Michel Sardou dans le journal "Le Point" ‐ le 03/11/2006 @ 18:13
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Michel Sardou dans le journal "Le Point" ‐ le 03/11/2006 @ 18:13
Michel Sardou dans le journal "Le Point" ‐ le 03/11/2006 @ 18:13 Interview du journal "Le Point" de cette semaine Michel Sardou : « J'ai la trouille... » Presque 60 ans et quarante ans de carrière. Le 13 novembre, l'auteur de « La maladie d'amour » publiera son 22e album : deux disques et 23 titres qui vont faire du bruit. Pour Le Point, il en parle à coeur ouvert, livre ses réflexions sur son métier, sa « trouille » d'artiste, la France, Sarko et Ségolène, son père et Marseille, où il aimerait s'installer. Propos recueillis par Jean‐François Jacquier Le Point : Quarante ans de carrière, c'est rare ; il y a seulement quatre ou cinq chanteurs par génération qui arrivent à tenir sur cette distance. Quel est le secret pour durer ? Faut‐il suivre des modes ? Michel Sardou : Je ne pense pas qu'il faille suivre les modes. Je ne me suis jamais posé la question. Chaque fois que j'ai fait un disque, pour moi, c'était le dernier ! J'avais tendance à croire que tout allait, ensuite, s'arrêter. Pour durer, il ne faut pas se contenter de faire des disques, il faut aussi se produire sur scène. C'est la scène qui permet de durer, j'en suis maintenant persuadé. Donner un spectacle fidélise le public. C'est la présence physique, le jeu d'acteur du chanteur qui est important. De cette façon, selon les sondages, vous êtes devenu, à un moment donné, l'un des Français les plus populaires, avec Zidane. Je ne sais pas sur quoi reposent ces sondages. Evidemment, ça fait toujours plaisir d'apprendre qu'on est apprécié à l'échelle de la France. Mais j'ai l'orgueil de croire que ce sont plutôt mes chansons qui sont populaires. Car mon principe, quand j'écris une chanson, c'est justement de faire en sorte que les gens s'y retrouvent, puissent mettre ce qu'ils veulent dedans. Pas forcément ce que j'ai écrit ou ce que j'ai voulu dire, moi. Chaque chanson raconte une petite histoire, un vécu, comme un petit article ? Exact. La presse, je ne vais pas vous l'apprendre, c'est la science des titres. Pour moi, c'est aussi une source d'inspiration. Souvent je pique mes idées dans les titres des journaux ou des magazines. Par exemple, à partir d'un titre du Monde, « Le Paraguay n'est plus ce qu'il était », j'ai fait une chanson un peu drôle en ajoutant « moi non plus ». Mais une chanson doit rester ouverte. Les gens doivent pouvoir la confondre avec leur propre histoire. Je ne sais pas combien d'enfants j'ai faits sur « La maladie d'amour », sûrement un sacré paquet... (rire.) A écouter vos nouveaux titres, on a l'impression d'une plus grande implication personnelle sur le temps qui passe, qui s'accélère... On me fait souvent cette remarque, mais pas du tout. « Je ne suis plus un homme pressé » n'a rien d'autobiographique ; ce titre est une histoire inventée à 90 %. « L'homme pressé » est un clin d'oeil à ce que j'ai fait il y a des années : j'écrivais très vite, je produisais six ou sept chansons par jour ! Parfois avec maladresse, parce qu'on ne réussit pas tous les coups à ce rythme‐là. Ça coulait comme un fleuve et je dois avouer avoir, parfois, fait des choses un peu hâtives. Ce qui m'a valu une réputation de type « qui cogne ». C'est pour cette raison que j'ai voulu faire cette chanson, qui veut dire « rassurez‐vous, aujourd'hui je ne suis plus un homme pressé. Je ne suis pas là pour mettre la pagaille ». Quelle est la chanson de vous que vous préférez ? Franchement, je n'en sais rien. Je dirais que ce que j'ai aimé faire, ce sont