FN Herstal. Quel avenir pour la tradition armurière
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FN Herstal. Quel avenir pour la tradition armurière
97/2 FN Herstal Quel avenir pour la tradition armurière ? Luc Mampaey GROUPE DE RECHERCHE ET D'INFORMATION SUR LA PAIX ET LA SECURITE 1 RAPPORT DU GRIP 97/2 Sommaire Avant-propos 2 1. Introduction 4 2. Un centenaire célébré dans la tourmente 4 3. La période GIAT INDUSTRIES 6 4. COLT, l'indésirable 8 5. Un savoir-faire et des produits performants 8 6. Une industrie quasi-exclusivement exportatrice 10 7. Une diffusion mondiale largement incontrôlée 13 8. Quel avenir pour la tradition armurière? 15 9. Conclusions et recommandations 17 Annexes 1. Structure du Groupe HERSTAL S.A. et position au sein du groupe GIAT INDUSTRIES 2. Principales données économiques et financières du Groupe HERSTAL S.A. et de ses sociétés belges 2 RAPPORT DU GRIP 97/2 Avant-propos Le 2 octobre 1997, la Région wallonne décide la reprise de l’ensemble des parts de la FN. Elle deviendra donc propriétaire à 100% de l’entreprise d’armement. Ironie du sort, le même jour et à quelques centaines de mètres du siège du Gouvernement wallon, l’auteur de ces lignes était invité à s’exprimer au cours d’un colloque sur la « prévention des conflits » organisé par le Secrétaire d’Etat à la Coopération au développement, M. Réginald Moreels. Il y a été notamment expliqué la nécessité de limiter les exportations d’armes et de restreindre leur production. La décision de la Région wallonne est délicate. D’une part on peut comprendre l’attitude des responsables de l’économie wallonne voulant maintenir l’emploi et l’existence d’un lieu d’innovation technologique. Et on peut également comprendre le refus de la cession à l’américain Colt dont le but final était vraisemblablement d’éliminer un concurrent en en tirant au préalable toute la substance (les laboratoires et le réseau commercial) pour mieux vendre ensuite ses armements dans le monde. D’autre part, on ne peut nier que cette décision bute contre deux réalités. La première, purement économique : le marché de l’armement est en surcapacité après la fin de la guerre froide et la démobilisation de nombreuses forces armées dans le monde. La conséquence est double. D’abord les besoins ont chuté, on achète donc moins. Ensuite, les stocks d’armes existants sont énormes, on les met donc en vente sur le marché de seconde main. La deuxième réalité est éthique et géopolitique. Depuis quelques années, la conception de la sécurité internationale a changé. Aujourd’hui, il n’est plus admissible de régler par les armes les conflits d’intérêts entre Etats ou communautés. Le droit international avait déjà défini cette conception en 1945 dans la Charte des Nations Unies, mais il a fallu la chute du mur de Berlin pour qu’elle commence tout doucement à s’appliquer. Surtout, depuis que les pays industrialisés sont régulièrement appelés à envoyer des Casques bleus pour séparer les belligérants dans des opérations de « peacekeeping ». Les pays industrialisés se sont rendus compte, en réalisant ces médiations, de l’absolue nécessité de lutter contre la militarisation et de désarmer les milices locales. Or, dans de nombreux cas, on s’est aperçu que les armes présentes dans ces conflits provenaient de ces mêmes pays industrialisés. C’est le paradoxe du pyromane contraint à se transformer en pompier. On ne peut avoir une cohérence en tenant un double langage. D’une part prôner la prévention des conflits. D’autre part, se voiler la face en refusant de voir les conséquences de la production et des exportations d’armes. Deux arguments sont souvent avancés par les partisans du maintien d’une production d’armements. 1. « Si ce n’est pas nous, ce seront d’autres qui vendront des armes ». A contrario, il faut effectivement en règle générale que quelqu’un commence à ne plus faire ce que d’autres font si l’on veut enclencher un processus. Ceci est aussi valable dans le domaine du désarmement. Si Gorbatchev n’avait pas décidé unilatéralement d’éliminer les euromissiles puis de retirer les troupes soviétiques d’Afghanistan, la course aux armements continuerait sans doute entre l’Est et l’Ouest. Si certains (petits) pays, n’avaient pas décidé de s’unir pour bannir totalement les mines antipersonnel, il n’y aurait pas eu ce formidable processus qui aboutira à Ottawa en décembre 1997 par la signature d’un traité d’interdiction totale. Et il faut rappeler ici que la Belgique est l’un des plus actifs dans ce processus. Elle a d’ailleurs été le premier Etat au monde à voter une loi d’interdiction totale des mines antipersonnel. 2. « Nous ne vendons qu’aux gouvernements qui ne sont pas impliqués dans un conflit ». C’est vrai sans doute, puisque la loi belge du 5 août 1991 interdit ce genre d’exportation. En revanche, il faut bien être conscient que les armes produites aujourd’hui alimenteront les conflits qui se produiront dans 10 ou 20 ans, comme le montre la présence d’armes belges vieilles de 10 ou 20 ans sur un grand nombre de champs de bataille actuels. RAPPORT DU GRIP 97/2 Une suggestion devrait être glissée dans l’oreille des dirigeants wallons. L’évolution des conceptions en matière de protection de l’environnement a conduit les pouvoirs publics à réaliser des études d’impact avant l’adoption de certains projets d’implantation, ou à étudier les conséquences de certaines activités industrielles sur l’état de l’environnement. A l’instar des préoccupations écologiques, pourquoi le gouvernement wallon ne favoriserait-il pas également l’étude des conséquences des exportations d’armes ? Dire que l’exécutif wallon n’est pas compétent dans les questions de la sécurité internationale apparaît comme surréaliste dès le moment où il est directement impliqué dans une activité industrielle dont les conséquences sont clairement établies dans ce domaine. La moindre des choses serait d’être cohérent en surveillant les conséquences de ses propres activités et de ses choix. 