beaux-arts de paris

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beaux-arts de paris
BEAUX-ARTS DE PARIS
ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE
Kristína, HEČKOVÁ
Le Sublime dans l’oeuvre
tardive de Mark Rothko
Mémoire de recherche
présenté sous la direction du Professeur
François René MARTIN
2010
Introduction................................................................................................................... 1-2
Les Causes Formelles du Sublime dans l’Art « classique » de Mark Rothko
L'Absence de Figuration ........................................................................................... 3-5
La Couleur ................................................................................................................ 5-7
Les Grandes Dimensions .......................................................................................... 7-9
L’Infini .................................................................................................................... 9-11
La Contemplation du Sublime dans l’Art « classique » de Mark Rothko
Le Sujet ................................................................................................................. 12-13
Les Conditions d’Installation................................................................................ 13-15
Le Rôle du Spectateur ........................................................................................... 15-17
Environnement d’art total
Rothko Room ............................................................................................................. 18
Seagram Building Commission ............................................................................ 19-20
Harvard Commission ................................................................................................. 20
L’ideé d’une Chapelle........................................................................................... 20-21
La Rothko Chapelle
La Commission ................................................................................................ 21-22
La Chapelle ...................................................................................................... 22-23
Conclusion ................................................................................................................ 24-25
Bibliographie ............................................................................................................ 26-28
Annexe
Figure 1 ...................................................................................................................... 29
Figure 2 ...................................................................................................................... 30
Figure 3 ...................................................................................................................... 31
Figure 4 ...................................................................................................................... 32
Figure 5 ...................................................................................................................... 33
Figure 6 ...................................................................................................................... 34
Figure 7 ...................................................................................................................... 35
Figure 8 ...................................................................................................................... 36
Figure 9 ...................................................................................................................... 37
Figure 10 .................................................................................................................... 37
Figure 11 .................................................................................................................... 38
Figure 12 .................................................................................................................... 38
Figure 13 .................................................................................................................... 39
Figure 14 .................................................................................................................... 40
Texte 1 .................................................................................................................. 41-42
Texte 2 ....................................................................................................................... 42
1
Introduction
« Le « Sublime » transcrit le latin sublime, neutre substantivé de sublimis… signifiant
haut dans les airs, et par suite, au sens physique comme au sens moral, haut, élevé,
grand. » 1
Le « sublime » apparut pour la première fois dans le texte de Longinus, l’auteur grec
connu sous le nom de « Pseudo-Longin » (Longinus), qui écrivit entre le Ier et le IIIe
siècle le traité Peri hupsous. La traduction du texte au XVIIe siècle par Nicolas Boileau,
sous le titre Traité du sublime, signalait un renouvellement de l’intérêt pour les émotions
les plus fortes en art. 2 Longinus définit le sublime en relation avec le beau : le beau est la
présentation du physique, tandis que le sublime vaut essentiellement pour la présentation
du métaphysique 3. Il s’ensuit que le sublime ne peut pas être représenté et « advient la
présentation sans présentation (et avant tout sans représentation ou imitation) » 4. L’art
visuel ne peut faire mieux qu’indiquer le sentiment du sublime à travers des formes
simples, abstraites.
Les peintures abstraites de Mark Rothko des années cinquante et soixante aspirent à la
communication du sentiment du sublime, dont les sources sont difficiles à retracer dans le
contexte du sublime purement métaphysique. Il est nécessaire de se servir de l’ouvrage
d’Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du
beau publié en 1757, dans lequel l’auteur identifie les caractéristiques de la nature et de
l’œuvre d’art qui produisent l’effet le plus élevé. Burke conceptualisait un plaisir négatif
1
LACOUE-LABARTHE, Philippe, « Sublime (problématique du) », dans : Encyclopaedia Universalis,
Paris : Encyclopaedia Universalis, 1995, Corpus 21, p. 724.
2
MORLEY, Simon, The Sublime, London, Cambridge : Whitechapel Art Gallery, MIT Press, 2010,
Introduction, p. 14.
3
LACOUE-LABARTHE, Philippe, op. cit., p. 729.
4
Ibid., p. 731.
2
du sublime, qui tient au recul et à la distance établie par rapport au douloureux et au
terrible :
Tout ce qui est propre à susciter d'une manière quelconque les idées de douleur et de
danger, c'est-à-dire tout ce qui est d'une certaine manière terrible, tout ce qui traite
d'objets terribles ou agit de façon analogue à la terreur, est source du sublime, c'est-àdire capable de produire la plus forte émotion que l'esprit soit capable de ressentir…
Lorsque le danger ou la douleur serrent de trop près, ils ne peuvent donner aucun délice
et sont simplement terribles ; mais, à distance, et avec certaines modifications, ils
peuvent être délicieux et ils le sont, comme nous en faisons journellement
l’expérience. 5
Rothko lut le texte en 1948 6, quelques années avant l’achèvement de ses toiles
« classiques » et il est possible qu’il s’inspirât des idées de Burke pour la conception de
peintures abstraites. La première partie de ce mémoire permettra l’identification des
causes formelles du sublime propres à l’art de Rothko : l’absence de figuration, les
grandes dimensions, la couleur sombre et l’espace infini.
Mais le sublime est plus que la somme des causes formelles. Les conditions
psychologiques propres à la contemplation de toiles de Rothko constituent une partie
essentielle de ses œuvres. La deuxième partie traitera de la communication entre l’artiste,
le tableau et le spectateur. Les Écrits sur l'art de Mark Rothko, publiés en 2009, servent la
base principale concernant les intentions de l’artiste dans sa poursuite d’un art qui
communique.
La troisième partie du mémoire décrira les projets de Rothko qui aspirent à la création
d’un environnement d’art total, où les causes formelles et les causes psychologiques du
sublime se rejoignent. Le projet le plus important à cet égard est la Rothko Chapelle à
Houston, Texas. Cet endroit quasi religieux réunit les éléments qui constituent l’ambiance
du sublime et font naître un art absolu.
5
BURKE, Edmund, Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du Sublime et du Beau, Paris :
Librairie philosophique J. Vrin, 2009, p. 96-97.
6
SANDLER, Irving, « Mark Rothko (In Memory of Robert Goldwater) », dans : Mark Rothko : 1903 –
1970, Londres : Tate Gallery, 1987, p. 11.
3
Les Causes Formelles du Sublime dans l’Art
« classique » de Mark Rothko
L'Absence de Figuration
Mark Rothko découvrit ce qui allait devenir son iconographie « classique » au début
des années cinquante. Il élimina la figuration et la ligne qui étaient présentes dans ses
œuvres surréalistes des années trente et quarante et il créa une peinture simplificatrice :
des formes réduites à des rectangles de couleurs atmosphériques, flottant symétriquement
les uns au-dessous des autres, sur un fond monochrome opaque. En 1946, Rothko
proclamait que les références spécifiques à la nature et à l’art étaient en contradiction avec
son idée de l’expérience transcendantale. 7 Il débarrassait la peinture de toutes les
références à la nature et au signe, devenues des « obstacles » dans la présentation de son
idée. En 1943, dans une lettre co-signée par Adolph Gottlieb et publié dans New York
Times, Rothko exprimait sa volonté de créer « l’expression simple, d’une idée
complexe » 8. Dans la déclaration sur Son attitude en peinture, apparu dans The Tiger’s
Eye en 1949, il revenait encore une fois sur ce thème, juste au moment où son style
« abstrait - classique » commençait à développer :
La progression du travail d’un peintre, comme il voyage dans le temps d’un point à
un autre, ira vers la clarté : vers l’élimination de tous les obstacles entre le peintre,
l’idée et l’observateur. Comme exemples de tels obstacles, je donne (parmi d’autres) la
mémoire, l’histoire ou la géométrie, qui sont des marécages de généralisation dont on
7
ROSENBLUM, Robert, « Notes on Rothko and Tradition », dans : Mark Rothko : 1903 – 1970, Londres :
Tate Gallery 1987, p. 10.
