Valorisation de l`usufruit: enfin une réglementation légale (de droit
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Valorisation de l`usufruit: enfin une réglementation légale (de droit
Avenue Lloyd Georges 11 I 1000 Bruxelles www.notairesberquin.be Valorisation de l’usufruit: enfin une réglementation légale (de droit civil et au champ d’application restreint) Eric Spruyt, notaire-associé Notaires Berquin scrl, Prof. KU Leuven et Fiscale Hogeschool Avril 2015 En droit belge, la valorisation correcte de l’usufruit était jusqu’à présent laissée aux soins des praticiens du droit. Le législateur fiscal était le seul à s’en être occupé dans le Code des droits de succession et d’enregistrement. Mais les choses ont changé depuis peu – plus précisément, depuis le 25 janvier 2015. A travers la Loi du 22 mai 2014, suivie de l’Arrêté ministériel du 22 décembre 2014, le législateur a imposé des règles de valorisation – au champ d’application certes restreint – à appliquer obligatoirement lorsque les parties ne parviennent pas à s’entendre sur la valorisation. L’ancienne méthode Jusqu’à présent, la valorisation d’un droit d’usufruit était laissée aux soins des praticiens du droit. Notamment lorsqu’il était procédé à la “conversion” de l’usufruit successoral du conjoint survivant ou du cohabitant légal survivant (respectivement l’art. 745sexies et l’art. 745octies, §3 C. civ). Ou encore lorsque le cohabitant (conjoint)-usufruitier et les enfants-nus propriétaires procédaient à la vente d’un bien immobilier qui faisait partie de la succession du défunt parent et que le prix de vente devait ensuite être partagé entre l’usufruitier et les nus propriétaires. Dans ce genre de dossiers, le praticien du droit (généralement le notaire dans ce type d’affaires) devait lui-même se charger du calcul de l’usufruit avec les moyens dont il disposait. Le Code civil ne l’aidait pas vraiment dans la mesure où il ne lui offrait que des critères plutôt vagues qui, précisément en raison de leur caractère plutôt vague – qui ouvrait la porte aux divergences d’interprétation – créaient plus d’insécurité juridique qu’ils n’offraient de solutions. Ainsi l’ancien art. 745sexies, §3 C. civ. prévoyait-il en matière de conversion de l’usufruit successoral que l’estimation devait tenir compte “notamment et suivant les circonstances, de la valeur des biens, de leurs revenus, des dettes et charges qui les grèvent et de la durée de vie probable de l'usufruitier.” Une définition qui n’aidait pas vraiment le praticien… Comment procédait-il donc concrètement dans la pratique ? Il recourait à diverses tables de mortalité, telles celles utilisées par le fisc en vue du calcul de l’usufruit aux fins de la perception des droits de succession ou d’enregistrement (les articles 21, V C. succ. et 47 C. enreg., aujourd’hui intégrées dans le Code flamand de la fiscalité (CFF), à savoir à l’article 2.7.3.3.2, alinéa 1er, 5° CFF pour les droits de succession et à l’article 2.9.3.0.4, §1er CFF pour les droits d’enregistrement). Or ces tables sont complètement dépassées, sachant qu’elles datent des années ’30 du siècle précédent! L’espérance de vie à l’époque n’était évidemment pas ce qu’elle est aujourd’hui. Qui plus est, ces tables fiscales ne faisaient aucune distinction entre hommes et femmes. Ce qui explique que l’on recourait généralement à des tables de mortalité plus récentes, telles celles de Ledoux ou de Schryvers. Et il n’était pas rare que la vérité fût recherchée quelque part à mi-chemin et que l’on prît la moyenne des résultats obtenus au moyen des diverses méthodes de calcul. Une fois que l’usufruit avait été calculé par le conseiller de service, il y avait deux possibilités. Soit les parties parvenaient à s’entendre et se satisfaisaient de la méthode de calcul proposée par le notaire. Soit elles ne parvenaient pas à s’entendre et c’est le juge qui devait trancher. Cependant, en l’absence d’une réglementation claire et contraignante, les parties n’avaient aucune idée de la valeur que le juge retiendrait finalement pour l’usufruit. Cette méthode dérangeait par certains aspects, de sorte qu’une intervention légale s’est imposée. Les tables de conversion légales La nouvelle réglementation légale date déjà du printemps 2014 (Loi du 22 mai 2014). Elle n’est toutefois entrée en vigueur que le 25 janvier 2015, parce qu’il a fallu attendre les tables de conversion que le ministre compétent était chargé d’élaborer. Celles-ci ont entre-temps été fixées par Arrêté ministériel du 22 décembre 2014 et sont entrées en vigueur dix jours après leur publication au Moniteur belge. L’Arrêté ministériel contient deux tables de conversion; une pour les homes et une pour les femmes (voyez l’Annexe de l’arrêté). Les tables de conversion déterminent la valeur de l’usufruit en tant que pourcentage de la valeur vénale normale des biens faisant l’objet de l’usufruit, en tenant compte d’un certain nombre de facteurs. Le ministre actualisera les tables de conversion au 1 er juillet de chaque année et les publiera au Moniteur belge. La nouvelle réglementation légale ne concerne que l’usufruit viager. Uniquement en cas de conversion de l’usufruit successoral Le champ d’application des règles de valorisation légales à appliquer obligatoirement, telles que commentées ci-avant, est en principe restreint. Elles figurent en effet à l’article 745sexies, §3 C. civ. qui règle la conversion de l’usufruit