’histoire. C’est à cette époque et dans ce contexte qu’est définie par le théoricien de l’art Félibien la hiérarchie des genres (1667), qui renvoie le portrait après les représentations de sujets issus de la Bible ou de l’histoire ancienne (peinture d’histoire), ainsi qu’après celles de sujets de la vie quotidienne (scène de genre). Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, alors que la photographie est une technique et un art naissant, le genre du portrait est particulièrement florissant dans la peinture et dans la sculpture. La bourgeoisie, à la fois acteur et bénéficiaire de la révolution industrielle, accède au pouvoir d’achat qui lui permet de devenir commanditaire. A défaut d’une galerie de portraits d’ancêtres dans un château, les habitants des appartements haussmanniens ou des hôtels de province décorent leurs pièces de réception du portrait de leur épouse, de leur famille ; ils réservent leur buste en marbre ou en pierre à un jardin d’hiver ou à un vestibule. S’ils ne peuvent se référer à une lignée prestigieuse du passé, ils ont au moins ainsi le sentiment de laisser à la postérité l’image de leur réussite. Plus tard, l’album des photos commémorant les moments essentiels de la vie familiale - mariage, baptêmes... , remplira un rôle similaire, entraînant moins de frais et moins d’encombrement. Le régime républicain, accroissant le nombre des acteurs de la vie politique, multiplie aussi ses figures tutélaires : le culte du “grand homme” se fonde et s’illustre par des portraits peints, et surtout sculptés, qui envahissent l’espace public, en particulier l’environnement urbain. Les commandes de la Troisième République sont honorées par les artistes de style éclectique, puis naturalistes qui forment le courant majeur de l’art officiel. En regard, on pourrait croire que les impressionnistes apparaissent comme peu concernés par le genre du portrait : l’abandon du dessin, le rejet de la primauté de la forme pourraient empêcher l’individu identifié et reconnaissable de trouver sa place. Certes, les impressionnistes sont plus souvent paysagistes que portraitistes. Néanmoins, pour des raisons diverses, notamment l’apparition de la photographie, ils apporteront tous leur contribution à l’évolution du genre. Celui-ci sera profondément marqué par Degas, Cézanne, Van Gogh et Gauguin. Le portrait chez Philippe Cognée Pour l’exposition figures envisagées, Philippe Cognée a décidé de proposer des portraits d’enfants au soleil, saisis comme sur le vif, à une heure qui semble si particulière, où le soleil encore chaud est déjà lourd de sa journée bien entamée. Ces portraits de famille ne sont pas sans rappeler les scènes des bords de mer peintes par Monet ou Boudin. Dans les deux cas, on retrouve cette idée de corps tout tremblés de l’excitation d’un bain de stimuli. P.Cognée, Guillaume et Philippe, 1997 Monet, Plage à Trouville 1870 L’artiste articule ses quelques toiles plus anciennes avec des portraits d’amis. Ceux-ci sont venus tout exprès s’asseoir sous l’œil attentif du peintre. Ces proches jettent en retour sur le spectateur, un regard qui transperce. Les portraits de la sphère intime du peintre tiennent essentiellement par leur regard. Il semble que seules leurs pupilles ne soient pas embarquées dans la tempête des éclatements et le tourbillon de la peinture. Si l’œil des amis est mis à nu, comme en sur-présence, l’œil du peintre s’enfonce dans ses autoportraits. Telle la cavité des orifices d’un crâne, c’est un trou noir ouvert sur la profondeur de la chair. Philippe Cognée pense le rapport à la toile à la fois comme destruction et comme construction ; détruire pour faire surgir un nouvel ordre et dissoudre ce qu’il y a de trop figé par la matière chaude. P. Cognée, SM., 2014-2016 P. Cognée, M.C. 2014-2016 Philippe Cognée – « Mon rapport à l’exercice du portrait est en effet une constante depuis les années 1990. C’est souvent à des moments charnières de l’évolution du travail, dans les temps de crise de la création, que j’aborde ce sujet. Cette thématique ressurgit donc périodiquement. Mon approche du motif a cependant peu évolué avec le temps… Cela ira simplement du désir de demander aux proches de poser dans une certaine attitude, pour en tirer un portait expressif, exprimant le caractère caché du sujet, jusqu’à vouloir en pousser l’image aux limites de sa disparition par l’action de l’effacement. Cet effacement, ou plutôt cette dissolution plus ou moins forte dans le fond du tableau, est une façon de rendre toute sa fragilité à l’individu représenté et à l’homme en général. C’est aussi une volonté de dire que ce n’est qu’une image peinte et que la peinture est à mes yeux plus forte que la représentation. Chez les grands