FN Herstal. Quel avenir pour la tradition armurière

Transcription

FN Herstal. Quel avenir pour la tradition armurière
97/2
FN Herstal
Quel avenir pour la
tradition armurière ?
Luc Mampaey
GROUPE DE RECHERCHE
ET D'INFORMATION
SUR LA PAIX ET LA SECURITE
1
RAPPORT DU GRIP 97/2
Sommaire
Avant-propos
2
1. Introduction
4
2. Un centenaire célébré dans la tourmente
4
3. La période GIAT INDUSTRIES
6
4. COLT, l'indésirable
8
5. Un savoir-faire et des produits performants
8
6. Une industrie quasi-exclusivement exportatrice
10
7. Une diffusion mondiale largement incontrôlée
13
8. Quel avenir pour la tradition armurière?
15
9. Conclusions et recommandations
17
Annexes
1. Structure du Groupe HERSTAL S.A. et position au sein du
groupe GIAT INDUSTRIES
2. Principales données économiques et financières du Groupe
HERSTAL S.A. et de ses sociétés belges
2
RAPPORT DU GRIP 97/2
Avant-propos
Le 2 octobre 1997, la Région wallonne décide la reprise de l’ensemble des parts de la FN.
Elle deviendra donc propriétaire à 100% de
l’entreprise d’armement. Ironie du sort, le même
jour et à quelques centaines de mètres du siège
du Gouvernement wallon, l’auteur de ces lignes
était invité à s’exprimer au cours d’un colloque
sur la « prévention des conflits » organisé par le
Secrétaire d’Etat à la Coopération au développement, M. Réginald Moreels. Il y a été notamment expliqué la nécessité de limiter les exportations d’armes et de restreindre leur production.
La décision de la Région wallonne est délicate. D’une part on peut comprendre l’attitude
des responsables de l’économie wallonne voulant maintenir l’emploi et l’existence d’un lieu
d’innovation technologique. Et on peut également comprendre le refus de la cession à
l’américain Colt dont le but final était vraisemblablement d’éliminer un concurrent en en tirant
au préalable toute la substance (les laboratoires
et le réseau commercial) pour mieux vendre
ensuite ses armements dans le monde.
D’autre part, on ne peut nier que cette décision bute contre deux réalités. La première,
purement économique : le marché de
l’armement est en surcapacité après la fin de la
guerre froide et la démobilisation de nombreuses forces armées dans le monde. La conséquence est double. D’abord les besoins ont
chuté, on achète donc moins. Ensuite, les stocks
d’armes existants sont énormes, on les met donc
en vente sur le marché de seconde main.
La deuxième réalité est éthique et géopolitique. Depuis quelques années, la conception de
la sécurité internationale a changé. Aujourd’hui,
il n’est plus admissible de régler par les armes
les conflits d’intérêts entre Etats ou communautés. Le droit international avait déjà défini
cette conception en 1945 dans la Charte des
Nations Unies, mais il a fallu la chute du mur de
Berlin pour qu’elle commence tout doucement à
s’appliquer. Surtout, depuis que les pays industrialisés sont régulièrement appelés à envoyer
des Casques bleus pour séparer les belligérants
dans des opérations de « peacekeeping ». Les
pays industrialisés se sont rendus compte, en
réalisant ces médiations, de l’absolue nécessité
de lutter contre la militarisation et de désarmer
les milices locales. Or, dans de nombreux cas,
on s’est aperçu que les armes présentes dans ces
conflits provenaient de ces mêmes pays industrialisés. C’est le paradoxe du pyromane contraint à se transformer en pompier.
On ne peut avoir une cohérence en tenant
un double langage. D’une part prôner la prévention des conflits. D’autre part, se voiler la
face en refusant de voir les conséquences de la
production et des exportations d’armes.
Deux arguments sont souvent avancés par
les partisans du maintien d’une production
d’armements.
1. « Si ce n’est pas nous, ce seront d’autres
qui vendront des armes ». A contrario, il
faut effectivement en règle générale que
quelqu’un commence à ne plus faire ce que
d’autres font si l’on veut enclencher un
processus. Ceci est aussi valable dans le
domaine du désarmement. Si Gorbatchev
n’avait
pas
décidé
unilatéralement
d’éliminer les euromissiles puis de retirer
les troupes soviétiques d’Afghanistan, la
course aux armements continuerait sans
doute entre l’Est et l’Ouest. Si certains
(petits) pays, n’avaient pas décidé de s’unir
pour bannir totalement les mines antipersonnel, il n’y aurait pas eu ce formidable
processus qui aboutira à Ottawa en décembre 1997 par la signature d’un traité
d’interdiction totale. Et il faut rappeler ici
que la Belgique est l’un des plus actifs dans
ce processus. Elle a d’ailleurs été le premier Etat au monde à voter une loi
d’interdiction totale des mines antipersonnel.
2.
« Nous ne vendons qu’aux gouvernements
qui ne sont pas impliqués dans un conflit ».
C’est vrai sans doute, puisque la loi belge
du 5 août 1991 interdit ce genre
d’exportation. En revanche, il faut bien être
conscient que les armes produites aujourd’hui alimenteront les conflits qui se
produiront dans 10 ou 20 ans, comme le
montre la présence d’armes belges vieilles
de 10 ou 20 ans sur un grand nombre de
champs de bataille actuels.
RAPPORT DU GRIP 97/2
Une suggestion devrait être glissée dans
l’oreille des dirigeants wallons. L’évolution des
conceptions en matière de protection de
l’environnement a conduit les pouvoirs publics
à réaliser des études d’impact avant l’adoption
de certains projets d’implantation, ou à étudier
les conséquences de certaines activités industrielles sur l’état de l’environnement. A l’instar
des préoccupations écologiques, pourquoi le
gouvernement wallon ne favoriserait-il pas
également l’étude des conséquences des exportations d’armes ? Dire que l’exécutif wallon
n’est pas compétent dans les questions de la
sécurité internationale apparaît comme surréaliste dès le moment où il est directement impliqué dans une activité industrielle dont les conséquences sont clairement établies dans ce domaine. La moindre des choses serait d’être cohérent en surveillant les conséquences de ses
propres activités et de ses choix.
3
La seule alternative pour sortir d’un choix
impossible (maintenir l’emploi en produisant
des armes, ou arrêter cette production et donc
mettre au chômage des travailleurs) est de chercher une troisième voie par la reconversion ou
au moins la diversification vers des productions
civiles. Il ne faut pas nier la difficulté d’une
telle approche qui a d’ailleurs déjà été tentée
sans grand succès à la FN comme dans d’autres
secteurs. Mais les difficultés ne doivent pas
faire renoncer ceux qui, comme nous, recherchent des alternatives crédibles et cohérentes. Si
nous comprenons la décision actuelle du gouvernement wallon, il est urgent de chercher des
issues d’avenir plus conformes à l’évolution des
conceptions éthiques et géostratégiques, tout en
surveillant les conséquences de ses choix.