les sujets difficiles. Non, ce ne sont pas forcément les tubes comme « Ne m'appelez plus jamais "France" ou « Le lac de Connemara » que j'ai le plus aimés. Ce sont plutôt ces chansons de scène, des chansons plus intérieures aux albums, plus discrètes, mais qui en sont l'âme. Par exemple « La vieille », « Les vieux mariés ». « Ne m'appelez plus jamais "France" » est tout de même un beau succès ? Quand j'ai écrit cette chanson, tout le monde l'avait oublié, le « France ». Il y avait deux ans qu'il avait été vendu. Et Pierre Delanoë me laisse sur mon oreiller cette phrase en guise d'incitation : « je suis le "France", pas la France, démerde‐toi. » Je me mets au piano et je commence mon texte (j'écris toujours les textes avec un fond musical). Je me mets à la place du bateau et le fais parler à la première personne. D'un seul coup, le « France » devient humain, il a une âme, il dit : « je tourne le cul à Saint‐Nazaire ».... Réveillant des fantasmes enfouis, la chanson, à ma grande surprise, a fait un tabac, provoquant une émeute à Saint‐Nazaire ! La CGT est venue en délégation pour me serrer la pogne... A moi Michel Sardou (rire), le fasciste proaméricain qui avait défendu les Américains au Vietnam. J'étais la bête noire de ces années 70‐80, une époque très manichéenne. Tout le monde me tombait dessus. Mais ma chanson sur le « France » en a désarçonné plus d'un. Car tout le monde était d'accord avec cette chanson. Dans « La dernière danse », vous abordez une fois encore la question de la mort. Vieillir vous fait peur ? Pas du tout. Je me trouve et me sens bien mieux maintenant, alors que je vais avoir 60 ans. Mais c'est la dernière fois que je dis mon âge. J'ai dit que je ne fêterais plus mon anniversaire à partir de 60 ans. J'aurai 60 ans jusqu'au bout ! J'ai lu une phrase formidable dans les Carnets intimes de Jules Michelet où il écrit : « la naissance et la mort sont deux accouchements. » Vous ne vous entretenez pas particulièrement ? Je fais de la gym et je fume deux paquets par jour. J'ai juré à ma femme d'arrêter la cigarette, mais c'est très bon pour la voix... Justement, depuis quand est apparu ce petit vibrato à la Pavarotti dans votre voix ? C'est venu il y a une dizaine d'années, avec l'âge, je ne sais pas comment. Je le cultive car ça fonctionne bien. Mais sans trop en faire non plus : il ne faut pas que ça devienne une vibration perpétuelle. Avant, je le travaillais, maintenant, je l'ai. C'est peut‐être la cigarette. Avant d'entrer sur scène, vous sacrifiez toujours au rituel de la cigarette et du whisky ? Oui, toujours un petit fond de whisky et un petit clope pour bien chauffer la machine. Il y a une chanson dont tout le monde va parler, c'est « Allons danser ». Comment c'est venu ? Car on a l'impression que c'est une sorte de manifeste politique, sans qu'on puisse la classer à droite ou à gauche, mais ce que vous dites est terrible pour la France. J'ai fait une liste non exhaustive de problèmes irrésolus et qui, sauf intervention divine, le resteront. Quel que soit le candidat qui l'emportera lors de la présidentielle. Non, ce n'est pas terrible pour la France. Je ne suis pas du tout pessimiste. On s'en est toujours sorti depuis douze cents ans ; je ne vois pas pourquoi ça s'arrêterait d'un seul coup. Mais cette chanson, « Allons danser », c'est ce que j'entends. C'est le discours des partis, le morceau de pipeau qu'ils nous jouent avant cette espèce de bagarre qu'ils s'apprêtent à livrer. Les gens, eux, ont envie d'avoir une réponse à leurs problèmes. Pas de savoir si Ségolène est la future Jeanne d'Arc ou Sarkozy le nouveau de Gaulle... Les discours, pour l'heure, ne