les triplettes de belleville - Quels films pour les enfants

Transcription

les triplettes de belleville - Quels films pour les enfants
LES TRIPLETTES DE BELLEVILLE
Sylvain Chomet, France-Belgique-Canada, 2003
FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Sylvain Chomet / Voix : Jean-Claude Donda, Michel Robin, Monica Viegas / Scénario :
Sylvain Chomet /Musique : Benoît Charest (paroles), Sylvain Chomet, Mathieu Chédid / Montage :
Chantal Colibert / Création décors : Evgeni Tomov / Chef décorateur : Thierry Million / Superviseur
des effets visuels : Pieter Van Houte / Superviseur animation : Jean Christophe Lie / Producteur :
Viviane Vanfleteren, Régis Ghezelbash, Colin Rose / Producteur délégué : Didier Brunner / Sociétés
de production : Celluloïd Dreams (France), Prod. Champion, Canada, Vivifilm (Belgique), France 3
Cinéma (France), Les Armateurs (France) / Distribution : Diaphana Films (France) et Sony Pictures
Classics (U.S.A) / Format : 1’85 – 35 mm – animation, couleurs / Durée : 80 mins.
SYNOPSIS
L'idée de génie qu'eût madame Souza en offrant un vélo à son neveu alla bien au-delà de ses
espérances. L'entraînement, une alimentation adaptée et le Tour de France n'étaient pas loin... La
"mafia française" non plus qui, repérant le futur champion cycliste, l'enlève. Madame Souza,
accompagnée de trois vieilles dames, les Triplettes, devenues ses complices, devra braver tous les
dangers dans une course poursuite ébouriffante.
LES ARMATEURS
Les Armateurs, créée en 1994 par Didier Brunner a révélé deux auteurs dans le cinéma
d'animation : Michel Ocelot et Sylvain Chomet. La société a connu son premier succès avec le long
métrage de Michel Ocelot, Kirikou et la Sorcière qui a obtenu le grand prix du long métrage au
Festival d' Annecy en 1999 et a été vu par près d'un million et demi de spectateurs. Suivront en 2000,
Princes et Princesses, de Michel Ocelot, constitué de six moyen métrages d'animation en papiers
découpés, et, deux ans plus tard, L’Enfant qui voulait être un ours de Jannik Hastrup, en coproduction
avec le Danemark. Les Armateurs ont accompagné le travail de Sylvain Chomet depuis La vieille
dame et les pigeons (primé à Annecy en 1997) jusqu'à aujourd'hui son premier long métrage : Les
triplettes de Belleville.
" C’est en 1997, au Festival international du film d’animation d’Annecy, que le projet
des Triplettes de Belleville est né. Nous venions d’investir sept années de vie, d’énergie et de passion
pour financer et réaliser La vieille dame et les pigeons, dessin animé de 26 minutes qui nécessita un
budget réel de plus de 800 000 euros ! Les qualités d’auteur et de réalisateur que révélait ce film
m’inspiraient le désir de continuer ma collaboration avec Sylvain et de pousser le risque et l’ambition
plus avant, d’entreprendre l’aventure d’un long métrage, de lui donner les moyens d’exprimer tout son
talent. Il fallait surfer sur, à la fois, la réussite en salle de Kirikou et la sorcière qui donnait aux
Armateurs une crédibilité en tant que producteur de films d’animation ambitieux et le succès de La
vieille dame… dans les grands rendez-vous professionnels (les Oscars, le Bafta Awards, les Césars,
le festival d'Annecy, etc.).
Les Triplettes de Belleville, malgré la splendeur graphique du projet, raconte une
histoire et s’inscrit dans un univers qui ne sont pas spécifiquement dédiés aux enfants… J’étais
conscient que c’était là un nouveau et difficile pari que nous demandions de prendre à ceux qui nous
accompagneraient dans le financement élevé de ce projet. Nous avons tenu le cap, ce qui pour des
Armateurs est une qualité de base, l’équipage a fait preuve d’une opiniâtreté admirable et c’est avec
fierté que nous menons à bon port aujourd’hui ce navire imaginaire…"
(Didier Brunner, co-fondateur des Armateurs.)