Bernard Adam,
Directeur du GRIP
RAPPORT DU GRIP 97/2
1. Introduction
Le 2 octobre 1997, la Région wallonne annonce son intention de reprendre la totalité des
parts détenues jusqu'ici par le groupe GIAT
Industries dans le capital du groupe liégeois
HERSTAL S.A. Une décision présentée comme
une simple opération de portage, dans l'attente
d'un opérateur industriel pour relancer l'entreprise.
Faute d'un repreneur privé acceptable, le choix
du Gouvernement wallon était le seul suceptible
d'assurer un espoir éventuel de viabilité future à
la multinationale HERSTAL S.A., et en particulier à ses trois entités liégeoises, FN Herstal,
Canon Delcour et Browning.
Les pouvoirs publics wallons ont donc pris leurs
responsabilités dans un dossier particulièrement
sensible. Chacun savait en effet qu'il ne faudrait
pas 48 heures pour qu'une telle décision réveille
de vieilles querelles communautaires ou idéologiques. Justifiable par l'urgence, la décision
wallonne ne peut cependant conduire à un nouvel enlisement de l'actionnaire public dans une
entreprise moribonde: cette fois, les abcès devront être vidés.
L'armurerie wallonne redeviendra-t-elle maître
de son destin?
Après un bref rappel des événements marquants
de l'histoire de la Fabrique Nationale, et un
examen attentif des caractéristiques de ce
groupe d'envergure mondiale, ce rapport tente
de poser quelques jalons qui pourraient guider
le "plan de relance et d'ancrage" souhaité par le
Gouvernement wallon. Une relance et un ancrage dont l'objectif sera naturellement la création d'emplois, la mise en valeur d'un savoirfaire technologique et le développement d'une
capacité d'innovation, mais qui ne peuvent ignorer la nature particulière de la production du
groupe et les conséquences politiques et stratégiques des exportations ou des cessions de licences.
Dans l'équation complexe de la relance, tous les
paramètres doivent être intégrés: sociaux, économiques, technologiques et éthiques. Mais
pour que chacun y trouve son compte, les travailleurs et l'économie wallonne autant que la
4
stabilité dans le monde, aucun de ces paramètres
ne pourra en dominer un autre au point de l'éluder.
2. Un centenaire célébré dans la
tourmente
C'était il y a plus d'un siècle: en 1889, la Fabrique Nationale de Herstal est créée par une
dizaine d'armuriers de la région liégeoise afin de
produire 150.000 fusils Mauser pour l'armée
belge.
Pratiquement dès son origine, l'entreprise se
lance dans des productions civiles proches de
l'armement (fusils de chasse) ou plus éloignées
(motos, camions, voitures, matériel agricole), et
tout au long de son existence, la Fabrique nationale entretiendra des activités civiles parallèlement à la production d'armes légères et de munitions.
Dans les années 60, la société se lance dans la
construction de moteurs d'avions militaires. Une
dizaine d'années plus tard, l'entreprise se dirige
vers la production et la commercialisation d'articles de sport dont certains ont une proximité
technologique avec la production d'armes légères comme le matériel de chasse et de pêche ou
les planches à voile.
Sans entrer dans les multiples rebondissements
socio-économiques de la FN, relevons que les
années septante seront celles d'un développement important, mais suivi d'une chute brutale,
des activités militaires. Devenue Groupe FN (la
société présentera son premier bilan consolidé
au 31 décembre 1978), l'entreprise entamera une
vague de diversifications, dans les domaines de
l'aéronautique militaire puis civile et dans le
matériel de sport, ainsi que par l'acquisition de
nombreuses unités de productions militaires aux
Etats-Unis, au Brésil ou au Nigéria.
Dès la fin des années 70, la FN présente ses
productions autour de 4 divisions: à côté de la
branche "défense et sécurité", la direction insiste sur l'existence des branches "moteurs",
"sports et loisirs" et "équipements et services
industriels". La branche "moteurs", couvrant
l'activité aéronautique, dépendait à l'époque à
5
RAPPORT DU GRIP 97/2
90% d'une production militaire (moteur F100 du
F16). FN Industry, qui rassemblait plusieurs
entreprises spécialisées dans les engins de manutention, le traitement des déchets ou encore
l'engineering, ne représentait pas plus de 4% du
chiffre d'affaires de la FN.
De nombreux témoins du déclin de l'entreprise
mettent aussi en cause l'incapacité de la direction et notamment du marketing à adopter des
stratégies adéquates et compétitives dans un
marché civil trop différent et bien plus concurrentiel que le marché militaire.
En 1978, FN reprend tout le réseau de vente de
Browning, fortement implanté aux Etats-Unis
(10.000 points de vente). Au début des années
80, de nouvelles applications industrielles sont
développées notamment dans la robotique.
En 1988, le Groupe FN réalisait 34,9% de son
activité dans la branche défense et sécurité,
35,9% dans le domaine des loisirs sportifs,
28,4% dans l'aéronautique et 0,8% dans les
équipements industriels divers. Notons cependant que 71% de l'activité aéronautique dépendaient de commandes militaires, ce qui, pour
l'ensemble du Groupe, fait grimpé à 55% la part
du chiffre d'affaires liée à la défense.
La diversification de la FN avait pour objectif
de l'affranchir des commandes militaires aux
variations cycliques et très fluctuantes d'une
année à l'autre. En 1982 et 1983, par exemple,
de très graves difficultés ont touché la FN suite
au début de contraction de la demande des pays
du tiers monde. C'est ainsi que dans les ateliers
de production d'armes, près de 60% des effectifs
étaient régulièrement en chômage temporaire.
Alors que l'activité "défense et sécurité" représentait environ 60 % du chiffre d'affaires du
groupe au milieu des années 70, elle n'est plus
que de 37 % en 19851.
Dès 1983, les investissements réalisés dans le
domaine "moteurs" et "sports et loisirs" depuis
la fin des années 70 sont considérés comme trop
importants par rapport aux ventes espérées. En
outre, les emprunts bancaires coûtent excessivement cher. En 1986, les charges financières
atteignent près de 10% du chiffre d'affaires.
C'est le début d'une stratégie d'abandon de la
diversification. Un coup d'arrêt à la diversification sera donc décidé d'abord en 1984, puis de
façon beaucoup plus brutale en 1988, suite au
plan de restructuration décidé par la Société
Générale de Belgique qui détenait à cette époque la Fabrique Nationale Herstal S.A. à hauteur de 76,5% (la SRIW détenait 2,8% et d'autres actionnaires le solde).
Comment expliquer cet échec? Sans doute par la
confusion et l'absence de stratégie industrielle et
technologique cohérente qui ont accompagné
ces tentatives de diversification. Le Groupe FN,
qui rassemblait au début des années 80 les pôles
défense, loisirs, aéronautique et équipements
industriels, offrait plus l'image d'un rassemblement hétéroclite que celle d'un groupe intégré.