peintres, l’écriture domine toujours la figure. C’est évident chez Rembrant, chez Vélasquez, chez Manet. C’est d’ailleurs l’admiration que j’ai pour ces grandes figures de l’histoire de l’art qui m’entraîne dans ce jeu de citations. Je me permets de reprendre et de maltraiter certains portraits car cette pratique répond à la volonté de m’approprier un peu plus la puissance de ces «œuvres». Photographie & peinture impressionniste Un peu avant l’impressionnisme, en 1839, le peintre Paul Delaroche déclarait : “ A partir d’aujourd’hui, la peinture est morte ” en découvrant les premiers daguerréotypes. Dès le début de sa rapide évolution, la question se posait de savoir si la photographie accéderait un jour au statut d’art majeur alors que la peinture elle, tomberait progressivement dans l’oubli, rendue inutile par sa concurrente. La relation qui s’établit entre ces deux techniques fut immédiate, qu’elle les positionne en complices ou en rivales. Les portraits au daguerréotype furent rapidement prisés par la bourgeoisie, considérés plus objectifs, meilleur marché et surtout plus modernes que leur homologue peint. La photographie, en générant un répertoire de formes inédites, a institué de nouveaux modèles créatifs. Certains peintres préféraient garder secrète cette étape du cliché photographique préalable à l’élaboration de leur toile afin de conférer une part de mystère au processus de création. Les peintres commencèrent aussi à se constituer des répertoires d’images photographiques dans le but de documenter leur peinture. Ils usèrent aussi de cette nouvelle technique afin de reproduire leur tableau par le biais de la photo, et ainsi, gardèrent une trace de leurs œuvres. Daguerre, incendie du théâtre Diorama, vers 1850 D’ailleurs les premiers photographes furent souvent des peintres reconvertis, rompus à l’art du portrait, qui accomplirent donc naturellement dans leur composition les règles académiques inhérentes au portrait. Très rapidement les artistes peintres perçoivent l’utilité de la photographie pour leur art et l’adoptent de façon variée. Les daguerréotypes par exemple, devinrent des outils techniques pour le peintre, qui, au lieu de sortir de son atelier pour reproduire un paysage avec toutes les contraintes matérielles que cela pouvaient comporter, se contentait de rester à l’atelier afin de peindre d’après cette reproduction qu’il avait entre les mains. Le tirage photographique simplifiera aussi la tâche du modèle vivant en s’y substituant parfois, le délivrant des contraintes de la pose. Les modèles qui posaient pour les peintres devinrent les modèles des photographes. On peut d’ailleurs trouver des analogies entres les canons photographiques de cette époque et ceux de la peinture. Eugène Durieu, Nu féminin assis sur un divan, la tête soutenue par un bras, planche XXIX de l’Album Durieu, papier salé verni d’après négatif papier, 14×9.5cm Et Delacroix, Odalisque, 1857, huile sur bois, 35.5×30.5cm, collection particulière Il est donc naturel que la photographie, parmi les autres inventions de la révolution industrielle, ait largement influencé les impressionnistes. La photographie en noir et blanc permettait non seulement d'immortaliser une scène afin de l'étudier ultérieurement, mais également de la saisir sur le vif. La plupart des impressionnistes possédaient des appareils photo. Monet en avait quatre et Degas a pu manipuler l'un des premiers modèles portatifs de Kodak. Philippe Cognée : passage de la documentation au fer à repasser Leur art s'est inspiré des compositions singulières, fortuites et asymétriques parfois fixées par l'appareil photo. Les impressionnistes n'étaient pas choqués par le fait de couper un personnage sur le bord d'un tableau ou de repousser l'action dans les angles en laissant le centre de la toile vide. Degas était un habitué des compositions excentrées. Il s'intéressait également au cinématographe, qui venait d'être inventé. Dans un monde où les informations se multiplient, Philippe Cognée, en artiste de son temps, collectionne les images qui par la suite lui serviront à réaliser ses œuvres. Cela peut être des photographies de famille, des images trouvées sur le web mais aussi des captures d’images de films afin de constituer une banque de données. Après les prises de vue ou la recherche d’images, l’artiste effectue un travail de cadrage, de découpage et de collage. Cette étape d’esquisse, qui se fait le plus souvent avant la réalisation de la peinture sur la toile, peut aussi se continuer à la fin du travail, lorsqu’il réalise des polyptyques et décide de modifier l’emplacement des différents panneaux. Avec l’artiste, l’image peinte nous renvoyant constamment à son image source Degas, Femme avec