SITE OFFICIEL
http://www.lestriplettesdebelleville.com/
(Un lien riche en informations, musiques, vidéo, jeux, entretiens, photographies…)
DECOUPAGE SEQUENTIEL
1) La Vieille Dame, l’enfant et le chien…
[0'00 à 3'25]
Séquence 1 : Séquence en noir et blanc introduisant les personnages des triplettes, stars d'un show
aux accents hollywodiens dans un théâtre prestigieux des années vingt où des invités de marque
débarquent sur un tapis rouge et sont présentés par une présentrice de télévision. Nous pouvons
deviner dans le rythme endiablé du spectacle une évocation des « Roaring Twenties » (« années
folles ») bien que selon la cohérence chronologique du scénario nous devons être plutôt dans les
années quarante (d'où la présence de la télévision noire et blanc). A noter que ce début rappelle celui
du film Chantons sous la pluie de Stanley Donnen. Le rendu « vieilli » est accentué par l'apparition de
rayures et poussières sur l'image. La séquence est entièrement musicale et nous découvrons
d'emblée l'humour noir du réalisateur, son sens des disproportions dans le dessin, sa description
moqueuse des coutumes et comportements humains ainsi que la fluidité cartoonesque de l'animation
(Fred Astaire mangé par ses chaussures à claquettes par exemple).
[3'25 à 4'42]
Séquence 2 : L'image devient « tramée » (traits qui balayent horizontalement l'écran de télévision) et
le son disparaît au profit d'une ambiance d'intérieur plus calme et rythmée par les coups lents d'une
pendule et les aboiements nerveux d'un chien. L'écran se brouille pour laisser place à une mire
d'interruption des programmes (qui peut rappeler le temps de l'ORTF). Un zoom arrière nous permet
de découvrir M.Souza et son petit fils de dos au milieu d'un décor de salle à manger saturé de
babioles diverses. Voyant l'ébahissement de son petit alors qu'un programme de piano vient
remplacer la mire, Mme Souza va dépoussiérer un piano dans son grenier. La caméra s'éloigne de la
maison.
(N.B: Notons que Sylvain Chomet cherche systématiquement à masquer les coupures en travaillant
des enchaînements fluides entre les plans et les séquences.)
2) La quête d'une passion
[4'42 à 7'44]
Séquence 3 : Le lendemain, la vieille dame tente d'initier au piano l'enfant qui finalement s'enfuit en
courant. Après une ellipse, elle lui offre un chiot puis, observant que cela ne trompe pas son ennui,
elle lui offre un petit train électrique qui semble surtout intéresser le chiot. C'est enfin en trouvant une
collection secrète de photos de cyclistes que Mme Souza comprend que c'est par le vélo qu'elle peut
égayer la vie de son petit fils. Le tricycle qu'elle lui offre enfin le transporte de joie tandis que la
caméra s'éloigne à nouveau de la maison.
[7'44 à 8'06]
Séquence 4 : Les saisons passent en fondu enchaîné et la civilisation fait d'énormes progrès urbains
et technologiques (des avions apparaissent, un pont suspendu fait passer une voie ferrée près de la
maison et les habitations couvrent bientôt tout le territoire alentour). Nous pouvons apercevoir la Tour
Eiffel au fond du plan, suggérant bien sûr que l'endroit devient un énième arrondissement parisien.
3) Le quotidien de la petite famille
[8'06 à 19'33]
Séquence 5 : L'entraînement du petit garçon devenu grand en perspective de sa participation au Tour
de France est l'occasion de décrire la France d'après-guerre, le Général de Gaulles annonçant un
Tour de France hautement symbolique. Pendant ce temps, en montage parallèle, nous pouvons voir
l'attente du chien à la maison; celui-ci est devenu une grosse masse tremblant sur ses frêles pattes et
accourant à la fenêtre pour aboyer contre le moindre passage de métro. Un bus dépasse le cycliste et
la vieille dame et nous indique discrètement que nous sommes dans le « 21ème arrondissement » de
Paris, confirmant avec humour (le 21ème n'existe pas dans la réalité) que l'endroit est situé à la
périphérie mais aspiré par l'expansion sans fin de l'immense et insatiable développement urbain.
Après le retour à la maison et le repas de la « famille », le rêve du chien fait une habile transition avec
la suite.
4) Le Tour de France
[19'33 à 29'32]
Séquence 6 : La montée du Ventoux sous un soleil plombant nous plonge in medias res au centre du
Tour. Caravanes et cyclistes croisent villes et espaces désertiques, acceuillis partout par la foule
joyeuse ou apathique. Deux « armoires à glace », vêtues à l'identique de lunettes et de par-dessus
noirs, capturent un par un trois des coureurs cylcistes parmi lesquels notre jeune protagoniste. Après
un accident habilement résolu par Mme Souza (elle remplace un pneu crevé par la gueule de son
animal), la voiture balai qui la transporte retrouve la piste des kidnappeurs mais arrive sur les quais
trop tard car un immense paquebot quitte le port emportant sous les yeux du chien et de la vieille
dame les victimes et les truands.