C'est donc l'échec des tentatives de diversification; la division "biens et services industriels" a
été progressivement fermée tandis que les produits tels que raquettes de tennis, matériel de
golf et planches à voile ne sont plus fabriqués.
La division Browning (sports et loisirs) a été
filialisée, et la production des armes de chasse
et des articles de pêche sera le seul vestige des
diversifications successives de la FN.
Le 27 décembre 1989, la division aéronautique
FN Moteurs est cédée au motoriste français
SNECMA. Devenue entretemps Techspace
Aero, cette dernière semble aujourd'hui tirée
d'affaire. Grâce à une diminution de la part du
chiffre réalisée dans la défense (de 71% en 1988
à 39% en 1996, cette part devrait se stabiliser à
l'avenir autour de 35%) et grâce à une spécialisation dans le domaine spatial, Techspace Aero
connait un effectif stable et affiche des résultats
positifs et en légère croissance depuis 1993.
L'année 1989 s'achève. Sur fond de restructuration, de cession, et des premiers signes du désintérêt de la Société Générale de Belgique, la
Fabrique Nationale vient de fêter son centenaire.
____________
1. voir "La production d'armements en Belgique", B.
Adam, dossier "Notes et documents" n°139, novembre
1989, GRIP
6
RAPPORT DU GRIP 97/2
Graphique 1 - Evolution de l'emploi du Groupe HERSTAL S.A. et de sa filiale FN Herstal.
14000
12000
10000
8000
6000
4000
2000
FN HERSTAL (Belgique)
1996
1995
1994
1993
1992
1991
1990
1989
1988
1987
1986
1985
1984
1983
1982
1981
1980
1979
77-78
76-77
75-76
74-75
0
Groupe HERSTAL S.A. (Monde)
source:Comptes annuels de l'entreprises (Rapports successifs, BNB, Centrale des bilans) et questionnaire à l'entreprise.
note: la chute brutale en 1987 et 1988 s'explique en partie par la cession de FN Moteurs à la SNECMA. Dès
1987 pour la Fabrique Nationale Herstal, et en 1988 pour les résultats consolidés du Groupe HERSTAL S.A. (à
l'époque Groupe FN), les données de FN Moteurs ne figurent plus dans les comptes. FN Moteurs comptait 1648
emplois en 1988; devenue entretemps Techspace Aero, l'effectif moyen de l'entreprise était, en 1996, de 1141
unités.
3. La période GIAT INDUSTRIES
L'année 1990 constitue une étape majeure
dans l'histoire du Groupe FN.
Le 31 décembre 1990, la quasi-totalité des activités industrielles et commerciales du Groupe
FN est cédée au groupe français GIAT INDUSTRIES. Le groupe se dénommera HERSTAL
S.A. avec pour unités de production belges, la
FN, qui prend pour nouveau nom "Fabrique
Nationale Nouvelle Herstal" (F.N.N.H), essentiellement pour les domaines militaires, Browning-Winchester pour l'armement civil (sport,
chasse, police) et Canons Delcour (surtout connu pour son canon .50).
Au terme de l'accord, GIAT INDUSTRIES
prend le contrôle de 92% des parts, la Région
wallonne en conserve 2%, avec un droit de veto
pour les décisions stratégiques.
Pour mémoire, GIAT INDUSTRIES est une
société française de droit privé à capitaux publics (détenue à 100% par le ministère de la
Défense français), créée le 1er juillet 1990 à la
suite de la loi votée le 23 décembre 1989 relative aux apports de l'ex-GIAT (qui était la composante industrielle de la DAT [Direction des
Armements Terrestres] à la DGA [Direction
Générale des Armements], au sein du ministère
de la Défense).
FNNH se spécialise alors dans ce que la direction appelle son "métier de base": le développement et la production d'armes légères et de
munitions, en n'employant plus que 1200 personnes en 1991. Un chiffre à comparer aux
10000 personnes employées en 1980.
Au sein du groupe, F.N.N.H. est responsable de
toutes les armes de petits calibres et de leurs
RAPPORT DU GRIP 97/2
munitions. La société est aussi spécialisée dans
le développement de systèmes d'armement pour
hélicoptères et avions ainsi que des simulateurs.
La très grosse majorité de sa production est
destinée à l'exportation (voir graphique 2, p.9).
Fin 1993, Albert Diehl déclarait que les pays
arabes représentaient 37% du chiffre d'affaires,
que l'Extrême-Orient était passé à 40%, l'Afrique 8%, et l'Europe Occidentale 3% seulement
(divers clients représentant le solde).
En octobre 1993 par ailleurs, F.N.N.H. et Canons Delcour se sont vus accorder une prime en
capital de 303 millions par la Région wallonne
afin de réaliser un programme d'aménagement
de l'infrastructure, d'achat et construction
d'équipement et d'étude et réalisation de matériel spécifique de production.
Paradoxalement, au sein du groupe HERSTAL
S.A., l'activité militaire de F.N.N.H. semble à
cette époque se porter mieux que les branches
civiles qui subissent encore les conséquences de
l'abandon des activités de diversification (pêche,
golf, tennis), du coût du rééquipement complet
de l'usine USRAC aux Etats-Unis, ainsi que de
l'acquisition très contestée de la munitionnerie
italienne Anagni. C'est quasi dans l'euphorie que
sont annoncés les 350 millions de bénéfice pour
l'année 1993. La reconversion/diversifi-cation
n'est plus à l'ordre du jour, et le programme
d'initiative communautaire KONVER, fraîchement lancé, ne suscite guère d'intérêt parmi les
dirigeants de l'époque.
Pourtant, la crainte de voir GIAT vider Herstal
de sa substance au profit d'unités de production
françaises existait déjà. Car au moment où tombent les bonnes nouvelles pour l'entreprise liégeoise, les pertes de la société-mère GIAT sont
abyssales: 6,2 milliards de FB pour 1992. Bien
décidés à ne pas se laisser sacrifier dans un regroupement européen et une restructuration de
GIAT, les syndicalistes liégeois arrachent, le 18
novembre 1991, un accord avec les dirigeants
de la société GIAT, prévoyant clairement que le
groupe HERSTAL S.A. serait un "centre autonome de profit" et non un simple centre de production intégré à la structure française. HERSTAL S.A. devient, dans l'organisation du
GIAT, un sous-groupe rattaché directement à la
Présidence de GIAT INDUSTRIES, et n'a donc
pas été intégré au pôle opérationnel " Division
des systèmes d'armes et munitions" (voir l'An-
7
nexe 1 - Structure du Groupe HERSTAL S.A. et
position au sein du groupe GIAT INDUSTRIES). Au cours de l'exercice 1995, la société
abandonne le sigle F.N.N.H. pour reprendre
simplement l'appellation d'origine FN HERSTAL S.A.
La situation financière de GIAT INDUSTRIES
reste catastrophique. Le groupe a essuyé une
perte nette de 10,3 milliards de FF en 1995. La
perte opérationnelle du groupe d'armements
terrestres s'élève à 1,6 milliards de FF en 1995
pour un chiffre d'affaires de 5,4 milliards de FF.