8
ROTHKO, Mark, Écrits sur l'art, Paris : Flammarion, 2009, p. 75.
4
pourrait sortir des parodies d’idées (qui sont des fantômes) mais jamais aucune idée en
soi. Accomplir cette clarté c’est, inévitablement, être compris. 9
Pour atteindre la clarté qu’il a envisagée, Rothko a poussé la réduction de la forme
jusqu’à l’extrême. Un exemple est Untitled (Brown and Gray) (1969) (voir annexe, figure
1), qui montre la simplification à laquelle Rothko arrivera en 1969, un an avant sa mort.
Même si Rothko a exclu la représentation et l’imitation de ses peintures « classiques », il
détestait être catégorisé comme « un peintre abstrait ». Il a notamment dit, qu’il n’avait
jamais été intéressé par le cubisme, ou par l’abstraction géométrique de Mondrian 10. Son
art était loin de cette clarté analytique et froide, qu’il rejetait dans sa lettre à l’éditeur du
New York Times le 8 juillet 1945:
Si les abstractions antérieures ont suivi les préoccupations scientifiques et les
préoccupations objectives de notre temps, les nôtres trouvent un équivalent pictural au
nouveau savoir de l’homme et à sa conscience d’un soi intérieur plus complexe. 11
Il a envisagé d’atteindre ce but grâce à l’utilisation de formes simples, abstraites,
colorées. Rothko n’était pas intéressé par des questions purement formelles. Son but était
d’ordre métaphysique et philosophique, au-delà de l’appréciation sensuelle. Pour lui, la
peinture parlait de la condition humaine et les symboles restaient toujours la meilleure
façon de l’exprimer.
Comme l’a noté William Seitz dans une transcription d’une
interview de Rothko en 1952 :
Ce n’était pas, dit-il, que la figure eût disparu, ni que les figures eussent été
balayées, mais que les symboles des figures, et puis les formes dans les dernières toiles
étaient de nouveaux substituts des figures… Pas une suppression, mais une substitution
des symboles. 12
9
Ibid., p. 120.
Dans la préface du catalogue de l’exposition Mark Rothko en 1972 au Musée National d’Art Moderne à
Paris, Werner Haftmann compare la peinture de Rothko et la peinture de Mondrian. Il écrit que la peinture
de Rothko, par son espace mythique – religieux, constitue la contrepartie des icônes esthétiques de
Mondrian.
HAFTMANN, Werner, dans : Mark Rothko, Paris : Réunion des Musées Nationaux, 1972, p. 9.
11
ROTHKO, Mark, op. cit., p. 92.
12
Ibid., p. 134-135.
10
5
Les champs colorés devenaient des nouveaux substituts de figures. Sans lignes et sans
figuration, Rothko se concentrait à la présentation des « sujets » sublimes purement par la
manipulation de la couleur.
La Couleur
Burke écrivit sur la couleur en architecture, mais les mêmes principes peuvent être
appliqués à la peinture. Selon lui, un édifice éveille l’émotion du sublime quand il est
sombre et ténébreux : « L’obscurité a plus d’effet sur les passions que la lumière… ». 13 Il
cite trois couleurs qui renforcent l’effet du plus haut degré du sublime. Ce sont des
couleurs tristes et sombres comme le noir, le brun et le pourpre foncé.
Rothko utilisa les « couleurs sublimes » par intermittence à partir de 1950. Les
exemples les plus marquants de la palette obscurcie sont les trois séries du projet Seagram
peint entre 1958 et 1960 (voir annexe, figure 2). L’assombrissement de la couleur ne se
manifeste pas seulement par rapport aux peintures antérieures, mais elle est aussi évidente
dans la progression intérieure des trois séries du projet : la première série est
essentiellement orange et marron, la dernière se limite aux tons marrons foncés et noirs.
Pour la première fois, les peintures sont chargées d’émotions profondément tragiques.
D’autres exemples sont les panneaux installés à la Chapelle de Rothko à Houston,
Texas (voir annexe, figure 3). La couleur pourpre des tableaux annonce, selon Xavier
Girard, le suicide de Rothko en février 1970 14. Il est possible que l’utilisation de couleurs
de plus en plus sombres, surtout dans les peintures sur papier de la fin des années soixante,
soit attribuée aux sentiments du désespoir et de la mélancolie que l’artiste manifeste vers
la fin de sa vie.
Rothko a réduit la peinture à la couleur et plus précisément à l’expressivité de la
couleur. Ses peintures sombres sont chargées d’émotions capables de remuer les
sentiments du sublime sans faire référence à la nature ou aux signes.
… le contenu émotionnel est déterminé par la nuance, le rapport de tonalité, le
poids, ainsi que l’expansion et la contraction de ses rectangles de couleur, tout comme
13
BURKE, Edmund, op. cit., p. 158.
GIRARD, Xavier, « Le temple du Monochrome », dans : Beaux Arts magazine, n°85, décembre, 1990, p.
119.
14
6
ceux-ci sont affectés par la forme et le format de l’ensemble. Les tensions psychiques
provoquées par Rothko sont instantanément extrêmes et sans traits bien marqués,
mythiques sans personnages ni événements mythiques. 15
Même si la couleur était son seul moyen d’expression, elle n’était qu’un instrument. 16
Rothko a choisi les couleurs pour leur capacité de suggérer les émotions les plus élevées et
il se méfiait des remarques critiques, qui décrivaient ses œuvres comme « décoratives », et
le catégorisaient comme un « coloriste »:
Rothko claims that he is “no colorist,” and that if we regard him as such we miss the
point in his art. Yet it is hardly a secret that color is his sole medium. In painting after
painting… there are handsome, surprising and disquieting harmonies, and supposedly
difficult colors are made to work together with apparent ease… There is a sense in
which one is inclined to agree with him, or rather to say that Rothko has been
determined to become something other than a colorist… 17
Il s’est délibérément servi de combinaisons de couleurs de plus en plus difficiles avec
des contrastes de moins en moins perceptibles. Il est possible que Rothko détestât
tellement d’être considéré comme un coloriste qu’il essayait de se détacher de cette
étiquette par l’utilisation des couleurs « anti-coloristes », plus difficiles à utiliser dans le
cadre d’une contemplation purement sensuelle. Comme le note Donald McKinney dans la
préface du catalogue d’exposition « Mark Rothko » de 1972 :
Il était agacé par le fait qu’en arrivant dans son atelier tant de visiteurs fussent
immédiatement attirés par les toiles plus claires – celles dont il disait qu’elles étaient
« plus faciles à comprendre » - et qu’ils n’eussent pas les mêmes affinités avec les
toiles plus sombres, « plus difficiles ». 18
15
ROSENBERG, Harold, La dé-définition de l'art, Nîmes : Jacqueline Chambon, 1992. Rothko, p. 105.
ASHTON, Dore, About Rothko, New York : Da Capo Press, 1996, p.134
17
GOLDWATER, Robert, « Reflections on the Rothko Exhibition », dans : Mark Rothko : 1903 – 1970,
Londres : Tate Gallery, 1987, p. 32
18
MC KINNEY, Donald, dans : Mark Rothko, Paris : Réunion des Musées Nationaux, 1972, p. 13.