5) BELLEVILLE
[29'32 à 34'04]
Séquence 7 : L'improbable duo (chien et vieille femme) « loue » un pédalo (ils ne le ramèneront en
réalité jamais) pour se lancer à la poursuite du bateau. Bientôt, après vents et marées, ils entrent dans
l'énorme mégalopole verticale qu'est Belleville. Dans cette atmosphère semi-américaine, les héros
perdent la trace du jeune kidnappé.
[34'04 à 39'12]
Séquence 8 : Un fondu enchaîné nous emmène dans le repaire de la French Mafia, au « French Wine
Center ». Il se montre satisfait de ce que ses sbires ont rapporté. Installée modestement au clair de
lune dans un coin de rue sordide, la vieille dame fait la rencontre avec Les Triplettes en improvisant à
coups de baguettes sur une roue de vélo un accompagnement musical à leur chant.
-Fondu Enchaîné[39'12 à 49'55]
Séquence 9 : Dans un hotel miteux, refuge de prostitution, Mme Souza et son chien découvrent le
quotidien des Triplettes et leur drôle de spécialités gastronomiques : brochette de grenouilles, soupe
de grenouilles et têtes de têtards grillés.
6) Le « Cabaret Baroque »
[49'55 à 55'48]
Séquence 10 : Le parrain encadré de ses deux porte-flingues se rend au cabaret baroque où,
coîncidence, se produit le nouveau quatuor formé par Les Triplettes et la vieille dame. Le trio de la
french Mafia est repéré par l'odorat infaillible du gros chien, ce qui créé un scandale lorsqu'il tente de
renifler les jambes du parrain. Mme Souza fait automatiquement le lien avec le trafic de cyclistes dont
est accusé la French Mafia dans le journal du jour.
-Fondu au Noir7) Visite au barbershop
[55'48 à 58'55]
Séquence 11 : Malgré la bienveillance gênante d'un scout, Mme Souza parvient à subtiliser le
portefeuille du mécanicien de la Mafia. Elle le vide et l'inspecte le soir venu, à table avec les Triplettes,
hilares à la vue des photographies ridicules du petit homme à tête de souris.
8) Course poursuite finale
[58'55 à 1'06'10]
Séquence 12 : Dans un ancien théâtre se sont installés de nombreux avatars du trio mafieux qui
parient tous sur les trois coureurs qui sont installés sur la scène et pédalent le plus vite possible sur
des vélos mécaniques. Essouflé et abbatu (de fatigue puis par balle), un des coureurs est mis hors
course. Les Triplettes se glissent dans les coulisses où elles permettent à Mme Souza de prendre la
place, déguisée, du petit bonhomme à tête de souris. Celle-ci est découverte après avoir réussi à
libérer les vélos du sol. Au milieu du tumulte qui s'ensuit, les héros parviennent à s'échapper en
provoquant une explosion dans le mur.
[1'06'10 à 1'12'14]
Séquence 13 : Poursuivis par des « deux-chevaux limousine », le groupe parvient à s'enfuir à bord du
drôle de chariot que constitue le socle des vélos mécaniques, aidé dans sa fuite par les côtes et
descentes qui confère une lenteur générale à la poursuite. Les Triplettes éliminent les adversaires par
d'absurdes stratagèmes auxquels Mme Souza apporte une conclusion définitive grâce à un formidable
croche-patte pour lequel elle se sert de son pied-bot. Elle envoie ainsi le chef de la Mafia et ses deux
accolytes en « Enfer », symboliquement précipités dans la cheminée d'un autre paquebot. L'équipage
mécanique quitte alors Belleville dans la nuit étoilée.
9 ) Le générique du film
['1'12'14 à 1'17'22]
Séquence 14 : « Il est fini le film? » entend-t-on en voix-off. Le jeune homme devenu vieux est devant
la télévision, seul, et répond affirmativement en direction du siège laissé vide à sa gauche. Il est dans
le même décor qu'au début du film, la maison de sa grand-mère, désormais absente.
Le générique défile sur le rythme endiablé du chant de M (Matthieu Chedid) puis après quelques
medley des chansons du film une scènette vient clore le générique : le loueur de pédalo attend
toujours le retour de Mme Souza, debout au bord de l'eau.
QUELQUES PISTES PEDAGOGIQUES:
I/ REALISME ET CARTOON
Le plus surprenant dans ce film de Sylvain Chomet est la totale liberté de ton qu'il se permet
jusque dans le trait du dessin et la technique d'animation. Oscillant entre le numérique et
l'artisanat (nous savons qu'il a été fait emploi du numérique pour dupliquer des personnages
ou des éléments de décor), il parvient à une unité graphique tout à fait originale.