En outre, dans le cadre du "Plan de retour à
l'équilibre opérationnel en 1998", GIAT a provisionné 2,2 milliards de FF. Ce plan doit notamment se traduire par la réduction des effectifs
des usines françaises du groupe de 2741 salariés, sur un total de 12400 personnes. A la fin de
l'année 1998, l'effectif global devrait être ramené, selon ce plan, à 9700 personnes.
Les activités de défense de GIAT INDUSTRIES
ont chuté régulièrement depuis sa création en
1990. Cette tendance s'inversera toutefois temporairement jusqu'à la fin de la décennie pour
atteindre un volume de 8,5 milliards de francs
grâce notamment à la production du char Leclerc et de ses munitions, à raison de 222 exemplaires pour l'armée française et 436 exemplaires pour les Emirats Arabes Unis. Cette phase,
qui dépend en grande partie du succès des exportations, pourrait alors durer jusqu'en 20032005. Après quoi, l'activité défense de GIAT
INDUSTRIES, qui représente 15 à 20% de l'activité européenne dans le domaine des armements terrestres, pourrait à nouveau décroître.
Par ailleurs, la politique de diversification dans
le domaine civil par acquisitions externes, entreprises par GIAT dès sa création, n'a pas atteint les résultats escomptés, la direction en
imputant la responsabilité à la relative stagnation du secteur français de la mécanique. La
direction estimait en mai 1996 que poursuivre
dans cette voie n'était plus à la portée financière
de la société.
Financièrement exsangue, incapable de recapitaliser le groupe liégeois (l'exercice 1996 montre une perte consolidée de 2,6 milliards de FB
pour le Groupe HERSTAL S.A., et une perte de
831 millions de FB pour la seule FN Herstal), le
RAPPORT DU GRIP 97/2
groupe français cherchera dès l'été 1996 à se
désengager.
Outre la cession de deux filiales, la brésilienne
FN do Brasil et l'italienne Beretta, destinée à
conserver aussi longtemps que possible une
trésorerie positive, l'année 1997 sera donc essentiellement marquée par la recherche et les
négociations avec d'éventuels repreneurs, dont
le holding américain Colt Manufacturing Company finira par se détacher.
4. COLT, l'indésirable
Début juillet 1997, le nom de Colt Manufacturing Company, filiale du New Colt Holding
Corporation épaulé par la banque d'investissement Zilkha & Company, émergeait comme
repreneur potentiel de HERSTAL S.A. Compte
tenu du passé commun des entreprises COLT et
FN, l'annonce ne pouvait qu'éveiller l'inquiétude.
Quelles sont les motivations, hostiles ou non, de
l'américain COLT? Sur les marchés de défense,
COLT veut forcément éviter de revivre ses années sombres de la fin des années 80. A cette
époque numéro 2 du marché mondial des armes
légères d'infanterie avec 10% des parts, derrière
un leader qui n'était autre que FN avec plus de
11% du marché, COLT a vu l'abîme de près
suite aux succès du Groupe FN sur le marché
américain. Compte tenu des perspectives aujourd'hui moroses des marchés de défense, un
démantèlement rapide de FN Herstal, en s'appropriant savoir-faire et parts de marché, était
donc une hypothèse plausible dans la stratégie
de COLT. Une perspective qui ne devait, du
reste, pas déplaire à GIAT.
Dans le domaine civil, principal métier de
COLT, les activités de Browning et Winchester
sont particulièrement intéressantes. L'activité
civile du Groupe FN, vitale pour COLT, n'est à
première vue pas l'enjeu essentiel de l'entité de
Herstal où 89,1% de l'emploi et 69,6% du chiffre d'affaires ont été générés par l'activité de
défense en 1996. D'où sans doute la tentation du
Gouvernement wallon d'en délaisser le contrôle
aux américains, tout en s'accrochant à l'activité
de défense. La répartition des activités, des résultats et de l'emploi entre les sites herstaliens et
8
les sites à l'étranger démontre que cela aurait
certainement été une erreur pour le maintien
d'une activité industrielle et de l'emploi à Herstal.
Toutes activités confondues (voir le tableau 1),
les 3 entreprises herstaliennes occupent 43,7%
de l'effectif du Groupe, et génèrent 51,8% de
son chiffre d'affaires; dans la branche défense,
les 3 entreprises herstaliennes occupent 84,2%
de l'emploi et génèrent 94,9% du chiffre d'affaires; dans la branche civile, seulement 8,8% de
l'emploi, mais 25,3% du chiffre d'affaires sont
réalisés à herstal.
Acquérir le Groupe FN, sans avoir la maîtrise
des entités liégeoises, son cœur, n'aurait guère
eu beaucoup de sens pour COLT, tant pour l'activité militaire que civile. L'activité militaire est
par contre capitale pour Herstal, surtout en
terme d'emplois. Mais, tributaire d'un marché
mondial de l'armement en contraction constante,
de plus en plus concurrentiel et surtout très
fluctuant sur de courtes périodes, il ne peut se
passer d'une activité civile qui contribue à
l'équilibre de l'ensemble. A Herstal, activités
civiles et militaires sont, dans l'immédiat, difficilement dissociables.
COLT évincé, la Région wallonne décidait donc
de reprendre seule les 92% des parts détenues
par GIAT INDUSTRIES, le temps de trouver un
accord acceptable de relance avec un ou plusieurs opérateurs industriels.
5. Un savoir-faire et des produits performants
FN HERSTAL S.A s'était longtemps révélée
incapable d'assurer la relève de son produit
phare des années septante, le fusil d'assaut FAL
7.62 qui fut une réussite mondiale exceptionnelle.
Le remplacement des munitions 7.62 mm par le
nouveau 5.56 mm plus léger et plus performant
ainsi que les qualités de la "Minimi" ont cependant permis à la FN Herstal de reconquérir un
quasi monopole sur le marché de la mitrailleuse,
permettant à l'entreprise d'évoluer sereinement
jusqu'au début de l'année 1995.
9
RAPPORT DU GRIP 97/2
Tableau 1 - Les sociétés belges au sein du Groupe HERSTAL S.A.
Emplois (1996)
Belgique
Monde
défense
civil
total
FN Herstal
Canons Delcour
Browning
total
en %
1121
97
4
1222
89,1%
149
149
10,9%
1371
100%
Groupe HERSTAL S.A. (consolidé)
en %
1452
46,3%
1687
53,7%
3139
100%
84,2%
8,8%
43,7%
défense
civil
total
FN Herstal
Canons Delcour
Browning
total
en %
4641
362
61
5064
69,6%
2207
2207
30,4%
7271
100%
Groupe HERSTAL S.A. (consolidé)
en %
5334
38,0%
8714
62,0%
14048
100%
94,9%
25,3%
51,8%
BELGIQUE en % du GROUPE HERSTAL S.A.