16
7
Mais même les peintures « plus faciles », peintes avec les couleurs les plus vives,
comme le rouge ou le jaune, sont suffisamment troublantes pour suggérer les émotions
sublimes. Les sentiments proviennent des couleurs vibrantes qui ne permettent pas au
spectateur de se reposer. 19 David Sylvester écrivit que le charme séducteur et les qualités
évocatrices de ces peintures atteignent une importance secondaire lorsque les tableaux
sont confrontés : « These paintings are beyond poetry as they are beyond picturemaking ». 20
Dans les peintures de Rothko, les modulations et les tonalités de la couleur constituent
les sources des émotions humaines. Pour arriver à exprimer ces émotions sublimes et
tragiques, Rothko devait renoncer aux théories de couleurs établies, aux cercles
chromatiques et aux contrastes les plus grossiers. Il inventait des harmonies de couleurs
qui n’avaient pas été vues auparavant. 21 (voir annexe, figure 4) Comme l’écrivit Doerner:
« Dans le domaine de la couleur, le peintre devait procéder de la façon la plus subjective,
en total accord avec les sentiments…Toute standardisation qui réduirait l’usage de la
couleur à une formule constituerait la mort de l’art de peindre. » 22 Rothko s’intéressait aux
rapports des couleurs, à leur intensité, à leurs transparences et opacités, à leur capacité de
s’éloigner ou s’approcher, mais sa maîtrise de la couleur restait chez lui le moyen et pas le
but. 23
Les Grandes Dimensions
« Les grandes dimensions sont une puissante cause du sublime » 24 a écrit Burke. À
partir des années cinquante, les peintures de Rothko atteignent d’immenses dimensions,
comme le No.16 (Two Whites, Two Reds) de 1957, 265,4 x 292,4 cm et le No.9 (White and
Black on Wine) de 1958, 266,7 x 421,6 cm. Mais les œuvres appartenant à la Seagram
Mural série sont encore plus grandes. Un exemple est le tableau Red on Maroon de 1959,
qui mesure 266,7 x 457,2 cm. Les dimensions énormes jouent un rôle décisif : elles
réduisent le spectateur, comme l’écrit Kant : « est sublime ce en comparaison de quoi tout
19
GOLDWATER, Robert, op cit., p. 34.
SYLVESTER, David, « Rothko », dans : Mark Rothko : 1903 – 1970, Londres : Tate Gallery, 1987, p. 36.
21
GAGE, John, « Rothko : la couleur comme sujet », dans : PAGÉ, Suzanne, Mark Rothko, Paris : Paris Musées, 1999, p. 26.
22
Ibid., p. 24.
23
GOLDWATER, Robert, op cit., p. 33.
24
BURKE, Edmund, op. cit., p. 142.
20
8
le reste est petit. » 25, et en même temps, intensifient le sentiment du terrible. Selon Burke,
« aucune passion ne dépouille aussi efficacement l’esprit de tous ses pouvoirs d’agir et de
raisonner que la peur ; car, étant l’appréhension de la douleur ou de la mort, elle agit d’une
manière qui ressemble à la douleur véritable. C’est pourquoi tout ce qui est terrible pour la
vue est également sublime… ». 26 En même temps qu’elle est terrible, la grande échelle, ou
comme disait Rothko, l’échelle humaine, peut créer un effet d’intimité 27. À travers les
grandes dimensions, le spectateur est invité à « entrer » dans le tableau, ce qui n’est pas
possible avec un tableau d’une petite échelle.
Rothko exprima cette idée dans une
conférence au Pratt Institute en novembre 1958 :
Comme je suis engagé dans l’élément humain, je veux créer un état d’intimité – une
transaction immédiate. Les grands formats vous prennent en eux. L’échelle est d’une
extrême importance pour moi – l’échelle humaine… Je crois que les tableaux de petit
format depuis la Renaissance sont comme des récits ; que les grands formats sont
comme des drames auxquels on participe d’une manière directe. 28
Pour intensifier le rapport intime entre le spectateur et le tableau, Rothko installait les
grandes toiles dans des pièces à première vue trop petites pour les accueillir. L’exposition
à la Sidney Janis Gallery, à New York en 1955, montre les tableaux selon un accrochage
qui ne permet pas aux spectateurs de reculer (voir annexe, figure 5). Selon Rothko, la
distance due pour regarder son tableau est de quarante-six centimètres. 29. Dès que le
spectateur entre dans la pièce, il est forcé à une rencontre intime avec la peinture. 30
Comme si Rothko voulait détacher le spectateur de son environnement habituel qui
l’empêche d’entrer dans un état de transcendance sublime. 31 Le spectateur est étonné par
l’immédiateté du tableau, sa grandeur et son atmosphère puissante. Burke identifie cet
étonnement comme un effet du sublime : « La passion causée par le grand et le
sublime…est l’étonnement (astonishment), c’est-à-dire un état de l’âme dans lequel tous
ses mouvements sont suspendus par quelque degré d’horreur. L’esprit est alors si
25
KANT, Emmanuel, « Analytique du Sublime », dans : Critique de la faculté de juger, Paris : Aubier,
1995, p. 231.
26
Ibid., p. 120.
27
SANDLER, Irving, op. cit., p. 12.
28
ROTHKO, Mark, op. cit., p. 200.
29
ARASSE, Daniel, « La Solitude de Rothko », dans : Art Press, n°241, décembre, 1998, p. 28.
30
TODOLI, Vicente, Rothko : The Late Series, Londres : Tate, 2008, p. 16.
31
SANDLER, Irving, op. cit., p. 12.
9
complètement rempli de son objet qu’il ne peut en concevoir d’autre ni par conséquent
raisonner sur celui qui l’occupe. De là vient le grand pouvoir du sublime qui, loin de
résulter de nos raisonnements, les anticipe et nous entraîne avec une force irrésistible. » 32
L’Infini
Robert Rosenblum commence son ouvrage Peinture moderne et tradition romantique
du Nord par la comparaison entre le tableau de Caspar David Friedrich, Le Moine au bord
de la mer de 1809 (voir annexe, figure 6), et celui de Mark Rothko, Vert sur bleu, de 1956
(voir annexe, figure 7). Le tableau de Friedrich montre un moine solitaire au bord d’une
vaste mer, avec un horizon bas d’une couleur bleu-gris et lumière sombre. À part le
moine, le tableau est dépourvu de tous les autres éléments qu’on peut traditionnellement
trouver dans une peinture marine ou dans une scène de genre. Le tableau de Mark Rothko
montre deux rectangles, un bleu et un blanc, leurs bords vibrants dans l’espace du tableau.
Rosenblum écrit, que les deux tableaux renoncent à presque tout, sauf à un vide infini, que
Burke identifiait comme une autre source du sublime:
[L’infini] a tendance à remplir l’esprit de cette sorte d’horreur délicieuse qui est
l’effet le plus authentique et le meilleur critère du sublime. Parmi les objets soumis a
nos sens, il s’en trouve peu qui soient réellement infinis par eux-mêmes. Mais, comme
il en est beaucoup dont l’œil ne peut pas percevoir les bornes, ils paraissent infinis et
produisent les mêmes effets que s’ils l’étaient réellement. 33
Le tableau de Friedrich produit l’effet d’infini par la représentation figurative d’un
moine dans un paysage profondément tragique :
Ce tableau a presque le caractère d’une confession, et il semble que l’artiste, se
projetant dans le personnage du moine solitaire, médite sur sa propre relation avec
l’insaisissable et l’infini, symbolisés par le rapetissement de la figure face à
l’immensité. 34
32
BURKE, Edmund, op. cit., p. 120-121.
Ibid., p. 144.
34
ROSENBLUM, Robert, Peinture moderne et tradition romantique du Nord, Hazan, 1996, p.18.
33
10
Rothko ne se sert pas de la figuration pour donner le sentiment d’insaisissable et
d’infini. Ses formes simples, colorées, jouent le rôle de la mer et du ciel et le spectateur le
rôle du moine. Quand une personne contemple les toiles de Rothko, elle se trouve
immergée dans l’espace tantôt matériel, tantôt immatériel du tableau.
Rothko n’accomplit pas l’impression d’infini par l’illusion de profondeur (les peintures
sont plates et strictement frontales), mais plutôt par l’illumination du tableau grâce à une
lumière ressortant d’au-delà du tableau. Sans source spécifique, la lumière irradie
uniformément le surface de la peinture, comme si elle était une lumière spirituelle. Par
cette luminosité mystérieuse, les peintures se rapprochent des manuscrits enluminés du
Moyen Age.
Rothko obtenait cet effet par un procédé technique unique : il enduisait la toile de colle
et appliquait les couches de couleur jusqu'à ce que la matière de la toile devienne couleur.