3 La seule alternative pour sortir d’un choix impossible (maintenir l’emploi en produisant des armes, ou arrêter cette production et donc mettre au chômage des travailleurs) est de chercher une troisième voie par la reconversion ou au moins la diversification vers des productions civiles. Il ne faut pas nier la difficulté d’une telle approche qui a d’ailleurs déjà été tentée sans grand succès à la FN comme dans d’autres secteurs. Mais les difficultés ne doivent pas faire renoncer ceux qui, comme nous, recherchent des alternatives crédibles et cohérentes. Si nous comprenons la décision actuelle du gouvernement wallon, il est urgent de chercher des issues d’avenir plus conformes à l’évolution des conceptions éthiques et géostratégiques, tout en surveillant les conséquences de ses choix. Bernard Adam, Directeur du GRIP RAPPORT DU GRIP 97/2 1. Introduction Le 2 octobre 1997, la Région wallonne annonce son intention de reprendre la totalité des parts détenues jusqu'ici par le groupe GIAT Industries dans le capital du groupe liégeois HERSTAL S.A. Une décision présentée comme une simple opération de portage, dans l'attente d'un opérateur industriel pour relancer l'entreprise. Faute d'un repreneur privé acceptable, le choix du Gouvernement wallon était le seul suceptible d'assurer un espoir éventuel de viabilité future à la multinationale HERSTAL S.A., et en particulier à ses trois entités liégeoises, FN Herstal, Canon Delcour et Browning. Les pouvoirs publics wallons ont donc pris leurs responsabilités dans un dossier particulièrement sensible. Chacun savait en effet qu'il ne faudrait pas 48 heures pour qu'une telle décision réveille de vieilles querelles communautaires ou idéologiques. Justifiable par l'urgence, la décision wallonne ne peut cependant conduire à un nouvel enlisement de l'actionnaire public dans une entreprise moribonde: cette fois, les abcès devront être vidés. L'armurerie wallonne redeviendra-t-elle maître de son destin? Après un bref rappel des événements marquants de l'histoire de la Fabrique Nationale, et un examen attentif des caractéristiques de ce groupe d'envergure mondiale, ce rapport tente de poser quelques jalons qui pourraient guider le "plan de relance et d'ancrage" souhaité par le Gouvernement wallon. Une relance et un ancrage dont l'objectif sera naturellement la création d'emplois, la mise en valeur d'un savoirfaire technologique et le développement d'une capacité d'innovation, mais qui ne peuvent ignorer la nature particulière de la production du groupe et les conséquences politiques et stratégiques des exportations ou des cessions de licences. Dans l'équation complexe de la relance, tous les paramètres doivent être intégrés: sociaux, économiques, technologiques et éthiques. Mais pour que chacun y trouve son compte, les travailleurs et l'économie wallonne autant que la 4 stabilité dans le monde, aucun de ces paramètres ne pourra en dominer un autre au point de l'éluder. 2. Un centenaire célébré dans la tourmente C'était il y a plus d'un siècle: en 1889, la Fabrique Nationale de Herstal est créée par une dizaine d'armuriers de la région liégeoise afin de produire 150.000 fusils Mauser pour l'armée belge. Pratiquement dès son origine, l'entreprise se lance dans des productions civiles proches de l'armement (fusils de chasse) ou plus éloignées (motos, camions, voitures, matériel agricole), et tout au long de son existence, la Fabrique nationale entretiendra des activités civiles parallèlement à la production d'armes légères et de munitions. Dans les années 60, la société se lance dans la construction de moteurs d'avions militaires. Une dizaine d'années plus tard, l'entreprise se dirige vers la production et la commercialisation d'articles de sport dont certains ont une proximité technologique avec la production d'armes légères comme le matériel de chasse et de pêche ou les planches à voile. Sans entrer dans les multiples rebondissements socio-économiques de la FN, relevons que les années septante seront celles d'un développement important, mais suivi d'une chute brutale, des activités militaires. Devenue Groupe FN (la société présentera son premier bilan consolidé au 31 décembre 1978), l'entreprise entamera une vague de diversifications, dans les domaines de l'aéronautique militaire puis civile et dans le matériel de sport, ainsi que par l'acquisition de nombreuses unités de productions militaires aux Etats-Unis, au Brésil ou au Nigéria. Dès la fin des années 70, la FN présente ses productions autour de 4 divisions: à côté de la branche "défense et sécurité", la direction insiste sur l'existence des branches "moteurs", "sports et loisirs" et "équipements et services industriels". La branche "moteurs", couvrant l'activité aéronautique, dépendait à l'époque à 5 RAPPORT DU GRIP 97/2 90% d'une production militaire (moteur F100 du F16). FN Industry, qui rassemblait plusieurs entreprises spécialisées dans les engins de manutention, le traitement des déchets ou encore l'engineering, ne représentait pas plus de 4% du chiffre d'affaires de la FN. De nombreux témoins du déclin de l'entreprise mettent aussi en cause l'incapacité de la direction et notamment du marketing à adopter des stratégies adéquates et compétitives dans un marché civil trop différent et bien plus concurrentiel que le marché militaire. En 1978, FN reprend tout le réseau de vente de Browning, fortement implanté aux Etats-Unis (10.000 points de vente). Au début des années 80, de nouvelles applications industrielles sont développées notamment dans la robotique. En 1988, le Groupe FN réalisait 34,9% de son activité dans la branche défense et sécurité, 35,9% dans le domaine des loisirs sportifs, 28,4% dans l'aéronautique et 0,8% dans les équipements industriels divers. Notons cependant que 71% de l'activité aéronautique dépendaient de commandes militaires, ce qui, pour l'ensemble du Groupe, fait grimpé à 55% la part du chiffre d'affaires liée à la défense. La diversification de la FN avait pour objectif de l'affranchir des commandes militaires aux variations cycliques et très fluctuantes d'une année à l'autre. En 1982 et 1983, par exemple, de très graves difficultés ont touché la FN suite au début de contraction de la demande des pays du tiers monde. C'est ainsi que dans les ateliers de production d'armes, près de 60% des effectifs étaient régulièrement en chômage temporaire. Alors que l'activité "défense et sécurité" représentait environ 60 % du chiffre d'affaires du groupe au milieu des années 70, elle n'est plus que de 37 % en 19851. Dès 1983, les investissements réalisés dans le domaine "moteurs" et "sports et loisirs" depuis la fin des années 70 sont considérés comme trop importants par rapport aux ventes espérées. En outre, les emprunts bancaires coûtent excessivement cher. En 1986, les charges financières atteignent près de 10% du chiffre d'affaires. C'est le début d'une stratégie d'abandon de la diversification. Un coup d'arrêt à la diversification sera donc décidé d'abord en 1984, puis de façon beaucoup plus brutale en 1988, suite au plan de restructuration décidé par la Société Générale de Belgique qui détenait à cette époque la Fabrique Nationale Herstal S.A. à hauteur de 76,5% (la SRIW détenait 2,8% et