Chiffre d'affaires (mio BEF)(1996)
Belgique
Monde
BELGIQUE en % du GROUPE HERSTAL S.A.
source: calculs GRIPDATA, sur base des comptes annuels des entreprises
Dès 1991, d'importants efforts de recherche et
développement ont été consacrés à la mise au
point et à l'industrialisation du nouveau pistolet
mitrailleur P90 et de sa munition 5.7 mm. Parallèllement, la FN développe le pistolet ADP
(Arme de Défense Personnelle) qui fait appel à
des technologies nouvelles et est conçue,
comme le P90, pour utiliser la nouvelle munition de calibre 5.7 mm.
Engagée également dans le développement
d'une gamme de grenades télescopiques, la FN
annonçait en 1992 des résultats satisfaisants
pour la qualification d'une grenade en version
anti-personnel.
Jusqu'en 1996, c'est principalement l'élargissement de la gamme du système 5,7 x 28 mm qui
ont été poursuivis: accessoires pour le pistoletmitrailleur P90, industrialisation de la gamme
du pistolet double-action BDA, le lancement du
pistolet FN Five-seveN, et des munitions civiles
et de police.
HERSTAL S.A. a également poursuivi des travaux pour le développement d'un nouveau fusil
d'assaut bicalibre et lancé la phase d'études préliminaires de mitrailleuses de la prochaine génération. Des réflexions ont aussi été menées sur
les développements d'armes futures, dans le
cadre des recherches pilotées aux Etats-Unis sur
les produits ICW (Individual Combat Weapon)
et CSW (Combat Support Weapon).
Depuis 1995, la société annonce également des
études du département recherche et développement sur de nouveau systèmes d'armes aéroportés.
Dans le domaine civil, les principales activités
concernent l'industrialisation du fusil automatique GOLD et de la carabine BAR MK2, le développement d'un nouveau fusil superposé ainsi
10
RAPPORT DU GRIP 97/2
que le développement d'un nouveau fusil semiautomatique avec sa filiale USRAC aux EtatsUnis.
source: JANES, Web advertising
(http://www.janes.com)
source: JANES, Web advertising
(http://www.janes.com)
Ces quelques produits sont cependant loin de
constituer une liste exhaustive de la gamme
proposée par le groupe HERSTAL S.A., tant
dans le domaine militaire que civil.
De plus, la distinction entre les armements dits
"militaires" et ceux dits "civils" peut être spécieuse. Bien qu'elles ne soient jamais mentionnées dans les rapports annuels de l'entreprise, on
sait que Browning développe également des
armes incapacitantes à décharges électriques et
notamment le BPS & Defender Riot Guns. Présentées uniquement à un public d'initiés (les
Salons MILIPOL notamment), ces armes sont
en principe destinées aux forces de police. Bien
qu'aucune vente de Browning ne nous soit connue actuellement pour ce type d'arme, des armes
semblables prolifèrent déjà et Amnesty International estime qu'elles sont rapidement en train
de devenir l'outil technologique de prédilection
du tortionnaire (Amnesty International, Communiqué de presse du 24 septembre 1997).
L'image traditionnelle du "fabricant de fusils"
qui colle au groupe HERSTAL S.A. est donc
simpliste et dépassée. Les armements développés actuellement dans les bureaux de recherche
et développement de Herstal font appel à des
technologies de pointe et sont de plus en plus
sophistiquées.
On peut en imaginer les conséquences dramatiques lorsque ces armes échappent au contrôle
étroit de leur mission légitime et échoue entre
les mains de tortionnaires et de factions armées
incontrôlables. Ce savoir-faire technologique est
cependant aussi l'un des seuls atouts de l'entreprise pour se diversifier dans d'autres activités à
haute valeur ajoutée.
6. Une
industrie
quasiexclusive-ment exportatrice
La FN Herstal, tout comme l'ensemble du
Groupe HERSTAL S.A., n'échappe pas à l'une
des caractéristiques principales des entreprises
belges du secteur des armes et munitions: une
dépendance exagérée envers l'exportation de ses
produits.
Graphique 2 - La part des exportations dans le chiffre d'affaires de FN Herstal
11
RAPPORT DU GRIP 97/2
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
1996
1995
1994
1993
1992
1991
1990
1989
1988
1987
1986
1985
1984
1983
1982
1981
1980
1979
7/77-1978
76-77
75-76
0%
Pourcentage du chiffre d'affaires réalisé à l'exportation
source: Comptes annuels de l'entreprise
Présente uniquement sur les marchés de l'armement militaire, FN Herstal a toujours réalisé, à
l'exception d'un léger tassement à la fin des années 80, plus de 90% de son chiffre d'affaires à
l'exportation (graphique 2). Les pays arabes et
l'Extrême-Orient représentent ensemble près de
80% du total de ces exportations.
Le GRIP utilise, pour apprécier l'évolution des
marchés de l'armement, les données publiées par
le CRS (Congressional Research Service, Washington). Celles-ci offrent l'avantage de présenter une analyse approfondie de la répartition
régionale, et distinguent également les données
relatives aux contrats (agreements) et celles
relatives aux livraisons effectives de l'année
(deliveries). Le graphique 3 se rapporte aux
livraisons effectives. Les données du SIPRI,
bien que non mentionnées ici, sont cependant
d'une fiabilité égale.
Néanmoins, une importante remarque d'ordre
méthodologique s'impose lorsque ces données
sont utilisées pour évaluer les perspectives des
marchés s'adressant aux entreprises belges de la
défense, et en particulier celles du secteur des
armes et munitions: les armes légères d'infanterie et les armes d'artillerie d'un calibre inférieur
à 100 mm ne sont prises en compte, ni dans les
statistiques du CRS, ni dans celles du SIPRI.
A l'exception de quelques données fragmentaires émanant des entreprises du secteur, il
n'existe pas de données fiables permettant
d'analyser les transferts d'armements légers. Ce
désert statistique est particulièrement gênant
lorsqu'il s'agit de tracer des tendances pour ce
type de marché.
Nous estimons cependant que le marché, primaire et régulier, des armements légers et munitions suit globalement les mêmes tendances
que les armements conventionnels analysés par
le CRS et le SIPRI. De nombreux pays acheteurs du monde en développement, les principaux clients, ont des ressources de plus en plus
limitées pour l'achat d'armements, d'autres ont
développé leurs propres capacités de production
d'armements légers. Ces éléments, et d'autres
analyses ou observations concourent à penser
qu'il n'existe aucune raison objective pour que le
marché des armements légers s'écarte de la tendance générale des marchés des armements
conventionnels, à la baisse depuis une décennie.
Les livraisons mondiales d'amements conventionnels - en dollars de 1996 - ont chuté de
53,16% entre 1986 et 1996, passant d'un montant de 64,2 milliards de dollars en 1986 à 30
milliards de dollars dix années plus tard. Les
12
RAPPORT DU GRIP 97/2
livraisons d'armements conventionnels aux pays
en voie de développement ont diminué dans les
mêmes proportions, enregistrant une baisse de
52,8% de 1986 à 1996 (de 47,1 à 22,2 milliards
de dollars).