Ensuite, il peignait des nombreuses couches de couleur transparentes 35. Cette technique
produisait un effet de vide illuminé qui rayonnait du fond et créait l’ambiance du sublime :
…the floating, horizontal tiers of veiled light in the Rothko seem to conceal a total,
remote presence that we can only intuit and never fully grasp. These infinite, glowing
voids carry us beyond reason to the Sublime ; we can only submit to them in an act of
faith and let ourselves be absorbed into their radiant depths. 36
Le sentiment du sublime est renforcé par les grandes dimensions du tableau ainsi que
par son accrochage qui ne permet pas de reculer. Il est impossible de se placer à distance
pour voir la peinture en entier. Le spectateur se perd dans le tableau : l’espace objectif
s'évanouit et il est remplacé par l’espace émotionnel. 37
…it is impossible to stand at a distance and view this painting as a whole. One
cannot look at it without starting to lose oneself in the painting; at the same time it is
impossible to dream away undisturbed, as there remain subtle frictions at the edges of
35
ISHAGHPOUR, Youssef, Rothko : Une absence d’image : lumière de la couleur, Tours : Farrago, 2003,
p. 10.
36
ROSENBLUM, Robert, « The Abstract Sublime », dans : MORLEY, Simon (edited by), The Sublime,
London, Cambridge : Whitechapel Art Gallery, MIT Press, 2010, p. 110.
37
DE VALL, Van, « Silent visions : Lyotard on the sublime », dans : Art and Design, n°10, 1995, p. 73.
11
one’s awareness. It is both radiant and melancholic, serene and full of uncertainties. It
presents a sense of space, but also of time – something is imminent, but not yet there.
The objective space dissolves in a very ambivalent and emotional space.
Rothko était préoccupé par cette question : comment entrer dans l’espace insaisissable
de ses tableaux ? La réponse qu’il a trouvée était la plus littérale : les toiles entoureront le
spectateur en tant que peintures murales installées dans un espace clos. 38
38
ASHTON, Dore, About Rothko, New York : Da Capo Press, 1996, p. 146.
12
La Contemplation du Sublime dans l’Art
« classique » de Mark Rothko
Le Sujet
Rothko ne précisait pas le sujet de ses peintures. Il disait que les peintures parlaient des
émotions et des expériences humaines les plus élevés dont le sublime fait partie.
Lors d’une conférence au Pratt Institute, il introduit sa « recette du travail artistique » 39
(voir annexe, texte 1), une liste de sept ingrédients : connaissance de la mort, sensualité,
tension, ironie, l’esprit et le jeu, l’éphémère et la chance, l’espoir ; ajoutant, qu’il « mesure
ces ingrédients très précautionneusement » 40 lorsqu’il peint un tableau. La liste peut-être
comprise comme une réponse ironique au formalisme : Rothko a énuméré les éléments du
contenu humain comme s’ils étaient des quantités mesurables et objectives, de la peinture
purement formelle. 41
L’ingrédient, « connaissance de la mort », agit, selon Burke, d’une manière qui
ressemble à la peur et en conséquence à la douleur. À travers l’œuvre d’art, c’est-à-dire, à
distance, la « connaissance de la mort » peut être délicieuse et elle produit l’effet du
sublime. Comme l’écrit Lyotard « art in one move both stages the threat of privation, and
provides the relief » 42.
D’ordre métaphysique, les sujets sublimes de Rothko sont plus que la somme des
causes formelles décrites dans le premier chapitre (l’absence de la figuration, les couleurs
sombres, les grandes dimensions et l’espace infini). Les tableaux doivent être contemplés
39
Ibid., p. 196.
Ibid., p. 196.
41
SANDLER, Irving, op. cit., p. 15.
42
DE VALL, Van, op. cit., p. 70.
40
13
par les spectateurs pour devenir sublimes. Emmanuel Kant soulignait que le sublime n’est
pas tant dans l’objet contemplé que dans l’esprit du spectateur. Il écrit dans Kritik der
Unteilskraft en 1790 :
…nous sommes volontiers ces objets sublimes, parce qu’ils élèvent les forces de
l’âme au-dessus de l’habituelle moyenne et nous font découvrir en nous un pouvoir de
résistance d’un tout autre genre, qui nous donne le courage de nous mesurer avec
l’apparente toute-puissance de la nature. 43
Il suit que les toiles de Rothko s’achèvent grâce au regard du spectateur. Mais pour
que le spectateur soit capable de « découvrir en soi » les émotions sublimes, les tableaux
doivent êtres installés sous les conditions particulières qui renforcent la contemplation et
méditation. Les conditions d’exposition des peintures affectent profondément la façon
dont elles seront contemplées. Les conditions d’installation et le rôle du spectateur sont
des critères de la conception des tableaux sublimes de Rothko.
Les Conditions d’Installation
En tant que peintures méditatives, dont les couleurs sont le seul moyen d’expression,
les oeuvres de Rothko réclamaient des circonstances d’exposition uniques. Rothko était
persuadé que les conditions d’installation de ses peintures constituaient une partie de
l’œuvre au même degré que les constructions formelles des tableaux. 44 Comme l’écrivait
Werner Haftmann: « …Rothko veilla à ce que la caractéristique du tableau de méditation
reste toujours perceptible. Elle serait détruite, par exemple, si la peinture était encadrée
pour devenir un « tableau de musée »». 45
À partir de 1950, Rothko essaya de contrôler les circonstances d’installation de presque
toutes ses expositions. Il donnait des instructions détaillées aux galeristes et aux directeurs
des musées et spécifiait bien les conditions d’accrochage de ses toiles. Les exemples
connus sont les instructions écrites pour les expositions à la Sidney Janis Gallery (1955,
1958), à l’Art Intitute of Chicago (1954), au Museum of Modern Art (1961) et à la
43
KANT, Emmanuel, op. cit., p. 244.
NODELMAN, Sheldon, The Rothko Chapel Paintings : Origins, Structure, Meaning, Austin : Menil
Foundation Inc., University of Texas Press, 1997, p. 35.
45
HAFTMANN, Werner, op. cit., p. 9.
44
14
Whitechapel Gallery à Londres (1961) (voir annexe, texte 2), dans lesquelles Rothko
spécifiait : la hauteur d’accrochage, les intervalles entre les peintures, l’emplacement de la
peinture dans l’intérieur architectural, la couleur des murs et, le plus important, le
caractère et la puissance de l’éclairage. 46
Le directeur du Museum of Modern Art,
Monroe Wheeler, témoigne de la préoccupation de Rothko envers l’éclairage de ses toiles
pendant sa rétrospective en 1961 :
Il était tout à fait mécontent de tout notre système d’éclairage zénithal. Il ne lui
convenait simplement pas. Il y avait trop de lumière et elle n’était pas distribuée
comme il l’aurait voulu. Et puis il y avait trop de lumière du jour – en raison de
l’exposition au nord du bâtiment. À la fin, il s’estima satisfait mais ne fut jamais
enthousiaste. Il désirait que les tableaux pénètrent lentement dans la conscience du
spectateur. 47
À cause de son sens aigu de l’environnement envisagé pour l’accrochage de ses
tableaux, Rothko arrêta d’exposer ses peintures dans les expositions collectives.
Comme l’écrivait Donald McKinney dans le catalogue d’exposition de Rothko au Musée
National d’Art Moderne en 1972 : «…Mark n’aimait pas les expositions de groupe et
désirait que son œuvre n’entre pas en conflit avec celles d’autres artistes. » 48 Werner
Haftmann raconte, qu’il fut surpris par la réponse de Rothko à la proposition de participer
à la Documenta de 1959 :
J’était allé à New York pour le voir et lui demander de participer à la Documenta de
1959. Il refusa catégoriquement. Il ne voulait plus participer à de grandes expositions
de survol, ses peintures n’étaient pas faites pour cela. Elles réclamaient un espace
propre. 49
Rothko n’exposa pas ses peintures dans les expositions collectives, ni dans les grandes
salles des musées après sa rétrospective de 1961 au Museum of Modern Art de New York.