d'autres actionnaires le solde). Comment expliquer cet échec? Sans doute par la confusion et l'absence de stratégie industrielle et technologique cohérente qui ont accompagné ces tentatives de diversification. Le Groupe FN, qui rassemblait au début des années 80 les pôles défense, loisirs, aéronautique et équipements industriels, offrait plus l'image d'un rassemblement hétéroclite que celle d'un groupe intégré. C'est donc l'échec des tentatives de diversification; la division "biens et services industriels" a été progressivement fermée tandis que les produits tels que raquettes de tennis, matériel de golf et planches à voile ne sont plus fabriqués. La division Browning (sports et loisirs) a été filialisée, et la production des armes de chasse et des articles de pêche sera le seul vestige des diversifications successives de la FN. Le 27 décembre 1989, la division aéronautique FN Moteurs est cédée au motoriste français SNECMA. Devenue entretemps Techspace Aero, cette dernière semble aujourd'hui tirée d'affaire. Grâce à une diminution de la part du chiffre réalisée dans la défense (de 71% en 1988 à 39% en 1996, cette part devrait se stabiliser à l'avenir autour de 35%) et grâce à une spécialisation dans le domaine spatial, Techspace Aero connait un effectif stable et affiche des résultats positifs et en légère croissance depuis 1993. L'année 1989 s'achève. Sur fond de restructuration, de cession, et des premiers signes du désintérêt de la Société Générale de Belgique, la Fabrique Nationale vient de fêter son centenaire. ____________ 1. voir "La production d'armements en Belgique", B. Adam, dossier "Notes et documents" n°139, novembre 1989, GRIP 6 RAPPORT DU GRIP 97/2 Graphique 1 - Evolution de l'emploi du Groupe HERSTAL S.A. et de sa filiale FN Herstal. 14000 12000 10000 8000 6000 4000 2000 FN HERSTAL (Belgique) 1996 1995 1994 1993 1992 1991 1990 1989 1988 1987 1986 1985 1984 1983 1982 1981 1980 1979 77-78 76-77 75-76 74-75 0 Groupe HERSTAL S.A. (Monde) source:Comptes annuels de l'entreprises (Rapports successifs, BNB, Centrale des bilans) et questionnaire à l'entreprise. note: la chute brutale en 1987 et 1988 s'explique en partie par la cession de FN Moteurs à la SNECMA. Dès 1987 pour la Fabrique Nationale Herstal, et en 1988 pour les résultats consolidés du Groupe HERSTAL S.A. (à l'époque Groupe FN), les données de FN Moteurs ne figurent plus dans les comptes. FN Moteurs comptait 1648 emplois en 1988; devenue entretemps Techspace Aero, l'effectif moyen de l'entreprise était, en 1996, de 1141 unités. 3. La période GIAT INDUSTRIES L'année 1990 constitue une étape majeure dans l'histoire du Groupe FN. Le 31 décembre 1990, la quasi-totalité des activités industrielles et commerciales du Groupe FN est cédée au groupe français GIAT INDUSTRIES. Le groupe se dénommera HERSTAL S.A. avec pour unités de production belges, la FN, qui prend pour nouveau nom "Fabrique Nationale Nouvelle Herstal" (F.N.N.H), essentiellement pour les domaines militaires, Browning-Winchester pour l'armement civil (sport, chasse, police) et Canons Delcour (surtout connu pour son canon .50). Au terme de l'accord, GIAT INDUSTRIES prend le contrôle de 92% des parts, la Région wallonne en conserve 2%, avec un droit de veto pour les décisions stratégiques. Pour mémoire, GIAT INDUSTRIES est une société française de droit privé à capitaux publics (détenue à 100% par le ministère de la Défense français), créée le 1er juillet 1990 à la suite de la loi votée le 23 décembre 1989 relative aux apports de l'ex-GIAT (qui était la composante industrielle de la DAT [Direction des Armements Terrestres] à la DGA [Direction Générale des Armements], au sein du ministère de la Défense). FNNH se spécialise alors dans ce que la direction appelle son "métier de base": le développement et la production d'armes légères et de munitions, en n'employant plus que 1200 personnes en 1991. Un chiffre à comparer aux 10000 personnes employées en 1980. Au sein du groupe, F.N.N.H. est responsable de toutes les armes de petits calibres et de leurs RAPPORT DU GRIP 97/2 munitions. La société est aussi spécialisée dans le développement de systèmes d'armement pour hélicoptères et avions ainsi que des simulateurs. La très grosse majorité de sa production est destinée à l'exportation (voir graphique 2, p.9). Fin 1993, Albert Diehl déclarait que les pays arabes représentaient 37% du chiffre d'affaires, que l'Extrême-Orient était passé à 40%, l'Afrique 8%, et l'Europe Occidentale 3% seulement (divers clients représentant le solde). En octobre 1993 par ailleurs, F.N.N.H. et Canons Delcour se sont vus accorder une prime en capital de 303 millions par la Région wallonne afin de réaliser un programme d'aménagement de l'infrastructure, d'achat et construction d'équipement et d'étude et réalisation de matériel spécifique de production. Paradoxalement, au sein du groupe HERSTAL S.A., l'activité militaire de F.N.N.H. semble à cette époque se porter mieux que les branches civiles qui subissent encore les conséquences de l'abandon des activités de diversification (pêche, golf, tennis), du coût du rééquipement complet de l'usine USRAC aux Etats-Unis, ainsi que de l'acquisition très contestée de la munitionnerie italienne Anagni. C'est quasi dans l'euphorie que sont annoncés les 350 millions de bénéfice pour l'année 1993. La reconversion/diversifi-cation n'est plus à l'ordre du jour, et le programme d'initiative communautaire KONVER, fraîchement lancé, ne suscite guère d'intérêt parmi les dirigeants de l'époque. Pourtant, la crainte de voir GIAT vider Herstal de sa substance au profit d'unités de production françaises existait déjà. Car au moment où tombent les bonnes nouvelles pour l'entreprise liégeoise, les pertes de la société-mère GIAT sont abyssales: 6,2 milliards de FB pour 1992. Bien décidés à ne pas se laisser sacrifier dans un regroupement européen et une restructuration de GIAT, les syndicalistes liégeois arrachent, le 18 novembre 1991, un accord avec les dirigeants de la société GIAT, prévoyant clairement que le groupe HERSTAL S.A. serait un "centre autonome de profit" et non un simple centre de production intégré à la structure française. HERSTAL S.A. devient, dans l'organisation du GIAT, un sous-groupe rattaché directement à la Présidence de GIAT INDUSTRIES, et n'a donc pas été intégré au pôle opérationnel " Division des systèmes d'armes et munitions" (voir l'An- 7 nexe 1 - Structure du Groupe HERSTAL S.A. et position au sein du groupe GIAT INDUSTRIES). Au cours de l'exercice 1995, la société abandonne le sigle F.N.N.H. pour reprendre simplement l'appellation d'origine