Les pays en voie de développement absorbent
donc la majeure partie des livraisons mondiales
d'armements conventionnels: en 1996 seulement, ce sont 73,9% des livraisons qui ont été
acheminées vers les pays en voie de développement. Pour les périodes 1989-1992 et 19931996, ces mêmes pays ont acquis respectivement 77,7% et 70,9% des livraisons internationales.
Après la chute spectaculaire enregistrée jusqu'en
1991, le marché s'est encore très faiblement
tassé jusqu'en 1994. Les deux années les plus
récentes indiquent une timide reprise et une
stabilisation autour de 30 milliards de dollars au
niveau mondial et aux environs de 22 milliards
pour les pays en voie de développement. Les
chiffres du CRS relatifs aux contrats passés en
1995 et 1996 (agreements), indicateurs des livraisons futures, indiquent qu'il ne faut pas s'attendre à d'importantes fluctuations en 1997 et
probablement 1998.
Cette évolution décennale n'a d'autre mérite que
d'expliquer, a posteriori, la situation catastrophique de la plupart des entreprises de défense,
en proie à une surcapacité générale et en profonde restructuration partout dans le monde
développé. Il serait hasardeux d'utiliser ces statistiques pour esquisser des projections applicables aux ventes futures, et en particulier à la
production d'armements légers. Cependant, à
moins de parier sur l'émergence rapide de nouveaux foyers importants de tension dans le
monde, il est vraisemblable que ce marché a
atteint une taille stable pour plusieurs années
encore.
Graphique 3 - Les livraisons d'armements conventionnels dans le monde
80
en milliards de dollars, constants 1996
70
60
50
40
30
20
10
0
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
Livraisons d'armements conventionnels dans le monde
Livraisons d'armements conventionnels dans les pays en voie de développement
source: Richard F. Grimmett - Conventional Arms Transfers to Developing Nations - CRS Report for Congress,
éditions successives.
Le peu de solvabilité de nombreux acheteurs,
l'importance du marché secondaire et l'émer-
13
RAPPORT DU GRIP 97/2
gence de nouveaux producteurs indigènes dans
les pays en voie de développement (souvent
grâce à des licences vendues par les pays occidentaux), rendent peu probable une prochaine
croissance.
Les entreprises du secteur doivent savoir que ce
n'est pas un simple creux structurel. Le marché
traverse au contraire un phénomène conjoncturel d'adaptation aux réalités économiques des
acheteurs traditionnels et aux transformations
géostratégiques de l'après-guerre froide.
La survie des entreprises ne pourra se passer
d'une restructuration profonde dont les opéra-
tions de reconversion et de diversification sont
les éléments centraux.
7. Une diffusion mondiale largement incontrôlée
En 1996, les Etats-Unis ont génèré à eux
seuls près de 43% des transferts d'armements
conventionnels majeurs dans le monde, les quatre grands pays européens (France, RoyaumeUni, Allemagne et Italie) environ 36%. Depuis
l'éclatement de l'Union soviétique, la Russie a
vu sa part chuter à moins de 10% en 1996
(l'URSS maîtrisait 49% du marché en 1989).
Tableau 2 - Pays en voie de développement qui produisent des armements FN sous licence
Pays
Argentine
Brésil
Corée du Sud
Fabricant
Type d'arme
Fabrica Militar de Arms Portatiles • FN Model 1935 GP 9 mm
"Domingo Matheu" (FMAP)
• Browning 9 mm.
• FN FAL 7.62 mm
• FN MAG 7.62 mm
Fabrica de Itujuba (filiale de Indus- • FN FAL 7.62 mm
tria de Material Belico do Brasil, • MD-2, MD-3 5.56 mm (basé
IMBEL)
sur le FN FAL 9mm)
Daewoo Precision Industries (DPI) • K3 5.56 mm (copie du FN
Minimi)
• FN FAL 7.62 mm
Mexique
Fabrica Nacional de Armas
Venezuela
Compana Anonima Venezolana de • FN FAL 7.62 mm
Industries Militares (CAVIM)
• FN Model 1935 GP 9 mm
Maadi Company for Engineering • FN MAG 7.62 mm
Industries
Egypte
• FN FAL 7.62 mm
Israël
TAAS-Israël Industries Ltd
Afrique du Sud
Armaments Developments and Pro- • FN FAL 7.62 mm
duction Corp. (ARMSCOR)
Inde
Indian Ordnance Factories
• FN MAG 7.62 mm
Indonésie
PT Pindad
• SS1-V1, V2 & V3 5.56mm
(copie du FN FAL 7.62 mm)
Taiwan
Hsing-Ho Co.
• Type 74 7.62 mm (basé sur le
FN MAG 7.62 mm)
• Type 75 5.56 mm (basé sur le
FN Minimi)
source: Michael T. Klare, Light Weapons Diffusion and Global Violence in the Post-Cold War Era - in Light
Weapons and International Security, edited by Jasjit Singh, published by Pugwash Conferences on Science and
World Affairs, British American Security Information Council, Indian Pugwash Society and Institute for Defence
Studies and Analyses, Delhi, 1995.
14
RAPPORT DU GRIP 97/2
Tableau 3 - Pays en développement dont les forces armées disposent d'armements FN
Pays
FAL
MAG
Afrique du Sud
x
x
Angola
x
Arabie Saoudite
Pays
FAL
MAG
Kenya
x
x
Koweit
x
x
x
Liban
x
x
Argentine
x
x
Lesotho
x
Barhein
x
x
Libéria
x
Bangladesh
x
Libye
x
Belize
x
x
Malawi
x
x
Bolivie
x
x
Malaisie
x
x
Botswana
x
x
Mauritanie
Brésil
x
x
Mexique
x
Brunei
x
Maroc
x
Burkina Faso
x
Mozambique
x
x
x
Burma
x
x
Nicaragua
Burundi
x
x
Nigeria
x
x
Cambodge
x
Oman
x
x
Cameroun
x
Panama
Chili
x
x
Paraguay
x
Colombie
x
x
Pérou
x
Congo (Zaïre)
x
x
Philippinnes
x
x
Qatar
x
x
Rwanda
x
x
Sierra Leone
x
Corée du Sud
Dominicaine (Rép.)
x
Egypte
x
x
x
x
Emirats Arabes Unis
x
x
Singapour
x
Equateur
x
x
Sri Lanka
x
Gabon
x
x
Tanzanie
x
Ghana
x
x
Tchad
x
x
Trinidad & Tobago
x
Guatemala
x
x
Guyane
x
x
Tunisie
x
Honduras
x
x
Turquie
x
x
Inde
x
x
Ouganda
x
x
Indonésie
x
x
Uruguay
x
x
x
Venezuela
x
x
x
Yemen
x
Zimbabwe
x
Irak
Israël
x
Jamaïque
x
x
source: Michael T. Klare, Light Weapons Diffusion and Global Violence in the Post-Cold War Era - in Light
Weapons and International Security, edited by Jasjit Singh, published by Pugwash Conferences on Science and
World Affairs, British American Security Information Council, Indian Pugwash Society and Institute for Defence
Studies and Analyses, Delhi, 1995.