Selon lui, la réaction du spectateur envers un œuvre d’art était d’ordre intellectuel et
46
NODELMAN, Sheldon, op. cit., p. 35.
MC KINNEY, Donald, op. cit., p. 14-15.
48
Ibid., p. 15.
49
HAFTMANN, Werner, op. cit., p. 7-8.
47
15
moral. Les circonstances psychologiques, qui permettaient au spectateur de se concentrer à
la signification et au contenu de ses toiles, avait la même importance que les conditions
physiques de l’accrochage. 50 Il savait que l’impact de ses toiles dépendait de l’interaction
entre les œuvres elles-mêmes, ainsi qu’entre les œuvres et l’espace environnant. 51 Cette
préoccupation de contrôler tous les aspects de l’exposition, devenus inhérents à l’œuvre,
comme dans une sorte d’art in situ, allait contre l’idée moderne du marché de l’art. Ni les
expositions de groupe, ni la plupart des acheteurs ne pouvaient assurer ces conditions
d’espace psychologique propre à la contemplation de ses peintures. En 1952, Rothko a
refusé de soumettre deux œuvres au comité d’acquisition du Whitney Museum. Il expliqua
ses raisons dans une lettre au directeur du musée, Lloyd Goodrich:
Comme j’ai un profond sens de la responsabilité vis-à-vis de la vie que mes
peintures mènent dans le monde extérieur, j’accepterai avec gratitude toute forme
d’exposition dans laquelle leur vie et leur signification peuvent êtres maintenus, et
j’éviterai toutes les occasions dont je pense qu’elles rendent la chose impossible. 52
Le Rôle du Spectateur
Rothko n’était pas seulement obsédé par les conditions qui influençaient la
communication entre les spectateurs et le tableau, il était aussi préoccupé par les réactions
des gens qui regardaient ses peintures. Peintes pour dévoiler des sujets d’ordre
métaphysique, les toiles s’achèvent grâce au regard du spectateur : l’interaction entre
l’observateur et le tableau constitue une partie intégrale de l’œuvre. Rothko était conscient
de cette dimension psychologique et méditative de ses toiles et savait qu’il n’était pas
capable de la contrôler. Il exprima son inquiétude par rapport à cette interaction en 1947
dans un article de The Tiger’s Eye, un revue de culture générale :
Une peinture vit par l’amitié, en se dilatant et en se ranimant dans les yeux de
l’observateur sensible. Elle meurt pareillement. Par conséquent, c’est un acte dur et
risqué que de l’envoyer de par le monde. Combien souvent doit-il être affaibli pour
50
NODELMAN, Sheldon, op. cit., p. 38.
TODOLI, Vicente, op. cit., p.15.
52
ROTHKO, Mark, op. cit., p. 143-144.
51
16
toujours par les yeux du vulgaire et la cruauté de l’impotent qui aimeraient étendre leur
affliction universellement ! 53
Selon le directeur du Museum of Modern Art, Monroe Wheeler, Rothko était présent
tous les jours qui ont suivi l’ouverture de sa rétrospective en 1961. 54 Il est venu regarder la
totalité de tableaux et espionner les spectateurs pour voir leurs réactions. 55
En 1949, l’affaire de la communication entre artiste, l’œuvre et le spectateur hantait
tellement Rothko, qu’il a cessé de publier des textes sur ses intentions artistiques. Il était
persuadé que les écrits donnaient des instructions spécifiques pour la contemplation de ses
toiles, limitant l’imagination du spectateur. En 1954, Rothko reçut une proposition de
Katharine Kuh, critique d’art et commissaire d’exposition du Chicago Art Institute, de lui
consacrer une exposition personnelle. Conjointement à l’exposition, elle proposa à Rothko
de publier des entretiens réalisées par écrit qui comportaient treize lettres de la
correspondance. Les entretiens ne furent jamais publiés, en raison des réticences
qu’exprima Rothko 56 dans une lettre à Kuh, le 14 juillet 1954 :
Le danger existe qu’au cours de cette correspondance se crée un instrument qui dira
au public comment les peintures doivent êtres regardées et qu’y chercher. Bien que, en
surface, cela puisse sembler une chose obligeante et utile, le vrai résultat est la
paralysie de l’esprit et de l’imagination (et pour l’artiste une mise au tombeau anticipé).
D’où ma détestation des préfaces et des données explicatives. 57
Pour la même raison qu’il ne publiait pas ses textes, Rothko refusait de donner des
titres interprétatifs à ses peintures. La plupart des tableaux des années cinquante et
soixante sont identifiés par des numéros ou des couleurs. Rothko croyait que les titres
descriptifs limitaient la signification des peintures.
Il est même possible que Rothko n’ait pas été capable de donner des titres plus
spécifiques à ses toiles parce qu’il ne savait pas expliquer leurs sujets par les mots et le
langage. Comme l’écrivit Jean-François Lyotard, le sublime est la « présentation qu’il y a
53
ROTHKO, Mark, op. cit., p. 107.
MC KINNEY, Donald, op. cit., p. 15.
55
SANDLER, Irving, op. cit., p. 19.
56
ROTHKO, Mark, op. cit., p. 151.
57
Ibid., p. 153.
54
17
de l’imprésentable » 58 et que « everything is present and the only thing one can add are
exclamations like ‘Ah !’ or ‘look at that’ Expressions… of what is traditionally called the
sublime » 59.
Comme disait Lyotard, tout est déjà présent dans la peinture sublime. Le spectateur doit
se débarrasser de toutes les limitations pour être capable de contempler le tableau et son
sujet. Pour atteindre le statut de peintures méditatives, il fallait contrôler les circonstances
d’installation et créer l’environnement propre à la contemplation. Au cours des années
cinquante, Rothko commença à réfléchir sur ses peintures comme des éléments constituant
un art total dans lequel les sources formelles et les sources psychologiques du sublime
pouvaient se rejoindre.
58
59
LACOUE-LABARTHE, Philippe, op. cit., p. 730.
DE VALL, Van, op. cit., p. 75.
18
Environnement d’art total
Rothko Room
Afin de créer les circonstances psychologiques idéales pour la contemplation de ses
tableaux, Rothko envisagea un environnement d’art total : endroit où l’ambiance intensifie
l’impact du sublime créait par les éléments formels du tableau.
Au début des années soixante, Rothko imagina qu’une salle close dans un musée,
dédiée à accueillir l’exposition permanente de ces œuvres, pouvait atteindre le potentiel de
l’environnement d’art total. 60 En 1960, Duncan Philips installa trois tableaux de la série
Seagram de Rothko dans une salle, Rothko Room, de Philips Collection à Washington
(voir annexe, figure 8). Dans ce cas, Rothko n’était pas directement responsable de
l’installation, mais ses tableaux étaient accrochés selon ses désirs et avec son accord. En
1969, la Tate Gallery de Londres dédiait une salle particulière à l’accueil de huit toiles de
la Seagram série (voir annexe, figure 9). Elles étaient installées dans la Rothko Room
suivant les instructions détaillées que Rothko avait données après une scrupuleuse étude
de la forme, de la couleur et de l’éclairage de la salle. 61
Les deux installations ont sans doute rendu Rothko heureux, mais ce dont il a rêvé,
c’était d’avoir l’occasion de créer un ensemble de travaux spécialement conçu pour un
endroit précis, dédié à la contemplation silencieuse de ses tableaux. Il voulait que les
peintures soient en relation étroite avec l’espace architectural qui sera en accord avec et
mettait en avant les sujets sublimes.
60
61
MC KINNEY, Donald, op. cit., p. 15.
Ibid., p. 15.