FN HERSTAL S.A. La situation financière de GIAT INDUSTRIES reste catastrophique. Le groupe a essuyé une perte nette de 10,3 milliards de FF en 1995. La perte opérationnelle du groupe d'armements terrestres s'élève à 1,6 milliards de FF en 1995 pour un chiffre d'affaires de 5,4 milliards de FF. En outre, dans le cadre du "Plan de retour à l'équilibre opérationnel en 1998", GIAT a provisionné 2,2 milliards de FF. Ce plan doit notamment se traduire par la réduction des effectifs des usines françaises du groupe de 2741 salariés, sur un total de 12400 personnes. A la fin de l'année 1998, l'effectif global devrait être ramené, selon ce plan, à 9700 personnes. Les activités de défense de GIAT INDUSTRIES ont chuté régulièrement depuis sa création en 1990. Cette tendance s'inversera toutefois temporairement jusqu'à la fin de la décennie pour atteindre un volume de 8,5 milliards de francs grâce notamment à la production du char Leclerc et de ses munitions, à raison de 222 exemplaires pour l'armée française et 436 exemplaires pour les Emirats Arabes Unis. Cette phase, qui dépend en grande partie du succès des exportations, pourrait alors durer jusqu'en 20032005. Après quoi, l'activité défense de GIAT INDUSTRIES, qui représente 15 à 20% de l'activité européenne dans le domaine des armements terrestres, pourrait à nouveau décroître. Par ailleurs, la politique de diversification dans le domaine civil par acquisitions externes, entreprises par GIAT dès sa création, n'a pas atteint les résultats escomptés, la direction en imputant la responsabilité à la relative stagnation du secteur français de la mécanique. La direction estimait en mai 1996 que poursuivre dans cette voie n'était plus à la portée financière de la société. Financièrement exsangue, incapable de recapitaliser le groupe liégeois (l'exercice 1996 montre une perte consolidée de 2,6 milliards de FB pour le Groupe HERSTAL S.A., et une perte de 831 millions de FB pour la seule FN Herstal), le RAPPORT DU GRIP 97/2 groupe français cherchera dès l'été 1996 à se désengager. Outre la cession de deux filiales, la brésilienne FN do Brasil et l'italienne Beretta, destinée à conserver aussi longtemps que possible une trésorerie positive, l'année 1997 sera donc essentiellement marquée par la recherche et les négociations avec d'éventuels repreneurs, dont le holding américain Colt Manufacturing Company finira par se détacher. 4. COLT, l'indésirable Début juillet 1997, le nom de Colt Manufacturing Company, filiale du New Colt Holding Corporation épaulé par la banque d'investissement Zilkha & Company, émergeait comme repreneur potentiel de HERSTAL S.A. Compte tenu du passé commun des entreprises COLT et FN, l'annonce ne pouvait qu'éveiller l'inquiétude. Quelles sont les motivations, hostiles ou non, de l'américain COLT? Sur les marchés de défense, COLT veut forcément éviter de revivre ses années sombres de la fin des années 80. A cette époque numéro 2 du marché mondial des armes légères d'infanterie avec 10% des parts, derrière un leader qui n'était autre que FN avec plus de 11% du marché, COLT a vu l'abîme de près suite aux succès du Groupe FN sur le marché américain. Compte tenu des perspectives aujourd'hui moroses des marchés de défense, un démantèlement rapide de FN Herstal, en s'appropriant savoir-faire et parts de marché, était donc une hypothèse plausible dans la stratégie de COLT. Une perspective qui ne devait, du reste, pas déplaire à GIAT. Dans le domaine civil, principal métier de COLT, les activités de Browning et Winchester sont particulièrement intéressantes. L'activité civile du Groupe FN, vitale pour COLT, n'est à première vue pas l'enjeu essentiel de l'entité de Herstal où 89,1% de l'emploi et 69,6% du chiffre d'affaires ont été générés par l'activité de défense en 1996. D'où sans doute la tentation du Gouvernement wallon d'en délaisser le contrôle aux américains, tout en s'accrochant à l'activité de défense. La répartition des activités, des résultats et de l'emploi entre les sites herstaliens et 8 les sites à l'étranger démontre que cela aurait certainement été une erreur pour le maintien d'une activité industrielle et de l'emploi à Herstal. Toutes activités confondues (voir le tableau 1), les 3 entreprises herstaliennes occupent 43,7% de l'effectif du Groupe, et génèrent 51,8% de son chiffre d'affaires; dans la branche défense, les 3 entreprises herstaliennes occupent 84,2% de l'emploi et génèrent 94,9% du chiffre d'affaires; dans la branche civile, seulement 8,8% de l'emploi, mais 25,3% du chiffre d'affaires sont réalisés à herstal. Acquérir le Groupe FN, sans avoir la maîtrise des entités liégeoises, son cœur, n'aurait guère eu beaucoup de sens pour COLT, tant pour l'activité militaire que civile. L'activité militaire est par contre capitale pour Herstal, surtout en terme d'emplois. Mais, tributaire d'un marché mondial de l'armement en contraction constante, de plus en plus concurrentiel et surtout très fluctuant sur de courtes périodes, il ne peut se passer d'une activité civile qui contribue à l'équilibre de l'ensemble. A Herstal, activités civiles et militaires sont, dans l'immédiat, difficilement dissociables. COLT évincé, la Région wallonne décidait donc de reprendre seule les 92% des parts détenues par GIAT INDUSTRIES, le temps de trouver un accord acceptable de relance avec un ou plusieurs opérateurs industriels. 5. Un savoir-faire et des produits performants FN HERSTAL S.A s'était longtemps révélée incapable d'assurer la relève de son produit phare des années septante, le fusil d'assaut FAL 7.62 qui fut une réussite mondiale exceptionnelle. Le remplacement des munitions 7.62 mm par le nouveau 5.56 mm plus léger et plus performant ainsi que les qualités de la "Minimi" ont cependant permis à la FN Herstal de reconquérir un quasi monopole sur le marché de la mitrailleuse, permettant à l'entreprise d'évoluer sereinement jusqu'au début de l'année 1995. 