RAPPORT DU GRIP 97/2
La part de la Belgique est évidemment insignifiante sur le marché mondial de l'armement. Le
rôle joué par notre pays, et singulièrement par la
FN Herstal, devient cependant majeur lorsqu'on
s'attarde en particulier à la production d'armements légers et à leurs multiples canaux de diffusion.
Depuis peu, la FN Herstal est citée dans le cadre
de transactions douteuses d'armes et de munitions (la construction d'une fabrique de munitions au Kenya, les contrats "Dahlia" en Arabie
Saoudite, ventes à l'Equateur et à la Croatie via
l'Argentine,...). Fondées ou non-fondées, toujours abondamment médiatisées, ces ténébreuses affaires ne sont cependant que la partie la
plus visible de la diffusion mondiale et incontrôlable des armements légers.
Hormis ces trafics, les exportations régulières
de la FN Herstal sont soumises, comme tous les
équipements de défense et la technologie y afférente, à la loi belge du 5 aout 1991. Ce rapport
ne débattra pas de la rigueur avec laquelle la loi
est appliquée, ceci mériterait une analyse en soi.
Notons seulement que l'outil juridique existe, à
condition que suive la volonté politique, pour
s'assurer que les armes vendues ne serviront pas
à autre chose qu'à satisfaire le droit légitime
d'Etats respectueux des Droits de l'Homme d'assurer leur sécurité et la défense de leur territoire.
D'autres aspects des transferts d'armements
échappent par contre à tout contrôle. Et notamment l'usage fait aujourd'hui des nombreuses
licences de fabrication vendues jadis par la FN
Herstal aux pays les plus divers.
Le fusil FAL et le fusil-mitrailleur MAG, deux
des produits phares de l'entreprise liégeoise,
sont, ou ont été, produits dans plusieurs entreprises de pays en voie de développement, non
seulement pour leur propre usage, mais fréquemment aussi pour les exporter.
Ces productions et exportations sont à l'origine
de la diffusion mondiale exceptionnelle du FAL
et de la MAG. Ces armes sont utilisées, de manière connue, dans environ 70 pays en voie de
développement, et alimentent de nombreux conflits régionaux ou guerre civiles.
15
Même de nombreuses années après l'arrêt de la
production dans les ateliers de Herstal, la technologie liégeoise continue à tuer sans discernement aux quatre coins du Monde.
8. Quel avenir pour la tradition
armurière?
Les entreprises européennes de défense, florissantes jusqu'au milieu des années 80, se
bousculent aujourd'hui sur un marché des armements qui a fondu de moitié. Le Groupe
HERSTAL S.A. n'échappe pas à cette lutte pour
la vie. Quelque 38% de son chiffre d'affaires
dépendait encore de commandes militaires en
1996. Mais son chiffre "civil" cache en vérité
aussi des équipements para-militaires (tels que
l'équipement des forces de police) et a, lui aussi,
subi un important recul en 1996 (-18%). Quant
aux sociétés herstaliennes du Groupe, la situation est plus grave puisque 70% du chiffre d'affaires était réalisé dans le "militaire".
L'entreprise doit donc se repositionner. L'idée
d'une reconversion microéconomique, au niveau
de la seule entreprise (l'image simplificatrice de
l'usine de tanks qui se met du jour au lendemain
à fabriquer des tracteurs agricoles), s'est cependant révèlée depuis longtemps être un concept
impraticable. La reconversion, contrainte permanente pour de nombreux secteurs de l'activité
économique, doit plutôt se comprendre comme
un processus de redéploiement économique et
social prenant en compte toutes les composantes
et activités de la région.
Nous avons évoqué, dès la première page de ce
rapport, la nécessité d'intégrer à ce processus,
non seulement les facteurs économiques, financiers, sociaux et technologiques, mais également
des critères d'éthique. Cette exigence n'est pas
propre au cas particulier de l'armement. Toute
activité de production de biens ou de services
doit intégrer cette dimension qui recouvre autant
le respect de la dignité des travailleurs, la protection de l'environnement, l'utilisation rationnelle des ressources naturelles, l'origine des
capitaux, que, dans le cas d'une production
d'armement, l'usage qui peut en être fait, aujourd'hui comme demain. Nous estimons qu'un débat sur cette question ne peut être ignoré dans
RAPPORT DU GRIP 97/2
l'élaboration du plan de relance de la FN de
Herstal.
Cette relance, pas seulement de l'entreprise FN,
mais de l'ensemble du bassin d'emploi, n'est
possible que si elle peut compter sur une dynamique interne forte de la région.
Or, une reprise par l'américain COLT, après
l'expérience désastreuse du français GIAT, aurait signifié que l'on préférait, une fois encore,
faire confiance aux possibilités très aléatoires de
développement exogène.
Par contre, une reprise en main par la Région
wallonne ne doit pas être considérée comme un
repli craintif des Wallons sur eux-mêmes. Au
contraire, ce choix doit prouver que les pouvoirs
publics sont capables de redonner aux Wallons
une confiance dans leurs capacités endogènes de
développement. Le rôle du Gouvernement wallon n'est pas de se substituer à un opérateur industriel mais, comme l'indiquait Michel Capron
de la Fopes, d'indiquer la direction, d'aider à
financer et de donner l'impulsion pour que se
mobilise à nouveau du capital à risque wallon
(Le Soir, 9/10/97).
La reconversion de la FN, loin d'être un vieux
fantasme pacifiste, pourrait peut-être devenir,
avec l'aide de la Région, la première étincelle
d'un redéveloppement économique et social de
la région liégeoise.
Quatre axes complémentaires devraient guider
le processus de reconversion:
1. le repositionnement de la FN sur des activités rentables.
Ce repositionnement, précédé d'une réflexion
éthique, s'appuie évidemment sur le savoir-faire
existant. Certaines activités devraient être abandonnées, d'autres méritent sans doute d'être
maintenues et développées. Le savoir-faire du
groupe permettrait probablement aussi une diversification, c'est-à-dire la création de nouvelles activités au sein du Groupe. Nous pensons
naturellement à des activités connexes à l'armement, et notamment au marché ouvert par les
accords de désarmement qui entraînent le démantèlement et la démilitarisation de nombreux
armements. Fabrimétal a récemment chargé un
bureau liégeois de réaliser une étude sur ces
16
perspectives. Notons qu'aucune entreprise belge
n'a été en mesure de démanteler le stock de mines antipersonnel de l'armée belge, qui fut finalement envoyé dans une entreprise allemande.
Ce type de marché nécessite une technologie
appropriée et s'annonce très important, notamment dans la perspective de la signature à Ottawa en décembre prochain du traité d'interdiction
totale des mines, prévoyant la destruction des
stocks existants.