19
Seagram Building Commission
Une occasion d’accomplir ce rêve semblait se présenter en 1958 avec la Seagram
Building commission. Il s’agissait d’une invitation pour Rothko d’aménager avec ses
peintures une salle privée du Seagram Building à New York (voir annexe, figure 10). Au
début du projet, il fut enthousiaste, se mettant au travail immédiatement. Comme témoigne
Werner Haftmann :
Il avait, me dit-il, considéré cette commande comme une grande et magnifique tâche
qu’on lui avait finalement confiée, il y avait consacré toutes ses forces et était
absolument conscient que son art avait atteint ici un sommet….il n’hésitait pas à parler
de sa « Chapelle Sixtine ». 62
Mais quand Rothko apprit que la salle devait servir de restaurant de luxe pour l’élite
new yorkaise, il commença à avoir des doutes sur le rôle de ses peintures au sein d’un
espace public. Il craignit que ses toiles ne soient regardées que comme de simples
décorations. Plus tard, Rothko fut convaincu qu’il était arrivé à des réalisations picturales
d’une telle puissance que ses tableaux impressionneraient même les dîneurs de la salle du
Four Seasons. Rothko confia cette ambition à John Fischer pendant une conversation au
printemps 1959, qui fut publié sous le titre « The Easy Chair : Mark Rothko : Portrait of
the Artist as an Angry Man » dans Harper’s Magazine en 1970.
J’ai accepté cette tâche [la Seagram commission] comme un défi, avec des
intentions rigoureusement malveillantes. J’espère peindre quelque chose qui détruira
l’appétit de tous les fils de pute qui viennent manger dans cette salle. Si le restaurant
refusait de mettre au mur mes peintures, ce serait un ultime compliment. Mais ils ne
refuseront pas. Les gens supportent n’importe quoi de nos jours. 63
62
WALDMAN, Diane, Mark Rothko : A Retrospective, New York : Harry N. Abrams Inc., The Solomon R.
Guggenheim Foundation, 1978, p. 7.
63
ROTHKO, Mark, op. cit., p. 205.
20
Mais après avoir fait l’expérience d’un dîner dans le restaurant du Seagram Building,
Rothko a finalement abandonné le projet. 64
Harvard Commission
Une occasion plus propice que le Seagram Commission arrivait en 1961 par
l’intermédiaire de son ami Wassily Leontief. Leontief proposait à Rothko de créer un
ensemble de tableaux pour une salle dédiée au prestigieux Society of Fellows dans le
Holyoke Centre d’Harvard University (voir annexe, figure 11). Rothko fut honoré de cette
offre et il fit cadeau de cinq peintures monumentales – un triptyque et deux panneaux
individuels - à l’institution. 65 Contrairement à celui de la Seagram Commission, le projet
à Harvard fut réalisé, mais avec des altérations considérables. Pendant la réalisation, la
fonction de la salle changea : elle devait, ironiquement, servir de salle à manger pour les
invités d’honneur. Rothko n’était pas content de ce changement et il est devenu clair que
« le but qu’il s’était fixé dépassait constamment les exigences de son commanditaire. » 66
Cependant, l’idée d’un endroit dédié uniquement à la contemplation de ses oeuvres est
toujours restée présente dans sa pensée.
L’idée d’une Chapelle
Pendant la rétrospective de 1961 au Museum of Modern Art, l’historien d’art Robert
Goldwater, a déclaré que la meilleure partie de l’exposition était un groupe de peintures de
la série Seagram installée dans une petite salle détachée des autres. Il a dit que cette salle
avait presque l’atmosphère d’une chapelle. 67 C’était précisément une chapelle que Rothko
envisageait comme environnement idéal pour ses peintures. Il était persuadé que ses toiles
avaient des aspirations quasi religieuses et devaient êtres exposées dans un endroit digne
de les accueillir. Une chapelle pourrait satisfaire les conditions d’un endroit clos,
méditatif, tranquille et silencieux où il serait possible de créer l’atmosphère unique
nécessaire à l’immersion totale du spectateur dans l’espace infini du tableau.
64
NODELMAN, Sheldon, op. cit., p. 37.
Ibid., p. 38.
66
WALDMAN, Diane, op. cit., p. 8.
67
NODELMAN, Sheldon, op. cit., p. 39.
65
21
L’idée d’une chapelle n’est pas une première dans l’histoire de l’art. Les tableaux de
Monet qui invitent le spectateur à s’immerger dans l’atmosphère méditative de la lumière
coloré ont atteint le potentiel d’un environnent d’art total dans les deux salles du Musée de
l’Orangerie à Paris, dédiée à Monet en 1927. 68 (voir annexe, figure 12) Newman eut aussi
l’idée d’un environnement d’art total, une synagogue, ou comme il disait « un lieu sans
impératif ou le visiteur pourrait s’orienter de lui-même, allant d’une toile à l’autre sans
cesser d’être touché par l’ensemble ». 69 Mais l’idée d’une chapelle des temps modernes,
destinée à susciter un sentiment spirituel universel, a des racines encore plus profondes
dans l’histoire de l’art, qui vont jusqu'au romantisme. Le Retable de Tetschen (1808) (voir
annexe, figure 13), de Caspar David Friedrich, malgré son allusion plus précise à
l’iconographie chrétienne, poussait trop loin l’interprétation personnelle de la Crucifixion
pour être exposé dans une église publique. 70 Cette oeuvre était conçue pour une chapelle
privée et destinée à la contemplation silencieuse du paysage sublime.
Pendant son voyage en Angleterre lors de l’été 1959, Rothko trouva une vielle chapelle
désaffectée à Lelant, Cornwall. Il était tellement obsédé par l’idée d’installer ses peintures
dans un endroit spirituel, qu’il pensait à acheter la chapelle pour y accrocher ses toiles. 71
Finalement, cette acquisition n’eut pas lieu, mais cinq ans après, Rothko reçut une
commission à concevoir une chapelle dédiée uniquement à la contemplation de ses
œuvres. C’était une proposition dont il avait rêvé.
La Rothko Chapelle
La Commission
En avril 1964, les mécènes, Donimique et John de Menil, proposèrent à Rothko de
concevoir des peintures pour une petite chapelle qui devait être édifiée pour l’University
of St. Thomas, une institution catholique située à Houston, Texas.
La commission
spécifiait une étroite collaboration entre Rothko et l’architecte Philip Johnson : « The
work would be a collaboration of architect and artist at the highest level, such as the
68
ROSENBLUM, Robert, op. cit., p. 30.
GIRARD, Xavier, op. cit., p. 121.
70
ROSENBLUM, Robert, op. cit., p. 220.
71
NODELMAN, Sheldon, op. cit., p. 40.
69
22
twentieth century has rarely seen. » 72 Rothko accepta le projet avec un enthousiasme
évident ; c’était la concrétisation de son plus grand rêve : « Pour la première fois, ses
œuvres seraient présentées dans un espace spécialement conçu pour les recevoir. » 73
Mais même la commission la plus ambitieuse n’était pas sans problèmes. Il fallait
d’abord changer l’emplacement et la fonction envisagée de la chapelle. Pour répondre aux
caractéristiques propres à l’art de Rothko, la chapelle rompit l’affiliation à l’institution
catholique et devint un sanctuaire des temps modernes. Sans aucune religion spécifique,
elle est un temple destiné à la méditation privée. Quand la chapelle fut finalement achevée
en 1971, l’esprit de l’inauguration prouva que Rothko avait réussi à donner à la chapelle
l’attribution d’un temple universel.
À la cérémonie inaugurale du 27 février 1971 étaient présents le président de la
Conférence centrale des rabbins, un imam représentant l’Islam, des évêques
protestants, un patriarche de l’Eglise grecque orthodoxe et un cardinal, ambassadeur
personnel du pape. Par la suite et à un niveau moins officiel, des visiteurs adeptes du
bouddhisme zen trouvèrent le silence et le mystère de cette étrange chapelle propices à
la pratique de la méditation yoga. 74
La Chapelle
La Rothko Chapelle est située à Houston, entre les gratte-ciels et freeways géants 75, et
représente un endroit sacré dans un monde profane (voir annexe, figure 14). Rothko a
commencé les toiles de la Chapelle série en 1964 et il les a officiellement terminées en
1967. 76 La chapelle, d’une forme octogonale, abrite quatorze peintures - trois triptyques et
cinq panneaux individuels.