m'intéressent pas. Je les écoute, puis je dis « allons danser, c'est du pipeau ». Le vrai combat aura lieu après, lorsque les candidats seront désignés. Et là, ce que j'aimerais, c'est que chacun annonce ce qu'il pourra et ne pourra pas faire en cinq ans. Le citoyen, dans le secret de l'isoloir, pourra alors choisir en connaissance de cause. Il y a quelque chose qui vous agace tout particulièrement, ce sont les droits acquis... Un jour ou l'autre, inévitablement, il va falloir en finir avec les droits acquis. Les avantages des uns, ceux des autres, il va falloir rebattre les cartes, c'est obligatoire. La retraite à 60 ans, Bernard Kouchner ‐ qui n'est pas un ami, mais que je respecte ‐ l'a dit : « il ne faut pas se leurrer, la retraite, il va falloir la reculer de huit ans. » Voilà la vérité. Lui, Kouchner, il ne se présente pas, il est donc ‐ comme moi ‐ libre de ses paroles. Les autres racontent des men‐songes. Notre génération aura peut‐être encore droit à la sienne, de retraite, mais nos enfants en feront les frais ! C'est pratiquement acté. Même chose pour les 35 heures, dont il faudra régler la note, ou la carte scolaire. Donc je dis : qu'on arrête de nous jouer du pipeau à propos de ces cataclysmes programmés. Qu'on nous dise la vérité ! « Allons danser » est une manière de passer à la trappe les beaux discours qui nous font perdre notre temps. Dites‐nous, entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, vous n'avez pas choisi ? Non... Sarko est mon ami, certes, mais on n'est pas en train d'organiser un dîner ou une partie de poker, on élit un président. Nicolas, je le sais, est un honnête homme qui a des tas de qualités ; Ségolène Royal certainement aussi, mais je ne la connais pas. Sarkozy, je le connais, on peut compter sur lui. Ce que je crains, ce sont ses amis du parti. En France, celui qui gagne doit renvoyer l'ascenseur au parti, faire des compromis avec les amis. Or pour réformer il faudrait au contraire faire plier ces amis‐là. Sarko est courageux. Il va peut‐être y arriver. Vous avez aussi connu personnellement François Mitterrand ? J'aimais beaucoup Mitterrand. On était assez amis. C'est curieux, mais il aimait bien mes chansons, et je le trouvais intéressant. Nous n'étions pas amis intimes, mais j'ai eu l'occasion de déjeuner plusieurs fois avec lui, on parlait de tout. Il était incollable, les chansons, les bouquins, les films, les pièces, il avait tout vu... On avait le projet, ensemble, de monter « Les misérables » à la Bastille ; il voulait transformer la place de la Bastille comme elle était à l'époque de Victor Hugo : avec les fiacres, etc. Il adorait le spectacle, c'était un homme de spectacle. On ne parlait que de cela. Comme il savait que j'aimais les histoires, il m'avait montré l'endroit où Napoléon avait signé son abdication, à l'Elysée. Que reste‐t‐il aujourd'hui de votre fascination pour l'Amérique ? Celle de la génération yé‐yé ? On était tous pro‐américains. On entrait dans un film quand on allait en Amérique. La première fois, j'avais vraiment l'impression d'être au cinéma, j'étais dans le film. J'y ai vécu quelques années, j'ai une maison là‐bas, où j'allais comme dans une maison de vacances ; et puis je me suis... pas lassé, car on ne se lasse pas de l'Amérique... Mais au bout d'un moment je ne me suis pas intégré à la vie américaine. J'ai eu du mal. Tout là‐ bas est basé sur le « combien tu vaux ? » On ne vous demande pas comment vous allez, mais combien vous valez. C'est ce côté marche ou crève du libéralisme américain que j'ai refusé. Ceux qui crèvent sont de plus en plus nombreux sur le bas‐côté. Un jour, ils arriveront