La même cohérence nous étonne en ce qui concerne le mélange entre réalisme et cartoon,
comme si cette ambivalence entre un style d'animation « à la française » et un autre plus
américain faisait écho à cette « Belleville » franco-américaine.
Nous pouvons évidemment faire remarquer aux collégiens la manière dont les personnages
sont stéréotypés à outrance en comparant avec la tradition du dessin satirique et politique
1
(Daumier , Cabu, Petillon, etc.) dont la dimension n'est pas absente (voir les références dans le
film au Général De Gaulle et à l'Histoire française) ainsi qu'avec la tradition du cartoon
américain qui grossit le trait dans une quête de rythme effrenée et exubérante (Tex Avery,
Chuck Jones, Walter Lang, Fleischer avec les personnages comme Betty Boop, Droopy,
Popeye, Bugs Bunny, Woody Woodpecker, Will E.Coyotte...). Cette seconde influence est
particulièrement visible avec la description cynique des années trente au début du film (Fred
Astaire mangé par ses chaussures et Joséphine Baker ceinturée de bananes) et les
disproportions physiques des corps (on pense à la tête énorme de Betty Boop posée sur un
corps svelte et liliputien).
Mais Sylvain Chomet ne se contente pas de cette liberté de style. Il décrit tout de même une
évolution des relations humaines d'autant plus amère que de nombreux petits détails, certes
discrets, aident à rendre très réaliste : le luxe de détails dans les décors tels cadres,
photographies, objets et papiers peints (dans l'appartement de Mme Souza mais aussi dans
celui des Triplettes et les rues de Belleville), les sons et leurs tonalités (le bourdonnement des
disques et du son télévisé par exemple), le contexte historique et la transformation du visage
de la banlieue parisienne par exemple.
Betty Boop
II LE RYTHME
Notons que les scènes sont « entrelacées », Chomet masquant tant qu'il peut les transitions
entre les séquences voire les plans; il illustre par exemple le passage du temps et des saisons
par les transformations du paysage et l'évolution du rapport entre Madame Souza et son petit
fils. Il insuffle ainsi une certaine fluidité dans la narration.
1
http://www.honore-daumier.com/documents/publications/vie-politique/Le-dessin-politique.pdf
Pistes d'ouverture :
On pourra amener aux élèves des exemples de musicalité du montage avec les cas des films
d'Alfred Hitchcock ou de Einsenstein.
Alfred Hitchcock a grandement théorisé les questions de montage et il joue de manière
presque cynique à nous montrer les ficelles de la peur tout en l'amplifiant dans The Man Who
Knew Too Much (version 1955) : un tueur a pour consigne de tuer un ambassadeur au moment
où retentit le dernier coup de cymbale d'un concert de musique symphonique dirigé par
Bernard Herrman lui-même (compositeur attitré d'hitchcock et annoncé comme chef
d'orchestre du concert dans le film)
Le montage Eisenstein est une référence incontournable pour qui s'intéresse à la forme
filmique; on trouvera de nombreux écrits du cinéaste et notamment les textes essentiels
2
« Dramaturgie de la forme filmique » et « La 4ème dimension du cinéma » dans lesquels
notamment ce grand théoricien élabore le montage comme une donnée musicale, rythmique et
symbolique. Le montage passe également par un travail sur les dominantes (répétition d'un
thème de manière anaphorique dans la quasi-totalité des plans). Les dominantes peuvent être
d'ordre chromatique, ou bien encore la longueur d'un plan peut devenir une dominante.
A partir de cette conception, Eisenstein détermine quatre types de montage :
•
•
•
•
le montage métrique (qui se fait d'après la longueur absloue d'un plan)
le montage rythmique (qui se fait, comme son nom l'indique, sur le rythme de
l'enchaînement des plans ; ce style de montage est tout à fait visible dans la séquence
des escaliers d'Odessa, du Cuirassé Potemkine)
le montage tonal (basé sur le sens émotionnel des séquences ; il se fait d'après les
dominantes)
le montage ober tonal (il détruit les dominantes, l'harmonie mélodique de
l'enchaînement des plans ; il est basé sur la perception physiologique du corps)3
2
http://www2.educnet.education.fr/sections/histoiredesarts/ressources2235/bibliographie/terminale/biblio
graphie_eisens
3
Source : http://www.iletaitunefoislecinema.com/article/46/
Pour plus de renseignements sur Eisenstein et l'école soviétique :
www.cineclubdecaen.com/analyse/histoire03ecolesovietique.htm
www.cadrage.net/dossier/architectonique.htm