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54 55 RECHERCHE RECHERCHE Caroline Kim Cancer du sein Février-Mars 2013 ❘ Biologiste infos Un biomarqueur de cassures double-brin d’ADN : H2AX Les effets de ces différents types d’irradiations ont ensuite été mesurés à dix minutes et à 24 heures. Les chercheurs ont quantifié, par immunofluorescence et par coloration DAPI et dans les cellules de phase G0/G1 uniquement, les foci phosphorylés de l’histone H2AX (γH2AX). La quantité de tels foci après irradiation a en effet été corrélée dans d’autres études au nombre de cassures de doubles brins d’ADN. « Elle peut servir de biomarqueur fiable des dommages de l’ADN induits par les rayons X à faible dose », rappelle le chercheur Nicolas Foray. L’équipe de biostatistique des Hospices civils de Lyon a défini trois catégories de cellules, en fonction du nombre de foci γH2AX qu’elles Catherine Colin, radiologue aux hospices civils de Lyon présentaient avant et après chaque séquence Les femmes porteuses de mutations des gènes BRCA1 ou 2, impliqués dans la réparation des cassures de doubles brins d’ADN, sont prédisposées au cancer du sein. Une étude épidémiologique a été menée en France, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, afin d’estimer s’il y avait un risque accru de cancer du sein causé par une exposition à des radiations médicales, chez 1 993 de ces femmes, entre 2006 et 2009. Les radiations étudiées incluaient la fluoroscopie, la radiographie du buste ou des épaules, la mammographie et la tomographie. Les résultats publiés en septembre 2012 dans la revue BMJ [2], révèlent effectivement que « chez les porteuses des mutations des gènes BRCA1/2, toute exposition à des radiations de dépistage avant 30 ans est associée à un risque accru de cancer du sein, le risque augmentant avec la dose totale reçue. Ils vont dans le sens de la recommandation qui consiste à utiliser des techniques d’imagerie sans radiations ionisantes, telle que l’IRM, comme le moyen principal de surveillance des jeunes porteuses de mutations BRCA1/2 ». L’ADN subit plus de dommages à dose faible et répétée L’étude conclut à deux effets principaux des irradiations de faible dose sur les cellules épithéliales mammaires. Le premier est un effet dose : les chercheurs ont montré des dommages pour des doses faibles de 2 mGy, et des dommages plus nombreux à 4 mGy. Le second est un effet « dose faible et répétée » : il y a plus de dommages avec une dose faible et répétée (2x2 mGy) Analyse par immunofluorescence yH2AX des noyaux qu’avec une dose plus de cellules épithéliales mammaires irradiées importante émise une 6 seule fois (4 mGy). Afin d’expliquer cet effet 5 HR dose faible et répétée, 4 les chercheurs rappellent que « l’ADN subit LR 3 trois types majeurs de 2 dommages lorsqu’il est soumis à des rayons X : 1 les dommages de base, les cassures simple brin 0 et les cassures double 0 mGy 2 mGy 4 mGy 2+2 mGy brin. Ils sont respecNombre de micro-noyaux pour 100 cellules chez les patients tivement caractérisés à faible (LR) et à haut (HR) risque selon la dose d’irradiation par un demi-temps de reçue. réparation moyen de Nombre de micronoyaux pour 100 cellules © C. Colin et al Dommages induits par des irradiations mammographiques dans trois types de cellules. La quantité de foci phosphorylés de l’histone H2AX (coloration verte) a été corrélée au nombre de cassures des doubles brins d’ADN. En bleu, la coloration DAPI des noyaux cellulaires. Centre d’imagerie du sein de l’Hôpital universitaire de Lyon pour réaliser un diagnostic par biopsie d’une lésion mammaire. Trente femmes ont été incluses : 19 considérées comme présentant un faible risque de cancer du sein et onze identifiées à haut risque familial par l’équipe de généticiens. Le niveau de risque était apprécié en fonction de l’histoire familiale de cancers du sein ou de l’ovaire et au regard des résultats d’analyses génétiques (recherche de mutations des gènes suppresseurs de tumeurs). Les cellules épithéliales issues des biopsies de chaque femme ont été mises en culture afin d’obtenir des lignées d’épithélium mammaire. Les séquences d’irradiation reproduisaient les séquences de dépistage, qui comprend classiquement deux clichés par sein, chaque cliché délivrant une dose glandulaire moyenne d’environ deux milligray (mGy). Ont donc été testés plusieurs protocoles : une irradiation à 2 mGy, deux irradiations à 2 mGy espacées de trois minutes (2x2 mGy) et une irradiation à 4 mGy. © C. Colin et al «N otre équipe est la première à avoir travaillé sur l’effet des mammographies sur des cellules épithéliales mammaires non tumorales dans des conditions exactes d’exposition mammographique, affirme Catherine Colin, radiologue aux Hospices civils de Lyon et chercheuse au Centre de recherche en cancérologie