par‐derrière, pas pour une révolte, pour une révolution. « Les yeux de mon père » est une chanson émouvante. L'avez‐vous écrite en pensant à votre père ? Oui... Toute ma jeunesse j'ai eu très peu de contacts avec mon père, non pas parce qu'on ne s'entendait pas, mais parce qu'on était pudiques tous les deux. Beaucoup d'hommes ont dû connaître la même chose. On se parlait assez peu quand j'étais enfant. On a commencé à se parler quand j'ai fait le même métier que lui, artiste. A ce moment, on avait des choses à se dire. Malheureusement, mon père est parti à 64 ans. Je n'ai jamais su vraiment ce qu'il pensait de ma manière d'exercer ce métier ; il m'a vu une fois ou deux sur scène, à mes débuts. Il n'a pas pu voir mon évolution. C'était un homme très doux et tête en l'air. Il n'était pas de ce monde, il planait. Je pense souvent à lui. « Les yeux de mon père » n'est pas une chanson triste. Mais il avait un côté un peu « perdu », une façon de se déplacer dans les rues, on avait l'impression qu'il ne savait pas trop où il était. J'ai hérité de lui ce côté flottant. Sur l'argent, on dit que vous êtes un gros contribuable, vous confirmez ? Pour le fisc, dans ma catégorie, je dois me trouver dans le peloton de tête du palmarès. Mais payer des impôts, ce n'est pas grave. Si on veut que l'Etat fonctionne, il faut bien qu'il encaisse des revenus. Des impôts, j'en paie, certes. Trop ? Non, mais le système français est surtout trop compliqué. Il faut s'entourer d'un conseiller fiscal et d'un comptable. Si je compte tout, je reverse grosso modo 65 à 70 % de ce que je gagne. Sept jours sur dix, je travaille pour l'Etat. Mais je ne vais pas pleurer, il y a des gens plus malheureux que moi. Et je ne suis pas du genre à me tirer en Suisse ou ailleurs, à quitter mon pays pour du fric. Je pense aussi qu'il serait irrespectueux vis‐à‐vis du public de dire « salut, je ramasse l'oseille et je me casse ». Vous qui avez toujours été comme ça, ronchon, flottant, aujourd'hui vous avez l'air heureux... Je suis heureux. Pas ronchon. Mais on vit un stress permanent. J'ai la trouille de sortir mon disque dans quelques jours, je me demande comment il va être accepté, comment ça va marcher. J'ai 60 piges, je suis toujours très inquiet. J'en suis à quinze ou vingt cafés par jour plus deux paquets de cigarettes et des pilules pour dormir. Je tiens cette inquiétude de mon père. Daniel Auteuil est de la même trempe. S'il n'a pas six films d'affilée en route, il est mort d'inquiétude. C'est normal, on est du Midi tous les deux ! Vous vous sentez toujours du Midi ? Moi, je suis né à Paris, mais ma famille vient de Marseille. Je suis toujours très heureux de retourner dans le Midi. J'aimerais bien m'installer là‐bas. A Marseille, justement, qui est devenue une ville formidable, d'un dynamisme fou. Goldman y habite et y est très heureux. Mes musiciens et compositeurs y sont déjà. Je ne suis pas à l'aise à Paris, je n'aime pas Paris. J'aimerais bien vivre à Marseille. En avez‐vous parlé à votre épouse, Anne‐Marie ? Pas encore ! Mais elle va l'apprendre grâce à votre journal (grand éclat de rire final) Prochain défi : Le Zénith La sortie du double album de Michel Sardou intitulé « Hors format » donnera lieu à une tournée dans toute la France, du 18 avril au 15 décembre 2007. Dans le cadre de cette tournée, le chanteur sera pour la première fois sur la scène du Zénith de Paris du 25 avril au 6 mai 2007. Exceptionnel aussi, le clip qu'a accepté de réaliser Olivier Marchal, le réalisateur de « 36, quai des orfèvres », sur la musique de la chanson « Beethoven », qui retrace les affres du monde moderne. Atmosphère glauque garantie.