Les tableaux destinés à la chapelle sont radicalement différents de tous ses tableaux
antérieurs : un seul rectangle remplaçait les rectangles multiples, des bords nuageux
étaient remplacés par des bords précis, et la couleur noire commençait à dominer la
surface.
72
Ibid., p. 33.
GIRARD, Xavier, op. cit., p. 118-121.
74
ROSENBLUM, Robert, op. cit., p. 220.
75
GIRARD, Xavier, op. cit., p. 118.
76
WALDMAN, Diane, op. cit., p. 68.
73
23
Dès que le spectateur entre dans l’espace de la chapelle, il est entouré par les tableaux,
il est attiré par leurs frontalité et immédiateté qui ne lui permettent pas de reculer ou
reposer. Le spectateur est enfermé dans l’espace infini de la peinture, il est horrifié par
l’idée qu’il peut perdre la relation avec le monde physique et qu’il peut rester capturé dans
l’espace indéterminé du tableau. Comme l’explique Nodelman dans son ouvrage The
Rothko Chapel Paintings : Origins, Structure, Meaning :
The beholder experiences himself or herself as an infinitesimal speck in an
immeasurably greater cosmic vastness but does not long remain separate and distinct
from it. Just as the cosmic boundaries are imprecise and perhaps limitless, so are the
viewer’s own. Merging into this immensity, the viewer participates in its greatness
through the abandonment of his or her limiting specificity of self… Rothko did not
intend the viewer’s experience of the chapel to be comforting or easy. By his own
account, he had set out to create paintings that “you wouldn’t want to look at.” Thereby
he sought to oblige the viewer to reach beyond the limits of expectation to confront a
world that his or her available intellectual and emotional resources did not yet
encompass. 77
Rothko ne précisait pas le contenu des peintures de la Chapelle. Il refusait d’écrire sur
les tableaux et disant : « Silence is so accurate » 78. Néanmoins, il déclarait que les
peintures de la Chapelle exprimaient « l’infini de la mort ». 79 Elles traitent le terrible à
partir duquel le sublime est né.
La Chapelle de Rothko est un environnement d’art total, qui fonctionne comme un
système interactif : les peintures interagissent avec l’espace, l’architecture et avec le
spectateur qui achèvent l’œuvre par sa contemplation métaphysique. Le système n’est pas
linéaire. Sans début ni fin. La Chapelle enferme le spectateur dans l’espace infini et
insaisissable. Le spectateur est détaché de son environnement habituel et entre dans un état
de transcendance sublime. 80
77
NODELMAN, Sheldon, op. cit., p. 301-302.
CHAVE, C. Anna, Mark Rothko : Subjects in Abstraction, New Haven, London, Yale University Press,
1989, p. 16.
79
Ibid., p. 306.
80
SANDLER, Irving, op. cit., p. 12.
78
24
Conclusion
Les causes du sublime propres à l’art de Rothko des années cinquante et soixante sont
d’ordre physique, d’ordre psychologique et d’ordre métaphysique.
Les sources du sublime d’ordre physique sont : l’absence de la figuration, les couleurs
sombres, les grandes dimensions et l’espace infini. La première source, l’absence de la
figuration, est, selon Hegel, le seul moyen de la présentation du sublime en art 81. La
présentation, sans représentation, le sublime peut être présenté seulement à travers
l’abstraction la plus immédiate. Cette abstraction permet à Rothko de se concentrer sur
l’expression du sublime par la couleur. L’assombrissement de la palette se manifeste
surtout dans les tableaux tardifs qui sont chargés d’émotions profondément tragiques et
difficiles, suscitant les idées de douleur et de danger, les meilleurs critères du sublime. Les
dimensions énormes intensifient le sentiment du terrible et, en suit, l’étonnement de
l’observateur par l’immensité et l’immédiateté. Le spectateur est invité à « entrer » dans le
tableau où il se perd dans l’espace infini.
Les causes psychologiques et métaphysiques du sublime qui aident à intensifier les
sources physiques sont les conditions d’installation et le rôle du spectateur. Pour leur
contemplation silencieuse, les tableaux doivent êtres installés d’une façon qui facilite leur
méditation ; sous des conditions spécifiques. Les toiles ne sont pas des objets du marché
de l’art ou des objets purement décoratifs. Ils sont des objets d’ordre élevés peints pour
être contemplés.
Selon Kant, le sublime réside dans le sujet et pas dans l’objet contemplé. Le spectateur
joue un rôle particulier dans la contemplation de peintures tardives de Rothko.
L’observateur ressent des émotions sublimes à travers la matière de toiles et contemple
leur contenu. Le sublime est une notion métaphysique, intellectuelle, qui ne peut pas être
représenté, mais il est en même temps un mode esthétique, construit sur les émotions
81
LACOUE-LABARTHE, Philippe, op. cit., p. 730.
25
humaines sensibles comme la peur et la terreur. Pour ces raisons, les deux modes, sensible
et intellectuel, doivent se réunir dans le regard du spectateur pour produire l’art sublime.
Ces deux modes se rejoignent dans l’art total de Rothko et plus précisément dans la
Rothko Chapelle de Houston. Après les nombreux projets dont Rothko n’étaient pas tout à
fait content, la Chapelle d’Houston présente l’ultime réussite d’un lieu d’art total sublime
où il est possible d’entrer littéralement et mentalement.
La Chapelle reste d’autant plus sublime que Rothko ne survit pas à son ouverture en
1971 : « Son idée réductrice ferma au monde la porte de son atelier, et sanctifia celui-ci
comme un lieu de rituels de mort et de renaissance. Il y mena à bien son programme
annonce en 1943 dans un communiqué commun avec Gottlieb, qui était de faire de son art
« une aventure dans un monde inconnu », une aventure dont son suicide dans l’atelier fut
l’acte final » 82.
82
ROSENBERG, Harold, op. cit., p. 106.
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(edited by). Rothko, Londres : Tate, 2008. Catalogue d’exposition (Londres, Tate Modern,
26 septembre 2008 - 1 février 2009, Sakura, Kawamura Memorial Museum of Art, 21
février - 14 juin, 2009).
SANDLER, Irving, « Mark Rothko (In Memory of Robert Goldwater) », dans : Mark
Rothko : 1903 – 1970, Londres : Tate Gallery, 1987, p. 9-18. Catalogue d’exposition
(Londres, Tate Gallery, 17 juin – 1 septembre 1987)
SYLVESTER, David, « Rothko », dans : Mark Rothko : 1903 – 1970, Londres : Tate
Gallery, 1987, p. 36-37. Catalogue d’exposition (Londres, Tate Gallery, 17 juin – 1
septembre 1987).
Tate Gallery, Mark Rothko : The Seagram Mural Project, Liverpool : Tate Gallery, 1988.
Catalogue d’exposition (Liverpool, Tate Gallery, 28 mai 1988 – 12 fevrier 1989).
BORCHARDT-HUME, Achim, « Shadows of Light : Mark Rothko’s Late Series. » dans :
BORCHARDT-HUME, Achim (edited by). Rothko, Londres : Tate, 2008. Catalogue
d’exposition (Londres, Tate Modern, 26 septembre 2008 - 1 février 2009, Sakura,
Kawamura Memorial Museum of Art, 21 février - 14 juin, 2009).
WALDMAN, Diane, Mark Rothko : A Retrospective, New York : Harry N. Abrams Inc.,
The Solomon R. Guggenheim Foundation, 1978. Catalogue d’exposition (New York,
Guggenheim Museum, 1978).
WAT, Pierre, Naissance de l'art romantique, Paris : Flammarion, 1998.
29
Annexe
Figure 1
Mark Rothko, Untitled (Black on Gray), 1969, Acrylic on canvas, 206,4 cm x 236,2 cm
Collection of Kate Rothko Prizel
ANFAM, David, op. cit., p. 665.