9 RAPPORT DU GRIP 97/2 Tableau 1 - Les sociétés belges au sein du Groupe HERSTAL S.A. Emplois (1996) Belgique Monde défense civil total FN Herstal Canons Delcour Browning total en % 1121 97 4 1222 89,1% 149 149 10,9% 1371 100% Groupe HERSTAL S.A. (consolidé) en % 1452 46,3% 1687 53,7% 3139 100% 84,2% 8,8% 43,7% défense civil total FN Herstal Canons Delcour Browning total en % 4641 362 61 5064 69,6% 2207 2207 30,4% 7271 100% Groupe HERSTAL S.A. (consolidé) en % 5334 38,0% 8714 62,0% 14048 100% 94,9% 25,3% 51,8% BELGIQUE en % du GROUPE HERSTAL S.A. Chiffre d'affaires (mio BEF)(1996) Belgique Monde BELGIQUE en % du GROUPE HERSTAL S.A. source: calculs GRIPDATA, sur base des comptes annuels des entreprises Dès 1991, d'importants efforts de recherche et développement ont été consacrés à la mise au point et à l'industrialisation du nouveau pistolet mitrailleur P90 et de sa munition 5.7 mm. Parallèllement, la FN développe le pistolet ADP (Arme de Défense Personnelle) qui fait appel à des technologies nouvelles et est conçue, comme le P90, pour utiliser la nouvelle munition de calibre 5.7 mm. Engagée également dans le développement d'une gamme de grenades télescopiques, la FN annonçait en 1992 des résultats satisfaisants pour la qualification d'une grenade en version anti-personnel. Jusqu'en 1996, c'est principalement l'élargissement de la gamme du système 5,7 x 28 mm qui ont été poursuivis: accessoires pour le pistoletmitrailleur P90, industrialisation de la gamme du pistolet double-action BDA, le lancement du pistolet FN Five-seveN, et des munitions civiles et de police. HERSTAL S.A. a également poursuivi des travaux pour le développement d'un nouveau fusil d'assaut bicalibre et lancé la phase d'études préliminaires de mitrailleuses de la prochaine génération. Des réflexions ont aussi été menées sur les développements d'armes futures, dans le cadre des recherches pilotées aux Etats-Unis sur les produits ICW (Individual Combat Weapon) et CSW (Combat Support Weapon). Depuis 1995, la société annonce également des études du département recherche et développement sur de nouveau systèmes d'armes aéroportés. Dans le domaine civil, les principales activités concernent l'industrialisation du fusil automatique GOLD et de la carabine BAR MK2, le développement d'un nouveau fusil superposé ainsi 10 RAPPORT DU GRIP 97/2 que le développement d'un nouveau fusil semiautomatique avec sa filiale USRAC aux EtatsUnis. source: JANES, Web advertising (http://www.janes.com) source: JANES, Web advertising (http://www.janes.com) Ces quelques produits sont cependant loin de constituer une liste exhaustive de la gamme proposée par le groupe HERSTAL S.A., tant dans le domaine militaire que civil. De plus, la distinction entre les armements dits "militaires" et ceux dits "civils" peut être spécieuse. Bien qu'elles ne soient jamais mentionnées dans les rapports annuels de l'entreprise, on sait que Browning développe également des armes incapacitantes à décharges électriques et notamment le BPS & Defender Riot Guns. Présentées uniquement à un public d'initiés (les Salons MILIPOL notamment), ces armes sont en principe destinées aux forces de police. Bien qu'aucune vente de Browning ne nous soit connue actuellement pour ce type d'arme, des armes semblables prolifèrent déjà et Amnesty International estime qu'elles sont rapidement en train de devenir l'outil technologique de prédilection du tortionnaire (Amnesty International, Communiqué de presse du 24 septembre 1997). L'image traditionnelle du "fabricant de fusils" qui colle au groupe HERSTAL S.A. est donc simpliste et dépassée. Les armements développés actuellement dans les bureaux de recherche et développement de Herstal font appel à des technologies de pointe et sont de plus en plus sophistiquées. On peut en imaginer les conséquences dramatiques lorsque ces armes échappent au contrôle étroit de leur mission légitime et échoue entre les mains de tortionnaires et de factions armées incontrôlables. Ce savoir-faire technologique est cependant aussi l'un des seuls atouts de l'entreprise pour se diversifier dans d'autres activités à haute valeur ajoutée. 6. Une industrie quasiexclusive-ment exportatrice La FN Herstal, tout comme l'ensemble du Groupe HERSTAL S.A., n'échappe pas à l'une des caractéristiques principales des entreprises belges du secteur des armes et munitions: une dépendance exagérée envers l'exportation de ses produits. Graphique 2 - La part des exportations dans le chiffre d'affaires de FN Herstal 11 RAPPORT DU GRIP 97/2 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 1996 1995 1994 1993 1992 1991 1990 1989 1988 1987 1986 1985 1984 1983 1982 1981 1980 1979 7/77-1978 76-77 75-76 0% Pourcentage du chiffre d'affaires réalisé à l'exportation source: Comptes annuels de l'entreprise Présente uniquement sur les marchés de l'armement militaire, FN Herstal a toujours réalisé, à l'exception d'un léger tassement à la fin des années 80, plus de 90% de son chiffre d'affaires à l'exportation (graphique 2). Les pays arabes et l'Extrême-Orient représentent ensemble près de 80% du total de ces exportations. Le GRIP utilise, pour apprécier l'évolution des marchés de l'armement, les données publiées par le CRS (Congressional Research Service, Washington). Celles-ci offrent l'avantage de présenter une analyse approfondie de la répartition régionale, et distinguent également les données relatives aux contrats (agreements) et celles relatives aux livraisons effectives de l'année (deliveries). Le graphique 3 se rapporte aux livraisons effectives. Les données du SIPRI, bien que non mentionnées ici, sont cependant d'une fiabilité égale. Néanmoins, une importante remarque d'ordre méthodologique s'impose lorsque ces données sont utilisées pour évaluer les perspectives des marchés s'adressant aux entreprises belges de la défense, et en particulier celles du secteur des armes et munitions: les armes légères d'infanterie et les armes d'artillerie d'un calibre inférieur à 100 mm ne sont prises en compte, ni dans les statistiques du CRS, ni dans celles du SIPRI. A l'exception de quelques données fragmentaires émanant des entreprises du secteur, il n'existe pas de données fiables permettant d'analyser les transferts d'armements légers. Ce désert statistique est particulièrement gênant lorsqu'il s'agit de tracer des tendances pour ce type de marché. Nous estimons cependant que le marché, primaire et régulier, des armements légers et munitions suit globalement les mêmes tendances que les armements conventionnels analysés par le CRS et le SIPRI. De nombreux pays acheteurs du monde en développement, les principaux clients, ont des ressources de plus en plus limitées pour l'achat d'armements, d'autres ont développé leurs propres capacités de production d'armements légers. Ces éléments, et d'autres analyses ou observations concourent à penser qu'il n'existe aucune raison objective pour que le marché des armements légers s'écarte de la tendance générale des marchés des armements conventionnels, à la baisse depuis une décennie. Les livraisons mondiales d'amements conventionnels - en dollars de 1996 - ont chuté de 53,16% entre 1986 et 1996, passant d'un montant de 64,2 milliards de dollars en 1986 à 30 milliards de dollars dix années plus tard. Les 12 RAPPORT DU GRIP 97/2 