de Lyon. Jusqu’à présent, les études sur les effets des radiations faible dose avaient été réalisées sur cellules tumorales ou transformées, chez l’animal, ou sur des cellules humaines non mammaires. Nous avons bénéficié de l’expérience d’un radiobiologiste, le Dr Nicolas Foray, qui travaillait depuis plusieurs années sur des cellules humaines non tumorales (fibroblastes) et sur les mécanismes de réparation des lésions radio-induites. En modélisant les irradiations sur un mammographe utilisé en routine clinique, nous nous sommes rapprochés le plus possible des conditions d’irradiation mammographique in vivo », précise-t-elle. Les cellules ont été prélevées sur des femmes volontaires, venues au Dépistage : limiter les radiations en présence de certaines mutations génétiques Pour les deux groupes de patientes, le nombre de foci γH2AX a augmenté après irradiation, quelle que soit la dose reçue. L’effet le plus important a été observé avec deux doses répétées (2x2 mGy), qui faisaient notamment plus de dommages non réparés à 24 heures qu’une irradiation unique de 4 mGy. La quantification du biomarqueur à 24 heures a permis d’évaluer la capacité de cellules en culture à réparer les brins d’ADN endommagés pendant l’irradiation. « Le résultat principal est qu’à 24 heures, les effets induits par une irradiation de faible dose dans des conditions mammographiques (rayons X, faible énergie) peuvent ne pas être réparées. Ce résultat était d’autant plus marqué que les cellules étaient issues de femmes à haut risque familial de cancer du sein – des patientes déjà prédisposées au cancer du sein », précise Catherine Colin. Des résultats qui vont dans le même sens que ceux d’une vaste étude épidémiologique européenne sur le lien entre les expositions aux rayonnements médicaux et le cancer du sein, chez les femmes porteuses de mutations BRCA1 ou BRCA2 (voir encadré). Mammographie du sein humain. Pose d’un «harpon» en vue d’une biopsie stéréotaxique. © Catherine Colin Les irradiations mammographiques induisent-elles des dommages dans l’ADN des cellules épithéliales mammaires ? C’est une des questions auxquelles a tenté de répondre une équipe de chercheurs français dans une étude publiée dans l’International Journal of Radiation Biology [1]. Plus d’effets chez les femmes à risque © Raziel-Wikimedia Commons Les mammographies ne laissent pas l’ADN indifférent d’irradiation : les cellules sans foci, celles présentant entre 1 et 14 foci, et celles en présentant plus de 15. 1-5 minutes, 5-10 minutes et 50 minutes ». Les cassures de simple brin et les dommages de base pourraient évoluer et s’aggraver avec la deuxième dose délivrée. « Il existe un impact de la mammographie à deux vues sur la réparation, qui impliquerait les dommages de base et les cassures simple brin radio-induites », supposent-ils. Vers une mammographie à une seule vue Aujourd’hui, il est nécessaire de poursuivre ces études avec plus de biopsies et d’autres biomarqueurs, et notamment d’identifier des marqueurs de « mauvaise réparation ». « Il faudra également poursuivre l’étude des liens entre cassure de double brins d’ADN et cancérogénèse, ainsi que l’analyse de l’impact du tissu environnant sur la cancérogenèse puisque les cellules interagissent aussi avec un environnement tissulaire », détaille Catherine Colin. En attendant, les chercheurs recommandent de remplacer la mammographie double vue (face et oblique) par une seule incidence oblique, afin de réduire l’impact de la répétition de doses [3]. « Pour dépister les cancers infiltrants, l’IRM a une sensibilité très élevée, supérieure à 90 % chez ces femmes à haut risque familial. Nous préconisons une seule incidence mammographique par sein afin de détecter les foyers de microcalcifications que l’IRM ne peut pas déceler, et qui peuvent dans certains cas traduire la présence de cancers in situ, donc non invasifs. Nous suivons déjà ces protocoles à l’hôpital universitaire de Lyon, et plusieurs autres centres les ont adoptés en France. Nous sommes aussi en attente des prochaines recommandations françaises et internationales concernant le dépistage de ces femmes à haut risque », précise Catherine Colin, également experte auprès de la Haute autorité de santé. ■ Références [1] Colin C et al. DNA double-strand breaks induced by mammographic screening procedures in human mammary epithelial cells. International Journal of Radiation Biology. 2011;87(11):1103-12. [2] Pijpe A et al. Exposure to diagnostic radiation and risk of breast cancer among carriers of BRCA1/2 mutations: retrospective cohort study (GENERAD-RISK). BMJ. 2012;345:e5660, [3] Colin C et Foray N. DNA damage induced by mammography in high family risk patients: only one single view in screening. Breast. 2012;21(3):409-10 Biologiste infos ❘ Février-Mars 2013