30
Figure 2
Mark Rothko, Untitled (Black on Maroon) Seagram Mural Section, 1959, Acrylic on
canvas, 266,7 cm x 455,9 cm
Kawamura Memorial Museum of Art, Chiba-Ken
ANFAM, David, op. cit., p. 521.
31
Figure 3
Mark Rothko, Untitled (southeast angle wall painting), 1966, Acrylic on canvas, 450,9 cm
x 342,9 cm
Rothko Chapel, courtesy of The Menil Collection, Houston
ANFAM, David, op. cit., p. 641.
32
Figure 4
Mark Rothko, Earth and Green, 1955, Acrylic on canvas, 231,5 cm x 187 cm
Museum Ludwig Cologne
ANFAM, David, op. cit., p. 409.
33
Figure 5
Mark Rothko Exhibition view, Sidney Janis Gallery, New York, 1955
Fondation Beyeler, Mark Rothko, Bâle : Fondation Beyeler, 2001. Catalogue d’exposition
(Bâle, Fondation Beyeler, 8 février-29 avril , 2001), p. 26.
34
Figure 6
Caspar David Friedrich, Le Moine au bord de la mer, vers 1809, Huile sur toile, 110 cm x
171,5 cm
National galerie, Berlin
HOFMANN, Werner, Caspar David Friedrich, Paris : Hazan, 2000, p. 34.
35
Figure 7
Mark Rothko, Green on Blue (Earth-Green and White), 1956, Acrylic on canvas, 228,6
cm x 161,3 cm
The University of Arizona Museum of Art, Gift of Edward J. Gallagher, Jr.
ANFAM, David, op. cit., p. 416.
36
Figure 8
Rothko Room view, The Phillips Collection, Washington, D.C.
THE PHILLIPS COLLECTION: ARS DOMESTICA,
http://moreintelligentlife.com/content/economistcom/phillips-collection-ars-domestica
37
Figure 9
The Rothko Room view, Tate Modern, London
John Banville on Mark Rothko, http://www.tate.org.uk/tateetc/issue7/rothko.htm
Figure 10
View of the Restaurant, with the ‘Rothko’ dining room on right.
Tate Gallery, Mark Rothko : The Seagram Mural Project, Liverpool : Tate Gallery, 1988.
Catalogue d’exposition (Liverpool, Tate Gallery, 28 mai 1988 – 12 fevrier 1989), p. 12.
38
Figure 11
Installation view, Rothko triptych, Holyoke Center, Harvard University, Cambridge, MA,
1963
NODELMAN, Sheldon, The Rothko Chapel Paintings : Origins, Structure, Meaning,
Austin : Menil Foundation Inc., University of Texas Press, 1997, p. 38.
Figure 12
Claude Monet, Les Grandes Décorations, Installation á l’Orangerie : la première salle
HAYES-TUCKER, Paul et al., Monet au XXe siècle, Boston, Londres, Paris : Museum of
Fine Arts, Royal Academy of Arts, Flammarion, 1998. Catalogue d’exposition (Boston,
Museum of Fine Arts, 20 septembre-27 decembre, 1998), p. 86.
39
Figure 13
Caspar David Friedrich, Le Retable de Tetschen, Huile sur toile, 115 cm x 110,5 cm, 1808
Gemäldegalerie, Dresde
ZERNER, Henri (introduction de), Tout l'oeuvre peint de Caspar David Friedrich, Paris :
Flammarion,1982, p. 18.
40
Figure 14
Rothko Chapel Interior: Northwest, North triptych, and Northeast wall panels
About the Museum,
http://houstonmuseumdistrict.org/default/museumpages/museumpage.asp?MID=14
41
Texte 1
INSTRUCTIONS FOR EXHIBITION AT
THE WHITECHAPEL ART GALLERY, 1961
SUGGESTIONS FROM MR. MARK ROTHKO
REGARDING INSTALLATION OF HIS PAINTINGS
Wall color
Walls should be made considerably off-white with umber and warmed by a little red. If
the walls are too white, they are always fighting against the pictures which turn greenish
because of the predominance of red in the pictures.
Lighting
The light, whether natural or artificial, should not be too strong: the pictures have their
own inner light and if there is too much light, the color in the picture is washed out and a
distortion of their look occurs. The ideal situation would be to hang them in a normally lit
room – that is the way they were painted. They should not be over-lit or romanticized by
spots ; this results in a distortion of their meaning. They should either be lighted from a
great distance or indirectly by casting lights at the ceiling or the floor. Above all, the entire
picture should be evenly lighted and not strongly.
Hanging height from the floor
The larger pictures should all be hung as close to the floor as possible, ideally not more
than six inches above it. In the case of the small pictures, they should be somewhat raised
but not “skied” (never hung towards the ceiling). Again this is the way the pictures were
painted. If this is not observed, the proportions of the rectangles become distorted and the
pictures changes.
The exceptions to this are the pictures which are enumerated below which were painted as
murals actually to be hung at a greater height. These are :
1. Sketch for Mural, No. 1, 1958
2. Mural Sections 2,3,4,5, and 7, 1958 – 9
3. White and Black on Wine, 1958
The murals were painted at a height of 4’6” above the floor. If it is not possible to raise
them to that extent, any raising above three feet would contribute to their advantage and
original effect.
Grouping
In the Museum of Modern Art’s exhibition all works from the earliest in the show of 1949
inclusive were hung as a unit, the watercolors separated from the others. The murals were
hung as a second unit, all together. The only exception to this grouping of the murals is the
picture owned by Mr. Rubin, White and Black on Wine 1958, which could take its place,
but with a raised hanging among the other works since it is a transition piece between the
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earlier pictures of that year and the mural series. In the remaining works, it is best not to
follow a chronological order but to arrange them according to their best effect upon each
other. For instance, in the exhibition at the Museum the very light pictures were grouped
together – yellows, oranges, etc. – and contributed greatly to the effect produced.
In considering your installation, it might be of interest that with [sic] three murals (Mural
Section No. 3, 1959 in center, Mural Section No. 5, and Mural Section No. 7, each on
flanking walls) were hung in a separate gallery in our Museum. The dimensions of this
gallery were 16 ½’ x 20’ which Rothko felt were very good proportions and gave an
excellent indication of the way in which the murals were intended to function. If a similar
room could be devised, it would be highly desirable.
Whitechapel Art Gallery Archive, London
ROTHKO, Mark. « Statements by Mark Rothko ». Dans : BORCHARDT-HUME, Achim
(edited by). Rothko, Londres : Tate, 2008. Catalogue d’exposition (Londres, Tate Modern,
26 septembre 2008 - 1 février 2009, Sakura, Kawamura Memorial Museum of Art, 21
février - 14 juin, 2009), p. 96 – 97.
Texte 2
La recette d’un travail artistique – ses ingrédients – le savoir-faire – sa formule.
1. Il doit y avoir une préoccupation de mort évidente – pressentiments quant au fait
d’être mortel…. L’art tragique, l’art romantique, etc. traitent de la connaissance de
la mort.
2. Sensualité. Notre fondement pour être concrets quant au monde. C’est une relation
de plaisir aux choses qui existent.
3. Tension. Que ce soit un conflit ou un désir courbe.
4. Ironie. Voici un ingrédient moderne – l’effacement et l’examen de soi grâce
auxquels un homme peut un instant poursuivre autre chose.
5. L’esprit et le jeu… pour l’élément humain… pour l’élément humain.
6. L’éphémère et la chance… pour l’élément humain.
7. L’espoir. 10 % pour rendre le concept tragique plus supportable.
Je mesure ces ingrédients très précautionneusement lorsque je fais un tableau. C’est
toujours la forme qui suit ces ingrédients et le tableau résulte des proportions de ces
éléments.
ROTHKO, Mark, Écrits sur l'art, Paris : Flammarion, 2009, p. 196.