livraisons d'armements conventionnels aux pays en voie de développement ont diminué dans les mêmes proportions, enregistrant une baisse de 52,8% de 1986 à 1996 (de 47,1 à 22,2 milliards de dollars). Les pays en voie de développement absorbent donc la majeure partie des livraisons mondiales d'armements conventionnels: en 1996 seulement, ce sont 73,9% des livraisons qui ont été acheminées vers les pays en voie de développement. Pour les périodes 1989-1992 et 19931996, ces mêmes pays ont acquis respectivement 77,7% et 70,9% des livraisons internationales. Après la chute spectaculaire enregistrée jusqu'en 1991, le marché s'est encore très faiblement tassé jusqu'en 1994. Les deux années les plus récentes indiquent une timide reprise et une stabilisation autour de 30 milliards de dollars au niveau mondial et aux environs de 22 milliards pour les pays en voie de développement. Les chiffres du CRS relatifs aux contrats passés en 1995 et 1996 (agreements), indicateurs des livraisons futures, indiquent qu'il ne faut pas s'attendre à d'importantes fluctuations en 1997 et probablement 1998. Cette évolution décennale n'a d'autre mérite que d'expliquer, a posteriori, la situation catastrophique de la plupart des entreprises de défense, en proie à une surcapacité générale et en profonde restructuration partout dans le monde développé. Il serait hasardeux d'utiliser ces statistiques pour esquisser des projections applicables aux ventes futures, et en particulier à la production d'armements légers. Cependant, à moins de parier sur l'émergence rapide de nouveaux foyers importants de tension dans le monde, il est vraisemblable que ce marché a atteint une taille stable pour plusieurs années encore. Graphique 3 - Les livraisons d'armements conventionnels dans le monde 80 en milliards de dollars, constants 1996 70 60 50 40 30 20 10 0 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 Livraisons d'armements conventionnels dans le monde Livraisons d'armements conventionnels dans les pays en voie de développement source: Richard F. Grimmett - Conventional Arms Transfers to Developing Nations - CRS Report for Congress, éditions successives. Le peu de solvabilité de nombreux acheteurs, l'importance du marché secondaire et l'émer- 13 RAPPORT DU GRIP 97/2 gence de nouveaux producteurs indigènes dans les pays en voie de développement (souvent grâce à des licences vendues par les pays occidentaux), rendent peu probable une prochaine croissance. Les entreprises du secteur doivent savoir que ce n'est pas un simple creux structurel. Le marché traverse au contraire un phénomène conjoncturel d'adaptation aux réalités économiques des acheteurs traditionnels et aux transformations géostratégiques de l'après-guerre froide. La survie des entreprises ne pourra se passer d'une restructuration profonde dont les opéra- tions de reconversion et de diversification sont les éléments centraux. 7. Une diffusion mondiale largement incontrôlée En 1996, les Etats-Unis ont génèré à eux seuls près de 43% des transferts d'armements conventionnels majeurs dans le monde, les quatre grands pays européens (France, RoyaumeUni, Allemagne et Italie) environ 36%. Depuis l'éclatement de l'Union soviétique, la Russie a vu sa part chuter à moins de 10% en 1996 (l'URSS maîtrisait 49% du marché en 1989). Tableau 2 - Pays en voie de développement qui produisent des armements FN sous licence Pays Argentine Brésil Corée du Sud Fabricant Type d'arme Fabrica Militar de Arms Portatiles • FN Model 1935 GP 9 mm "Domingo Matheu" (FMAP) • Browning 9 mm. • FN FAL 7.62 mm • FN MAG 7.62 mm Fabrica de Itujuba (filiale de Indus- • FN FAL 7.62 mm tria de Material Belico do Brasil, • MD-2, MD-3 5.56 mm (basé IMBEL) sur le FN FAL 9mm) Daewoo Precision Industries (DPI) • K3 5.56 mm (copie du FN Minimi) • FN FAL 7.62 mm Mexique Fabrica Nacional de Armas Venezuela Compana Anonima Venezolana de • FN FAL 7.62 mm Industries Militares (CAVIM) • FN Model 1935 GP 9 mm Maadi Company for Engineering • FN MAG 7.62 mm Industries Egypte • FN FAL 7.62 mm Israël TAAS-Israël Industries Ltd Afrique du Sud Armaments Developments and Pro- • FN FAL 7.62 mm duction Corp. (ARMSCOR) Inde Indian Ordnance Factories • FN MAG 7.62 mm Indonésie PT Pindad • SS1-V1, V2 & V3 5.56mm (copie du FN FAL 7.62 mm) Taiwan Hsing-Ho Co. • Type 74 7.62 mm (basé sur le FN MAG 7.62 mm) • Type 75 5.56 mm (basé sur le FN Minimi) source: Michael T. Klare, Light Weapons Diffusion and Global Violence in the Post-Cold War Era - in Light Weapons and International Security, edited by Jasjit Singh, published by Pugwash Conferences on Science and World Affairs, British American Security Information Council, Indian Pugwash Society and Institute for Defence Studies and Analyses, Delhi, 1995. 14 RAPPORT DU GRIP 97/2 Tableau 3 - Pays en développement dont les forces armées disposent d'armements FN Pays FAL MAG Afrique du Sud x x Angola x Arabie Saoudite Pays FAL MAG Kenya x x Koweit x x x Liban x x Argentine x x Lesotho x Barhein x x Libéria x Bangladesh x Libye x Belize x x Malawi x x Bolivie x x Malaisie x x Botswana x x Mauritanie Brésil x x Mexique x Brunei x Maroc x Burkina Faso x Mozambique x x x Burma x x Nicaragua Burundi x x Nigeria x x Cambodge x Oman x x Cameroun x Panama Chili x x Paraguay x Colombie x x Pérou x Congo (Zaïre) x x Philippinnes x x Qatar x x Rwanda x x Sierra Leone x Corée du Sud Dominicaine (Rép.) x Egypte x x x x Emirats Arabes Unis x x Singapour x Equateur x x Sri Lanka x Gabon x x Tanzanie x Ghana x x Tchad x x Trinidad & Tobago x Guatemala x x Guyane x x Tunisie x Honduras x x Turquie x x Inde x x Ouganda x x Indonésie x x Uruguay x x x Venezuela x x x Yemen x Zimbabwe x Irak Israël x Jamaïque x x source: Michael T. Klare, Light Weapons Diffusion and Global Violence in the Post-Cold War Era - in Light Weapons and International Security, edited by Jasjit Singh, published by Pugwash Conferences on Science and World Affairs, British American Security Information Council, Indian Pugwash Society and Institute for Defence Studies and Analyses, Delhi, 1995. RAPPORT DU GRIP 97/2 La part de la Belgique est évidemment insignifiante sur le marché mondial de l'armement. Le rôle joué par notre pays, et singulièrement par la FN Herstal, devient cependant majeur lorsqu'on s'attarde en particulier à la production d'armements légers et à leurs multiples canaux de diffusion. Depuis peu, la FN Herstal est citée dans le cadre de transactions douteuses d'armes et de munitions (la construction d'une fabrique de munitions au Kenya, les contrats "Dahlia" en Arabie Saoudite, ventes à l'Equateur et à la Croatie via