successoral du conjoint survivant et du cohabitant légal (!) survivant (concernant ce dernier, voyez le renvoi à l’art. 745sexies, §3 C. civ. repris à l’article 745octies, §3 C. civ.). Outre les frustrations qu’elle suscite sur le plan humain et en dehors de toutes circonstances conflictuelles, la scission en usufruit et nue-propriété après l’ouverture d’une succession ne favorise pas vraiment une gestion efficace du patrimoine. C’est la raison pour laquelle le procédé juridique de la conversion de l’usufruit successoral du conjoint survivant et du cohabitant légal survivant a été créé dans le droit successoral belge. Le droit de conversion est le droit du survivant ou du nupropriétaire d’exiger que l’usufruit soit converti en pleine propriété, en une somme d’argent ou en une rente viagère garantie et indexée (art. 745quater, §1er C. civ.). Cette conversion peut être opérée de commun accord, mais elle peut aussi, le cas échéant, être obtenue devant le tribunal (art. 745sexies C. civ.). La loi règle de manière relativement détaillée qui peut exiger la conversion de l’usufruit sur quels biens et à quel moment, et définit les règles de procédure à respecter. Uniquement obligatoires si imposées par le juge Lors de la conversion de l’usufruit successoral, les parties restent libres, même après le 25 janvier 2015, de déterminer la valeur de cet usufruit comme bon leur semble. Le juge n’imposera l’application des nouvelles règles légales qu’en cas de désaccord. Dans certains cas, le juge non plus n’est pas tenu par ces règles. Si, compte tenu de l’état de santé de l’usufruitier (p. ex. maladie au stade terminal), son espérance de vie est manifestement inférieure à celle prévue par les tables de conversion légales, il peut soit refuser la conversion, soit ignorer les tables légales et fixer d’autres conditions de conversion. Le juge peut donc décider librement au cas par cas. Moment d’évaluation Le nouvel article 745sexies, §3 C. civ. prévoit également de manière très explicite qu’en vue de l’application des tables de conversion légales, il faut se placer à la date d’introduction de la demande de conversion auprès du tribunal, et ce tant pour ce qui est de la valeur du bien immobilier que pour ce qui est de l’âge de l’usufruitier. Il s’agit là d’une volonté délibérée du législateur visant à éviter les manœuvres de ralentissement de la procédure (par le nu-propriétaire). Conservation de l’usufruit Il est également prévu expressément dans le texte de loi que l’usufruitier conserve son usufruit sur les biens jusqu’au moment où la valeur de capitalisation de son usufruit lui a été payée effectivement. On peut en déduire que jusqu’à ce moment-là, l’usufruitier conserve les fruits (revenus locatifs, intérêts, etc.) des biens, mais aussi qu’il reste tenu de payer les intérêts d’éventuelles dettes successorales, l’un et l’autre respectivement en application des articles 586 et 612 C. civ. On peut également déduire du texte de loi que jusqu’au moment du paiement effectif, la somme due à l’usufruitier ne lui rapporte pas d’intérêts. Cas particulier: les beaux-enfants A noter enfin que le législateur n’a pas touché à l’article 745quinquies, §3 C. civ. Cette disposition de loi prévoit, en vue du calcul de l’usufruit, une sorte de “processus de vieillissement instantané” du conjoint survivant en présence de beaux-enfants qui tend à protéger ces derniers. En l’occurrence, le conjoint survivant est légalement présumé avoir au moins 20 ans de plus que l’enfant le plus âgé de la précédente relation du conjoint décédé! Egalement utile dans d’autres situations Bien que la nouvelle réglementation légale vise essentiellement la conversion de l’usufruit successoral du conjoint/cohabitant légal survivant, la Loi du 22 mai 2014 a également inséré un nouvel article 624/1 dans le Code civil. Cet article dispose que – sauf si les parties en ont convenu autrement – la valeur capitalisée d’un usufruit viager ou d’une nue-propriété grevée d’un usufruit viager se calculé conformément à l’article 745sexies, §3 C. civ. Par conséquent, les nouvelles règles peuvent, dans la pratique, avoir un champ d’application beaucoup plus étendu. Elles peuvent ainsi s’appliquer à un bien immobilier lorsque, après le décès d’un parent, le conjoint survivant, qui détient un usufruit partiel sur ce bien, décide de le vendre en concertation avec les enfants (devenus nus propriétaires partiels du bien). Lorsque le notaire procèdera au partage du prix de vente entre le conjoint survivant et les enfants, il appliquera les nouvelles règles de valorisation, sauf si les parties optent expressément pour une autre méthode de calcul (p. ex. en utilisant d’autres tables de mortalité). Et fiscalement? Les nouvelles règles de valorisation de l’usufruit sont inscrites dans le code civil et n’ont par conséquent aucun impact fiscal. Le fisc continuera donc d’appliquer les tables de conversion fiscales existantes (dépassées) lors du calcul de l’usufruit aux fins de la perception des droits de succession (après introduction d’une déclaration de succession) ou des droits d’enregistrement. Remarque: vous souhaitez obtenir plus d'informations concrètes après la lecture de ce texte? Malheureusement, Berquin Notaires scrl ne peut vous conseiller par e-mail. Mais vous pouvez éventuellement prendre un rendez-vous par téléphone avec un de nos juristes ou notaires.
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