2. le reclassement et éventuellement la requalification du personnel en surnombre.
Une diversification nécessiterait une mobilité au
sein du groupe et des programmes de formation
du personnel à de nouvelles techniques.
3. la création rapide de nouveaux emplois, en
nombre au moins équivalent à ceux qui auront été perdus.
Région et opérateur(s) industriel(s) devraient
s'associer pour récréer les emplois qui auront été
perdus lors de la reprise de FN. L'accent doit
porter surtout sur le développement du tissus
PME-PMI, reconnues plus créatrices d'emplois
que les grandes entreprises.
Pour atteindre cet objectif, une politique volontariste d'essaimage serait un excellent outil.
Trois catégories d'essaimage pourraient être
favorisées:
1) un essaimage externe d'activités: au cours de
son existence, d'innombrables pistes de diversification ont été explorées, et parfois
tentées, par FN Herstal. Ces projets, qui ont
échoués au sein du Groupe ou qui n'entrent
plus dans le nouvel axe stratégique de la société, devraient être inventoriés. Un développement externe de certains d'entres eux, dans
une PME, avec au départ le soutien technologique et de compétences de la FN, s'avèrera peut-être possible.
2) le plan de relance de la FN pourrait aussi
prévoir l'essaimage des compétences de ses
cadres et techniciens. Semblable à un dispositif déjà mis en place par le GIAT dans son
"Plan de retour à l'équilibre opérationnel", ce
système autoriserait des prestations externes
et temporaires de cadres et techniciens de la
FN dans des PME/PMI qui manquent de
compétences précises pour le développement
d'un projet technologique créateur d'emplois.
RAPPORT DU GRIP 97/2
3) l'essaimage individuel: Région et opérateur(s) peuvent également apporter leur soutien aux travailleurs désireux de développer
leur propre activité, notamment par des études préalables de faisabilité, la recherche de
financements, la mise à disposition de locaux, ou la recherche de partenaires.
17
D'une manière générale, des actions spécifiques
en faveur de la création d'un tissu dynamique de
PME/PMI sont les meilleures garanties d'un
nouveau développement local réussi.
intégration de l'industrie européenne de la
défense afin d'opposer un front uni aux restructurations offensives de l'industrie de défense des Etats-Unis. Peut-on se défaire, au
profit des Etats-Unis et connaissant leurs
objectifs (accroître leurs ventes), d'un
Groupe qui fut le leader mondial des armes
légères d'infanterie? Si la question n'est pas
primordiale pour la Région wallonne et les
organisations syndicales, qui ont légitimement d'autres intérêts prioritaires, elle mériterait néanmoins d'être posée.
4. la réaffectation ou réaménagement des infrastructures abandonnées.
La FN Herstal n'a plus d'avenir sur les
marché de l'armement militaire.
Les sociétés du Groupe à Herstal disposent
d'une surface et d'infrastructures considérables.
S'il apparaît que des terrains ou bâtiments deviennent inutiles après le repositionnement du
Groupe, des mesures immédiates devront être
prises pour que ces infrastructures n'échouent
pas en friches industrielles après quelques années d'abandon.
9. Conclusion et recommandations
1. Le marché des armements conventionnels
s'est stabilisé à un niveau corespondant à la
moitié de celui des années 80. Parallèllement, de nouveaux producteurs sont apparus
dans les pays en voie de développement et
certains clients traditionnels ont une solvabilité vacillante. Sauf à parier, de manière cynique, sur une recrudescence de conflits, aucune amélioration n'est prévisible.
2. A moins d'être intégrée à l'une des mégasociétés de l'armement qui se construisent de
part et d'autre de l'Atlantique, la FN n'est
plus de taille à défendre seule les parts de
marché nécessaires à sa survie. Mais de telles alliances poseront toujours le risque de la
marginalisation des outils liégeois et de la
délocalisation au profit d'unités plus performantes à moyen terme.
L'option COLT n'est une solution acceptable pour personne.
La reconversion reste la seule voie praticable.
1. Le risque d'un démantèlement rapide des
sites à Herstal serait énorme. Une reconversion forcée en quelque sorte? La notion de
reconversion serait dans ce cas fallacieuse.
On ne peut réussir une reconversion en se
laissant d'abord dépouiller de son savoirfaire, de ses capacités technologiques, en
démotivant un personnel qualifié et, de plus,
en renforçant la position d'un entreprise de
défense concurrente. Le bilan serait négatif
pour l'économie régionale, et à solde nul
pour la paix et la sécurité dans le monde.
2. Une cession à un opérateur américain oublie
la dimension européenne de l'enjeu. L'Europe s'accorde péniblement sur la nécessaire
1. Non dans son acception étroite et microéconomique. Mais dans le sens d'un redéveloppement économique et social du territoire: comment assurer la pérennité d'un
système productif local tout en se dégageant
progressivement d'une activité déclinante, la
défense? Comment réinvestir, dans de nouvelles activités, l'accumulation de qualifications et de maîtrise technologique léguée par
la FN? Comment recréer et développer un
nouveau tissu industriel, surtout de PMEPMI, sur le substrat de compétences laissées
par la FN?
2. Outre les ressources endogènes, ce redéploiement devrait également mobiliser au
maximun les aides communautaires disponi-
Ces quatre axes du processus de reconversion
seront coûteux mais doivent absolument être
considérés comme un investissement pour l'avenir de la région.
RAPPORT DU GRIP 97/2
bles et en particulier celles destinées à la restructuration de la défense. Une meilleure
intégration de la Région wallonne dans les
actions spécifiques de la Commission européenne pour la reconversion du secteur de la
défense est souhaitable. A côté de l'initiative
communautaire KONVER, dont la poursuite
au-delà de 1999 est incertaine, il existe d'autres actions, soutenues par la Commission
européenne, en faveur des zones nécessitant
une restructuration/recon-version d'activités
liées à la défense. L'Action A10 du programme COST, les rencontres DECIDE ou
les réseaux Network Demilitarized et DECODE sont des exemples d'actions utiles où
la Région wallonne n'est pour l'heure pas
présente. Tous les acteurs wallons de la reconversion pourraient pourtant y partager
l'expérience d'autres régions européennes
confrontées aux mêmes difficultés.
18
Mais pour relever le défi de la relance, il est
avant tout essentiel que chacun assume ses responsabilités. La Région a tenu son rôle: c'est
aux pouvoirs publics de définir la politique industrielle, de soutenir les activités qu'ils estiment nécessaires au développement d'une région, de réguler et d'amortir les mutations industrielles brutales. A l'initiative privée d'assumer maintenant le sien, non pour garantir la
pérennité d'une activité de défense à la FN, en
laissant croire qu'elle est l'alpha et l'oméga de
l'activité des armuriers liégeois, mais pour guider le tissu socio-économique autour de Herstal
dans une transition vers des productions civiles
à haute valeur ajoutée et génératrices d'emplois.
__________________