l'Argentine,...). Fondées ou non-fondées, toujours abondamment médiatisées, ces ténébreuses affaires ne sont cependant que la partie la plus visible de la diffusion mondiale et incontrôlable des armements légers. Hormis ces trafics, les exportations régulières de la FN Herstal sont soumises, comme tous les équipements de défense et la technologie y afférente, à la loi belge du 5 aout 1991. Ce rapport ne débattra pas de la rigueur avec laquelle la loi est appliquée, ceci mériterait une analyse en soi. Notons seulement que l'outil juridique existe, à condition que suive la volonté politique, pour s'assurer que les armes vendues ne serviront pas à autre chose qu'à satisfaire le droit légitime d'Etats respectueux des Droits de l'Homme d'assurer leur sécurité et la défense de leur territoire. D'autres aspects des transferts d'armements échappent par contre à tout contrôle. Et notamment l'usage fait aujourd'hui des nombreuses licences de fabrication vendues jadis par la FN Herstal aux pays les plus divers. Le fusil FAL et le fusil-mitrailleur MAG, deux des produits phares de l'entreprise liégeoise, sont, ou ont été, produits dans plusieurs entreprises de pays en voie de développement, non seulement pour leur propre usage, mais fréquemment aussi pour les exporter. Ces productions et exportations sont à l'origine de la diffusion mondiale exceptionnelle du FAL et de la MAG. Ces armes sont utilisées, de manière connue, dans environ 70 pays en voie de développement, et alimentent de nombreux conflits régionaux ou guerre civiles. 15 Même de nombreuses années après l'arrêt de la production dans les ateliers de Herstal, la technologie liégeoise continue à tuer sans discernement aux quatre coins du Monde. 8. Quel avenir pour la tradition armurière? Les entreprises européennes de défense, florissantes jusqu'au milieu des années 80, se bousculent aujourd'hui sur un marché des armements qui a fondu de moitié. Le Groupe HERSTAL S.A. n'échappe pas à cette lutte pour la vie. Quelque 38% de son chiffre d'affaires dépendait encore de commandes militaires en 1996. Mais son chiffre "civil" cache en vérité aussi des équipements para-militaires (tels que l'équipement des forces de police) et a, lui aussi, subi un important recul en 1996 (-18%). Quant aux sociétés herstaliennes du Groupe, la situation est plus grave puisque 70% du chiffre d'affaires était réalisé dans le "militaire". L'entreprise doit donc se repositionner. L'idée d'une reconversion microéconomique, au niveau de la seule entreprise (l'image simplificatrice de l'usine de tanks qui se met du jour au lendemain à fabriquer des tracteurs agricoles), s'est cependant révèlée depuis longtemps être un concept impraticable. La reconversion, contrainte permanente pour de nombreux secteurs de l'activité économique, doit plutôt se comprendre comme un processus de redéploiement économique et social prenant en compte toutes les composantes et activités de la région. Nous avons évoqué, dès la première page de ce rapport, la nécessité d'intégrer à ce processus, non seulement les facteurs économiques, financiers, sociaux et technologiques, mais également des critères d'éthique. Cette exigence n'est pas propre au cas particulier de l'armement. Toute activité de production de biens ou de services doit intégrer cette dimension qui recouvre autant le respect de la dignité des travailleurs, la protection de l'environnement, l'utilisation rationnelle des ressources naturelles, l'origine des capitaux, que, dans le cas d'une production d'armement, l'usage qui peut en être fait, aujourd'hui comme demain. Nous estimons qu'un débat sur cette question ne peut être ignoré dans RAPPORT DU GRIP 97/2 l'élaboration du plan de relance de la FN de Herstal. Cette relance, pas seulement de l'entreprise FN, mais de l'ensemble du bassin d'emploi, n'est possible que si elle peut compter sur une dynamique interne forte de la région. Or, une reprise par l'américain COLT, après l'expérience désastreuse du français GIAT, aurait signifié que l'on préférait, une fois encore, faire confiance aux possibilités très aléatoires de développement exogène. Par contre, une reprise en main par la Région wallonne ne doit pas être considérée comme un repli craintif des Wallons sur eux-mêmes. Au contraire, ce choix doit prouver que les pouvoirs publics sont capables de redonner aux Wallons une confiance dans leurs capacités endogènes de développement. Le rôle du Gouvernement wallon n'est pas de se substituer à un opérateur industriel mais, comme l'indiquait Michel Capron de la Fopes, d'indiquer la direction, d'aider à financer et de donner l'impulsion pour que se mobilise à nouveau du capital à risque wallon (Le Soir, 9/10/97). La reconversion de la FN, loin d'être un vieux fantasme pacifiste, pourrait peut-être devenir, avec l'aide de la Région, la première étincelle d'un redéveloppement économique et social de la région liégeoise. Quatre axes complémentaires devraient guider le processus de reconversion: 1. le repositionnement de la FN sur des activités rentables. Ce repositionnement, précédé d'une réflexion éthique, s'appuie évidemment sur le savoir-faire existant. Certaines activités devraient être abandonnées, d'autres méritent sans doute d'être maintenues et développées. Le savoir-faire du groupe permettrait probablement aussi une diversification, c'est-à-dire la création de nouvelles activités au sein du Groupe. Nous pensons naturellement à des activités connexes à l'armement, et notamment au marché ouvert par les accords de désarmement qui entraînent le démantèlement et la démilitarisation de nombreux armements. Fabrimétal a récemment chargé un bureau liégeois de réaliser une étude sur ces 16 perspectives. Notons qu'aucune entreprise belge n'a été en mesure de démanteler le stock de mines antipersonnel de l'armée belge, qui fut finalement envoyé dans une entreprise allemande. Ce type de marché nécessite une technologie appropriée et s'annonce très important, notamment dans la perspective de la signature à Ottawa en décembre prochain du traité d'interdiction totale des mines, prévoyant la destruction des stocks existants. 2. le reclassement et éventuellement la requalification du personnel en surnombre. Une diversification nécessiterait une mobilité au sein du groupe et des programmes de formation du personnel à de nouvelles techniques. 