chrysanthèmes 1865 En prenant plusieurs photos d'objets animés à des vitesses d'obturation élevées, il a pu parfaire son étude du mouvement et de la gestuelle. Degas qualifiait la photographie d' "image d'une instantanéité magique”. Monet avait remarqué qu'avec des vitesses d'obturation lentes, les personnages en mouvement étaient flous. Fort de ce constat, il a commencé à estomper les contours de ses personnages afin d'obtenir cet effet. À l'œil nu, ces personnages n'ont pas l'air flou et l'un des premiers critiques a eu beau jeu de comparer des promeneurs d'un tableau de Monet à des “coups de langue noire”. Le lien avec la photographie est souvent passé inaperçu, même pour ceux qui louaient la capacité de l'artiste à saisir cette “instantanéité du mouvement”. 2 visuels du même portrait mais avec différences. Philippe Cognée travaille ses sujets sous différentes formes et interroge notre perception du motif, ici celui du portrait. On retrouve ainsi une série de portraits identiques vus sous des angles différents, autour du personnage, des perspectives légèrement modifiées, ou au contraire l’absence de perspective. Le traitement de la chair est également sensiblement évolutif, soit sur un même portrait, par le biais de la retouche ou bien d’un portrait à l’autre au sein d’une même série. Le visage se délie alors pour ne devenir qu’un amas de peau écrasé sous le fer. Face aux peintures, le spectateur vit des expériences sensibles d’une grande variété. Par le jeu des formats, il peut avoir une relation de proximité voire d’intimité avec la galerie de portraits. Il peut même se sentir cerné par le sujet. Les œuvres visibles Thomas, 1996 Encaustique sur toile marouflée sur bois 83 x 122,5 cm Autoportrait « tête de clown », 2002-2014 Encaustique sur toile marouflée sur bois 39,5x 34,5 cm Philippe et Sandrine, 1997 Encaustique sur toile marouflée sur bois 110 x 165 cm Profile, 2005-2014 Encaustique sur toile marouflée sur bois 40 x 40 cm Guillaume et Philippe, 1997 Encaustique sur toile marouflée sur bois 103 x 98 cm Profile, 2005-2014 Encaustique sur toile marouflée sur bois 29 x 26,5 cm Guillaume, 1997 Encaustique sur toile marouflée sur bois 61 x 91 cm P.D., 2005-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 42,5 x36 cm Autoportrait, 2001 Encaustique sur toile marouflée sur bois 30 x 30 cm PH.D., 2006-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 89 x 130 cm Autoportrait, 2001 Encaustique sur toile marouflée sur bois 30 x 30 cm Autoportrait, 2013 Encaustique sur toile marouflée sur bois 41 x 33 cm A.G., 2001 Encaustique sur toile marouflée sur bois 64,5 x 54 cm F., 2014-2015 Encaustique sur papier 69 x 64 cm Mérouan, 2001 Encaustique sur toile marouflée sur bois 79 x60 cm G.T., 2014-2015 Encaustique sur papier 71,5 x 63 A.A., 2001-2014 Encaustique sur toile marouflée sur bois 60 x 49 cm G.LR., 2014-2015 Encaustique sur toile marouflée sur bois 130 x 97 cm Autoportrait, 2002 Encaustique sur toile marouflée sur bois 100 x 81 cm G.F., 2014-2015 Encaustique sur toile marouflée sur bois 69 x 64 cm Guillaume, 2006 Encaustique sur toile marouflée sur bois 73 x 60 cm Olivier, 2014-2015 Encaustique sur papier 58 x 47,5 cm J.M., 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 38 x 46 cm D.T., 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 50 x 40 cm F.I., 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 40 x 50 cm S.M., 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 43 x 65 cm Y.T., 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 43 x 65 cm Autoportrait, 2015-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 46 x 38 cm G.LR., 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 46 x 38 cm Autoportrait, 2015-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 41 x 33 cm M.D., 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 50 x 40 cm Ph.P., 2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 41 x 33 cm J.R., 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 50 x 40 cm G.D., 2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 50 x 50 cm Autoportrait, 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 55,5 x 65 cm M.C., 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 65 x 92 cm Autoportrait, 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 80 x 70 cm S.B., 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 97 x 116 cm Portrait sans nom, 2014-2016 Encaustique sur toile marouflée sur bois 110 x 58 cm Les visuels A.G.,2001 Encaustique sur toile marouflée sur bois 30 x 30 cm Autoportrait, 2013 Encaustique sur toile marouflée sur bois 41 x 33 cm Thomas, 1996 Encaustique sur toile marouflée sur bois 83 x 122,5 cm
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