3. la création rapide de nouveaux emplois, en nombre au moins équivalent à ceux qui auront été perdus. Région et opérateur(s) industriel(s) devraient s'associer pour récréer les emplois qui auront été perdus lors de la reprise de FN. L'accent doit porter surtout sur le développement du tissus PME-PMI, reconnues plus créatrices d'emplois que les grandes entreprises. Pour atteindre cet objectif, une politique volontariste d'essaimage serait un excellent outil. Trois catégories d'essaimage pourraient être favorisées: 1) un essaimage externe d'activités: au cours de son existence, d'innombrables pistes de diversification ont été explorées, et parfois tentées, par FN Herstal. Ces projets, qui ont échoués au sein du Groupe ou qui n'entrent plus dans le nouvel axe stratégique de la société, devraient être inventoriés. Un développement externe de certains d'entres eux, dans une PME, avec au départ le soutien technologique et de compétences de la FN, s'avèrera peut-être possible. 2) le plan de relance de la FN pourrait aussi prévoir l'essaimage des compétences de ses cadres et techniciens. Semblable à un dispositif déjà mis en place par le GIAT dans son "Plan de retour à l'équilibre opérationnel", ce système autoriserait des prestations externes et temporaires de cadres et techniciens de la FN dans des PME/PMI qui manquent de compétences précises pour le développement d'un projet technologique créateur d'emplois. RAPPORT DU GRIP 97/2 3) l'essaimage individuel: Région et opérateur(s) peuvent également apporter leur soutien aux travailleurs désireux de développer leur propre activité, notamment par des études préalables de faisabilité, la recherche de financements, la mise à disposition de locaux, ou la recherche de partenaires. 17 D'une manière générale, des actions spécifiques en faveur de la création d'un tissu dynamique de PME/PMI sont les meilleures garanties d'un nouveau développement local réussi. intégration de l'industrie européenne de la défense afin d'opposer un front uni aux restructurations offensives de l'industrie de défense des Etats-Unis. Peut-on se défaire, au profit des Etats-Unis et connaissant leurs objectifs (accroître leurs ventes), d'un Groupe qui fut le leader mondial des armes légères d'infanterie? Si la question n'est pas primordiale pour la Région wallonne et les organisations syndicales, qui ont légitimement d'autres intérêts prioritaires, elle mériterait néanmoins d'être posée. 4. la réaffectation ou réaménagement des infrastructures abandonnées. La FN Herstal n'a plus d'avenir sur les marché de l'armement militaire. Les sociétés du Groupe à Herstal disposent d'une surface et d'infrastructures considérables. S'il apparaît que des terrains ou bâtiments deviennent inutiles après le repositionnement du Groupe, des mesures immédiates devront être prises pour que ces infrastructures n'échouent pas en friches industrielles après quelques années d'abandon. 9. Conclusion et recommandations 1. Le marché des armements conventionnels s'est stabilisé à un niveau corespondant à la moitié de celui des années 80. Parallèllement, de nouveaux producteurs sont apparus dans les pays en voie de développement et certains clients traditionnels ont une solvabilité vacillante. Sauf à parier, de manière cynique, sur une recrudescence de conflits, aucune amélioration n'est prévisible. 2. A moins d'être intégrée à l'une des mégasociétés de l'armement qui se construisent de part et d'autre de l'Atlantique, la FN n'est plus de taille à défendre seule les parts de marché nécessaires à sa survie. Mais de telles alliances poseront toujours le risque de la marginalisation des outils liégeois et de la délocalisation au profit d'unités plus performantes à moyen terme. L'option COLT n'est une solution acceptable pour personne. La reconversion reste la seule voie praticable. 1. Le risque d'un démantèlement rapide des sites à Herstal serait énorme. Une reconversion forcée en quelque sorte? La notion de reconversion serait dans ce cas fallacieuse. On ne peut réussir une reconversion en se laissant d'abord dépouiller de son savoirfaire, de ses capacités technologiques, en démotivant un personnel qualifié et, de plus, en renforçant la position d'un entreprise de défense concurrente. Le bilan serait négatif pour l'économie régionale, et à solde nul pour la paix et la sécurité dans le monde. 2. Une cession à un opérateur américain oublie la dimension européenne de l'enjeu. L'Europe s'accorde péniblement sur la nécessaire 1. Non dans son acception étroite et microéconomique. Mais dans le sens d'un redéveloppement économique et social du territoire: comment assurer la pérennité d'un système productif local tout en se dégageant progressivement d'une activité déclinante, la défense? Comment réinvestir, dans de nouvelles activités, l'accumulation de qualifications et de maîtrise technologique léguée par la FN? Comment recréer et développer un nouveau tissu industriel, surtout de PMEPMI, sur le substrat de compétences laissées par la FN? 2. Outre les ressources endogènes, ce redéploiement devrait également mobiliser au maximun les aides communautaires disponi- Ces quatre axes du processus de reconversion seront coûteux mais doivent absolument être considérés comme un investissement pour l'avenir de la région. RAPPORT DU GRIP 97/2 bles et en particulier celles destinées à la restructuration de la défense. Une meilleure intégration de la Région wallonne dans les actions spécifiques de la Commission européenne pour la reconversion du secteur de la défense est souhaitable. A côté de l'initiative communautaire KONVER, dont la poursuite au-delà de 1999 est incertaine, il existe d'autres actions, soutenues par la Commission européenne, en faveur des zones nécessitant une restructuration/recon-version d'activités liées à la défense. L'Action A10 du programme COST, les rencontres DECIDE ou les réseaux Network Demilitarized et DECODE sont des exemples d'actions utiles où la Région wallonne n'est pour l'heure pas présente. Tous les acteurs wallons de la reconversion pourraient pourtant y partager l'expérience d'autres régions européennes confrontées aux mêmes difficultés. 18 Mais pour relever le défi de la relance, il est avant tout essentiel que chacun assume ses responsabilités. La Région a tenu son rôle: c'est aux pouvoirs publics de définir la politique industrielle, de soutenir les activités qu'ils estiment nécessaires au développement d'une région, de réguler et d'amortir les mutations industrielles brutales. A l'initiative privée d'assumer maintenant le sien, non pour garantir la pérennité d'une activité de défense à la FN, en laissant croire qu'elle est l'alpha et l'oméga de l'activité des armuriers liégeois, mais pour guider le tissu socio-économique autour de Herstal dans une transition vers des productions civiles à haute valeur ajoutée et génératrices d'emplois. __________________